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Article paru dans Ponge, résolument, J.-M. Gleize dir., Lyon, ENS éditions, 2004 : 19- 38. 1 Ponge rhétoriquement 1 Jean-Michel Adam La rhétorique est utile, pas du tout inutile, dans la mesure où elle permet justement, par l’acceptation obligatoire de certaines règles, de délivrer le langage; c’est la rhétorique, dans le sens de l’acceptation de contraintes, de règles, etc., qui libère le langage. C’est parce que nous acceptons certaines contraintes que nous sommes libres. (Colloque de Cerisy 1977 : 40) En 1975, au colloque de Cerisy, en réponse à une question sur la place de la rhétorique dans son œuvre, Francis Ponge développait une vision positive de la rhétorique – citée en exergue – qui tranche avec le ton de « Prologue aux questions rhétoriques » : RHETORIQUE, pourquoi rappellerais-je ton nom ? Tu n’es plus qu’un mot à colonnes, nom d’un palais que je déteste, d’où mon sang à jamais s’est exclu. (1961b : 182-183) À cause de ce qui pouvait être pris pour un rejet, j’ai tardé à admettre qu’il n’était peut-être pas anachronique de considérer l’œuvre d’un maître des avant-gardes poétiques du XX ème siècle sous cet angle. Le rapport de Ponge à la rhétorique constitue une ligne de lecture de son œuvre aussi importante que les approches philosophiques ou esthétiques, attentives à son dialogue constant avec certains peintres. 1 Cette version de ma conférence du colloque « Ponge résolument » tient compte de lectures ultérieures et reprend synthétiquement deux publications antérieures : « Le “Gymnaste” : un exercice de “tractions de la langue” ? » in Etudes de Lettres, Lausanne, I-1999 : 131-149, et « Un “infini tourbillon du logos” : la rhétorique épidictique de Ponge », La Mise en scène des valeurs. Rhétorique de l'éloge et du blâme, M. Dominicy & M. Frédéric éds., Lausanne-Paris, Delachaux & Niestlé, 2001 : 233-269.

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Article paru dans Ponge, résolument, J.-M. Gleize dir., Lyon, ENS éditions, 2004 : 19-38. 1

Ponge rhétoriquement1

Jean-Michel Adam

La rhétorique est utile, pas du tout inutile, dans la mesure où ellepermet justement, par l’acceptation obligatoire de certaines règles, dedélivrer le langage; c’est la rhétorique, dans le sens de l’acceptationde contraintes, de règles, etc., qui libère le langage. C’est parce quenous acceptons certaines contraintes que nous sommes libres.(Colloque de Cerisy 1977 : 40)

En 1975, au colloque de Cerisy, en réponse à une question sur la placede la rhétorique dans son œuvre, Francis Ponge développait une visionpositive de la rhétorique – citée en exergue – qui tranche avec le ton de« Prologue aux questions rhétoriques » :

RHETORIQUE, pourquoi rappellerais-je ton nom ? Tu n’es plus qu’un mot àcolonnes, nom d’un palais que je déteste, d’où mon sang à jamais s’estexclu. (1961b : 182-183)

À cause de ce qui pouvait être pris pour un rejet, j’ai tardé à admettrequ’il n’était peut-être pas anachronique de considérer l’œuvre d’unmaître des avant-gardes poétiques du XXème siècle sous cet angle. Lerapport de Ponge à la rhétorique constitue une ligne de lecture de sonœuvre aussi importante que les approches philosophiques ouesthétiques, attentives à son dialogue constant avec certains peintres. 1 Cette version de ma conférence du colloque «   Ponge résolument  » tient comptede lectures ultérieures et reprend synthétiquement deux publications antérieures :« Le “Gymnaste” : un exercice de “tractions de la langue” ? » in Etudes deLettres, Lausanne, I-1999 : 131-149, et « Un “infini tourbillon du logos” : larhétorique épidictique de Ponge », La Mise en scène des valeurs. Rhétorique del'éloge et du blâme, M. Dominicy & M. Frédéric éds., Lausanne-Paris, Delachaux& Niestlé, 2001 : 233-269.

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La piste rhétorique a été suivie aussi bien par Serge Gavronsky – undes premiers à déceler l’importance du genre épidictique dans les textespongiens (1977 : 310) – que par Guy Lavorel, qui voit dans la « ragede l’expression » une « contre-rhétorique » (1986 : 107). D. Combe vadans le même sens, en considérant que Ponge met en place unerhétorique qui tue l’esprit même de la rhétorique ancienne et lui porteun véritable « coup de grâce » (1990 : 154). Ce point de vue me paraîtavoir été dépassé par Barbara Cassin qui, dans « Consensus et créationdes valeurs », part des sophistes pour souligner que l’art de l’élogerepose, en fait, sur un paradoxe : « Il ne s’agit pas simplement avecl’éloge, comme l’a cru Chaïm Perelman, de renforcer, propager,réinjecter les valeurs admises. Il s’agit bien plutôt, je crois, de lesmodifier et d’en créer de nouvelles » (1991 : 282). C’est ce qu’elledécèle aussi bien dans les éloges d’Hélène de Gorgias et d’Isocrate quedans l’œuvre de Ponge (1991 : 294-297). Doublement paradoxal,Ponge, comme Lucien qui, procédant à l’éloge de la mouche, faisait«  d’une mouche un éléphant », transforme des objets aussi ordinairesque le cageot, le savon ou la serviette éponge, en objets poétiques. Uneformule résume la thèse de Barbara Cassin : « Il est […] dans la penterhétorique naturelle de l’éloge d’être au moins autant paradoxalqu’endoxal » (1991 : 286). Dans « Ponge épidictique et paradoxal »,Paul J. Smith (1996) confirme largement cette thèse, en insistant sur legenre de l’éloge paradoxal pratiqué dans la Seconde Sophistique etencore en vogue à l’époque de Malherbe et chez Remy Belleau.

1. La rhétorique contre la « terreur »

La « contre-rhétorique » pongienne est un dialogue avec la rhétoriqueet une entreprise extrêmement cohérente de reconception du dispositifclassique. Comme le dit la célèbre formule d’avril 1948 : « Il fauttravailler à partir de la découverte faite par Rimbaud et Lautréamont(de la nécessité d’une nouvelle rhétorique) » (1961b : 42). Et il ne fautpas oublier le troisième élément du « petit outillage minimum » quiprésidait à l’écriture de Ponge : « l’alphabet, le Littré en quatrevolumes et quelque vieux traité de rhétorique […] » (1961b : 203).

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Suivant en cela Jean Paulhan, Ponge définit la rhétorique contre leterrorisme surréaliste : « Je préconiserai plutôt l’abrutissement dans unabus de technique, n’importe laquelle ; bien entendu de préférence celledu langage, ou RHETORIQUE » (1967 : 118). Les raisons d’un teltravail sont ainsi expliquées dans « Rhétorique » (1929-1930) :

Je pense à ceux qui se suicident par dégoût, parce qu’ils trouvent que «   lesautres  » ont trop de part en eux-mêmes.On peut leur dire : donnez au moins la parole à la minorité de vous-mêmes.Soyez poètes. Ils répondront : mais c’est là surtout, c’est là encore que jesens les autres en moi-même, lorsque je cherche à m’exprimer je n’yparviens pas. Les paroles sont toutes faites et s’expriment : elles nem’expriment point. Là encore j’étouffe.C’est alors qu’enseigner l’art de résister aux paroles devient utile, l’art dene dire que ce que l’on veut dire, l’art de les violenter et de les soumettre.Somme toute fonder une rhétorique, ou plutôt apprendre à chacun l’art defonder sa propre rhétorique, est une œuvre de salut public. (1967 : 157)

La (re)fondation d’une rhétorique apparaît comme le moyen derésoudre une crise profonde, de retrouver la parole en se forgeant unelangue propre. Il s’agit bien de délivrer et de libérer le langage par untravail qui est ailleurs défini comme exercices de «   tractions de lalangue  » et de « rééducation verbale ». Une formule de « Des raisonsd’écrire » explicite sur quel dégoût des paroles se fonde cette nécessitéd’une langue propre : « Un tas de vieux chiffons pas à prendre avecdes pincettes, voilà ce qu’on nous offre à remuer, à secouer, à changerde place » (1967 : 163). Lorsque Ponge parle de retrouver la parole enfondant son propre dictionnaire, c’est toutefois sans sortir de la languefrançaise, et par un travail rhétorico-poétique de retraitement :

Du moins, par un pétrissage, un primordial irrespect des mots, etc., devra-t-on donner l’impression d’un nouvel idiome qui produira l’effet de surpriseet de nouveauté des objets de sensations eux-mêmes. (1967 : 157)

Nous ne sommes pas très loin ici de l’idée proustienne (reprised’Aristote et prolongée par Max Jacob) : « Les beaux livres sont écritsdans une sorte de langue étrangère »2. Ce travail de la langue passe parl’idée d’« une forme rhétorique par objet (c.à.d. par poème) » (1967 :157) :

Chaque objet doit imposer au poème une forme rhétorique particulière. Plusde sonnets, d’odes, d’épigrammes : la forme même du poème soit en

2 Voir sur ce point ce que j'en dis dans Le Style dans la langue (1997), en revenantsur des observations de Gilles Deleuze.

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quelque sorte déterminée par son sujet. (1961b : 36)

L’idéal du poème « mouvement d’horlogerie » ou « petite bombe »est l’expression de cette rhétorique de l’objet :

Ce mécanisme d’horlogerie c’est la rhétorique de l’objet. La rhétorique,c’est comme cela que je la conçois. C’est-à-dire que si j’envisage unerhétorique, c’est une rhétorique par objet, pas seulement une rhétorique parpoète, mais une rhétorique par objet. Il faut que ce mécanisme d’horlogerie(qui maintient l’objet) nous donne l’art poétique qui sera bon pour cet objet.(1961b : 260)

2. Une rhétorique épidictique

Un très grand nombre de textes relèvent explicitement du genreépidictique. Ponge parle du genre « démonstratif » des latins dansl’avant-propos de Comment une figue de parole et pourquoi (1997 :53) et dans l’entretien avec Jean Ristat sur « L’art de la figue » qui suit(1997 : 288-289) :

C’est à la fois, un éloge, des lettres, de la littérature, de ce qui est littéral, etsans illusion sur la possibilité de la représentation. […]Le comment est l’éloge du travail et de la production à l’intérieur du mondedans lequel nous sommes enfermés; c’est-à-dire le monde de la parole.(1997 : 276)

Il suffit de citer quelques titres du Grand Recueil, Lyres (1961a) pourcomprendre que Bernard Beugnot puisse qualifier Ponge de « poète dela célébration » (1990 : 51) : « Prose de profundis à la gloire deClaudel » (1961a : 27-33), « A la gloire d’un ami » (1961a : 34-45),« Baptême funèbre » (1961a : 36-38), « Note hâtive à la gloire deGroethuysen » (1961a : 39-47), Prose à l’éloge d’Aix (1961a : 125-127). L’éloge ne devient paradoxal que lorsqu’il porte sur des objetsou des êtres que nul ne songerait à louer. C’est toute l’entreprise duParti pris des choses, et il suffit de penser aux fréquentes formules dutype : « J’ai donné mes louanges à la forme du U » (1961b : 128).

Cette rhétorique de l’éloge et du blâme n’est que la face superficielled’un genre d’apparat. Les discours épidictiques avaient pour objectifautant de louer ou de blâmer des acteurs politiques ou sportifs célèbresque de faire admirer le talent de l’orateur et surtout de réaffirmer ladoxa, de rappeller les valeurs et autres systèmes de normes sur lesquels

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se fondait le consensus de la rationalité collective de la cité. En fait,comme le souligne Barbara Cassin : « Ponge, comme Gorgias mais plusloin dans le mot à mot, ne cesse de faire entendre que toute description,tout éloge, est en même temps un éloge du logos » (1991 : 295).

En proclamant que chacun doit fonder sa propre rhétorique et ens’appliquant à des objets aussi divers que de grands artistes (deMalherbe à Braque) et de très humbles choses (de la figue au cageot), lacontre-rhétorique pongienne ne s’affranchit paradoxalement pas de ladimension endoxale du discours épidictique. Elle appelle à unerefondation des valeurs communes à travers la fabrication d’une œuvrequi tienne lieu de nouvelle encyclopédie et de nouveau dictionnaire. Lesenjeux d’un tel travail sont aussi politiques que ceux de la rhétoriqueantique : enjeux de fondation de l’identité de la cité et de son unité,oubliés lorsque l’art de rhétorique a pu paraître s’artificialiser ets’autonomiser. Comme le dit Ponge, dans son entretien radiophoniqueavec Breton et Reverdy, le rôle social de la poésie est de lutter contretoutes les formes de dogmatisation des valeurs : « Peut-être la leçonest-elle qu’il faut abolir les valeurs dans le moment même que nous lesdécouvrons. . . Voilà à mon sens, l’importance (et aussi bienl’importance sociale) de la poésie » (1961b : 293). Comme il le dit àpropos du « Bois de pin », les objets dont il entreprend paradoxalementl’éloge le provoquent et l’obligent « à changer [son] manège d’esprit,[…] à changer d’armes et de manières » (1961b : 299). Ce que BarbaraCassin résume ainsi : « Le grand jeu, c’est bien celui qui, au bout del’éloge, fait changer soi-même et les autres, les objets, bref, le manège »(1991 : 296). C’est tout le propos de « Tentative orale » :

Il ne s’agit pas d’arranger les choses (le manège) […]. Il faut que les chosesvous dérangent. Il s’agit qu’elles vous obligent à sortir du ronron; il n’y aque cela d’intéressant parce qu’il n’y a que cela qui puisse faire progresserl’esprit. (1961b : 257)

3. Le dispositif rhétorique pongien

La rhétorique pongienne se présente comme une attention égale auxcinq grandes opérations de la technè rhetorikè.

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3.1. La memoria

Dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1958, Ponge dit ceci de lamémoire :

Mais il faut que je ferme les yeux sur tout cela, sur ces anecdotes, ou plutôtque je renferme ces souvenirs, les replace dans ma mémoire, dans l’armoirede ma mémoire, les tiroirs de commode de ma mémoire, dans l’état où ilss’y trouvaient authentiquement avant que je ne les en tire pour les observerun à un, les retourner dans la main : c’est-à-dire en désordre, empilés les unssur les autres, les uns contre les autres, tassés, se chevauchant,Pour ne former que la figue. (1997 : 63)

Cette mémoire n’est pas l’art de mémoire soucieux d’ordonner dansles « tiroirs de commode » les fragments du discours, elle participeplutôt au mouvement de l’inventio. Ce soucis de restituer moinsl’ordre que le désordre de la mémoire est une des formes les plusapparentes de la reconception pongienne de l’héritage rhétorique. Onretrouve la mémoire en plusieurs points de la Fabrique du pré (1971 :258), mais c’est certainement dans « Matière et mémoire » que Pongeen parle le plus clairement : « Quand on inscrit sur la pierrelithographique, c’est comme si l’on inscrivait sur une mémoire »(1948 : 87-88). Passant de la pierre à la page, il précise cette idée d’unemémoire du texte indéfiniment reproductible et surtout inscrit dans lamatière et la durée. Il parle d’une « profondeur de mémoire » (1948 :99), d’une « inscription dans le temps aussi bien que dans la matière ».

Un seul exemple, pour revenir sur le fragment du début de Commentune figue… cité plus haut. En date du 13 septembre 1958, la mémoire-inventio disparaît et se textualise :

Maintenant tu peux bien le poser en maugréant sur le bord de ton assiette oule relire cent fois comme un de mes meilleurs textes […].

Posé en maugréant sur le bord de l’assiette,Ou mâchonné sans fin comme on fait des proverbes. (1997 : 248)

Le poème « mâchonné sans fin » est une autre version de la pierrelithographique. Seul le proverbe, dont la densité favorise lamémorisation et le rend ainsi disponible pour tous, est susceptible depermettre une telle reproduction infinie. Le passage de « le relire centfois comme un de mes meilleurs textes » à « mâchonner sans fincomme on fait des proverbes » explique parfaitement la conception

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pongienne du texte. La memoria est ainsi prise dans la densité mêmede la structure (dispositio) et de la texture (elocutio) d’un texte dontl’idéal d’écriture tend vers le proverbe.

3.2. La dispositio

À propos de la dispositio, il serait facile de citer les fragments du« Verre d’eau » consacrés à son plan : « Plan du verre d’eau » en 5points, jusqu’à sa « morale » (1961b : 158-159), ou le « projet deplan » en cinq points également de la page 32 du Pour un Malherbe,ou encore, en date du 2 septembre 1940, dans La rage de l’expression,les variations « ad libitum » de la disposition des cinq « élémentsindéformables » du « Carnet du bois de pins » (1999 : 396-397). Danstous ces cas, c’est l’arrangement ou l’articulation des parties oumatières du texte qui est exploré. La dispositio rompt avec le modèlefixe de l’art oratoire au profit d’un plan de circonstance : unedispositio par poème. Ainsi, un texte comme « Le Gymnaste » adopteune dispositio certes conforme aux modèles rhétoriques de ladescription des êtres humains, mais tout à fait singulière :

LE GYMNASTE

Comme son G l’indique le gymnaste porte le bouc et la moustache querejoint presque une grosse mèche en accroche-cœur sur un front bas.

Moulé dans un maillot qui fait deux plis sur l’aine il porte aussi, commeson Y, la queue à gauche.

Tous les cœurs il dévaste mais se doit d’être chaste et son juron estBASTE !

Plus rose que nature et moins adroit qu’un singe il bondit aux agrèssaisi d’un zèle pur. Puis du chef de son corps pris dans la corde à nœuds ilinterroge l’air comme un ver de sa motte.

Pour finir il choit parfois des cintres comme une chenille, mais rebonditsur pieds, et c’est alors le parangon adulé de la bêtise humaine qui voussalue.

Les trois premiers paragraphes dressent le portrait du personnage. Ladescription est menée en partant conventionnellement du haut (sa tête),viennent ensuite des parties de son corps et de son vêtement. Bien sûr,la sélection des parties et des propriétés du corps est mimologiquementguidée par les différentes parties du mot lui-même. Malgré cetteoriginalité mimologique, les deux derniers paragraphes complètent leportrait par une mise en action. Ce n’est plus un portrait statique,comme dans la première partie, mais une description des actions d’un

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personnage entre le trapéziste de cirque et le gymnaste au sens sportifet gymnique du terme. Conformément aux recommandations desmaîtres de stylistique et de rhétorique (Adam 1993), la deuxième partiedu texte introduit du mouvement dans un portrait qui risquerait d’êtretrop statique. La prosopographie centrée sur certaines propriétésphysiques du personnage, est complétée par une éthopée qui signaleses qualités morales : il est présenté comme « zélé » et « bête », leblâme épidictique pointant ainsi clairement.

Ainsi Alexandre Vessiot (1886, chapitre XIV), soucieux d’enseigner àun élève une méthode de description, parlait, pour décrire un arbre, de« suivre la nature dans son travail d’élaboration, d’organisation, dedéveloppement, qui tend au fruit et s’y termine » et de décrire lesplantes des racines en direction de l’extrémité des plus hautes branches,selon un ordre inverse de celui des portraits humains et des descriptionsd’animaux. C’est ce que fait (un court moment) Ponge dans« Rhétorique résolue de l’œillet » :

Parmi les jouissances comportant leçons à tirer de la contemplation del’œillet il en est de plusieurs sortes et je veux, graduant notre plaisir,commencer par les moins éclatantes, les plus terre à terre, les plus basses, lesplus près du sol et les plus solides peut-être, celles qui sortent de l’esprit enmême temps que sort de terre la petite plante elle-même… (1952 : 55-56).

Autre aspect plus proprement pongien de la disposition : la mise enpage ou mise en espace typographique du poème. Jean-Marie Gleizementionne les trois « essai[s] de mise en page » de La Figue (1997 :125-127), en mettant fort justement cette recherche typographique enrapport avec l’inscription sur la pierre. C’est en ce sens qu’il fautexaminer la dispositio typographique du « Gymnaste ». Le texte,disposé en cinq paragraphes, comporte six phrases typographiques.L’ensemble est divisé en deux parties comportant un nombre inégal deparagraphes (3§ & 2§), mais un nombre égal de phrases (3P & 3P).Formellement ces deux parties sont soulignées par la présence d’unconnecteur MAIS suivi d’un ET en fin de premier ensemble. À cecouple répondent, symétriquement, un autre MAIS suivi d’un « ET(c’est) ALORS » dans le bloc final introduit clairement par un «  Pourfinir », comme le bloc initial s’achevait par « baste ». Les deux phrasesqui constituent le paragraphe 4 sont articulées par un organisateurtemporel PUIS qui souligne, avec le ET ALORS du dernier

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paragraphe, la succession des actions de l’ensemble de la deuxièmepartie du poème.

Ce travail de la dispositio touche également le recueil. Bernard Veck,dans un chapitre de son essai sur Le Parti pris des choses (1994 : 55-61), étudie le «  groupe des textes humains » (textes 22 à 27). Sonanalyse n’éclaire toutefois pas la présence du gymnaste au côté detextes liés à la biographie de Ponge (« La jeune mère » (24) s’expliquepar la naissance de sa fille, « R. C. Seine N° » (25) et «  Le restaurantLemeunier » (26), par son emploi aux Messageries Hachette). Dansune composition en couples de textes, « Le Gymnaste » peut certesêtre rapproché de « La jeune mère », comme le propose BernardVeck, à la suite de Jean-Paul Sartre. Mais, à y regarder de près, « Lajeune mère » renvoie plutôt au « Morceau de viande » (22) quiévoque, avec l’usine biologique, le cycle de la vie et de la mort. Notrepoème (23), un peu à part, gagnerait à être mis en relation avec laréflexion sur le logos et sur l’orgueil des hommes développée dans les« Notes pour un coquillage » (texte 27).

3.3. L’elocutio

A l’elocutio – ou mise en mot – se rattachent les multiples réflexionspongiennes sur le style et sur les figures. On pourrait souligner le goûtpongien de l’oxymore (qui fait certainement partie de l’arsenal del’éloge paradoxal) et s’attarder sur les formes de la concession.Insistons plutôt sur ces lignes de « My creative method » qui mettentclairement l’accent sur les dimensions autant syntaxiques querythmiques (prosodiques) de l’elocutio :

Quant à la syntaxe, aux formes prosodiques et d’une façon plus générale àla rhétorique, ici encore leur rénovation sera d’instinct, et sans vergogne(prudente pourtant, et tenant compte uniquement du résultat, de l’efficacité).(1961b : 19)

L’aboutissement idéal du travail de la mise en mots est réalisé dans leproverbe et la maxime. À propos de Mallarmé, il faut rappeler cettedéclaration des Proêmes :

Chaque désir d’expression poussé à maximité.Poésie n’est point caprice si le moindre désir y fait maxime. […]

Plus tard on en viendra à faire servir Mallarmé comme proverbes. (1967 :

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19)

Formules reprises, à peu de mots près, à propos de Malherbe :

Étant donné que les succès de langage ne peuvent être que relatifs, laperfection qu’il recherche, celle à laquelle il aboutit, celle dont le moindrefragment de son œuvre donne l’idée, est vraiment la maxima. («  Rien, afinque tout dure, ne dure éternellement. » Ceci posé, «  Ce que Malherbe écritdure éternellement »). (1965 : 33)

Ses besoins les plus contingents, les plus particuliers (les plus authentiquesdu point de vue marxiste) sont résolus en proverbes des plus nécessaires; cesont des maximes, des expressions vitales, aussi indispensables à sonéquilibre que le chant du rossignol, pour ne pas tomber de la branche.Proverbes du plus haut lieu, le lieu spécifique de l’espèce humaine, qui estespèce parolière. (1965 : 136-137)

Ponge atteint, à son tour, cette « espèce de qualité oraculaire » au prixd’un énorme travail stylistique et en adoptant, dans les formes brèvesdu Parti pris puis dans les formules recherchées à coup de répétitionset de reformulations, divers dispositifs linguistiques qui relèventpleinement de l’elocutio. Par le choix de l’impersonnel, il met lasubjectivité à l’écart, il soustrait les énoncés à la contingence d’uneénonciation singulière pour atteindre ce qui peut être commun. Dès1944, Sartre soulignait cette exclusion radicale du lyrisme quicaractérise l’œuvre de Ponge. La deuxième caractéristique est unegénéricité marquée par le choix des déterminants génériques pour legroupe nominal et d’un présent gnomique ou de définition pour legroupe verbal. Enfin, il faut souligner la densité syntaxique, voirerythmique, des énoncés, à commencer par celle des phrases-paragraphes. Sartre parle admirablement de « ces phrases lourdes desens, déjà pétrifiées, et dont la puissance d’affirmation est telle quetoute une société les reprend à son compte » (1947 : 335). C’est ce quedit la fin de l’« Introduction au galet » :

Eh bien ! Pierre, galet poussière […] tu me serviras, et tu serviras dès lorsaux hommes à bien d’autres expressions, tu leur fourniras pour leursdiscussions entre eux ou avec eux-mêmes bien d’autres arguments; même, sij’ai assez de talent, tu les armeras de quelques nouveaux proverbes ou lieuxcommuns : voilà toute mon ambition. (PR : 178)

On comprend mieux ainsi que le « Gymnaste » soit micro-linguistiquement constitué de longues phrases faiblement ponctuées.Cet affaiblissement de la segmentation typographique fait que chaqueparagraphe est plus une période qu’une phrase. Un rythme perce ainsi

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sous les paragraphes-périodes du poème. Le premier comporte quatregroupes de huit syllabes :

Comme son G l’indique le gymnaste /8/porte le bouc et la moustache /8/que rejoint presque une grosse mèche /8/en accroche-cœur sur un front bas. /8/

Le rythme du second paragraphe est morpho-syntaxiquement plusnettement souligné :

Moulé dans un maillot / qui fait deux plis sur l’aine /12/il porte aussi, / comme son Y, / la queue à gauche. /12/

Visiblement, deux alexandrins – conformes aux deux grandesstructures rythmiques 6 / 6 et 4 / 4 / 4 – pointent sous la prose. Lerythme interne du troisième paragraphe est doublement découpé entrois segments de 6 syllabes par les rimes en « aste » et par lesconnecteurs-organisateurs MAIS et ET :

Tous les cœurs il dévaste /6/MAIS se doit d’être chaste /6/ET son juron est BASTE ! /6/

Le quatrième paragraphe retrouve l’amplitude rythmiqued’alexandrins réguliers (6 + 6 syllabes) qui prolongent les rythmesantérieurs :

Plus rose que nature / et moins adroit qu’un singe /12/il bondit aux agrès / saisi d’un zèle pur. /12/Puis du chef de son corps / pris dans la corde à nœuds /12/il enterroge l’air / comme un ver de sa motte. /12/

Ceci contraste avec un dernier paragraphe où la régularité rythmiques’effondre :

Pour finir /3/ il choit parfois des cintres /6/ comme une chenille /4/, maisrebondit sur pieds /6/, et c’est alors /4/ le parangon adulé /7/ de la bêtisehumaine /6/ qui vous salue /4/.

Cette mise en avant du rythme mime celui des exercices degymnastique; la désarticulation rythmique finale correspondant à leurfin et à la chute du « salut ». Mais on peut également lire ce poèmecomme une déclaration de poétique. La virtuosité du gymnaste que letexte ravale au rang de modèle absolu de la « bêtise », est un peu cellede la poésie versifiée avec laquelle ce texte joue subtilement et dont sa

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prose se dégage. « Plus de sonnets, d’odes, d’épigrammes », plus devers au sens propre du terme, « la forme même du poème estdéterminée par son sujet », déterminée dans sa composition et dans ledétail de son elocutio . Dès lors, est ici dénoncée la virtuositéprétentieuse du faiseur de vers à laquelle Ponge oppose une écritureoraculaire, débarrassée de l’artifice de la versification, une prose aussidense que le vers.

3.4. L’inventio

Le mécanisme à la base de l’inventio est simple : « Il s’agit de l’objetcomme notion. Il s’agit de l’objet dans la langue française, dans l’espritfrançais (vraiment article de dictionnaire) » (1961b : 33). Il s’agit de« l’objet comme idée, ou notion, à laquelle contribue de façon trèsgrave et sérieuse son nom, le mot français qui habituellement ledésigne » (1961b : 34). On comprend mieux alors que, potentiellement,chaque mot d’un poème de Ponge soit un écho de sa valeur dans ledictionnaire :

Chaque mot, c’est une colonne du dictionnaire, c’est une chose qui a uneextension, même dans l’espace, dans le dictionnaire, mais c’est aussi unechose qui a une histoire, qui a changé de sens, qui a une, deux trois, quatre,cinq, six significations. Qui est une chose épaisse, contradictoire souvent,avec une beauté du point de vue phonétique, cette beauté des voyelles, dessyllabes, des diphtongues, cette musique… Somme toute, ce sont des sons,plutôt les syllabes sont des sons, chaque syllabe est un son. Les mots c’estbizarrement concret, parce que, si vous pensez… en même temps ils ont,mettons, deux dimensions, pour l’œil et pour l’oreille, et peut-être latroisième c’est quelque chose comme leur signification. (1961 : 272-273)

Bien que plusieurs signes linguistiques soient, dans « Le Gymnaste »,particulièrement travaillés par les possibilités sémantiques que ledictionnaire dispose en listes de significations possibles, considérons,faute de place, un mot du dernier paragraphe. Après des remarques dePaulhan, Ponge a repris la dernière phrase du texte. « Et c’est alorsune des formes de la bêtise humaine qui vous salue » a été remplacépar : « […] et c’est alors le parangon adulé de la bêtise humaine quivous salue ». De ce « parangon » apparu tardivement, le Littrépropose divers sens :

PARANGON […] 1. Comparaison. Mettre en parangon. […] 2. Patron,modèle. […] 3. Terme de joaillier. Perles parangons, diamants parangons,perles, diamants qui se distinguent par leur grosseur et leur beauté […]. 4.

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Parangon de Venise, dans le commerce de Smyrne, les plus belles étoffes desoie qui y sont apportées de Venise. 5. Se dit de quelques fleurs quireviennent chaque année avec la même beauté, sans dégénérer. 6. Termed’imprimerie. Gros parangon, caractère entre la palestine et le gros romain;le corps en est de vingt et un points. /Petit parangon, caractère dont le corpsporte dix-huit points, et dont on fait usage pour les affiches. /On ne dit pasparangon tout seul. 7. Sorte de marbre noir d’Égypte et de Grèce, dont lesanciens faisaient des sphinx et d’autre statues d’animaux. 8. Pierre detouche […].

Les dictionnaires attestent aussi bien le sens ancien 8 (pierre de touche)que les verbes dérivés parangonner au sens vieilli de « comparer » etsurtout celui, conservé aujourd’hui encore, d’aligner des caractèresd’imprimerie de corps différents sur une même ligne. Littré dit trèsexactement : « Terme d’imprimerie. Faire qu’un caractère qui n’estpas du même corps que celui dont on se sert s’aligne bien avec lui ».Le dérivé nominal parangonnage désigne cette opération et, parmétonymie, son résultat.

Si le sens primaire est bien, en fin de texte, le sens 2 de Littré :« modèle », le poème de Ponge exploite très largement le premier sens.Le premier mot du texte est « comme » et les comparaisonsenvahissent les deux premiers et les deux derniers paragraphes :« COMME son G » (§1), « COMME son Y » (§2), « PLUS rose QUEnature et MOINS adroit QU’un singe », « COMME un ver » (§4),« COMME une chenille » (§5). Les quatre comparaisons en COMMEbalisent les deux mouvements de la dispositio : comparaisons avec dessigne typographiques (des « grands parangons ») puis comparaisonsanimales qui annoncent la chute finale : « parangon adulé de la bêtisehumaine ». Au centre, en revanche, ce sont les structures descomparatifs de supériorité et d’infériorité qui sont exploitées. Lecomparatif d’infériorité « moins adroit qu’un singe », ravale legymnaste au rang de ver de terre et donc au plus bas de l’échelleanimale, lui qui, « saisi d’un zèle pur », visait pourtant si haut :

ZELE : Affection vive, ardente pour le service de quelque chose, dequelqu’un, de Dieu. // Faire du zèle, se montrer trop zélé, dépasser lamesure. (Littré)

On peut se demander si l’orgueil du gymnaste ne dépasse pas lamesure (la « nature ») ou, comme dit la maxime pascalienne rappeléepar B. Veck : « Qui veut faire l’ange, fait la bête ». Telle pourrait être

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la « leçon » ou « morale » de cette fable.

Pour en revenir au sens 6 du Littré, disons que ce qui intéresse Pongedans la typographie ce ne sont pas les calligrammes possibles, mais lamatérialité « essentielle » de la langue et de la parole poétique. Cetteattention à la typographie tient à un fait biographique que Ponge aimaità rappeler (Lavorel 1986 : 253) : sa collaboration au Progrès de Lyon,pendant l’occupation, son travail sur le marbre, avec les linotypistes,lors de la mise en page. Avec les caractères en plomb qui forment deslignes, nous retrouvons non seulement le parangonnage dont nousparlions plus haut, mais également l’exploitation sous-jacente duquatrième sens du mot « Singe » que propose Littré :

4. Nom donné par plaisanterie dans les ateliers aux compositeurstypographes.

Si l’on pense au fait que le typographe est celui qui aligne des signes,on ne peut pas oublier que SINGE est l’anagramme (graphique) deSIGNE. Le gymnaste-trapéziste, en dépit de sa virtuosité physique, estdonc, dans l’épaisseur du texte, déclaré moins adroit que celui quialigne et parangonne les signes de la langue.

Genette n’a pas tort de parler d’une « mimo(typo)graphie pongienne »(1976 : 380). Elle apparaît dans « Proclamation et petit four » :

Dans notre sensibilité actuelle entrent de plus en plus en composition – avecles qualités sonores – celles qui tiennent à l’apparence ou à la figure desmots. […]Je pense encore qu’il s’agit là d’une imprégnation de la sensibilité par lafigure typographique du mot (le plus souvent selon le bas de casse, à causede la quantité ingurgitée). (1961 : 215)

Plutôt que de « bas de casse », c’est ici le grand parangon qui dessineminotypographiquement la figure du gymnaste. Le portrait s’appuied’abord sur la graphie des deux premières lettres. Une par paragrapheet chacune soulignée par une comparaison. En passant de G à Y, ladescription se déplace de la tête au sexe du personnage. La phonieprend le relais pour épeler les deux lettres suivantes du mot gymnaste.La forme du M est certainement responsable du dessin visuel des« deux plis sur l’aine » du début du deuxième paragraphe. Mais« Moulé dans un Maillot » reprend allitérativement le son M etpoursuit, par un jeu sur l’homophonie de la lettre N et de l’aine (ce

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« pli de la cuisse au bas du ventre », comme dit Littré). On pourraitprobablement considérer que c’est une autre homophonie celle de lalettre M et du présent du verbe aimer qui déclenche l’isotopie érotiquedéjà présente dans la « mèche en accroche-cœur » du premierparagraphe, dans « Tous les cœurs il dévaste » du troisième et ensuitedans les divers éléments en érection (de la « corde à nœuds » au« ver » qui sort de sa motte).

Dans le troisième paragraphe, le jeu avec la part phonique des signesstructure la période. La fin de chacun des trois membres de la périodeest occupée par un signe qui rime avec gymnASTE : dévASTE,chASTE, bASTE. Soit, si l’on compte bien les graphèmes, undécompte décroissant des lettres qui précèdent la finale /ast/ : 4, puis 3,puis 2, puis une seule lettre pour finir, comme le dit d’ailleurs le derniermot de la première partie du poème :

BASTE : interjection, francisation de l’exclamation italienne basta exprimantl’indifférence, la résignation, l’impatience ou la déception et signifiantlittéralement «  il suffit ».

3.5. L’actio

De la phonie insistante à la diction, il n’y a qu’un pas. Dans une« réponse à une enquête radiophonique sur la diction poétique »,Ponge souligne l’importance, pour lui, de la « diction » du texte. Il larapproche du « dire » mallarméen et tout simplement du style :

Il ne m’arrive jamais d’écrire la moindre phrase que mon écriture nes’accompagne d’une diction et d’une écoute mentale, et même plutôt, qu’ellene s’en trouve (quoique très peu sans doute) précédée. (1961b : 221)

Toujours dans la « Réponse à une enquête », définissant la particularitéde la parole des écrivains, Il ajoute ceci :

Eh bien, c’est que leur langage : la parole, est fait de sons significatifs, etqu’on leur a dès longtemps trouvé une notation, laquelle est l’écriture. Sibien qu’il s’agit là d’objets très particuliers, particulièrement émouvants :puisque à chaque syllabe correspond un son […]. (1961b : 225)

On a vu à quel point la diction permettait de mettre en évidence lastructure prosodique d’un poème comme « Le Gymnaste » qui n’estpas que le produit d’une écriture mino-typographique.

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4. Le genre rhétorique des textes de Ponge

Genre choisi : définitions-descriptions esthétiquement etrhétoriquement adéquates. (Ponge 1961b : 20)

4.1. Une descriptio-définition ?

Ponge s’est très tôt posé la question du ou des genre(s) de ses poèmesen prose :

Nous ferons une œuvre classique (le choix de parler et d’écrire – et d’écrireselon les genres) mais après avoir dit pourquoi. (Boileau).[…] Seule la littérature (et seule dans la littérature celle de description – paropposition à celle d’explication – : parti pris des choses, dictionnairephénoménologique, cosmogonie) permet de jouer le grand jeu : de refaire lemonde, à tous les sens du mot refaire, grâce au caractère à la fois concret etabstrait, intérieur et extérieur du VERBE, grâce à son épaisseur sémantique.(1967 : 200)

Sa réflexion sur la poésie descriptive est la suivante :

D’où vient cette différence, cette marge inconcevable entre la définition d’unmot et la description de la chose que ce mot désigne ? D’où vient que lesdéfinitions des dictionnaires nous paraissent si lamentablement dénuées deconcret, et les descriptions (des romans ou poèmes, par exemple) siincomplètes (ou trop particulières et détaillées au contraire), si arbitraires, sihasardeuses ? Ne pourrait-on imaginer une sorte d’écrits (nouveaux) qui, sesituant à peu près entre les deux genres (définition et description),emprunteraient au premier son infaillibilité, son indubitabilité, sa brièvetéaussi, au second son respect de l’aspect sensoriel des choses… (1961b : 11)

En disant que ce qu’il fait est « de l’ordre de la définition-description-œuvre d’art littéraire » (1961b : 14), Ponge remet en cause, ou dumoins interroge, la tradition rhétorique. En effet, depuis lesgrammairiens-logiciens de Port Royal, la description est négativementdéfinie et opposée à la définition. Pour Arnauld et Nicole (1662), aunom de la logique, la description n’est jamais qu’une « définition moinsexacte ». Ce point de vue est repris dans l’article « Description » del’Encyclopédie méthodique de Panckoucke (Grammaire et littérature,tome 1, Paris & Liège, 1782) que signe l’abbé Mallet :

Définition imparfaite et peu exacte, dans laquelle on tâche de faire connaîtreune chose par quelques propriétés et circonstances particulières, suffisantespour en donner une idée et la faire distinguer des autres, mais qui nedéveloppe point sa nature et son essence. […] Une description estl’énumération des attributs d’une chose, dont plusieurs sont accidentels,

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comme lorsqu’on décrit une personne par ses actions, ses paroles, ses écrits,ses charges, etc. Une description au premier coup d’œil a l’air d’unedéfinition, elle est même convertible avec la chose décrite; mais elle ne la faitpas connaître à fond, parce qu’elle n’en renferme pas ou n’en expose pasles attributs essentiels […].

Tandis que « la raison seule et la réflexion » sélectionnent les aspectsqui doivent entrer dans une définition, ce sont les puissancesirrationnelles impures du génie, du goût et de la passion qui dirigent lechoix dans la description. Cette approche négative de la procéduredescriptive, en privilégiant une définition stable, vraie et rationnelle audétriment d’une description soumise, elle, aux caprices de l’énonciation,trahit un idéal logiciste qui classe en séparant là où Ponge tente uneréconciliation poétique des formes antagonistes.

L’un des titres envisagés pour le recueil de textes qui allait devenir LaRage de l’expression était Caractères, ce que confirme, dans lesmanuscrits, une référence explicite aux Caractères de Théophraste.Ponge considère les choses comme des personnages et se réfèreexplicitement à Théophraste et à La Bruyère dans Comment une figuede paroles et pourquoi (1997 : 66-679 et dans le commentaire qu’il enpropose dans son entretien avec Jean Ristat :

Lorsque je dis «  une rhétorique par objet », je dis que le caractère, au senspsychologique, qui est le complexe de qualités (ou de défauts), qui estenfermé dans mon texte, c’est-à-dire les traits de caractère de La Figue, c’estcomme le caractère d’un héros de roman. C’est un complexe de qualitésinouïes ! Inouïes ! […] Si je dis que le verre est à la fois dur et fragile, ehbien, j’ai créé un caractère. C’est-à-dire qu’il pourrait y avoir un héros deroman qui serait à la fois dur et fragile. (1997 : 280)

C’est dire que la poésie descriptive de Ponge ne présente pas les chosescomme autant de portraits – descriptions – d’individus, mais bien plutôtcomme des « personnages » génériques. Tout en réussissant à instaurerune rhétorique par objet/poème, Ponge efface chaque fois la frontièreentre description (le singulier, l’individuel, l’épisodique événementiel) etdéfinition (évocation en profondeur de l’universel de l’objet considéréet ainsi plus défini que décrit). Le glissement de la description vers ladéfinition passe d’abord par un fait sémantico-grammatical : le titre despoèmes indique, la plupart du temps, le nom d’une classe d’objets. Dire« L’huître » ou « Le mimosa », c’est proprement désigner, non pasune huître singulière ou un bouquet de mimosa, mais tous les objets

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relevant de cette classe.

Pour revenir sur le cas du « Gymnaste », le déterminant générique dutitre évoque une catégorie et, à travers elle, un prototype, celui dugymnaste-trapéziste du début du XXème siècle. Puis le texte, au termedu poème, en élaborant un « complexe de qualités inouïes » (un« caractère »), en fait « le parangon adulé de la bêtise humaine ». Ainsila vision consensuelle de l’objet considéré, conforme aux valeurs etreprésentations communes, s’en trouve élargie. Des qualités inéditesémergent, « une formule perle » qui en résume, en quelque sorte, lespropriétés : la figue est « molle et rare », l’huître « un mondeopiniâtrement clos », la chèvre, comme toutes les chèvres « belles etbutées », est « belzébuthée », etc. Le nouveau perce sous le consensus.Paradoxalement, la représentation est à la fois conforme etprofondément renouvelée, le regard sur le monde transformé.

Si Ponge insiste sur le fait que ses poèmes sont des sortes de « fablesavec morales », c’est parce que chaque fable de La Fontaine réalise unéquilibre entre l’épisodique-singulier et le générique-universel. La partienarrative de toute fable constitue un épisode singulier que la moralerattache, elle, à un universel. De la description de l’objet découle uneformule qui tend vers la maxime de morale ou le proverbe. En fait, toutle poème – description – voudrait être un équivalent, en densitéd’écriture, d’une maxime de morale – définition. Si Ponge n’a plusbesoin du vers, c’est que tout le poème tend vers la densité formelle(syntaxique, rythmique et sémantique) du proverbe. Il s’agit de donnerde nouvelles formules accessibles à tous, du métaphysicien à lacuisinière, pour reprendre les deux figures de lecteurs que Pongeconvoque souvent.

4.2. Du mot concept-notion à l’évocation

D’un point de vue cognitif, les titres utilisant des déterminantsgénériques et un simple substantif agissent comme un appel à unereprésentation stockée en mémoire à long terme, une représentationplus ou moins précise, historicisée et accessible à tous. L’objet singulierest ainsi promu au rang de prototype. C’est explicite dans « Notesprises pour un oiseau » :

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Somme toute, ce que je décris est surtout le moineau, le perdreau,l’hirondelle, le pigeon. (L’oiseau parfait : je crois que je me réfère au pigeonquand j’y songe, ou à la colombe). (1952 : 31)

Ceci nous amène à conclure par un examen du statut du signelinguistique dans les textes de Ponge. Signe paradoxalement plein desens et, en même temps, vide de référence ou plutôt plein d’uneréférence générique. Ces deux traits sont, en général, répartis dans descatégories distinctes de la langue : les noms communs et les nomspropres. Le nom propre est dépourvu de signifié, mais doté d’unréférent unique (objet de description, de portrait), alors que le nomcommun a un signifié relativement stable et une référence variable(objet de définition). Le signe poétique offre la particularité d’avoir à lafois un signifié stable et une référence variable, soit – on l’a vu plushaut (3.4.) – un statut proche du concept ou de la notion pure. RoloandBarthes, dans « Y a-t-il une écriture poétique ? » (1972), considérait cefait comme une particularité historique de la poésie moderne. On peutse demander, avec Marc Dominicy (1992), s’il ne s’agit pas d’unequalité présente, à des degrés différents, aussi bien dans la poésieclassique que dans la poésie moderne, mais les remarques de Barthessont intéressantes :

Ainsi sous chaque Mot de la poésie moderne gît une sorte de géologieexistentielle, où se rassemble le contenu total du Nom, et non plus soncontenu électif comme dans la prose et la poésie classiques. Le Mot n’estplus dirigé à l’avance par l’intention générale d’un discours socialisé : leconsommateur de poésie, privé du guide des rapports sélectifs, débouche surle Mot, frontalement, et le reçoit comme une quantité absolue accompagnéede tous ses possibles. Le Mot est ici encyclopédique, il contientsimultanément toutes les acceptions parmi lesquelles un discours relationnelaurait dû choisir. Il accomplit donc un état qui n’est possible que dans ledictionnaire ou dans la poésie, là où le nom peut vivre privé de son article,amené à une sorte d’état zéro, gros de toutes les spécifications passées etfutures. Le Mot a ici une forme générique, il est une catégorie. (1972 : 37-38)

Avec cette dernière idée de « forme générique » et de « catégorie »,nous entrons dans le mécanisme discursif de l’évocation. Dire que lepoème redonne au mot sa valeur encyclopédique, qu’il « accomplit unétat qui n’est réalisé que dans le dictionnaire », c’est renvoyer à lapréoccupation pongienne de la définition et à sa fascination pour ledictionnaire. C’est surtout retrouver l’écriture lapidaire dont nousavons déjà parlé et dont il est question dans la Fabrique du pré (30 mai

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1970) :

Les beaux textes en langue morte (par ex., pour nous, les textes latins) nousintéressent d’autant plus qu’ils n’existent pour nous que comme écriture,puisque nous ne savons du tout comment ils étaient prononcés. Parce queleur matérialité est évidente (inscriptions, gravures dans la pierre ou sur lacire, ou dans la glaise des tablettes – ou typographiquement sur les pages denos livres de classe).

Cette célébration de l’écriture lapidaire est à prendre dans les deux sensdu terme : écriture « lapidaire » parce que gravée (texte épigraphiquedont la pérennité – et donc la mémorisation – tient à la trace, écrituresolennelle et sacrée) et « lapidaire » parce que brève (présentant unmaximum de densité sémantique en un minimum de mots). Il y a chezPonge une volonté, par l’écrit, de triompher des insuffisances de laparole orale et cela se traduit par l’idéal exprimé dans « La Seine » :

Et c’est ainsi qu’il est naturel peut-être de concevoir un proverbe, voiren’importe quelle formule verbale et enfin n’importe quel livre comme unestèle, un monument, un roc, dans la mesure où il s’oppose aux pensées et àl’esprit, où il est conçu pour s’y opposer, pour y résister, pour leur servir deparapet, de voile, de pantagnère, enfin de point d’appui. Ou encore dans lamesure où il est conçu comme leur état de rigueur, leur état solide. (1965 :531)

Cette importance des maximes et des proverbes est soulignée dans« Tentative orale » :

Voyez les maximes, ce n’est pas très loin des oracles, des énigmes ! […]Je crois que si l’on écrit, même quand on ne fait qu’un article de journal, ontend au proverbe (à la limite bien sûr). On veut que cela serve plusieurs foiset, à la limite, pour tous les publics, en toutes circonstances, que cela gagne lecoup quand ce sera bien placé dans une discussion.[…] Quand on écrit il semble que ce soit au fond pour cela, qu’on s’enrende compte ou non. Ainsi tend-on à une espèce de qualité oraculaire.(1961b : 238-239)

Telle est, bien sûr, l’explication de la clôture et de la densité recherchéedes formes brèves du type du « Gymnaste ». Soulignons au passageque le sens 7 de parangon (« Sorte de marbre noir d’Égypte et deGrèce, dont les anciens faisaient des sphinx et d’autres statuesd’animaux ») est ici convoqué : de l’énigme du sphinx à la gravuredans le marbre des plus lointaines civilisations.

Michel Butor exprime une position très proche de cette visionpongienne de la parole :

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Le poète est celui qui se rend compte que le langage, et avec lui toutes choseshumaines, est en danger. Les mots courants n’ont plus de garantie; s’ilsperdent leur sens, tout se met à perdre son sens – le poète va essayer de leleur rendre. [...] Il va s’efforcer lorsqu’un « moment » lui affirmera sonimportance, de le consacrer lui-même en le racontant sous une formecomparable à celle des anciens « textes » (textus : tissu, enlacement,contexture), telle que ses paroles ne puissent se défaire, s’effilocher aussifacilement qu’à l’habitude. (1964 : 17-18)

Références des œuvres de Ponge citées

1948 : Le peintre à l’étude, Paris, Gallimard.1952 : La Rage de l’expression, Lausanne, Mermod.1961a : Le Grand Recueil. Lyres, Paris, Gallimard.1961b : Le Grand Recueil. Méthodes, Paris, Gallimard.1961c : Le Grand Recueil. Pièces, Paris, Gallimard.1965a : Pour un Malherbe, Paris, Gallimard.1965ba : Tome premier, Paris, Gallimard.1967 : Le Parti pris des choses [1942] suivi de Proêmes [1948], Paris,Poésie/Gallimard.1970 : Entretien avec Philippe Sollers [1967], Paris, Seuil/Gallimard.1971 : La Fabrique du pré, Genève, Skira.1977 : L’Atelier contemporain, Paris, Gallimard.1992 : Nouveau Nouveau Recueil, Paris, Gallimard.1997 [1977] : Comment une figue de paroles et pourquoi, Paris, Flammarion, coll.GF n°901.1999 : Francis Ponge. Œuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Paris,Gallimard.

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