cours scénario 24 03 2010 - unil

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« Histoire et théorie du scénario » Cours du 24 mars 2010 (Alain Boillat) – Le pitch selon Sydfield: concision et efficacité Une séquence de The Player (Robert Altman, 1992). Synopsis, traitement et découpage selon Charles Ford (1947). – Retour sur les manuels de scénario: structure du récit et personnage (Robert McKee, Serge Biegalski) – Citations commentées: quelques jalons pour une histoire du scénario

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Page 1: Cours Scénario 24 03 2010 - UNIL

« Histoire et théorie du scénario »Cours du 24 mars 2010

(Alain Boillat)

– Le pitch selon Sydfield: concision et efficacitéUne séquence de The Player (Robert Altman, 1992).Synopsis, traitement et découpage selon Charles Ford(1947).– Retour sur les manuels de scénario: structure du récitet personnage (Robert McKee, Serge Biegalski)– Citations commentées: quelques jalons pour unehistoire du scénario

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A propos du « cinéma des premiers temps »:Marcel Lapierre, Les Cent visages du cinéma français, Paris: Grasset,

1948, p. 81.

Les scénarios – mis à part ceux de Méliès etquelques honorables exceptions – évoluèrententre la bassesse et la stupidité (un titrecomme les Effets du melon en dit long).Excusons ce cinéma « début de siècle »: ilétait si jeune!

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A propos du « cinéma des premiers temps »:Jean-Paul Torok, Le Scénario. L’art d’écrire un scénario,

Paris, Henri Veyrier, 1986, p. 20.

Deux ans après, fin 1897, le cinéma présente déjà au publicdes ébauches de films narratifs impliquant une mise enscène, c’est-à-dire l’emploi d’un scénario rudimentaire, dedécors et d’acteurs. […] Avec Méliès l’ère du film narratifcommence. […] Enfin, en distinguant les différents genresde « vues cinématographiques » tels qu’il les concevaitdéjà en 1900, il invente et définit, à côté des vues de pleinair, des vues scientifiques et des vues dites àtransformation, une quatrième catégorie, celle des sujetscomposés ou, comme on le dira plus tard, des films àscénario. »

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Georges MélièsL’écho du cinéma, n°7, 31 mai 1912

Là j’étais certain d’être au-dessous du sujet [le Déluge];[…] de ne pas faire de l’art mais de rabaisser lescénario au lieu de l’enjoliver […]. Celui qui composeun sujet cinématographique de fantaisie doit être unartiste, épris de son art, ne reculant devant aucuntravail […], cherchant avant tout à faire disparaître lescénario sous les arabesques dans lesquelles ill’enveloppe ainsi qu’un peintre fait disparaître la toiledu tableau sous les touches artistiques de sa palette.

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Georges MélièsLettre adressée en anglais au cinéaste J.A. Le Roy (1933)cité in Méliès l’enchanteur, Paris: Hachette, 1973, p. 267

[Le Voyage dans la lune (1902)] a été conçu defaçon à pouvoir composer nombre d’originaleset amusantes images féeriques au-dehors et àl’intérieur de la lune, et à montrer lesMonstres, habitants de la lune, en y ajoutant unou deux effets artistiques (femmes représentantles étoiles, comètes, etc., effets de neige, fondde mer, etc.) »

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Ch. Le Fraper, Le Courrier cinématographique,23 septembre 1911, cité in Iris, n°22, p. 30.

Le Cinéma […] n’a pas, quant à présent, le don de laparole. Pour remédier autant que possible à cetteimperfection, on fait appel aux titres et aux sous-titres. Il n’en faut pas trop cependant. Leur abusaurait vite fait de transformer le Cinéma en unparagraphe de roman projeté ou à un fait diversjournalistique. […] Le conférencier, à mon sens,comble d’un seul coup toutes ces lacunes. Enpossession du scénario, il peut avant le spectaclel’étudier dans des documents précis […].

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Le « scénario » selon Méliès: Deux cent milles sous les mers(1907) (extrait)

24. Les Hippocampes.Tout à coup, il aperçoit un groupe d’Hippocampes,

ou chevaux marins, qui nagent et montent versla surface. Il se dit que, s’il peut s’emparer del’un d’eux, et l’enfourcher, ce sera un moyencommode de regagner le rivage. Il réussit à ensaisir un et monte sur son dos, mais le poissonse dégage de son cavalier et l’envoie rouler àterre, tandis qu’il s’éloigne en nageantrapidement.

25. La revanche des poissons.A ce moment, de gros poissons, furieux de voir un

intrus parmi eux, se précipitent de toutes partssur l’infortuné Pêcheur, et menacent de ladévorer. Le pauve Yves, plein d’effroi, ne saitoù se cacher.

26. La pieuvre.Une énorme pieuvre arrive et saisit dans ses

tentacules le Pêcheur, épouvanté. Il essaie dese dégager, mais l’animal se cramponne à lui.

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Jacqueline Van Nypelseer, « La littérature de scénario »,Cinémas, vol.2, n°1, p. 94.

Comme les premiers films duraient le temps d’une bobine (aumaximum 2’), on put même se permettre pendant une périodetrès courte d’improviser sans filet, sans papier. […]

Cependant, cette période d’innocence ne dura guère. Déjà en1895, on écrivait des scénarios détaillés, que ce soit pour lesActualités des Frères Lumière ou les matches de boxe simulésde Sigmund Lisbin (1897, Philadelphia). En 1898, s’ouvrait àN.Y. le premier département d’écriture de scénario au monde, leBiograph Studio et en 1900, on éditait déjà des scénarios. Et sion ne peut parler que de catalogues en France ou aux Etats-Unis […], il semblerait qu’en Russie, on éditait régulièrement lesscénarios au tournant du siècle!

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France, 1908Le critique George Dureau dans Ciné-Journal, 15 septembre 1908

(cité par Sadoul, Histoire générale du cinéma, II, p. 474).

La cinématographie de composition qui prétendait faire concurrence authéâtre, et qui ne pouvait le tuer, incline aujourd’hui à le suivre docilement.Elle se rapproche de l’art dramatique, lui emprunte ses sujets […].

Faut-il se louer de ces rapports du cinéma avec le vrai théâtre? Je le crois. Jele crois. Non pas que l’un et l’autre puisse s’absorber. C’est un vain effort.Mais parce que, en se rapprochant de la vue dramatique et de l’art, lesscénarios et les artistes qui les interprètent vont nécessairements’ennoblir.

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France: annonce concernant le groupe « Historique Cinéma »(Ciné-Journal, 2 juillet 1910, n°97, p. 7).

Jusqu’ici toutes les maisons d’édition ont présenté certaines scènes qui, sousdes titres historiques, n’étaient que de simples fantaisies; le nouveaugroupement a pour but de présenter au public des bandes ayant la garantiede reconstitution des événements principaux de l’histoire des peuples.

Cette garantie le public la trouvera dans les noms des auteurs, car les bandesseront signées des professeurs d’histoire les plus connus, illustres même.Les scènes seront exécutées sous leur contrôle et les scénarios écrits parces érudits.

[…]Pour condenser et réunir les scénarios, les exécuter au point de vue

cinématographique, les adhérents à Historique-Cinéma ont confié cettemission à M. Alfred Desfossez, dont les connaissancescinématographiques sont connues.

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Allan Dwan, période 1908-1909Entretien avec Bogdanovich in La Légende de l’homme aux mille films,

2002 (1971), pp. 30-31

A force de regarder tout ça, j’ai fini par leur demander: « Mais d’oùviennent toutes ces histoires que vous tournez? ». Ils m’ontrépondu qu’ils les achetaient là où ils le pouvaient – en lespayant jusqu’à 25 dollars. Là, ça a commencé à m’intéresser.J’avais écrit pas mal de nouvelles pour le journal d’étudiants deNotre Dame, et je leur en ai apporté un bon paquet. Ils m’en ontacheté 13 ou 14, et ils étaient si épatés par mon talentd’écrivain qu’ils m’ont demandé si je voulais devenir leurconseiller en scénarios. […] je me suis mis à lire les scénariosqui leur étaient envoyés, à en sélectionner certains, etprobablement à en acheter quelques-uns. […] J’aiinstantanément dit adieu à l’électrotechnique. L’arc à vapeur demercure est passé par la fenêtre, et je suis devenu conseiller enscénario.

Page 12: Cours Scénario 24 03 2010 - UNIL

Allan Dwan, période 1911-1912Entretien avec Bogdanovich in La Légende de l’homme aux mille films,

2002 (1971), pp. 35.

…et nous voilà en pleine nature pour tourner. En chemin, j’essayaisd’inventer les scènes à partir de ce que j’avais sous les yeux etsous la main. Un escarpement, le costaud de l’équipe nomméJack Richardson: j’envoyais Warren Kerrigan, l’acteur principal,se battre contre lui au sommet et le balancer dans le vide. A cemoment-là, considérant que j’avais tourné la dernière scène dufilm, il fallait que je revienne en arrière pour imaginer commentils en étaient arrivés là. Un jour où on faisait des repérages, j’aivu un canal d’amenée aérien. […] j’ai tout de suite pensé qu’ilfallait l’utiliser dans un film. Et je me suis mis à écrire ThePoisoned Flume. Jack Richardson versait du poison dans lecanal, et l’eau empoisonnée tuait le bétail de Kerrigan; c’est laraison pour laquelle il le jetait du haut des rochers. C’était lamanière typique de faire des films à l’époque– en improvisant.

Page 13: Cours Scénario 24 03 2010 - UNIL

Dwan/Griffith, période 1913-1914Entretien avec Bogdanovich in La Légende de l’homme aux mille films,

2002 (1971), pp. 37, 39-40.

Griffith est le seul homme dont je me sois inspiré, et je faisaiscomme lui. […] J’allais voir ses films, et en rentrant je lesrefaisais avec mon équipe.

[…]– Vous n’étiez jamais à court d’histoires, en tournant tant de films?Quand je voyais un film de Griffith que j’aimais, j’y apportais

quelques petits changements, je refaisais le casting avec mesacteurs, et le tour était joué – changer les acteurs en faisait unehistoire différente. Et on achetait. Des gens venaient avec uneidée de départ, parfois des membres de l’équipe, et je lesencourageais: « Si l’un de vous m’apporte un synopsis décentpour une histoire, je lui achèterai. »

Page 14: Cours Scénario 24 03 2010 - UNIL

GriffithLillian Gish, Ann Pinchot, Le Cinéma, Griffith et moi, Paris: Laffont,

1989 (1967), pp. 67-68.

Ils [Griffith et un ami] vinrent à parler des programmes despectacles et des projets en cours.

– Pourquoi ne vas-tu pas voir Porter, de la Compagnie Edison?,suggéra Salter. On peut en général décrocher par sonintermédiaire un contrat de quelques jours. De plus, il esttoujours à la recherche de scénarios pour ses films, et tu enécris.

Griffith regarda Salter avec indignation:– Je ne suis quand même pas tombé si bas que je doive travailler

dans le cinéma!, protesta-t-il.

Page 15: Cours Scénario 24 03 2010 - UNIL

GriffithLillian Gish, Ann Pinchot, Le Cinéma, Griffith et moi, Paris: Laffont,

1989 (1967), pp.68.

Peut-être D.W. Griffith pensait-il qu’après tout ce n’était pas sigrave de travailler pour le cinéma, puisque les noms desauteurs, comme des acteurs, ne figuraient pas à l’affiche.

Ils [Griffith et son épouse] se mirent donc au travail, Griffith dictantson texte en arpentant la pièce en tous sens, texte qu’elle tapaitau fur et à mesure. Le lendemain, il prit le chemin des studiosEdison, avec un résumé du script de La Tosca, rédigé pendantla nuit, et le proposa à Porter. Celui-ci le parcourut rapidement.

– Ce n’est pas un scénario pour nous, dit-il, mais si cela vous ditde rester dans le secteur, je vous propose le premier rôle dansle film dont nous allons commencer le tournage [Rescued froman Eagle’s Nest].

Page 16: Cours Scénario 24 03 2010 - UNIL

GriffithLillian Gish, Ann Pinchot, Le Cinéma, Griffith et moi, Paris: Laffont,

1989 (1967), pp.69.

Mais Griffith continuait à s’intéresser en priorité à l’écriture. Lamaison Edison semblant avoir un stock de scénarios abondant,il chercha à contacter d’autres studios. Au début de l’année1908, il tenta sa chance auprès de la firme Biograph [dont] […]le directeur […] lui acheta plusieurs manuscrits pour la sommefabuleuse de 15 dollars chacun.

[…]Dans l’introduction à ses notes, il remarque avec ironie comment il

voyait dans le fait d’écrire des scénarios de cinéma une sortede compromis par rapport à ses aspirations. Les scripts, qu’ilvendait à la Biograph, disait-il, « étaient bons, parce qu’ilsétaient truffés d’emprunts aux meilleurs auteurs ».

Page 17: Cours Scénario 24 03 2010 - UNIL

GriffithCité in Lillian Gish, Ann Pinchot, Le Cinéma, Griffith et moi, Paris:

Laffont, 1989 (1967), pp.71.

Mémoires de Billy Bitzer, chef opérateur de Griffith, à propos dupremier film de ce dernier, The Adventures of Dollie (1908):

A cette époque, le chef opérateur était vraiment responsable detout, de chaque petit détail comme de l’essentiel, à part ladirection d’acteurs. […] J’étais d’accord pour aider Griffith dumieux que je pouvais. […] Je faisais également des résumés duscript, si besoin était, et les corrections nécessaires pour lerendre intelligible…

Page 18: Cours Scénario 24 03 2010 - UNIL

Griffith: A propos de Naissance d’un Nation (1915):Lillian Gish, Ann Pinchot, Le Cinéma, Griffith et moi, Paris: Laffont,

1989 (1967), pp.138-139.

Le roman (The Clansman, de Thomas Dixon) avait eu beaucoup desuccès, on en avait fait une pièce qui avait très bien marché […].Mr Griffith s’inspira également de The Leopard’s spots [autreroman de Dixon] pour étoffer le scénario. […] il était entendu queDixon recevrait 10’000 dollars de droits d’auteur, mais au momentdu règlement, il n’y avait plus un sou dans la caisse. Il finit paraccepter à contrecoeur une participation aux bénéfices du film de25% […]. Dixon allait toucher plusieurs millions de dollars.

Mr Griffith n’avait pas besoin des livres de Dixon. Son projet était dedonner sa propre version de la Guerre de Sécession. Mais il n’osaitpas se lancer dans la production d’un film de 12 bobines sans lesupport d’un ouvrage reconnu. […] Griffith travaillait, commetoujours, sans script. Mais cette fois, ses poches étaient bourréesde livres, de cartes et de notes […].