point de lendemain

63
ÉDITIONS DU BOUCHER Point de lendemain DOMINIQUE VIVANT DENON

Upload: mircea-robert-rusz

Post on 28-Sep-2015

20 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

roman point de lendemain

TRANSCRIPT

  • DITIONS DU BOUCHER

    Point de lendemain

    DOMINIQUE VIVANT DENON

  • CONTRAT DE LICENCE DITIONS DU BOUCHER

    Le fi chier PDF qui vous est propos titre gratuit est protg par les lois sur les copyrights & reste la proprit de la SARL Le Boucher diteur. Le fi chier PDF est dnomm livre numrique dans les paragraphes qui suivent.

    Vous tes autoris : utiliser le livre numrique des fi ns personnelles, diffuser le livre numrique sur un rseau, sur une ligne tlphonique ou par tout autre moyen lectronique.Vous ne pouvez en aucun cas : vendre ou diffuser des copies de tout ou partie du livre numrique, exploiter tout ou partie du livre numrique dans un but commercial ; modifi er les codes sources ou crer un produit driv du livre numrique.

    2002 ditions du Boucher 16, rue Rochebrune 75011 Paris site internet : www.leboucher.com courriel : [email protected] tlphone & tlcopie : (33) (0)1 47 00 02 15conception & ralisation : Georges Colleten couverture : illustration de Borel (dtail), 1743, in Tom-Jones de H. Fielding, coll. G. Collet (droits rservs)ISBN : 2-84824-034-2

  • La narration de ce conte ma paru piquante, spirituelle et originale.Le fond dailleurs en est vrai, et il est bon, pour lhistoire desmurs, de faire contraster quelquefois avec les femmes intres-santes dont ce sicle shonore, celles qui sy distinguent parlaisance de leurs principes, la folie de leurs ides et la bizarrerie deleurs caprices.

    CLAUDE-JOSEPH DORAT

  • POINT DE LENDEMAIN 1777Point de lendemain 1777

    La Comtesse de *** me prit sans maimer, continua Damon :elle me trompa. Je me fchai, elle me quitta : cela tait danslordre. Je laimais alors, et, pour me venger mieux, jeus lecaprice de la ravoir, quand, mon tour, je ne laimai plus. Jyrussis, et lui tournai la tte : cest ce que je demandais. Elle taitamie de Mme de T qui me lorgnait depuis quelque temps, etsemblait avoir de grands desseins sur ma personne. Elle y mettaitde la suite, se trouvait partout o jtais, et menaait de maimer la folie, sans cependant que cela prt sur sa dignit et sur songot pour les dcences; car, comme on le verra, elle y tait scru-puleusement attache.

    Un jour que jallais attendre la Comtesse dans sa loge lOpra, jarrivai de si bonne heure, que jen avais honte : onnavait pas commenc. peine entrais-je, je mentends appelerde la loge d ct. Ntait-ce pas encore la dcente Mme de T? Quoi! dj, me dit-on, quel dsuvrement! Venez donc prsde moi. Jtais loin de mattendre tout ce que cette rencontreallait avoir de romanesque et dextraordinaire. On va vite aveclimagination des femmes; et dans ce moment, celle de Mme deT fut singulirement inspire. Il faut, me dit-elle, que je voussauve du ridicule dune pareille solitude; il faut lide estexcellente; et, puisque vous voil, rien de plus simple que denpasser ma fantaisie. Il semble quune main divine vous aitconduit ici. Auriez-vous par hasard des projets pour ce soir? Ils4

  • VIVANT DENONseraient vains, je vous en avertis : je vous enlve. Laissez-vousconduire, point de question, point de rsistance Abandonnez-vous la Providence; appelez mes gens. Vous tes un hommeunique, dlicieux. Je me prosterne On me presse de des-cendre, jobis. Jappelle, on arrive. Allez chez Monsieur, dit-on un domestique; avertissez quil ne rentrera point ce soir Puis on lui parle loreille, et on le congdie. Je veux hasarderquelques mots; lopra commence, on me fait taire : on coute,ou lon fait semblant dcouter. peine le premier acte est-il fini,quon apporte un billet Mme de T en lui disant que tout estprt. Elle sourit, me demande la main, descend, me fait entrerdans sa voiture, donne ses ordres, et je suis dj hors de la ville,avant davoir pu minformer de ce quon voulait faire de moi.

    Chaque fois que je hasardais une question, on rpondait parun clat de rire. Si je navais bien su quelle tait femme grandepassion, et que dans linstant mme elle avait une inclinationbien reconnue, inclination dont elle ne pouvait ignorer que jefusse instruit, jaurais t tent de me croire en bonne fortune :elle tait galement instruite de la situation de mon cur; car laComtesse de tait, comme je lai dj dit, lamie intime deMme de T Je me dfendis donc toute ide prsomptueuse, etjattendis les vnements. Nous relaymes et repartmes commelclair. Cela commenait me paratre plus srieux. Je demandaiavec plus dinstance jusquo me mnerait cette plaisanterie. Elle vous mnera dans un trs beau sjour; mais devinez o : jevous le donne en mille Chez mon mari. Le connaissez-vous?

    Pas du tout. Eh bien, moi, je le connais un peu; et je crois que vous en

    serez content : on nous rconcilie. Il y a six mois que celasarrange, et il y en a un que nous nous crivons. Il est, je pense,assez galant moi daller le trouver.

    Oui; mais, sil vous plat, que ferai-je l, moi? quoi puis-je tre bon?

    Ce sont mes affaires. Jai craint lennui dun tte--tte;vous tes aimable, et je suis bien aise de vous avoir.

    Prendre le jour dun raccommodement pour me prsenter!cela me parat bizarre. Vous me feriez croire que je suis sansconsquence, si vingt-cinq ans on pouvait ltre. Ajoutez celalair dembarras quon apporte une premire entrevue. En5

  • POINT DE LENDEMAIN 1777vrit, je ne vois rien de plaisant pour tous les trois la dmarcheo vous vous engagez.

    Ah, point de morale, je vous en conjure; vous manquezlobjet de votre emploi. Il faut mamuser, me distraire, et non meprcher.

    Je la vis si dcide, que je pris le parti de ltre tout au moinsautant quelle. Je me mis rire de mon personnage. Nousdevnmes trs gais, et je finis par trouver quelle avait raison.

    Nous avions chang une seconde fois de chevaux. Le flam-beau mystrieux de la nuit clairait un ciel pur dun demi-jourtrs voluptueux. Nous approchions du lieu o allait finir le tte--tte. On me faisait, par intervalles, admirer la beaut du pay-sage, le calme de la nuit, le silence touchant de la nature. Pouradmirer ensemble, comme de raison, nous nous penchions lamme portire; le mouvement de la voiture faisait que le visagede Mme de T et le mien sentretouchaient. Dans un chocimprvu, elle me serra la main; et moi, par le plus grand hasarddu monde, je la retins entre mes bras. Dans cette attitude, je nesais ce que nous cherchions voir. Ce quil y a de sr, cest queles objets commenaient se brouiller mes yeux, lorsquon sedbarrassa de moi brusquement, et quon se rejeta au fond ducarrosse. Votre projet, dit-elle, aprs une rverie assez pro-fonde, est-il de me convaincre de limprudence de madmarche? Je fus embarrass de la question. Des projetsavec vous quelle duperie! Vous les verriez venir de trop loin :mais un hasard, une surprise cela se pardonne.

    Vous avez compt l-dessus, ce quil me semble? Nous en tions l sans presque nous apercevoir que nous

    entrions dans lavant-cour du chteau. Tout tait clair, toutannonait la joie, except la figure du matre, qui tait rtive lexprimer. Un air languissant ne montrait en lui le besoin dunerconciliation que pour des raisons de famille. La biensancelamena cependant jusqu la portire. On me prsente, il offre lamain, et je suis, en rvant mon personnage pass, prsent et venir. Je parcours des salons dcors avec autant de got que demagnificence; car le matre de la maison raffinait sur toutes lesrecherches de luxe. Il studiait ranimer les ressources dunphysique teint, par des images de volupt. Ne sachant que dire,je me sauvai par ladmiration. La desse sempresse de faire les6

  • VIVANT DENONhonneurs du temple, et den recevoir les compliments. Vous nevoyez rien, me dit-elle, il faut que je vous mne lappartementde Monsieur.

    Eh! Madame, il y a cinq ans que je lai fait dfaire. Ah! ah! dit-elle, en songeant autre chose.Je pensai clater de rire, en la voyant si bien au courant de ce

    qui se passait chez elle. souper, ne voil-t-il pas quelle saviseencore doffrir Monsieur du veau de rivire, et que Monsieurlui rpond : Madame, il y a trois ans que je suis au lait.

    Ah! ah! rpondit-elle encore.Quon se peigne une conversation entre trois tres, si tonns

    de se trouver ensemble!Le souper finit. Jimaginais que nous nous coucherions de

    bonne heure; mais je nimaginais bien que pour le mari. En ren-trant dans le salon : Je vous sais gr, Madame, dit-il, de la pr-caution que vous avez eue damener Monsieur. Vous avez jugque jtais de mchante ressource pour la veille, et vous avezbien jug; car je me retire. Puis, se tournant de mon ct, dunair assez ironique : Monsieur voudra bien me pardonner, et secharger de faire ma paix avec Madame. Alors il nous quitta.

    Nous nous regardmes, et pour se distraire des ides que cetteretraite occasionnait, Mme de T me proposa de faire un toursur la terrasse, en attendant que les gens eussent soup. La nuittait superbe; elle laissait entrevoir les objets, et semblait ne lesvoiler que pour donner plus dessor limagination. Le chteau,ainsi que les jardins, appuys contre une montagne, descendaienten terrasse jusque sur les rives de la Seine, qui les bornait par soncours, dont les sinuosits multiplies formaient de petites lesagrestes et pittoresques, qui variaient les tableaux et augmen-taient le charme du lieu.

    Ce fut sur la plus longue de ces terrasses que nous nouspromenmes dabord : elle tait couverte darbres pais. Onstait remis de lespce de persiflage quon venait dessuyer; ettout en se promenant, on me fit quelques confidences; jenfaisais mon tour, et elles devenaient, par degrs, plus intimes,plus intressantes. Il y avait longtemps que nous marchions. Ellemavait dabord donn son bras, ensuite ce bras stait entrelac,je ne sais comment, tandis que le mien la soulevait et lempchaitpresque de poser terre. Lattitude tait agrable, mais fatigante7

  • POINT DE LENDEMAIN 1777 la longue, et nous avions encore bien des choses nous dire.Un banc de gazon se prsente; on sy assied sans changer datti-tude. Ce fut dans cette position que nous commenmes fairelloge de la confiance, de son charme et de ses douceurs. Eh,me dit-elle, qui peut en jouir mieux que nous, surtout avec moinsdeffroi? Je sais trop combien vous tenez au lien que je vousconnais, pour avoir rien redouter auprs de vous. Peut-trevoulait-elle tre contrarie; je nen fis rien. Nous nous persua-dmes donc mutuellement quil tait comme impossible quenous pussions jamais nous tre autre chose que ce que nous noustions alors. Japprhendais cependant que la surprise detantt net effray votre esprit.

    Oh! je ne malarme pas si aisment. Je crains cependant quelle ne vous ait laiss quelques

    nuages. Que faut-il donc pour vous rassurer? Vous le pouvez. Eh! comment? Vous ne devinez pas? Mais je souhaite dtre claircie. Jai besoin dtre sr que vous me pardonniez. Pour cela, que faut-il? Maccorder franchement, lheure mme, ce baiser surpris

    tantt par le hasard, et qui a paru vous effaroucher. Que ne parliez-vous : je le veux bien; vous seriez trop fier,

    si je le refusais. Votre amour-propre vous ferait croire que je vouscrains.

    On voulut prvenir mes illusions; jeus le baiser.Il en est des baisers comme des confidences, ils sattirent. En

    effet, le premier ne fut pas plutt donn, quun second le suivit,puis un autre; ils se pressaient, ils entrecoupaient la conversation,ils la remplaaient; peine enfin laissaient-ils aux soupirs lalibert de schapper. Le silence vint, on lentendit (car onentend quelquefois le silence) : il effraya. Nous nous levmessans mot dire, et recommenmes marcher. Il faut rentrer,dit-elle; lair du soir ne nous vaut rien.

    Je le crois moins dangereux pour vous, lui rpondis-je. Oui je suis moins susceptible quune autre; mais,

    nimporte, rentrons.8

  • VIVANT DENON Cest par gard pour moi, sans doute Vous vousvoulez me dfendre contre le danger des impressions dune tellepromenade, et des suites fatales quelle pourrait avoir pour moiseul?

    Cest donner beaucoup de dlicatesse mes motifs. Je leveux bien comme cela Mais rentrons, je lexige. (Propos gau-ches quil faut passer deux tres qui sefforcent de prononcer,tant bien que mal, tout autre chose que ce quils ont dire.) Elleme fora reprendre le chemin du chteau.

    Je ne sais, je ne savais du moins si ce parti tait une violencequelle se faisait, si ctait une rsolution bien dcide, ou si ellepartageait le chagrin que javais de voir terminer ainsi une scneaussi agrablement commence; mais, par un mutuel instinct,nos pas se ralentissaient, et nous cheminions tristement, mcon-tents lun de lautre et de nous-mmes. Nous ne savions ni qui,ni quoi nous en prendre. Nous ntions ni lun ni lautre endroit de rien exiger, de rien demander : nous navions pas seule-ment la ressource dun reproche. De sorte que tous nos senti-ments restaient renferms et contraints au fond de nos curs.Quune querelle maurait soulag! mais o la prendre? Cepen-dant nous approchions, occups en silence de nous soustraire audevoir que nous nous tions impos si maladroitement.

    Nous tions la porte fatale, lorsque enfin Mme de T parla : Je ne suis gure contente de vous Aprs la confiance que jevous ai montre, il est mal vous de ne men accorder aucune.Voyez si, depuis que nous sommes ensemble, vous mavez dit unmot de la Comtesse. Il est pourtant si doux de parler de ce quonaime! et vous ne pouvez douter que je ne vous eusse cout avecintrt. Ctait bien le moins que jeusse pour vous cette complai-sance, aprs avoir risqu de vous priver delle.

    Nai-je pas le mme reproche vous faire, et nauriez-vouspoint par bien des choses, si, au lieu de me rendre confidentdune rconciliation avec un mari, vous maviez parl dun choixplus convenable, dun choix?

    Damon Je vous arrte songez quun soupon seulnous blesse. Pour peu que vous connaissiez les femmes, voussavez quil faut les attendre sur les confidences Revenons : oen tes-vous avec la Comtesse? Vous rend-on bien heureux? Ah!je crains le contraire : cela mafflige; je mintresse si tendrement9

  • POINT DE LENDEMAIN 1777 vous! Oui, Monsieur, je my intresse plus que vous nepensez peut-tre.

    Eh! pourquoi donc, Madame, vouloir croire avec le publicce quil samuse grossir, circonstancier, linimiti de la Com-tesse avec moi?

    pargnez-vous la feinte; je sais sur votre compte tout ceque lon peut savoir. La Comtesse est moins mystrieuse quevous. Les femmes de son genre sont prodigues des secrets deleurs adorateurs, surtout lorsquune tournure discrte comme lavtre pourrait leur drober leurs triomphes. Je suis loin delaccuser de coquetterie; mais une prude na pas moins de vanitquune coquette. Parlez-moi franchement : ntes-vous pas sou-vent la victime de ce genre de caractre? Parlez, parlez.

    Mais, Madame, vous vouliez rentrer et lair Il a chang. Elle avait repris mon bras, et nous recommencions marcher,

    sans que je maperusse de la route que nous prenions. Cequelle venait de me dire de lamant que je lui connaissais, cequelle me disait de la matresse quelle me savait, ce voyage, lascne du carrosse, celle du banc de gazon, la situation, lheure,tout cela me troublait; jtais tour tour emport par lamour-propre ou les dsirs, et ramen par la rflexion. Jtais dailleurstrop mu pour me faire un plan, et prendre de certaines rsolu-tions. Tandis que jtais en proie des mouvements si tranges,elle avait toujours continu de parler, et toujours de la Comtesse;et mon silence avait paru confirmer tout ce quil lui plaisait dendire. Quelques traits qui lui chapprent me firent pourtantrevenir moi.

    Comme elle est fine, disait-elle, quelle a de grces! Uneperfidie entre ses mains prend lair dune gaiet. Une infidlitparat un effort de raison, un sacrifice la dcence. Pointdabandon, toujours aimable, rarement tendre, et jamais vraie,galante par caractre, prude par systme, vive, prudente, adroite,tourdie, sensible, savante, coquette et philosophe, cest unProte pour les formes, cest une grce pour les manires; elleattire, elle chappe. Combien je lui ai vu faire de personnages!Entre nous, que de dupes lenvironnent! Comme elle sestmoque du Baron! Que de tours elle a jous au Marquis!Lorsquelle vous prit ctait pour distraire deux rivaux trop10

  • VIVANT DENONimprudents, et qui taient sur le point de faire un clat. Elle lesavait trop mnags, ils avaient eu le temps de lobserver; ilsauraient fini par la convaincre. Mais elle vous mit en scne, lesoccupa de vos soins, les amena des recherches nouvelles, vousdsespra, vous plaignit, vous consola, et vous ftes contentstous quatre. Ah! quune femme adroite a dempire sur vous! Eh!quelle est heureuse lorsqu ce jeu-l elle affecte tout, et ny metjamais du sien! Madame de T accompagna cette dernirephrase dun soupir trs intelligent, et fait pour tre dcisif.Ctait le coup de matre.

    Je sentis quon venait de mter un bandeau de dessus lesyeux, et ne vis point celui quon y mettait. Je fus frapp de lavrit du portrait. Mon amante me parut la plus fausse de toutesles femmes, et je crus tenir ltre sensible. Je soupirai aussi, sanssavoir qui sadressait ce soupir, sans dmler si le regret oulespoir lavait caus. On parut fche de mavoir afflig, et destre laisse emporter trop loin dans une peinture qui pouvaitparatre suspecte, tant faite par une femme.

    Je ne concevais rien tout ce que jentendais. Nous suivions,sans nous en douter, la grande route du sentiment, et la repre-nions de si haut, quil tait impossible dentrevoir le terme duvoyage. Aprs beaucoup dcarts, presque mthodiques, on mefit apercevoir, au bout dune terrasse, un pavillon qui avait t letmoin des plus doux moments. On me dtaillait sa situation,son ameublement. Quel dommage de nen avoir pas la clef! Touten causant, nous approchions. Il se trouva ouvert; il ne lui man-quait plus que la clart du jour. Mais lobscurit pouvait aussi luiprter quelques charmes. Dailleurs, je savais combien tait char-mant lobjet qui devait lembellir.

    Nous frmmes en entrant : ctait un sanctuaire, et ctaitcelui de lamour! Il sempara de nous, nos genoux flchirent. Ilne nous resta de force que celle que donne ce dieu. Nos brasdfaillants senlacrent, et nous allmes tomber, sans le moindreprojet, sur un canap qui occupait une partie du temple. La lunese couchait, et le dernier de ses rayons emporta bientt le voiledune pudeur qui, je crois, devenait importune. Tout se confon-dait dans les tnbres. La main qui voulait me repousser sentaitbattre mon cur; on voulait me fuir, on retombait plus attendrie.Nos mes se rencontraient, se multipliaient; il en naissait une de11

  • POINT DE LENDEMAIN 1777chacun de nos baisers Quand livresse de nos sens nous eutrendus nous-mmes, nous ne pouvions retrouver lusage de lavoix, et nous nous entretenions dans le silence par le langage dela pense. Elle se rfugiait dans mes bras, cachait sa tte dansmon sein, soupirait et se calmait mes caresses; elle saffligeait,se consolait et demandait de lamour pour tout ce que lamourvenait de lui ravir.

    Cet amour, qui leffrayait dans un autre instant, la rassuraitdans celui-ci. Si dun ct on veut donner ce quon a laissprendre, on veut de lautre recevoir ce quon a drob; et, depart et dautre, on se hte dobtenir une seconde victoire, poursassurer de sa conqute.

    Tout ceci avait t un peu brusqu. Nous sentmes notrefaute. Nous reprmes ce qui nous tait chapp, avec plus dedtail. Trop ardent, on est moins dlicat. On court la jouis-sance, en confondant toutes les dlices qui la prcdent. Onarrache un nud, on dchire une gaze. Partout la voluptmarque sa trace, et bientt lidole ressemble la victime.

    Plus calmes, lair nous parut plus pur, plus frais. Nous navionspas entendu que la rivire, qui baignait les murs du pavillon,rompait le silence de la nuit par un murmure doux qui semblaitdaccord avec la tendre palpitation de nos curs. Lobscurittait trop grande pour laisser distinguer aucun objet; mais, tra-vers le crpe transparent dune belle nuit dt, notre imaginationfaisait, dune le qui tait devant notre pavillon, un lieu enchant.La rivire nous paraissait couverte damours qui se jouaient dansles flots. Jamais les forts de Gnide nont t si peuplesdamants, que nous en peuplions lautre rive. Il ny avait pournous dans la nature que des couples heureux, et il ny en avaitpoint de plus heureux que nous. Nous aurions dfi Psych etlAmour. Jtais aussi jeune que lui; elle me paraissait aussi char-mante quelle. Plus abandonne, elle me sembla plus ravissanteencore. Chaque moment me livrait une beaut. Le flambeau delamour me lclairait pour les yeux de lme, et le plus sr dessens confirmait mon bonheur. Quand la crainte est bannie, lescaresses cherchent les caresses. Elles se confondent plustendrement : on ne veut plus quune faveur soit ravie. Si lon dif-fre, cest raffinement. Le refus est timide, et nest quun tendresoin. On dsire, on ne voudrait pas; cest lhommage qui plat12

  • VIVANT DENONLe dsir flatte lme en est exalte on adore on ne cderapoint on a cd.

    Ah! me dit-elle, avec un son de voix cleste, sortons de cedangereux sjour; sans cesse les dsirs sy reproduisent, et lonest sans force pour leur rsister. Elle mentrane.

    Nous nous loignons regret; elle tournait souvent la tte;une flamme divine semblait briller sur le parvis. Tu lasconsacr pour moi, me disait-elle. Qui saurait jamais y plairecomme toi? Comme tu sais aimer! quelle est heureuse!

    Qui donc? mcriai-je avec tonnement. Ah! si je dispensele bonheur, quel tre dans la nature pouvez-vous porterenvie!

    Nous passmes devant le banc de gazon, et nous nous arr-tmes involontairement et avec une de ces motions muettes, quisignifient beaucoup. Quel espace immense, me dit-elle alors,entre ce lieu-ci et le pavillon que nous venons de quitter! Monme est si pleine de mon bonheur, qu peine puis-je me rappelerque jai pu vous rsister. Je ne sentis point dabord tout ce queces mots renfermaient dobligeant, et quoi leur sens menga-geait. Eh bien, lui dis-je, verrai-je se dissiper tout le charmedont mon imagination stait remplie l-bas? Ce lieu me sera-t-iltoujours fatal?

    En est-il qui puisse te ltre encore quand je suis avec toi? Oui, sans doute, puisque je suis aussi malheureux dans

    celui-ci, que je viens dtre heureux dans lautre. Lamour vraiveut des gages multiplis; il croit navoir rien obtenu tant quil luireste quelque chose obtenir.

    Encore Non, je ne puis permettre Non, jamais Etelle me faisait toutes ces dfenses-l dun ton ntre pointobie : ce que jinterprtais en perfection.

    Je prie le lecteur de se ressouvenir que jai peine vingt-cinqans, et que les faits de cet ge nengagent personne. Cependantla conversation changea dobjet; elle devint moins srieuse. Onosa mme plaisanter sur les plaisirs de lamour, lanalyser, ensparer le moral, le rduire au simple, et prouver que les faveursntaient que le plaisir; quil ny avait dengagements rels (philo-sophiquement parlant) que ceux que lon contractait avec lepublic, en le laissant pntrer dans nos secrets, et en commettantavec lui quelques indiscrtions. Quelle nuit dlicieuse, dit-elle,13

  • POINT DE LENDEMAIN 1777nous venons de passer par lattrait seul de ce plaisir, notre guideet notre excuse! Si des raisons, je le suppose, nous foraient nous sparer demain, notre bonheur ignor de toute la nature nenous laisserait, par exemple, aucun lien dnouer. Quelquesregrets, dont un souvenir agrable serait le ddommagementet puis, au fait, du plaisir, sans toutes les lenteurs, le tracas et latyrannie des procds dusage.

    Nous sommes tellement machines (et jen rougis), quau lieude toute la dlicatesse qui me tourmentait, avant la scne quivenait de se passer, jentrais au moins pour moiti dans la har-diesse de ces principes; je les trouvais sublimes, et je me sentaisdj une disposition trs prochaine lamour de la libert.

    La belle nuit, me disait-elle, les beaux lieux! Il y a huit ansque je les avais quitts; mais ils nont rien perdu de leurscharmes; ils viennent de reprendre pour moi tous ceux de la nou-veaut. Nous noublierons jamais ce cabinet, nest-il pas vrai? Lechteau en recle un plus charmant encore; mais on ne peut rienvous montrer : vous tes comme un enfant qui veut toucher tout ce quil voit, et qui brise tout ce quil touche. Un mouve-ment de curiosit, qui me surprit moi-mme, me fit promettre dentre que ce que lon voudrait. Je protestai que jtais devenubien raisonnable. On changea de propos. Mme de T aimaitmieux les raisons que la raison. Cette nuit, dit-elle, me para-trait compltement agrable, si je ne me faisais un reproche. Jesuis fche, vraiment fche de ce que je vous ai dit de la Com-tesse. Ce nest pas que je veuille me plaindre de vous. Vous voustes conduit aussi dcemment quil soit possible. La nouveautpique, vous mavez trouve aimable, et jaime croire que voustiez de bonne foi; mais lempire de lhabitude est si long dtruire, que je sens moi-mme que je nai pas ce quil faut pouren venir bout. Jai dailleurs puis tout ce que le cur a de res-sources pour enchaner. Que pourriez-vous esprer maintenantprs de moi? Que pourriez-vous dsirer? Et que devient-on avecune femme, sans le dsir et lesprance? Je vous ai toutprodigu : peine peut-tre me pardonnerez-vous un jour desplaisirs qui, aprs le moment de livresse, nous abandonnent lasvrit des rflexions. propos, dites-moi donc, comment avez-vous trouv mon mari? assez maussade, nest-il pas vrai? Lergime nest point aimable; je ne crois pas quil vous ait vu de14

  • VIVANT DENONsang-froid : notre amiti lui deviendrait suspecte. Il faudra ne pasprolonger ce premier voyage; il prendrait de lhumeur. Ds quilviendra du monde (et sans doute il en viendra) Dailleurs vousavez aussi vos mnagements garder Vous vous souvenez delair de Monsieur, hier en nous quittant? Elle vit limpressionque me faisaient ces dernires paroles, et ajouta tout de suite : Il tait plus gai, lorsquil fit arranger avec tant de recherche, lecabinet dont je vous parlais tout lheure. Ctait avant monmariage; il tient mon appartement. Il na jamais t pour moiquun tmoignage des ressources artificielles dont M. de Tavait besoin de fortifier son sentiment, et du peu de ressort que jedonnais son me.

    Cest ainsi que par intervalle elle excitait ma curiosit sur cecabinet. Il tient votre appartement, lui dis-je; quel plaisir dyvenger vos attraits offenss, de leur y restituer les vols quon leura faits! On trouva ceci dun meilleur ton. Ah! lui dis-je, sijtais choisi pour tre le hros de cette vengeance, si le got dumoment pouvait faire oublier et rparer les langueurs delhabitude Elle saisit, avec une intelligence trs prompte, ceque je voulais dire; et plus surprise que fche, elle reprit : Sivous me promettiez dtre sage Il faut lavouer, je ne me sen-tais pas encore toute la ferveur, toute la dvotion quil fallait pourvisiter les saints lieux; mais javais beaucoup de curiosit; centait plus Mme de T que je dsirais; ctait le cabinet. Noustions rentrs. Les lampes des escaliers et des corridors taientteintes; nous errions dans un ddale. La matresse mme duchteau en avait oubli les issues; enfin, nous arrivmes la portede son appartement, de cet appartement qui renfermait ce rduitsi vant. Quallez-vous faire de moi, lui dis-je? que voulez-vousque je devienne? me renverrez-vous ainsi seul dans lobscurit?mexposerez-vous faire du bruit, nous dceler, nous trahir, vous perdre? Cette raison lui parut sans rplique. Vous mepromettez donc

    Tout tout au monde. On reut mon serment avec lesprance, bien entendu, que

    jtais encore trs capable dtre parjure. Nous ouvrmes douce-ment la porte : nous trouvmes deux femmes endormies; lunejeune, lautre plus ge : cette dernire tait celle de confiance;ce fut elle quon veilla. On lui parla loreille. Bientt je la vis15

  • POINT DE LENDEMAIN 1777sortir par une porte secrte, artistement fabrique dans un lam-bris de la boiserie. Moi, je moffris remplir loffice de la femmequi dormait : on accepta mes services, on se dbarrassa de toutornement superflu. Un simple ruban retenait tous les cheveux,qui schapprent en boucles flottantes. On y ajouta seulementune rose que javais cueillie dans le jardin, et que je tenais encorepar distraction : une robe ouverte remplaa tous les autres ajus-tements. Il ny avait pas un nud toute cette parure; je trouvaiMme de *** plus belle que jamais. Un peu de fatigue avait appe-santi ses paupires, et donnait ses regards une langueur plusintressante, une expression plus douce. Le coloris de ses lvres,plus vif que de coutume, relevait lmail de ses dents, et rendaitson sourire plus voluptueux. Des rougeurs parses et l rele-vaient la blancheur de son teint, et en attestaient la finesse. Cestraces du plaisir men rappelaient la jouissance. Enfin elle meparut, la lumire, plus sduisante encore, que mon imaginationne se ltait peinte dans nos plus doux moments. Le lambrissouvrit de nouveau, et la discrte confidente disparut.

    Prs dentrer, on marrta : Souvenez-vous, me dit-on grave-ment, que vous serez cens navoir jamais vu, ni mme soup-onn lasile o vous allez tre introduit. Point dtourderie; jesuis tranquille sur le reste.

    La discrtion est ma vertu favorite; on lui doit bien desinstants de bonheur.

    Tout cela avait lair dune initiation. On me fit traverser unpetit corridor obscur, en me conduisant par la main. Mon curpalpitait comme celui dun jeune proslyte que lon prouveavant la clbration des grands mystres. Mais votre Com-tesse , me dit-elle en sarrtant Jallais rpliquer; les portessouvrirent : ladmiration intercepta ma rponse. Je fus tonn,ravi; je ne sais plus ce que je devins, et je commenai de bonnefoi croire lenchantement. La porte se referma, et je ne distin-guai plus par o jtais entr. Je ne vis plus quun bosquet arien,qui, sans issue, semblait ne tenir et ne porter sur rien; enfin je metrouvai comme dans une vaste cage entirement de glaces, surlesquelles les objets taient si artistement peints, quelles produi-saient lillusion de tout ce quelles reprsentaient. On ne voyaitintrieurement aucune lumire. Une lueur douce et cleste ypntrait, selon le besoin que chaque objet avait dtre plus ou16

  • VIVANT DENONmoins aperu. Des cassolettes exhalaient les plus agrablesparfums; des chiffres et des trophes drobaient aux yeux laflamme des lampes qui clairaient, dune manire magique, celieu de dlices. Le ct par o nous entrmes reprsentait desportiques en treillages orns de fleurs, et des berceaux danschaque enfoncement. Dun autre ct, on voyait la statue delAmour distribuant des couronnes; devant cette statue tait unautel sur lequel on voyait briller une flamme; au bas de cet autel,une coupe, des couronnes et des guirlandes. Un temple dunearchitecture lgre achevait dorner ce ct : vis--vis tait unegrotte sombre. Le dieu du mystre veillait lentre. Le parquet,couvert dun tapis pluch, imitait un pais gazon. Au haut du pla-fond, des amours suspendaient des guirlandes qui se jouaientngligemment. Le quatrime ct qui rpondait aux portiques,tait un dais sous lequel saccumulait une quantit de carreaux,avec un baldaquin soutenu par des amours.

    Ce fut l qualla se jeter nonchalamment la reine de ce lieu. Jetombai ses pieds elle se pencha vers moi, elle tendit les bras, etdans linstant, grce ce groupe rpt dans tous ses aspects, jevis cette le toute peuple damants heureux.

    Les dsirs se reproduisent par leur image. Laisserez-vous, luidis-je, ma tte sans couronne? Si prs du trne, pourrai-jeprouver des rigueurs? pourriez-vous y prononcer un refus?

    Et vos serments, me rpondit-elle, en se levant. Jtais un mortel quand je les fis; vous mavez fait un dieu :

    vous adorer, voil mon seul serment. Venez, me dit-elle, lombre du mystre doit cacher ma

    faiblesse; venez En mme temps elle sapprocha de la grotte. peine en

    avions-nous franchi lentre, que je ne sais quel ressort, adroite-ment mnag, nous entrana. Ports par le mme mouvement,nous tombmes mollement renverss sur un monceau decoussins. Lobscurit rgnait avec le silence dans ce sanctuaire.Nos soupirs nous tinrent lieu de langage. Plus tendres, plusmultiplis, plus ardents, ils taient les interprtes de nos sensa-tions; ils en marquaient les degrs, et le dernier de tous, quelquetemps suspendu, nous avertit que nous devions rendre grce lAmour. Nous sortmes de la grotte pour aller lui porter notrehommage. La scne avait chang. Au lieu du temple et de la17

  • POINT DE LENDEMAIN 1777statue de lAmour, ctait celle du dieu des jardins. (Le mmeressort qui nous avait fait entrer dans la grotte avait produit cechangement, en retournant la figure de lAmour, et en renversantlautel.) Nous avions aussi quelques grces rendre ce nouveaudieu. Nous marchmes son temple, et il put lire dans mes yeuxque jtais digne encore de me le rendre propice. La desse pritune couronne quelle me posa sur la tte, et me prsenta unecoupe, o je bus pleins flots le nectar des dieux.

    H bien , me dit, aprs quelques moments, la fe de cesjour, en soulevant peine ses beaux yeux humides de volupt, aimerez-vous jamais la Comtesse autant que moi?

    Javais oubli, lui rpondis-je, que je dusse jamais retournersur la terre. Elle sourit, fit un signe, et tout disparut. Sortezbien vite, me dit en entrant la confidente; il fait grand jour, onentend dj du bruit dans le chteau.

    Tout mchappe avec la mme rapidit que le rveil dtruit unsonge, et je me trouvai dans le corridor avant davoir pureprendre mes sens. Je voulais regagner ma chambre; mais olaller prendre? Toute information me dnonait, toute mprisetait une indiscrtion. Le parti le plus prudent me parut de des-cendre dans le jardin, o je rsolus de rester jusqu ce que jepusse rentrer avec vraisemblance dune promenade du matin. Lafracheur et lair pur de ce moment calmrent par degrs monimagination, et en chassrent le merveilleux. Au lieu dunenature enchante, je ne vis quune nature nave. Je sentais lavrit rentrer dans mon me, mes penses natre sans trouble, etse suivre avec ordre : je respirais. Je neus rien de plus pressalors que de me demander si jtais lamant de celle que je venaisde quitter; et je fus bien surpris de ne savoir que me rpondre.Qui met dit hier lOpra que je pourrais aujourdhui me fairecette question-l? Moi, qui croyais savoir quelle aimait perdu-ment, et depuis deux ans, le Marquis de Moi, qui me croyaistellement pris de la Comtesse, quil devait mtre impossible delui devenir infidle! Quoi! hier! Mme de T est-il bien vrai?aurait-elle rompu avec le Marquis? ma-t-elle pris pour lui suc-cder, ou seulement pour le punir? Quelle aventure! quelle nuit!et je minterrogeais pour savoir si je ne rvais pas encore. Jemtais assis, et, ne cessant de raisonner avec moi-mme, je nesavais trop quoi me fixer; je souponnais, je doutais, puis jtais18

  • VIVANT DENONpersuad, convaincu, et puis, je ne croyais plus rien. Tandis queje flottais dans ces incertitudes, jentendis du bruit prs de moi;je levai les yeux, me les frottai; je ne pouvais croire ctaitqui? le Marquis. Tu ne mattendais pas si matin, nest-il pasvrai? Eh bien, comment cela sest-il pass?

    Tu savais donc que jtais ici? lui demandai-je. Oui vraiment; on me le fit dire hier au moment de votre

    dpart. As-tu bien jou ton personnage? le mari a-t-il trouv tonarrive bien ridicule? quand te renvoie-t-on? Jai pourvu tout;je tamne une bonne chaise qui sera tes ordres. Cest chargedautant. Il fallait un cuyer Mme de T tu lui en as servi, tu lasamuse sur la route; cest tout ce quelle voulait, et ma reconnais-sance

    Oh! non, non, je sers avec gnrosit; et dans cette occa-sion, Mme de T pourrait te dire que jy ai mis un zle au-dessusdes pouvoirs de ta reconnaissance.

    Il venait de dbrouiller le mystre de la veille, et de me donnerla clef du reste. Je sentis dans linstant mon nouveau rle.Chaque mot tait en situation, et me donnait envie de rire. Aufait, il tait difficile de ne pas trouver trs plaisant tout ce quistait pass. Mais, pourquoi venir sitt? dis-je au Marquis : ilme semble quil et t plus prudent

    Tout est prvu; cest le hasard qui semble me conduire ici :je suis cens revenir dune campagne voisine : Mme de T ne tadonc pas mis au fait? Je lui veux du mal de ce dfaut deconfiance, aprs ce que tu faisais pour nous.

    Elle avait sans doute ses raisons, et peut-tre, si elle etparl, naurais-je pas jou si bien mon personnage?

    Cela, mon cher, a donc t bien plaisant? conte-moi tousles dtails conte donc.

    Ah! un moment. Je ne savais pas que tout ceci tait unecomdie : et, bien que je sois pour quelque chose dans la pice

    Tu navais pas le beau rle. Va, va, rassure-toi, il ny a point de mauvais rles pour de

    bons acteurs. Jentends, tu ten es bien tir. Merveilleusement! Et Mme de T? Sublime! elle a tous les genres.19

  • POINT DE LENDEMAIN 1777 Conois-tu quon ait pu fixer cette femme-l? Cela madonn de la peine; mais jai amen son caractre au point quecest peut-tre la femme de Paris sur la fidlit de laquelle il y a leplus compter.

    Cest bien voir les choses. Cest mon talent moi; toute son inconstance ntait que

    frivolit, drglement dimagination : il fallait semparer de cetteme-l.

    Cest le bon parti. Nest-il pas vrai? tu nas pas dide de la force de son atta-

    chement pour moi : au fait, elle est charmante, tu seras forc denconvenir. Entre nous, je ne lui connais quun dfaut, cest que lanature, en lui donnant tout, lui a refus cette flamme divine quimet le comble tous ses bienfaits : elle fait tout natre, toutsentir, et elle nprouve rien, cest un marbre.

    Il faut ten croire sur ta parole, car moi, je ne puis maissais-tu que tu connais cette femme-l comme si tu tais sonmari : vraiment, cest sy tromper, et si je neusse pas soup hieravec le vritable

    propos, a-t-il t bien bon? Jamais on na t plus mari que cela. Oh! la bonne aventure! mais tu nen ris pas assez mon

    gr! tu ne sens donc pas tout le comique de ce qui tarrive?conviens que le thtre du monde offre des choses bien tranges,quil sy passe des scnes bien divertissantes; rentrons : jai delimpatience den rire avec Mme de T Il doit faire jour chezelle : jai dit que jarriverais de bonne heure; dcemment ilfaudrait commencer par le mari : viens chez toi, je veux remettreun peu de poudre. On ta donc bien pris pour un amant?

    Tu jugeras de mes succs par la rception quon va mefaire. Il est neuf heures; allons de ce pas chez Monsieur.

    Je voulais viter mon appartement, et pour cause. Cheminfaisant, le hasard my amena; la porte, reste ouverte, nous laissavoir mon valet de chambre qui dormait dans un fauteuil. Unebougie expirait prs de lui. En sveillant au bruit, il prsentetourdiment ma robe de chambre au Marquis, en lui faisant quel-ques reproches sur lheure laquelle il rentrait : jtais sur lespines. Mais le Marquis tait si dispos sabuser, quil ne vitrien en lui quun rveur qui lui apprtait rire. Je donnai mes20

  • VIVANT DENONordres, pour mon dpart, mon homme, qui ne savait ce quetout cela voulait dire, et nous passmes chez Monsieur. Vousimaginez bien qui fut accueilli? ce ne fut pas moi : cest danslordre. On fit mon ami les plus grandes instances poursarrter. On voulut le conduire chez Madame, dans lesprancequelle le dterminerait. Quant moi, on nosait, disait-on, mefaire la mme proposition, car on me trouvait trop abattu, pourdouter que lair du pays ne me ft pas vraiment funeste. Enconsquence, on me conseilla de regagner la ville. Le Marquismoffrit sa chaise, je lacceptai : tout allait merveille, et noustions tous contents. Je voulais cependant voir encore Mme deT ctait une jouissance que je ne pouvais me refuser. Monimpatience tait partage par mon ami, qui ne concevait rien cesommeil, et qui tait bien loin den pntrer la cause. Il me dit ensortant de chez M. de T : Cela nest-il pas admirable?Quand on lui aurait communiqu ses rpliques, aurait-il pumieux dire? Au vrai, cest un fort galant homme; et, tout bienconsidr, je suis trs aise de ce raccommodement. Cela fera unebonne maison, et tu conviendras que, pour en faire les honneurs,il ne pouvait mieux choisir que sa femme. Personne ntait plusque moi pntr de cette vrit. Quelque plaisant que cela soit,mon cher, motus ; le mystre devient plus essentiel que jamais. Jesaurai faire entendre Mme de T que son secret ne saurait treen de meilleures mains.

    Crois, mon ami, quelle compte sur moi, et tu le vois, sonsommeil nen est point troubl.

    Oh! il faut convenir que tu nas pas ton second pourendormir une femme.

    Et un mari, mon cher, un amant mme au besoin. Onavertit enfin quon pouvait entrer chez Mme de T nous nous yrendmes avec empressement.

    Je vous annonce, Madame, dit en entrant notre causeur, vosdeux meilleurs amis.

    Je tremblais, me dit Mme de T que vous ne fussiez partiavant mon rveil, et je vous sais gr davoir senti le chagrin quecela maurait fait. Elle nous examinait lun et lautre; mais ellefut bientt rassure par la scurit du Marquis, qui continua deme plaisanter. Elle en rit avec moi autant quil le fallait, pour meconsoler, sans se dgrader mes yeux; adressa lautre des21

  • POINT DE LENDEMAIN 1777propos tendres, moi dhonntes et dcents ; elle badina, et neplaisanta point. Madame, dit le Marquis, il a fini son rle aussibien quil lavait commenc. Elle rpondit gravement : Jtaissre du succs de tous ceux quon confierait Monsieur. Il luiraconta ce qui venait de se passer chez son mari; elle me regarda,mapprouva, et ne rit point. Pour moi, dit le Marquis qui avaitjur de ne plus finir, je suis enchant de tout ceci : cest un amique nous nous sommes fait, Madame. Je te le rpte encore,notre reconnaissance

    Eh! Monsieur, dit Mme de T, brisons l-dessus, et croyezque jai senti tout ce que je dois Monsieur.

    On annona M. de T et nous nous trouvmes tous en situa-tion. M. de T mavait persifl et me renvoyait; mon ami ledupait et se moquait de moi; je le lui rendais, tout en admirantMme de T qui nous jouait tous, sans perdre rien de la dignit deson caractre.

    Aprs avoir joui quelques instants de cette scne, je sentis quecelui de mon dpart tait arriv. Je me retirais, Mme de T mesuivit, feignant de vouloir me donner une commission. Adieu,Monsieur, je vous dois bien des plaisirs; mais je vous ai pay dunbeau rve. Dans ce moment, votre amour vous rappelle, et cellequi en est lobjet en est digne : si je lui ai drob quelques trans-ports, je vous rends elle, plus tendre, plus dlicat et plus sen-sible.

    Adieu, encore une fois : vous tes charmant Ne mebrouillez pas avec la Comtesse. Elle me serra la main, et mequitta.

    Je montai dans la voiture qui mattendait; je cherchai bien lamorale de toute cette aventure, et je nen trouvai point.

    par M.D.G.O.D.R22

  • VIVANT DENONPoint de lendemain 1812

    La lettre tue, et lesprit vivifie.E.U.S.P. 1

    Jaimais perdument la Comtesse de ; javais vingt ans, etjtais ingnu; elle me trompa, je me fchai, elle me quitta. Jtaisingnu, je la regrettai; javais vingt ans, elle me pardonna : etcomme javais vingt ans, que jtais ingnu, toujours tromp,mais plus quitt, je me croyais lamant le mieux aim, partant leplus heureux des hommes. Elle tait amie de Mme de T, quisemblait avoir quelques projets sur ma personne, mais sans quesa dignit ft compromise. Comme on le verra, Mme de T avaitdes principes de dcence auxquels elle tait scrupuleusementattache.

    Un jour que jallais attendre la Comtesse dans sa loge, jementends appeler de la loge voisine. Ntait-ce pas encore ladcente Mme de T? Quoi! dj? me dit-on. Quel dsu-vrement! Venez donc prs de moi. Jtais loin de mattendre tout ce que cette rencontre allait avoir de romanesque et dextra-ordinaire. On va vite avec limagination des femmes; et dans cemoment celle de Mme de T fut singulirement inspire. Il

    1. pitre de saint Paul aux Corinthiens (II, 3, 6).23

  • POINT DE LENDEMAIN 1812faut, me dit-elle, que je vous sauve le ridicule dune pareille soli-tude; puisque vous voil, il faut Lide est excellente. Il semblequune main divine vous ait conduit ici. Auriez-vous par hasarddes projets pour ce soir? Ils seraient vains, je vous en avertis;point de questions, point de rsistance appelez mes gens. Voustes charmant. Je me prosterne on me presse de descendre,jobis. Allez chez Monsieur, dit-on un domestique, aver-tissez quil ne rentrera pas ce soir Puis on lui parle loreille,et on le congdie. Je veux hasarder quelques mots, lopra com-mence, on me fait taire : on coute, ou lon fait semblantdcouter. peine le premier acte est-il fini, que le mme domes-tique rapporte un billet Mme de T, en lui disant que tout estprt. Elle sourit, me demande la main, descend, me fait entrerdans sa voiture, et je suis dj hors de la ville avant davoir puminformer de ce quon voulait faire de moi.

    Chaque fois que je hasardais une question, on rpondait parun clat de rire. Si je navais bien su quelle tait femme grandespassions, et que dans linstant mme elle avait une inclination,inclination dont elle ne pouvait ignorer que je fusse instruit,jaurais t tent de me croire en bonne fortune. Elle connaissaitgalement la situation de mon cur, car la Comtesse de tait,comme je lai dj dit, lamie intime de Mme de T Je medfendis donc toute ide prsomptueuse, et jattendis les vne-ments. Nous relaymes, et repartmes comme lclair. Cela com-menait me paratre plus srieux. Je demandai avec plusdinstance jusquo me mnerait cette plaisanterie. Elle vousmnera dans un trs beau sjour; mais devinez o : oh! je vous ledonne en mille chez mon mari. Le connaissez-vous?

    Pas du tout. Je crois que vous en serez content : on nous rconcilie. Il y

    a six mois que cela se ngocie, et il y en a un que nous nous cri-vons. Il est, je pense, assez galant moi daller le trouver.

    Oui : mais, sil vous plat, que ferai-je l, moi? quoi puis-je y tre bon?

    Ce sont mes affaires. Jai craint lennui dun tte--tte;vous tes aimable, et je suis bien aise de vous avoir.

    Prendre le jour dun raccommodement pour me prsenter,cela me parat bizarre. Vous me feriez croire que je suis sansconsquence. Ajoutez cela lair dembarras quon apporte une24

  • VIVANT DENONpremire entrevue. En vrit, je ne vois rien de plaisant pour tousles trois dans la dmarche que vous allez faire.

    Ah! point de morale, je vous en conjure; vous manquezlobjet de votre emploi. Il faut mamuser, me distraire, et non meprcher.

    Je la vis si dcide, que je pris le parti de ltre autant quelle.Je me mis rire de mon personnage, et nous devnmes trs gais.

    Nous avions chang une seconde fois de chevaux. Le flam-beau mystrieux de la nuit clairait un ciel pur et rpandait undemi-jour trs voluptueux. Nous approchions du lieu o allaitfinir le tte--tte. On me faisait, par intervalles, admirer labeaut du paysage, le calme de la nuit, le silence touchant de lanature. Pour admirer ensemble, comme de raison, nous nouspenchions la mme portire; le mouvement de la voiture faisaitque le visage de Mme de T et le mien sentretouchaient. Dansun choc imprvu, elle me serra la main; et moi, par le plus grandhasard du monde, je la retins entre mes bras. Dans cette attitude,je ne sais ce que nous cherchions voir. Ce quil y a de sr, cestque les objets se brouillaient mes yeux, lorsquon se dbarrassade moi brusquement, et quon se rejeta au fond du carrosse. Votre projet, dit-on aprs une rverie assez profonde, est-il deme convaincre de limprudence de ma dmarche? Je fusembarrass de la question. Des projets avec vous quelleduperie! vous les verriez venir de trop loin : mais un hasard, unesurprise cela se pardonne.

    Vous avez compt l-dessus, ce quil me semble. Nous en tions l sans presque nous apercevoir que nous

    entrions dans lavant-cour du chteau. Tout tait clair, toutannonait la joie, except la figure du matre, qui tait rtive lexprimer. Un air languissant ne montrait en lui le besoin dunerconciliation que pour des raisons de famille. La biensanceamne cependant M. de T jusqu la portire. On me pr-sente, il offre la main, et je suis, en rvant mon personnage,pass, prsent, et venir. Je parcours des salons dcors avecautant de got que de magnificence, car le matre de la maisonraffinait sur toutes les recherches de luxe. Il studiait ranimerles ressources dun physique teint par des images de volupt.Ne sachant que dire, je me sauvai par ladmiration. La dessesempresse de faire les honneurs du temple, et den recevoir les25

  • POINT DE LENDEMAIN 1812compliments. Vous ne voyez rien; il faut que je vous mne lappartement de Monsieur.

    Madame, il y a cinq ans que je lai fait dmolir. Ah! ah! dit-elle. souper, ne voil-t-il pas quelle savise doffrir Monsieur du

    veau de rivire, et que Monsieur lui rpond : Madame, il y atrois ans que je suis au lait.

    Ah! ah! dit-elle encore.Quon se peigne une conversation entre trois tres si tonns

    de se trouver ensemble!Le souper finit. Jimaginais que nous nous coucherions de

    bonne heure; mais je nimaginais bien que pour le mari. Enentrant dans le salon : Je vous sais gr, Madame, dit-il, de laprcaution que vous avez eue damener Monsieur. Vous avezjug que jtais de mchante ressource pour la veille, et vousavez bien jug, car je me retire. Puis, se tournant de mon ct,il ajouta dun air ironique : Monsieur voudra bien me par-donner et se charger de mes excuses auprs de Madame. Ilnous quitta.

    Nous nous regardmes, et, pour nous distraire de toutesrflexions, Mme de T me proposa de faire un tour sur la ter-rasse, en attendant que les gens eussent soup. La nuit taitsuperbe; elle laissait entrevoir les objets, et semblait ne les voilerque pour donner plus dessor limagination. Le chteau ainsique les jardins, appuys contre une montagne, descendaient enterrasse jusque sur les rives de la Seine; et ses sinuosits multi-plies formaient de petites les agrestes et pittoresques, quivariaient les tableaux et augmentaient le charme de ce beau lieu.

    Ce fut sur la plus longue de ces terrasses que nous nous pro-menmes dabord : elle tait couverte darbres pais. On staitremis de lespce de persiflage quon venait dessuyer; et tout ense promenant, on me fit quelques confidences. Les confidencessattirent, jen faisais mon tour, elles devenaient toujours plusintimes et plus intressantes. Il y avait longtemps que nous mar-chions. Elle mavait dabord donn son bras, ensuite ce brasstait entrelac, je ne sais comment, tandis que le mien la soule-vait et lempchait presque de poser terre. Lattitude taitagrable, mais fatigante la longue, et nous avions encore biendes choses nous dire. Un banc de gazon se prsente; on sy26

  • VIVANT DENONassied sans changer dattitude. Ce fut dans cette position quenous commenmes faire lloge de la confiance, de soncharme, de ses douceurs. Eh! me dit-elle, qui peut en jouirmieux que nous, avec moins deffroi? Je sais trop combien voustenez au lien que je vous connais, pour avoir rien redouterauprs de vous. Peut-tre voulait-elle tre contrarie, je nen fisrien. Nous nous persuadmes donc mutuellement quil taitimpossible que nous pussions jamais nous tre autre chose quece que nous nous tions alors. Japprhendais cependant, luidis-je, que la surprise de tantt net effray votre esprit.

    Je ne malarme pas si aisment. Je crains cependant quelle ne vous ait laiss quelques

    nuages. Que faut-il pour vous rassurer? Vous ne devinez pas? Je souhaite dtre claircie. Jai besoin dtre sr que vous me pardonnez. Et pour cela il faudrait? Que vous maccordassiez ici ce baiser que le hasard Je le veux bien : vous seriez trop fier si je le refusais. Votre

    amour-propre vous ferait croire que je vous crains. On voulut prvenir les illusions, et jeus le baiser.Il en est des baisers comme des confidences : ils sattirent, ils

    sacclrent, ils schauffent les uns par les autres. En effet, lepremier ne fut pas plutt donn quun second le suivit; puis, unautre : ils se pressaient, ils entrecoupaient la conversation, ils laremplaaient; peine enfin laissaient-ils aux soupirs la libert deschapper. Le silence survint, on lentendit (car on entend quel-quefois le silence) : il effraya. Nous nous levmes sans mot dire,et recommenmes marcher. Il faut rentrer, dit-elle, lair dusoir ne nous vaut rien.

    Je le crois moins dangereux pour vous, lui rpondis-je. Oui, je suis moins susceptible quune autre; mais

    nimporte, rentrons. Cest par gard pour moi, sans doute vous voulez me

    dfendre contre le danger des impressions dune telle prome-nade et des suites quelle pourrait avoir pour moi seul.

    Cest donner de la dlicatesse mes motifs. Je le veux biencomme cela mais rentrons, je lexige (propos gauches quil27

  • POINT DE LENDEMAIN 1812faut passer deux tres qui sefforcent de prononcer, tant bienque mal, tout autre chose que ce quils ont dire).

    Elle me fora de reprendre le chemin du chteau.Je ne sais, je ne savais du moins si ce parti tait une violence

    quelle se faisait, si ctait une rsolution bien dcide, ou si ellepartageait le chagrin que javais de voir terminer ainsi une scnesi bien commence; mais, par un mutuel instinct, nos pas seralentissaient, et nous cheminions tristement, mcontents lun delautre et de nous-mmes. Nous ne savions ni qui, ni quoinous en prendre. Nous ntions ni lun ni lautre en droit de rienexiger, de rien demander : nous navions pas seulement la res-source dun reproche. Quune querelle nous aurait soulags!mais o la prendre? Cependant nous approchions, occups ensilence de nous soustraire au devoir que nous nous tions impossi maladroitement.

    Nous touchions la porte lorsque enfin Mme de T parla : Je suis peu contente de vous aprs la confiance que je vous aimontre, il est mal si mal de ne men accorder aucune! Voyezsi, depuis que nous sommes ensemble, vous mavez dit un motde la Comtesse. Il est pourtant si doux de parler de ce quonaime! et vous ne pouvez douter que je ne vous eusse cout avecintrt. Ctait bien le moins que jeusse pour vous cette complai-sance aprs avoir risqu de vous priver delle.

    Nai-je pas le mme reproche vous faire, et nauriez-vouspoint par bien des choses, si au lieu de me rendre confidentdune rconciliation avec un mari, vous maviez parl dun choixplus convenable, dun choix

    Je vous arrte songez quun soupon seul nous blesse.Pour peu que vous connaissiez les femmes, vous savez quil fautles attendre sur les confidences Revenons vous : o en tes-vous avec mon amie? vous rend-on bien heureux? Ah! je crainsle contraire : cela mafflige, car je mintresse si tendrement vous! Oui, Monsieur, je my intresse plus que vous ne pensezpeut-tre.

    Eh! pourquoi donc, Madame, vouloir croire avec le publicce quil samuse grossir, circonstancier?

    pargnez-vous la feinte; je sais sur votre compte tout ceque lon peut savoir. La Comtesse est moins mystrieuse quevous. Les femmes de son espce sont prodigues des secrets de28

  • VIVANT DENONleurs adorateurs, surtout lorsquune tournure discrte comme lavtre pourrait leur drober leurs triomphes. Je suis loin delaccuser de coquetterie; mais une prude na pas moins de vanitquune coquette. Parlez-moi franchement : ntes-vous pas sou-vent la victime de cet trange caractre? Parlez, parlez.

    Mais, Madame, vous vouliez rentrer et lair Il a chang. Elle avait repris mon bras, et nous recommencions marcher

    sans que je maperusse de la route que nous prenions. Cequelle venait de me dire de lamant que je lui connaissais, cequelle me disait de la matresse quelle me savait, ce voyage, lascne du carrosse, celle du banc de gazon, lheure, tout cela metroublait; jtais tour tour emport par lamour-propre ou lesdsirs, et ramen par la rflexion. Jtais dailleurs trop mu pourme rendre compte de ce que jprouvais. Tandis que jtais enproie des mouvements si confus, elle avait continu de parler,et toujours de la Comtesse. Mon silence paraissait confirmer toutce quil lui plaisait den dire. Quelques traits qui lui chapprentme firent pourtant revenir moi.

    Comme elle est fine, disait-elle! quelle a de grces! une per-fidie dans sa bouche prend lair dune saillie; une infidlit paratun effort de raison, un sacrifice la dcence. Point dabandon;toujours aimable; rarement tendre, et jamais vraie; galante parcaractre, prude par systme, vive, prudente, adroite, tourdie,sensible, savante, coquette, et philosophe : cest un Prote pourles formes, cest une grce pour les manires : elle attire, ellechappe. Combien je lui ai vu jouer de rles! Entre nous, que dedupes lenvironnent! Comme elle sest moque du Baron!Que de tours elle a faits au Marquis! Lorsquelle vous prit, ctaitpour distraire deux rivaux trop imprudents et qui taient sur lepoint de faire un clat. Elle les avait trop mnags, ils avaient eule temps de lobserver; ils auraient fini par la convaincre. Maiselle vous mit en scne, les occupa de vos soins, les amena desrecherches nouvelles, vous dsespra, vous plaignit, vousconsola; et vous ftes contents tous quatre. Ah! quune femmeadroite a dempire sur vous! et quelle est heureuse lorsqu cejeu-l elle affecte tout et ny met rien du sien! Mme de Taccompagna cette dernire phrase dun soupir trs significatif.Ctait le coup de matre.29

  • POINT DE LENDEMAIN 1812Je sentis quon venait de mter un bandeau de dessus lesyeux, et ne vis point celui quon y mettait. Mon amante me parutla plus fausse de toutes les femmes, et je crus tenir ltre sensible.Je soupirai aussi, sans savoir qui sadressait ce soupir, sansdmler si le regret ou lespoir lavait fait natre. On parut fchede mavoir afflig, et de stre laisse emporter trop loin dans unepeinture qui pouvait paratre suspecte, tant faite par unefemme.

    Je ne concevais rien tout ce que jentendais. Nous enfilionsla grande route du sentiment, et la reprenions de si haut, quiltait impossible dentrevoir le terme du voyage. Au milieu de nosraisonnements mtaphysiques, on me fit apercevoir, au boutdune terrasse, un pavillon qui avait t le tmoin des plus douxmoments. On me dtailla sa situation, son ameublement. Queldommage de nen pas avoir la clef! Tout en causant, nous appro-chions. Il se trouva ouvert; il ne lui manquait plus que la clart dujour. Mais lobscurit pouvait aussi lui prter quelques charmes.Dailleurs, je savais combien tait charmant lobjet qui allaitlembellir.

    Nous frmmes en entrant. Ctait un sanctuaire, et ctaitcelui de lamour. Il sempara de nous; nos genoux flchirent : nosbras dfaillants senlacrent, et, ne pouvant nous soutenir, nousallmes tomber sur un canap qui occupait une partie du temple.La lune se couchait, et le dernier de ses rayons emporta bientt levoile dune pudeur qui, je crois, devenait importune. Tout seconfondit dans les tnbres. La main qui voulait me repoussersentait battre mon cur. On voulait me fuir, on retombait plusattendrie. Nos mes se rencontraient, se multipliaient; il en nais-sait une de chacun de nos baisers.

    Devenue moins tumultueuse, livresse de nos sens ne nouslaissait cependant point encore lusage de la voix. Nous nousentretenions dans le silence par le langage de la pense. Mme deT se rfugiait dans mes bras, cachait sa tte dans mon sein,soupirait, et se calmait mes caresses : elle saffligeait, se conso-lait, et demandait de lamour pour tout ce que lamour venait delui ravir.

    Cet amour, qui leffrayait un instant avant, la rassurait danscelui-ci. Si, dun ct, on veut donner ce quon a laiss prendre,on veut, de lautre, recevoir ce qui fut drob; et, de part et30

  • VIVANT DENONdautre, on se hte dobtenir une seconde victoire pour sassurerde sa conqute.

    Tout ceci avait t un peu brusqu. Nous sentmes notrefaute. Nous reprmes avec plus de dtail ce qui nous taitchapp. Trop ardent, on est moins dlicat. On court lajouissance en confondant tous les dlices qui la prcdent : onarrache un nud, on dchire une gaze : partout la voluptmarque sa trace, et bientt lidole ressemble la victime.

    Plus calmes, nous trouvmes lair plus pur, plus frais. Nousnavions pas entendu que la rivire, dont les flots baignent lesmurs du pavillon, rompait le silence de la nuit par un murmuredoux qui semblait daccord avec la palpitation de nos curs.Lobscurit tait trop grande pour laisser distinguer aucun objet;mais travers le crpe transparent dune belle nuit dt, notreimagination faisait dune le qui tait devant notre pavillon unlieu enchant. La rivire nous paraissait couverte damours qui sejouaient dans les flots. Jamais les forts de Gnide nont t sipeuples damants, que nous en peuplions lautre rive. Il ny avaitpour nous dans la nature que des couples heureux, et il ny enavait point de plus heureux que nous. Nous aurions dfi Psychet lAmour. Jtais aussi jeune que lui; je trouvais Mme de Taussi charmante quelle. Plus abandonne, elle me sembla plusravissante encore. Chaque moment me livrait une beaut. Leflambeau de lamour me lclairait pour les yeux de lme, et leplus sr des sens confirmait mon bonheur. Quand la crainte estbannie, les caresses cherchent les caresses : elles sappellent plustendrement. On ne veut plus quune faveur soit ravie. Si lon dif-fre, cest raffinement. Le refus est timide, et nest quun tendresoin. On dsire, on ne voudrait pas : cest lhommage qui platLe dsir flatte Lme en est exalte On adore On necdera point On a cd.

    Ah! me dit-elle avec une voix cleste, sortons de ce dan-gereux sjour; sans cesse les dsirs sy reproduisent, et lon estsans force pour leur rsister. Elle mentrane.

    Nous nous loignons regret; elle tournait souvent la tte;une flamme divine semblait briller sur le parvis. Tu lasconsacr pour moi, me disait-elle. Qui saurait jamais y plairecomme toi? Comme tu sais aimer! Quelle est heureuse!31

  • POINT DE LENDEMAIN 1812 Qui donc? mcriai-je avec tonnement. Ah! si je dispensele bonheur, quel tre dans la nature pouvez-vous porterenvie?

    Nous passmes devant le banc de gazon, nous nous y arr-tmes involontairement et avec une motion muette. Quelespace immense, me dit-elle, entre ce lieu-ci et le pavillon quenous venons de quitter! Mon me est si pleine de mon bonheur,qu peine puis-je me rappeler davoir pu vous rsister.

    Eh bien! lui dis-je, verrai-je se dissiper ici le charme dontmon imagination stait remplie l-bas? Ce lieu me sera-t-iltoujours fatal?

    En est-il qui puisse te ltre encore quand je suis avec toi? Oui, sans doute, puisque je suis aussi malheureux dans

    celui-ci que je viens dtre heureux dans lautre. Lamour veutdes gages multiplis : il croit navoir rien obtenu tant quil luireste obtenir.

    Encore Non, je ne puis permettre Non, jamais Etaprs un long silence : Mais tu maimes donc bien!

    Je prie le lecteur de se souvenir que jai vingt ans. Cependantla conversation changea dobjet : elle devint moins srieuse. Onosa mme plaisanter sur les plaisirs de lamour, lanalyser, ensparer le moral, le rduire au simple, et prouver que les faveursntaient que du plaisir; quil ny avait dengagement (philoso-phiquement parlant) que ceux que lon contractait avec le public,en lui laissant pntrer nos secrets, et en commettant avec luiquelques indiscrtions. Quelle nuit dlicieuse, dit-elle, nousvenons de passer par lattrait seul de ce plaisir, notre guide etnotre excuse! Si des raisons, je le suppose, nous foraient noussparer demain, notre bonheur, ignor de toute la nature, nenous laisserait, par exemple, aucun lien dnouer quelquesregrets, dont un souvenir agrable serait le ddommagementEt puis, au fait, du plaisir, sans toutes les lenteurs, le tracas et latyrannie des procds.

    Nous sommes tellement machines (et jen rougis), quau lieude toute la dlicatesse qui me tourmentait avant la scne quivenait de se passer, jtais au moins pour moiti dans la hardiessede ces principes; je les trouvais sublimes, et je me sentais djune disposition trs prochaine lamour de la libert.32

  • VIVANT DENON La belle nuit! me disait-elle, les beaux lieux! Il y a huit ansque je les avais quitts; mais ils nont rien perdu de leur charme;ils viennent de reprendre pour moi tous ceux de la nouveaut;nous noublierons jamais ce cabinet, nest-il pas vrai? Le chteauen recle un plus charmant encore; mais on ne peut rien vousmontrer : vous tes comme un enfant qui veut toucher tout, etqui brise tout ce quil touche. Un mouvement de curiosit, quime surprit moi-mme, me fit promettre de ntre que ce que lonvoudrait. Je protestai que jtais devenu bien raisonnable. Onchangea de propos. Cette nuit, dit-elle, me paratrait complte-ment agrable, si je ne me faisais un reproche. Je suis fche,vraiment fche de ce que je vous ai dit de la Comtesse. Ce nestpas que je veuille me plaindre de vous. La nouveaut pique. Vousmavez trouve aimable, et jaime croire que vous tiez debonne foi; mais lempire de lhabitude est si long dtruire, queje sens moi-mme que je nai pas ce quil faut pour en venir bout. Jai dailleurs puis tout ce que le cur a de ressourcespour enchaner. Que pourriez-vous esprer maintenant prs demoi? Que pourriez-vous dsirer? Et que devient-on avec unefemme, sans le dsir et lesprance! Je vous ai tout prodigu : peine peut-tre me pardonnerez-vous un jour des plaisirs qui,aprs le moment de livresse, vous abandonnent la svrit desrflexions. propos, dites-moi donc, comment avez-vous trouvmon mari? Assez maussade, nest-il pas vrai? Le rgime nestpoint aimable. Je ne crois pas quil vous ait vu de sang-froid.Notre amiti lui deviendrait suspecte. Il faudra ne pas prolongerce premier voyage : il prendrait de lhumeur. Ds quil viendra dumonde (et sans doute il en viendra) Dailleurs vous avez aussivos mnagements garder Vous vous souvenez de lair deMonsieur, hier en nous quittant? Elle vit limpression queme faisaient ces dernires paroles, et ajouta tout de suite : Iltait plus gai lorsquil fit arranger avec tant de recherche lecabinet dont je vous parlais tout lheure. Ctait avant monmariage. Il tient mon appartement. Il na jamais t pour moiquun tmoignage des ressources artificielles dont M. de Tavait besoin pour fortifier son sentiment, et du peu de ressortque je donnais son me.

    Cest ainsi que par intervalle elle excitait ma curiosit sur cecabinet. Il tient votre appartement, lui dis-je; quel plaisir dy33

  • POINT DE LENDEMAIN 1812venger vos attraits offenss! de leur y restituer les vols quon leura faits! On trouva ceci dun meilleur ton. Ah! lui dis-je, sijtais choisi pour tre le hros de cette vengeance, si le got dumoment pouvait faire oublier et rparer les langueurs de lhabi-tude

    Si vous me promettiez dtre sage , dit-elle en minter-rompant.

    Il faut lavouer, je ne sentais pas toute la ferveur, toute la dvo-tion quil fallait pour visiter ce nouveau temple; mais javaisbeaucoup de curiosit : ce ntait plus Mme de T que je dsi-rais, ctait le cabinet.

    Nous tions rentrs. Les lampes des escaliers et des corridorstaient teintes; nous errions dans un ddale. La matressemme du chteau en avait oubli les issues; enfin nous arrivmes la porte de son appartement, de cet appartement qui refermaitce rduit si vant. Quallez-vous faire de moi? lui dis-je; quevoulez-vous que je devienne? me renverrez-vous seul ainsi danslobscurit? mexposerez-vous faire du bruit, nous dceler, nous trahir, vous perdre? Cette raison lui parut sans rplique. Vous me promettez donc

    Tout tout au monde. On reut mon serment. Nous ouvrmes doucement la porte :

    nous trouvmes deux femmes endormies; lune jeune, lautreplus ge. Cette dernire tait celle de confiance, ce fut ellequon veilla. On lui parla loreille. Bientt je la vis sortir parune porte secrte, artistement fabrique dans un lambris de laboiserie. Joffris de remplir loffice de la femme qui dormait. Onaccepta mes services, on se dbarrassa de tout ornementsuperflu. Un simple ruban retenait tous les cheveux, qui schap-paient en boucles flottantes; on y ajouta seulement une rose quejavais cueillie dans le jardin, et que je tenais encore par distrac-tion : une robe ouverte remplaa tous les autres ajustements. Ilny avait pas un nud toute cette parure; je trouvai madame deT plus belle que jamais. Un peu de fatigue avait appesanti sespaupires, et donnait ses regards une langueur plus intres-sante, une expression plus douce. Le coloris de ses lvres, plus vifque de coutume, relevait lmail de ses dents, et rendait son sou-rire plus voluptueux; des rougeurs parses et l relevaient lablancheur de son teint et en attestaient la finesse. Ces traces du34

  • VIVANT DENONplaisir men rappelaient la jouissance. Enfin elle me parut plussduisante encore que mon imagination ne se ltait peinte dansnos plus doux moments. Le lambris souvrit de nouveau, et ladiscrte confidente disparut.

    Prs dentrer, on marrta : Souvenez-vous, me dit-on grave-ment, que vous serez cens navoir jamais vu, ni mme soup-onn lasile o vous allez tre introduit. Point dtourderie; jesuis tranquille sur le reste. La discrtion est la premire desvertus; on lui doit bien des instants de bonheur.

    Tout cela avait lair dune initiation. On me fit traverser unpetit corridor obscur, en me conduisant par la main. Mon curpalpitait comme celui dun jeune proslyte que lon prouveavant la clbration des grands mystres Mais votre Com-tesse , me dit-elle en sarrtant Jallais rpliquer; les portessouvrirent : ladmiration intercepta ma rponse. Je fus tonn,ravi, je ne sais plus ce que je devins, et je commenai de bonnefoi croire lenchantement. La porte se referma, et je ne distin-guai plus par o jtais entr. Je ne vis plus quun bosquet arienqui, sans issue, semblait ne tenir et ne porter sur rien; enfin je metrouvai dans une vaste cage de glaces, sur lesquelles les objetstaient si artistement peints que, rpts, ils produisaient lillu-sion de tout ce quils reprsentaient. On ne voyait intrieurementaucune lumire; une lueur douce et cleste pntrait, selon lebesoin que chaque objet avait dtre plus ou moins aperu; descassolettes exhalaient de dlicieux parfums; des chiffres et destrophes drobaient aux yeux la flamme des lampes qui clai-raient dune manire magique ce lieu de dlices. Le ct par onous entrmes reprsentait des portiques en treillage orns defleurs, et des berceaux dans chaque enfoncement; dun autrect, on voyait la statue de lAmour distribuant des couronnes;devant cette statue tait un autel, sur lequel brillait une flamme;au bas de cet autel taient une coupe, des couronnes, et desguirlandes; un temple dune architecture lgre achevait dornerce ct : vis--vis tait une grotte sombre; le dieu du mystreveillait lentre : le parquet, couvert dun tapis pluch, imitait legazon. Au plafond, des gnies suspendaient des guirlandes; et duct qui rpondait aux portiques tait un dais sous lequel saccu-mulait une quantit de carreaux avec un baldaquin soutenu pardes amours.35

  • POINT DE LENDEMAIN 1812Ce fut l que la reine de ce lieu alla se jeter nonchalamment. Jetombai ses pieds; elle se pencha vers moi, elle me tendit lesbras, et dans linstant, grce ce groupe rpt dans tous sesaspects, je vis cette le toute peuple damants heureux.

    Les dsirs se reproduisent par leurs images. Laisserez-vous,lui dis-je, ma tte sans couronne? si prs du trne, pourrai-jeprouver des rigueurs? pourriez-vous y prononcer un refus?

    Et vos serments? me rpondit-elle en se levant. Jtais un mortel quand je les fis, vous mavez fait un dieu :

    vous adorer, voil mon seul serment. Venez, me dit-elle, lombre du mystre doit cacher ma

    faiblesse, venez En mme temps elle sapprocha de la grotte. peine en

    avions-nous franchi lentre, que je ne sais quel ressort, adroite-ment mnag, nous entrana. Ports par le mme mouvement,nous tombmes mollement renverss sur un monceau de cous-sins. Lobscurit rgnait avec le silence dans ce nouveau sanc-tuaire. Nos soupirs nous tinrent lieu de langage. Plus tendres,plus multiplis, plus ardents, ils taient les interprtes de nos sen-sations, ils en marquaient les degrs; et le dernier de tous,quelque temps suspendu, nous avertit que nous devions rendregrce lAmour. Elle prit une couronne quelle posa sur ma tte,et soulevant peine ses beaux yeux humides de volupt, elle medit : Eh bien! aimerez-vous jamais la Comtesse autant quemoi? Jallais rpondre lorsque la confidente, en entrant prci-pitamment, me dit : Sortez bien vite, il fait grand jour, onentend dj du bruit dans le chteau.

    Tout svanouit avec la mme rapidit que le rveil dtruit unsonge, et je me trouvai dans le corridor avant davoir pureprendre mes sens. Je voulais regagner mon appartement; maiso laller chercher? Toute information me dnonait, toutemprise tait une indiscrtion. Le parti le plus prudent me parutde descendre dans le jardin, o je rsolus de rester jusqu ce queje pusse rentrer avec vraisemblance dune promenade du matin.

    La fracheur et lair pur de ce moment calmrent par degrsmon imagination et en chassrent le merveilleux. Au lieu dunenature enchante, je ne vis quune nature nave. Je sentais lavrit rentrer dans mon me, mes penses natre sans trouble etse suivre avec ordre; je respirais enfin. Je neus rien de plus36

  • VIVANT DENONpress alors que de me demander si jtais lamant de celle que jevenais de quitter, et je fus bien surpris de ne savoir que merpondre. Qui met dit hier lOpra que je pourrais me faireune telle question? moi qui croyais savoir quelle aimait perdu-ment, et depuis deux ans, le Marquis de, moi qui me croyaistellement pris de la Comtesse, quil devait mtre impossible delui devenir infidle! Quoi! hier! Mme de T Est-il bien vrai?aurait-elle rompu avec le Marquis? ma-t-elle pris pour lui suc-cder, ou seulement pour le punir? Quelle aventure! quelle nuit!Je ne savais si je ne rvais pas encore; je doutais, puis jtais per-suad, convaincu, et puis je ne croyais plus rien. Tandis que jeflottais dans ces incertitudes, jentendis du bruit prs de moi : jelevai les yeux, me les frottai, je ne pouvais croire ctaitqui? le Marquis. Tu ne mattendais pas si matin, nest-il pasvrai? Eh bien! comment cela sest-il pass?

    Tu savais donc que jtais ici? lui demandai-je. Oui, vraiment : on me le fit dire hier au moment de votre

    dpart. As-tu bien jou ton personnage? le mari a-t-il trouv tonarrive bien ridicule? quand te renvoie-t-on? Jai pourvu tout;je tamne une bonne chaise qui sera tes ordres : cest chargedautant. Il fallait un cuyer Mme de T, tu lui en as servi, tulas amuse sur la route; cest tout ce quelle voulait; et ma recon-naissance

    Oh! non, non, je sers avec gnrosit; et dans cette occa-sion, Mme de T pourrait te dire que jy ai mis un zle au-dessusdes pouvoirs de la reconnaissance.

    Il venait de dbrouiller le mystre de la veille, et de me donnerla clef du reste. Je sentis dans linstant mon nouveau rle.Chaque mot tait en situation. Pourquoi venir sitt? dis-je. Ilme semble quil et t plus prudent

    Tout est prvu; cest le hasard qui semble me conduire ici :je suis cens revenir dune campagne voisine. Mme de T ne tadonc pas mis au fait? Je lui veux du mal de ce dfaut deconfiance, aprs ce que tu faisais pour nous.

    Elle avait sans doute ses raisons; et peut-tre si elle etparl naurais-je pas si bien jou mon personnage.

    Cela, mon cher, a donc t bien plaisant? Conte-moi lesdtails conte donc.37

  • POINT DE LENDEMAIN 1812 Ah! Un moment. Je ne savais pas que tout ceci tait unecomdie; et, bien que je sois pour quelque chose dans la pice

    Tu navais pas le beau rle. Va, va, rassure-toi; il ny a point de mauvais rle pour de

    bons acteurs. Jentends; tu ten es bien tir. Merveilleusement. Et Mme de T? Sublime. Elle a tous les genres. Conois-tu quon ait pu fixer cette femme-l? Cela ma

    donn de la peine; mais jai amen son caractre au point quecest peut-tre la femme de Paris sur la fidlit de laquelle il y a leplus compter.

    Fort bien! Cest mon talent, moi : toute son inconstance ntait que

    frivolit, drglement dimagination : il fallait semparer de cetteme-l.

    Cest le bon parti. Nest-il pas vrai? Tu nas pas dide de son attachement

    pour moi. Au fait, elle est charmante; tu en conviendras. Entrenous, je ne lui connais quun dfaut; cest que la nature, en luidonnant tout, lui a refus cette flamme divine qui met le comble tous ses bienfaits. Elle fait tout natre, tout sentir, et ellenprouve rien : cest un marbre.

    Il faut ten croire, car moi, je ne puis Mais sais-tu que tuconnais cette femme-l comme si tu tais son mari : vraiment,cest sy tromper; et si je neusse pas soup hier avec le vri-table

    propos, a-t-il t bien bon? Jamais on na t plus mari que cela. Oh! la bonne aventure! Mais tu nen ris pas assez, mon

    gr. Tu ne sens donc pas tout le comique de ton rle? Conviensque le thtre du monde offre des choses bien tranges; quil sypasse des scnes bien divertissantes. Rentrons; jai de limpa-tience den rire avec Mme de T Il doit faire jour chez elle. Jaidit que jarriverais de bonne heure. Dcemment il faudrait com-mencer par le mari. Viens chez toi, je veux remettre un peu depoudre. On ta donc bien pris pour un amant?38

  • VIVANT DENON Tu jugeras de mes succs par la rception quon va mefaire. Il est neuf heures : allons de ce pas chez Monsieur. Jevoulais viter mon appartement, et pour cause. Chemin faisant,le hasard my amena : la porte, reste ouverte, nous laissa voirmon valet de chambre qui dormait dans un fauteuil; une bougieexpirait prs de lui. En sveillant au bruit, il prsenta tourdi-ment ma robe de chambre au Marquis, en lui faisant quelquesreproches sur lheure laquelle il rentrait. Jtais sur les pines;mais le Marquis tait si dispos sabuser, quil ne vit rien en luiquun rveur qui lui apprtait rire. Je donnai mes ordres pourmon dpart mon homme, qui ne savait ce que tout cela voulaitdire, et nous passmes chez Monsieur. On simagine bien qui futaccueilli : ce ne fut pas moi; ctait dans lordre. On fit mon amiles plus grandes instances pour sarrter. On voulut le conduirechez Madame, dans lesprance quelle le dterminerait. Quant moi, on nosait, disait-on, me faire la mme proposition, car onme trouvait trop abattu pour douter que lair du pays ne me ftpas vraiment funeste. En consquence, on me conseilla de rega-gner la ville. Le Marquis moffrit sa chaise; je lacceptai. Toutallait merveille, et nous tions tous contents. Je voulais cepen-dant voir encore Mme de T : ctait une jouissance que je nepouvais me refuser. Mon impatience tait partage par mon ami,qui ne concevait rien ce sommeil, et qui tait bien loin denpntrer la cause. Il me dit en sortant de chez M. de T : Celanest-il pas admirable? Quand on lui aurait communiqu sesrpliques, aurait-il pu mieux dire? Au vrai, cest un fort galanthomme; et, tout bien considr, je suis trs aise de ce raccommo-dement. Cela fera une bonne maison; et tu conviendras que,pour en faire les honneurs, il ne pouvait mieux choisir que safemme. Personne ntait plus que moi pntr de cette vrit. Quelque plaisant que soit cela, mon cher, motus ; le mystredevient plus essentiel que jamais. Je saurai faire entendre Mme de T que son secret ne saurait tre en de meilleuresmains.

    Crois, mon ami, quelle compte sur moi; et tu le vois, sonsommeil nen est point troubl.

    Oh! il faut convenir que tu nas pas ton second pourendormir une femme.39

  • POINT DE LENDEMAIN 1812 Et un mari, mon cher, un amant mme au besoin. Onavertit enfin quon pouvait entrer chez Mme de T : nous nous yrendmes.

    Je vous annonce, Madame, dit en entrant notre causeur, vosdeux meilleurs amis.

    Je tremblais, me dit Mme de T, que vous ne fussiez partiavant mon rveil, et je vous sais gr davoir senti le chagrin quecela maurait donn. Elle nous examinait lun et lautre; maiselle fut bientt rassure par la scurit du Marquis, qui continuade me plaisanter. Elle en rit avec moi autant quil le fallait pourme consoler, et sans se dgrader mes yeux. Elle adressa lautredes propos tendres, moi dhonntes et dcents ; badina, et neplaisanta point. Madame, dit le Marquis, il a fini son rle aussibien quil lavait commenc. Elle rpondit gravement : Jtaissre du succs de tous ceux que lon confierait Monsieur. Illui raconta ce qui venait de se passer chez son mari. Elle meregarda, mapprouva, et ne rit point. Pour moi, dit le Marquis,qui avait jur de ne plus finir, je suis enchant de tout ceci : cestun ami que nous nous sommes fait, Madame. Je te le rpteencore, notre reconnaissance

    Eh! Monsieur, dit Mme de T, brisons l-dessus, et croyezque je sens tout ce que je dois Monsieur.

    On annona M. de T, et nous nous trouvmes tous en situa-tion. M. de T mavait persifl et me renvoyait, mon ami ledupait et se moquait de moi; je le lui rendais, tout en admirantMme de T, qui nous jouait tous, sans rien perdre de la dignitde son caractre.

    Aprs avoir joui quelques instants de cette scne, je sentis quecelui de mon dpart tait arriv. Je me retirais, Mme de T mesuivit, feignant de vouloir me donner une commission. Adieu,Monsieur; je vous dois bien des plaisirs; mais je vous ai pay dunbeau rve. Dans ce moment, votre amour vous rappelle; celle quien est lobjet en est digne. Si je lui ai drob quelques transports,je vous rends elle, plus tendre, plus dlicat, et plus sensible.

    Adieu, encore une fois. Vous tes charmant Ne mebrouillez pas avec la Comtesse. Elle me serra la main, et mequitta.

    Je montai dans la voiture qui mattendait. Je cherchai bien lamorale de toute cette aventure, et je nen trouvai point.40

  • Point de lendemain 1777 & 1812

    Les ditions du Boucher vous proposent une dition comparedes versions de 1777 & 1812 dans laquelle sont reportes par unjeu de couleurs les principales modifications apportes parDominique Vivant Denon son texte dorigine.

    Afin de reprer plus facilement ses corrections, nous avonssignal : ldition de 1777 en gris (texte barr); celle de 1812 en rouge (texte soulign); & le texte commun aux deux versions en noir.

  • POINT DE LENDEMAIN 1777 & 1812Point de lendemain

    La Comtesse de *** me prit sans maimer, continua Damon :elle me trompa. Je me fchai, elle me quitta : cela tait danslordre. Je laimais alors, et, pour me venger mieux, jeus lecaprice de la ravoir, quand, mon tour, je ne laimai plus. Jyrussis, et lui tournai la tte : cest ce que je demandais. Elle taitamie de Mme de T qui me lorgnait depuis quelque temps, etsemblait avoir de grands desseins sur ma personne. Elle y mettaitde la suite, se trouvait partout o jtais, et menaait de maimer la folie, sans cependant que cela prt sur sa dignit et sur songot pour les dcences; car, comme on le verra, elle y tait scru-puleusement attache.

    La lettre tue, et lesprit vivifie.E.U.S.P.

    Jaimais perdument la Comtesse de ; javais vingt ans, etjtais ingnu; elle me trompa, je me fchai, elle me quitta. Jtaisingnu, je la regrettai; javais vingt ans, elle me pardonna : etcomme javais vingt ans, que jtais ingnu, toujours tromp,mais plus quitt, je me croyais lamant le mieux aim, partant leplus heureux des hommes. Elle tait amie de Mme de T, quisemblait avoir quelques projets sur ma personne, mais sans quesa dignit ft compromise. Comme on le verra, Mme de T avaitdes principes de dcence auxquels elle tait scrupuleusementattache.42

  • VIVANT DENONUn jour que jallais attendre la Comtesse dans sa loge lOpra, jarrivai de si bonne heure, que jen avais honte : onnavait pas commenc. peine entrais-jeloge, je mentendsappeler de la loge d ctvoisine. Ntait-ce pas encore ladcente Mme de T? Quoi! dj, ? me dit-on, quel . Queldsuvrement! Venez donc prs de moi. Jtais loin demattendre tout ce que cette rencontre allait avoir de roma-nesque et dextraordinaire. On va vite avec limagination desfemmes; et dans ce moment, moment celle de Mme de T futsingulirement inspire. Il faut, me dit-elle, que je vous sauvedu le ridicule dune pareille solitude; puisque vous voil, il fautlLide est excellente; et, puisque vous voil, rien de plus simpleque den passer ma fantaisie. Il semble quune main divine vousait conduit ici. Auriez-vous par hasard des projets pour ce soir?Ils seraient vains, je vous en avertis : je vous enlve. Laissez-vousconduire, ; point de questionquestions, point de rsistanceAbandonnez-vous la Providence; appelez mes gens. Vous tesun homme unique, dlicieuxcharmant. Je me prosterne Onon me presse de descendre, jobis. Jappelle, on arrive. Allezchez Monsieur, dit-on un domestique; , avertissez quil ne ren-trera point pas ce soir Puis on lui parle loreille, et on lecongdie. Je veux hasarder quelques mots; , lopra commence,on me fait taire : on coute, ou lon fait semblant dcouter. peine le premier acte est-il fini, quon apporte que le mmedomestique rapporte un billet Mme de T , en lui disant quetout est prt. Elle sourit, me demande la main, descend, me faitentrer dans sa voiture, donne ses ordres, et je suis dj hors de laville, ville avant davoir pu minformer de ce quon voulait fairede moi.

    Chaque fois que je hasardais une question, on rpondait parun clat de rire. Si je navais bien su quelle tait femme grandepassiongrandes passions, et que dans linstant mme elle avaitune inclination bien reconnueinclination, inclination dont elle nepouvait ignorer que je fusse instruit, jaurais t tent de mecroire en bonne fortune : elle tait . Elle connaissait galementinstruite de la situation de mon cur; , car la Comtesse de tait, comme je lai dj dit, lamie intime de Mme de T Je medfendis donc toute ide prsomptueuse, et jattendis les vne-ments. Nous relaymes relaymes, et repartmes comme lclair.43

  • POINT DE LENDEMAIN 1777 & 1812Cela commenait me paratre plus srieux. Je demandai avecplus dinstance jusquo me mnerait cette plaisanterie. Ellevous mnera dans un trs beau sjour; mais devinez o : oh! jevous le donne en mille Chez chez mon mari. Le connaissez-vous?

    Pas du tout. Eh bien, moi, je le connais un peu; et je Je crois que vous

    en serez content : on nous rconcilie. Il y a six mois que celasarrangese ngocie, et il y en a un que nous nous crivons. Il est,je pense, assez galant moi daller le trouver.

    Oui; : mais, sil vous plat, que ferai-je l, moi? quoipuis-je y tre bon?

    Ce sont mes affaires. Jai craint lennui dun tte--tte;vous tes aimable, et je suis bien aise de vous avoir.

    Prendre le jour dun raccommodement pour me prsenter!, cela me parat bizarre. Vous me feriez croire que je suis sansconsquence, si vingt-cinq ans on pouvait ltre. Ajoutez celalair dembarras quon apporte une premire entrevue. Envrit, je ne vois rien de plaisant pour tous les trois dans ladmarche o que vous vous engagezallez faire.

    Ah, ! point de morale, je vous en conjure; vous manquezlobjet de votre emploi. Il faut mamuser, me distraire, et non meprcher.

    Je la vis si dcide, que je pris le parti de ltre tout au moinsautant quelle. Je me mis rire de mon personnage. Nous , etnous devnmes trs gais, et je finis par trouver quelle avaitraison.

    Nous avions chang une seconde fois de chevaux. Le flam-beau mystrieux de la nuit clairait un ciel pur det rpandait undemi-jour trs voluptueux. Nous approchions du lieu o allaitfinir le tte--tte. On me faisait, par intervalles, admirer labeaut du paysage, le calme de la nuit, le silence touchant de lanature. Pour admirer ensemble, comme de raison, nous nouspenchions la mme portire; le mouvement de la voiture faisaitque le visage de Mme de T et le mien sentretouchaient. Dansun choc imprvu, elle me serra la main; et moi, par le plus grandhasard du monde, je la retins entre mes bras. Dans cette attitude,je ne sais ce que nous cherchions voir. Ce quil y a de sr, cestque les objets commenaient se brouiller brouillaient mes44

  • VIVANT DENONyeux, lorsquon se dbarrassa de moi brusquement, et quon serejeta au fond du carrosse. Votre projet, dit-elle, on aprs unerverie assez profonde, est-il de me convaincre de limprudencede ma dmarche? Je fus embarrass de la question. Des pro-jets avec vous quelle duperie! Vous vous les verriez venir detrop loin : mais un hasard, une surprise cela se pardonne.

    Vous avez compt l-dessus, ce quil me semble?. Nous en tions l sans presque nous apercevoir que nous

    entrions dans lavant-cour du chteau. Tout tait clair, toutannonait la joie, except la figure du matre, qui tait rtive lexprimer. Un air languissant ne montrait en lui le besoin dunerconciliation que pour des raisons de famille. La biensancelamena amne cependant M. de T jusqu la portire. On meprsente, il offre la main, et je suis, en rvant mon personnagepersonnage, pass, prsent, prsent et venir. Je parcours dessalons dcors avec autant de got que de magnificence; , car lematre de la maison raffinait sur toutes les recherches de luxe. Ilstudiait ranimer les ressources dun physique teint, teintpar des images de volupt. Ne sachant que dire, je me sauvai parladmiration. La desse sempresse de faire les honneurs dutemple, et den recevoir les compliments. Vous ne voyez rien,me dit-elle, ; il faut que je vous mne lappartement de Mon-sieur.

    Eh! Madame, il y a cinq ans que je lai fait dfairedmolir. Ah! ah! dit-elle, en songeant autre chose.Je pensai clater de rire, en la voyant si bien au courant de ce

    qui se passait chez elle. souper, ne voil-t-il pas quelle saviseencore doffrir Monsieur du veau de rivire, et que Monsieurlui rpond : Madame, il y a trois ans que je suis au lait.

    Ah! ah! rponditdit-elle encore.Quon se peigne une conversation entre trois tres, tres si

    tonns de se trouver ensemble!Le souper finit. Jimaginais que nous nous coucherions de

    bonne heure; mais je nimaginais bien que pour le mari. Enrentrant entrant dans le salon : Je vous sais gr, Madame, dit-il,de la prcaution que vous avez eue damener Monsieur. Vousavez jug que jtais de mchante ressource pour la veille, etvous avez bien jug; , car je me retire. Puis, se tournant de monct, il ajouta dun air assez ironique : Monsieur voudra bien45