plaintes et admissibilité devant la cour africaine : la fidh publie un guide pratique

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    Plainteset admissibilitdevant la Cour africaine

    GUIDE PRATIQUE

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    Plainteset admissibilitdevant la Cour africaineGUIDE PRATIQUE

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    4/ FIDH GUIDE PRATIQUE

    PRFACE 5INTRODUCTION 7

    I. LES CONDITIONS DE RECEVABILIT 17

    1 ARTICLE 56(1) : LES AUTEURS DE LA PLAINTE ET LEURSREPRSENTANTS 18

    2. ARTICLE 56(2) : JURIDICTION: COMPATIBILIT AVEC LACTECONSTITUTIF DE LUNION AFRICAINE ET LA CHARTE AFRICAINEDES DROITS DE LHOMMEET DES PEUPLES 21

    3. ARTICLE 56(3) : LANGAGE : PAS DE TERMES OUTRAGEANTS

    OU INSULTANTS LGARD DE LTAT, SES INSTITUTIONSOU LUNION AFRICAINE 25

    4. ARTICLE 56(4) : LMENTS DE PREUVE : NE PAS SAPPUYEREXCLUSIVEMENT SUR DES INFORMATIONS DIFFUSES PARLES MDIAS 26

    5. ARTICLE 56(6) : TEMPORALIT : DLAI RAISONNABLE COMPTER DE LPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNESOU DE LA SAISIE DE LA COMMISSION 27

    6. ARTICLE 56(7) : VITER LES CONFLITS DE RGLEMENT :

    PAS DAFFAIRES DJ RGLES AU SEIN DES TATSINCRIMINS 29

    II. LA CONDITION DE LPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNESARTICLE 56(5) 33

    A. LMENTS DE BASE DE LA RGLE 34

    B. PUISER LES RECOURS INTERNES 36

    C. EXCEPTIONS LA RGLE DE LPUISEMENT DES VOIES DERECOURS INTERNES 45

    III. AUTRES POINTS 69

    A. MESURES PROVISOIRES 70

    B. RINTRODUCTION DUNE REQUTE 72

    IV. RETENIR : LES QUESTIONS ESSENTIELLES 75

    CONCLUSION 80

    En couverture : Sige de la Cour africaine des droits de lHomme et des Peuples,Arusha, Tanzanie, juin 2016

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    PRFACE

    Dix ans aprs son entre en fonction, le rle de la Cour africaine des droits delHomme et des peuples dans la promotion et la protection des droits humainssur le continent safrme et grandit. 30 tats ont dsormais rati le Protocoletablissant la Cour africaine, soit une majorit de pays africains reconnaissantainsi lautorit de lorgane juridictionnel dans linterprtation et le contrle dela mise en uvre de la Charte africaine des droits de lHomme et des peuples.

    ce jour, nous comptons prs dune centaine de plaintes reues par la Courafricaine et une trentaine de jugements rendus. La Cour a montr sessionaprs session son indpendance et son impartialit, travers sa capacit

    sanctionner la responsabilit des tats violant leurs obligations internationales.

    Considrant comme priorits la lutte contre limpunit et le respect incondition-nel des droits humains, la FIDH et ses organisations membres ont soutenu lamise en place et ont accompagn les premiers pas de la Cour africaine. Cettejeune institution, porteuse despoir sur un continent avide de justice, constitueun dveloppement majeur du systme rgional des droits humains.

    La Cour est bien sr en premier lieu destine aux populations, an que chacun

    puisse jouir de son droit la vie, son droit de sexprimer et de se runir, sondroit la vrit et la justice, son droit lducation, son droit la sant, sondroit un niveau de vie sufsant dans un environnement sain, et autres droitsreconnus par le droit international. Cest pourquoi il est essentiel que chaquecitoyen du continent ait la possibilit et les moyens de saisir la Cour lorsqueses droits sont bafous.

    lheure o lAfrique connat encore de nombreux conflits et des crises notam-ment lies aux situations lectorales, et se bat contre des mouvements ter-

    roristes sans prcdent, il est fondamental de placer le respect des droitshumains au cur des proccupations des tats. La Cour africaine, en cesens, est un acteur incontournable de la protection des droits noncs dansla Charte africaine.

    Pourtant, aujourdhui, la majorit des affaires portes devant la Cour sontrejetes avant mme que les allgations de violations soient examines. Celarsulte principalement de la complexit de la procdure, et en particulier desconditions de recevabilit et dadmissibilit des plaintes, ce qui prsente unobstacle ce que cette Cour devienne vritablement accessible par tous.

    PLAINTES ET ADMISSIBILIT DEVANT LA COUR AFRICAINE FIDH / 5

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    Ce guide vise remdier cette difcult en fournissant les cls de com-prhension des rgles et de la jurisprudence de la Cour et de la Commissionafricaines en matire dadmissibilit des plaintes, an dacqurir les outilsncessaires pour savoir quand et comment une plainte peut tre introduiteauprs de la Cour africaine. Cest un outil pratique destination des avocats

    et dfenseurs accompagnant les victimes dans leur qute de justice et derparations, lorsque les moyens de recours au niveau national sont puisset nont pas donn satisfaction.

    Enn, ce guide a galement pour ambition de contribuer faire connatre laCour auprs des praticiens du droit en Afrique, pour quils puissent participer la campagne pour la ratication du Protocole par tous les tats membresde lUnion africaine, ainsi quils acceptent la saisine directe de la Cour parles individus et ONGs en faisant une dclaration dautorisation en vertu delarticle 34-6 du Protocole ce jour, seuls 8 tats ont fait une telle dclaration.

    En cette anne dclare anne des droits humains par lUnion africaine, lesystme judiciaire rgional cr pour rendre effectifs les droits garantis parla Charte africaine des droits de lHomme et des peuples doit plus que jamaistre soutenu par les tats et tre accessible toutes les Africaines et tousles Africains.

    Karim LahidjiPrsident de la FIDH

    6/ FIDH GUIDE PRATIQUE

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    INTRODUCTION

    Le contentieux supranational en matire de droits de lHomme : une incitation la rparation des violations

    La possibilit de contentieux au niveau supranational peut jouer un rle cldans lavance du respect des droits de lHomme. Le fait quun tat puissetre traduit en justice devant une instance supranationale pour des faitsde violations des droits de lHomme commis sur son territoire nationalreprsente un levier pour inciter les mcanismes juridictionnels nationaux, agir pour rparer les violations en question, en amont de lengagement deprocdures supranationales. Lorsque des contentieux supranationaux sont

    engags, ils peuvent devenir de puissants moyens dattirer lattention et defaire pression sur les tats, an quils engagent des rformes et agissent pourla rparation des violations des droits humains. Lorsquune dcision statuantsur la responsabilit dun tat est rendue, celle-ci peut permettre dtablirun processus par tapes, dans lequel ltat doit sengager pour rparer lesviolations identies. Une telle dcision peut galement servir, par la suite, faire pression pour que des rformes complmentaires soient mises enuvre. Enn, ces dcisions positives peuvent permettre de renforcer lajurisprudence du mcanisme africain des droits humains dans son ensemble,

    crant des normes applicables sur tout le continent.

    La Commission africaine des droits de lHomme et des Peuples et la Courafricaine des droits de lHomme et des Peuples sont au cur de cettepossibilit de recours supranationaux en Afrique. Ces deux grandes etremarquables instances sont les pierres angulaires des progrs en matirede droits humains, et des vecteurs de la puissance des valeurs que vhiculentles droits humains en Afrique. Ces deux organes ont pris des positions fortesen faveur dun large ventail de droits, travaillant par l au dveloppement des

    normes en matire de droits humains et uvrant pour garantir un meilleurrespect des droits de lHomme sur le continent africain.

    Il reste nanmoins beaucoup faire, tant pour dvelopper des cadres plusclairs, complets et prcis en matire de droits de lHomme, que pour garantirleffectivit relle des droits. Pour atteindre ces objectifs, il est ncessaire quede nombreux plaignants introduisent des requtes. Ce type de requtes renforceles mcanismes de protection des droits humains sur le long terme, commeon a pu le constater avec les systmes interamricain et europen. Saisir cesmcanismes ne constitue pas uniquement, pour les avocats et dfenseurs, unmoyen de pression supplmentaire sur les affaires quils portent, mais aussi

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    une possibilit de renforcer le mcanisme de protection et de garantie des droitshumains dans lequel ils sont engags, permettant ainsi toutes les personnesconcernes de bncier dune meilleure protection dans lavenir.

    La recevabilit : une tape importante / essentielle

    Dans le cas dune saisine de la Commission comme de la Cour, une des phasescruciales du processus est celle de la recevabilit de la requte dpose.De fait, cette tape de la recevabilit peut constituer le principal obstacle une dcision de linstance saisie dinstruire la plainte, car de nombreusesaffaires sont classes sans suite chaque anne, et encore davantage nesont mme pas portes la connaissance des instances judiciaires dansla crainte de ne pouvoir remplir les conditions de recevabilit. Du fait dunelecture restrictive par la Commission de la recevabilit, dautres facteurs

    sont responsables dune moindre utilisation du contentieux supranationalen matire de droits de lHomme en Afrique, parmi lesquels une carencedinformation et de connaissance des instruments existants, un manquede capacit et dexpertise juridique, lisolation et la distance gographique,les freins linguistiques, de faibles ressources nancires, et bien entendules nombreux obstacles rigs par des rgimes hostiles la protection desdroits, ainsi que des mcanismes de recours internes inadapts.

    Malgr les lourdeurs quelle comporte, cette phase de la recevabilit savre

    essentielle, de nombreux gards. Elle garantit dabord que lorganesupranational saisi est comptent. Pour ce faire, elle comporte une phasedexamen prliminaire, incluant les auditions des parties, un examen primafaciedes principaux critres tablis tels que la compatibilit avec la Charte,des preuves recevables, le choix de la juridiction comptente, ainsi quelpuisement des voies de recours internes et la vrication de lautorit dela chose juge.

    Limportance de ltape de la recevabilit est immdiatement vidente : tre

    dbout au stade de la recevabilit condamne laffaire en rester l. Aucunepossibilit de demander un examen sur le fond, cest--dire datteindreltape laquelle la pression est accrue et qui permet que la requte soitdclare recevable, tape laquelle il devient donc possible dmettre unavis positif sur le fond1. En revanche, passer ltape de la recevabilit garantitque la requte sera instruite, intensiant la pression sur ltat concern etconrmant que les lments qui sous-tendent la violation dnonce pourronttre traits. Qui plus est, passer cette tape de la recevabilit permet dj

    1. Si laffaire est dboute parce que les voies de recours internes nont pas t puises, ou parce

    que le dossier manque dlments, la plainte peut tre nouveau dpose aprs avoir engag lesdmarches ncessaires permettant de remdier aux raisons de son rejet.

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    didentier certaines violations, notamment lorsque la recevabilit est fondesur une exception la rgle de lpuisement des recours internes, soulignantpar l lexistence dun mcanisme de recours insufsant au niveau national ;et donne a priori une indication positive sur lissue de linstruction.

    Lexigence dpuisement des recours internes : important / essentiel

    Lexigence davoir au pralable puis les voies de recours au niveaunational est un lment central de la phase de recevabilit des requtes,et savre llment le plus exigeant et complexe dans la russite de cettetape. Lpuisement des voies de recours internes est un des lmentsles plus exigeants du contentieux supranational en Afrique, parce quil estparticulirement rare de pouvoir afrmer clairement que les voies de recoursinternes ont vritablement pu tre puises, de telle sorte que des exceptions

    une ou plusieurs conditions de lpuisement sont souvent fondes. Bien quele mcanisme des droits humains en Afrique ait jou un rle majeur, aux ctsdautres mcanismes darbitrage supranationaux, pour dvelopper et afnerles normes permettant de xer les fondements des exceptions la rgle delpuisement, ces normes demeurent dans bien des domaines peu lisibles,rendant complexes, incertains et contestables les arguments permettant deconrmer lpuisement des recours internes.

    Malgr les complexits quelle engendre et les ds poss, lexigence

    dpuisement des voies de recours internes joue un rle cl dans la structuredes arbitrages supranationaux des droits humains. Cette exigence garantit queles mcanismes nationaux demeurent prioritaires, orientant les dfenseursen premier lieu vers les mcanismes nationaux dans leurs dmarches pourobtenir rparation. Lorsquelle est bien mene, ltape de recevabilit permetaussi de promouvoir des rformes des mcanismes judicaires nationaux,en mettant en lumire leurs failles et en faisant pression pour quils soientamliors.

    La possibilit de conrmer un puisement effectif des voies de recours internesse situant la jonction entre le niveau national et le niveau supranational,cette conrmation en devient particulirement dlicate. Cette situation peutpousser exercer une forte pression pour que des affaires soient dboutesdes instances internationales, ce stade. Bien quaucune affaire ayant dfaire face des obstacles au cours des saisines des juridictions nationalesne puisse thoriquement tre dboute des instances internationales, dansles faits, elles sont nombreuses ltre. Il est donc particulirement importantde pouvoir sappuyer sur des arguments juridiques solides ce stade, an dedonner le plus de chances possibles une requte pour quelle soit dclarerecevable.

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    10 / FIDH GUIDE PRATIQUE

    Pourquoi ce guide ?

    En premier lieu, et prioritairement, ce guide vise fournir aux plaignants deslments dinformations sur les processus et des arguments ncessairespour introduire une requte devant les instances africaines comptentes

    en matire de droits de lHomme. Lobjectif est daider les requrants comprendre comment parvenir remplir les conditions de recevabilit dansleur ensemble, et en particulier lexigence dpuisement des voies internes,an de rendre les organes supranationaux africains plus accessibles.

    En outre, et tel que soulign plus haut, les questions de la recevabilit sontpar de nombreux aspects complexes et charges dincertitude quant leurissue. Ainsi, ce guide vise clarier, autant que faire se peut, les processuscontentieux, en se fondant non seulement sur la jurisprudence du systmeafricain, mais galement sur celles dautres organes comptents en matire

    de droits de lHomme, organes sur lesquels la Commission et la Courafricaines se penchent constamment an dincorporer les jurisprudencesquils produisent dans leurs propres jugements. tant donn la complexitjuridique des cas dexception lpuisement des voies de recours internes,souvent prsents dans les requtes portes devant la Cour et la Commission,ce guide vise catgoriser et dcrire de manire trs prcise les fondementspossibles dexception, an den clarier les principes. Nanmoins, lesrequrants doivent garder lesprit que peu de garanties peuvent trefournies dans ce domaine tant que la jurisprudence et la pratique nauront

    pas t sufsamment et substantiellement prcises.

    Ce guide est donc conu comme une petite pierre ldice pour parvenir une utilisation des mcanismes rgionaux des droits humains africains plusfrquente, plus pertinente et de plus haute qualit. Ce, dans lespoir que ceguide pourra, sa petite chelle, contribuer renforcer le mcanisme rgionaldes droits humains et, par l, le respect des droits sur tout le continent.

    Pour qui ?

    Ce guide sadresse avant tout aux victimes de violations des droits delHomme, aux dfenseurs et aux groupes de la socit civile qui souhaiteraientintroduire des requtes devant les mcanismes de droits humains en Afrique.Mme avec laide de ce guide, ltape de la recevabilit peut demeurer ardue.Nous esprons toutefois que ce guide pourra apporter des lignes directricesutiles pour attnuer la complexit des processus. De multiples violationsdes droits humains sont bien sr commises sur le continent africain. Maisce continent compte galement dinnombrables dfenseurs des droits quitravaillent sans relche pour rformer les mcanismes existants et pour

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    demander rparation des situations de violations des droits. Lobjectif dece guide est daider et dencourager encore davantage de dfenseurs pourquils dposent des requtes au niveau supranational lavenir, en leuroffrant un nouveau champ possible de contentieux en matire de droits, et enrenforant ainsi les mcanismes supranationaux, rendus alors plus visibles

    et plus accessibles.

    Nous esprons que ce guide pourra galement tre utile aux requrantsaguerris, en Afrique et au-del, en particulier ses analyses en profondeurdes cas dexception la rgle de lpuisement des voies de recoursinternes exposs ci-aprs. Bien que, tel que signal auparavant, une grandeincertitude juridique persiste dans ce domaine, cette incertitude ne pourratre progressivement leve quen tablissant un cadre clair de ces exceptions,fond sur des raisonnements juridiques solides et respectueux des droits.Ce guide espre contribuer ce processus en portant une attention toute

    particulire ltape de la recevabilit.

    Quelle mthodologie ?

    Ce guide a t conu pour fournir une information la plus pratique possibledutilisation dans un domaine complexe. Les lments dinformation duguide ont t compils partir dune analyse des textes juridiques derfrences de la Cour et de la Commission africaines, y compris la Charte

    africaine, le Protocole, les Rglements intrieurs des deux organes, et delexamen des jurisprudences des domaines concerns. Dans la mesure oles questions relatives lpuisement des voies de recours internes et auxexceptions constituent des sujets juridiques gnraux des droits humains,avec des problmatiques auxquelles sont confronts tous les mcanismessupranationaux des droits, les jurisprudences des mcanismes inter-amricain, europen et onusien ont galement t incorpores lorsquellespermettaient dapporter des claircissements sur des questions de fond.

    Comment utiliser ce guide ?

    Ce guide accompagne les plaignants potentiels dans leurs dmarches pourporter des affaires devant la Cour et la Commission. Les premires pagesexpliquent brivement les diffrentes procdures et rgles qui prvalentdans chacune des deux instances. Les pages suivantes expliquent en dtailles dispositions relatives aux conditions de recevabilit telles que stipulesdans lArticle 56 de la Charte africaine, conditions qui doivent tre respectestant dans le cas dune procdure devant la Commission que dans celuidune procdure devant la Cour. Le matriel contenu dans ce guide peut

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    servir aux individus dj impliqus dans une procdure de recours pourdnoncer des violations spciques des droits humains. Les dfenseurs, lesavocats et les organisations concernes peuvent galement y trouver deslments dinformation dont ils pourraient utilement prendre connaissanceavant dengager les premires tapes dun processus judiciaire. En effet, les

    requtes incluant dentre de jeu les exigences de recevabilit dans le cadredu mcanisme africain, et en particulier les affaires de violations graves,massives et systmatiques, auront ainsi beaucoup plus de chance daboutirdevant la Cour et la Commission.

    Les conditions de recevabilit selon lArticle 56 de la Charte africaine

    La Commission africaine

    Le processus dintroduction dune requte devant la Commission africainecomporte trois tapes. La premire, la saisine, requiert lenvoi dun courrier la Commission exposant les lments principaux de la communication, ycompris les noms des parties lorigine de la communication et ceux auxnoms desquels elle est porte, la nature des violations commises et lesarticles de la Charte qui ont t enfreints. Les plaignants ont fort intrt fournir, ds cette tape, les principaux lments sur lesquels se fonde larecevabilit2.

    La deuxime tape, celle de la recevabilit, implique de satisfaire auxobligations de lArticle 56 de la Charte, traites en dtail plus avant. Ltatpartie aura la possibilit de rpondre la demande de recevabilit mise parles plaignants. Si la requte est dclare recevable, linstruction sur le fondsuivra, et sera son tour soumise un processus dexamen.

    Lorsquune affaire a t porte devant la Commission, les auteurs de lacommunication doivent respecter les dlais de procdure an que leurplainte ne soit pas abandonne3. Les dlais de dpt sont xs par les rgles

    de procdure de la Commission. Les tats concerns doivent galementrespecter les dates butoir au risque de perdre leur droit contester les

    2. Pour plus dinformations, voir Comm. Af. DHP., 2010 Rglement intrieur, art. 93(2) ; art. 93(4)stipulant que la Commission reprendra attache avec les plaignants dont les requtes dposesseraient incompltes.3. Voir, par ex., Union des Scolaires Nigeriens et al. c. Niger, App. No. 43/90, Comm. Af. DHP. (27 avril1994) ; Sana Dumbaya c. Gambia, App. No. 127/94, Comm. Af. DHP. (3 novembre 1994) ; NziwaBuyingo c. Uganda, App. No. 8/88, Comm. Af. DHP. (22 mars 1995) ; Comit pour la dfense desdroits de lHomme (concernant Madame Jennifer Madike) c. Nigeria, App. No. 62/91, Comm. Af. DHP.

    (22 mars 1995) ; Monja Joana c. Madagascar, App. No. 108/93, Comm. Af. DHP. (24 avril 1997) ;S.O.S. Esclaves c. Mauritania, App. No. 198/97, Comm. Af. DHP. (5 mai 1999).

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    arguments des plaignants. Les principales dates butoir sont les suivantes :

    v Aprs la saisine, les plaignants disposent de 60 jours pour transmettreleurs argumentaires de recevabilit ;v Les tats ont alors 60 jours pour rpondre ;v

    Les plaignants disposent ensuite de 30 jours pour rpondre leur tour auxlments de rponses apports par ltat.

    Larticle 113 du Rglement intrieur de la Commission de 2010 donneaux parties la possibilit de demander un mois supplmentaire de dlaidintroduction dune requte, dont loctroi est la discrtion de la Commission.Des circonstances exceptionnelles, telles que des reprsailles clairementconstates, commises par ltat concern lencontre des victimes ou desplaignants, sont naturellement de nature justier un allongement des dlais.Les argumentaires ports devant la Commission africaine sont gnralement

    produits sous forme dacte crits, ne ncessitant pas pour les plaignantsdtre physiquement prsents. Toutefois, des auditions peuvent se tenir la demande dune des parties, ou linitiative de la Commission (pour plusdinformation, voir article 99 du Rglement intrieur de la Commission, 2010).

    La Cour africaine

    La Cour africaine peut tre saisie de nombreuses manires, parmi lesquellesdeux principales4. Dune part, lorsque ltat attaqu a rati le Protocole de la

    Cour, laffaire peut tre porte devant la Cour par la Commission nimportequel moment de la procdure, lorsquune mesure provisoire na pas texcute ou lorsque la dcision nale rendue par la Commission na past respecte, selon les dispositions de larticle 118 du Rglement intrieurde la Commission. Dautre part, lorsquun tat a fait une dclaration au titredes Articles 5(3) et 34(6) du Protocole, des affaires peuvent tre directementportes devant la Cour.

    Les saisines directes de la Cour africaine doivent inclure la fois les exigences

    de recevabilit et dinstruction relatives au cas despce, en vertu delArticle 56 de la Charte, ainsi que de lArticle 6 du Protocole et des articles 34et 40 du Rglement intrieur de la Cour africaine. Laffaire sera alors porte la connaissance de ltat ou des tats concerns5, lesquels disposeront de60 jours pour rpondre, bien quils puissent demander un allongement de cedlai qui pourra tre accord la discrtion de la Cour6. Si la Cour considre

    4. Voir Protocole, Article 5.5. Conformment lart. 35(2).

    6. Conformment lart. 37. Conformment lart. 52, la Cour peut galement soulever des objectionsprliminaires durant cette priode.

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    que la requte dpose na pas tre instruite, parce quelle ne remplit pasles conditions de recevabilit, la Cour peut alors dcider de rejeter la plainteavant laudience7. La Cour, si elle le considre pertinent, peut galement faireune demande dinformation complmentaire pour appuyer la recevabilit dela plainte8.

    Si laffaire parvient dpasser ces premires tapes, elle entrera alors dansla phase daudiences9. Suivant les conclusions des audiences, la Cour rendrason verdict dans les 90 jours10.

    7. Conformment lart. 38.8. Conformment aux articles 39(2) et 41.

    9. Voir articles 42 50.10. Conformment larticle 59(2).

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    *sous la forme du dpt dune dclaration en vertu de larticle 34(6) du Protocole

    O dposer une plainte :

    1. Les plaintes peuvent tre dposes directement devant la Cour si ltat concern

    a adhr la comptence optionnelle de la Cour*:

    v Les procdures de la Cour sont formelles et prfrables pour les avocats ;

    v Les affaires portes devant la Cour incluent forcment des audiences orales ;

    v Les jugements rendus par la Cour sont contraignants car relevant du droit

    international ;

    v Les ONG ne peuvent saisir la Cour que si elles disposent dun statut dobser -

    vateur auprs de la Commission africaine (pour plus dinformation, voir ci-

    aprs). Les affaires peuvent tre portes par des membres de ces ONG en tant

    quindividus, au nom des victimes de violations.

    2. Dans dautres cas, les plaignants peuvent se tourner vers la Commission :v La procdure de la Commission est plus informelle et peut savrer plus adapte

    aux non-juristes ;

    v Les affaires portes devant la Commission se droulent en gnral viades

    actes crits ;

    v Les dcisions rendues par la Commission sont des recommandations ; ces

    jugements sont des interprtations de la Charte qui ont valeur dclarative mais

    sont contraignantes pour les tats parties.

    3. Dans un cas comme dans lautre, les plaignants doivent se conformer aux

    dispositions de lArticle 56 de la Charte tel que dtaill ci-dessous.

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    LES CONDITIONSDE RECEVABILIT

    Mission de formation de la FIDH et de la Coalition pour la Courafricaine en Tanzanie, visite de la Cour africaine, Arusha, juin 2016

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    La recevabilit exige que 7 conditions soient remplies, comme lArticle 56de la Charte africaine le stipule. LArticle 56(5), lobligation davoir puis lesvoies de recours internes, est la plus exigeante, cest pourquoi elle sera traitesparment et de manire plus dtaille par la suite. Les autres conditions, aunombre de 6, sont traites ci-dessous.

    Les paragraphes 1 4 de lArticle 56 comportent des dispositions qui sont,pour les requrants, assez simples et claires comprendre et qui ne doiventpas les proccuper outre mesure.

    CONDITION 1 : ARTICLE 56(1) SUR LES AUTEURS ET LEURS REPRSENTANTSvLES COMMUNICATIONS DOIVENT INDIQUER QUI SONT LES AUTEURS,

    MME SI CES DERNIERS SOUHAITENT CONSERVER LANONYMAT .

    LArticle 56(1) exige que les auteurs dune requte soient nomms dans laCommunication porte, mme sils demandent rester anonymes. Cet articleest en ralit plus ambigu quil ne parat au premier abord, car il peut treinterprt comme faisant rfrence aussi bien aux victimes quaux personnesqui portent la communication devant la Commission. Il est plus prudent delinterprter de manire globale, soit faisant rfrence potentiellement auxvictimes et aux requrants, puisque la plupart du temps, il ne sagit pas desmmes individus.

    Cette disposition, qui exige de spcier les noms des personnes requrantes,repose sur au moins deux justications. La premire vise apporter la preuvedun soutien la requte dpose, que cette spcication nominative luiconfre. La seconde permet la Commission, de par la connaissance prcisequelle aura des personnes portant la requte, dtre en contact avec elles aucours dun processus qui peut savrer long. De fait, pour des raisons pratiquestout autant que formelles, il est important pour les requrants de fournir nonseulement leurs noms et ceux des organisations auxquelles ils appartiennent,mais aussi des coordonnes jour1. Lorsque la Commission na pas t en

    mesure de correspondre avec des plaignants, elle a dvidence class lesaffaires concernes2.

    Le texte dispose que les requrants peuvent demander lanonymat pour lesvictimes et ventuellement les requrants galement, lorsquil ne sagit pas des

    1. Pour plus dinformation sur ce sujet, voir Frans Viljoen, Communications under the African Charter:Procedure and Admissibility, in THE AFRICAN CHARTER ON HUMAN AND PEOPLES RIGHTS: THESYSTEM IN PRACTICE, 1986-2006 (Evans & Murray eds., 2nd ed. 2011) 93. Voir galement Comm.

    Af. DHP., 2010 Rglement intrieur, art. 93(2)(c).2. Voir, par ex., Ibrahima Dioumessi et al. c. Guinea, App. No. 70/92, Af. Comm. DHP. (7 octobre 1995).

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    PLAINTES ET ADMISSIBILIT DEVANT LA COUR AFRICAINE FIDH / 19

    mmes personnes3. Dans ces cas, les noms et coordonnes des plaignants nesont pas communiques ltat, mais doivent tre fournies tout de mme laCommission. Les requrants peuvent demander lanonymat sils craignent desreprsailles, par exemple. Toutes les personnes impliques dans le processusdoivent tre conscientes du fait quil est impossible de garantir une effectivit

    totale de ces dispositions, en particulier dans des cas de violations commisescontre des individus, puisque les faits et le contexte dnoncs sont susceptiblesen soi de donner des indications ltat incrimin sur les personnes loriginede la communication son encontre. Les plaignants doivent donc, en toutelucidit et en toute connaissance des capacits limites des organes supra-nationaux prvenir dventuelles reprsailles, mesurer le degr de risques dereprsailles dans le cas o ils dcident de porter plainte.

    Bien que le texte nen dispose pas explicitement, il semble exister une flexibilitdinterprtation lorsque laffaire implique un grand nombre de plaignants. Dans

    ces cas de gure, il est conseill dindiquer clairement le groupe au nom duquella plainte est dpose. Certains requrants ont galement dcid de mettre enavant des individus reprsentatifs du groupe de plaignants an que leurs nomssoient communiqus aux instances juridictionnelles. Cest une approche quipeut tre intressante pour ceux qui envisageraient de porter une plainte pourviolations des droits humains concernant un groupe important de personnes.Le mcanisme des droits humains en Afrique a clairement opt pour uneapproche trs large concernant les requrants : une communication peutainsi tre porte par nimporte qui, et pas uniquement par les reprsentants

    directs des victimes ou leurs familles proches. Une interprtation large de lapossibilit de saisine a aid promouvoir laccs la justice, en permettantque des requtes soient portes, y compris lorsque les victimes navaient quepeu de possibilit de le faire elles-mmes.

    Dans Centre de lindpendance des juges et avocats v. Algrie, la Commission adclar la communication irrecevable au motif quelle ne donne pas assez dedtails sur les lieux, les dates et les priodes relatives aux faits quelle dnonce,pour permettre la Commission dintervenir ou denquter. Dans certains cas,

    les faits sont relats sans spcier les noms des victimes 4

    . La Commissionstipule ensuite que lexigence de nommer les victimes se justie par le besoin defournir la Commission des informations exploitables concernant les victimes,soit avec un certain niveau de prcision 5. Cependant, comme la Commission

    3. Le rglement intrieur dispose explicitement que les victimes peuvent demander lanonymat;voir Comm. Af. DHP., 2010 Rglement intrieur, art. 93(2)(b). Lorsque les plaignants ne sont pasles victimes mais ont des raisons fondes de craindre pour leur scurit, il semble entendu que lapossibilit de requrir lanonymat peut galement leur tre applique.

    4. App. Nos. 104/94-109/94 & 126/94, Comm. Af. DHP. (27 avril 1994), para. 6.5. Id. para. 5.

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    la fait remarquer, le problme de fond en lespce concernait la communicationqui avait t envoye la Commission, qui tenait davantage du rapport gnralsur la situation des droits de lHomme que de la communication6.

    Au titre de lArticle 5(3) du Protocole, la Cour africaine ne peut tre saisie direc-

    tement que par des ONG ayant le statut dobservateur auprs de la Commission.Cest pourquoi les ONG sont invites sinscrire auprs de la Commissionafricaine au plus tt si elles ne lont dj fait, mme si elles nenvisagent pasde saisir la Cour dans limmdiat ou ne le peuvent actuellement, car ellesobtiendront ainsi le statut permettant de saisir la Cour lavenir. Les saisinesindividuelles sont toujours possibles, donc labsence de statut dobservateurnaura dincidence que dans la mesure o une ONG sans statut dobservateurne pourra pas, elle, dposer formellement une plainte.

    6. Id. para. 1.

    Cas de gures possibles :

    1. Plainte dpose directement par la victime,par ex.: Je, soussign-e, M./

    Mme, dpose cette communication devant la Commission/Cour en mon nom.

    2. Plainte dpose par une victime en son nom et au nom dautres victimes, par ex. :

    Je, soussigne Mme , dpose cette communication devant la Commission/

    Cour en mon nom, au nom de mon mari, de ma belle-lle et de mon dfunt ls ;

    Je, soussigne Mme, dpose cette communication devant la Commission/

    Cour en mon nom et au nom dautres individus victimes de violences policires

    lors de la manifestation du 10 octobre 2010.

    3. Plainte dpose par des avocats ou ONG au nom des victimes, par ex. : Nous,

    lInstitut des droits de lHomme en Afrique et le Centre des droits humains en

    Afrique, dposons cette communication devant la Commission/Cour au nom

    de Mme

    4. Plainte dpose par des avocats ou des ONG au nom de multiples victimes , par

    ex. : Nous, lInstitut des droits de lHomme en Afrique et le Centre des droitshumains en Afrique, dposons cette communication devant la Commission/Cour

    au nom de Mme et dautres individus victimes de violences persistantes, de

    dplacements forcs et de dtentions arbitraires, qui ont cours dans le cadre

    du projet minier XYZ.

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    Comment obtenir le statut dobservateur :

    1. Dposer une demande au moins 3 mois avant une session de la Commission :

    v la demande doit tre envoye au Secrtaire de la Commission.

    2. La demande doit inclure :v des preuves juridiques et tangibles que ltat a vot des lois, mne des

    politiques ou a recours des pratiques qui violent le droit dassociation ;v une liste des membres de lassociation et un organigramme ;v le dernier bilan comptable et les sources de nancements ;v un descriptif de lobjet de lassociation, de ses objectifs, de son domaine

    dactivit, un plan daction et un bilan dactivits.

    3. Selon ses rgles de procdure, la Commission prend une dcision lors de la

    session suivante.En pratique, cest souvent beaucoup plus long.

    4. En sus de la possibilit de saisir la Cour, le statut dobservateur permet une plusgrande interaction avec les travaux de la Commission lors de ces sessions7.

    CONDITION 2 : ARTICLE 56(2) JURIDICTIONvLES COMMUNICATIONS DOIVENT TRE COMPATIBLES AVEC LACTECONSTITUTIF DE LUNION AFRICAINE ET AVEC LA CHARTE AFRICAINE DESDROITS DE LHOMME ET DES PEUPLES .

    Les termes de lArticle 56(2) sont assez confus, et ils ont t remarquablementdcrypts par Viljoen8. Au cur de lexigence de compatibilit dune communi-cation avec la Charte, se trouvent la ncessit dattaquer un tat ayant ratila Charte (ratione personae), celle de dnoncer la violation dune disposition dela Charte (ratione materiae) et celle de rapporter une violation commise depuislentre en vigueur de la Charte (ratione temporis).

    Ratione personae

    La condition de ratione personaeest relativement claire : la communicationdoit concerner un tat partie la Charte. En vertu des principes gnraux dudroit international, cest de la responsabilit de ltat (les changements latte du gouvernement nont pas dimpact sur la responsabilit de ltat). Unecommunication peut incriminer un tat, ou plusieurs tats, la condition

    7. Pour plus dinformation, voir Rsolution 33 de la Commission africaine sur les critres doctroiet de jouissance du statut dobservateur aux Organisations non gouvernementales soccupant des

    droits de lHomme et des peuples.8. Voir id. at 94-5.

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    quils soient tous impliqus dans les mmes actes de violations dnoncs enlespce. La communication doit mentionner ltat ou les tats parties contrelesquels elles est dirige9. Tous les tats membres de lUnion africaine (54)ont rati la Charte africaine, lexception du Sud Soudan. Le Maroc, pour sapart, nest ni membre de lUnion africaine, ni partie au mcanisme de la Charte,

    puisquil sest retir des deux instruments. Au moment de la rdaction de ceGuide, soit en mars 2016, 30 tats ont rati le Protocole de la Cour africaine10,et 8 ont accept la saisine directe de la Cour, par des individus et par des ONGreprsentant les victimes11.

    Les communications qui ont t dclares irrecevables sur ce motif sont :Simon B. Ntaka c. Lesotho12, Dr. Kodji Ko c. Ghana13, Committee for the Defenceof Political Prisoners c. Bahrain14, International Lawyers Committee for Family

    Reunication c. thiopie15, Dr. Abd Eldayem A.E. Sanussi c. thiopie16, CoordinatingSecretary of the Free Citizens Convention c. Ghana17, Iheanyichukwa A. Ihebereme

    c. tats-Unis18, Prince J.N. Makoge c. tats-Unis19, Gatachew Abede c. thiopie20,Mohemed El-Nekheily v. OUA21, Centre for the Independence of Judges and Lawyersv. Yougoslavie22, Union Nationale de Libration de Cabinda c. Angola23, AustrianCommittee Against Torture v. Burundi24, Centre Hatien des Liberts Publiques

    9. Voir Comm. Af. DHP., 2010 Rglement intrieur, article 93(2)(g) : Le/la Secrtaire doit sassurer queles Communications introduites devant la Commission contiennent les informations suivantes : Lenom de ltat ou des tats auteurs de la violation de la Charte africaine, mme si aucune rfrencespcifique nest faite larticle/aux articles dont la violation est allgue ; Cour africaine, 2010Rglement intrieur, art. 34(2) : Toute requte adresse la Cour doit fournir des indications prcises

    sur la/les partie(s) demanderesses ainsi que sur celle(s) contre laquelle/lesquelles elle est dirige. 10. Il sagit de lAlgrie, du Bnin, du Burkina Faso, du Burundi, du Cameroun, du Tchad, des Comores,de la Cte dIvoire, du Congo, du Gabon, de la Gambie, du Ghana, du Kenya, du Lesotho, de la Libye,du Malawi, du Mali, de la Mauritanie, de lle Maurice, du Mozambique, du Niger, du Nigeria, duRwanda, du Sngal, de lAfrique du Sud, de la Tanzanie, du Togo, de la Tunisie, de lOuganda et duSahara occidental.11. Il sagit du Bnin, du Burkina Faso, de la Cte dIvoire, du Ghana, du Malawi, du Mali, du Rwandaet de la Tanzanie. Cependant, le Rwanda sest retir de la Dclaration spciale octroyant la possibilitde saisine directe de la Cour aux individus et aux ONG en fvrier 2016 ; la Cour doit rendre sa dcision ce sujet.

    12. App. No. 33/89, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988), para. 3.13. App. No. 6/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988), para. 3.14. App. No. 7/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988), para. 3.15. App. No. 9/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988), para. 3.16. App. No. 14/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988), para. 3.17. App. No. 4/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988), para. 3.18. App. No. 2/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988).19. App. No. 5/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988).20. App. No. 10/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988).21. App. No. 12/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988).22. App. No. 3/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988).

    23. App. No. 24/89, Comm. Af. DHP. (14 avril 1989), para. 3.24. App. No. 26/89, Comm. Af. DHP. (4 novembre 1989), para. 3.

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    c. thiopie25, Austrian Committee Against Torture c. Maroc26, International PENc. Malawi, thiopie, Cameroun & Kenya27, Commission Franaise Justice et Paixc. thiopie28,Association Internationale des Juristes Dmocrates c. thiopie29,AndrHouver c. Maroc30, Wesley Parish c. Indonsie31, George Eugene c. tats-Unis32etInternational PEN c. Maroc33.

    Ratione materiae

    Lexigence de matrialit des faits implique pour les plaignants, dans leurrequte, de mentionner les articles de la Charte qui auraient t enfreints. Lamatrialit, pour les affaires portes devant la Cour et la Commission afri-caines, couvre galement les dispositions de la Charte des droits des femmes,ainsi que de tout autre instrument de droits humains dont ltat incrimin estpartie. Pour que les allgations de violations soient plausibles, les plaignantsdoivent dmontrer lexistence dune systmaticit des violations34, et ont tout

    intrt prciser les dispositions spciques de la Charte qui, selon eux, ontt enfreintes. Dans cette perspective, on peut souligner que les violations enquestion ne se rapportent pas forcment des actes concrets, mais peuventaussi concerner des instruments lgislatifs ou des politiques qui bafouent lesdroits ou les amoindrissent, telles que labsence dengagement dun tat dansdes pratiques encourageant le respect du droit, ou des mcanismes de recoursinternes inefcaces. Quune violation ait t commise rellement ou non, etquil sagisse de dnoncer un fait ou un instrument lgislatif, cest lallgationde violation qui sera prise en compte dans lexamen sur le fond ; de fait, lors

    de ltape de la saisine puis de celle de la recevabilit, une allgation plausiblede violation est sufsante.

    Parmi les communications rejetes sur ce motif, on trouve : Frederick Korvahc. Liberia35; Seyoum Ayele c. Togo, en lespce la Commission ayant statu surune plainte irrecevable au motif que les allgations de violations taient tropvagues36; Hadjali Mohamed c. Algrie, en lespce la Commission a dclar la

    25. App. No. 21/88, Comm. Af. DHP. (4 novembre 1989), para. 3.

    26. App. No. 20/88, Comm. Af. DHP. (4 novembre 1989), para. 3.27. App. No. 19/88, Comm. Af. DHP. (4 novembre 1989), para. 3.28. App. No. 29/89, Comm. Af. DHP. (4 novembre 1989), para. 3.29. App. No. 28/89, Comm. Af. DHP. (4 novembre 1989), para. 3.30. App. No. 41/90, Comm. Af. DHP. (28 avril 1990), para. 4.31. App. No. 28/90, Comm. Af. DHP. (28 avril 1990), para. 3.32. App. No. 37/90, Comm. Af. DHP. (28 avril 1990), para. 4.33. App. No. 42/90, Comm. Af. DHP. (28 avril 1990), para. 4.34. Les plaignants doivent fournir un rapport sur la situation ou la violation allgue, en prcisantle lieu, la date et la nature des violations allgues , Comm. Af. DHP., 2010 Rglement intrieur,art. 93(2)(d).

    35. App. No. 1/88, Comm. Af. DHP. (26 octobre 1988), para. 4.36. App. No. 35/89, Comm. Af. DHP. (27 avril 1994), para. 2.

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    plainte irrecevable car la communication ne dirige pas la plainte contre ltatconcern ou les violations subies par lauteur de la communication ou sur lesconsquences de ces violations 37; et Muthuthurin Njoka c. Kenya38.

    Ratione temporis

    La ratione temporisstipule que seules les violations commises depuis lentreen vigueur dun Trait auquel ltat incrimin est partie pourront tre prisesen compte par linstance saisie. Lorsquune violation a t commise avant letrait auquel il est fait rfrence, mais que ces mmes violations sont per-sistantes ou continues , les plaignants peuvent demander une exception lexigence de ratione temporissur ce motif39. Les limites prcises de cetteexception lexigence de ratione temporisdemeurent flouent, mais stendent tout le moins aux situations de violations continues ayant des consquencesdramatiques videntes, telles que par exemple la privation daccs aux droits,

    les dplacements de populations, des cas de disparitions forces non rsolus,et bien entendu les communications concernant les affaires dtat en cours.Des cas particulirement graves de violations svres pour lesquelles aucunerparation na t obtenue, impliquant des violations physiques ou psycho-logiques persistantes pour la victime, peuvent galement tre ports laconnaissance des instances pertinentes, car les violations sont considrescomme continues.

    La possibilit dextension de la condition de ratione temporisau motif dune

    violation continue a t reconnue par la Commission dansAnnette Pagnoulle c.Cameroun. En lespce, au sujet de consquences toujours visibles de jugementsrendus avant lentre en vigueur de la Charte, la Commission a soutenu que si des irrgularits du jugement rendu ont des consquences qui constituentune violation continue de nimporte quel article de la Charte, la Commissiondoit se prononcer sur le dit jugement40.

    Dans Dabalorivhuwa Patriotic Front c. Afrique du Sud, la Commission a tendusa jurisprudence en observant quelle est comptente pour se prononcer

    sur des violations commises avant lentre en vigueur de la Charte dans ltatincrimin, lorsquil existe des preuves de violations continues. En lespce bien que les violations aient t commises en 1994-1995 soit avant que ltat

    37. App. No. 13/88, Comm. Af. DHP. (27 avril 1994), para. 2.38. App. No. 35/89, Comm. Af. DHP. (27 avril 1994), para. 2.39. Voir, par ex., Blake c. Guatemala, App. No. 11.219, Cour Int-Ame. des DH. (24 janvier 1998);Moiwana Community c. Suriname, App. No. 11,821, Cour Int-Ame. des DH. (15 juin 2005); etLoucaides, The concept of continuing violations of human rights, PROTECTING HUMAN RIGHTS:THE EUROPEAN PERSPECTIVE: STUDIES IN MEMORY OF ROLV RYSSDAL (ED. Mahoney, Matscher,

    Petzold & Wildhaber, 2000).40. App. No. 39/90, Comm. Af. DHP. (24 avril 1997), para. 15.

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    PLAINTES ET ADMISSIBILIT DEVANT LA COUR AFRICAINE FIDH / 25

    contre lequel la communication est dirige ne ratie la Charte, le statu quo restele mme La Commission considre donc que, bien que les faits naient eu lieuavant 1996, il existe des preuves de violations continues41.

    CONDITION 3 : ARTICLE 56(3) LANGAGEvLA COMMUNICATION NE DOIT PAS CONTENIR DE TERMES OUTRAGEANTSOU INSULTANTS LGARD DE LTAT MIS EN CAUSE, DE SES INSTITUTIONSOU DE LUNION AFRICAINE .

    LArticle 56(3) impose une condition quelque peu spcieuse au regard de laCharte africaine : que les communications nutilisent pas de termes outrageantsou insultants. Lintrt de cette condition eu gard aux droits de lHomme at mis en cause par de nombreux analystes42. Nanmoins, dans la mesureo cette condition est toujours en vigueur, il est important pour les plaignants

    de la garder prsente lesprit et dviter toute terminologie qui pourrait treconsidre comme outrageante, comme par exemple des descriptions outra-geantes du gouvernement en place ou lutilisation dun ton moqueur. Il estprfrable de sen tenir une description factuelle et dpassionne.

    Dans Ligue camerounaise des droits de lHomme c. Cameroun, la Commission adclar la requte irrecevable au motif que La communication contient desexpressions telles que Paul Biya doit rpondre de crimes contre lhumanit,30 ans dun rgime criminel et no-colonial incarn par le duo Ahigjo/Biya,

    rgime de torture, et actes barbares du gouvernement. Ces termes sontinsultants43. Dans Ilesanmi c. Nigeria, la Commission observe que dire duneinstitution ou dune personne quelle est corrompue ou quelle reoit des potsde vin de la part de traquants de drogue mne nimporte quelle personneraisonnable ne plus avoir de respect pour linstitution ou la personne enquestion. Dans une socit dmocratique, les individus doivent pouvoir exprimerlibrement leurs opinions Exposer des institutions nationales incontournables des insultes ou des commentaires outrageants tels que ceux contenus danscette communication contribue la perte de prestige de la dite institution et

    la mise en cause de son efcacit44

    .

    Ces deux exemples sont trs contestables sur le plan de la libert dexpres-

    41. App. No. 335/06, Comm. Af. DHP. (23 avril 2013), paras. 75-6.42. Voir Chidi Odinkalu, The Individual Complaints Procedures of the African Commission on Humanand Peoples Rights: A Preliminary Assessment, 8 TRANSNATL L. & CONTEMP. PROB. 359, 382(1998) ; Frans Viljoen, Communications under the African Charter: Procedure and Admissibility, in THEAFRICAN CHARTER ON HUMAN AND PEOPLES RIGHTS: THE SYSTEM IN PRACTICE, 1986-2006 (Ed.Evans & Murray, 2e d. 2011) 109.

    43. App. No. 65/92, Comm. Af. DHP. (24 avril 1997), para. 13.44. App. No. 268/2003, Comm. Af. DHP. (11 mai 2005), para. 40.

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    sion, cest le moins que lon puisse dire. Fort heureusement, la Commissionafricaine a reconnu la ncessit de revoir sa jurisprudence sur le sujet. Ainsi,dans Zimbabwe Lawyers for Human Rights and the Institute for Human Rights andDevelopment in Africa c. Zimbabwe, la Commission considre que lArticle 56(3)doit tre rinterprt la lumire de lArticle 9(2) de la Charte africaine, en

    vertu duquel toute personne doit avoir le droit de sexprimer et de divulguerses opinions dans le cadre de la loi. Un quilibre est trouver entre la libertdexpression et le devoir de protger les institutions tatiques, an de garantirque, tout en refusant les abus de langages, la Commission africaine nenfreintpas ou ne freine pas la jouissance des autres droits inscrits dans la Charteafricaine, tel que, en lespce, le droit la libert dexpression45. Cest--dire,donc, que la Commission africaine reconnat que critiquer des abus en matirede droits de lHomme peut requrir lusage dun ton ferme et afrmatif, pourexposer les violations commises par ltat incrimin.

    CONDITION 4 : ARTICLE 56(4) LMENTS DE PREUVEvLA COMMUNICATION NE DOIT PAS EXCLUSIVEMENT SAPPUYER SUR

    DES INFORMATIONS DIFFUSES PAR DES MOYENS DE COMMUNICATIONDE MASSE .

    LArticle 56(4) stipule que les communications ne doivent pas uniquementse fonder sur les mdias. Il sagit dune disposition restrictive dans un articlepar ailleurs trs large. Cela ne signie pas que les sources mdiatiques ne

    peuvent pas tre utilises du tout, mais quelles doivent venir appuyer despreuves tayes par dautres sources au pralable, par exemple des rcits detmoins ou des tmoignages de victimes. ltape de lexamen sur le fond, lesrequrants doivent fournir un nombre important de preuves, mais pendant laphase de recevabilit, ils doivent simplement dmontrer que la communicationintroduite ne se fonde pas uniquement sur des rcits mdiatiques46.

    Dans Jawara c. Gambie, ltat a prtendu que les requrants navaient pas res-pect lArticle 56(4). Nanmoins, la Commission a considr que : Bien quil

    peut savrer risqu de sappuyer exclusivement sur des informations diffusespar les grands mdias, il serait tout aussi dommageable que la Commission

    45. App. No. 293/04, Comm. Af. DHP. (22 mai 2008), para. 52.46. Sur lensemble du processus, les requrants sont invits sappuyer sur des lments de preuvestels que des attestations crites, des jugements, des tmoignages dexperts, des photos, des rapportsmdicaux, psychologiques ou dautopsies, et des rapports dONG et dorganisations internationales(UA, ONU, UE). Dans le mme temps, mme si une requte sera dautant plus crdible quelleprsentera un grand nombre de preuves solides lappui, il convient de rappeler que la charge de lapreuve incombe ltat, lequel dispose dun accs davantage dlments quil est tenu de fournir.

    Il est donc possible que les tats incrimins tentent de faire disparatre des preuves les mettantpotentiellement en cause dans des faits de violations des droits humains.

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    rejette une communication au motif que certains de ses lments se fondentsur des informations diffuses dans les mdias. Cela apparat clairement travers lutilisation du terme exclusivement dans la Charte. Il ne fait aucundoute que les mdias demeurent la source la plus importante, si ce nest la seulesource, dinformation Aussi, la question devrait tre de savoir si linformation

    recueillie est able, et pas si elle provient ou non des mdias. Le plaignanta-t-il essay de vrier les allgations en question ? A-t-il eu les moyens oula possibilit de le faire, tant donn les circonstances ?47

    En somme, dans Jawara, la Commission rduit le primtre dans lequel onconsidre une requte irrecevable au titre de lArticle 56(4) et napplique cetteexigence qu des cas extrmement douteux, uniquement fonds sur des l-ments repris des mdias, cest--dire des cas o manifestement les preuves nesont pas tangibles. Cest une dmarche cohrente ltape de la recevabilit,au cours de laquelle les lments de preuves doivent tre interprts en faveur

    des requrants. Ces lments seront examins de manire exhaustive lors delexamen sur le fond.

    CONDITION 5 : ARTICLE 56(6) TEMPORALITvLA COMMUNICATION DOIT TRE INTRODUITE DANS UN DLAI RAISON -NABLE COMPTER DE LPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES OUDU MOMENT O LA COMMISSION EST SAISIE .

    La condition de temporalit de lArticle 56(6) stipule que les communicationsdoivent tre introduites dans un dlai raisonnable compter de lpuisementdes voies de recours internes. Le texte est clair sur le fait que cette exigenceprend en compte un puisement effectif des voies de recours internes, non lescas o une exception lpuisement est requise. Ce, an dempcher que desjugements rendus par des juridictions internes ne soient contests bien aprsquils ont t prononcs, dans un souci de stabilit et de garantie juridique48.Lorsque les voies de recours internes ont bien t puises, les mcanismeseuropen et interamricain concdent en gnral un dlai de six mois pour

    introduire des requtes49

    ; en revanche, la Commission africaine sest montreplus flexible, statuant quelle traite au cas par cas en fonction des lmentssur le fond, pour xer un dlai raisonnable50. Bien entendu, ceci sapplique

    47. App. Nos. 147/95-149/96, Comm. Af. DHP. (11 mai 2000), paras. 24-6.48. Voir Plan de Sanchez Massacre c. Guatemala, App. No. 11,763 Cour inter-ame. D.H., para. 29.49. CEDH Article 35(1) et CIADH 46(1)(d).50. Voir Article 19 et autres c. Zimbabwe, App. No. 305/05, Comm. Af. H.P.R. (24 novembre 2010),para. 91. Voir galement Priscilla Njeri Echaria c. Kenya, App. No. 375/09, Comm. Af. DHP. (5 novembre2011). Voir galement Sangonet c. Tanzania, App. No. 333/06, Comm. Af. DHP. (mai 2010), dans

    lequel la Commission a declar la requte irrecevable car introduite onze ans aprs puisement desvoies de recours internes.

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    aux jugements rendus en dfaveur des plaignants. Si le jugement rendu contreltat accus est favorable aux requrants, mais quil nest pas appliqu, undlai supplmentaire peut tre invoqu. De mme, si le jugement rendu parla juridiction interne demande au Parlement dagir, les plaignants peuventlgitimement attendre de voir ce quil en est avant dintroduire une requte,

    ce qui allonge le dlai entre le jugement rendu au niveau national et la plainteporte au niveau rgional51.

    Lorsquintervient une exception la rgle de lpuisement, la xation dun dlaiprcis dintroduction dune requte supranationale nest pas envisageable.Ce pour plusieurs raisons. Tout dabord, il ny a souvent pas de date prcise laquelle il est possible de situer les violations dans le temps, dans la mesure ocelles-ci sont souvent des faits qui se sont rpts de manire systmatiquesur une longue priode. Deuximement, les consquences de ces violationsont un impact ngatif sur les vies des victimes qui ne leur permet pas de

    sengager immdiatement dans un processus judiciaire pour obtenir rparation.Troisimement, lorsquintervient une exception la rgle de lpuisement, cestpar dnition parce quil existe des failles dans les recours internes pour obtenirrparation des violations des droits de lHomme. Favoriser ltat incrimin etpunir la victime alors mme quelle sest dj heurte un systme dfaillantau niveau national irait totalement lencontre des fondements de la conditiondpuisement et de ltape dinstruction de la recevabilit. Enn, quatrime-ment, dans la grande majorit des cas o intervient une exception la rgle delpuisement, les violations en lespce se poursuivent au niveau national (avec

    des effets sur la victime, et/ou sur la socit dans son ensemble travers desviolations systmatiques). Ces diffrents cas de gure o lexception au dlaide six mois est fonde (dlai jamais envisag dans les cas dexception largle de lpuisement des voies de recours internes) sont largement reconnuspar la jurisprudence en matire de droits humains52.

    Dans Majuru c. Zimbabwe53, la Commission africaine a dclar la plainte irre-cevable pour cause de dlai non respect, car la Commission a t saisie22 mois aprs que le plaignant avait quitt le Zimbabwe. La Commission sest

    prononce ainsi malgr les afrmations du plaignant quant sa situation quilobligeait fuir le pays : il craignait des reprsailles contre sa famille sil par-lait ; il suivait une psychothrapie ; il tait en situation de pauvret ; et il faisait

    51. Sur un cas de ce type, voir Tanganyika Law Society, The Legal and Human Rights Centre &Reverend Christopher R Mtikila c. Tanzanie, App. Nos. 009/2011 & 011/2011, Ct.Af. DHP. (14 juin2013), para. 83.52. Voir, par ex., Plan de Sanchez (Massacre) c. Guatemala, App. No. 11,763, Cour int-am. DH.,para. 29.53. App. No. 308/05, Comm. Af. DHP. (24 novembre 2008). Voir galement Darfur Relief and

    Documentation Centre c. Sudan, App. No. 310/05, Comm. Af. DHP. (25 novembre 2009) ; Dr. FaroukMohamed Ibrahim c. Sudan, App. No. 386/10, Comm. Af. DHP. (25 fvrier 2013).

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    face des difcults daccs la justice au Zimbabwe. Ce dernier point ayantt largement et substantiellement facile conrmer par le plaignant, avantquil ne quitte le pays, puisquil travaillait dans le cadre du systme judiciairenational. Ainsi, la dcision rendue par la Commission apparat en contradic-tion avec une approche respectueuse des droits humains en ce qui concerne

    la question du dlai imparti, et il faut esprer quelle ne constituera pas unebase pour de futures dcisions54. Par ailleurs, la dcision rendue en lespce,fonde sur la condition de temporalit, ne respecte pas la Charte, laquelle faitrfrence lexigence dpuisement des recours internes et non au momento le plaignant quitte le pays.

    Toutefois, dans dautres jurisprudences de la Commission, une interprtationplus respectueuse du droit a guid les dcisions. Ainsi, dans Interights (au nomdu Pan African Movement and Citizens for Peace en rythre) c. rythre & thiopiela Commission a considr que sa dcision fonde sur le non-respect par

    le plaignant de lArticle 56(5) ntant pas compatible avec les dispositions delArticle 5-(6) de la Charte africaine, cette dcision nest pas applicable55. DansObert Chinhamo c. Zimbabwela Commission a statu que la communication at introduite dix mois aprs que le plaignant a lgitimement quitt le paysle plaignant ne rside pas dans ltat incrimin et avait besoin de temps poursinstaller ailleurs avant de pouvoir saisir la Commission tant donn lescirconstances dans lesquelles se trouve le plaignant, cest--dire vivant dansun autre pays, il conviendrait de considrer comme raisonnable un dlai dedix mois, par souci de garantir justice et quit56. La dcision rendue par la

    Cour africaine dans laffaireAyants droits de feu Norbert Zongo et al. c. BurkinaFaso57semble conrmer cette rgle de non-application de lArticle 56(6) silest fait exception aux dispositions de lArticle 56(5). En lespce, bien quuntemps assez long se soit coul entre le rejet de laffaire par les juridictionsnationales et lintroduction dune plainte au niveau supranational, cela napas t considr comme pertinent, probablement au motif que les instancesnationales ont appliqu des dlais dmesurs aux processus engags devantles juridictions internes, de telle sorte que les plaignants nont jamais pu semettre en conformit avec lexigence dpuisement des voies de recours au

    niveau national.

    54. Le non-respect de la rgle du dlai faisant suite au non-respect de celle de lpuisement desvoies de recours internes, il serait plus logique de considrer que ce cas ne peut crer un prcdentdans les affaires o une exception la rgle de lpuisement a t prise en compte.55. App. Nos. 233/99 & 234/99, Comm. Af. DHP. (24 novembre 2003), para. 39.56. App. No. 307/05, Comm. Af. DHP. (28 novembre 2007), paras. 88-9.

    57. Ayants droit de feu Norbert Zongo et al. c. Burkina Faso, App. No. 013/2011, CADHP (28 mars2014).

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    CONDITION 6 : ARTICLE 56(7) VITER LES CONFLITS DE RGLEMENTvLA COMMUNICATION NE DOIT PAS CONCERNER DES AFFAIRES DJ

    RGLES, AU SEIN DES TATS INCRIMINS, EN ACCORD AVEC LES PRIN-CIPES DE LA CHARTE DE LONU, OU DE LA CHARTE DE LUA OU DE LA CHARTEAFRICAINE .

    LArticle 56(7) de la Charte dispose que les affaires qui ont t rgles pardes tats incrimins, en accord avec les principes de la Charte de lONU, oude la Charte de lUA, ou des dispositions de la Charte africaine ne peuventtre instruites.

    Lobjectif de cette clause est vident : il sagit dviter des conflits de jugements,et de promouvoir une justice efciente en garantissant que la mme affairenest pas connue de diffrentes instances simultanment. Le sens profond decette clause est toutefois plus compliqu quil ny parat : en effet, que signie

    exactement la mme affaire ? Clairement, il sagit dviter quun dossieridentique (comportant les mmes dtails ou les mmes arguments) ne soitintroduit auprs de deux organes darbitrage en mme temps, et se rapprochealors des clauses de non bis in idemque lon trouve dans les textes constitu-tifs dautres juridictions supranationales de droits humains58. Dans ce cas, largle sappliquerait aussi bien des instances nationales qu des instancessupranationales comptentes en matire de droits de lHomme. Nanmoins,lorsque diffrents faits ou arguments juridiques entrent en ligne de compte, oulorsquun tat ne respecte pas un jugement pralablement rendu, laffaire est

    porte devant une autre juridiction et il y a de fortes raisons de considrer quela rgle ne sapplique alors pas. Finalement, le terme rglement nest pasclair et il conviendrait de linterprter comme faisant rfrence la rsolutiondes questions qui sous-tendent une affaire. En revanche, lorsque ce sont desorganes politiques ou judiciaires non particulirement soucieux de respect desdroits humains qui se sont penchs sur les dites questions, la rgle devraitsappliquer, moins que les questions de droits naient t correctement trai-tes et les violations, rpares.

    Parmi les communications dclares irrecevables sur ce motif, on trouveMpaka-Nsusu Andre Alphonse c. Zare, o la Commission a considr la requteirrecevable car elle avait dj t traite par le Comit des droits de lHommesous lgide du Pacte international des droits civils et politiques 59, ainsi queAmnesty International c. Tunisie60.

    Dans Bob Ngozi Njoku c. gypte, la Commission a conclu que la dcision dela sous-commission des Nations unies de nentreprendre aucune action et

    58. Voir, par ex., Op-ICCPR, Article 5(2)(a).

    59. App. No. 15/88, Comm. Af. DPH. (8 octobre 1988), para. 2.60. App. No. 69/92, Comm. Af. DPH. (7 avril 1993).

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    donc de ne pas se prononcer sur la communication introduite par le plaignantne constitue pas une dcision sur le fond de laffaire et ne signie aucune-ment que la requte ait t rgle au sens de lArticle 56(7)61. Dans BakweriLand Claims Committee c. Cameroun, la Commission a statu quune requteavait t prise en compte par la sous-commission des droits de lHomme

    de lONU Ceci signiant que les dispositions de lArticle 56(7) incluant leprincipe de non bis in idemne sappliquent pas lespce, dans la mesure oaucune dcision na t rendue par la sous-commission de lONU62. DansSudan Human Rights Organisation & Centre on Housing Rights and Evictions c.Soudanla Commission a considr que tout en reconnaissant le rle majeur

    jou par le Conseil de scurit des Nations unies, le Conseil des droits delHomme (et son prdcesseur, la Commission des droits de lHomme), ainsique dautres organes et agences des Nations unies, sur la crise au Darfour, [laCommission] est catgorique sur le fait que ces organes nentrent pas dans lechamp dapplication prvu par lArticle 56(7). Les mcanismes prvus par les

    dispositions de cet article de la Charte doivent pouvoir dlivrer une dcisioncompensatoire ou valeur dclaratoire aux victimes, et pas uniquement desdclarations ou rsolutions de nature politique.63

    61. App. No. 40/90, Comm. Af. DHP. (11 novembre 1997), para. 56.

    62. App. No. 260/02, Comm. Af. DHP. (4 dcembre 2004), para. 53.63. App. Nos. 279/03-296/05, Comm. Af. DHP. (27 mai 2009), para. 105.

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    Conditions de recevabilit

    1. Article 56(1) Indiquer les noms des auteurs

    v Noms des victimes et des requrants

    v Coordonnes prcises

    2. Article 56(2) Juridiction

    v Ratione personae v Ratione materiae v Ratione temporis

    3. Article 56(3) Langage : termes non insultants

    4. Article 56(4) Preuves ne reposant pas uniquement sur des sources mdiatiques

    v Preuves simplement exposes ltape de la recevabilit, qui devront treprsentes postrieurement

    5. Article 56(6) Temporalit

    v Requte introduite rapidement aprs lpuisement des voies de recoursinternes, sauf cas o un dlai se justie

    v Dans des cas dexception la rgle de lpuisement, pas de dlai dans desaffaires o les violations se poursuivent, lorsque les autorits sont respon-sables, et/ou lorsquil savre impossible de situer prcisment dans le tempsles motifs justiant une exception la rgle de lpuisement

    6. Article 56(7) Pas de conflit de rglement

    v Les affaires ont pu tre prsentes auparavant des organes non judiciaires,tels que le Rapporteur spcial, le Conseil des droits de lHomme, etc.

    7. Article 56(5) puisement des voies de recours (dtaill au chapitre 2)

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    LA CONDITION DELPUISEMENTDES VOIESDE RECOURSINTERNESARTICLE 56(5)

    Mission judiciaire de la FIDH et de lOGDH en Guine, Conakry,fvrier 2011

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    ARTICLE 56(5) : LES COMMUNICATIONSDOIVENT TRE POSTRIEURES LPUISEMENT DES RECOURS

    INTERNES SILS EXISTENT, MOINSQUIL NE SOIT MANIFESTE QUE LAPROCDURE DE CES RECOURS SEPROLONGE DUNE FAON ANORMALE.

    A. LMENTS DE BASE DE LA RGLE

    Lexigence dpuisement des voies de recours internes est au cur de la phasedexamen de recevabilit. Un certain nombre de prrequis de base la sous-tendent, parmi lesquels les trois principaux sont :

    v Que ltat mis en cause ait eu la possibilit de rpondre sur les accusationsqui sont portes son encontre1;

    v Que lorgane international saisi ne remplisse pas le rle dune cour de pre-mire instance2;

    v Que la rgle de lpuisement contribue renforcer la fonction de compl-mentarit de linstance judiciaire internationale3.

    1. Voir, par ex., Amnesty International et autres c. Soudan, App. Nos. 48/90, 50/91, 52/91 & 89/93,

    Comm. Af. DHP., para. 32; Free Legal Assistance Group and Others c. Zaire, App. Nos. 25/89, 47/90,56/91 & 100/93, Comm. Af. DHP., para. 36; Article 19 c. rythre, App. No. 275/2003, Comm. Af.DHP., para. 77; Front for the Liberation of the State of Cabinda c. Angola, App. No. 328/06, Comm.Af. DHP., para. 43; Promoting Justice for Women and Children c. Rpublique dmocratique du Congo,App. No. 278/2003, Comm. Af. DHP., paras. 59-60.2. Voir, par ex., Promoting Justice for Women and Children c. RDC, App. No. 278/2003, Comm. Af.DHP., para. 58; Jawara c. Gambie, App. Nos. 147/95 & 149/96, Comm. Af. DHP., para. 31; Malazi

    African Association et autres c. Mauritanie, App. Nos. 54/91, 61/91, 96/93, 98/93, 164/97, 196/97& 210/98, Comm. Af. DHP., para. 80; Michael Majuru c. Zimbabwe, App. No. 308/05, Comm. Af. DHP.,para. 77; Obert Chinhamo c. Zimbabwe, App. No. 307/05, Comm. Af. DHP., para. 52; Bakweri LandClaims Committee c. Cameroun, App. No. 260/02, Comm. Af. DHP., para. 39.

    3. Voir, par ex., Promoting Justice for Women and Children c. RDC, App. No. 278/2003, Comm. Af.DHP., para. 61; Nixon Nyikadzino c. Zimbabwe, App. No. 340/07, Comm. Af. DHP., para. 84.

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    Le premier prrequis, concernant lopportunit dune premire rponse octroye ltat mis en cause, est garant des intrts de ltat. Toutefois, il existe deslimites. Si ltat est sincrement non conscient des violations dont il est ques-tion, il est raisonnable de considrer quil doit en tre inform. Cependant, dansde nombreuses cas, ces allgations de non-conscience sonnent faux, dans la

    mesure o une violation ou une systmaticit de violations sont en gnral biendocumentes et ltat peut mme y tre mentionn sil est impliqu dans lesviolations commises. partir de ce constat, la Commission africaine reconnait,par exemple, que dans les affaires impliquant des violations massives, ltatincrimin ne peut allguer une non-conscience des violations en question4.

    Qui plus est, le fait quun tat soit potentiellement impliqu dans les crimesdnoncs constitue une quation intressante. Dun ct, ltat est toujours,dune certaine manire, conscient des crimes quil a particip commettre.De lautre ct, la question cl nest pas tant de savoir si une partie des autorits

    de ltat est consciente, voir plus que consciente et directement implique, maisde savoir si laffaire a t porte devant les instances pertinentes de ltat, demanire ce quelles aient pu tenter dobtenir rparation des violations com-mises par dautres acteurs impliqus. Ainsi, ces congurations complexes, touten conrmant lintrt de la notication ltat incrimin comme prrequis largle dpuisement des voies de recours, montrent que ce prrequis napportein nepas de clarication sur les limites cette rgle telles quelles existent lheure actuelle.

    Le deuxime prrequis pour lpuisement des voies de recours internes,concernant le fait que lorgane international saisi ne devienne pas la juridic-tion de premire instance se prononcer sur le cas, conforte les intrts dumcanisme supranational des droits de lHomme. La logique qui sous-tendce prrequis est celle de la capacit de linstance internationale connatredune norme quantit de violations des droits humains commises dans sonprimtre de comptence. Cette attention porte la capacit des organessupranationaux est extrmement importante, car elle entrine le fait que lesinstances internationales doivent faire preuve dune grande rationalit sur leur

    manire de grer leur temps, leurs ressources et leur capacit dattention, carelles ne disposent de tout cela quen quantit limite. Mais, une fois encore,ce prrequis en lui-mme ne clarie pas les limitations de lapplication de largle de lpuisement. Cest--dire quil ne prcise pas exactement commentles paramtres de cette rgle de lpuisement sont organiss, de faon ceque les ressources limites de linstance internationale soient utilises demanire optimale.

    4. Voir, par ex., Amnesty et autres c. Soudan, App. Nos. 48/90, 50/91, 52/91 & 89/93, Comm. Af.

    DHP.; Free Legal Assistance Group et autres c. Zaire, App. Nos. 25/89, 47/90, 56/91 & 100/93,Comm. Af. DHP.; Article 19 c. rythre, App. No. 275/2003, Comm. Af. DHP.

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    Le troisime prrequis apporte une rponse plus convaincante. Il sagit de celuide la complmentarit5, qui apporte une garantie deffectivit au mcanismedans sa globalit. La complmentarit doit tre considre comme le pr-requis majeur de la condition dpuisement des recours internes. Le principede complmentarit dispose que, lorsquune instance nationale peut apporter

    des garanties de rparation, elle doit le faire sans quun organe supranational nesoit impliqu. Cela permet de prserver les capacits et ressources de lorganeinternational, tout en garantissant la primaut des mcanismes nationaux.En revanche, dans le cas o les juridictions nationales ne sont pas en mesuredapporter de rponse satisfaisante, linstance internationale doit intervenir.

    Le prrequis de la complmentarit met en lumire un des objectifs majeursde la rgle de lpuisement des voies de recours internes : celui de pousser lestats uvrer eux-mmes pour garantir la rparation des violations des droitshumains, an dviter que les affaires ne soient rgles au niveau internatio-

    nal. En outre, lorsquil est articul au prrequis de lefcience, tel que prsentci-dessus, le prrequis de complmentarit contribue clarier les situationsdans lesquelles une exception la rgle de lpuisement des voies de recoursinternes sont justies. Soit, lorsque les mcanismes nationaux, pour uneraison ou une autre, sont inefcaces. En esquissant le primtre dans lequelles exceptions sont possibles, les mcanismes supranationaux non seulementpermettent de rduire le nombre daffaires non traites, mais peuvent galementcontribuer focaliser lattention sur les failles des mcanismes nationaux et,par l, engager ces derniers sur la voie de rformes destines les amliorer.

    B. PUISER LES RECOURS INTERNES

    LE FONDEMENT SUR LE DROIT INTERNATIONAL

    Le processus dpuisement des voies de recours internes est relativementsimple. Les victimes et leurs reprsentants doivent dposer plainte auprs dune

    juridiction nationale. Les arguments juridiques prsents au niveau nationalnont pas tre les mmes que ceux ports au niveau international, mais lefond de laffaire doit, lui, toujours tre expos6. Si la premire instance refusede connatre de la plainte, les plaignants doivent interjeter appel. Lorsquilnexiste plus dautre possibilit de faire appel, cela signie que toutes les voies

    5. Pour consulter une excellente analyse de limportance de la fonction de complmentarit danslapplication de la rgle de lpuisement des voies de recours internes, voir Rosica Popova, Sareic. Rio Tinto and the Exhaustion of Local Remedies Rule in the Context of the Alien Tort Claims Act:Short-Term Justice, But at What Cost?, 28 HAMLINE J. PUB. L. & POLY 517 (2007)..

    6. Voir, par ex., Lassad c. Belgique, App. No. 1010/2001, HRC (17 mars 2006), para. 8.3; Ringeisenc. Autriche, App. No. 2614/65, CEDH. (16 juillet 1971).

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    de recours internes ont t puises. Si la cour qui a examin laffaire rendun jugement inefcace (qui peut inclure en partie un jugement favorable auplaignant, mais pas sufsant en terme de rparation des violations dnonces),laffaire doit tre porte devant une juridiction suprieure. Tous les degrsdappels possibles doivent tre interjets, ou un jugement nal rendu, pour

    considrer que les voies de recours internes sont puises.

    Les seules voies recours qui doivent tre prises en compte dans loptique delpuisement sont les recours librement accessibles, justes et impartiaux.Cela signie donc que dans un premier temps seuls les recours fonds surlexercice du droit sont prendre en compte dans le cadre de lpuisement,cest--dire les recours qui ne relvent pas dune pratique discrtionnairenon judiciaire7. En particulier, il nest pas ncessaire davoir recours desmoyens uniquement discrtionnaires de nature non-judiciaire, tels que ceuxcherchant obtenir une faveur gracieuse et non faire valoir un droit8. Les

    recours tels que les demandes de rintgration, les ptitions ou les demandesde pardon ne constituent donc pas des voies de recours vers lesquelles lesplaignants doivent se tourner, dans la mesure o elles reposent sur une dcisiondiscrtionnaire et ne sont donc pas fondes sur lexercice du droit.

    La rgle de lpuisement des voies de recours internes se rfre donc unique-ment lpuisement des voies de recours de nature judiciaire9. Les voies derecours de nature judicaires sont celles offertes par des tribunaux indpen-dants agissant sur une base non-discrtionnaire et fonde sur lexercice du

    droit, tel que mentionn ci-dessus. Ces voies de recours rendent des juge-ments fonds sur le droit, contraignants et applicables directement. Lorsquedes organes administratifs10ou des Commissions nationales des droits delhomme remplissent toutes les conditions requises, ils peuvent galementconstituer une voie de recours interne entrant dans le champ dapplication

    7. Voir Chittharanjan Amerasinghe, LOCAL REMEDIES IN INTERNATIONAL LAW 314 (2e Ed. 1996).Voir galement Horvat c. Croatie, App. No. 51585/99, CEDH., paras. 47-48; Hartmann c. Rpubliquetchque, App. No. 53341/99, CEDH., para. 66.

    8. Voir Chittharanjan Amerasinghe, LOCAL REMEDIES IN INTERNATIONAL LAW 315 (2e Ed. 1996);citant De Becker Case, App. No. 214/56, ComEDH. ; Lawless c. Irlande, App. No. 332/57, ComEDH. ;Grce c. RU, App. No. 299/57, ComEDH. ; Ellis v. Jamaque, App. No. 276/88, HRC, para. 9.1. Voirgalement Dr. Farouk Mohamed Ibrahim c. Soudan, App. No. 286/10, Comm. Af. DHP., paras. 59-60.9. Voir, par ex., Cudjoe c. Ghana, App. No. 221/98, Comm. Af. DHP., para. 14 ; Article 19 c. rythre,

    App. No. 275/2003, Comm. Af. DHP., para. 70 ; CRP c. Nigeria, App. No. 60/91, Comm. Af. DHP.,para. 10 ; Avocats Sans Frontires c. Burundi, App. No. 231/99, Comm. Af. DHP., para. 23. Pour uneexpression sans quivoque de la nature judiciaire des voies de recours concernes, voir AmnestyInternational et autres c. Soudan, App. Nos. 48/90, 50/91, 52/91 & 89/93, Comm. Af. DHP., para. 31 ;et Dr. Farouk Mohamed Ibrahim c. Soudan, App. No. 286/10, Comm. Af. DHP., paras. 56. Voirgalement Priscilla Njeri Echaria c. Kenya, App. No. 375/09, Comm. Af. DHP., paras. 47-56.

    10. Remarque : un organe administratif nest pas une cour administrative, laquelle fait en soi partieintgrante du systme judiciaire.

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    de la rgle de lpuisement11. En revanche, ne sont pas considres commedes voies de recours entrant dans le primtre de la rgle de lpuisement, lesinstances administratives ou Commissions nationales de droits humains quine remplissent pas les critres : lorsquils rendent des recommandations noncontraignantes, lorsque leurs jugements ne sappuient pas sur des rgles de

    droits sufsamment prcises, ou tout autre lment leur confrant une natureinfra-judiciaire12.

    En dautres termes, les voies de recours ordinaires doivent tre puises13,sauf lorsque des exceptions peuvent se justier (tel que dtaill ci-dessous).Lorsquil existe dautres voies de recours de nature judiciaire, il peut tredemand aux plaignants de les avoir puises galement. Toutefois, cette exi-gence nest valable que si les dites instances remplissent les critres expliqusauparavant, ainsi que si elles constituent des voies de recours efcaces, et siles dlais quelles requirent ne sont pas draisonnables.

    Bien que les moyens dobtenir rparation de nature non-judiciaire (par exemple,en adressant un courrier aux autorits leur demandant de mener une enquteou de cesser dagir dune certaine manire) nentrent pas dans le champ desexigences de la rgle de lpuisement, et ne constituent donc pas des voiesde recours internes au sens, ils peuvent toutefois apporter un rconfort auxplaignants et ceux-ci peuvent ressentir malgr tout le besoin de les utiliser. Cesactions nentrent pas en conflit avec les possibilits de recours contentieuxsupranationaux, au contraire. Au-del des dispositions formelles de la rgle

    de droit, les mcanismes supranationaux peuvent prendre en considrationdes dimensions plus subjectives quant aux tentatives des plaignants dobte-nir rparation. Ils porteront ainsi un regard favorable sur les plaignants ayantmanifestement dploy tous les efforts possibles au niveau national pourobtenir rparation. En dautres termes, au regard de la rgle de lpuisement

    11. Voir, par ex., Brough c. Australie, App. No. 1184/2003, HRC, para. 8.6 ; Gilberg c. Allemagne, App.No. 1403/2005, HRC (July 25, 2006), para. 6.5 ; ZT c. Norvge, App. No. 238/2003, Comm. Comitcontre la torture (2006), para. 8.1 ; Cudjoe c. Ghana, App. No. 221/98, Comm. Af. DHP., para. 14 ;

    et Donna Sullivan, Overview of the Rule Requiring the Exhaustion of Domestic Remedies under theOptional Protocol to CEDAW 5 (2008).12. Voir, par ex., Ejido Ojo de Agua c. Mexique, App. No. 11,701, Comm. Int-am. DH. (4 mai 1999),paras. 15-16 ; Reyes c. Chili, App. No. 12,108, Comm. Int-am. DH. (10 octobre 2003) ; ColmenaresCastillo c. Mexique, App. No. 12,170, Comm. Int-am. DH. (9 mars 2005), para. 36 ; John Dugard,Rapporteur spcial sur la Protection diplomatique, Commission du droit international, Doc. ONU A/CN.4/514, para. 14 ; cit par Donna Sullivan, Overview of the Rule Requiring the Exhaustion ofDomestic Remedies under the Optional Protocol to CEDAW 5 (2008).13. Voir, par ex., Cudjoe c. Ghana, App. No. 221/98, Comm. Af. DHP., para. 14 ; PS c. Danemark, App.No. 397/1990, HRC (22 juillet 1992), para. 5.4 ; AH c. Sude, App. No. 250/2004, Comm. Comitcontre la torture (2006), para. 7.2 ; Ragan Salgado c. Royaume Uni, App. No. 11/2006, CEDAW

    Comm. ; cit par Donna Sullivan, Overview of the Rule Requiring the Exhaustion of Domestic Remediesunder the Optional Protocol to CEDAW 5-6 (2008).

  • 7/25/2019 Plaintes et admissibilit devant la Cour africaine : la FIDH publie un guide pratique

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    PLAINTES ET ADMISSIBILIT DEVANT LA COUR AFRICAINE FIDH / 41

    des voies de recours internes, les requrants ne sont pas obligs de sengagerdans des mcanismes de recours non-contentieux, mais sils le font ce seraperu de manire positive.

    Les tribunaux dexception, dont le type daction se situe en dehors du sys-

    tme judiciaire, nentrent pas dans le champs des juridictions qui doiventtre puises dans la mesure o leur procdures ne sont pas libres, justeset impartiales14. Cela a t constamment le cas pour les tribunaux militaires,notamment. Il est tout fait vident que les procs de civils devant des juri-dictions militaires, ou devant des tribunaux spciaux ou durgence , nepeuvent tre considrs comme acceptables, dans la mesure o ces juridictionsne sauront pas quilibrer enjeux de scurit et respect des droits humainsdans le rendu de leur verdict. Par ailleurs, le fait mme quune personne civilesoit juge par une juridiction militaire peut en soi constituer une violation dudroit une dfense juste et tre jug par une juridiction civile. Au-del de

    ces lments conduisant considrer comme inefcaces les procs devant cetype de juridictions, il a pu tre constat que ces organes ont en permanencefait preuve dun manque criant dindpendance.

    En gnral, les juridictions extraordinaires nont pas tre puises non plus,sauf si elles intgrent tous les critres constitutifs dune juridiction de naturejudiciaire, tels que dtaills ci-dessus. Cependant, lorsquune juridiction extraor-dinaire est mise en place spciquement pour statuer sur des questions dedroits humains (comme, par exemples, celles qui connaissent des violations

    historiques grande chelle), il semble vident quelle doivent faire partie desvoies de recours qui doivent tre puises. Qui plus est, cela est clairementsouhaitable, car cela permettra dtre plus efcace et rapide dans le processusdpuisement de certaines voies de recours. De mme, les actions constitu-tionnelles sont des voies de recours vers lesquelles les plaignants se tournentsouvent, et avec raison, au niveau national lorsquelles sont accessibles (etquelles ne constituent pas une exception la rgle de lpuisement telle quana-lyses plus haut). Toutefois, ceci nest uniquement possible que sil sagit deprocdures ordinaires, et non de recours extraordinaires, comme, par exemple,

    pourrait ltre un appel au niveau constitutionnel utilis comme recours desvices de formes dans le cadre dune enqute criminelle15.

    14. Voir, par ex., Gilboa c. Uruguay, App. No. 147/83, HRC ; Santullo Valcada c. Uruguay, App. No.9/77, HRC ; Barbato and Barbato c. Uruguay, App. No. 84/81, HRC ; Amnesty International et autresc. Soudan, App. Nos. 48/90, 50/91, 52/91 & 89/93, Comm. Af. DHP., para. 34 ; Jawara c. Gambie, App.Nos. 147/95 & 149/96, Comm. Af. DHP., paras. 33-34 ; Constitutional Rights Project (en reprsentationde Zamani Lakwot et six autres) c. Nigeria, App. No. 87/93, Comm. Af. DHP., paras. 7-8 ; Civil LibertiesOrganisation c. Nigeria, App. No. 129/94, Comm. Af. DHP. ; Constitutional Rights Project, Civil LibertiesOrganisation, and Media Rights Agenda c. Nigeria, App. Nos. 140/94, 141/94 & 145/95, Comm. Af.DHP. ; Aminu c. Nigeria, App. No. 205/97, Comm. Af. DHP. ; Dr. Farouk Mohamed Ibrahim c. Soudan,

    App. No. 286/10, Comm. Af. D