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Pierre Martin, Université de Montréal
Délocalisations dans les services : la montée de la Chine et de l’Asie et ses effets en Amérique du Nord
Présentation dans le cadre de l’école d’été du CÉRIUMLa Chine éveillée
Comment elle change et nous change
Pierre Martin
Professeur agrégé de science politiqueDirecteur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines (CÉPÉA)
Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM)Université de Montréal
Délocalisations dans les services : la montée de la Chine et de
l’Asie et ses effets en Amérique du Nord
www.cepea.umontreal.ca
École d’été du Centre d’études et de recherches internationalesde l’Université de Montréal (CÉRIUM), 5 juillet 2006
Cinq questions sur les délocalisations dans les services
• 1. Les délocalisations dans les services : quel est le problème?
• 2. Où en est la Chine au plan des exportations de services?
• 3. Quel impact sur l’emploi en Amérique du Nord?
• 4. Comment les États-Unis réagissent-ils?• 5. Quel impact sur le Canada et le Québec?
1. Quel est le problème?
Que veut-on dire par délocalisation?
• Notre thème: délocalisation outre frontière de l’emploi dans les services
• Impartition outre frontière (offshore outsourcing)
• Investissement dans une filiale étrangère (offshore in-house sourcing)
• Dans un cas comme dans l’autre, l’emploi passe à l’étranger…
Une illustration simple
Source: USGAO # 04-932, p. 58.
Quel est le problème?
• « Outsourcing is just another way of doing international trade », Gregory Mankiw, conseiller économique de George Bush (fév. 2004)
• La mondialisation et l’impartition à l’étranger affectent depuis longtemps l’emploi manufacturier
• Récemment : les services et les fonctions de gestion des entreprises sont devenus plus vulnérables
Quel est le problème?• Au début : les
emplois délocalisés étaient surtout des emplois peu spécialisés
• Maintenant : certains emplois pouvant être délocalisés sont hautement spécialisés
• "There is no job that is America's God-given right anymore," Carly Fiorina, PDG, Hewlett-Packard (janvier 2004)
• En janvier 2005, Carly Fiorina est congédiée…
Les sources: Dix forces qui ont « aplati » le monde (selon Thomas Friedman)
1. 11/9/89: chute du mur de Berlin: un seul monde2. 8/9/95: Netscape en bourse: Web+surinvestissement3. « Workflow »: ingénieurs indiens vs Y2K =
connectivité4. « Outsourcing »: désagregation du travail…5. « Offshoring »: production « délocalisable » partout
6. « open-sourcing »: système Linux7. « in-sourcing »: logistique en sous-traitance8. « Supply chaining »: Wal-Mart et l’efficacité à tout prix9. « in-forming »: Google, Yahoo, etc: information illimitée10. « les stéroïdes »: VoIP; Internet sans fil…
1. Où en est la Chine ?
La Chine et les exportations de services :Les craintes occidentales
• « In China, when you’re one in a million, there are a thousand others just like you. » (Thomas Friedman, The World is Flat)
• La Chine supplantera-t-elle l’Inde comme fournisseur de services à bas prix?
• Les emplois des ingénieurs, programmateurs et autres occupations dans les services sont-ils menacés par la concurrence chinoise?
La Chine en tant que pays hôte de services délocalisés : les points forts et
les obstacles• Le point fort: les coûts de la main d’œuvre• Pour les autres indicateurs, la Chine offre
une performance moyenne• L’environnement d’affaires est défavorable
– Risques élevés– Infrastructures moyennes– « Adaptabilité culturelle » et sécurité des
droits de propriété intellectuelle très faibles
Le bassin de travailleurs qualifiés en services de haute technologie est-il
illimité?• 2005, 3,1 millions de diplômés universitaires
en Chine, dont 600 000 nouveaux ingénieurs• Aux États-Unis: 1,3 million de diplômés, dont
70 000 ingénieurs• Un ingénieur en Chine coûte 19% de son vis-
à-vis américain (Inde=12%; Canada=84%)• Les ingénieurs et professionnels nord-
américains seront-ils balayés par cette concurrence?
• Selon McKinsey, ce n’est pas sûr…
Le bassin de travailleurs qualifiés à bas salaire en Chine et en Inde paraît
illimité…Maximum théorique d'employés, milliers
Chine Inde
Ingénieurs 1 589 528
Finances/Comptabilité 945 2 273
Chercheurs sciences naturelles 543 674
Analystes 202 537
Généralistes 1 733 6 181
Employés de soutien 97 506 92 635
…mais il ne faut pas se fier aux apparences
Maximum théorique d'employés, milliers
Aptes à l’emploi des multinationales, milliers
Chine Inde Chine Inde
Ingénieurs 1 589 528 159 132
Finances/Comptabilité 945 2 273 142 341
Chercheurs sciences naturelles 543 674 54 101
Analystes 202 537 252 371
Généralistes 1 733 6 181 120 828
Employés de soutien 97 506 92 635 4 875 4 632
La part du secteur des services dans l’économie chinoise est petite (données BM
2003; % PIB)
15 13
39
33
22
1116
51
4 8
18
70
6 811
75
28
15
75
0
10
20
30
40
50
60
70
80
Chine Inde Japon Mexique États-Unis
AgricultureAutresManufacturesServices
Les services tiennent-ils le rythme?
Évolution du PNB et du commerce de la Chine, 1990-2006
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
1600
1800
2000
2200
Sources: OCDE
(In
dic
e d
e c
rois
sa
nc
e:
19
90
= 1
00
)
Produit national brut
Exportation de biens
Exportation de services
Importation de biens
Importation de services
Les services tiennent-ils le rythme?
Équilibre commercial de la Chine, 1990-2006
-20 000
0
20 000
40 000
60 000
80 000
100 000
120 000
140 000
Sources: OCDE
En
mill
ion
s d
e $
US
Biens et services
Biens
Services
Perspectives de délocalisations de services spécifiques à la Chine
• En Chine ou en Inde, l’offre de main-d’œuvre n’est pas illimitée : la croissance de la demande se traduit par une augmentation des salaires
• Malgré l’abondance des diplômés chinois, la qualité de la main-d’œuvre dans les services est encore problématique
• L’environnement d’affaires, notamment l’absence de garantie de protection de la propriété intellectuelle, est un point faible
• La croissance à prévoir du secteur des services affectera surtout les services destinés au marché interne
Délocaliser vers la Chine ou ailleurs ? Les critères des
entreprises
Canada Chine Inde
Coûts (sur 4) 1,10 3,21 3,47
Source : A.T. Kearney’s Offshore Location Attractiveness Index, 2005.
Délocaliser vers la Chine ou ailleurs ? Les critères des
entreprises
Canada Chine Inde
Coûts (sur 4) 1,10 3,21 3,47
Talents et disponibilité (sur 3) 2,40 1,17 2,26
Source : A.T. Kearney’s Offshore Location Attractiveness Index, 2005.
Délocaliser vers la Chine ou ailleurs ? Les critères des
entreprises
Canada Chine Inde
Coûts (sur 4) 1,10 3,21 3,47
Talents et disponibilité (sur 3) 2,40 1,17 2,26
Environnement d’affaires (sur 3 )
2,03 1,76 1,14
Source : A.T. Kearney’s Offshore Location Attractiveness Index, 2005.
Délocaliser vers la Chine ou ailleurs ? Les critères des
entreprises
Canada Chine Inde
Coûts (sur 4) 1,10 3,21 3,47
Talents et disponibilité (sur 3) 2,40 1,17 2,26
Environnement d’affaires (sur 3 )
2,03 1,76 1,14
Total (sur 10) 5,52 6,14 6,87
Source : A.T. Kearney’s Offshore Location Attractiveness Index, 2005.
Indice général de localisation des services
Où délocaliser ? Une vue d’ensemble
(ou: pourquoi la Chine et l’Inde ont encore du chemin à faire…)1. Importance des institutions politiques et de la règle de droit pour la
croissance
Source: Daniel Trefler, “Offshoring: Threats and Opportunities,” Brookings Trade Forum 2005, p. 15.
Où délocaliser ? Une vue d’ensemble
(ou: pourquoi la Chine et l’Inde ont encore du chemin à faire…)2. Protection des droits de propriété et prédominance du commerce
intra-firme
Source: Daniel Trefler, “Offshoring: Threats and Opportunities,” Brookings Trade Forum 2005, p. 17.
3. Quel impact sur l’emploi ?
Quel impact sur l’emploi?
Emplois affectés (OCDE)
>Emplois menacés (McKinsey)
>Emplois déplacés (McKinsey)
Sous-emploi, chômage
Nouvel emploi
Insourcing
Effet net ?
Quel impact sur l’emploi?Mesures de l'impact des délocalisations sur les emplois du secteur des services, en pourcentage de
l'emploi total
0,0 2,0 4,0 6,0 8,0 10,0 12,0 14,0 16,0 18,0 20,0
Part de l'emploi total (% )
Emploisaffectés(OCDE)
Emploismenacés
(McKinsey)
Emploisdélocalisés(2003-2008)(McKinsey)
17,5% 637 000 emplois
17,0% 2 645 000 emplois
18,1% 23 592 000 emplois
9,1% 11 856 000 emplois
7,7% 1 200 000 emplois
7,7% 280 000 emplois
0,2% 210 000 emplois
0,1% 21 500 emplois
0,1% 4 900 emplois
Les occupations les plus touchées au Québec
Secrétariat 97 335
Commis à la comptabilité 64 460
Vérificateurs et comptables 39 325
Commis aux services à la clientèle
37 755
Directeurs des ventes 29 215
Agents d'administration 22 550
Ingénieurs 22 325
Calculs des auteurs à partir du classement des emplois de l’étude de l’OCDE (2005) et des données du recensement canadien de 2001
Emplois potentiellement menacés de délocalisation
Huit secteurs étudiés par McKinsey : Commerce de détail, soins de santé, banques, assurances, technologie de l'information, logiciels, industrie automobile, industrie pharmaceutique
Québec Canada
Huit secteurs étudiés
75 000 345 000
Tous les secteurs 280 000 1 200 000
Calculs des auteurs d’après l’étude de McKinsey (2005) et l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail, 2004 (Statistiques Canada 2005)
Emplois délocalisés (estimation)
• 1,5 millions déjà délocalisés dans le monde en 2003
• Selon McKinsey, ce nombre atteindra 4,8 millions en 2008
• 2,5% des emplois menacés seraient délocalisés
Projection des emplois délocalisés, 2003-08
Québec Canada
Huit secteurs étudiés
1 500 7 500
Tous les secteurs de services
4 900 21 500
Calculs des auteurs d’après l’étude de McKinsey (2005) et l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail, 2004 (Statistiques Canada 2005)
Impact sur l’emploi: SommaireEmplois affectés 637 000 >
Emplois menacés280 000 >
Emplois délocalisés
4 900 >Effet net
???
• Contexte canadien-Coûts avantageux par rapport aux États-Unis-Main d’œuvre qualifiée et environnement d’affaires stable
• Facteurs spécifiques au Québec -Place importante du secteur public; -Barrière linguistique
• Effet potentiel important, mais pas de catastrophe à l’horizon
• Nécessité d’investir dans la formation d’une main-d’œuvre qualifiée et capable de s’adapter aux changements
Autres impacts potentiels• Impact positif semblable au commerce selon la
théorie économique– Mais : pression à la baisse sur les salaires– États-Unis: crainte de perdre le leadership
technologique • Certains économistes craignent une
augmentation des écarts de revenus– Mais cet impact est mineur comparé à la technologie
• Sécurité et la protection des renseignements privés– Peu de données à ce sujet– Sécurité: peut empêcher certaines délocalisations vers
le Canada– Craintes au Canada face à l’accès aux données privées
par les services américains de renseignement
4. Que font les États-Unis?
Quel impact politique aux États-Unis? « Trade Politics as Usual? »
L’opinion publique américaine ne craint plus vraiment la mondialisation…
…mais il en va tout autrement des délocalisations outre frontière
Source: Chicago Council on Foreign Relations, Global Views 2004, p. 40 et 42.
Que peuvent faire les gouvernements?
L’exemple américainMesures possibles :
• Lois sur l’approvisionnement public• Restrictions aux transferts de données• Divulgation de l’emplacement• Conditions pour programmes publics d’aide• Transparence• Taxes propriété intellectuelle \ limites visas
Que fait le gouvernement fédéral américain?
• Très peu• Une douzaine de projets de lois en 2005
– Presque tous déposés par des Démocrates– Un seul projet de loi assez mineur adopté au
Congrès• George Bush s’oppose
obstinément aux lois limitant le recours aux délocalisations, ce qui le rend fort populaire…
…en Inde!
Que font les États?224 projets de lois présentés, 2003-2005
52% Redéfinissent les règles d’approvisionnement public pour limiter l’accès aux firmes qui effectueraient ces contrats outremer.
13% Restrictions à l’envoi de données outremer.
12% Obligation de divulguer l’emplacement d’un centre d’appel.
6% Restrictions à l’accès aux programmes publics d’aide pour les entreprises qui délocalisent.
5% Imposent aux firmes de prévenir le gouvernement avant de délocaliser des emplois.
12% Autres mesures (études du phénomène)
Des exemples?
• New Jersey (mai 05) : tout travail pour des contrats publics doit être effectué aux États-Unis
• Indiana (mars 04) : pénalité de 1 à 5% aux offres de services hors-État
• Tennessee (mai 04) : préférences aux centres d’appels et au traitement de données situés aux États-Unis
Qui fait quoi? Les projets de loisanti-délocalisations dans les États
Qui fait quoi? Les lois et décrets anti-délocalisations dans les États
Pourquoi ce protectionnisme anti-délocalisation?
• L’économie politique des délocalisations se démarque de celle du commerce– Pas d’effet de l’emploi dans les industries
vulnérables– L’emploi dans les industries exportatrices
augmente la propension à la résistance
• Les variables reliées aux facteurs de production (capital vs travail) sont plus importantes que les variables liées aux secteurs industriels– Alignement en fonction des classes– Résistance plus forte dans les régions « high-
tech » (« capital humain »)
Quels effets peuvent avoir ces réponses?
• Mesures contestables au plan juridique– Contre l’autorité du fédéral en politique commerciale– Limites au commerce inter-États– Pourraient contredire les traités commerciaux
• L’effet direct des politiques anti-délocalisation est marginal pour le moment…
• Sauf peut-être en ce qui concerne le rapport de force entre syndicats et patronat
• L’effet le plus important pourrait être indirect:– Le débat politique sur les délocalisation pourrait
entraîner une recrudescence du protectionnisme…– L’enjeu n’a pas eu de portée en 2004, mais ce
pourrait être différent en 2006 et 2008
Un enjeu électoral en 2006 et 2008?
En novembre 2004, l’opinion américaine a voté en fonction de la sécurité …
… mais la situation s’annonce tout autre en 2006
Source: Greenberg Quinlan Rosner Research (novembre 2004 et mars 2006).
5. Quel impact sur le Canadaet le Québec?
Conclusions (sur l’emploi)• L’impact direct des délocalisations dans le secteur des services
au Canada et au Québec est limité– Au Québec : 280 000 menacés, 4 900 effectivement délocalisés
(2004-08)
• Les impacts indirects ne sont pas négligeables : – Affaiblissement du rapport de force dans des secteurs auparavant
peu exposés à la concurrence internationale
• Un emploi « délocalisé » n’est pas nécessairement « perdu »…– Certaines délocalisations entraînent des conséquences minimales
pour l’emploi (réaffectations; mises à la retraite)
• Mais un emploi « menacé » peut être « perdu » du fait des délocalisations sans avoir été « délocalisé »– Par exemple: Quebecor ferme Télexpert (syndiqué) au profit de
centres d’appel non syndiqués, sous la pression de la concurrence dans le secteur
Conclusions (sur les États-Unis)• Le Canada et le Québec sont dans une bonne position
pour bénéficier des délocalisations d’entreprises américaines– Avantage de coûts de revient pour une main-d’œuvre qualifiée– Proximité et sécurité
• Mais cette position favorable est fragile.– Les facteurs limitant l’expansion des délocalisation dans les pays
à faible coût (Chine, Inde, etc.) se transforment à leur avantage– Le protectionnisme anti-délocalisations aux États-Unis visant les
pays émergents pourrait avoir un impact négatif sur le Canada
• Que faire?– Maintenir et améliorer les avantages liés à l’environnement
d’affaires et, surtout, à la qualité de la main-d’oeuvre– Demeurer vigilant et proactif face au protectionnisme américain
Quelques références:
• Pierre Martin, « The Rise of Services Offshoring and its Policy Implications in North America », Canadian Foreign Policy, juin 2006.
• Pierre Martin, « Globalization, offshoring, and American trade politics : prospects for Canada-US trade », Options politiques / Policy Options, 26 (février 2005), p. 82-86.
• Christian Trudeau et Pierre Martin, « L’impact des délocalisations sur l’emploi dans les services: estimations préliminaires pour le Québec, le Canada et les États-Unis », Notes & Analyses # 11, CÉPÉA, mars 2006.
• Pierre Martin et Christian Trudeau, « L’impact des délocalisations sur l’emploi dans les services: estimations préliminaires pour le Québec, le Canada et les États-Unis », Notes & Analyses # 11, CÉPÉA, avril 2005.
• Linda Lee, Christian Trudeau et Pierre Martin, « Délocalisation outre frontière de l’emploi : mise à jour sur l’activité législative aux États-Unis », Notes & Analyses # 7, CÉPÉA, septembre 2005.
Consultez notre site Web et notre « dossier délocalisations » :
www.cepea.umontreal.ca