perception et normes sociales : une alternative à l'intellectualisme

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UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN ET UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL PERCEPTION ET NORMES SOCIALES: UNE ALTERNATIVE À L'INTELLECTUALISME CONTEMPORAI N VOLUME 1 THÈSE PRÉSENTÉE COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN PHILOSOPHIE PAR SIEGFRIED L. MATHELET AOÛT 2011

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  • UNIVERSIT CATHOLIQUE DE LOUVAIN ET

    UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL

    PERCEPTION ET NORMES SOCIALES:

    UNE ALTERNATIVE

    L'INTELLECTUALISME CONTEMPORAI N

    VOLUME 1

    THSE PRSENTE

    COMME EXIGENCE PARTIELLE

    DU DOCTORAT EN PHILOSOPHIE

    PAR

    SIEGFRIED L. MATHELET

    AOT 2011

  • UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL Service des bibliothques

    Avertissement

    La diffusion de cette thse se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a sign le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles suprieurs (SDU-522 - Rv.1-26). Cette autorisation stipule que conformment l'article 11 du Rglement no 8 des tudes de cycles suprieurs, [l'auteur] concde l'Universit du Qubec Montral une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalit ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pdagogiques et non commerciales. Plus prcisment, [l'auteur] autorise l'Universit du Qubec Montral reproduire, diffuser, prter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'intern~t. Cette licence et cette autorisation n'entranent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] [ses] droits moraux ni [ses] droits de proprit intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la libert de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possde un exemplaire.

  • Simone, Fernand et Louis

    ... Pour m'avoir tout de suite adopt.

    Monique

    ... Pour avoir perptu la tradition, pour son soutien et tout son amour.

    ma mre,

    ... Malgr tout.

    Et mon pre que le destin m'a enlev trop tt.

  • Remerciements

    Nous tenons particulirement remerCIer nos directeurs de recherche, les

    p r Marc Maesschalck et Denis Fisette, qui nous ont fortement encourag au

    long de notre travail en plus de nous aiguiller dans l'laboration de notre

    projet de recherche et de nous prodiguer de judicieux conseils. Nous

    remercions galement le p r Robert Brisard qui nous a accueilli dans ses

    sminaires au Luxembourg, de mme que la pr Catherine Garnier qui nous a

    introduit la thorie des reprsentations sociales, ainsi que nos amis

    MeKhalid M'Seffard, M.A. en philosophie, et Me Pierrick Choinnire

    Lapointe pour nos discussions sur le constructionnisme sociologique et

    juridique. Merci Maryvonne Le Port, qui a accept de passer de nombreuses

    heures relire 1'0l1hographe de notre texte. Toutes les inconsquences

    restantes du textes ne sont dues qu' notre propre turpitude. Finalement, nous

    tenons souligner l'apport de notre compagne, Karine, dont l'amour, le

    soutien et le dvouement n'ont eu de cesse au cours de ce labeur, et sans

    lesquels celui-ci n'et pas t possible.

  • 1.

    To live is a lot more than to express, which is itself more than to write.

    Lester Embree, The phenomenology of representational awareness in Human Studies, Vol. 15, 1992, p. 303.

    2.

    There is nothing specially novel in the anti-intellectualism that accepts the stock problems of the intellectualist philosopher, and then attempts to solve them by calling in the assistance of nonintellectual factors, such as feeling, immediate intuition, faith or volition; this is a standing device of the whole history of philosophy. There is something more promising in an attempt which, accepting the complete right and autonomy of knowing and of logic in its own field, tries to see what this field of knowledge and refiective intelligence is and means as a specific type of behavior in a more inclusive scheme of behavior.

    John DEWEY Some Implications of Anti-Intellectualism in

    The Journal of Philosophy, Psychology and Scientific Methods, Vol. 7, no. 18, Sep. l, 1910, p. 480-481.

    3.

    Sweep what away? Not the personality-in-the-body, nymph- inthe-tree idea, feeling, belief. That idea-feeling-belief is very lovely, very true, very useful in its own time and place. Sweep away only the naive assumption that that is the method to see and record facts in social science. Reduce, then, the personality system of seeing and recording to the position of one among many possible systems of seeing and recording. Try the other systems, and see which gives the most complete, the most coherent delivery. The personality form of statement is a good form for domestic quarrels, but a bad form for theories of crime and punishment. It is nice for heroworshipers, illusion for Buddha, bedrock for Western theology, multiplicity-in-unity for psychoanalysis, hypothesis for the philosopher, and the most uncertain thing in the world to its closest students.

    Atthur, f. BENTLEY, Remarks on Method in the Study of Society

    in The American Journal ofSociology. Vol. 32, no. 3, 192Gb, p. 459.

  • TABLE DES MATIRES

    RSUM xv

    VOLUME 1

    INTRODUCTION GNRALE: ARRIRE-PLAN DE LA RELATION ENTRE PERCEPTION ET NORME SOCIALE 1

    Origine de la problmatique et prsentation de la thse , 1

    L'arrire-plan de la philosophie de l'esprit contemporaine 4

    Trois prsupposs affectant l'analyse pragmatique de la norme sociale: propositionnel, reprsentationnel et judicatif. 9

    Consquence des biais de la pragmatique universelle: volution adaptative ou dveloppementale des normes sociales 12

    Articulation de la thse 17

    Problme pistmologique de la TAC. 24

    Subjectivisme ancr et modlisation topographique dynamique, faut-il choisir ?..... 26

    Vers une thorie culturelle des normes sociales 30

    CHAPITRE 1 THORIE DES NORMES SOCIALES CHEZ HABERMAS 33

    1.1 Habermas et Brandom : trois prsupposs d'un dbat sur les normes sociales... 33

    1.1.1 La norme sociale est-elle dpendante de faits rels ou des seuls objets de discours ? 37

    1.1.2. Trois prsupposs d'une pragmatique contemporaine - en un sens, toujoUJs newtonienne 42

    - Le prsuppos propositionnel de la pragmatique contemporaine 49

  • VI

    - Le prsuppos reprsentationnel de la pragmatique contemporaine .... 50

    - Le prsuppos judicatif de la pragmatique contemporaine 53

    1.1.3 Dfinition et caractristiques de la norme sociale 56

    - Parenthse pistmologique 61

    1.1.4 Conclusion sur les prsupposs de la pragmatique contemporaine 62

    1.2 Pragmatique universelle et thorie de l'agir communicationnel. 64

    1.2.1 L'articulation de la pragmatique universelle: une clarification des termes 64

    - Les termes 75

    1.2.2. La rationalit de l'agir et sa logique interne sous l'angle de la thorie des actes de langage 80

    - Position du problme de la rationalit 80

    1.2.2.1. La rationalit dans la socit 83

    - Le rle central des prtentions la validit pour l'activit

    - L'universalisme de la rationalit et la comprhension moderne

    - La rationalit travers l' histoire des thories sociologiques 83

    - Le concept de rationalit du point de vue de la pragmatique universelle ..... 84

    - Les diffrents types de rationalit 87

    - Sur l'application du prdicat de rationalit au-del du modle cognitif.. .... 90

    - Parenthse sur les prsupposs intellectualistes de la rationalit 92

    - La fonction communicationnelle commune tous les types d'expression... 93

    communicationnelle 97

    du monde 100

  • vu

    - Structure universelle du procs de rationalisation 109

    1.2.2.2 La rationalit dans l'action 114

    - La thorie des trois mondes 114

    - Les concepts sociologiques d'action 121

    - L'agir tlologique et stratgique 129

    - L'agir rgul par des normes 130

    - L'agir dramaturgique 132

    - L'agir conununicationnel. 135

    1.2.2.3. Rationalit des valeurs et des significations 144

    - Vers l'argument pragmatico-universel : signification et valeur de l'agir. .. 144

    - La coordination de l'action partir de Weber. 149

    - Modles de l'agir finalis et de l'interaction 154

    - Les orientations de l'agir. 158

    - La thorie des actes de langage proprement dite 165

    - La force illocutionnaire et la validit des actions langagires 169

    - Clture de l'argument par la thorie des actes de langage 176

    - En vue d'une thorie sociologique de l'usage du langage 184

    - Rflexion sur les modes de coordination 187

    - Retour sur le monde vcu 191

    1.2.2.4. Logique de dveloppement et processus de rationalisation du monde 194

    - L'aspect moral de la rationalit et l'thique de la discussion 195

    - Psychologie pragmatique et rationalit sociale 199

  • Vlll

    - La thorie du dveloppement moral.. 204

    - Thorie de l'interaction et typologie de l'action sociale 210

    - Dcentration et dveloppement. 214

    - Les perspectives sociocognitives 217

    - Rciprocit et formes d'interaction 220

    - Stades d'interaction et procdure d'intercomprhension 227

    1.2.2.5 Conclusion paltielle 228

    CHAPITRE 2 THORIE DE L'AGIR COMMUNICATIONNEL ET PERCEPTION DANS L'HORIZON SOCIOLOGIQUE 237

    2.1 Le courant constructionniste 241

    La thse pistmologique du constructionnisme 247

    Les fondements du constructionnisme chez Kenneth J. Gergen 253

    Rvision constructionniste des sciences sociales chez K. J. Gergen 259

    Entre constructionnisme et constructivisme habermassien 266

    - La dualit de la mthode du constructivisme habermassien 268

    - La thorie 277

    2.2. Les voix discordantes de la sociologie comprhensive 280

    La critique du consensus orthodoxe d'Anthony Giddens 281

    L'action crative chez Hans Joas 290

    Note sur Pierre Bourdieu 307

    2.3. L'cole des reprsentations sociales dans l'horizon de la

  • IX

    psychologie sociale 310

    La psychologie sociale 310

    L'cole des RS : introduction 323

    Le concept de reprsentation collective 327

    Le dplacement pistmologique 332

    A. Gense: le problme de la perception et l'tude des RS 332

    B. Repositionnement de la discipline psychosociale autour des RS 336

    C. Construction d'une position fondationnelle 339

    Apport la sociologie contemporaine 334

    Aperu critique 351

    VOLUME Il

    CHAPITRE III THORIE DES NORMES SOCIALES ET THORIE PHNOMNOLOGIQUE DE LA PERCEPTION 358

    3.1. Fondements pistmologiques et mthodologiques de l'entreprise schtzelme 363

    Quelques enjeux pistmologiques 363

    La culture et les origines autrichiennes de Schtz 374

    Le cadre pistmologique de la mthode comprhensive 380

    Introduction la thorie des strates de la conscience 382

    Antipsychologisme et assise logiciste des sciences sociales 383

    Jugement de valeur et validit de l'activit scientifique 386

  • x

    De la critique phnomnologique de l'empirisme des sensations la critique

    du consensus olihodoxe en sciences sociales 392

    Conclusion partielle: une thorie positive de la culture en opposition au

    consensus orthodoxe 395

    3.2. Thorie sociologique et rvision de la thorie de l'action 400

    Entre individualisme mthodologique et interactionnisme 400

    3.2.1 L'objet et les concepts fondamentaux de la sociologie comprhensive 407

    Tirsias et la structure temporelle de l'action: Agir (actio)

    Retour sur les impressions de Carnade, critiques de l'pistmologie des

    Les fondements subjectifs de la coordination sociale 408

    Le sentiment de dure interne comme fondement du sens de l'action 410

    et acte (actuln 413

    Parenthse sur l'effet accordon 415

    Retour Tiresias 417

    Carnade ou le processus concret de dcision d'agir. 420

    sensations et du fondement de la dcision d'agir. 427

    3.2.2 Perception et expression du sens subjectif de l'action: les conduites 429

    - Expos systmatique des concepts schtzens de conduite et d'action 430

    - Racine de la distinction des conduites 431

    3.2.3. Critique phnomnologique de la pragmatique contemporaine 437

    Premire remarque sur les fondements psychiques ou linguistiques de la pragmatique des normes sociales 439

  • Xl

    Rappel de la thse: les trois biais propositionnel, reprsentationnel et judicatif de l'analyse pragmatique contemporaine des nonnes sociales 440

    Retour sur les fondements psychique et linguistique de la pragmatique des normes sociales 442

    Conduites et nonnes sociales 446

    Conclusion partielle: vers une clarification des fondements antprdicatifs de l'intersubjectivit 455

    3.3. Rvision des concepts de comprhension et explication culturelle de la coordination intersubjective et sociale 456

    3.3.1. Enjeux thoriques autour du concept de comprhension 456

    Critique des concepts de comprhension de la sociologie wbrienne 459

    Le problme de la phnomnologie 466

    La thorie de la perception par esquisses (A) Fondements et pertinence 469

    Rappel sur la stratification de la conscience 474

    La thorie de la perception par esquisses (B) Synthse perceptive et stratification de la conscience 475

    Thorie de la perception par esquisses: (C) Constitution des types et fondements des relations de pertinence 480

    Retour sur Goldstein et la pense primitive la lumire de la thorie

    La thorie de la perception par esquisses

    Parenthse sur le contenu axiologie et la relation normative 483

    de l'idation 489

    (D) La dlination de l'exprience, la structure goque de la conscience et le pouvoir-faire 492

    3.3.2 L'intersubjectivit: L'apperception de l'ego d'alter dans le face--face 496

  • XII

    - Analyse conceptuelle et modlisation formelle , 499

    500

    503

    505

    508

    La syntonisation comme concept formel de 512

    514

    517

    - Prcision pistmologique

    - Rappel du principe de dualit

    - Retour au face--face concret.

    La rciprocit des perspectives

    relation sur-Ie-mode-du-nous (We relation)

    Syntonisation de la coordination sociale

    L'exemple de l'vitement des cyclistes revu et corrig

    Analyse de l'interaction fonctiolmelle des cyclistes et normes sociales 521

    Appendice sur l' anormali t dans le groupe social. 525

    3.4 La coordination sociale par l'usage de signes 528

    3.4.1 Les fondements de la communication 528

    Fondement perceptif de la communication et agir communicationnel. 533

    Remarques sur le contexte fonctionnel et la thorie des normes sociales 536

    Parenthse pistmologique sur quelques considrations thoriques 543

    Considration praxologique 550

    Retour sur la structure des motifs et leur imbrication 550

    3.4.2 Ex cursus schtzen sur la thorie des signes 555

    Aperu de la thorie husserlienne de la signification (chez Schtz) ou consquence de la thorie de la perception sur la thorie des signes 560

    Appendice sur la thorie des ordres de Bergson 565

  • XIII

    Les principes gouvernant les changements structuraux des relations d'apprsentation 569

    Marques et indications 573

    Les marques 574

    Les indications 575

    L'usage intersubjectif de la relation de signes et sa socialit 577

    3.4.3 L'analyse formelle des prsupposs de l'usage intersubjectif des signes 582

    Prcision sur l'analyse formelle de l'usage intersubjectif des signes

    La ralit sociale du monde de la vie quotidienne et ses provinces

    Conclusion partielle: Retour sur le mouvement veliical et

    et la thse de la pragmatique universelle 585

    Transcendance de la relation sociale 599

    Redfinition de la notion de signe 600

    Les types de signes 602

    Usage communicationnel des types de signes 603

    Le monde porte de l'ego et le monde de la vie quotidienne 607

    Les symboles ou la transcendance de la nature et de la socit 610

    finies de sens 615

    Retour sur la relation entre symbole et socit 618

    - Dfinition de la norme sociale 629

    l'imbrication des schmes de pertinence 631

    CONCLUSION 650

    - Rsum analytique de la thse 656

  • XIV

    - Retour sur la critique pistmologique de la TAC 656

    - Retour sur une lecture critique de Habermas 661

    - Retour sur une lecture charitable de Schtz 666

    - Retour sur la sociologie contemporaine 668

    BIBLlOGRAPHIE GNRALE DE LA THSE ET DE LA THSE ANNEXE 674

    BIBLlOGRAPHIE SLECTIVE 702

    APPENDICE A : QUATRE MODLES PURS DE FORMATION D'UNE NORME SOCIALE DANS UN MILlEU 704

    APPENDICE B : DFINITIONS DE LA REPRSENTATION SOCIALE CRS) PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE, SELON DIVERS AUTEURS 707

    APPENDICE C : PRINCIPAUX CONCEPTS 710

    APPENDICE D : RAPPEL DE LA THSE ET DFINITION DE LA NORME SOCIALE 726

  • xv

    ABSTRACT

    ln this thesis, fol1owing Alfred Schtz' uses of Husserl's theories of perception by adumbration and of the strata of ideation against Habermas attempt to replace them for a Jinguistic constitution of the Lebenswelt, we identify three presuppositions generally adopted by contemporary pragmatism and challenge them to argue that social nonns are rooted in the prepredicative sphere of consciousness and, moreover, in existential group relations which social and functional qualities are immediateJy perceived, which means without any thematic representation of an object they could fill. Consequently, social norms are certainly not to follow an evolutional path progressively oriented toward conformity to the intrinsic structure of language by developing moral judgment through a discursive use of concepts. We name the presuppositions of contemporary pragmatism leading Habermas to such a view on social norms, proposiLional, representational and judicative.

    To be sure, we first show that similar presuppositions are to be find in Robeli Brandom's pragmatic opposing Habermas on social nonns. So they are pervading both side of the searlian / selJarsian opposition within the so-called intentional turn of the pragmatic turn of linguistic philosophy, forming today a large trend of contemporary pragmatism. These presuppositions are demonstrate to be theoretical bias impeding the conceptualization of some types of conducts which are learned and socially coordinate. Imitative conducts and mass phenomena are paradigmatic in Habermas' Theory of communicative action, which implications for the progressive rationality and morality of social norms is the object of the first pali of this thesis. As the last type of conduct is the root of the institution of society in Durkheim's sociology, and the former is essential to role learning and the learning of language itself, both seem to patiicipate to social nonns in a way which command a more inclusive definition.

    Moreover, according to an overview of the constructionist trend, social theorists challenging social sciences' epistemic conscensus, and the founding status that French school of Moscovici claim for their psychosocial theory and method over sociology - in the second pali of this thesis, we argue that such attitudes like reactance and others identified by psychosociological research must be integrated to social theory and theory of social norms. After an overview of Schtz' work, we maintain that these attitudes, like any of nonTI conformity or transgression, are agentive or pragmatic engagement primordially provoked by an immediate perception of the social quality of an existential relation to be hegemonic in a social group or "milieu". We cali this axiological content of the relation a normative quality (qualit de norme). It draws from the direct apperception of a typical social relation through a eue that indicates the presence of an alter ego with whom to perform the relation in a manner

  • XVI

    that appeal a typical conduct in afunclional relation toward alter in this particular situation. We call this cue of alter's presence a sociality cue (indice de socialit), and because of its participation in a functional relation in a way we slightly criticize Schtz, we cali it more precisely a sociality factor (facteur de socialit). With Schtz' help, we manage to redefine social norms around the idea of a relevancy between a perceived situation and a typical conduct. And this scheme of relevance takes the peculiar structure of Cl sign relation. So social norms themselves are organized around apperceptive, appresentative, referential and contextual scheme, displaying independent thematic, interpretative and motivational functions within consciousness. And because the relation of the agent toward the expressive sphere of conducts and speech proceeds under different strata of consciousness, we can talk about an horizontal process of perceptive integration rooted in prepredicativeness and following a vertical path upward to ideation, abstractization, generalization, formalization, algebrification, and downward back to sensory-motor schemes, stabilizing in this way learned competences in a social 'milieu' and, consequently, stabilizing cultural patterns around socials norms in a concrete way. Concrete here means in such a way that the sign structure of the situation itself engage the agent' s experience toward a norm performance.

  • INTRODUCTION GNRALE

    ARRlRE-PLAN DE LA RELATION ENTRE PERCEPTION

    ET NORME SOCIALE

    Origine de la problmatique et prsentation de la thse

    La thse et la thse annexe' que nous prsentons ici rpondent un projet unitaire qUI

    consiste interroger le rapport entre la thorie de la perception et une thorie des nonnes

    sociales. D'une faon trs gnrale, nous pensons qu'une rvision de la thorie traditionnelle

    de la perception a des consquences logiques et thoriques pour une thorie des normes

    sociales. Plus prcisment, nous dfendons la pertinence d'une thorie holistique et

    dynamique de la perception, susceptible de concilier l'apport de l'environnement externe et

    celui de la phnomnalit subjective du sens pour la thorie des normes sociales. 11 s'agit

    nommment de la thorie de la perception par esquisses que nous retrouvons dans la

    tradition phnomnologique. Scion nOLIS, et telle est la base de notre entreprise, cette

    conception thorique permet une description plus adquate du phnomne des normes

    sociales. Car, comme le caractre dynamique de la perception par esquisses implique lui

    mme de recourir une thorie de l'exprience stratifie ou thorie des strates de la

    conscience, celle-ci rend mieux compte des diffrents rapports plus ou moins intellectuels et

    thmatiques aux normes sociales, c'est--dire du degr d'activit cognitive ncessaire leur

    performance, donc, des exigences cognitives ncessaires la reproduction et la diffusion

    lExigence traditionnelle des universits belges et de la cotutelle entre l'UQAM et l'Universit de Louvain.

  • 2

    d'une norme sociale - de mme qu' sa formation historique dans un milieu, soit le

    phnomne d'innovation sociali.

    Cette recherche sur les fondements thoriques de la norme sociale, tel qu'ils se posent

    sous l'angle de la perception, entend bien rejoindre la problmatique souleve par le

    Pr. Maesschalck et les chercheurs du Centre de philosophie du droit (CPDR)3 : comment

    concevoir la formation et le dveloppement de comptences morales par un milieu social ou

    phnomne d' auto-capacitation ? Bien sr, ce projet se veut programmatique. U prend son

    point de dpart dans une pragmatique contextuelle , disons post-habermasienne, qui prend

    au srieux la phnomnologie et son point de vue la premire personne, et qui cherche

    intgrer les appolts de la psychologie cognitive et du dveloppement ainsi que de certaines

    avances sociologiques et psychosociales sur la socialit des ides et idologies4 Rappelons

    que, tout en prnant un tournant pragmatique dans lequel l'action tlologique est

    rinterprte comme agir communicationnet, Habermas juge bien que la problmatique de la

    rationalit est intrinsque l'entreprise sociologiqueS; et, poursuit-il dans son uvre, en

    prenant la forme de la rflexion thmatique, cette rationalit induit des changements

    structurels dans la moralit et les pratiques normatives des acteurs d'un milieu. C'est la

    suite de cette affirmation qu'une pragmatique contextuelle interroge de faon critique la

    relation entre une rflexivit opratoire et Je contexte social dans la formation de

    comptences pratiques.

    Cette approche suppose d'emble que les facteurs dterminants pour la formation des

    comptences morales, mme s'ils n'appaltiennent pas forcment au contexte social ou au

    milieu, peuvent nanmoins en tre drivs jusqu' un certain point. Nous nous dclarons

    solidaires des grandes lignes de ce programme et dsirons montrer, partir d'une thorie

    2Pour une revue des principales dfinitions de ce concepl, voir Julie Cloutier, Qu'est-ce que l'innovation sociale in Cahiers du ClUSES Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), collection tudes thoriques, cahier ET0314, novembre 2003,46 p.

    3Yoir Marc Maesschalck, Rflexivit transcendantale et rflexivit opratoire. Dveloppement d'un programme de recherche in Les Carnets du Centre de philosophie du droit, nO 84, 2007, 22 p.

    4Yoir Marc Maesschalck, Normes et contextes. Les fondements d'une pragmatique contextuelle. Hi Idesl1eirniZurichfNew-York, Gorg OLMS verlag, 2001, 324 p.

    5J. Habermas, Thorie de l'agir communicationnel. Rationalit de l'agir et rationalisation de la socit, traduit par J.-M. Ferry, Paris, Fayard, tome l, 1987, p. 14.

  • 3

    descriptive gnraJe fonde sur une thorie holistique, dynamique et ancre de la perception:

    a) que les normes sociales sont bien constitues partir de facteurs socialement drivs

    agissant de faon antprdicative sur la conscience; b) et qu'une thorie formelle peut dcrire

    ces facteurs de faon cohrente dans un contexte psychosocial relationnel au sein duquel les

    relations stables sont, du point de vue thorique, autant de fonctions auxquelles sont

    incorpors ces facteurs. Ces deux thmes seront traits respectivement dans notre thse

    et notre thse annexe. Pour faire ressottir la fois leur rle opratoire et leur origine

    contextuelle, nous appellerons ces facteurs des jacteurs de socialit. Il s'agit l moins d'une

    invention originale que d'un accent mis sur le rle de ce que Schtz, la suite de Husserl,

    appelle des indices de la prsence d'autllli ou, en nos termes, des indices de socialit.

    De plus, en dveloppant l'ide que ces indices jouent un rle opratoire en tant que

    facteurs de dveloppement de comptences normatives ds le niveau antprdicatif de la

    conscience, nous obtenons la possibilit de processus indpendants de formation et de

    diffusion antprdicatives des normes sociales qui permettent de dgager au moins quatre

    modes diffrents selon Jesquels celles-ci peuvent se former et se rpandre dans un milieu6. De

    surcrot, dans la mesure o la conscience antprdicative est primordiale et fonde la

    conscience prdicative, son ancrage contextuel nous amne renouer avec une critique dite

    pragmatique de la pragmatique universelle7 Selon celle-ci, l'adaptation l'environnement

    qui fonde l'attitude perlocutoire est tout aussi fondamentale et primordiale pour l'attitude

    illocutoire que l'est la conscience antprdicative pour la conscience prdicative ou la

    connaissance par accointances (know how) pour la connaissance thorique (know that). Ce

    dernier point vient asseoir l'ide que les normes sociales suivent un processus adaptatif qui

    dispose de la logique de dveloppement issue des fonctions sociales et morales que Habermas

    attribue la structure du langage et tend la socit.

    Finalement, toujours pattir de la thorie de la perception par esquisses, nous

    contesterons l'assise pistmologique de la thorie de l'agir communicationnelle et la

    6Yoir nos Rsum du processus de formation des nonnes sociales et Aperu des "strates" de conscience partir desquelles s'opre la diffusion des normes sociales , l'Appendice A de cette thse.

    7Yoir l'argument de Culler cit par David, M. Rasmussen, Reading Habermas. Oxford/Cambridge, Basil Blackwell, 1990, p. 40. Nous rejoindrons galement la critique de Hans Joas, Pragmalism and Social The ory, Chicago/London, The Universit)' of Chicago Press, 1984, p. 174.

  • 4

    rsorption de la thse de la dualit de la mthode par une position interprtative qui, chez

    Habermas, consacre l'impossibilit de trancher sur la valeur d'une thorie des normes

    sociales, ou sur une thorie comprhensive comme celle de la TAC, par des moyens

    empiriquess. Aprs avoir dmontr que les prjugs lis au reprsentationalisme ont une

    incidence sur la valeur descriptive de la TAC, nous rejetterons ses principales prtentions

    comme thorie sociologique gnrale. Nous rejetterons ses prtentions l'explication

    philosophico-historique - selon laquelle le dveloppement de la dmocratie moderne en

    Occident est le produit de la raison communicationnelle, parce qu'elle ne considre pas

    l'appolt non communicationnel des lments perceptifs. Nous montrerons que, d'un point de

    vue empirico-raliste, et pattir de la mme thorie phnomnologique de la perception, le

    sens peut tre trait par une mthode empirique peu loigne de celle des sciences

    naturelles. Alors que d'un point de vue praxologique, nommment en vue d'une ducation

    la citoyennet, le rle de la conscience antprdicative dans la formation du jugement moral

    mrite selon nous une plus ample considration. La thorie de l'agir communicationnel doit

    donc tre considre comme l'appendice d'une thorie descriptive gnrale de l'interaction

    sociale susceptible de servir de modle nomologique-formel de J'activit

    communicationnelle, modle de type structural dont l'utilit sociologique reste confirmer

    ou infirmer, prcisment, par la soumission de ses hypothses sur la communication un

    protocole de vrification empirique pris au sens de Flix Kaufmann, et une apprciation

    gnrale de sa valeur explicative quant la formation concrte des normes sociales.

    L'arrire-plan de la philosophie de l'esprit contemporaine

    Nous abordons cette problmatique de l'ancrage contextuel et pragmatique des nonnes

    sociales en tenant compte des dveloppements contemporains de la philosophie de J'esprit et,

    dans une cettaine mesure, des sciences cognitives sur la perception sensible, plus

    particulirement partir des recherches des historiens de la philosophie visant faire

    connatre les dbats aux origines de la philosophie de l'esprit contemporaine et mettre en

    gNous tirons cette assise pistmologique de la TAC des discussions menes aux parties 3 et 4 du premier chapitre de l'introduction de 1. Habermas, op. cil.. 1987, tome 1, p. 90 157; Habermas conJut ailleurs un dualisme de la comprhension et de l'observation (p. 274) dans Le ralisme aprs le tournant de la pragmatique linguistique in J. Habermas, op. cil., 2001, p. 274 et pts (e), p. 278-279.

  • 5

    valeur le courant phnomnologique dans sa contribution relle ou potentielle ces dbats.

    Outre l'ancrage au corps et l'environnement, un des dfis pour la philosophie de l'esprit,

    comme l'crivaient Fisette et Poirier dans leur ... tat des lieux9, et, ajouterions-nous, pour la

    thorie de l'action qUI en dcoule, consiste intgrer l'apport des thories

    non reprsentationnelles de ('intentionnalit. Or c'est prcisment cette intgration qui

    s'impose lorsque nous abordons le problme de la normativit non plus simplement comme

    un apprentissage de connaissances, mais davantage comme un apprentissage de comptences.

    La question rejoint alors une de celles poses par la sociologie cognitive de Cicourel 'o : partir de quel moment une forme de connaissance rflexive intervient-elle dans

    l'accomplissement de la norme sociale? Aprs avoir clairement dfini les termes, nous

    montrerons que ni la reprsentation ni la conceptualisation ne sont ncessaires au phnomne

    des normes sociales. Car, parmi les modes de formation et de diffusion que nous

    identifierons, nous dcrirons celui par lequel une norme sociale peut se former et se diffuser

    sans mettre en jeu la conscience prdicative. La question est alors de savoir quand, dans les

    socits complexes, elle intervient.

    Cependant, si nous entendons revenir quelques inspirations phnomnologiques, il

    nous impolte d'aborder le problme mthodiquement. Le problme de la norme est celui de

    la rgularit et du principe de sa mesure, c'est--dire la rgle. Le problme de la norme

    sociale concerne donc essentiellement la rgularit des relations sociales et, travers les

    conduites vises subjectivement, les principes de sa mesure par les acteurs". Les normes

    sociales interrogent donc la relation entre la philosophie de t'esprit et la thorie de l'action.

    Car, du point de vue sociologique, eUes constituent avant tout un problme qui appartient au

    champ d'tude de la thorie de l'action. Elles se manifestent essentiellement par des actions

    et compoltements externes, et accessoirement par des propos dclaratoires sur l'exprience

    interne.

    90en is Fiselte et Pierre Poirier, Philosophie de l'esprit. tat des lieux. Paris, Vrin, 2000, p. 296-297. 10Aaron V. Cicourel, La sociologie cognitive, traduit par Jeffrey Oison, et Martine Oison, Paris, Presses

    Universitaire de France, Sociologie d'aujourd'hui, 1979, p. 37. IIVoir Franois Chazel, Norme (-sociale)) in Sylvain Auroux (dir.), Les notions philosophiques.

    Dictionnaire. Paris, Presses Universitaires de France, Encyclopdie philosophique universelle, publie sous la direction d'Andr Jacob, 1990, tome 2, p. 1768.

  • 6

    Le problme de la norme sociale devient un problme de philosophie de l'esprit paIt

    entire ds le moment o elle est aborde pattir du sens vis par l'acteur. L'image de la

    bote noire jouant un simple rle de transmetteur univoque entre stimuli et rponses ne suffit

    plus. Du moins, il faut y ajouter une thorie des significations comprhensibles la premire

    personne, susceptible d'expliquer comment celles-ci engagent la conscience de l'acteur et

    l'oblige envers une norme dont la validit varie, selon toute apparence, en fonction du

    contexte social. Le dfi se pose alors de concilier la rationalit et la phnomnalit de

    l'engagement, forme de double contrainte pour l'acteur.

    Ce problme se complexifie paltir du moment o nous mettons en cause la position

    reprsentationaliste l2 . En effet, celle-ci prtend que le contenu d'un acte psychique est une

    reprsentation, et donc une image ou un objet pleinement constitu, voire un concept, qui fait

    office de thme pour la conscience. A contrario, la position non conceptualiste radicale

    soutient que cet acte peut avoir pour contenu des lments dnus de forme intellectuelle, et

    souvent issus du contexte. Certains opposeront le fonctionnel au conceptuel, ou ramneront

    ce dernier au premier 13 . Mais le problme est plus complexe l4 Et c'est plutt une gradation

    des niveaux d'abstraction des lments contextuels de J'exprience par la conscience qui est

    l'uvre dans J'orientation des actions et comportements en socit. Bref, un processus

    vertical d'abstractions cumulatives qui connat des mouvements, pour ainsi dire, progressifs

    et rgressifs.

    Nanmoins, et c'est J un constat d'impltance majeure pour une thorie sociologique de

    la norme, l'ancrage de la conscience dans le contexte social se fait partir d'un niveau

    antprdicatif de la conscience. ce niveau, le degr de gnralisation et de

    conceptualisation des lments de J'exprience est extrmement variable, voire htrogne.

    Son contenu perceptif, en termes gnraux et de faon non exhaustive, peut tre figuratif,

    12Par exemple, Fisette et Poirier, op. cil., p. 297: On peut se demander si le reprsentationnalisme n'est pas directement responsable du foss dans l'explication de la conscience, en ce qu'il rduit l'explanandum aux proprits des reprsentations mentales et ne peut donc pas rendre justice l'tendue de l'exprience phnomnale et son rle dterminant dans nos transactions avec le monde.

    13Fiselte et Poirier, op. cil., p. 292. 14Pour un aperu de la distinction entre prconceptuel et conceptuel et le test d'extensionnalit permettant de

    les distinguer, voir Fisette et Poirier, op. cil., p. 180-182.

  • 7

    affectif, axiologique, symbolique, smantique ou mme, ce n'est pas exclu, assorti de

    prsentations conceptuelles15.

    Mais par-dessus tout, dans la coordination sociale, la reprsentation thmatique du

    contexte et de l'action n'est pas toujours prsente chez l'acteur. La prsentation du contenu,

    quel qu'il soit, axiologique ou conceptuel en ce qui nous concerne, n'est pas une

    reprsentation16. En ce sens, pour ce qui est des acteurs d'un milieu, la reprsentation n'est

    pas ncessaire l'adoption de la norme, ni mme sa constitution ou sa diffusion dans un

    miJieu. L'analyse de ce phnomne nous montrera que la prsentation de concepts ne l'est

    pas non plus.

    Pourtant, nous n'avons pas affaire ici des compoliements rflexes. 11 y a bien l un

    phnomne de tlo-guidage que la philosophie contemporaine tente d'expliquer par des

    concepts de sui-rfrentialit ou de proto-attitude 17. L'analyse phnomnologique de

    ce type de phnomne et de la coordination par tloguidage, que nous retrouverons partir

    de J'exemple des cycJistes de Weber, nous montrera plutt que l'ajustement des acteurs, dans

    ses fondements axiologiques, dpend la fois d'lments drivs du contexte et de leurs

    propres positions relatives au sein de ce contexte. JJ ne requiert pas de reprsentations

    thmatiques. Pas plus que la stabilisation de cette relation sociale de coordination, de cette

    routine , n'en requiert.

    Consquemment, Ja formation et l'apprentissage de normes sociales ne requirent pas

    non plus de reprsentations thmatiques. Et la formation de nonnes sociales autour de

    maximes, c'est--dire de propositions en termes linguistiques et reprsentationnels, et

    15 titre d'exemple, voir les dfinitions du concept de reprsentation sociale (RS) reproduites dans l' append ice.

    I~OUS suivons en cela l'analyse du contenu axiologique de Schtz. Voir Alfred Schutz, The Phenomenology ofthe Social World, traduit par G. Walsh et F. Lehnert, introduction par G. Walsh, Northwerstern University Press, 1967b [1932], p. 80.

    17 Le concept de sui-rfrentialit de Searle est rsum par Pierre Livet, dans Qu'est-ce qu'une action? Paris, Vrin, 2005, p. 17 ; sur le concept de pro-attitude , voir D. Davidson, Action, raison et cause et Avoir une intention in Aclions el vnemenls, op. cil., p. 18 et p. 125, respectivement. Le premier veut expliquer la continuit de l'action par une rfrence intentionnelle, le second, rpondre son extensionalit par une forme d'attitude pro-active; John Searle, L'i11len/ionna/il, trad. par Claude Pichevin, Paris, ditions de Minuit, 1985,340 p.

  • 8

    donc conceptuels, ne dsigne qu'une pattie du phnomne social responsable de la rgularit

    des conduites humaines en socit. Ce constat motive dans une certaine mesure un retour vers

    une thorie descriptive et une rflexion dfinitoire des normes sociales.

    De plus, ('introduction d'une thorie de la conscience permettant une variabilit du

    degr d'abstraction des contenus psychiques en jeu dans la coordination sociale et ses

    normes, donc une htrognit de ces contenus, soulve un double problme pour la thorie

    de l'action et la constitution de la relation normative. Tout d'abord: a) ce que prescrit la

    nonne n'est pas vis conceptuellement, p. ex. un but conscient que J'acteur se reprsente.

    Consquemment: b) la dcision d'agir ne peut faire l'objet d'un jugement. moins, bien sr,

    de penser que le jugement peut plter sur quelque chose qui ne soit pas port l'attention de

    la conscience thmatique. Mais cette thorie n'est ni la plus conomique ni la plus esthtique.

    De plus - c'est l'objection d'une phnomnologie constitutive -, un jugement mme

    inconscient doit pOtter sur un objet ou tat de choses peru de faon unitaire. Il faut donc

    revenir sur ce phnomne perceptif.

    Notre argumentation en dcoule. Ainsi, il faut d'abord percevoir une certaine unit de

    sens pour pouvoir organiser propositionnellement la situation laquelle prend palt cet tat de

    choses, y attribuer une reprsentation et exercer un quelconque jugement pratique sur l'action

    ou la norme qui s'impose. C'est donc la perception immdiate d'une certaine qualit

    fonctionnelle du contexte socioculturel, d'un contenu axiologique partag socialement,

    responsable de la constitution de ce que nous appellerons une qualit de norme , elIe

    mme constitue par l'expression du positionnement relatif des agents face ce contenu, qui

    assure la formation et la reproduction des normes sociales. Ces normes, que nous aurons

    dfinies comme autant de relations de pertinence hgmoniques entre une situation typique et

    une conduite type, sont donc le produit de la disposition ou de la configuration d'un milieu

    socioculturel qui, par sa nature, engage les capacits agentives des organismes percevants qui

    l'habitent, lesquelles composent ce milieu.

  • 9

    Trois prsupposs affectant l'analyse pragmatique de la norme sociale: propositionnel,

    reprsentationnel et judicatif

    La premire paltie de notre thse sera consacre un aperu de la thorie des normes sociales

    telle qu'elle se dgage de l'uvre de Jrgen Habermas. Comme le montre le dbat entre

    Brandom et Habermas sur les normes sociales l8, la pragmatique contemporaine pose ce

    problme comme tant celui de la conciliation de la subjectivit de l'acteur avec la socialit

    du contexte. Pour concilier ces deux ples, deux solutions sont avances. L'une est inspire

    de Sellars, et elle va dans le sens d'un conventionnalisme externaliste fond empiriquement.

    L'autre, inspire de Searle, relve d'un conventionnalisme d'inspiration internaliste, voire

    d'un conventionnalisme pur . Pour Habermas, l'unit de l'objet est garantie par la

    subsomption de l'exprience par une signification smantique. L'usage du langage dtermine

    la perception de l'objet. Le caractre dontique de la validit smantique relev par Searle et

    rinterprt la lumire d'une pragmatique formelle est ainsi intimement li au processus

    intentionnel de formation des normes sociales et des obligations morales tudi par la

    psychologie du dveloppement. Tandis que, pour Brandom, c'est la constance entre les

    occurrences sensibles de l'objet empirique et l'tat de choses peru qui permet la fixation de

    la signification smantique sur l'objet. Autrement dit, d'aprs ce conventionnalisme externe,

    la perception de l'objet sous-dtermine l'usage du langage. La perception des actions d'autrui

    et le scorekeeping de ces tats de choses matriels permettent J'acteur d'infrer des

    attentes et des obligations ainsi que de s'engager envers les autres. Ce type de

    conventionnalisme repose certes, comme le remarque Habermas, sur une thorie classique et

    nominaliste ou encore pointilliste de la perception ralticulant, dirions-nous galement,

    J'hypothse de la constance et la thorie associationniste des ides en des termes

    contemporains. Or l'introduction de la thorie phnomnologique de la perception, nous le

    verrons, remet en question cette thorie classique.

    '8Robert B. Brandom, Facts, Norms, and Normative Facts : A Reply to Habermas in European Journal ofPhilosophy. Oxford, Blackwell, vol. 8, nO 3,2000, p. 356-374 ; Robert B. Brandom, Some Pragmatist Themes in Hegel's Idealism: Negociation and Administration in Hegel's Account of the Structure and Content of Conceptual Norms in European Journal of Philosophy, Oxford, Blackwell, vol. 7, nO 2, 1999, p. 164-189 ; J. Habermas, From Kant to Hegel: On Robert Brandom's Philosophy of Language in European Journal of Philosophy, Oxford, Blackwell, vol. 8, nO 3, 2000, p. 322 355 ; propos repris dans Jrgen Habermas, Vrit et justification, traduit par R. Rochlitz, Paris, Gallimard, NRF Essais, 200 1,348 p.

  • 10

    Cela dit, dans ce dbat opposant deux approches qui se rclament galement du

    pragmatisme, il existe un consensus sur la fixation du sens sur les objets, et d'abord sur

    l'action, savoir que cette fixation est affaire de jugements; plus prcisment il en ressOlt

    une conception prdicative ou judicative de l'accomplissement des normes sociales.

    Notre position dans ce dbat consiste justement contester l'accent qui est mis sur le

    processus lingu istique de fixation smantique des normes sociales, et nous leur reprochons

    plus spcifiquement de tenir pour acquis que l'unit de sens de l'tat de choses peru est

    redevable des processus d'activit conceptuelle d'ordre suprieur, tels le jugement et la

    reprsentation, que l'on applique aux strates subalternes de la conscience.

    Dans ce dbat, la perception de l'tat de choses est galement conue de faon statique

    et constante, en correspondance avec des sensations nominales, plutt que comme un

    processus holistique et dynamique qui interfre avec son interprtation smantique.

    Consquemment, le premier acte psychique significatif pour ces deux options consiste

    associer l'tat de choses peru, tenant 1ieu de rfrence, une reprsentation intentionnelle

    qui introduit un contenu smantique dans un langage, une signification. Pour Habermas, nous

    le verrons, la perception de la rfrence est dtermine en mme temps que la reprsentation

    smantique. Et, suivant Searle, il s'agit dj d'un acte de nature dontologique. Dans un cas

    comme dans l'autre, la rfrence est d'emble prise pour une reprsentation, puis elle est

    mise sous une forme propositionnelle par une forme de jugement pratique ou moral de

    l'acteur, engageant celui-ci envers telle ou telle norme sociale ainsi dcrite comme une

    maxIme.

    A contrario, l'introduction d'une thorie dynamique et holistique de la perception, issue

    d'une phnomnologie dite constitutive, lve le voile, pour ainsi dire, sur le processus

    antprdicatif de la conscience, ainsi que sur son enracinement social et contextuel qui

    procde la constitution d'tats de choses - processus duquel provient la relation de signes l9 .

    19Pour un dbat sur le rapport entre la thorie phnomnologique de la perception et la thorie de la signification dans une optique sellarsienne, voir Barry C. Smith, Publicity, Externalism and Inners States , in Tomas Marvan (ed.), What Determines Content: the InternalismlExternalism dispute, Cambridge, Scholar Press, 2006; Barry, C. Smith, Toward a History of Speech Act Theor)' in Armin Brukhardt (ed.) Speech AcIs, Meaning and Intentions. Critical Approaches 10 Ihe Philosophy of John Searle. Berlin, New-York, Walter de Gruyter, 1990, p. 29 61; pour un rappol1 avec la thorie searlienne ou habermassienne : Kevin Mulligan,

  • 11

    De plus, cet enracinement se situe bien dans une culture conue implicitement l'intrieur

    d'une conception aristotlicienne du monde et explicitement comme ayant une existence

    relle et quasi-matrielle.

    La prISe en considration des lments psychiques appaltenant la sphre

    antprdicative de la conscience et surtout de leurs expressions publiques nous permettra, la

    lumire de cette tradition phnomnologique, de qualifier les principaux prsupposs de la

    pragmatique contemporaine d'autant de biais propositionnel, reprsentationnel et

    judicatif affectant la thorie des normes sociales, et, plus encore, la conception de l'espace

    public, voire le fondement de la relation sociale. Car la norme sociale, telle qu'elle se

    manifeste empiriquement, est essentiellement une routine vers l'accomplissement de laquelle

    sont dirigs, par tloguidage et conformment une relation de signes constitue

    socialement, divers schmes sensorimoteurs.

    Certes, la solution sellarsienne de Brandom, celle du fondement empirique de la validit

    normative, est plus proche de la thorie traditionnelle de la perception. En effet, l'anaphore,

    ou infrence matrielle, prend pied sur un tat de choses peru dont les lments sensibles,

    selon la thorie de Mach20, sont en correspondance point par point avec la structure physique

    des objets externes. Puis, par un processus infrentiel, conscient ou non, l'tat de choses

    peru est associ une signification smantique qui sera ensuite teste et rajuste par un jeu

    de scorekeeping . Ainsi se produit un ajustement pragmatique des actions et

    comportements des acteurs autour de significations partages.

    Cela dit, c'est la solution searlienne de Habermas et son inspiration cognitiviste qui

    serviront le mieux notre expos parce qu'elle laisse de ct la thorie de la perception et

    minimise son rle dans l'action et le comportement. En effet, Habermas dveloppe une

    thorie de la normativit partir de sa thorie de l'agir communicationnel (TAC). Il ne rcuse

    pas entirement la thorie traditionnelle de la perception, mais seulement son rle marginal et

    accessoire dans la comprhension du sens et des normes par rappolt celui du processus

    Perception in B. Smith, et D. Smith (eds.) Husserl. Cambridge Companions 10 Phi/osophy, Cambridge, 1995, p. 36 et suivantes.

    2Brandom, op. cil., 1994, p. 68-69 ; ce passage introduit la position reprsentationaliste de Brandom.

  • 12

    d'apprentissage pragmatique et rflexif21 Ou plutt, il juge que la perception est co

    dtermine par le langage et ne rintroduit son rle fondamental que dans le cadre de la

    mthode nomologique des sciences portes sur le monde physique, jugeant qu'elle joue un

    rle accessoire dans la mthode hermneutique et comprhensive des sciences sociales ou

    praxologiques. En revanche, nous estimons que la thorie de la perception est fondamentale

    pour la thorie de normes sociales, dfaut de quoi elle passe ct de leur phnomne

    constitutif.

    Consquence des biais de la pragmatique universelle: J'volution adaptative ou

    dveJoppementale des normes sociales

    Habermas revient sur sa discussion avec Brandom et cherche une troisime voie entre le

    relativisme externe et le ralisme interne22 . Cette voie lui permet cependant de dfendre les

    acquis de la TAC et sa conception volutionniste des normes sociales fonde sur le

    dveloppement du jugement moral. Car, par la suite, Habermas dfend sa thorie prcisment

    face aux reprsentants de la tradition analytique contemporaine, forts d'une conception

    reprsentationaliste de la conscience dont le processus se caractrise par un jugement

    normatif ou moral23 . Or c'est prcisment parce que ces auteurs sympathisent avec la

    philosophie du langage, partir de laquelle, dans le cadre d'une smantique infrentielle

    ils assimilent tout processus de la conscience un processus judicatif, que Habermas a prise

    sur leur argumentation et pellt en un sens la radicaliser. La stratgie de Habermas consiste

    chaque fois, d'abord, faire ressortir l'argument pragmatico-transcendantal de Apel sur la

    prtention la validit et l'axiologie implicite la structure de l'nonc. Puis, elle consiste

    aussi immanquablement mettre le doigt sur le processus judicatif ou infrentiel attribu aux

    21 Habermas, op. cil., 2000, p. 339. 22Jrgen Habermas, De Kant Hegel. La pragmatique linguistique de Robel1 Brandom in Vrit et

    justification, traduit par R. Rochlitz, Paris, Gallimard, NRF Essais, 2001, p. 81 124. Cette discussion se poursuit in Jrgen Habermas, Idalisation et communication. Agir communicationnel el usage de la raison. trad. par Christian Bouchind'homme, Paris, Fayard, 2006, point (8), p. 90 97.

    2JOutre la discussion avec Brandol11 (section 8), nous faisons rfrence l'argumentation mene par Habermas, partir de la critique du psychologisme par Frege (5), sur Davidson (6) et Dummet (7) dans la deuxime partie de J. Habermas, op. cil, 2006, sections 5, 6, 7 et 8, p. 60 97, notamment p. 72 (sur la normativit chez Davidson) et p. 82 (sur la normativit chez Dummet et Brandom). Cette mme stratgie d'opposition de l'approche cognitiviste la smantique intentionnelle dans le cadre d'un relativisme externe ou d'un ralisme interne se retrouve dans J. Habermas, 200 l, op. cil., p. 270.

  • 13

    acteurs par ces auteurs, pour relever la thorie du dveloppement du jugement moral de

    Kohlberg d'emble rinterprte par sa thorie du langage. Autrement dit, Habermas soumet

    le jugement moral une logique dveloppementale qu'il attribue la structure du langage. Et,

    pouvons-nous rajouter, c'est dans cette expression logique de l'argument pragmatico

    transcendantal adresse aux philosophes de tradition analytique qu'apparat donc toute

    l'impoltance de la thorie Austin-Searle des actes de langage et du reprsentationalisme de

    Searle lui-mme pour la philosophie habennassienne du langage et de la socit qui se

    dveloppe autour de la TAC.

    En veltu de l'argument pragmatico-universel, l'usage du langage amne les acteurs

    suivre les stades volutifs et cumulatifs du dveloppement moral, lesquels ont une incidence

    structurelle sur la moralit des rgles du milieu jusqu'au stade ultime o ces rgles sont

    tablies en vertu de la structure mme de la communication authentique. Autrement dit, dans

    sa rinterprtation de la pragmatique formelle d'Apel, Habermas tend les thses de la

    psychologie du dveloppement cognitif et moral de Kolberg la thorie sociologique24 . La

    structure des normes sociales, dans la mesure o la discussion publique a libre cours, suit des

    stades volutifs et cumulatifs qui devraient ultimement se concrtiser dans une politique de la

    reconnaissance. Il s'agit bien l d'une conception volutionniste et dveloppementale ou

    progressiste des normes sociales rarticule par le pragmatisme universel de la TAC 25 ,

    position qui, de fait, endosse la logique de dveloppement prsente dans la psychologie de

    Kohlberg pour englober la thorie sociologique.

    24C'est le cas des quatre essais rassembls dans Jrgen Habermas, Morale et communication, Paris, Flammarion, Champs, 2001 b, 212 p. Le problme de fonder l'assise hermneutique des sciences sociales de faon objective est dcrit dans les Les sciences sociales face au problme de la comprhension , Remarques introductives , p. 41-43, alors que la psychologie du dveloppement est cite comme perspective de solution, p. 54 et suivantes. Dans Conscience morale et activit communicatiolUlelle Habermas explique la fondation en deux temps de son entreprise ; aprs avoir fond le principe d'universalisation comme rgle pratique d'argumentation, il doit ensuite voir cette thse corrobore par diverses disciplines empiriques, p. 131 134. Cela explicite la position dveloppe dans la TAC et dcoule du fait que bien qu'elle travaille ces thmes de pense philosophiques, [pragmatique formelle, raison incarne, validit du discours et concept d'Absolu] la thorie de l'agir communicationnelle demeure en son noyau une thorie de la socit , nous dit Habermas dans sa Prface l'dition franaise reproduite en quatrime de \:Ouverture in J. Habermas, op. cit., 1987, tome 1, p. Il et Prtce , p. 13.

    25Voir les remarques de C. Bouchind'homme, in Habermas, op. cit., 2001 b, p. 10-11.

  • 14

    Plus prcisment, ce sont l les prtentions sociologiques d'une thorie des normes

    sociales que nous dsirons interroger. Car Habermas dfend ses prtentions face aux grands

    reprsentants de la tradition logico-smantique dans ses tournants pragmatiques et

    intentionnalistes. Ces auteurs, qui se dfinissent pour la plupart comme des philosophes du

    langage, ont adopt une conception reprsentationaliste de la conscience (et une conception

    judicative de la perception) par laquelle ils cherchent expliquer la formation des

    significations et des normes d'action.

    Notre opposition la subordination totale de la problmatique des normes sociales une

    philosophie du langage, de mme que notre opposition au reprsentationalisme et au rle du

    jugement devra, pour tre satisfaisante, disposer de certains rsidus de la tradition logico

    smantique qui demeurent prsents malgr les virages pragmatiques et intentionnalistes de

    Habermas. Car, si Searle a revaloris les phnomnes de l' esprit tout en demeurant

    partisan de l'analyse logico-smantique, Habermas affirme la constitution conjointe de

    l'intentionnalit et du langage de telle sorte que l'intentionnalit acquire une structure

    dontologique identique celle des noncs eux-mmes, et entirement redevable de la

    mme structure pragmatique de la discussion. Et cette intentionnalit, de par son expression

    linguistique, n'a pour contenu que des reprsentations. Il ne s'agit clairement pl us d'une

    analyse logique des phnomnes de conscience lis l'action ou au langage, mais d'une

    pragmatique intentionnaliste qui adopte pleinement le paradigme du langage.

    Or le retour une rflexion phnomnologique est un retour cette nouvelle

    philosophie de la conscience , rcuse par Habermas au profit de cette philosophie

    pragmatique du langage. Parfois reue comme posant le problme fondamental de la

    temporalit, la phnomnologie husserlienne fait ressortir l'impoltance des phnomnes

    psychiques sous-jacents la formation du langage, dont ceux qui contribuent la formation

    de l'tat de choses peru et l'unit de l'objet, soit la rfrence et la dnotation des termes

    linguistiques. Elle met galement l'accent sur l'ancrage intersubjectif du sens ou, dans son

    tournant existentiel, sur son ancrage social, pour ne pas dire sur la nature psychosociale de

    certains phnomnes prenant palt la coordination sociale, dont la communication

    linguistique n'est qu'un mode parmi d'autres.

  • 15

    Ainsi, d'une celtaine faon et d'un point de vue sociologique, la contestation du point de

    vue reprsentationaliste et infrentiel ou judicatif adopt par la pragmatique contemporaine

    doit nous permettre de renouer avec un certain pragmatisme classique, voire avec une

    critique pragmatique de la pragmatique universelle26 . Car, afin d'exposer notre argument,

    nous ferons ressoltir la position volutionniste des normes sociales implicite dans la TAC qui

    est fonde sur le dploiement de la connaissance morale. Or, en rattachant la formation de

    l'obligation et de la connaissance morale la structure transcendantale du langage, la position

    volutionniste de la pragmatique universelle s'loigne quelque peu de l'analyse des pratiques

    et de la discussion publique pour des considrations thoriques sur le dialogue dont elle

    oppose les conclusions formelles encore non vrifies l'intuition classique du pragmatisme

    selon laquelle c'est uniquement l'usage, quoiqu'entendu dans un sens plus large que la seule

    communication, qui forme la conscience pratique sur laquelle se fonde, pour les acteurs, le

    sens thorique et la validit de leurs gestes. Habermas survalorise donc l' impoltance de la

    pratique communicationnelle et de sa structure formelle dans le contexte de formation des

    normes sociales, ce qui transparat dans sa lecture reprsentationnaliste de Mead.

    Le retour une intuition pragmatique plus classique sera fond thoriquement sur le rle

    dynamique de la perception, son caractre holistique et son ouverture au contexte, tandis que

    notre opposition l'ancrage sociologique de l'volutionnisme moral, ou plutt notre position

    en faveur d'une conception volutive-adaptative des normes sociales, sera justifie par le rle

    primordial de la perception sensible pour la conscience thmatique, reprsentationnelle et

    prdicative. Non seulement ce processus perceptif se rpercute-t-il sur l'activation de la

    connaissance morale, mais son ouvelture au contexte favorise l'activation du savoir, de telle

    sOlte que la conscience thmatique, reprsentationnelle et prdicative est fonction de la

    socialit, pour ne pas dire de phnomnes de groupes. Bref, l'introduction d'une thorie

    dynamique, holistique et ancre de la perception fonde une conception adaptative des normes

    sociales, de telle sOlte que l'accession ce que, la suite de Kohlberg, Habermas identifie

    26Voir l'argument de Culler cit par David M. Rasmussen, Reading Habermas. Oxford/Cambridge, Basil Blackwell, )990, p. 40 ; voir la discussion qui s'ensuit avec Zimmermann dans la section Berween Science and Politics , idem. p. 41 45. Voir galement la rllexion critique de David M. Rasmussen, Explorations of the Lebenswelt : Rellections on Schutz and Habermas in Human Sludies. Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers, vol. 7,1984, p. 127 132.

  • 16

    comme un stade ultime de la normativit, celui o se ralise une politique de la

    reconnaissance travers une pratique dontologique de la discussion publique, est

    thoriquement improbable, et que la stabilisation d'un tel rgime est thoriquement

    impossible. Bref, si l'opposition la logique volutionniste n'est pas nouvelle, nous

    retrouvons travers la critique de la transposition d'une logique du dveloppement moral la

    thorie sociologique par Habermas les fondements thoriques, pour ainsi dire a priori, d'une

    conception volutive-adaptative du dveloppement des socits humaines et de leurs normes

    sociales.

    En effet, une telle thorie tranche, a priori, sur l'impossibilit d'une transposition de la

    logique volutive et cumulative du dveloppement psychologique et moral sur la socit. Car

    la primordialit et l'ancrage du processus perceptif nous assurent d'une chose terme: la

    fragmentation de la socit en groupes sociaux en fonction de la position relative des acteurs

    dans le milieu. Or ces groupes vont immanquablement, leur tour, faonner la configuration

    autant qu'occasionner l'activation des attitudes et cognmes lis la conduite des acteurs,

    leur perspective sur les vnements, voire aux schmes sensorimoteurs qui y sont lis, entre

    autres les comptences morales proprement dites. Ce qui, fort heureusement pour la tragdie

    humaine, rend une socit sans conflits sociaux, mais aussi sans innovations culturelles, tout

    bonnement impossible.

    Car, et Habermas serait d'accord, aucun systme ne peut triompher durablement de

    la diversit humaine et de ces turbulences sans intgrer d'une quelconque faon leur aspect

    novateur son propre renouvellement. Ce faisant, dans la mes ure o nous contestons le statut

    intentionnel accord la pragmatique formelle, en veltu duquel Habermas s'autorise fonder

    la thorie sociologique sur une logique dveloppementale, le contenu axiologique dudit

    processus rgulateur des conflits, ft-il discursif, est lui-mme sujet des variations qui

    dpendent leur tour du positionnement relatif des acteurs dans le processus global

    d'interaction. Il s'ensuit, selon la perspective que nous adoptons ici, que les normes sociales

    ne se forment ni en veliu du stade de dveloppement moral des acteurs, ni en vertu de la

    structure pragmatique de la seule sphre d'interaction communicationnelle publique au sein

    de laquelle se trouvent les acteurs et par laquelle ils ont ou auraient accd ce stade de

  • 17

    dveloppement moral. Notre objection au reprsentationnalisme devient une objection la

    faon dont Habermas interprte le passage d'un stade de dveloppement un autre par une

    rflexion thmatique. Bref, l'encontre de Habermas, une thorie sociologique des normes

    sociales fonde sur une thorie holistique, dynamique et contextualiste de la perception ne

    permet pas de conclure que la moralit soit porte universeJ1ement par le dveloppement des

    socits humaines. Elle conoit plutt que la socialit, dont nous ne contestons pas la

    contribution la moralit, se dveloppe avant l'usage du langage et par des processus

    antprdicatifs de la conscience. Elle se dveloppe dans un contexte qui peut tre amnag de

    faon favoriser son dveloppement, mais surtout travers des relations plus ou moins

    familires ou anonymes, dont les formes, les contenus et les aliiculations structurelles sont

    appels changer sans qu'ils ne soient forcment oprs par une rflexion thmatique.

    Mais la socialit elle-mme, une fois gnralise dans un milieu, constitue un tat social

    fond sur un rgime de relations sociales dont la stabilit relative est toujours susceptible de

    dprir. Nous croyons en effet que la dynamique d'un rgime dans un milieu entrane terme

    une fragmentation sociale due l'cart des positions relatives des acteurs. Ce qui engendre

    des perceptions diverses soutenant, dans celiains cas, des conduites asociales ou belliqueuses

    et des processus de dsagrgation de la cohsion sociale. Or, au-del des invitations sincres

    du philosophe la discussion authentique, de son rle de gardien de la rationalit 27, il

    n'existe pas de processus sociologique garantissant la stabilit absolue ni de la moralit des

    acteurs ni de l'tat social lui-mme. Consquemment, il n'existe pas de processus

    dontologique, conventionnel ou post-conventionnel, qui tirerait sa stabilit d'une structure

    authentiquement communicationnelle au sens de Habermas.

    Articulation de la thse

    Comme nous l'avons expos, notre thse proposera une solution de rechange la thorie

    habermasienne des normes sociales fonde sur une thorie de la perception holistique,

    dynamique et ancre, d'inspiration phnomnologique, telle que nous la retrouvons chez

    Alfred Schtz. La premire paliie (1) sera consacre la thorie de la normativit qui ressort

    27Yo ir J. Habermas, La redfinition du rle de la philosophie in Habermas, op. cil., 2001 b, p. 40.

  • 18

    de la TAC de Habermas. La seconde (2) passera en revue quelques dbats sociologiques

    contemporains pour examiner la pertinence de l'avenue de recherche que constitue la

    clarification philosophique d'une thorie de la perception pour une thorie sociologique

    confronte au problme des normes sociales. La troisime partie (3) reprend le problme des

    principaux concepts concourant la norme sociale pour les fonder dans une description

    phnomnologique du processus perceptif, notamment les concepts d'action, d'interaction, et

    ceux qui sont relis l'usage de signes dans l'interaction.

    Dans un premier temps (1.1), nous aborderons la normativit partir du dbat entre

    Brandom et Habermas. Ce dbat mettra en relief une celtaine faon de traiter la normativit

    dans la pragmatique contemporaine et nous permettra d'identifier d'entre de jeu trois

    prsupposs que nous qualifions d'intellectualistes et que nous nommons: propositionnel,

    reprsentationnel, et judicatif. En vertu de ces prsupposs, la norme est conue comme le

    produit d'un jugement pratique sur une reprsentation d'action prenant la forme d'un concept

    smantique articul au sein d'une maxime propositionnelle. Cet aspect intentionaliste du

    tournant pragmatique, nous le verrons, permet Habermas d'introduire sa position

    cognitiviste articule par sa philosophie du langage. Nous reviendrons donc (1.2) la faon

    dont Habermas se propose d'exploiter les dveloppements de la pragmatique formelle et de la

    philosophie analytique du langage pour alticuler, dans la TAC, les fondements d'une thorie

    sociologique - laquelle comprend une thse volutionniste ou dveloppementale sur la

    formation des normes sociales -, avant d'entreprendre (1.3) un examen critique du

    dveloppement de son argument pragmatico-universel mettant en relief le rle jou par nos

    trois prsupposs intellectualistes et les limitations qu'ils imposent la thorie des normes

    sociales dfendue par Habermas. Nous verrons, entre autres, que ces prsupposs

    intellectuels rendent problmatiques le traitement de celtains types d'actions qui concourent

    l'apprentissage culturel et la formation des normes sociales.

    Dans la deuxime partie, nous examinerons la remise en question de la position

    intellectualiste d'un point de vue sociologique, ainsi que le traitement accord aux limites

    d'une thorie soumise aux prsupposs intellectualistes. Notre objectif est de clarifier, au

    moins en thorie, la pertinence sociologique de notre entreprise philosophique. Nous

  • 19

    poursuivrons dans la ligne o se situe Habermas, celle des thories sociologiques cherchant

    concilier les sociologies d'inspiration comprhensive et systmique suivant donc la voie

    d'un sociorationalisme. Nous commencerons (2.1) par brosser un pOltrait du courant

    constructionniste qui traverse les sciences sociales contemporaines pour revenir ses origines

    et retrouver, dans les travaux de Kenneth J. Gergen, les arguments thoriques qui l'ont

    propuls. Nous examinerons ensuite (2.2) les arguments de quelques thoriciens notoirement

    critiques des sciences sociales contemporaines qui ont voulu rviser la philosophie de l'esprit

    et la thorie de l'action sur lesquelles se fondent la thorie des sciences sociales. D'abord

    Anthony Giddens, connu pour avoir publi en 1976 un manifeste contestant ce qu'il appelait

    le consensus olthodoxe en pistmologie des sciences sociales. Puis Hans Joas, lve de

    Habermas, qui propose un retour au soubassement prrflexif de la conscience partir du

    pragmatisme classique. Enfin, Pierre Bourdieu, qui propose d'tudier la socit partir d'une

    double structure symbolique et matrielle comprenant des relations d'homologie entre ces

    deux champs. Ces considrations nous amneront (3.3), aprs une introduction de la

    discipline psychosociologique, introduire la thorie des reprsentations sociales (TRS) et le

    champ d'tudes ouvert par Serge Moscovici. Au terme de cet expos, nous verrons, en ce qui

    a trait la thorie sociologique, que le principal problme ressort de sa capacit intgrer la

    recherche psychosociologique, ou de type psychosociologique, sur les attitudes une forme

    de sociorationalisme, et que la plupart des auteurs tudis pointent les lacunes de la thorie

    traditionnelle de la perception, lesquelles motivent plus de recherches thoriques dans le

    champ de la philosophie de l'esprit.

    Ce constat, qui s'ajoute la critique sociologique des insuffisances d'une thorie

    intellectualiste comme celle de Habermas, nous permettra de justifier un retour la thorie

    husserlienne de la perception qui se dgage des travaux d'A Ifred Schtz, lequel a voulu tirer

    une thorie sociologique gnrale de la psychologie phnomnologique de Husserl.

    Nanmoins, dans notre lecture de Schtz, nous commencerons (3.1) par faire ressortir

    l'importance de son appaltenance l'cole autrichienne d'conomie pour le cadre

    pistmologique dans lequel il faut situer une thorie sociologique ou, ici, des normes

    sociales. Cela s'avrera essentiel pour analyser les 1imites d'une thorie qui, comme celle de

    Habermas, se commet des prsupposs intellectualistes, pour traiter l'activit sociale

  • 20

    partir d'une tude pragmatique formelle du langage et de la discussion, et situer la description

    de J'action sur une chelle hirarchique de dveloppement. Nous poursuivrons en

    introduisant (3.2) la rvision schzenne de la thorie wbrienne de l'action, puis (3.3) de la

    thorie wbrienne de l'interaction par une thorie phnomnologique de l'intersubjectivit.

    Cela nous permettra donc d'introduire la thorie husserlienne de la perception et sa

    contribution aux thories de l'action et de l'interaction avant de spcifier comment (3.4), sur

    le plan de l'interaction, elle permet d'entrevoir l'imbrication des motivations des agents et la

    formation ainsi que J'usage de ce que Schtz appelle des relations de signes , lesquelles

    permettent donc la communication par des signes, des symboles, et par le langage en gnral.

    Cette troisime paltie de la thse, nous l'avons mentionn, consiste montrer qu'un

    contenu axio logique responsable du sens que prend la norme sociale pour les acteurs

    d'un milieu se forme pragmatiquement au niveau antprdicatif de la conscience et ne

    ncessite ni reprsentation thmatique, ni forme propositionnelle, ni jugement d'aucune sOlte,

    pas mme de jugement de valeur, pour tre exprim publiquement et reproduit de la mme

    manire. Cette thse, nous l'avons dit, repose entirement sur une lecture du rle opratoire

    jou par les indices de la prsence d'autrui chez Alfred Schtz. Afin de souligner leur

    ancrage contextuel, nous renommons ces indices, indice de socialit , et, pour souligner

    leur rle opratoire, nous marquons cette transition conceptuelle par le terme de facteur de

    socialit. La distinction entre la conscience prdicative et Je caractre antprdicatif de la

    conscience perceptive nous amnera situer la formation et la diffusion des normes,

    distinctement, ces deux niveaux de conscience. Selon que le premier accomplissement et

    les accomplissements rpts par sa diffusion sont respectivement forms par de simples

    conduites ou actions au plein sens du terme, on peut envisager minimalement quatre (22)

    faons ou modles purs par lesquels une innovation sociale peut - en tant que comptence

    normative des acteurs - s'ancrer dans un milieu afin de former une norme sociale28 . Bien sr,

    la diffusion pouvant faire appel diffrents rapports de la norme sociale, donc de J'objet de

    conduites au sens gnral du terme, il serait tonnant de constater la ralisation de tels

    modles. Toutefois, leur possibilit remet en question l'ide d'une constitution et d'une

    28Yoir appendice A.

  • 21

    diffusion des normes sociales qui ne fasse unilatralement appeJ qu'aux processus les plus

    intellectuels de l'esprit humain.

    Nous commencerons donc (3.1) par introduire l'uvre de Schtz partir de

    l'pistmologie des sciences sociales qu'il propose. Nous verrons que Schtz verse dans la

    phnomnologie husserlienne pour rpondre des questions de mthode, mais aussi de

    thorie, poses par l'cole autrichienne d'conomie laquelle il appaltient. En ce qui

    concerne la mthode, sa rvision de l'idal-type wbrien permet de construire des modles

    formels dans lesquels le principe d'utilit marginale cher aux Autrichiens sert d'axiome

    rgulateur. Pour ce qui est de la thorie, nous proposerons une lecture de Schtz qui poursuit

    les rflexions autour du problme de la distribution sociale de la connaissance pos par

    Hayek, problme qui fait lui-mme suite aux rflexions de Menger sur la coordination sociale

    ainsi que les institutions sociales et culturelles. Ce faisant, nous effectuerons une distinction

    entre diffrentes orientations de recherches partir desquelles nous proposerons une lecture

    cohrente de Schtz, notamment de l'atticulation entre les face--face concrets et formels.

    Ces distinctions effectues, le rappott de Schtz Flix Kaufmann, cit plusieurs reprises,

    nous permettra de confirmer sa conception unitaire de la mthode et sa conception la fois

    pragmatique, normative et cohrentiste de la science, l'intrieur desquelles s'articule une

    forme de protocole de vrification. Or cette conception des sciences et de la mthode est celle

    qu'il envisage pour l'tude du sens de faon gnrale. Elle est donc valable pour l'tude des

    configurations de sens lies des contenus axiologiques, alors que d'un point de vue

    empirico-raliste, les prtentions sociologiques de la TAC doivent tre soumises au mme

    type de test de confirmation empirique.

    En deuxime lieu (3.2), nous examinerons le concept d'action chez Schtz et la rvision

    qu'il lui impose en faveur des concepts de conduite. Dans la tradition wbrienne, J'action est

    lie aux sens subjectifs que lui donne l'acteur. C'est sur cette base que Schtz introduit la

    pertinence du champ d'tude phnomnologique et de la mthode de rduction husserlienne

    par lesquelles il entend procder des analyses statiques et gntiques de l'intentionnalit.

    Ces analyses doivent cerner le processus d'tablissement du sens et, en ce qui concerne les

    normes sociales, de ce qu'il appelle un contenu axiologique. Nous verrons qu'aprs avoir

  • 22

    distingu J'agir (actio) et l'acte accompli (actum), Schtz pose le problme du sens de l'acte

    (actum) partir du sentiment prouv par l'acteur de la dure interne de celui-ci. Le premier

    problme consiste dlimiter l'acte dans la dure. Cette dfinition typique de l'action se fait,

    au niveau antprdicatif, par des synthses perceptives responsables d' analogies

    aperceptives . Le sens ainsi dfini constitue un bagage de connaissance voluant au gr

    du parcours biographique. Partant de l, Schtz distingue deux types fondamentaux de

    motivation, selon qu'elles sont tournes vers un vnement pass (motif parce que ), o

    vers l'avenir par un projet de l'acteur (motif en-vue-de ). Mais un projet n'est pas un but

    conscient. Nous verrons donc que les germes de la rvision du concept d'action pour celui de

    conduite vers 1943 sont poss ds 1932 par l'introduction du double sens du terme

    expression chez Husserl. la fois dans son utilisation du concept husserlien de type pour

    qualifier l'action typique, et par le mouvement d'anonymat qu'il dcrit, Schtz doit admettre

    que certains comportements ont dj un sens typique pour l'acteur. Puis, en revenant sur le

    problme de Carnades, un sceptique modr de l'Acadmie tardive, Schtz raffine sa

    position sur le contexte qui suscite la dlibration rflexive et propose une conception

    faillibiliste et probabiliste de la dcision rationnelle, selon un concept relch de la rationalit

    depuis ses dbats avec Hayek, mais toujours lie un intrt pragmatique. Selon nous, cette

    base probabiliste lie au contexte vaut autant pour la raison prdicative que pour la raison

    antprdicative dans son identification d'un sens typique et son traitement plus ou moins

    problmatique du flou . Ce qui prside l'identification d'une conduite type peltinente

    dans une situation typique est donc une attitude perlocutoire ou tourne vers l'amnagement

    du rapport au contexte environnemental. La norme sociale est ainsi redfinie en fonction d'un

    concept de conduite qui associe le rle de la conscience antprdicative et sa relation au

    contexte dans la formation, la slection et l'accomplissement de l'acte (actum).

    Ce modle d'action prvaut dans l'tude de l'action sociale et de l'intersubjectivit, qui

    occupera ensuite notre attention (3.3). La clarification de la dfinition wbrienne de l'action

    sociale, dfinie comme action tourne vers autrui, amne Schtz dvelopper la thorie

    phnomnologique de l'intersubjectivit. Nous verrons que cette prise en considration

    d'autrui, qu'il juge tenue pour acquise par le sens commun, se forme au niveau antprdicatif

    de la conscience. Les acteurs se coordonnent par le biais d'une sphre d'idalits objectives

  • 23

    ou de configurations objectives de sens , compose la fois des types et des significations

    au plein sens du terme (Sinn) qu'ils attribuent leurs expriences respectives d'un monde

    commun. Cet ajustement interactif procde une rorganisation de leur bagage de

    connaissance , de telle sorte que, en vertu du principe simmel ien de dual it , une

    personnalit individuelle ou identit personnelle se forme par ce que les pragmatistes

    amricains appellent l' effet miroir . Schtz complte sa thorie descriptive gnrale de

    l'interaction en face face concret par un modle de face--face formel expliquant le succs

    de la communication travers l'interaction par un postulat de rciprocit intentionnelle fond

    sur les postulats d'interchangeabilit des perspectives et de congruence des schmes de

    pertinence. ce stade, les distinctions pistmologiques poses par Menger et esquisses

    dans le premier chapitre de cette section (3.1) nous aideront rsorber les contradictions

    allgues par plusieurs commentateurs entre les face--face formels et les face--face

    concrets en les rattachant diffrentes orientations de recherches thoriques, qu'il s'agisse

    d'une thorie purement formelle ou d'une thorie gnrale. Notons que le terme typique

    prend implicitement un sens intersubjectif dans la dfinition des normes sociales. Il rfre

    un noyau typique de sens. Cependant, toute recette dont l'accomplissement est

    comprhensible n'est pas une norme dans la mesure o il lui manque un certain statut

    perceptible dans le milieu. Ce statut renvoie lui-mme aux expressions publiques de la

    norme, leurs positions relatives et leur frquence dans le milieu, et il est un caractre

    palticulier de l'indice de socialit du schme normatif. Cette palticularit reflte le caractre

    hgmonique de la recette ou de la relation de peltinence entre situation et conduites types, et

    renforce son caractre opratoire comme facteur d'activation des comptences dans un milieu

    alors structur en fonction d'un rgime normatif. Ce phnomne perceptible est une

    qualit de norme.

    Nous conclurons cette pattie sur Schtz par une analyse du rappolt entre la formation

    des relations de signes et les normes sociales ou, selon lui, les recettes qui structurent les

    relations en socit (4.4). Nous verrons, d'une part, que les relations de signes se forment bel

    et bien dans un contexte d'imbrication des motivations, lequel est motiv par le contexte o

    l'interaction prend forme. C'est dans ce contexte et partir d'un intrt pragmatique

    assimi lable une attitude perlocutoire qu'est motive l'attitude illocutoire et son ventuelle

  • 24

    rciprocit dans la communication authentique ou dans toutes autres formes plus ou moins

    anonymes d'interaction. La norme sociale, redfinie comme relation pel1inente entre une

    situation typique et une conduite type, est donc une relation de signes dont la pertinence

    s'exerce sur le plan motivationnel, et pas forcment sur le plan thmatique. l'encontre du

    paradigme du langage, elle est d'une nature foncirement p~ychosociale, qui fonde l'activit

    langagire. Schtz divise ainsi l'articulation de la relation de signes en trois ou quatre

    schmes - aperceptif, apprsentatif et de rfrence -, la relation entre les deux derniers

    formant le contexte d'interprtation. Notre thse soutient que l'indice de socialit se forme

    (a) au niveau du schme aperceptif et, comme facteur de socialit, il dispose (b) de

    l'apprsentatiol1 de l'objet et (c) du cadre de rfrence dans lequel il se place, donc (d) du

    contexte d'interprtation qui motive l'accomplissement de la norme sociale par les acteurs

    d'un milieu. Refltant la constitution sociale de la relation de signes, l'indice de socialit

    opre comme unfacteur de socialit sur l'apperception de l'objet et son cadre de rfrence en

    fonction d'un groupe de rfrence . Ces analyses phnomnologiques permettent, comme

    le fait Schtz, d'envisager diffrents rapports imitatifs, analogiques ou symboliques aux

    conduites comme aux signes, s'appliquant donc aussi la dsignation d'actes de langage et

    la formulation plus ou moins automatique d'noncs dclaratoires. Bref, la possibilit de ce

    que Goldstein appelait le langage concret soulve des doutes quant au traitement des

    propos dclaratoires des acteurs qui engageraient une attitude rflexive au sens de Habermas.

    Il soulve surtout la possibilit que la formation et la reproduction de la norme comme

    relation de signes, outre qu'elles peuvent tre sous-jacentes son expression linguistique,

    sont deux processus qui peuvent avoir lieu indpendamment de l'activit prdicative de la

    conscience, de la mise en forme propositionnelle d'un contenu reprsentationnel, et aussi

    indpendamment de toute forme de jugement.

    Problme pistmologique de la TAC

    La thorie de la perception joue un rle non seulement dans la description du phnomne des

    normes sociales, mais galement dans l'articulation de la thorie scientifique et dans la

    position pistmologique des prtentions sociologiques. Au terme de notre analyse, la TAC

    se rvlera problmatique sur plusieurs points lis ses prtentions sociologiques; nous

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    exposerons systmatiquement ces points en conclusion paliir de la position pistmologique

    tire de J'uvre de Schtz, axe autour d'une conception pragmatique, normative et

    cohrentiste de la science qui, en rfrence Kaufmann, raliicule la thse de l'unit de la

    mthode par une rinterprtation de la notion de protocole de vrification. De ce point de vue,

    le constat qui s'est impos de manire plus frappante notre examen est que, d'une faon

    gnrale, la TAC ne se qualifie pas comme une thorie susceptible de soutenir des

    prtentions sociologiques d'aucune sOlte.

    Rappelons que Habermas est un pmiisan de la dualit de mthode entre les sCiences

    naturelles et les sciences sociales. Puisque les normes sont pour lui un phnomne

    pragmatico-linguistique, le mode d'accs privilgi celles-ci est l'analyse du langage.

    Accder aux normes par des moyens empiriques se heulte au problme gnral de la

    distinction entre les entits thoriques et les entits observables. Cette distinction ne serait pas

    fonde dans l'optique o la perception elle-mme est sous-dtermine par la structure

    pragmatique du langage et se prsente la conscience selon les formes et les distinctions

    permises par une langue d'usage. Habermas prtend donc aborder le phnomne normatif de

    l'intrieur. Sa pragmatique prtend avoir relev le phnomne universel de l'obligation

    morale par une analyse intralinguistique et il refuse d 'y voir un simple explanans pour

    assumer, l'instar de Kohlberg29, une certaine circularit dans ses dmonstrations.

    Cette position soulve plusieurs problmes du point de vue d'une thorie des sciences

    partageant la thse de l'unit de la mthode et celle d'une pistmologie, fonde sur

    l'exprience perceptive, distinguant diffrentes orientations de recherche. D'abord, du point

    de vue d'une thorie descriptive gnrale des normes sociales, la pragmatique universelle

    semble, au regard d'une critique phnomnologique, (a) tablir trois biais ou prsupposs qui

    occultent les phnomnes perceptifs et de groupes. Du point de vue d'une analyse

    philosophico-historique (b) elle se trompe sur l'aspect volutionniste et dveloppemental des

    normes sociales. Du point de vue formel, si on la prend seulement comme un modle du

    29Cette mthode qui suppose un ralisme moral inhrent l'tude empirique de la moralit est expose et discute dans Lawrence l

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    processus de communication, une limitation qu'elle refuse, (c) son utilit sociologique n'est

    pas dmontre. Du point de vue de la vrification empirico-raliste, (d) sa division du travail

    philosophique et son utilisation du concept de contradiction performative rendent

    problm