patrimoine ordinaire & développement rural

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Mémoire de master en architecture d'Amaury Prud'homme. ENSA-V 2012.

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Patrimoine ordinaire

& développement rural

Les enjeux d’une prise de conscience

L’exemple de St �élo – Côtes d’Armor

Amaury PRUD’HOMME

E.N.S.A-Versailles | février 2012 Mémoire de master sous la direction de

Sawsan NOWEIR, Nadja MONNET, Barbara MOROVITCH & Gilles TEISSONNIERES

(groupe « démarche en marge »)

Di�usion libre, gratuite et recommandée

© Amaury PRUD’HOMME, février 2012

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Mes remerciements vont

à Roselyne BUSSIERE, pour m’avoir ouvert les yeux sur le

patrimoine ordinaire et donné l’enthousiasme nécessaire pour

en faire un mémoire ;

à Sawsan NOWEIR, pour m’avoir amené à considérer le patrimoine

comme un enjeu de l’avenir et non pas un objet du passé, et

pour m’avoir soutenu et guidé tout au long de ce mémoire ;

à Nadja MONNET, Barbara MOROVICH et Gilles TEISSONNIERES pour

avoir développé mon intérêt pour les sciences sociales ;

à Monsieur AÏT AOUDIA, pour avoir pris le temps de me relire et

pour ses remarques pertinentes ;

à mon grand-père, pour m’avoir sensibilisé à la problématique

socio-économique des villages de campagne, et pour m’avoir

relu et corrigé ;

à mon père, pour m’avoir relu et corrigé ;

à Daniel LE GOFF, maire de St �élo, ainsi qu’aux habitants que j’ai

pu interviewer, pour leur accueil, leur aide et leurs remarques,

sans quoi ce mémoire n’aurait pas été ce qu’il est ;

au CAUE 22 et à l’association CPRB pour leur collaboration et leur

documentation.

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

AVANT-PROPOS

a France est un pays de tradition rurale forte, dont l’histoire

et la culture doivent autant à ses villes qu’à ses campagnes.

Les trois quarts des communes françaises ont moins de 1000

habitants1, et notre pays compte à lui seule 40% des communes

de l’Union Européenne2. L’habitat y est particulièrement réparti

et diGus sur l’ensemble du territoire. Mais aujourd’hui, dans un

contexte d’économie mondialisée et de modes de vie de plus

en plus urbains, le milieu rural se retrouve marginalisé, tant

socialement qu’économiquement.

Si la campagne se situe en marge de la société, il en va alors de

même pour l’histoire, la culture locale et le patrimoine qui

composent tout village, aussi modeste soit-il. La conférence

donnée par Roselyne BUSSIERE à l’Ecole d’Architecture de

Versailles en octobre 2010, nous a fait prendre conscience de

l’importance et de la richesse du patrimoine « ordinaire », trop

souvent méconnu à l’unique profit du patrimoine dit

« monumental ». Or, ne pas prendre en compte la culture

« rurale » et « ordinaire », c’est se priver non seulement d’une

part majeure de ce qui fonde la culture française, mais aussi

d’un levier de développement non négligeable pour les villages.

C’est pourquoi aujourd’hui, le développement rural comme le

patrimoine ordinaire et les services réciproques que peut

rendre l’un à l’autre, semblent être devenus de véritables enjeux

de notre société actuelle.

Le projet « mémoire en demeure » de St �élo, dont nous

avions connaissance depuis quelques années déjà, a été le

déclencheur de notre réflexion. Il nous a semblé être le cas

d’étude idéal, en cela qu’il rassemblait à la fois la problématique

du développement rural et du patrimoine ordinaire, dans une

dynamique artistique résolument contemporaine et optimiste.

1 Recensement Insee 1999. 2 Cf. l’article « Commune nouvelle » ; in Wikipédia.

L

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

TABLE DES MATIERES :

AVANT-PROPOS ................................................................ 3

INTRODUCTION ................................................................. 6

1. LE PROCESSUS DE PATRIMONIALISATION .......................... 8

1.1. Mise en place d’une politique du patrimoine ............................. 8

1.1.1. La politique culturelle régionale

1.1.2. La Maison des Toiles et le Syndicat de la Route du Lin

1.1.3. Le projet « Mémoire en demeure » de T. KAWAMATA

1.1.4. Le label « Communes du Patrimoine Rural Breton »

1.1.5. La Zone de Protection du Patrimoine Architectural,

Urbain et Paysager

1.1.6. Une politique éclairée au service d’un patrimoine

ordinaire et rural

1.2. Le patrimoine de St �élo .................................................................. 20

1.2.1. Un patrimoine « ordinaire »

1.2.2. Un patrimoine rural

1.2.3. Inventaire des types de patrimoine

1.2.4. Le patrimoine, porteur de mémoire et d’identité

2. LES EFFETS DU PROCESSUS DE PATRIMONIALISATION ....... 40

2.1. L’impact sur la population locale ................................................... 40

2.1.1. La notion de déclassement / classement

2.1.2. Le contexte socio-historique

2.1.3. Les associations d’habitants

2.1.4. Vers une prise de conscience du patrimoine ordinaire ?

2.2. L’impact sur le développement rural ............................................. 51

2.2.1. Le contexte géographique et socio-économique

2.2.2. Vers une mise en place d’une véritable politique

touristique locale ?

2.2.3. Développement rural et intégration

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

3. BILAN .............................................................................. 64

3.1. Quel enseignement tirer de cette expérience ? ....................... 64

3.2. Patrimoine & développement ........................................................... 66

BIBLIOGRAPHIE ET OUVRAGES CITES ................................ 67

ANNEXES .......................................................................... 72

A. Glossaire ........................................................................................................... 73

B. Photos du projet « mémoire en demeure » .................................. 74

C. Entretiens ......................................................................................................... 77

D. Typologie des maisons de St �élo ................................................... 84

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

« Le patrimoine à St �élo, c’est un peu comme une très belle femme, dont seul le mari ne se rendrait pas compte de la beauté. »

un habitant de St �élo

INTRODUCTION :

e 2004 à 2006 ont eu lieu à St �élo, petit village des Côtes

d’Armor, des ateliers d’étudiants avec l’artiste japonais

Tadashi KAWAMATA réhabilitant d’anciennes maisons de

tisserands. Cette intervention artistique, appelée « Mémoire en

Demeure » faisait écho au nouveau Musée de la Toile qui s’est

ouvert dans ce même village en 2004. Le projet fut récompensé

par le prix Architecture Bretagne 2008 et publié dans plusieurs

journaux, revues et sites internet spécialisés. Ainsi ce petit

village de 400 habitants du centre-Bretagne, que rien ne

disposait à une telle médiatisation, s’est soudain retrouvé sous

les projecteurs par la volonté de son maire Daniel LE GOFF et de

ses habitants.

Ce projet est intervenu sur le petit patrimoine thélotais que

sont les maisonnettes des anciens tisserands de lin. En eGet, aux

XVIIe-XVIIIe s. la Bretagne a connu son apogée grâce à la

fabrication et au commerce de toiles de lin dans le monde

entier. De cette époque, date tout le bâti ancien de St �élo et

sa région. Le projet « Mémoire en Demeure » a eu à cœur de

faire évoluer les regards sur ce patrimoine « ordinaire » jusque-

là non-reconnu du grand public et des habitants eux-mêmes.

Nous verrons comment s’est eGectuée cette patrimonialisation.

Par ailleurs, de tels villages de campagnes se trouvent

aujourd’hui confrontés à une problématique de survie

économique et sociale, face à des phénomènes de

rurbanisation ou de désertification. En quoi la prise en compte

du patrimoine rural peut-il être le moteur d’un nouveau

développement local ?

D

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Comment s’opère la prise de conscience du patrimoine

ordinaire ?

Et comment peut-elle s’intégrer au développement social et

économique local ?

C’est à ces questions que ce présent mémoire tentera

d’apporter des éléments de réponse. Au préalable, nous posons

les hypothèses de travail suivantes :

A. La politique active de la mairie de St �élo en faveur du

patrimoine aurait permis l’émergence d’une conscience du

patrimoine ordinaire rural. Celui-ci, dès lors réapproprié par

la société civile comme bien collectif, est conservé et

protégé.

B. Le processus de patrimonialisation se serait fait avec la

coopération des habitants du village. Cette démarche

participative renforçant la prise d’intérêt de la population.

C. Cette politique patrimoniale et touristique aurait permis le

développement (même modeste) de St �élo et des

alentours.

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

1. LE PROCESSUS DE PATRIMONIALISATION

1.1. Mise en place d’une politique du patrimoine

La mairie de St �élo mène depuis quelques années une

politique de patrimoine active, en cohérence avec les initiatives

à plus grande échelle, sans forcément entretenir de lien direct

avec celles-ci.

1.1.1. La politique culturelle régionale

La politique culturelle et touristique de la Région Bretagne

La Bretagne est la 1ère région d’Europe en nombre d’édifices

religieux, la 2nde région de France (après l’Ile-de-France) en

nombre d’édifices classés « monuments historiques »1, et la 4e

région touristique du pays.

Fort de ce patrimoine exceptionnel, le conseil régional de

Bretagne a toujours eu à cœur, depuis sa création, de stimuler

et porter l’attractivité touristique et économique de la région en

menant une politique forte en matière de valorisation de la

culture et du patrimoine, qu’il reconnaît comme étant un

« puissant levier d’action » en faveur des territoires. Depuis

2007, dans son schéma régional « pour une nouvelle politique

du patrimoine en Bretagne »2, la Région entend repositionner

son action culturelle et reconnait désormais au patrimoine, non

seulement une « valeur d’existence propre » qui justifie sa

protection et sa conservation ; mais aussi et surtout une

« valeur d’usage et de développement », qui permet une

« valorisation sociale, environnementale, identitaire et

économique » des territoires.

Dans cette optique, le rapport préconise deux axes d’actions

majeurs : territorial et thématique. Le « projet de territoire »

répond à une demande précise et formulée du bénéficiaire.

Celui-ci peut être un territoire géographiquement et

culturellement délimité (pays touristique, intercommunalité,

1 Par convenance, nous les appellerons par la suite simplement « M.H » ou

« bâtiments classés ». 2 DRAC BRETAGNE ; 2007

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

département), mais aussi un réseau (Villes d’art et d’histoire,

Communes du patrimoine rural breton…) L’action thématique

est une initiative du conseil régional : elle regroupe tous les

territoires et communes concernés autour d’un thème

commun complexe qui ne peut être mis en valeur isolément

par ces territoires. (ex : les phares et le patrimoine maritime).

La politique de la Région est donc proactive, elle cherche à se

remettre en question et à s’adapter aux nouvelles donnes du

patrimoine.

La Bretagne : une marque de territoire

En janvier 2011, la Région Bretagne est la première de France

à lancer sa propre « marque de territoire ». Le nom du territoire

devient ainsi un gage de reconnaissance de la qualité et de

l’identité du produit auquel il est accolé. Cette marque se veut

élaborée autour de valeurs culturelles et humanistes, censées

être le fondement de la culture bretonne moderne (valeurs en

réalité tout autant fantasmées que réelles, ou bien trop vagues

pour être spécifiquement bretonnes) et basée sur un

vocabulaire volontariste (« ouverture d’esprit », « sens du

collectif », « engagement », « imagination »…) L’objectif est de

fédérer toutes les initiatives culturelles (festivals, musées, art,

patrimoine, sport) autour d’une identité commune, en vue

d’une meilleure visibilité et attractivité de la région sur la scène

nationale, européenne, voire mondiale. Mais cette marque reste

un pur outil de « marketing territorial1 » qui confine à l’auto-

persuasion et qui trahit un manque de confiance en soi dans la

course eGrénée à l’attractivité touristique et économique.

Quel que sera le résultat de cette démarche, cette

manipulation de l’identité et de la culture régionale, nous

montre à quel point le Politique a pris conscience des enjeux

sociétaux qui y sont attachés.

1 On parle aussi de regional branding.

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Le pays de Centre Bretagne

Les pays d’accueil touristique (PAT) ont été créés en 1976 et

sont sous la tutelle du Ministère de l’agriculture, de la ruralité et

de l’aménagement du territoire. Ils sont les outils de promotion

d’un tourisme pensé avant tout comme moteur de

développement des territoires, privilégiant l’action locale. Un

« pays » correspond à une aire géographique définie selon sa

taille, mais aussi dans le respect d’une identité qui lui est propre.

La Bretagne à elle seule en compte 21 (sur 120 PAT à l’échelle

nationale !), dont le pays de Centre Bretagne ou se situe

St �élo. Leurs objectifs communs sont définis dans une charte

régionale :

− Aide au développement et à l’aménagement de l’oGre

touristique

− Organisation et valorisation de cette oGre touristique

− Commercialisation de l’oGre touristique

− Observation et recueil de données relatives au tourisme.

1.1.2. La Maison des Toiles et le Syndicat de la Route du Lin

Dès les années 1980, émerge chez les historiens et érudits de

la région un regain d’intérêt pour le passé industriel textile de la

Bretagne. En 1988, le CAUE 22* réalise les premiers

recensements du patrimoine thélotais, et un an plus tard, a lieu

un colloque « Jeunesse et patrimoine » sous l’égide de l’UNESCO

portant sur l’architecture rurale du « pays des Toiles ».

En 2004, est inaugurée la Maison des Toiles, un éco-musée

retraçant l’épopée du passé industriel textile du village et de sa

région. Cette inauguration relance un processus vieux d’une

quinzaine d’années initié entre les villes de St Brieuc,

Moncontour, Loudéac, Uzel et St �élo, mais qui n’avait jamais

abouti à cause de divergence de vues et faute d’une volonté

politique commune su`sante.

Finalement, cette « patrimonialisation » se met en place à

l’échelle communale : on assiste à un éparpillement des

initiatives et au chacun-pour-soi. St Brieuc, expose le passé

textile dans les galeries permanentes de son musée d’art et

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

d’histoire ; Quintin a son musée-atelier des tisserands et des

toiles ; La Chèze, son centre culturel des métiers de Bretagne.

St �élo et sa Maison des Toiles, bientôt rejoint par le village

voisin d’Uzel et son Atelier-musée du tissage, se regroupent au

sein d’une structure commune : le Syndicat de la Route du lin.

Ce nouvel organisme a pour vocation à mutualiser les moyens

en vue d’une politique culturelle et touristique commune, afin

de créer une oGre touristique plus visible et plus attractive. Cela

passe notamment par une signalétique routière et un circuit

touristique reliant les deux communes.

Le musée de St �élo s’installe dans une ancienne maison de

marchand toilier, sauvée in extremis de la ruine et restaurée

avec l’aide financière de la CIDERAL* et l’expertise du CAUE 22.

Cette maison faisait à l’époque l’objet d’un permis de démolir,

acceptée par la commune. Quelques années auparavant, ce

genre de bâtisse était encore appelée « château » par la

population qui en avait oublié la fonction d’origine. Cette

patrimonialisation de l’histoire du lin en Bretagne n’est pas tant

un travail sur la mémoire, que la redécouverte de savoir-faire et

techniques traditionnelles liés à une filière industrielle

aujourd’hui disparue.

Ce projet n’est pas initié par le village, mais est pris en charge

directement par les pouvoirs publics aux échelons supérieurs :

communauté de communes, département, Direction Régionale

des AGaires Culturelles (DRAC*), CAUE 22. Aucune concertation

réelle n’a donc lieu avec la population

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

1.1.3. Le projet « Mémoire en demeure » de Tadashi KAWAMATA1

Dès 2001, le maire et quelques riverains décident

d’accompagner et poursuivre la dynamique induite par la

réhabilitation – alors en cours – de la future Maison des Toiles,

pour une mise en valeur du bourg. Il ait fait appel au CAUE 22,

qui connaît bien le patrimoine thélotais pour s’y être intéressé

dès 1988. Tandis que la création du musée était un projet

institutionnel et technocratique bénéficiant d’un budget

confortable, le projet « mémoire en demeure » est piloté

directement par la mairie et les habitants, et ne dispose pas

d’une grande marge de manœuvre.

L’idée initiale des commanditaires était assez vague et portait

sur l’embellissement du bourg, son fleurissement (ce qui sera

tout de même fait par les habitants et le jardinier du village,

avec les conseils du CAUE 22), ainsi que des circuits pédestres

en lien avec la botanique. l’artiste japonais Tadashi KAWAMATA

est, lui, fortement marqué par l’architecture de granit du village.

Mais alors que jusqu’à présent, l’attention s’était toujours portée

sur les maisons de marchands, il décide d’intervenir sur trois

modestes maisons de tisserands. Selon lui, la richesse de

l’industrie toilière ayant permis la construction des maisons de

maîtres provient aussi, pour une part, des tisserands. Il n’y a, dès

lors, pas de raison d’ignorer ce patrimoine, aussi humble soit-il.

C’est via un programme de mécénat culturel que KAWAMATA

intervient sur quelques maisons de tisserands quasiment en

ruine, et les réhabilite dans le cadre d’ateliers d’étudiants.

1 Pour des illustrations du projet et des ateliers d’été, cf. Annexe B – Photos du

projet « mémoire en demeure »

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Les partenaires

De nombreux acteurs sont intervenus à des degrés et étapes

divers dans le projet « Mémoire en Demeure ». Face à cette

diversité et cette complexité, la mise en place d’un

organigramme s’est avérée nécessaire pour permettre un

regard synthétique sur l’ensemble de ces protagonistes, afin de

mieux appréhender leur(s) rôle(s), leur imbrication et leurs

interactions.

On voit l’ampleur qu’a pu prendre ce projet : aussi modeste

fut-t-il, il a fait intervenir de nombreuses institutions portant

dans des domaines aussi divers que le patrimoine, le tourisme,

la gestion politique, l’art, l’architecture, le paysage, l’économie

et la société. Selon leur nature, nous avons regroupé ces

institutions en quatre grandes familles : administrative,

culturelle, associative et économique.

La famille « administrative » reflète le mille-feuille de

l’administration étatique française : chaque maillon de la

chaîne, de la commune au ministère, est intervenu dans le

projet. Chacun apportant ses compétences propres : le

Ministère de la Culture via la DRAC oGrant expertise et conseil et

le Fonds Régional d’Art Contemporain (FRAC*) soutenant

l’initiative artistique ; les conseils régional et général et la

communauté de communes CIDERAL apportant une aide

financière dans le cadre de leur politique culturelle respective ;

la mairie apporte un soutien politique aux commanditaires (le

maire et quelques habitants). Elle a pour elle sa connaissance

du terrain et de la problématique locale ainsi que l’avantage de

la proximité.

La famille « culturelle » concerne notamment la Fondation de

France qui, via son programme des « Nouveaux

Commanditaires », soutient les initiatives de particuliers qui

souhaitent faire appel à l’art contemporain dans l’intérêt

collectif. Auparavant, la région Bretagne, n’était pas éligible à ce

programme. Le projet « Mémoire en demeure » en est la

première intervention, et a ouvert la voie à beaucoup d’autres

dans la région (à Plougonver, St Benoît-des-Ondes, Rennes,

Trébédan…).

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Le médiateur culturel Eternal Network est délégué, et apporte

conseil, aide logistique et technique. C’est lui qui, après étude

de la demande et concertation avec les commanditaires, décide

de faire appel à KAWAMATA. Le Conseil d’Architecture,

d’Urbanisme et d’Environnement des Côtes-d’Armor (CAUE 22)

fournit aussi aide technique et conseil, via son paysagiste

délégué Didier PIDOUX et son architecte délégué Mathieu LE

BARZIC. C’est ce dernier qui assure la maîtrise d’œuvre du projet.

La famille « associative » a été analysée précédemment1.

La famille « économique et financière », quant à elle, sera vue

ultérieurement. 2

On comprend donc que le projet « mémoire en demeure »,

né de la volonté politique et citoyenne locale, est loin de n’être

qu’une intervention artistique démiurgique et donc stérile. Au

contraire, il prend en compte tous les domaines qui fondent un

développement local intégré. Nous y reviendrons plus loin.3

Cependant, nous sommes en droit de nous questionner sur la

pertinence et l’e`cacité d’un tel nombre d’acteurs. Notre

première crainte fut qu’une telle prolifération, non seulement se

fasse au détriment du dialogue, mais aussi au préjudice des

commanditaires, qui auraient pu voir leur projet être l’objet

d’une récupération politique opportuniste. Mais après entretien

avec M. le maire, on constate qu’il n’en fut rien. Les

commanditaires ont gardé la place centrale, et il semblerait que

le CAUE 22 et le médiateur culturel Eternal Network aient joué

les rôles d’interlocuteurs de premier plan, assurant le lien entre

la mairie et les autres acteurs.

1 Cf. supra 1.1.1. La politique culturelle régionale ; 1.1.2. La Maison des Toiles et le

Syndicat de la Route du Lin et cf. infra 1.1.4. Communes du patrimoine rural breton.

2 Cf. infra 2.2.2. Vers une mise en place d’une véritable politique touristique locale ?

3 Cf. infra 2.2.3. Développement rural et intégration

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Les chantiers d’étudiants

La particularité du travail de KAWAMATA étant qu’il ne travaille

jamais seul, mais en collaboration et dialogue avec les

commanditaires, il décide de mettre en place des ateliers

d’étudiants échelonnés sur trois étés. Ainsi, de 2004 à 2006,

pendant trois fois deux semaines, des étudiants d’art et

d’architecture de France et de l’étranger vont concevoir et

construire une structure serpentant à travers deux anciennes

maisons de tisserands abandonnées et un hangar attenant,

juste en face du musée, au sud du village (voir carte). Quelques

habitants sont très investis dans le projet : ils participent au

chantier et logent les étudiants chez eux.1 Chaque été, la fin du

chantier est l’occasion de festivités et d’une réunion publique

pour expliquer l’avancement du projet.

En 2006, le village inaugure ce nouvel espace et le baptise en

l’honneur de l’artiste. Toute une symbolique parsème la lecture

de ce projet. La passerelle, partant des maisons, se dirige vers le

sud en direction de l’étang. Elle accueille le visiteur par une

promenade « lente » et lui permet de prendre le temps

d’admirer la vue sur le village. Elle peut aussi se voir comme

l’expression du lien qui unit le village à son paysage, aux

champs et à l’étang situé au sud. La tour, dépassant du toit en

polycarbonate est un rappel de la forme archétypale du métier

à tisser et se veut un symbole fort de l’intervention artistique et

du renouveau de l’architecture patrimoniale. La construction,

en matériaux contemporains (structure bois et polycarbonate)

a`rme son caractère contemporain et son respect du bâti

ancien. C’est elle qui maintient les maçonneries anciennes

debout, et réciproquement celles-ci supportent les nouvelles

structures en bois. C’est une belle métaphore du soutien

mutuel de l’architecture contemporaine et du patrimoine.

Ce projet a fait l’objet d’une publication et d’un film2, selon la

volonté de l’artiste. D’après lui la dynamique du processus de

projet, par essence éphémère, doit être fixée sur papier.

1 Ce dernier détail n’était d’ailleurs pas prévu au programme. Mais le foyer

communal n’étant pas prêt à temps pour accueillir les étudiants, les habitants se sont retrouvés « contraints » de les loger. Ce qu’ils réitèreront très volontiers les étés suivants, bien que le foyer fut alors en mesure de les accueillir !

2 ETERNAL NETWORK ; 2007

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

En 2008, le projet « mémoire en demeure » a été récompensé

du prix d’Architecture de la région Bretagne, ce qui a contribué

à faire connaître le village au-delà de son pays.

L’évolution de l’Espace KAWAMATA

Jusqu’à l’intervention de l’artiste en 2004, le site était

constitué de deux parcelles tout en longueur au sud de la

Maison des Toiles. L’une d’elles était vide de bâti, l’autre

présentait trois anciennes maisons de tisserands alignées à rue,

et un hangar à l’arrière. Depuis longtemps inadaptés aux

exigences d’habitabilité moderne, les bâtiments étaient

abandonnés et menaçaient ruine. Il était prévu de les démolir

pour y aménager le parking du nouveau musée. On voit ici à

l’œuvre la méconnaissance du patrimoine ordinaire au profit

d’un patrimoine plus « explicite », qui seul mériterait d’être

conservé. Lors de ses premières visites en 2003, Tadashi

KAWAMATA est séduit par le granit des constructions et décide

d’intervenir dessus. Terrains et bâtis sont alors achetés par la

commune.

De 2004 à 2006 ont lieu les ateliers d’étudiants, qui vont

réhabiliter le bâti et aménager les abords. Un élément vertical,

la tour, est construit à travers le toit de la plus grande des

maisons, reprenant la forme générique du métier à tisser. Un

élément horizontal, la passerelle, relie les maisons et le hangar

entre eux et avec l’arrière du terrain, Les abords directs sont

aussi réaménagés : du mobilier urbain est installé, un parking

est mis en place, un sentier pédestre part vers l’étang. Tout cela

semble fonctionner, le village est ravi et lors de l’inauguration

en 2006, le site est baptisé « Espace Tadashi KAWAMATA » en

l’honneur de l’artiste.

Mais en se rendant sur les lieux cinq ans plus tard, force est de

constater que cela ne marche pas. Plusieurs modifications

ultérieures ont été faites (voir schéma 3) pour mettre les

bâtiments aux normes de sécurité et d’utilisation, afin de

permettre un usage sans danger des bâtiments. De plus, le site

reste très peu utilisé, et ce pour plusieurs raisons. N’étant

jusque-là pas aux normes, ni raccordés aux réseaux d’eau et

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

d’électricité, ils ne pouvaient que di`cilement être utilisés par

les habitants, entraînant une grande déception, notamment de

la part des associations. S’ajoute à cela un eGet psychologique :

le site étant perçu comme le résultat de l’intervention d’un

artiste, son appropriation par le village a été lente et timide.

Enfin, aucune programmation n’avait été faite, aucune fonction

n’avait été attribuée aux espaces réhabilités. C’était une volonté

initiale de l’artiste : les lieux devaient être appropriés par les

habitants. Lui ne faisant que poser la première pierre d’un

processus que ceux-ci devaient continuer. En n’attribuant pas

de fonction précise aux espaces, leur aménagement s’en

trouvait moins contraint, et leur appropriation plus facile et plus

spontanée. �éoriquement, cela est en cohérence avec la

démarche de l’artiste, mais les années ont passé et nous

révèlent que cette idée manquait de pragmatisme et de

réalisme. Peut-être la culture japonaise et artistique de

KAWAMATA s’est révélée ici être un défaut plus qu’un atout : il ne

connaissait pas su`samment la mentalité rurale locale pour

percevoir son caractère « terre-à-terre »1.

1 Selon les mots des habitants eux-mêmes.

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

1.1.4. Le label « Communes du Patrimoine Rural Breton » (CPRB)1

En 1987, des maires de communes rurales bretonnes se sont

réunis en association et ont fondé le label Communes du Patrimoine Rural Breton. St �élo a été labélisé en 2002 et est

désormais membre de l’association. Cette initiative est née de la

prise de conscience par ces mairies de la richesse du

patrimoine dont elles bénéficiaient, de la volonté de mutualiser

leurs moyens pour protéger et mettre en valeur le patrimoine

rural, et de mettre en commun leur voix pour peser auprès des

institutions culturelles locales. Grâce au label, mairies et

particuliers peuvent percevoir des aides financières du conseil

régional et des conseils généraux (de l’ordre de 20 à 40% du

montant des travaux suivant les départements) pour des

travaux portant sur du bâti ancien.

Comme son titre l’indique, le label ne concerne que les

villages de campagne (exit donc les villes ou communes

périurbaines) de la région Bretagne. L’adhésion doit être le fruit

d’une véritable motivation des mairies, aucun moyen incitatif

ou coercitif n’existant pour imposer la politique de l’association.

Celle-ci porte sur quatre objectifs principaux, que sont : la

sauvegarde, la mise en valeur et la sensibilisation au patrimoine

rural ; l’information et l’accueil du public et la promotion des

initiatives engagées ; l’animation de ce patrimoine (par des

expositions, des visites guidées) ; et enfin l’aménagement des

communes (par la mise en place de « circuits d’interprétation »,

de sentiers pédestres, de pistes cyclables…). Par ailleurs, pour

guider les maires dans leurs démarches, l’association a mis en

place – avec l’aide des CAUE, de la DRAC et des associations de

restauration du patrimoine – un « cahier de recommandations

paysagères » portant aussi bien sur l’aménagement du bourg

que des paysages agricoles, ou des maisons et de leurs abords.

Il faut ici saluer l’initiative prise par les décideurs politiques,

qui oGre une visibilité et une attractivité touristique accrue à ces

communes. On assiste là à la mise en place (certes timide, et

aux résultats encore très mitigés) d’un tourisme rural.

1 Cf. infra Annexe C - Entretien avec C. HESRY.

18

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

1.1.5. La mise en place d’une Zone de Protection du Patrimoine

Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP)*

En 2010, la mairie de St �élo décide de faire un pas de plus

dans la protection de son patrimoine et d’aller au-delà des

outils classiques déjà en place (zone de protection de 500m*,

inventaire du patrimoine, règlements urbanistiques, et

prochainement un Plan Local d’Urbanisme (PLU)*) en instituant

une ZPPAUP sur tout le territoire de la commune. Cet

instrument réglementaire remplace non seulement la zone de

visibilité entourant tout objet classé « M.H. », en l’étendant de

manière réfléchie et après une analyse fine du terrain, à un

périmètre mûrement défini ; mais il entend aussi imposer tout

un attirail de prescriptions architecturales et paysagères afin de

protéger ce qui fait la spécificité du village. Par ailleurs, toute la

phase d’analyse nécessaire en amont, co-réalisée par un

architecte du patrimoine et un architecte-paysagiste, doit

forunir aux élus notamment (mais aussi à tous ceux qui le

souhaitent puisque le document final est d’accès public) une

connaissance approfondie de leur territoire et des

problématiques concrètes qui s’y appliquent, au niveau

architectural, urbain et paysager.

C’est une étape importante de la politique menée par la

mairie de St �élo, qui indique une ouverture d’esprit et une

volonté politique forte et à long-terme en faveur du patrimoine.

En eGet, il faut voir qu’une ZPPAUP représente avant tout des

contraintes supplémentaires d’ordre réglementaire, qui

viennent se surajouter ou suppléer celles déjà existantes.

Cependant, et on l’a vu dans d’autres exemples 1 , il est

important de prendre garde à l’application littérale de ces

prescriptions techniques, qui pourrait mener au pastiche, voire

à une certaine « disneylandisation » du patrimoine. Il est certes

important de prendre conscience des atouts d’un territoire (et

des menaces qui y pèsent) mais cela ne doit pas être un facteur

d’inhibition de leur évolution.2

1 BUSSIERE Roselyne ; 10.2010 2 Cf. infra 1.2.1. Un patrimoine « ordinaire »

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

1.1.6. Une politique éclairée au service d’un patrimoine ordinaire

et rural

Toutes ces initiatives dénotent une ambition forte de la mairie

de St �élo, portée par un réseau de partenaires. On a ainsi

observé le processus de patrimonialisation qui s’est opéré

depuis une décennie maintenant, plaçant, malgré une marge

d’action et des moyens limités, le patrimoine au centre de

l’enjeu de développement du village. Cette démarche portant

tout autant sur un travail de réappropriation collective de la

mémoire et de l’histoire du lieu, que de la conservation d’un

héritage en danger. Mais au service de quel patrimoine tout

ceci est-il mis en place ?

1.2. Le patrimoine de St Délo

De quoi parle-t-on quand on évoque le patrimoine du village

de St �élo ? Nous serions bien déçus si nous nous en tenions à

la définition courante et largement admise de patrimoine en

tant que « monument historique ». Il n’y a à St �élo guère que

le calvaire qui soit classé « M.H ». Pourtant, tout village a une

histoire. Et pour peu qu’ils soient anciens, les éléments

constitutifs de ce village – quels qu’ils soient : bâtiments, rues,

toponymie, paysage…– sont porteurs des traces de cette

histoire. Or, dès l’apparition de la notion de patrimoine (sous la

Révolution en France1), celle-ci s’est très vite définie comme

« l’extraordinaire » en opposition à « l’ordinaire ».

Ainsi donc, le patrimoine rural, et thélotais en particulier,

contient en germe une richesse qui reste insoupçonnée, car

trop quotidienne, trop ordinaire, trop rurale.

1 CHOAY Françoise ; Le patrimoine en questions ; 2009

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Page 42: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

1.2.1. Un patrimoine « ordinaire »

Tout d’abord, intéressons-nous à la définition qu’en donne le

dictionnaire1.

Patrimoine :

n. m. – 1160 ; lat. patrimonium « héritage du père »

− Biens de famille, biens que l’on a hérité de ses ascendants

− Ce qui est considéré comme un bien propre, comme une

propriété transmise par les ancêtres.

Patrimoine archéologique, architectural, historique. (syn. fortune, héritage, apanage)

Ordinaire : adj. – 1348 ; « juge » 1260 ; lat. ordinarius « ordre »

− Conforme à l’ordre normal, habituel des choses ; sans

condition particulière.

− Dont la qualité ne dépasse pas le niveau moyen le plus

courant, qui n’a aucun caractère spécial.

− Qui n’a rien d’exceptionnel.

(syn. banal, commun, standard ; contr. anormal, étrange, exceptionnel, extraordinaire, original, rare, remarquable)

Le patrimoine se définirait donc comme un bien, un héritage

transmis par les générations précédentes (patrimoine se dit

d’ailleurs heritage en anglais). Deux notions interviennent ici : la

propriété implique la responsabilité du détenteur vis-à-vis de

son bien : il lui revient de l’entretenir, et de l’utiliser à bon

escient. La transmission par les générations passées implique

quant à elle une diGusion aux générations futures, et donc une

bonne gestion de cet héritage et une propriété qui n’est que

temporaire.

Un patrimoine ordinaire serait un héritage commun, que rien

ne distingue des autres héritages. Il se définirait a contrario

comme ce qui n’est pas exceptionnel. Cette non-spécificité

n’entraînant pas pour autant de non-qualité : le caractère

ordinaire n’est ici justifié que d’un point de vue quantitatif et

non qualitatif.

1 Le Petit Robert de la langue française ; 2006

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Les origines du concept de « patrimoine ordinaire »

Nous reprenons cette notion de Roselyne BUISSIERE1 ,

chercheuse et chargée de mission au service de l’Inventaire

Générale d’Ile-de-France, au sein duquel la construction

intellectuelle de cette notion s’est forgée et fixée. Elle-même

récupère le terme de Julien DELANNOY2, qui l’a théorisé dans ses

mémoires de master d’architecture et de sciences sociales, et

qui l’a choisi pour sa neutralité parmi un large champ lexical.

Cependant le terme « patrimoine ordinaire » peut être retrouvé

jusque chez l’architecte et historien de l’architecture italien

Gustavo GIAVANNONI3. On peut aussi retrouver cette idée, mais

sous d’autres acceptions et sans avoir fait l’objet d’une

définition aussi poussée chez l’historienne Françoise CHOAY4 et

l’historien d’art et initiateur de l’Inventaire Général, André

CHASTEL.

Le patrimoine ordinaire selon R. BUSSIERE

R. BUSSIERE a construit sa propre interprétation du terme en

synthétisant deux définitions diGérentes : l’une, « spontanée »,

synthèse des mots associés par des personnes (non expertes

dans le domaine) interrogées sur le sujet, et l’autre, « savante »,

élaborée à partir de références littéraires et de l’expérience de

terrain.

Selon la définition « savante », si la protection du patrimoine

monumental est l’aGaire de spécialistes et exprime une identité

« universelle », le patrimoine ordinaire serait a contrario l’aGaire

de tous et serait porteur d’une identité locale. Alors que le

patrimoine habituellement reconnu comme tel concerne tous

les bâtiments ou sites classés ou inscrits « monument

historique » – et est à ce titre protégé et entretenu directement

ou indirectement par l’Etat ou les collectivités territoriales – le

patrimoine ordinaire concerne tout ce qui n’entre pas dans

cette catégorie. Les typologies d’objets concernés sont infinies :

1 BUSSIERE Roselyne ; in AUDUC Arlette ; 2007 et BUSSIERE Roselyne ; 10.2010 2 DELANNOY Julien ; 2005 et DELANNOY Julien ; 2007. 3 GIAVANNONI Gustavo ; 1931-1998. 4 CHOAY Françoise; L’allégorie du patrimoine ; 2009

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Page 46: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

chapelles, croix, fermes, maisons, murs… mais aussi ensembles

bâtis, structure villageoise, front urbains… ou bien encore tracés

parcellaires, toponymie… Ce patrimoine n’est pas protégé, et il

revient à la commune ou aux propriétaires privés de décider de

son sort.

Selon la définition « spontanée » : le patrimoine ordinaire se

définit par « tout ce qu’on a sous les yeux et qu’on ne voit pas ».

C’est ce qui est trop intégré à notre quotidien pour qu’on y

prête attention. Tout un champ sémantique peut dès lors y être

associé : quotidien/banal, disséminé/diGus, répétitif/sériel.

En définitive, R. BUSSIERE synthétise ces deux définitions en

une : le patrimoine ordinaire est « ce qui forge l’identité d’un

territoire », l’essentiel de la culture matérielle et immatérielle

qui compose le paysage des villes et des villages.

C’est la protection de ce type de patrimoine qui est à l’origine

du Service de l’Inventaire Général, fondé par André CHASTEL, qui

voulait prendre en compte : « la ville dans sa substance la plus modeste et caractéristique : l’architecture mineure. »1

Les caractéristiques du patrimoine ordinaire

Bien que par définition quelque chose d’ordinaire n’ait pas de

caractère spécial, et ne puisse se définir qu’a contrario, il est

possible de dégager quelques critères discriminant le

patrimoine ordinaire de l’architecture sans qualité aucune.

R. BUSSIERE distingue dans le caractère ordinaire du patrimoine

les critères suivants : l’auto-construction, la construction

successive et continue, la liaison au contexte et la fragilité.

L’architecture ordinaire est la plupart du temps le fruit de

l’auto-construction : il n’est pas fait appel à un architecte, et ce

sont les habitants eux-mêmes, qui, avec des matériaux tirés du

site et des techniques traditionnelles, construisent leurs

bâtiments. Le rapport à ceux-ci est donc nettement diGérent du

mode de consommation actuelle d’une architecture « clé en

main ».

Cette architecture ordinaire, telle que nous la voyons

aujourd’hui, est par ailleurs le résultat d’un enchaînement

spontané et continu – mais jamais planifié – de constructions,

1 BUSSIERE Roselyne ; in AUDUC Arlette ; 2007 ; p. 75

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

modifications et destructions. La ville se construit sans cesse sur

elle-même : c’est un processus biologique vital et

régénérant qui ne doit pas être condamné, mais seulement

« contrôlé » et « soigné ».

L’architecture ordinaire est aussi intrinsèquement liée à son

territoire : elle est forgée par lui, et lui par elle. Elle fait véritablement territoire. En eGet, le contexte géographique

(hydrographie, relief, orientation, sol), paysager (vent, climat,

végétation) et constructif (matériaux, systèmes constructifs)

influence inévitablement le patrimoine bâti, mais aussi

indirectement le patrimoine immatériel.

Enfin, ce patrimoine est fragile car il n’est plus guère adapté

aux modes de vie contemporains et aux exigences du confort

moderne, ce qui entraîne des modifications lourdes et brutales

qui le dénaturent. Parfois même, ces modifications peuvent

n’être motivées par rien d’autre que par la volonté d’être

« moderne ».

Les menaces pesant sur le patrimoine ordinaire

Le patrimoine ordinaire est fragile car soumis à diverses

menaces pouvant entraîner sa dénaturation* voire sa

disparition. A la lecture de R. BUSSIERE et J. DELANNOY, nous

pouvons relever : la méconnaissance, une sensibilisation faible

ou inexistante, une protection ine`cace, et enfin un manque de

volonté politique.

Comme il a été vu précédemment, le patrimoine ordinaire ne

se donne pas à voir tout de suite. Il est tellement « intégré » à la

vie quotidienne des habitants qu’il devient « invisible » à des

yeux non-avertis. Ce déficit de reconnaissance est par ailleurs

accentué par les modifications profondes du bâti qui

empêchent la lecture de la typologie architecturale d’origine.

C’est cette « invisibilité » qui est dangereuse, car l’ignorance

entraînant l’intolérance, des modifications profondes et

inadaptées peuvent provoquer la disparition du patrimoine.

Ce qui peut être résumé selon le schéma suivant :

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

En eGet, plus le patrimoine est « explicite », plus il est protégé

et sa typologie architecturale originelle est respectée ; tandis

que plus il est discret, plus il subit de modifications

« négatives ». Par-là, on entend : le non-entretien, voire

l’abandon du bâtiment, ce qui provoque sa ruine « naturelle » ;

des modifications légères et réversibles qui le dénaturent et le

rendent méconnaissable ; des modifications profondes et

irréversibles ; la disparition pure et simple (le bâtiment est rasé)

ou encore la « caricaturisation » ou « disneylandisation » du

patrimoine, par collage d’éléments pseudo-anciens (non-

authentiques et scientifiquement faux) ou néo-rustiques de

« mauvais goût ».

Pour illustrer notre propos, revenons à St �élo, où en y

arrivant pour la première fois en 2004, Tadashi KAWAMATA fut

très impressionné par l’architecture de granit et de schiste. En

eGet, tous les bâtiments du village – même les plus modestes

maisons – sont construits dans ces matériaux locaux. Ce qui

paraissait évident et banal pour un �élotais ne l’était

certainement pas pour un Japonais. C’est ce décentrement du

regard qui a permis de révéler une part du caractère du village.

Les outils actuels de sensibilisation au patrimoine (ZPPAUP,

CAUE, STAP*, DRAC, Journées du Patrimoine, Inventaire

Général…) s’avèrent trop peu opérants pour faire prendre

conscience du patrimoine banal, car ils sont soient

insu`samment portés à la connaissance du public, et donc

sous-utilisés, soit focalisés sur le patrimoine extraordinaire au

détriment de l’ordinaire. Les outils de protection quant à eux

(PLU, zone de protection de 500m autour d’un « M.H »,

ZPPAUP…), en plus d’être largement perfectibles, sont perçus

comme des contraintes urbanistiques supplémentaires, mais

n’aident pas forcément à comprendre les enjeux patrimoniaux.

Enfin, un manque de volonté politique d’intégrer le

patrimoine dans les enjeux de développement, peut lui être

fatal. En eGet, associer « une importante activité de conservation et une utilisation stagnante du patrimoine est peu soutenable à long terme ». 1 Si le potentiel du patrimoine

1 GREFFE Xavier ; 2003 ; cité dans DRAC BRETAGNE ; 2007 ; p. 10

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Page 52: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

monumental est clairement perçu et manipulé par le politique,

celui du patrimoine ordinaire n’est pas encore reconnu. Celui-ci

est au mieux perçu comme un décor urbain pittoresque de

carte postale, au pire considéré comme une gêne pour le

développement urbain ou rural.

Cependant, il est important de distinguer « modification » et

« évolution » du bâti. Par nature, l’architecture « ordinaire » est

en constante évolution. Vouloir l’interdire, c’est lui dénier ce qui

fait son caractère propre : elle doit pouvoir s’adapter aux

besoins forcément changeant de ses habitants, dans le respect

de la typologie architecturale d’origine.

L’intérêt propre du patrimoine ordinaire

Pourquoi serait-il si important de devoir prendre en compte le

patrimoine ordinaire ? R. BUSSIERE reconnaît que celui-ci est un

enjeu important car à l’heure du développement durable, du

respect de la nature, et de la responsabilisation citoyenne, le

patrimoine ordinaire apparaît plus que jamais comme une

« leçon d’harmonie et d’écologie » : il se construit avec la

nature et non contre elle. De plus, il apporte une plus-value à

un village, un territoire. Par les valeurs culturelles et la mémoire

qu’il véhicule, il procure une identité forte et spécifique à ces

lieux, qui n’apparaissent pas comme étant dans un espace-

temps homogène et neutre, mais complexe et riche. Par la

compréhension qu’il apporte des modes de vies passées, et de

l’histoire locale, il renforce directement l’identité locale et,

indirectement, permet de mieux comprendre le monde présent.

Connaître le patrimoine ordinaire, le substrat patrimonial,

permet par ailleurs une meilleure appréciation du patrimoine

monumental, l’un ne pouvant être pensé sans l’autre. « Le patrimoine ne peut exister qu’à travers le patrimoine ordinaire »1 disait GIAVANONNI. Enfin, il doit permettre de mieux

guider les politiques urbaines, en sensibilisant les décideurs

politiques aux enjeux de développement durable du territoire

qu’ils administrent.

1 GIAVANONNI GUSTAVO ; 1931-1998 ; in BUSSIERE Roselyne ; 14.10.2011

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

1.2.2 Un patrimoine rural

Le patrimoine « ordinaire » n’est pas circonscrit à un espace

donné : on le trouve aussi bien en ville, qu’en zone péri-urbaine

ou rurale. Or, en plus d’être « ordinaire », le patrimoine de

St �élo a la caractéristique d’être aussi « rural ». Cet épithète

étant plutôt utilisé chez les géographes (par opposition à

urbain), tandis que les folkloristes du XIXe – début XXe s.

préféraient le terme de paysan. Les ethnographes parlent eux

d’une architecture vernaculaire, qui serait l’expression d’une

culture traditionnelle locale à une époque donnée1.

Nous avons vu précédemment la définition de patrimoine,

intéressons-nous maintenant à la définition du terme rural 2 : Rural : adj. – 1350 ; lat. tardif ruralis « campagne »

Qui concerne la vie dans les campagnes, qui concerne les

paysans

(syn. campagnard, agricole ; contr. urbain)

Un patrimoine rural serait donc un patrimoine qui ne serait pas

urbain, et qui aurait essentiellement à voir avec la vocation

historiquement agricole des campagnes.

Ce qui pose tout de même la question de savoir si une

architecture typiquement urbaine transposée à la campagne

(par exemple un alignement de maisons de bourgs comme on

peut en voir à St �élo) intègre cette définition.

Le patrimoine rural selon la loi

La loi définit le « patrimoine rural non protégé », comme étant

composé « des édifices publics ou privés qui présentent un intérêt du point de vue de la mémoire attachée au cadre bâti des territoires ruraux ; de la préservation de savoir-faire ; ou qui abritent des objets ou décors protégés au titre des monuments historiques, situés dans des communes rurales et des zones urbaines de faible densité 3 ». Via les départements, l’Etat

participe à hauteur de 10 à 15% à leur conservation. Par ailleurs,

1 GRODWOHL Marc ; 2008 2 Le Petit Robert de la langue française ; 2006 3 Article 8 du décret n° 2005-837 du 20 juillet 2005

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

la loi reconnaît que « le territoire est le patrimoine commun de la Nation »1. Mais la législation reste assez simplificatrice et ne

prend en compte que le patrimoine bâti, oubliant l’immatériel.

Le patrimoine culturel rural selon Isaac CHIVA

Dans son rapport de 1994 intitulé « Le patrimoine rural2 »,

l’ethnologue Isaac CHIVA définit le patrimoine culturel rural

comme étant un concept complexe : la France est

historiquement un pays de tradition rurale, aux cultures locales

les plus diversifiées d’Europe. Cela s’explique par le fait

notamment que le contexte géographique (géologie,

topographie, hydrographie, climat, végétation…) ne soit nulle

part le même sur le territoire national. Ce patrimoine rural, que

l’on peut aussi appeler patrimoine ethnographique, n’est pas

seulement bâti, c’est une complexe imbrication de plusieurs

couches (territoire, nature, technique, symbolique…).

Ces caractéristiques particulières en sont la diversité et

l’hétérogénéité des éléments constitutifs de son corpus.

L’énumération ne saurait en être exhaustive : un bâti le plus

souvent très modeste et rarement monumental (fermes, fours,

lavoirs, chapelles, croix….) ; des ensembles bâtis et leur

répartition dans les campagnes (villages, bourgs, hameaux) ; un

paysage travaillé par l’Homme pour l’exploitation des

ressources et l’organisation du territoire (parcellaires, réseaux

viaires, forêts plantées, champs, talus et autres reliefs

artificiels…) ; une culture immatérielle (langues et dialectes,

gastronomie, chants, contes, musiques, techniques et savoir-

faire artisanaux…). Mais tout ce patrimoine est aussi soumis à

l’urgence, de son observation comme de sa protection, car très

sensible à un processus permanent (et de plus en plus marqué)

de disparition / création de ses éléments. En eGet aujourd’hui, le

monde rural se trouve profondément transformé par la suite de

l’accumulation de plusieurs facteurs 3 : la rurbanisation (ou

périurbanisation des campagnes) ; de manière générale la

diminution de la population agricole, due à des mutations

1 Article L. 110 du Code de l’Urbanisme ; 2009 2 CHIVA I. ; 1994 ; pp. 227-232 3 Cf. infra 2.2.1. Contexte géographique et socio-économique

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Page 58: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

économiques et techniques profondes de l’agriculture ces 40

dernières années ; une décomposition des paysages agricoles,

notamment due aux remembrements brutaux des parcellaires

durant les années 1970 ; et enfin, pour certains villages, une

chute dramatique de la population, ce qui entraîne un

déséquilibre dans la pyramide des âges, un vieillissement

statistique de cette population et accélère la désertification.

Par ailleurs, I. CHIVA déclare que la protection de ce patrimoine

rural nécessite non seulement la di`cile mise en relation des

disciplines scientifiques, architecturale et paysagère, afin

d’appréhender dans sa globalité la complexité intrinsèque à la

culture rurale ; mais aussi la mise en relation de la recherche

avec les politiques culturelles (qu’elles soient publiques,

associatives ou privées) et avec l’action concrète (les opérations

de restauration et de protection) ; enfin, la mise en relation de

cette protection avec une politique de conservation active, qui

passe par la réappropriation , la réutilisation et l’intégration de

ce patrimoine.1

Le patrimoine rural selon l’ECOVAST

L’European Council for the Village And Small Town 2 (ECOVAST*), utilise le terme de « paysage » (« landscape ») pour

définir le territoire rural et reprend à son compte l’idée

d’interrelation de plusieurs couches accumulées au fil du

temps (voir schémas).

En premier lieu, le paysage naturel originel, préexistant à

toutes installations humaines, c’est-à-dire le contexte

géographique : la topographie, le sol, la végétation, le climat,

l’hydrographie… Cette nature a profondément influencé et

continue d’influencer les diGérentes civilisations humaines. Rien

qu’en Bretagne, un Malouin pouvait autrefois s’estimer diGérent

d’un Bigouden, d’un Léonard, d’un Trégorois ou d’un Vannetais.

Puisque chacun d’entre eux a eu à s’adapter à une situation

géographique diGérente, ils ont développé une culture, et un

état d’esprit sensiblement diGérents.3

1 Cf. infra 2.2.2. Vers une mise en place d’une véritable politique culturelle locale ? 2 ECOVAST ; 2006 ; p.7 3 Voir à ce propos ROHOU Jean ; 2005

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Page 60: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Viennent ensuite les artefacts humains. Soit tout ce qui, à la

surface de la Terre, est l’œuvre de l’Homme : le bâti, les

champs, la végétation plantée, les reliefs artificiels… En somme,

ce que William Morris définissait par « architecture ».1 C’est la

preuve matérielle du passage de l’Homme sur Terre, les traces

tangibles des générations passées.

Enfin, vient s’ajouter à cela le champ du symbolique et du

spirituel : la culture, l’histoire, la mémoire, l’identité d’une

civilisation, sont constituées de ce que nous appelons

aujourd’hui le patrimoine immatériel. Cet héritage est le plus

fragile car non directement perceptible. Il est aussi par nature

plus volatile : le temps ayant raison des mémoires plus

facilement que de la pierre.

Malgré l’atout qu’il peut représenter pour l’amélioration du

cadre de vie et le développement d’un village de campagne, le

patrimoine ordinaire rural s’avère soumis à de nombreuses

menaces, dont paradoxalement, sa méconnaissance par les

usagers eux-mêmes s’avèrent être la plus grande. D’où

l’importance de la mise en place d’un processus de prise de

conscience et de réappropriation collective de ce patrimoine

par les habitants.

1.2.3 Inventaire des types de patrimoine

Sont passés ici en revue les objets patrimoniaux qui sont le

fruit de l’action réciproque de l’Homme sur son environnement.

A savoir : l’organisation du territoire et le bâti. Cet inventaire ne

se veut pas exhaustif, ce n’est pas le sujet de ce mémoire. Il vise

à dresser une typologie succincte mais opérante du patrimoine

rencontré à St �élo, afin de mieux saisir l’enjeu de sa prise de

conscience, de sa sauvegarde et de sa mise en valeur.

L’organisation territoriale et la structure villageoise

La structure paysagère et urbaine du village est souvent peu

prise en compte dans le corpus patrimonial. En eGet, ne se

remarquant pas directement sur le terrain, un lent travail

1 « L’Architecture est l’ensemble des modifications et des variations introduites sur

la surface terrestre pour répondre aux nécessités humaines » ; William Morris ; conférence à la London Institution ; 10 mars 1881.

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

préalable de cartographie et de recoupement d’archives est

nécessaire. Sa compréhension est pourtant cruciale pour

appréhender le patrimoine ordinaire si étroitement lié à son

territoire. Il convient de noter que l’organisation du territoire de

St �élo et l’éparpillement de ses hameaux dans les campagnes

alentours participe aussi d’un fait culturel et patrimonial digne

d’intérêt. Ceci est brièvement évoqué dans la carte ci-contre.

Mais, pour des raisons pratiques, la suite de notre analyse se

limitera au bourg.

On remarque l’organisation polynucléaire du village, réparti

sur un large territoire agricole traversé de vallées creusées par

des cours d’eau. La route départementale parcourt la commune

du nord au sud dans sa partie est, tandis qu’une autre passe par

le bourg au sud-ouest (voir carte suivante). A partir de celui-ci,

rayonnent les chemins vers les hameaux, essentiellement situés

en fond de vallées ou en tête de plateaux. Le territoire se trouve

ainsi finement maillé par les voies de circulation. Les croix de

carrefours, la toponymie et les vues dégagées sur l’openfield

facilitant le repérage.

Dans le bourg, la trame viaire apparaît très clairement : la rue

principale (auj. rue Maison des Toiles) contourne le village par

le sud. A l’intérieur du bourg, une rue parallèle (auj. rue des tisserands) vient répéter ce schéma. C’est le long de ces deux

voies circulaires que s’établissent la plupart des maisons de

négociants et de tisserands. De nombreuses venelles et sentes

bordées de talus ou de murs de clôture rayonnent depuis la

place centrale et l’église vers les hameaux voisins. Plus tard au

milieu du XIXe s. fut tracée l’actuelle route départementale qui

contourne le bourg par le nord et sépare le bourg du hameau

de Botidou, et le long de laquelle se trouve notamment l’école

communale. On repère aussi au sud-est du village deux

lotissements, témoins d’un développement urbain récent (mais

non d’un développement démographique1) qui se distinguent

du reste du bourg par le découpage de leurs parcelles

cadastrales et l’implantation de leur bâti, en totale négation du

principe urbain du bourg et de l’intégration paysagère.

1 Cf. infra Annexe C - Conversation avec P. LAUNAY

31

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Le patrimoine bâti

Le village de St �élo présente un patrimoine architectural

encore très présent, et en bon état. La croix du cimetière,

aujourd’hui située en bordure de la place principale, date du

XVIIIe s. et est inscrite sur la liste des monuments historiques.

Jusqu’à présent, une zone de protection de 500m autour de

cette croix couvrait tout le bourg. La nouvelle ZPPAUP se

propose d’étendre cette zone à tout le territoire communal.

D’autres bâtiments ont été répertoriés par le Service Général de

l’Inventaire du Ministère de la Culture1, ainsi que dans le cadre

de l’analyse préalable à la ZPPAUP2 :

On observe la prédominance d’une architecture datée du

XVIIe - XVIIIe s., qui coïncide avec l’âge d’or du lin en Bretagne3.

Le profond déclin économique qui s’ensuivit au XIXe s. a

fortement fait baisser le niveau de vie des habitants, limitant les

transformations du bâti, et ne donnant lieu qu’à peu de

constructions neuves. Seules quelques maisons de bourg, ainsi

que la mairie et l’école communale ont été construites pendant

cette période de déclin, début XXe s., notamment le long de la

nouvelle route départementale. Cependant, la construction de

cette école par le Ministère de l’Education Nationale dénote le

fait qu’à cette époque St �élo était encore su`samment

peuplé pour justifier un tel investissement.

Par ailleurs, il est intéressant de souligner que, bien qu’il n’y ait

qu’un seul monument inscrit « M.H » (ce qui est déjà en soi

important pour une commune de cette taille !), St �élo compte

un patrimoine « ordinaire » très important mais diGus. Il faut

recroiser diGérents types de documents complémentaires

(dossiers d’analysse de ZPPAUP, du CAUE 22 et du CPRB), mais

surtout parcourir soi-même le terrain pour prendre conscience

de la richesse et la complexité de la relation patrimoine-

territoire, richesse qui ne saurait être réduite à la dichotomie

« monument historique / pas monument historique ».

1 Service Général de L’inventaire – DRAC Bretagne ; 1996 2 KIENTZ-REBIERE Isabelle & GAROS Gilles ; 2010 3 Cf. infra 2.1.1. Contexte socio-historique

37

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Grâce à la zone de protection de 500 mètres qu’implique le

classement d’un unique monument (le calvaire de la place),

c’est tout le bourg ainsi que le lieu-dit Botidou qui se retrouve

« protégé ». Ce qui a sans doute permis un relatif maintien

global de ce patrimoine ordinaire, mais n’a pas empêché

certaines transformations dénaturantes* du bâti.

Les erreurs les plus fréquemment rencontrées 1 portent

notamment sur :

− les enduits au ciment sur des maçonneries de schiste ou des

linteaux de pierre. Ou à l’inverse, le décroutage de

maçonneries de schiste initialement enduites à la chaux,

− les joints à la chaux des maçonneries visibles,

− les modifications de gabarit (pente de toiture, débord de

toiture, lucarne supprimée, verrue bâtie),

− les modifications des ouvertures de façades,

− la non-intégration des menuiseries et ferronneries neuves,

− la non-intégration de volets roulants,

− la non-intégration des descentes d’eaux pluviales.

Le patrimoine immatériel

Toponymie, chant, contes, spiritualité, superstition, musiques,

outils et techniques de travail, savoir-faire et savoir-vivre… La

liste du patrimoine immatériel ne saurait être exhaustive, tant il

est vrai que tout ce qui constitue la vie quotidienne fait partie

intégrante du patrimoine ordinaire rural. Cependant, il n’est pas

dans notre compétence de l’étudier, et toute une littérature

d’ethnologues et d’historiens existant déjà 2 , nous nous

bornerons à cette énumération.

1 KIENTZ-REBIERE Isabelle & GAROS Gilles ; 2010 2 Lire notamment : DE BEAULIEU François ; 2010 ; HELIAS Pierre-Jakez ; 1975

et ROHOU Jean ; 2005

38

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

1.2.4 Le patrimoine, porteur de mémoire et d’identité

Tout ce patrimoine ordinaire que nous venons de passer en

revue est le témoin d’une époque – les XVIIe et XVIIIe s.

notamment – lors de laquelle la Bretagne était à son apogée

culturelle et économique. Mais les circonstances historiques

ont fait que cet héritage a disparu peu à peu des mémoires, de

la mémoire collective. Il en est d’autant plus menacé

aujourd’hui de disparition.

Pourquoi cet héritage est-il menacé ? Et quel impact réel

exerce la politique actuellement menée en faveur du

patrimoine ?

39

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

2. LES EFFETS DU PROCESSUS DE PATRIMONIALISATION

Nous avons passé en revue les diGérentes initiatives, parfois

concertées, souvent isolées, prises en faveur du patrimoine

local à St �élo et alentours. Analysons maintenant les consé-

quences réelles que cela a pu avoir, tant sur la population locale

que sur le développement économique et social.

2.1. L’impact sur la population locale

Pour mesurer la prise de conscience par la population locale

de son patrimoine, il est nécessaire avant tout de comprendre

les raisons qui l’ont amenée à oublier ce patrimoine au point

que celui-ci soit menacé de disparition.

2.1.1. La notion de déclassement / classement

Le processus de « patrimonialisation » consiste en la prise de

conscience de l’intérêt patrimonial d’une chose (qu’elle soit

matérielle ou immatérielle) et de ce fait, transforme cette chose,

la sanctuarise, la rend intouchable. On parle aussi de

« classement »1. Aujourd’hui, et depuis le XIXe s., en Europe

d’abord, puis partout ailleurs dans le monde, ce processus est

entré dans les mœurs, et a été très étudié2. Par exemple, selon

l’intérêt qu’un édifice présente, celui-ci sera « classé » ou

« inscrit » sur la liste de l’Inventaire Général du Patrimoine. Par

ailleurs, Aloïs RIEGL3 relevait cinq valeurs diGérentes qui

distinguaient un monument de n‘importe quel édifice : valeurs

d’histoire, d’art, d’ancienneté, de mémoire et d’usage auxquelles

il conviendrait d’ajouter les valeurs d’identité et d’économie.4

1 FABRE Daniel ; in FABRE Daniel & IUSO Anna (sous la direction de) ; 2010 ; p. 41 2 Voir notamment : CHOAY Françoise; L’allégorie du patrimoine ; 2009 3 RIEGL Aloïs ; 1903 - 2003 4 CHOAY Françoise ; op. cit.

40

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Un processus en trois étapes

C’est suite à la lecture de l’introduction du livre de Daniel

FABRE et Anna IUSO, et suite aussi aux entretiens avec la

population de St �élo, que nous avons pris conscience que, si

le « classement » a lieu, il s’opère préalablement ce que Daniel

FABRE appelle un « déclassement ». L’auteur révèle un processus

qui se déroule en deux temps : le déclassement, puis le

classement (et éventuellement pour certains cas le

surclassement, qui consiste en l’inscription au patrimoine

mondial de l’UNESCO, établissant une hiérarchisation du

patrimoine).

Pour expliciter ce schéma, nous prendrons l’exemple d’un

patrimoine qui n’est certes pas ordinaire, mais qui illustre toutes

les étapes du processus : les cathédrales gothiques. Construites

à la fin du Moyen-Age (XIIIe-XVes.), elles étaient la concrétisation

dans la pierre de la grandeur de Dieu, et de la ferveur

chrétienne. Puis les Temps Modernes les ont rejetées, les

qualifiant d’un péjoratif « gothique », car elles étaient devenues

le symbole de l’obscurantisme religieux contre lequel se

proposait de combattre la philosophie humaniste et scientifique

de l’époque. Ce n’est qu’au XIXe s, suite aux destructions

révolutionnaires en France et au mouvement romantique en

Europe, que les intellectuels s’intéressent de nouveau au style

gothique au point d’élaborer un style « néo-gothique ». Une

fois le Service des Monuments Historiques créé, toutes les

cathédrales gothiques françaises sont classées et protégées au

titre des « monuments historiques », certaines d’entre elles

(Chartres, Bourges, Amiens) étant même inscrites au XXe s. sur

la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO.

41

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Le déclassement

Qu’entend-on par « déclassement » ? Laissons parler Daniel

FABRE : Le déclassement est « [une] dégradation agressive, presque insupportable, [qui] est nécessaire pour que le moment de la reconnaissance monumentale soit exalté en tant que saut historique par lequel le passé se trouve illuminé, reconnu, régénéré. »1

Le déclassement est donc l’état intermédiaire d’un objet

patrimonial (quel qu’il soit), entre son usage normal et sa

reconnaissance patrimoniale par le grand public. Au mieux c’est

de l’indiGérence, au pire du rejet viscéral. Appliqué à

l’architecture, c’est au mieux un état de sous-utilisation sans

entretien, au pire l’abandon, voire la ruine complète. (A vrai dire,

il y a peut-être pire encore : la destruction du bâtiment, non

motivée par des questions pratiques mais plutôt symboliques et

politiques : la tabula rasa. Quelle plus grande déchéance en

eGet pour un bâtiment que de se voir reconnaître inapte,

obsolète, laid ? )

C’est une étape cathartique par laquelle passe l’objet

patrimonial, avant qu’il ne soit reconnu par la société et soit

intégré au corpus patrimonial. L’objet patrimonial est d’abord

rejeté, renié, frappé du sceau de la honte et de l’obscurantisme

avant de pouvoir remonter à la surface, et susciter plus d’intérêt

qu’il n’en avait initialement.

Appliqué à l’architecture, le processus pourrait se résumer

ainsi :

Ainsi par exemple, les maisons de tisserands et de marchands

de toiles de St �élo ont été construites aux XVIIe – XVIIIe s. Au

cours du XXe s. et surtout après la seconde guerre mondiale, ces

maisons se sont retrouvées inadaptées aux nouvelles exigences

1 FABRE Daniel ; op. cit ; p. 41

42

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

du confort moderne, et certaines d’entre elles devenant

véritablement inhabitables, elles ont été petit à petit

abandonnées ou rasées. L’histoire a été oubliée par la

population à tel point, qu’avant que le CAUE 22 ne

« redécouvre » le patrimoine du lin de la région, les maisons de

marchands étaient appelées « château » ou « manoir » par les

habitants. Mais aujourd’hui, le processus de « classement » est

en cours. Tadashi KAWAMATA a réhabilité deux anciennes

maisons de tisserands, une maison de marchand a été

transformée en gîte rural, une autre en Maison des Toiles. Des

passionnés rachètent des maisons à St �élo et alentours, et les

restaurent avec leurs moyens.

Le déclassement précède donc le classement, l’abandon

précède la réhabilitation. Mais : « si l’ordre de succession des deux phases […] est logiquement invariable, leur enchaînement narratif présente d’intéressantes nuances quant à la place et au rôle des habitants »1.

Le rôle de la population

L’une et l’autre de ces deux étapes peuvent être des décisions

spontanées de la population, reflet du zeitgeist, des mentalités

d’une époque, et sont donc légitimées démocratiquement. A

l’inverse, ces deux étapes peuvent tout aussi bien être le fruit

direct ou indirect d’une politique volontariste de la part

d’institutions étatiques, intellectuelles ou identitaires… Chaque

cas étant particulier. Nous analyserons par la suite le rôle qu’a

joué la population de St �élo dans cet eGet déclassement /

classement.

2.1.2 Le contexte socio-historique

Nous avons vu que pour comprendre le processus de

patrimonialisation en cours aujourd’hui à St �élo, il est

indispensable de comprendre comment et pourquoi ce qui

constitue son patrimoine en est arrivé à être méprisé par sa

population elle-même. L’étude du contexte socio-historique de

St �élo et sa région va nous éclairer sur le processus de

déclassement qui a précédé le classement.

1 FABRE Daniel ; op. cit ; p. 41

43

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Proto-industrie et richesse

Dès le XIIe s. les premières traces d’activités textiles basées sur

le lin et le chanvre sont relevées en Bretagne. Au XVIIe s, sous le

règne de Louis XIV se développe une véritable proto-industrie :

la Bretagne est alors au cœur d’un réseau européen de

commerce : les graines sont importées des pays baltes via les

grands ports de commerce (Morlaix, St Malo, Nantes…) pour

être cultivées dans les régions les plus fertiles : le Léon et le

Trégor. Les récoltes sont ensuite traitées pour en faire des toiles

dans les diGérentes « manufactures » qui se répartissent dans

plusieurs régions de la Bretagne. On dénombre les toiles

Olonnes, Canevas et Noyales faites à partir de chanvre, et les

toiles Crées et Bretagnes faite de lin. Enfin, les toiles sont

intégrées aux circuits commerciaux des ports bretons, pour être

exportées vers l’Angleterre, la Hollande, l’Espagne et ses

colonies d’Amérique. Cette économie textile fonctionne sur un

système « mondialisé » avant l’heure.

St �élo fait partie de la manufacture des toiles Bretagnes, qui

s’étend au sud de St Brieuc, dans un quadrilatère St Brieuc-

Moncontour-Pontivy-Corlay. On entend par « manufacture »,

non pas une usine industrielle qui centraliserait toute les

opérations de traitements textiles, mais une production éclatée

en un maillage diGus d’acteurs opérant sur un même territoire

et travaillant à la production d’une même toile à l’origine et au

nom étroitement contrôlés par l’administration royale. Ces

opérateurs sont : les cultivateurs, les tisserands, les

blanchisseurs, les négociants et les armateurs.

Par ailleurs, on parle de « proto-industrie », car celle-ci ne

peut être assimilée à une industrie moderne, telle qu’elle s’est

développée à partir du XIXe s. La production n’est pas

centralisée ni rationalisée : c’est une interrelation d’artisanats.

Cette « proto-industrie » est issue des théories mercantilistes et

de la politique colbertiste visant une balance commerciale

excédentaire en favorisant l’essor industriel et commercial. Elle

est donc étroitement surveillée par l’administration royale à qui

négociants et exportateurs doivent rendent des comptes. Des

bureaux de contrôle et des marques apposées sur les colis

44

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

garantissent la qualité et l’authenticité des produits exportés,

tels nos actuels « labels d’appellation d’origine contrôlée »

Le succès des toiles bretonnes permet aux négociants

d’intégrer la bourgeoisie lettrée et éclairée et oGre aux ouvriers-

paysans un revenu complémentaire à une agriculture bien

maigre. Cet argent est à l’origine d’un patrimoine ordinaire

méconnu parce que modeste, ou investi dans un patrimoine

communautaire (tant religieux que civil) plus reconnu du grand

public. Cette industrie du lin est aussi à l’origine de tout un

patrimoine immatériel, (savoir-faire et techniques, chants,

contes, proverbes, fêtes) lui aussi peu connu du grand public,

malgré le fait qu’il ait tôt suscité l’intérêt des ethnographes et

folkloristes.

Déclin économique et exode

Mais cette industrie textile n’est pas portée pas une vision

prospective à long terme. Elle reste considérée comme un

complément économique à l’agriculture dans une région où la

terre est peu fertile, comme un palliatif à la misère des ouvriers

pauvres (tisserands et blanchisseurs). Les capitaux engrangés

servent un enrichissement personnel ou communautaire, mais

sont peu réinjectés dans le développement et le

renouvellement des moyens techniques. Au XIXe s. les

manufactures bretonnes se révèlent incapables de s’adapter

aux technologies modernes et à la concurrence.

Par ailleurs, la vente se faisant majoritairement à l’exportation,

elles sont soumises aux aléas commerciaux et diplomatiques

internationaux : les multiples guerres, la concurrence

grandissante du coton provenant du Royaume-Uni, puis

l’indépendance des colonies espagnoles d’Amérique qui

représentent le principal marché : tout cela aura raison de cette

économie fragile.

En 1830, la manufacture des toiles Bretagnes cesse d’exister,

même si quelques tentatives isolées de relance ont lieu tout au

long du XIXe s et jusque dans les années 1920, notamment à

Uzel. Elles restent sans suite, écrasées par la concurrence

45

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Page 92: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

des manufactures bien plus modernes du nord et de l’est de la

France et du coton des colonies britanniques.

S’ensuit une forte récession économique qui pousse les

populations rurales à l’exode vers les grandes villes, le reste de

la France, Paris, voire les Etats-Unis pour les plus courageux.

Dès lors, la population de St �élo n’aura de cesse de diminuer :

on comptait 2225 habitants sous la Révolution1, en 2008 la

population totale n’atteint que 432 habitants.2

La charge symbolique associée aux activités textiles du lin

s’inverse alors : de richesse et fierté régionale, elle devient

synonyme de misère, de honte et est peu à peu refoulée des

mémoires. Le passé devient ringard et est rejeté dans les limbes

de l’oubli. Place doit être alors faite à ce qui est « moderne »

(dans le cas breton, à ce qui est « français », « parisien »). Les

générations se suivent, mais le processus se renouvelle

cycliquement avec plus ou moins d’intensité suivant l’époque,

le contexte culturel et économique.

Ce processus est initié sous la IIIe République avec sa volonté

de négation des particularismes régionaux sous prétexte d’unité

nationale. D’abord imposé par l’Etat (à travers diGérentes

institutions que sont l’école, la mairie, le service militaire, les

médias), ce processus de négation est ensuite intériorisé par la

population elle-même, qui en vient à développer un complexe

d’infériorité. Tout cela est renforcé par la profonde coupure

culturelle et sociétale qu’opère la Grande Guerre 14-18 : les

modes de vies évoluent, les mœurs changent, les goûts aussi.

L’équilibre fragile de la société rurale traditionnelle – aux

traditions profondément ancrées dans la vie quotidienne – se

disloque.

Après-guerre, cependant qu’au quotidien le processus de

« déclassement » se poursuit, a lieu le « réveil breton » : la

charge symbolique associée à la Bretagne s’inverse de

nouveau : être breton semble alors être redevenu une fierté.

Mais cette prise de conscience se focalise dans un premier

1 Annuaire Mairie.fr 2 d’après l’INSEE.

46

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

temps sur le folklore ; et reste circonscris, dans l’espace aux

grandes villes, et dans le temps aux fêtes. Elle reste limitée au

patrimoine immatériel ou au bâti monumental. Quant au

patrimoine paysan il semble, lui, condamné à une éternelle

indiGérence.

Mis à part le bâti, on ne retrouve aujourd’hui quasiment plus

de trace de l’ancienne activité textile de St �élo : les doués ont

été comblés ou sont recouverts de végétation, les granges ainsi

que certaines maisons de tisserands sont rasées parce qu’en

ruine, les métiers à tisser ont été brûlés. C’est une véritable

« redécouverte » de l’histoire qu’ont permis les études du CAUE

22 et la mise en place du Musée des Toiles.

2.1.3 Les associations d’habitants

Depuis quelques années, quelques associations ont été mises

en place par les habitants de St �élo, qui dénotent une certaine

prise d’intérêt dans le développement patrimonial de leur

village.

L’association Mémoire en Demeure, créée en 2007, est

composée essentiellement des habitants qui avaient

commandité le projet de KAWAMATA, dont Daniel LE GOFF, maire

de St �élo et Francis BLANCHARD, président de l’association et

par ailleurs historien. Elle se propose de prolonger la

dynamique initiée par les workshops étudiants (2004-2006) en

promouvant le patrimoine culturel et l’art contemporain et en

organisant des activités culturelles à travers le village. En 2008,

est organisée Ce que l’art tisse, à l’occasion du retour de

Tadashi KAWAMATA en visite dans le village, et d’une exposition

organisée par d’anciens étudiants en art ayant participé aux

workshops. Mais depuis, l’enthousiasme semble s’être émoussé.

En été 2011 cependant, une exposition d’art contemporain a eu

lieu dans les maisons de tisserands réhabilitées par KAWAMATA.

L’association des Jeunes de St �élo a elle aussi été créée en

2007 dans le but de rassembler tous les jeunes du village1. Elle

est assez active puisqu’elle organise tous les étés un festival de

musique à l’échelle départementale.

1 Cf. infra Annexe C - Entretien avec B. FRABOULET

47

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

2.1.4 Vers une prise de conscience du patrimoine ordinaire ?

L’histoire du lin à St �élo et dans sa région a longtemps été

volontairement occultée et oubliée par les habitants, pour qui

cela signifiait pauvreté, exode et honte. A tel point que les

générations actuellement vivantes ne connaissent plus cette

histoire.

A St �élo, si la population n’a pas été impliquée dans la

création du musée, on ne peut que se réjouir qu’elle l’ait été

pour le projet « Mémoire en demeure ». Mais comment, avec le

recul, perçoit-elle aujourd’hui le processus de

patrimonialisation et quel impact cela a-t-il eu sur la prise de

conscience de son patrimoine ? Nous avons cherché à

comprendre cela en consultant les documents de l’époque

retraçant les projets1 et en eGectuant des entretiens auprès des

habitants2. Ils ont été interrogés sur le patrimoine textile de la

région, sur les projets du musée et de l’espace Tadashi

KAWAMATA, et sur les perspectives d’avenir du village.

Cependant, l’échantillon étant assez restreint, et bien que nous

ayons cherché à diversifier les interlocuteurs, nous ne pouvons

en tirer que prudemment des conclusions.

Le Musée des Toiles n’a pas suscité, à sa création, l’intérêt de

la population. Les générations passées avaient rejeté cette part

de leur histoire, et l’avait occulté de la mémoire collective. Si

bien que les générations actuelles ne la connaissaient plus,

voire perpétuaient elles aussi le processus de déclassement. Ce

projet technocratique, fruit d’une politique administrative venue

« d’en-haut », ne répondait pas à un besoin de la population

thélotaise.

Quant au projet « Mémoire en Demeure », lancé initialement

par la mairie et quelques habitants et développé ensuite par

l’intervention de Tadashi KAWAMATA, il présente un impact très

mitigé et très partagé auprès de la population. A l’époque des

ateliers d’été, l’enthousiasme semblait avoir gagné le bourg. Et

la présence massive des habitants aux réunions et à

l’inauguration permet de croire que cela fonctionnait très bien.

1 Documentation CAUE 22 et ETERNAL NETWORK ; 2007 2 Cf. infra Annexe C - Entretiens

48

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Mais aujourd’hui que la motivation est retombée, ce projet ne

semble avoir été qu’éphémère. Si le processus collaboratif du

chantier a certes enthousiasmé le village, le résultat final en

laisse certains dubitatifs, voire déçus.

Cependant, on constate qu’aujourd’hui la prise de conscience

patrimoniale et la redécouverte de l’histoire locale semble avoir

touché les habitants. Mais elle semble n’être que superficielle :

une partie seulement du corpus patrimonial thélotais est

concerné. Ni le paysage, ni les hameaux, ni le patrimoine

immatériel n’ont été pris en compte, si ce n’est par la ZPPAUP

pour les deux premiers (encore que nous soyons en droit de

douter de l’impact auprès de la population d’un dispositif

administratif si technocratique).

Par ailleurs, les habitants restent dubitatifs quant à l’atout que

représente leur patrimoine, notamment au plan touristique. Il

semblerait même que les touristes de passage soient plus

intéressés par le patrimoine thélotais que les riverains eux-

mêmes ! L’un d’entre eux disait d’ailleurs à ce propos que « le patrimoine à St �élo, [était] un peu comme une très belle femme, dont seul le mari ne se rendrait pas compte de la beauté. »1

Peut-on forcer une population à prendre conscience de son

patrimoine si celle-ci n’y voit pas son intérêt propre, ni l’intérêt

à long terme pour le développement social et économique du

village ? Hélas, les considérations patrimoniales semblent être

surtout le fait d’intellectuels et de passionnés, mais sont bien

loin des préoccupations quotidiennes des habitants et des

décideurs politiques. De nos jours, la notion de communauté et

le sentiment d’appartenance collective ont laissé place à

l’individualisme. Ainsi, ce qui autrefois appartenait à tout le

monde, n’appartient plus aujourd’hui à personne. Dans ce

contexte, on comprend mieux pourquoi le processus de

patrimonialisation et de mise en valeur du patrimoine

fonctionne lentement et à très long terme, et nécessite une

prise de recul et une vision d’ensemble de la problématique

patrimoniale qui font actuellement défaut.

1 Cf. infra Annexe C - Conversation avec P. LAUNAY

49

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Page 100: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

La réforme territoriale de 2010

Visant une meilleure e`cacité de la gouvernance politique et

des économies de fonctionnement, la réforme territoriale de

2010 1 cherche à limiter l’éparpillement des échelons

institutionnels. Le regroupement des communes de moins de

1000 habitants au sein de communes nouvelles 2 est ainsi

encouragé. Or les trois quarts des villages français seraient

concernés3. L’expérience a déjà été menée chez la majorité de

nos voisins européens, dont l’Allemagne, qui a ainsi réduit de

40% le nombre de ses communes. Mais nous avons pu

constater au cours d’un récent voyage eGectué là-bas, une très

mauvaise réception par la population rurale d’une telle initiative

politique qu’elle considère comme technocratique et ne tenant

pas compte des spécificités et identités communales.

En France, un précédent dispositif de « communes

associées » avait été mis en place sur la base du volontariat des

communes4. Son échec et la mauvaise expérience allemande,

nous donnent à croire que l’esprit communautaire et l’identité

rurale ne sont pas totalement morts. Malgré un aGaiblissement

certain face à la modernisation de la société.

1 Voir la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales : 2 « Commune nouvelle » ; in Wikipédia ; 27.11.2011 3 Recensement Insee 1999 ; cité dans Le Parisien ; 30.12.2011 4 Loi Marcellin du 16 juillet 1971

50

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

2.2 L’impact sur le développement rural

2.2.1 Le contexte géographique et socio-économique

Afin d’être en mesure de qualifier l’impact du processus de

patrimonialisation sur le développement social et économique

local, il est nécessaire au préalable d’étudier le contexte dans

lequel il prend place. D’une part, nous analyserons les données

statistiques disponibles sur St �élo, et d’autre part, nous

tenterons de déterminer ce qu’est un village de campagne, et à

quelle(s) problématique(s) il se trouve soumis.

2.2.1.1 Analyse des données statistiques de St Délo

1

Géographie

Superficie : 14,56 km²

Répartition sur le territoire : le bourg + 13 hameaux

Bassin d’emploi le plus proche : Loudéac, à 14 km

Comme nous avons pu le voir précédemment, la situation de

St �élo dans le département est relativement isolée2. Le village

est éloigné des grands axes ferroviaires (la gare la plus proche

se trouve à St Brieuc), routiers (St �élo est raccordé au réseau

routier par des routes départementales mineures) et éloigné

aussi de la mer. Il se trouve à une demi-heure de St Brieuc

(chef-lieu des Côtes d’Armor) et un quart d’heure de Loudéac

(le bassin d’emploi le plus proche). Nous avons vu aussi que

l’organisation de la commune sur son territoire administratif

était de type « éclaté » ou « polynucléaire »3 . Le bourg est

décentré, et 13 autres hameaux ainsi que des fermes isolées

sont disséminés dans les campagnes. Le territoire est donc

essentiellement composé de terres agricoles, ce qui induit un

certain poids politique des agriculteurs.

1 D’après l’INSEE, chiffres de 2008 et annuaire-mairie.fr 2 Cf. supra Carte de situation (p. 10) 3 Cf. supra Carte générale de la commune de St Thélo (p. 30)

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Démographie

Population : 432 hab.

Densité : 30 hab. / km²

Habitants de la même commune (5 ans avant) : 79,7 %

Variation démographique naturelle (1999 – 2008) : +0,2 %

Variation démographique migratoire (1999 – 2008) : -0,5 %

Depuis la Révolution, soit à peu près le début du déclin de

l’industrie linière, la population thélotaise a chuté de 80,5 % !

St �élo n’est certes pas un cas isolé, et son évolution

démographique a tendance à ralentir, voire à se stabiliser. Cette

baisse spectaculaire peut être imputée à plusieurs facteurs : un

premier exode rural massif au XIXe s. suite à la fermeture de la

manufacture de lin, le remembrement des parcelles dans les

années 1970 et la modernisation des techniques agricoles, et la

lente érosion des commerces et des services publics.

De ceci nous pouvons émettre plusieurs remarques : tout

d’abord, la tendance s’est brusquement et brièvement inversée

dans la première moitié du XIXe s. Peut-être ceci est-il dû à

l’éphémère tentative de reprise de l’industrie linière à Uzel à la

même époque. D’autre part, étrangement, les deux guerres

mondiales n’ont pas contribué à accentuer la baisse

démographique, mais constituent au contraire deux périodes

de stabilisation. Enfin, le développement du logement

pavillonnaire au sud-ouest de St �élo depuis les années 2000 a

lui aussi contribué à ralentir cette baisse.

A noter qu’avec ses 432 habitants St �élo n’est pas un cas

isolé, puisqu’une commune française sur deux compte moins

de 426 habitants, regroupant 15% de la population1. Ce qui

signifie que, bien que la France est un pays de tradition rurale,

composé d’un maillage important d’habitats répartis sur tout le

territoire, sa population s’est fortement urbanisée depuis la fin

de la 2nde guerre mondiale, au détriment des campagnes.

1 Recensement Insee 1999 ; cité dans « Une commune sur deux compte moins de

426 habitants » ; in Le Parisien ; 30.12.2011

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Emploi

Part des agriculteurs : 32 %

Part des ouvriers : 32 %

Chômage : 6,5 %

Historiquement, les agriculteurs ont toujours été majoritaires

à St �élo, les ouvriers constituant le reste de la population.

Aujourd’hui, le rapport est à égalité. Et si les emplois dans le

secteur agricole ont, comme partout en France, fortement

baissé depuis le remembrement, la modernisation de

l’agriculture, et la forte concurrence étrangère, ils représentent

encore aujourd’hui un tiers de la population active, répartis

dans 34 exploitations. Le chômage est relativement bas (6,5%

contre 9% en 2008 dans le reste du département), ce qui

pourrait s’expliquer d’une part par le faible nombre de

logements sociaux (deux logements HLM d’après l’INSEE), et

d’autre part, par l’exode des chômeurs vers la ville pour un

meilleur accès à l’emploi.

Logement

Nombre de logements : 226

dont résidences secondaires : 8,5 %

dont vacants : 9,7 %

Bien qu’il soit deux fois moindre comparé au reste du

département, le nombre de résidences secondaires est

relativement élevé pour un village situé dans une région dont

l’oGre touristique n’est pas structurée. Malgré ceci, le village

attire soit des habitants allochtones (dont quelques

Britanniques) soit des natifs ayant quitté la région mais désirant

garder un pied-à-terre. Par ailleurs, le taux de logements

vacants est une fois et demie supérieur à celui du reste du

département. En eGet, en réalisant du porte à porte pour

interroger les habitants [durant les mois d’avril puis d’octobre,

donc hors période de vacances], nous nous sommes heurtés à

beaucoup d’habitations fermées et inoccupées dans le bourg

même.

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Or, au moins 18 nouveaux logements pavillonnaires ont été

construits ces dernières années, et la mairie prévoit encore de

commercialiser d’autres parcelles. Ce paradoxe est en partie dû

à une mauvaise adéquation du logement ancien avec les

exigences de confort moderne (isolation thermique, lumière,

jardin, pas de voisinage direct…).1

2.2.1.2 Définition du village

Qu’est-ce qui fait de St �élo un village ? Et quelles sont les

problématiques particulières auxquelles il est soumis ?

Tout d’abord, rappelons ici que la présente étude porte sur

l’enjeu du développement des villages de campagne, et non des

anciens villages ruraux ayant été peu à peu intégrés à la

banlieue urbaine (phénomène appelé rurbanisation ou

suburbanisation). Mais la notion même de village reste floue,

tentons une définition.

Dans un premier temps, la définition qu’en donne le

dictionnaire2 :

Village : n. m. – bas lat. villagium « village »

− Groupement d’habitations permanentes, dont la majeure

partie de la population est engagée dans le secteur agricole.

− Ensemble des habitants d’une telle localité.

(syn. bourg, bourgade)

Un village se définirait donc par des caractéristiques

d’agglomération (par opposition à l’éparpillement des hameaux

dans les campagnes, et d’économie majoritairement agricole,

ce qui n’est plus vrai de nos jours.

La définition de l’INSEE n’est guère plus intéressante3 :

Commune rurale : commune n’appartenant pas à une entité

urbaine.

Ce qui nous renvoie à la définition de la ville :

Ville : commune dont la population agglomérée compte au

moins 2000 habitants.

1 Cf. infra Annexe C – Conversation avec P. LAUNAY 2 LAROUSSE Encyclopédie 3 INSEE ; définitions & méthodes

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

L’INSEE définit indirectement le village par un unique critère

démographique.

Ainsi, une première définition émerge : un village serait une

agglomération de moins de 2000 habitants, et ayant une

économie au moins fortement marquée par l’agriculture (à

défaut d’être majoritaire). Mais cette définition nous semble

incomplète et inadaptée à St �élo, et nous proposons

d’aborder la notion de village à travers sa sociologie d’une part

et sa morphologie d’autre part.

Définition morphologique du village :

Suite à l’analyse cartographique réalisée1, il est possible de

proposer une liste de critères discriminant un village rural en

général et St �élo en particulier : l’isolement des communes

voisines : leur territoire administrativement déterminé est

essentiellement composé de terrains non-construits (terres

agricoles, forestières, plans d’eau…), les zones bâties ne sont

donc pas continues d’une commune à l’autre et leur identité se

trouve a`rmée par cette distanciation ; la dissémination dans la

campagne : ils sont constitués d’un bourg concentrant la

majorité de la population, et d’un réseaux d’hameaux et fermes

isolés ; la traversée par une (rarement plusieurs) route

principale qui les relie aux communes avoisinantes,

généralement la route la plus ancienne, autour de laquelle se

sont agglomérées les premières constructions ayant formé le

bourg. Cette route est constitutive de la structure villageoise.

Les villages ruraux sont aussi maillés par un réseau de routes

secondaires et de chemins vicinaux, qui relient le bourg et les

hameaux et desservent les champs ; et découpés en un

parcellaire répondant aux contraintes naturelles (hydrographie,

relief, orientation) et fonctionnelles (suivant l’activité paysanne).

Définition sociologique du village :

Dans un premier temps, au cours de nos recherches, nous

avions opéré la distinction entre deux types de villages ruraux :

ceux soumis la rurbanisation et ceux subissant la désertification.

1 Cf. supra Carte générale de la commune de St Thélo (p. 30)

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Or, les entretiens eGectués auprès de la population1 nous ont

permis de comprendre que cette diGérenciation était à nuancer,

St �élo tenant des deux situations à la fois.

La rurbanisation : définition théorique et appliquée2

Proche d’un bassin d’emploi, le village est soumis à

l’assimilation ville/campagne. La hausse démographique est en

fait un trompe-l’œil fonctionnant à court-terme : elle est peu

créatrice d’emploi, le village se transforme en « dortoir » pour

une population allant travailler en ville. Ces nouveaux arrivants

sont peu intégrés à la vie villageoise (liens sociaux, engagement

associatif, culturel ou politique), le tissu social se délite et

l’identité locale s’amenuise. Ce qui a pour conséquences :

l’étalement urbain (par la création de nouveaux quartiers

d’habitations pavillonnaires) et la banalisation architecturale (la

pression foncière attirant les promoteurs immobiliers, peu

soucieux du respect d’une identité architecturale locale). Ce qui

met le Politique face à une problématique de diGérenciation et

d’a`rmation d’identité.

Or, on ne peut dire que St �élo soit à proprement parler

soumis à la rurbanisation, car le village est situé en seconde

couronne de Loudéac (concentrant 40% des emplois du pays

Centre Bretagne3) et on ne constate peu de perte du caractère

rural. Cependant, l’étalement des zones bâties au détriment des

terres agricoles et la banalisation architecturale des nouveaux

lotissements sont tout de même à déplorer. Par ailleurs, le

village doit faire face à un fort apport de populations

allochtones : en 2005, 20% de la population était nouvelle à St

�élo 4 (en contrepartie, peu de renouvellement naturel et

beaucoup de départs font que les soldes démographiques et

migratoires restent négatifs), alors que le nombre d’emplois, lui,

n’augmente pas. Ce qui signifie que ces nouveaux arrivants

travaillent pour la plupart à l’extérieur, où sont des estivants et

ne contribuent pas à la vie du village. On parle de

« résidentialisation ».

1 Cf. infra Annexe C - Entretiens 2 Voir notamment : Région Nord-Pas de Calais ; 2009 3 INSEE ; Résumé statistique du pays du Centre-Bretagne ; 4 Annuaire Mairie.fr ; Statistiques sur la population de St �élo

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Désertification : définition théorique et appliquée

Eloigné des bassins d’emplois et des infrastructures routières

et ferrées, le village est soumis au départ de la jeune génération

(exode rural) et au non-renouvellement de sa population

(balance démographique négative). Cette diminution de la

population est accentuée par la fermeture des services publics

et des commerces, tous ces eGets se renforçant dans un cercle

vicieux. Ce qui a pour conséquences : l’abandon et la ruine des

maisons, la perte de l’identité et le non-renouvellement de la

mémoire locale et ce qui met le Politique face à une

problématique de survie économique et d’attractivité.

On l’a vu précédemment, St �élo est soumis à une

désertification quasi-continue depuis la Révolution1. Suite à la

fermeture de la taverne il y a quelques années, il n’y a plus

aujourd’hui qu’un unique commerce – le Perroquet Vert –

remplissant les fonctions d’épicerie, buraliste, boulangerie, bar

et restaurant.

Soumis à une baisse inéluctable de sa population et de son

attractivité économique et sociale, St �élo n’est cependant pas

dénué d’atouts. On l’a vu, la mairie en a conscience et mise

depuis plusieurs années sur l’amélioration du cadre de vie en

agissant par le biais du patrimoine et l’aménagement du bourg.

2.2.2 Vers une mise en place d’une véritable politique touristique

locale ?

.La crise que traverse le secteur agricole français depuis les

années 1970 (remembrement, motorisation, utilisation de

produits chimiques, mondialisation de l’économie,

surproduction, baisse d’eGectif…), malgré son placement sous

perfusion financière de l’Union Européenne, ne lui permet plus

aujourd’hui de jouer son rôle traditionnel de peuplement et de

développement économique rural. 2 Pour survivre, les

campagnes doivent diversifier leur économie vers l’industrie et

1 Cf. supra 2.2.1.1. Analyse des données statistiques de St �élo 2 HOUSSEL Jean-Pierre ; 1996 ; pp.185-188

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

les services. Pour un pays comme le Centre-Bretagne,

disposant d’atouts paysagers et patrimoniaux non négligeables,

le tourisme semble alors être une alternative crédible.

Le tourisme « vert »

Si jusque-là les vacances étaient synonymes de mer ou de

montagne, depuis les deux dernières décennies se développe

en France un tourisme dit « vert » qui vise des citadins

cherchant le repos et « l’authenticité » à la campagne, ou une

oGre plus « culturelle » tournée vers la (re)découverte de

l’extrême diversité des régions françaises. De nombreux labels

de qualité ont d’ailleurs été créés en ce sens, que ce soit pour

distinguer des villages (« Villes et pays d’art et d’histoire »,

« Commune du patrimoine rural breton », « Petite cité de

caractère », « Plus beaux villages de France »…) ou des oGres

d’accueil (« Gites de France », « Accueil paysan »…). Le succès

de cette nouvelle oGre touristique trouve aujourd’hui un écho

avec le développement durable et le besoin de plus en plus

a`rmé de retour à la nature. Mais cela s’explique aussi peut-

être par une baisse du budget consacré par les ménages aux

vacances et une tendance de plus en plus forte à rester voyager

à l’intérieur des frontières. Ainsi, des sentiers de randonnée sont

balisés, des aires de camping sont aménagées, des « circuits

d’interprétation touristique » sont mis en place autour d’une

thématique… Dans ce contexte, le patrimoine acquiert un

potentiel économique important, qui permet à un territoire

d’a`rmer sa spécificité culturelle et de se positionner sur le

marché du tourisme.

De telles actions existent déjà en Centre-Bretagne,

notamment la Route du lin, créée en 2004, reliant Uzel et

St �élo. Chez ce dernier, on peut aussi relever : un circuit

d’interprétation du patrimoine dans le bourg, des sentiers

pédestres balisés dans les campagnes, une aire d’accueil de

camping-car aménagée à côté de l’Espace Tadashi KAWAMATA et

une aire de loisir en bordure de l’étang au sud du bourg. Mais

pour que de telles actions soient e`caces, « elles doivent être coordonnées et institutionnalisées. L’engagement des pouvoirs

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

publics est nécessaire. 1» L’enjeu se situe avant tout au niveau

local. « L’Administration continue de mener des actions sectorielles par ministère et impose des thèmes […], plutôt que de mener une politique d’accompagnement des initiatives de terrain, qui souvent périclitent faute de moyens 2».

Un enjeu commun, mais des actions divergentes

A St �élo, et plus largement dans les Côtes d’Armor, les

initiatives concernant l’histoire des toiles de lin sont éparpillées,

et les outils déjà mis en place (comme le Syndicat de la Route

du Lin ou le label CPRB) sont sous-utilisés. De plus, des

di`cultés politiques subsistent : les problèmes d’ego des

politiques locaux bloquent la concertation, la question

touristique reste marginale et est gérée individuellement à une

échelle essentiellement communale, ou au mieux

intercommunale. Si les prises de décision doivent rester au plus

près du terrain, à un niveau local, il est indispensable qu’elles

soient coordonnées aux échelons supérieurs. Et ce, afin de

permettre une stratégie d’ensemble cohérente portant sur tout

le pays, voire le département, et regroupant les communes

autrefois liées par la Manufacture des toiles Bretagnes.

Autrement dit, pour qu’une telle démarche fonctionne, elle doit

respecter le principe de subsidiarité, et être appliquée à

l’échelon où son e`cacité trouve son optimum. En ce sens,

l’action globale n’est pas antithétique, mais bien

complémentaire de l’action locale.

Si de telles lacunes sont à déplorer, le processus semble

toutefois en bonne voie. Certes, il reste beaucoup d’eGorts à

faire, mais convertir au tourisme vert des campagnes jusque-là

essentiellement tournées vers l’économie agricole est un

processus qui nécessite du temps et de la réflexion. Les

mentalités ont beaucoup d’inertie, elles sont lentes à évoluer.

Les changements ne s’opèreront qu’à partir du moment où

habitants et décideurs politiques auront compris pleinement

l’enjeu et l’intérêt qui est le leur à voir une politique culturelle et

touristique solide se mettre en place. La demande touristique

1 HOUSSEL Jean-Pierre ; pp.185-188 2 Op. cit.

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Page 120: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

n’est pour l’heure peut-être pas assez forte pour permettre une

mutation brusque de l’économie des villages de campagne,

comme par exemple ceux du littoral ont su le faire dans le

courant du XXe s. avec le développement des stations

balnéaires. Mais veut-on vraiment en arriver là ?

L’artificialisation des sols, l’extension urbaine incontrôlée, la

spéculation immobilière ont abîmé les paysages littoraux. Ces

villages ont sacrifié leur patrimoine naturel au profit d’un

développement économique certain. Peut-être la lenteur n’est-

elle finalement pas une si mauvaise chose pour faire mûrir un

projet politique réfléchi et respectueux des qualités du lieu.

Gageons que les décideurs politiques sauront relever le défi.

2.2.3. Développement rural et intégration

L’enjeu patrimonial doit être pensé comme composant

essentiel d’un développement local pris dans une visée

holistique, c'est-à-dire en tenant compte de tous les aspects

que cela implique (économique, mais aussi social et

environnemental). On parle d’intégration, au sens d’une

« coordination des activités de plusieurs organes pour un fonctionnement harmonieux 1 » C’est pourquoi des projets

européens et nationaux de soutien au développement rural

sont aussi intervenus dans le projet « Mémoire en demeure ».

Le développement intégré et la mobilisation sociale2

En cohérence avec la philosophie du développement

durable3 , le développement intégré tente de répondre aux

problématiques environnementale, économique et sociale qui

se posent en milieu aussi bien urbain que rural.

Le développement social cherche à valoriser la place du

citoyen dans le processus politique local, afin de redonner de la

fierté et de l’estime à une population par rapport à son lieu de

vie. Ceci passe par plusieurs facteurs que sont entre autres

l’amélioration du cadre de vie, l’encouragement des initiatives

1 Le Petit Robert de la langue française ; 2006 2 voir à ce propos BOUCHER Jacques ; 1999 3 telle qu’énoncée dans le Rapport Brundtland ; Commission mondiale sur

l’environnement et le développement ; 1986

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

citoyennes en tout genre, le désenclavement tant physique que

social, la sensibilisation des habitants à leur patrimoine

commun et leur concertation dans la mise en place de projets

locaux.

Le développement économique cherche à soutenir et à

développer les activités économiques créatrices d’emplois, à

relancer l’artisanat local et à attirer de nouveaux

investissements. Cela passe par des incitations fiscales ou des

aides au financement tel que le micro-crédit.

Le développement de l’environnement urbain ou villageois

vise à l’amélioration et la réhabilitation de l’habitat – en accord

avec les nouvelles exigences de confort, d’écologie, et

d’économie d’énergie – et à la requalification de l’espace public,

par la création notamment de lieux de sociabilité et de

proximité pour redonner du sens au « vivre ensemble ».

A la diGérence de l’intervention politique classique, le

développement intégré est pensé globalement pour une action

locale. C’est un processus qui s’inscrit dans la durée, engrangé

par des dynamiques multiples, complexes et parfois

contradictoires. Là où l’action traditionnelle est ciblée et

sectorielle, menant à une homogénéité des réponses apportées,

hors de toutes considérations des particularismes locaux, le

développement intégré se veut le fruit de l’implication

citoyenne, menant par-là à des solutions par nature

hétérogènes et adaptées au contexte. Il tente le défi de

réintégrer des populations vivant sur un même territoire, mais

dans des sphères économiques et sociales diGérentes, afin de

retrouver les notions de communauté villageoise et le

sentiment d’appartenance collective. Il se propose de

rééquilibrer le trio « vie professionnelle – vie sociale – vie

personnelle » au profit des deux premiers. Il fait le pari de la

réappropriation politique et de la responsabilisation sociale et

citoyenne de la société civile, dans un dialogue avec les

acteurs de la politique et de l’économie locale. En eGet,

« habiter un lieu ne se limite pas à la simple résidence, mais permet une appropriation intégrée des diGérentes dimensions du développement pour le présent et pour l’avenir.1»

1 Op. cit.

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Mais pour cela, une identification communautaire et/ou

territoriale forte est nécessaire, et cela passe par la

reconnaissance d’une histoire et d’une mémoire fondatrices de

la communauté.

Les programmes de développement rural

La famille « économique et financière »1 des partenaires du

projet « mémoire en demeure » concerne les programmes de

développement économique européens et nationaux qui ont

apporté une aide financière dans le cadre de la politique de

développement rural mené par l’U.E.

En eGet, outre sa mission première, qui est le soutien des

marchés et des revenus agricoles, la Politique Agricole

Commune (PAC) de l’Union Européenne veille au

développement et à la diminution des disparités socio-

économiques des régions rurales. Elle s’organise autour de

deux outils de financement que sont le Fond Européen Agricole

de Garantie (FEAGA) et le Fond Européen pour le

Développement Rural (FEADER*)2.

Ce dernier s’articule autour de quatre axes : l’amélioration de

la compétitivité du secteur agricole et forestier ; l’amélioration

de l’environnement de l’espace rural ; l’amélioration de la

qualité de vie en milieu rural et la diversification de son

économie ; le soutien des actions de développement local via

le programme de Liaison Entre Actions de Développements de

l’Economie Rurale (LEADER*).

Ce programme – dont « LEADER + » représente le troisième

volet de mise en œuvre sur la période 2000-2006 – soutient

des projets de développement portant sur des territoires ruraux

restreints et gérés par des « groupes d’action locale ». Il met en

relation des territoires ruraux pour une meilleure coopération

économique et un partage des expériences en matière de

développement rural.

1 Cf. infra 1.1.3. Le projet « Mémoire en demeure » de Tadashi KAWAMATA 2 Ministère de l’Agriculture ; Fonds européen agricole pour le développement

rural.

62

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Cette politique communautaire s’appuie dans chaque pays

sur une branche nationale du Réseau Rural Européen. Ce

réseau rassemble toutes les organisations et administrations du

monde rural, en vue d’une meilleure concertation et d’une

optimisation des outils de travail. La mise en place d’un tel

réseau est primordiale pour garantir « une approche

transversale et multisectorielle » d’un développement intégré

des campagnes. A terme, chaque région doit se doter d’un

réseau régional. La Bretagne ayant créé le sien début 2011.

Par ailleurs, il existe en France des programmes d’aide au

développement des zones rurales en di`culté. Il s’agit

notamment des Zones de Revitalisation Rurale (ZRR) – le

pendant rural des Zones de Revitalisation Urbaine – et des

Pôles d’Excellence Rurale.

Mais ceux-ci ne s’appliquant pas au territoire considéré (le

Centre-Bretagne), ils ne seront pas étudiés plus avant.

Tous ces programmes, pensés au niveau communautaire et

national et mis en place à l’échelon local, démontrent une prise

de conscience des décideurs politiques de l’enjeu important

que représente le développement économique des zones

rurales. Mais cela trahit aussi quelque part la situation fragile et

la marginalisation de ces campagnes, accélérée par la

mondialisation et la modernisation à marche forcée de

l’économie.

63

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

3. BILAN

3.1 Quel enseignement tirer de cette expérience ?

En partant de l’étude du projet « mémoire en demeure » de

St �élo, nous avons pris connaissance de tout un faisceau

d’actions politiques en faveur de la culture, du patrimoine et du

développement rural, pensées et appliquées tant au niveau

communautaire que national, régional ou local.

Ce qui nous semblait initialement n’être qu’une initiative –

certes vertueuse – mais isolée, s’est avérée en fin de compte

être la partie émergée d’un iceberg, un composant d’un

système global et bien plus complexe composé de nombreux

acteurs œuvrant pour le développement social et économique

du milieu rural.

L’analyse eGectuée permet de comprendre que la prise en

compte du contexte (historique, social et économique) du

territoire, et de tous les acteurs concernés (populations,

associations, administrations…) s’impose comme un préalable

essentiel avant toute initiative de politique culturelle. Aucune

action ne saurait porter ses fruits si elle reste trop sectorielle,

jacobine ou sourde aux spécificités de la problématique locale

et aux attentes de la population.

Dès lors, il est possible de répondre aux hypothèses de travail

proposées en introduction.

A. La politique patrimoniale en œuvre à St �élo a bien permis

l’émergence d’une prise de conscience du patrimoine

ordinaire rural. Mais auprès de quelle population ? Il

semblerait que ce soit surtout des érudits, des amateurs

d’histoire et de patrimoine ou encore des touristes éclairés.

Si la population autochtone a certes bien pris conscience de

la spécificité culturelle de sa région et de son village, on ne

peut guère parler de véritable « réappropriation », ni même

de foi dans le potentiel de développement que ce

patrimoine représente.

64

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

B. La population de St �élo, est restée spectatrice plutôt

qu’actrice de la patrimonialisation. Elle n’a jamais vraiment

pris part aux politiques patrimoniales ou aux projets.

Il semblerait que ce soit là un des eGets pervers qu’engendre

une telle politique « top-down »1 : né dans l’indiGérence

quasi-générale des habitants, elle répond uniquement à

l’intérêt qu’un petit nombre d’intellectuels porte pour le

patrimoine. Certes, les ateliers d’été de KAWAMATA ont vu la

participation de quelques thélotais, mais celle-ci est restée

marginale et ponctuelle dans le temps.

C. Cela fait plus de 10 ans que la patrimonialisation est en

cours à St �élo. Or on ne peut que constater que cela n’a

pas permis un développement socio-économique : le village

(comme les villages voisins) reste aujourd’hui soumis à une

baisse démographique et une résidentialisation qui

contribuent à une lente érosion de son identité locale et de

la spécificité du lieu. Certes, on objectera que le

développement rural est un processus fonctionnant à long-

terme et que par ailleurs les dimensions du projet étaient

modestes. Mais au regard du résultat obtenu, la dépense de

moyens et d’énergie semblent toutefois disproportionnée.

1 « du haut vers le bas », c’est-à-dire un processus technocratique imposé à la

base, sans concertation. Par opposition à un processus « bottom up ».

65

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

3.2 Patrimoine & développement

Il serait intéressant de requestionner le vocabulaire utilisé

précédemment1 . Classer un édifice ne reviendrait-il pas en

définitive à le déclasser , au sens de l’isoler du processus

biologique de perpétuelle régénération qu’est le fait urbain ? Le

débat serait trop long à développer ici, et sortirait du cadre de

ce mémoire. Cependant cela amène à considérer le patrimoine

– et à plus forte raison le patrimoine ordinaire, fortement ancré

localement – comme un support de développement optimiste

et prospectif du futur, et non comme la fossilisation angoissée

et nostalgique d’un passé fantasmé. En eGet, les communes rurales subissent de plein fouet à

l’échelle micro les conséquences des aléas économiques et

sociétaux de l’échelle macro. Dans ce contexte di`cile, elles

paraissent vouées, à terme, à devenir des villages-dortoirs,

accueillant des populations repoussées toujours plus loin des

villes par la hausse des prix de l’immobilier. Mais il n’y pas de

fatalité. Et gageons que, via le patrimoine, la société saura

prendre conscience du potentiel que représente le milieu rural.

Cela pose plus largement la question de l’avenir des villages

de campagnes et de leur place dans l’époque mondialisée qui

est la nôtre.

1 Cf. supra 2.1.1. Notion de déclassement / classement

66

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

BIBLIOGRAPHIE ET OUVRAGES CITES :

Notion de patrimoine :

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(sous la dir. de) ; Entretiens du patrimoine et de l’architecture ;

09-10.11.2011 ; [colloque] − CHOAY Françoise; L’allégorie du patrimoine ; éd. Seuil ;

1992-1996-2009

− CHOAY Françoise ; Le patrimoine en questions ; éd. Seuil ; 2009

− FABRE Daniel & IUSO Anna (sous la direction de) ; Les monuments sont habités ; éd. de la MSH, cahier "Ethnologie en France" ;

n°24 ; mars 2010

− GIAVANNONI Gustavo ; L’urbanisme face aux villes anciennes ;

trad. de MANDOSIO Jean-Marc, PETITA Amélie et TANDILLE Claire ;

éd. Seuil ; 1931-1998

− RIEGL Aloïs ; Le culte moderne des monuments ; 1903 ;

trad. BOULET Jacques ; éd. l’Harmattan ; 2003

Notion de patrimoine rural ou ordinaire :

− AUDUC Arlette (sous la dir. de) ; Patrimoines d’Ile-de-France, Rencontre des histoires, des populations, des territoires ; actes

du colloque régional – Région Ile-de-France ; éd. Somogy ;

2007 ;

− BUSSIERE Roselyne ; Le patrimoine ordinaire ; pp. 73-80. − CHEVALLIER Denis ; L’ethnologue et la question

patrimoniale ; pp. 68-71. − VINCENT Jean-Marie ; Le patrimoine et le développement

durable, l’exemple du patrimoine rural ; pp. 109-115. − AUDUC Arlette (sous la dir. de) ; Patrimoines et développement

des territoires ; actes du colloque régional – Région Ile-de-

France ; éd. Somogy ; 2009 ;

− BUSSIERE Roselyne ; Le patrimoine ordinaire, l’exemple de la ZPPAU(P) d’Andrésy ; 10.2010 ; [conférence à l’ENSAV]

67

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

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− DELANNOY Julien (sous la dir. de BACKOUCHE Isabelle) ;

Le patrimoine bâti « ordinaire » péri-urbain en banlieue parisienne. De l’inventaire au « développement durable ». Conditions et enjeux d’une patrimonialisation du bâti « ordinaire » : 1964 et la création de l’Inventaire général ; mémoire master EHESS ; 2007

− ECOVAST ; Landscape identification : a guide to good practice ;

2006

− GODET Olivier (sous la dir. de) ; Paysage naturel, paysage culturel ; in La pierre d’angle ; n°56-57 ; mai 2011

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− HOUSSEL Jean-Pierre ; Perspectives de réhabilitation du patrimoine ordinaire en milieu rural en France ; in BSGLg n°32 ;

1996 ; pp.185-188 − LASSURE Christian, CERAV (sous la direction de) ; L’architecture

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− LIEVAUX Pascal (sous la direction de) ; in In Situ, revue des patrimoines ; [en ligne] ; 2004 ; n°5 ; http://www.insitu.culture.fr/index_numero.xsp?numero=5

− NORA Pierre (sous la dir. de) ; Sciences et conscience du patrimoine ; Actes des entretiens du Patrimoine ; éd. Fayard et

Editions du patrimoine ; 1994

− CHIVA Isaac ; Le patrimoine rural ; pp. 227-232

− FABRE Daniel ; Le patrimoine, l’ethnologie ; pp. 59-72

− Le Petit Robert de la langue française ; 2006

68

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Notions de territoire, village, etc. :

− GRODWOHL Marc ; Quels villages dans 40 ans ? ; in Enjeux du Patrimoine ; 2005 ; http://www.marc-grodwohl.com/content/view/120/33/

− INSEE ; définitions & méthodes ; http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/liste-

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− LAROUSSE Encyclopédie ;

http://www.larousse.fr/encyclopedie/ ; [Consulté le 14.11.11]

− Région Nord-Pas de Calais ; Directive régionale d’aménagement « maîtrise de la périurbanisation » ; 2009 ; http://www.nordpasdecalais.fr/territoires/DRA/telechargements/avant_p

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− « Une commune sur deux compte moins de 426 habitants » ;

in Le Parisien ; 30.12.2011 ; http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/une-commune-sur-deux-

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− « Commune nouvelle » ; in Wikipédia ; 27 novembre 2011 ;

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[consulté le 02.01.2012]

− Loi de réforme des collectivités territoriales ; http://www.assembleenationale.fr/13/dossiers/reforme_collectivites_ter

ritoriales.asps ; 16 décembre 2010

Histoire de la Manufacture bretonne des Toiles :

− DE BEAULIEU François ; La route des toiles en Bretagne, le lin et le chanvre, hier et aujourd’hui ; éd. Ouest-France ; 2010

− CROIX Alain ; La Bretagne, entre histoire et identité ; éd. Gallimard ; 2008

− Lin & chanvre en Bretagne, route des toiles ; http://linchanvrebretagne.org/patrimoineethistoire_patrimoine.html

Histoire de la Bretagne :

− HELIAS Pierre-Jakez; Le cheval d’orgueil, mémoire d’un breton du pays bigouden ; éd. Plon ; 1975

− LE CORFEC Jean-Michel; La vie d’autrefois dans les Côtes-d’Armor ; éd. Sud-Ouest ; 2009

− ROHOU Jean ; Fils de ploucs – Tome 1 : Le pays, les gens, notre vie ; Ouest-France ; 2005

69

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

St Délo :

− Annuaire-Mairie.fr ; Statistiques sur la population de St �élo ; http://www.annuaire-mairie.fr/statistique-saint-thelo.html

− ETERNAL NETWORK ; Tadashi Kawamata – Mémoire en Demeure ;

A.P.R.E.S éd. ; 2007 ; [Livre + DVD]

− INSEE ; Résumé statistique de St �élo ;

http://www.statistiques-locales.insee.fr/FICHES/RS/DEP/22/COM/RS_COM22330.pdf

− INSEE ; Résumé statistique du pays du Centre-Bretagne ; http://www.insee.fr/fr/insee_regions/bretagne/themes/dossiers/dossier_

octant/dossier_45/centre_bzh.pdf

− KIENTZ-REBIERE Isabelle & GAROS Gilles ; Rapport de présentation de la ZPPAUP de St �élo ; 2010

− Association MEMOIRE EN DEMEURE ;

http://st.thelo.free.fr/Memoireendemeure/STthelo.html

− Service Général de L’inventaire – DRAC Bretagne ; sous la

rédaction de DUCOURET Jean-Pierre ; Inventaire topographique de St �élo – Base Mérimée ; 1996 - Màj : 2007

− Syndicat Route du Lin ; http://www.laroutedulin.fr/accueil.htm

Politique de développement rural :

− BOUCHER Jacques ; Développement intégré : conjuguer l’activité économique et la mobilisation sociale ; in Economie &

humanisme ; 1999 ; http://www.globenet.org/horizon-local/

− DRAC BRETAGNE ; Pour une nouvelle politique du patrimoine culturel en Bretagne ; 2007

− REGION BRETAGNE ; Schéma Régional du tourisme – le document cadre ; 2007

− GREFFE Xavier ; La valorisation économique du patrimoine ; éd.

La Documentation Française ; 2003

− Communes du Patrimoine Rural Breton (CPRB) ; http://www.cprb.org/?act=home

− Communes du Patrimoine Rural Breton (CPRB) ; Etude du patrimoine architectural et paysager ; 2002

− Marque Bretagne ; http://www.marque-bretagne.fr

− Pays du Centre Bretagne ; http://www.centrebretagne.com

− Ministère de l’Agriculture ; Fonds européen agricole pour le développement rural ; http://agriculture.gouv.fr/pac-developpement-

rural-feader

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Cartes :

− Archives départementales des Côtes d’Armor ; Fonds iconographiques ; http://archives.cotesdarmor.fr/asp/fonds_icono.asp

− DRAC Bretagne ; Glad, le portail des patrimoines de Bretagne ; http://patrimoine.region-bretagne.fr/main.xsp

− Institut Géographique National (IGN) ; Géoportail ; http://archives.cotesdarmor.fr/asp/fonds_icono.asp

Socio-Anthropologie :

− BOURSIER Jean-Yves ; La mémoire comme trace des possibles ; in Socio-anthropologie ; [en ligne] ; N°12 ; 2002 ;

http://socio-anthropologie.revues.org/index145.html ; [15.05.2004]

− CANDAU Joël ; Traces singulières, traces partagées ? ; in Socio-anthropologie ; [en ligne] ; N°12 ; 2002 ; http://socio-anthropologie.revues.org/index149.html ; [15.05.2004]

− POULOT Dominique ; De la raison patrimoniale aux mondes du patrimoine ; in Socio-anthropologie ; [en ligne] ; N°19 ; 2006 ; http://socio-anthropologie.revues.org/index753.html ; [31.10.2007]

− THOMAS William Isaac ; Désorganisation de la communauté ;

in Socio-anthropologie ; [en ligne] ; N°2 ; 1997 ; http://socio-

anthropologie.revues.org/index32.html ; [MàJ : 15.01.2003]

71

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

ANNEXES :

A A A A –––– GlossaireGlossaireGlossaireGlossaire

BBBB –––– Photos du projetPhotos du projetPhotos du projetPhotos du projet

«««« mémoire en demeuremémoire en demeuremémoire en demeuremémoire en demeure »»»»

CCCC –––– EntretiensEntretiensEntretiensEntretiens

DDDD –––– Typologie des habitations de STypologie des habitations de STypologie des habitations de STypologie des habitations de Stttt �élo�élo�élo�élo

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ANNEXE A – GLOSSAIRE

CAUE 22 : Conseil d’Architecture d’Urbanisme et

d’Environnement des Côtes d’Armor. Association

départementale (type loi 1977) assurant un rôle de service

public. Elle a un rôle de conseil, d’information, de sensibilisation

et de formation auprès des particuliers comme des

professionnels, des administrations et des collectivités locales.

CIDERAL : Communauté Intercommunale pour

le Développement de la Région et des Agglomérations

de Loudéac.

Dénaturation : Transformation du bâti l’ayant plus au moins

profondément altéré. La dénaturation peut être :

− « structurelle », ou profonde, si les changements sont

irréversibles et qu’il est impossible de dater et lire le bâtiment

d’origine.

− « superficielle » si les changements sont réversibles mais mal

intégrés et brouillent la datation et la lecture du bâtiment.

DRAC : Direction Régionale des AGaires Culturelles. Service

décentralisé en région du Ministère de la Culture.

Doué : lavoir fait de palis de schiste et servant autrefois au

blanchiment des toiles. Ces blanchisseries étaient la propriété

des négociants en toiles.

ECOVAST : European Council for the Village And Small Town, le

Conseil européen du village et de la petite ville.

Réseau de 500 partenaires (associations, organismes publiques

locaux et nationaux) à travers 20 pays européens, œuvrant pour

« le développement de la vie économique, culturelle et sociale […] des communautés rurales », ainsi que « la sauvegarde et promotion du renouveau sensible de l'environnement naturel et bâti de ces communautés »1.

1 ECOVAST ; http://www.ecovast.org/francais/index.htm

Page 146: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

FEADER : Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural.

Voir aussi 2.2.3. Développement rural et intégration.

FRAC : Fonds Régional d’Art Contemporain. Organisme privé

(type association loi 1901) assurant des missions de service

public. A un rôle de constitution d’un fonds d’œuvres, de

sensibilisation et de diGusion de l’art contemporain.

LEADER : Liaison Entre Actions de Développement de l’Economie

Rurale. Voir aussi 2.2.3. Développement rural et intégration.

PLU : Plan Local d’Urbanisme. Document principal de

l’aménagement urbain communal (ou intercommunal)

remplaçant les Plans d’Occupation des Sols (POS) depuis la loi

SRU de 2000.

STAP : Service Territorial d’Architecture et du Patrimoine.

Service décentralisé en département du Ministère de la Culture

et rattaché aux DRAC.

Zone de protection de 500 m : appelée aussi « zone de

visibilité », c’est un périmètre défini arbitrairement autour de

tout bâtiment classé ou inscrit « monument historique », dans

lequel tout autre bâtiment (quel qu’il soit et quel que soit sa

taille) est déclaré « visible » depuis le monument. De ce fait, il

est soumis à certaines restrictions et recommandantions

architecturales et paysagères.

ZPPAUP : Zone de Protection du Patrimoine Architectural,

Urbain et Paysager. Créée en 1983. A pour but de se substituer

au périmètre trop arbitraire des zones de protection en

l’adaptant à chaque cas, par une analyse approfondie du

contexte du site. Suite à la loi du Grenelle de l’Environnement II

(2010), elle est remplacée par l’Aire de Mise en Valeur de

l’Architecture et du Patrimoine (AMVAP) qui prétend

promouvoir les qualités architecturales du bâti, la mise en

valeur du paysage et du patrimoine et l’intégration des

équipements énergétiques.

73

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

76

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AAAANNEXE NNEXE NNEXE NNEXE CCCC –––– EEEENTRETIENSNTRETIENSNTRETIENSNTRETIENS

CONVERSATION AVEC S. DUAULT,

COMMERÇANTE A ST THELO [21 AVRIL 2011]

Mme DOUAULT tient l’unique commerce du village, le « Perroquet vert », qui fait o`ce de boulangerie-épicerie-bar-restaurant-buraliste. Ses parents et son mari font partie des commanditaires du projet « mémoire en demeure ». Leur restaurant-bar a notamment accueilli les conférences et les débats organisés lors des workshops.

− Il y a eu un investissement de la population dans le projet

« Mémoire en Demeure », mais aujourd’hui il y a une chute

de la motivation.

− Ces workshops furent avant tout une expérience humaine,

et ils restent de très bons souvenirs. Ils ont constitué un

« patrimoine humain »

− Ces workshops ont été la rencontre entre deux mondes

complètement diGérents : les commerçants, et les villageois,

très cartésiens et très pragmatiques d’une part, l’artiste et les

étudiants d’autre part. Il y avait un décalage parfois

comique. C’était très enrichissant.

− Aujourd’hui, « l’espace Tadashi KAWAMATA » est très peu

utilisé, mais il y a parfois quelques utilisations par des

associations locales. Une soirée « country » a notamment

été organisée par l’association des jeunes du village.

− Mais les bâtiments ne sont pas complètement tombés en

désuétude. En ce moment, il y a une mise aux normes

sécuritaires, un branchement aux réseaux d’eau et

d’électricité, des chemins pédestres sont mis en place qui

vont relier le site à l’étang. Il y a aussi un projet

d’aménagement d’une aire de jeu pour enfant et d’un

parking pour camping-car.

− A leur inauguration, les bâtiments n’étaient pas aux normes

de sécurité, et étaient dangereux pour les enfants. Ceux-ci

risquaient de tomber ou de se blesser.

Page 154: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

− Il n’y a pas eu de programmation préalable, donc les

bâtiments n’étaient pas équipés en eau et en électricité. Les

associations locales, qui pensaient utiliser le site pour leurs

activités ont été déçues.

− Il y a eu un « moment de flottement » les premières années.

Personne n’osait toucher à l’œuvre. Mais aujourd’hui, la

timidité est tombée, les gens commencent à s’approprier le

lieu.

− Le projet n’a pas jamais vraiment fonctionné car il n’a pas

été pensé dans le long terme. Or un tel projet nécessite

autant d’argent pour l’investissement, le lancement (court-

terme), que pour le fonctionnement continu (à long-terme).

C’est, selon elle, la critique principale qu’on puisse faire.

− Deux musées du lin ont été créés à St �élo et Uzel pour

matérialiser la Route du Lin. Mais ils se font concurrence, ils

ne sont pas complémentaires. L’investissement n’est pas

judicieux.

Bilan :

Du projet « mémoire en demeure » elle évoque essentiellement

de bons souvenirs (« expérience humaine », « patrimoine

humain », « beaucoup de fous rires »). Avec le recul, elle

perçoit cette expérience comme un bon moment (« une

bouGée d’air frais », « une ouverture sur le monde »)

aujourd’hui hélas révolu. Elle souligne aussi le décalage

enrichissant et comique entre deux mondes (paysan et

artistique). Cependant, on perçoit facilement que derrière ce

discours convenu, se dissimule une certaine frustration, une

déception. Comme si seuls les aspects positifs étaient dignes

d’être évoqués pour décrire à un intervieweur ce qu’elle pense

du projet.

77

Page 155: Patrimoine ordinaire & développement rural

ENTRETIEN AVEC D. LE GOFF, MAIRE DE ST THELO

[06 MAI 2011] Daniel LE GOFF est maire de St �élo depuis une quinzaine d’années. Il est aussi l’un des commanditaires de T. KAWAMATA.

D’où est venue l’idée du projet « Mémoire en Demeure »

avec Tadashi KAWAMATA ? Il y a-t-il eu des précédents dans la

région qui vous auraient inspiré ?

Il y avait un projet de mise en valeur du patrimoine du lin

depuis une vingtaine d’année entre St �élo, Uzel, Loudéac et St

Brieuc. Mais de nombreux blocages et un manque de

motivation politique ont fait que ce projet n’a jamais abouti.

Finalement en 2004, St �élo a ouvert seul de son côté la

Maison des Toiles. Le processus s’est relancé à St �élo et Uzel a

suivi le mouvement. Ont été créé dans la foulée le syndicat de

la Route du lin et un circuit touristique et culturel qui relie les

deux villages.

Pour l’inauguration de la Maison des Toiles, Didier Pidoux

[paysagiste du CAUE 22] avait évoqué l’idée d’une intervention

artistique en lien avec la Fondation de France. C’était une

opportunité à saisir ! L’idée initiale portait sur la thématique de

la botanique en relation avec des sentiers pédestres et les

ruisseaux qui traversent la commune. Mais cela restait assez

vague, on n’avait pas d’idées préconçues.

Le choix de Tadashi Kawamata par le médiateur culturel fut

excellent car il a apporté un regard neuf. En tant que japonais, il

avait du recul par rapport à notre architecture. C’est

notamment le fait que tous les bâtiments sont ici construits en

granit qui l’a intéressé. Ça nous paraît évident pour nous, mais

pas pour un Japonais. Ça a permis quelque part une prise de

conscience d’une spécificité de la région.

St Délo est labellisé « Commune du patrimoine rural

breton ». Pourquoi avoir fait le choix de ce label et depuis

quand ?

Oui, St �élo a reçu ce label en 2002. C’est un moyen pour les

villages de conserver leur identité face à la rurbanisation. Les

Page 156: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

gens qui travaillent à Loudéac viennent habiter ici parce que

c’est moins cher, et puis la campagne oGre un certain attrait.

Mais les gens rachètent alors des maisons et les retapent sans

respect des spécificités architecturales. Ça crée une banalisation

des bâtiments. C’est surtout vrai pour les villages en première

couronne de Loudéac. Ça l’est un petit peu moins pour St �élo

qui se trouve en seconde couronne.

Beaucoup d’institutions ont participé au projet « Mémoire

en Demeure ». Quel fut leur rôle ?

Il y a eu d’abord le CAUE 22 qui a été un interlocuteur précieux.

Il a apporté une aide technique pour tout ce qui touchait aux

domaines du paysage, de l’art et de la culture. Il y a eu aussi la

DRAC qui représentait l’Etat, puis l’Union Européenne et la

Communauté de Communes qui ont apporté une aide

financière.

La voix de la mairie a-t-elle été entendue ? Ne vous êtes-

vous pas fait « kidnapper » le projet ?

Non, il n’y a pas eu de « dépossession » du projet. Il n’y a pas eu

non plus de conflits, les diGérentes institutions étaient

complémentaires. La mairie a gardé un rôle important, puisque

ce genre de projet se gère avant tout à l’échelle locale.

Mais cependant, par la suite, le succès de ce projet a suscité des

rivalités. Il y a eu quelques conflits de postes. Je ne suis par

exemple plus le président du Syndicat de la Route du Lin.

En allant visiter le bâtiment réhabilité par KAWAMATA, je me

suis aperçu qu’il y a quelques modifications qui ont été

faites par rapport à ce que j’avais pu voir sur des photos et

dans le DVD d’Eternal Network. Il y a d’ailleurs encore des

travaux aujourd’hui. Pourquoi ces modifications ?

Oui, eGectivement il y a des travaux en ce moment sur

« l’espace Tadashi KAWAMATA », essentiellement pour mettre le

hangar aux normes de sécurité et d’accessibilité PMR. Le hangar

a été mis hors d’eau (la toiture a été refaite récemment), et il va

être raccordé aux réseaux d’eau et d’électricité pour y installer

des sanitaires.

78

Page 157: Patrimoine ordinaire & développement rural

Pourquoi la 3e maison de tisserand [la plus petite] a-t-elle

été détruite ?

[Cette maison jouxtait celles réhabilitées par KAWAMATA, mais n’avait pas été rachetée par la mairie et donc pas intégrée au projet] Elle n’appartenait pas à la mairie. Le propriétaire a décidé de la

détruire car elle menaçait ruine. La mairie a ensuite racheté le

terrain et installe aujourd’hui une borne de branchement pour

camping-car.

Quels sont les projets de la mairie pour « l’espace Tadashi

KAWAMATA » ?

Il est prévu d’aménager une aire de jeux pour enfants et un

parking pour les camping-cars. Une exposition gratuite d’une

artiste, Anne GUIBERT-LASALLE, va être organisée pendant l’été

2011. Nous sommes en train de nettoyer les bâtiments. C’est la

première exposition depuis l’inauguration des bâtiments en

2006. Jusque-là il n’y avait eu que des manifestations

culturelles sporadiques. L’association des jeunes du village y

organise aussi maintenant un « festival » de musique un jour

par an.

L’enthousiasme qu’on perçoit dans le livre et le DVD des

workshops est assez frappant. S’est-il maintenu par la suite ?

Hélas, non. Il faut savoir que dans ce genre de projet, on ne

contrôle pas tout. Tout ne se déroule pas comme prévu. Dans

un premier temps après les workshops, il y a eu un

dégonflement, l’enthousiasme est retombé. Mais aujourd’hui il y

a une réelle reprise en main, par les associations du village

notamment. Je parlais des jeunes tout à l’heure…

Mais une association « Mémoire en demeure » n’avait-elle

pas été créée ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

Il faut avouer qu’elle n’a jamais vraiment été active jusqu’à

aujourd’hui. Comme je l’ai dit la motivation est retombée. Elle

n’a pas recherché d’artistes pour exposer dans les maisons

réhabilitées, ce qui était son rôle à l’origine. Mais aujourd’hui

elle se remet en route avec cette première exposition. Mais c’est

Page 158: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

l’artiste elle-même qui a pris contact avec nous. Elle était

intéressée par le lieu, ça collait bien avec ses œuvres textiles.

Quel est le bilan que vous pouvez tirer de cette expérience,

Sur la prise de conscience du patrimoine local ? Y a-t-il eu

des résultats concrets ?

Il faut savoir que jusqu’alors, le patrimoine du lin était associé

dans la région au déclin industriel et à l’exode rural. C’était une

honte, il y avait une perte d’intérêt pour tout ça. Mais quelques

érudits d’histoire s’y sont intéressé et ont su faire prendre

conscience de l’intérêt de ce patrimoine. Aujourd’hui, on a pu

remarquer qu’il y a eu une appropriation du projet par les

habitants. Ils ont eu un rôle actif et non pas passif. Cela a permis

un rebond de la prise de conscience patrimoniale.

Oui, il y a eu des résultats concrets. L’aménagement autour de

la Maison des Toiles a été amélioré. Quelques maisons ont été

rénovées. Il n’y a rien eu de spectaculaire. Il faut savoir que c’est

un processus qui demande du temps, ça fonctionne au long-

terme. Il y a cependant un exemple « frappant ». C’est une

ancienne maison de notable voisine de la Maison des Toiles et

qui fait face à « l’espace Tadashi KAWAMATA ». [Appelée « Maison

du sieur Glais », cette maison est inscrite sur l’Inventaire

Général du patrimoine] Depuis les workshops, elle a été retapée

et sert maintenant de chambre d’hôte. C’est un témoin

intéressant de la prise de consciences du patrimoine : une

verrue architecturale en parpaings et en tôle a été détruite, les

anciens piliers en pierre du portail qui étaient eGondrés ont été

remontés, le muret à rue a été reconstruit.

Sur le tourisme et l’attractivité du village :

Non, il ne faut pas exagérer, St �élo reste un petit village.

L’impact sur l’attractivité est faible. Quant au tourisme, cela

fonctionne surtout au niveau local, cantonal. Par contre,

l’ouverture de la Maison des Toiles, et le projet « Mémoire en

Demeure » ont surtout permis de lancer l’initiative de la Route

du Lin, entre St �élo et Uzel.

79

Page 159: Patrimoine ordinaire & développement rural

Sur les retombées économiques :

Non, là non plus n’exagérons rien. Il y a peut-être eu des eGets

à court-terme pour les commerces du village, le Perroquet vert et le bar L’Irlandais [fermé maintenant], mais c’est tout.

Avant de se quitter, j’aurais à mon tour une question : pourquoi

avoir choisi St �élo ?

Eh bien, parce que le sujet de mon mémoire étant choisi, il

me fallait un objet d’étude pour concrétiser mon propos. Je

cherchais un projet ― de préférence récent ― qui illustrait

une mise en valeur du patrimoine intégrée à une politique

locale de développement. Le projet devait être à la

campagne, pour correspondre à la problématique, et en

Bretagne, pour des raisons pratiques et aZectives. Je

connaissais déjà le projet « Mémoire en Demeure » depuis

qu’il avait été primé en 2008, et je l’avais trouvé très

intéressant. Etudier St Délo s’est donc avéré une évidence.

Page 160: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

ENTRETIEN AVEC C. HESRY, CHARGEE DE MISSION –

ASSOCIATION CPRB [06 MAI 2011] Mme HESRY est l’une des deux salariées de l’association « Communes du Patrimoine Rural Breton », qui délivre un label aux communes adhérentes. St �élo a été labélisé en 2002.

Quelle est l’origine de cette association ?

En 1987, les maires de quelques villages de Bretagne ont pris

conscience du petit patrimoine de leurs communes et ont

décidé sa sauvegarde et sa mise en valeur. Ils se sont alors

réunis pour fonder cette association.

Quelle est la politique de l’association ?

− L’association a, dès sa création, négocié des aides financières

sous forme de subventions publiques auprès du Conseil

Régional et des quatre Conseils Généraux de la Bretagne.

− L’adhésion doit être volontaire et motivée, elle doit être le fruit

d’une volonté politique forte.

− L’association se veut un levier de développement local, en

permettant notamment la création de musées locaux.

− Des initiatives en lien avec le patrimoine doivent être

développées dans chaque commune, et notamment un

« circuit d’interprétation ».

Les dossiers d’adhésions (et donc de labélisation) sont vérifiés

par une commission technique composée d’experts des CAUE,

de la DRAC, de l’association Tiez-Breizh [association bretonne

de chantiers bénévoles et de sensibilisation au patrimoine]. En

théorie, l’obtention du label est à réévaluer tous les 5 ans. Celui-

ci peut être retiré en cas de non-respect du cahier des charges.

Tous les 3 ans, un questionnaire doit être rempli qui permet

d’évaluer l’e`cacité de notre action. Mais dans la pratique, il y a

une surcharge de travail, donc les réévaluations ne sont plus

aussi systématiques.

Quels sont les moyens incitatifs ou coercitifs dont vous

disposez envers les communes labélisées ?

80

Page 161: Patrimoine ordinaire & développement rural

Il n’y a aucun moyen juridique ou administratif. Seul le retrait

du label est possible. Le système repose uniquement sur la

motivation des mairies. Même si nous savons que certaines

d’entre elles utilisent le label pour des motivations uniquement

financières.

Quelles sont les actions concrètes de l’association auprès de

la population ?

Aucune. C’est aux mairies d’agir à leur niveau. L’association se

charge uniquement d’un travail de coordination et de

mutualisation des eGorts. Elle n’agit pas directement auprès de

la population.

Le lien est-il fait avec la nouvelle politique patrimoniale et

culturelle de la Région Bretagne ?

Oui. Notre action est considérée comme une « politique

patrimoniale territoriale » 1 . A ce titre, nous percevons des

subventions pour les investissements dans les nouveaux

projets, mais pas ou peu de subventions pour le

fonctionnement. D’où des di`cultés financières à long terme.

Quelles sont les diZérences avec d’autres labels similaires

(« Petites cités de caractère » - « Villes et pays d’art et

d’histoire ») ?

Ces diGérences se lisent dans notre intitulé. D’une part,

« rural » : nous nous intéressons au patrimoine des villages de

campagne et qui gardent leur caractère rural. Par exemple, un

village a récemment été déclassé car il avait peu à peu intégré

la banlieue de Quimper. D’autre part, « breton » : nous ne

visons donc que les communes basées dans les 4 départements

bretons (22-29-35-56). Le label « Petites cités de caractère »

vise quant à lui les villages médiévaux biens conservés, se sont

donc des bourgs, non disséminés dans la campagne (ex :

Rochefort-en-Terre, 56). Le label « Villes et pays d’art et

d’histoire » ne concerne pas les villages de campagnes. Il ne

s’intéresse qu’aux villes, ou aux « pays » (ex : Dinan, 22).

1 Voir à ce titre : DRAC Bretagne ; Pour une nouvelle politique du patrimoine

culturel en Bretagne ; 2007

Page 162: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

ENTRETIEN AVEC R. BUSSIERE, CHERCHEUSE –

SERVICE INVENTAIRE & PATRIMOINE,

REGION ILE-DE-FRANCE [15 NOVEMBRE 2011] Roselyne BUSSIERE est chercheuse et chargée de mission à l’Inventaire Général. Cet entretien fait suite à la conférence sur le patrimoine ordinaire donnée par elle à l’Ecole d’Architecture de Versailles1.

Tout d’abord, pouvez-vous me dire précisément ce que vous

entendez par « patrimoine ordinaire » ?

L’architecture ordinaire c’est ce qui est omniprésent, invisible,

« ce qu’on ne voit pas » car devenu trop banal. Pour la voir, il

faut relever les traces d’interventions sur le bâti, il faut se référer

aux anciens plans et faire des recoupements avec le cadastre

actuel. Il faut travailler in-situ, c’est très important. Dans notre

service nous avons mis en place une grille de lecture et un

vocabulaire fixe à partir desquels nous inventorions le bâti. Pour

chaque typologie de bâti, il faut un critère discrimant et des

critères variables. Il est très important d’avoir des outils

d’analyse normalisés sans quoi cette analyse est faussée car elle

ne se rapporte pas au même vocabulaire, aux mêmes critères,

etc…

Vos précédentes conférences étaient illustrées par la

ZPPAU(P) d’Andrésy (78) sur laquelle vous avez travaillé. Par

la mise en place de cette ZPPAU, de sa révison en ZPPAUP, et

par votre travail d’inventaire complet de la ville, les

habitants ont-ils pris conscience du patrimoine qu’ils

habitent ?

Pas vraiment. Bien que la révision de la ZPPAUP il y a quelques

années est le signe d’une politique parimoniale active, il y a eu

peu d’appropriation du travail d’inventaire par les politiques.

L’intérêt porte uniquement sur l’extra-ordinaire. Il y a un

véritable problème de regard sur l’architecture ordinaire.

1 BUSSIERE Roselyne ; Le patrimoine ordinaire, l’exemple de la ZPPAU(P) d’Andrésy ;

10.2010 ; [conférence à l’ENSAV]

81

Page 163: Patrimoine ordinaire & développement rural

Autrefois, le bâti subissait une évolution lente et réversible,

tandis qu’aujourd’hui ces transformations sont brutales et

irréversibles.

Comment est perçue la ZPPAUP ? (comme une opportunité à

saisir, une contrainte « top-down » ?)

Cette ZPPAUP est un choix de la mairie. Elle est donc

entièrement acceptée et même voulue. Elle émane d’un

volontarisme fort en faveur du patrimoine, mais est aussi une

source de contraintes élevées (notamment en terme de coûts)

Vous disiez dans votre conférence qu’il fallait « contrôler le

soin apporté aux modifications du bâti ». Qu’entendez-vous

par « contrôler » ?

Il s’agit de contrôler le choix des enduits, l’implantation du bâti,

les gabarits, l’alignement, l’implantation des garages…

Mais n’y a-t-il pas là un risque de « sanctuarisation » du

patrimoine ?

Non. Nous sommes conscients que le patrimoine ordinaire est

amené à évoluer en permanence. C’est d’ailleurs une de ses

caractéristiques propres. Mais la « patrimonialisation » vise à

garder l’harmonie, le bon sens. Il y a d’une part une volonté

d’être moderne. Et d’autre part, le désir d’un patrimoine rêvé qui

amène à faire du pastiche, du « faux ancien » ou du « néo-

rural ».

Alexandre ChemetoZ a dit en parlant du patrimoine, que si

autrefois celui-ci était pensé comme l’exception par rapport

à l’ordinaire, aujourd’hui tout constitue patrimoine. C’est le

« déjà-là », à partir duquel doit se baser le projet

d’architecture1. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas tout à fait d’accord. Je ne pense pas que les

banlieues pavillonnaires, par exemple, constituent du territoire.

Or le patrimoine est par définition ancré dans son territoire.

1 CHEMETOFF Alexandre ; Lyon-St Etienne ou la globalité patrimoniale ; in

MICHELIN Nicolas & PAOLI Stéphane (sous la dir. de) ; Entretiens du patrimoine et de l’architecture ; 09-10.11.2011 ; [colloque]

Page 164: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

ENTRETIEN AVEC B. FRABOULET,

MEMBRE DE L’ASSOCIATION DES JEUNES DE ST THELO

[26 NOVEMBRE 2011]

Etes-vous originaire de St Délo ?

Oui. Notre famille est 100% thélotaise.

Avez-vous eu des ancêtres ayant travaillé dans l’industrie

linière ?

Peut-être, on ne sait pas trop. En l’étudiant à l’école, on a

retrouvé des tampons de tisserands d’Uzel portant ce nom,

mais ce n’est sans doute pas la même famille.

Pouvez-vous présenter en quelques mots votre association ?

Elle a été créée en 2007, par mon frère, avec pour objectif

premier de rassembler les jeunes de St �élo. On dispose d’un

local dans une ancienne école que la mairie nous prête, qu’on a

retapé nous même avec des financements de la mairie. On a

monté un festival de musique [le festival �élokalizé, chaque

année fin août] à l’espace Tadashi Kawamata, qui se veut à

l’échelle départementale. Enfin, on organise une fois par an un

repas pour rassembler tous les gens du village.

Comment percevez-vous le passé de la région de St Délo-

Uzel ?

On le ressent comme loin de nous, il y a une certaine cassure

générationnelle. Mais quand on commence à s’y intéresser, il y

a une certaine surprise agréable à découvrir un tel passé. Même

si on ne se sent pas concerné directement par ce passé, il y a

une certaine fierté.

Qu’est-ce qui, pour vous, représente le « patrimoine » de St

Délo ?

Pour ma part, j’associe le patrimoine du village à l’histoire du lin.

Au plan architectural, c’est d’abord aux maisons de marchands

auxquelles on pense, et aussi à toutes les maisonnettes de

tisserands dans le village.

82

Page 165: Patrimoine ordinaire & développement rural

Que pensez-vous de l’intervention de Tadashi Kawamata à St

Délo ? Aviez-vous participé aux workshops d’été ?

Non, je n’avais que très peu participé, j’étais trop jeune. Je ne

comprenais pas vraiment ce qui s’y faisait. Il n’y a pas eu un

grand enthousiasme de la population. C’est assez mitigé.

Certains étaient à fond dedans, d’autres ne s’y intéressaient pas.

En fait, je crois que les gens qui voient l’intervention artistique

ne la comprennent pas. Mais quand on leur dit que la tour en

bois fait référence à un métier à tisser, là seulement ils y voient

un intérêt.

Pensez-vous que le patrimoine (et le passé de manière

générale) puisse être un atout, ou un défaut, pour un village

comme St Délo ?

C’est clairement un atout. On peut se dire que nous, ou moins,

on a tout un patrimoine du lin à St �élo. Ça crée une identité,

une mémoire.

Comment voyez-vous l’avenir à St Délo ?

J’espère que ça ne va pas devenir une ville-dortoir,

complètement déstructurée par la proximité des villes

alentours. J’espère que le village ne va pas être victime du

regroupement de communes, comme il est prévu de le faire

pour les villages de moins de 1000 habitants. J’espère enfin qu’il

va garder son caractère rural, que les liens sociaux et les valeurs

humaines vont perdurer.

Page 166: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

CONVERSATION AVEC P. LAUNAY, ADJOINT AU MAIRE

DE ST THELO [26 NOVEMBRE 2011]

Etes-vous originaire de St Délo ? Et avez-vous eu des

ancêtres ayant travaillé dans l’industrie linière ?

Oui je suis originaire de St �élo. Mes ancêtres étaient des

ouvriers agricoles. Je ne pense pas qu’ils aient travaillé dans

l’industrie linière. J’ai cependant un grand oncle, qui était

ramoneur et qui habitait dans l’une des maisonnettes sur

lesquelles KAWAMATA a travaillé.

Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un tiers de la population qui travaille

dans le secteur agricole. Les fermes sont rachetées par les

exploitants agricoles et rasées pour ne pas avoir de voisins, ou

alors quelques-unes sont rachetées par des couples d’Anglais

qui en font des résidences secondaires (bien qu’avec la crise, le

phénomène s’est atténué, car il est devenu moins intéressant

pour eux financièrement d’habiter en France. On a aussi

quelques jeunes couples qui viennent s’installer, que ce soit

dans du logement neuf, ou dans de l’ancien.

La population de St Délo a baissé, et pourtant j’observe qu’il

y a des nouveaux lotissements. Comment cela se fait-il ?

EGectivement, il y a une baisse démographique, mais on a

construit et on continue à construire des logements neufs. Cela

s’explique parce que les modes de vie ont changé. Autrefois, les

grands parents, les parents et les enfants vivaient sous le même

toit. Il y avait trois générations par maison. Aujourd’hui, c’est

diGérent, on arrive à la fin d’un cycle qui est celui du baby-

boom. Mais la tendance devrait se ralentir, ce n’est qu’un

changement de cycle. Il y a aussi des familles monoparentales,

des personnes vivant seules. Les maisons sont beaucoup moins

remplies. Et puis les logements anciens ne sont pas adaptés aux

exigences d’aujourd’hui : ils sont petits, leur terrain est petit, ils

n’ont bien souvent pas de jardin, les fenêtres sont petites, ce qui

fait qu’ils ne sont pas très lumineux, à cela vient s’ajouter les

prescriptions patrimoniales sur le bâti… Il y a aussi pas mal de

résidences secondaires, ce qui a tendance à transformer St

�élo en bourg fantôme.

83

Page 167: Patrimoine ordinaire & développement rural

Il y a aussi une certaine incohérence dans notre politique de

logement, il faut bien l’avouer. On subventionne l’achat de

terrain pour y implanter des logements neufs dans les

lotissements, alors que cet étalement urbain se fait au

détriment de notre politique patrimoniale, de l’agriculture… Ces

subventions, on pourrait tout aussi bien les mettre dans la

restauration des vieilles maisons pour éviter que le bourg ne se

vide, mais on attirerait moins de nouveaux habitants. Et puis

c’est compliqué de restaurer ces vieilles maisons, ça coute très

cher.

EZectivement, j’ai vu beaucoup de maisons vides dans le

bourg.

Oui. C’est aussi dû au fait que beaucoup de gens qui habitaient

ces maisons étaient de la même génération, et beaucoup

d’entre eux sont hélas décédés assez jeunes. Le renouvellement

ne s’est pas encore fait.

Que pensez-vous de la politique récente en matière de

patrimoine à St Délo ?

Je pense avant tout que ça a été mal préparé. L’Histoire est

eGacée des mémoires, pourtant notre patrimoine est le témoin

d’un passé riche. Mais il n’y avait pas de conscience de ce

patrimoine par la population avant l’ouverture du musée [en

2004]. Ce musée s’est ouvert un peu dans l’indiGérence

générale, ce n’était pas un projet qui était porté par la

population. Vous savez ici on a un caractère paysan, très terre-

à-terre, très pragmatique. Si on ne voit pas dès le départ l’intérêt

que peut nous apporter tel projet, on ne le soutient pas. Quant

au projet de Tadashi KAWAMATA, il y avait une incompréhension

du public vis-à-vis de son intervention. Nous sommes des gens

d’agriculture, pas de culture. Il y a bien eu un certain réveil de la

mémoire, quelques habitants ont contribué, mais on ne peut

pas parler d’enthousiasme collectif. C’était surtout monsieur le

Maire et Francis BLANCHART [président de l’association

« Mémoire en Demeure »] qui étaient à l’initiative de tout cela.

A plus long-terme, il y a eu une certaine prise de conscience du

village (son histoire, sa ruralité, son patrimoine, une certaine

Page 168: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

identité du pays Centre Bretagne). Mais au fond, la population

ne croit pas à l’attrait touristique que peuvent avoir nos

campagnes. Le patrimoine à St �élo, c’est un peu comme une

très belle femme, dont seul le mari ne se rendrait pas compte

de la beauté.

On a encore beaucoup de progrès à faire en matière de

politique culturelle et touristique, ce n’est pas dans nos

habitudes. Par exemple, le Syndicat de la Route du Lin est un

outil qui est absolument sous-utilisé. Et la mairie dispose de peu

de moyens d’actions pour relancer la dynamique initiée en

2004. [Inauguration de la Maison des Toiles, et premier

workshop de Tadashi KAWAMATA] Il y a beaucoup de problèmes

avec les diGérents acteurs politiques, certains ont un ego

démesuré, d’autres ne collaborent pas, d’autres enfin

collaborent uniquement dans leur propre intérêt. La gestion de

la politique culturelle est égoïste et individualiste. Il manque

une vue d’ensemble, une cohérence. Par exemple, il y a une

concurrence des musées de St �élo et d’Uzel, ce qui ne leur

assure à chacun qu’un faible nombre de visites et donc une

faible rentabilité.

Ce genre de projet culturel se prépare à très long terme

(environ 10 ans) pour qu’il crée un besoin et un enthousiasme

de la population, pour qu’il apparaisse comme évident. C’est un

processus. Il y a tout un échange qui doit se faire avec la

population. Là, il n’y a pas eu de communication en amont. On

ne peut pas arriver avec un projet tout fait, sans concertation, et

demander après à la population ce qu’elle en pense.

84

Page 169: Patrimoine ordinaire & développement rural

ANNEXE D – TYPOLOGIE DES HABITATIONS

DE ST THELO

D.1. Maison de tisserand

Chaque unité fait o`ce d’atelier et de logement pour la

famille du tisserand, le métier à tisser prenant place près de

l’unique fenêtre du rez. On les trouve le plus souvent

regroupées en mitoyenneté, soit que les tisserands décidaient

de construire ensemble leur maison, soit que le tout était mis

en location par un unique propriétaire, lui-même négociant en

toiles.

D.1.1. D.1.1. D.1.1. D.1.1. Maison sans étageMaison sans étageMaison sans étageMaison sans étage

Elle comporte un rez et des combles.

La façade est composée d’une porte – encadrée d’un arc en

plein cintre, en anse de panier, ou d’un linteau de granit – d’une

fenêtre – au linteau généralement de bois – et d’une lucarne en

bois éclairant les combles.

La maçonnerie est en tout-venant de schiste et les

encadrements de granit sont irréguliers.

Maison de tisserand sans étage – XVIIe s. Schéma dossier ZPPAUP

Page 170: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

D.1.2. D.1.2. D.1.2. D.1.2. Maison avec étageMaison avec étageMaison avec étageMaison avec étage

Identique à la précédente avec un étage supplémentaire.

Elle est un signe de richesse de celui qui l’habite. Encore assez

rare au XVIIe s., elle est quasi-généralisée au XVIIIe s.

Maison de tisserand avec étage – XVIIe s. Schéma dossier ZPPAUP

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Page 171: Patrimoine ordinaire & développement rural

D.2. Maison de négociant

D.2.1. Maison du XVIIe s.

Peu de chose la diGérencie de la maison d’un tisserand, si ce

n’est qu’elle comporte un étage au moins dès le XVIIe s., et un

escalier hors-œuvre.

Le débord de toiture est supporté par une frise de modillons de

granite.

La façade présente une ébauche d’ordonnancement. Les

lucarnes, s’il y en a, sont en pierre.

Autour de la cour se distribuent de nombreuses annexes et

équipements nécessaires au négoce de la toile : un puits, une

blanchisserie et son doué, d’éventuels ateliers de tisserands-

salariés, une pilerie où sont pliées et ensachées les toiles et un

entrepôt.

Maison de négociant – XVIIe s. Schéma CAUE 22

Page 172: Patrimoine ordinaire & développement rural

Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

D.2.2. Maison du XVIIIe s.

Elle comporte un rez – souvent surélevé de quelques

marches, voire d’un escalier entier suivant le relief du terrain –

d’un étage habitable, de combles, et quelquefois d’une cave

sous la moitié de la surface.

La façade est ordonnancée et symétrique, les encadrements de

granit sont régulièrement taillés et disposés, les lits de

maçonnerie de schiste sont réguliers. L’influence des

malouinières (demeure des armateurs de St Malo) du siècle

précédent est manifeste.

L’édifice gagne en grandeur et en noblesse. Il peut comporter 3

ou 5, voire 7 travées suivant la puissance de son propriétaire,

disposées symétriquement à l’axe de composition central.

Dans la travée centrale, à l’intérieur et dans l’axe de la porte

principale, se trouve un escalier droit en bois.

C’est aussi à cette époque que commencent à apparaître les

statuettes de saints en faïence placées dans des niches en

façade.

Maison de négociant à 5 travées – XVIIIe s.

Schéma CAUE 22

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Patrimoine ordinaire et développement rural, les enjeux d’une prise de conscience

Di�usion libre, gratuite et recommandée

© Amaury PRUD’HOMME, février 2012