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t’ I r Pastoralisme, d6mocratie et décentralisation au Maasina (Mali) Claude FAY De nombreux conflits fonciers surgissent régulièrement au Mansina I, qui concernent aussi bien les secteurs de production agricole, halieutique et pastoral. A l’origine de ces conflits, on trouve généralement des ciuses à la fois climatiques (les vagues de sécheresse ayant rendu incertaines les délimitations antérieures des territoires, ou ayant induit la présence de nouveaux acteurs sur ceux-ci, ou ayant suscité l’investissement de nou- veaux territoires) et historiques (revendications concurrentes d’un même territoire, liées 5 la succession historique de règles d’accks différentes ou de droits conférés h différents groupes sur un même espace ?). La dimen- sion ((historique x ne se résume d’ailleurs pas à des (c affrontements de tradition >) mais est toujours immédiatement G politique >>, puisque chacun des pouvoirs contemporains successifs (1’État colonial, puis les divers États indépendants, du régime socialiste de Modibo Keïta à la Démocratie en passant par la dictature militaire sous ses différentes formes) a gérer ces conflits et trancher dans sa logique propre entre les diffirents droits se référant à des logiques et des pouvoirs antérieurs. Dans le cadre de ce foncier polémique, le thème de la spkificité pastorale ou de l’identité peule (les Peuls forment le principal groupe 1. Le terme Maasina peut désigner des aires d’extension variable. dtfinies par des dominations impériales successives : celle des chefs guerriers peuls dits .Ade (sing. Arao), entre le XV‘ et le XIS‘ siècle. ou celle de l’Empire thiocratique de 13 Dlim (xisc sikcle). Nous l’employons ici pour disigner le Delta central du Niger en g é n h l . et nou5 précise- rons Iss sous-regions quand cela sera necessaire. 2. Ces règles et ces droits (issus des traditions <(animistes* ou des empijes successifs) tendent alors h se superposer virtuellement plus qu’h s’éliminer, et chaquz droit tente de se refaire valoir devant tout nouveau pouvoir (un nouvel Ept, mais aussi bien un nouvel administrateur local), ce qui explique la fortune du thkme du (c ressurgissement des conflitSn dans cette ggion.. - \ i l

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t’ I r

Pastoralisme, d6mocratie et décentralisation au Maasina (Mali)

Claude FAY

De nombreux conflits fonciers surgissent régulièrement au Mansina I, qui concernent aussi bien les secteurs de production agricole, halieutique et pastoral. A l’origine de ces conflits, on trouve généralement des c iuses à la fois climatiques (les vagues de sécheresse ayant rendu incertaines les délimitations antérieures des territoires, ou ayant induit la présence de nouveaux acteurs sur ceux-ci, ou ayant suscité l’investissement de nou- veaux territoires) et historiques (revendications concurrentes d’un même territoire, liées 5 la succession historique de règles d’accks différentes ou de droits conférés h différents groupes sur un même espace ?). La dimen- sion ((historique x ne se résume d’ailleurs pas à des (c affrontements de tradition >) mais est toujours immédiatement G politique >>, puisque chacun des pouvoirs contemporains successifs (1’État colonial, puis les divers États indépendants, du régime socialiste de Modibo Keïta à la Démocratie en passant par la dictature militaire sous ses différentes formes) a dû gérer ces conflits et trancher dans sa logique propre entre les diffirents droits se référant à des logiques et des pouvoirs antérieurs.

Dans le cadre de c e foncier polémique, le thème de la spk i f i c i t é pastorale ou de l’identité peule (les Peuls forment le principal groupe

1. Le terme Maasina peut désigner des aires d’extension variable. dtfinies par des dominations impériales successives : celle des chefs guerriers peuls dits .Ade (sing. Arao), entre le XV‘ et le XIS‘ siècle. ou celle de l’Empire thiocratique de 13 D l i m (xisc sikcle). Nous l’employons ici pour disigner le Delta central du Niger en génhl. et nou5 précise- rons Iss sous-regions quand cela sera necessaire.

2. Ces règles et ces droits (issus des traditions <(animistes* ou des empijes successifs) tendent alors h se superposer virtuellement plus qu’h s’éliminer, et chaquz droit tente de se refaire valoir devant tout nouveau pouvoir (un nouvel Ept, mais aussi bien un nouvel administrateur local), ce qui explique la fortune du thkme du (c ressurgissement des conflitSn dans cette ggion..

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ATUNTIQUE 20" -

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Tombouctou c;

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Figure 1 : Le ìvfaasina (oudelta centrai du Niger au Mali)

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\ 3 degrés divcrs ct pratiquant inégalerncnt chassc, pêchc, cueillette, bQche- ronnage, agriculturc, élcvage (Fay 19951)) ’ - qui vont progressivement sc spécialiser en s’articulant. La tradition rapporte le plus souvent ces arti- culations 5 des pactcs, souvent liés ?i tlcs échangcs de sang. probableinent sur le modèle initial de la relation bozo/dogon. Ceux-ci fixent en même tcmps, par con~raposition, les identités ct les spkcialités (ainsi que, géné- ralement, la prescription de l’échange des produits) ct créent 5 terme la série des << ethnies >> (Bozo = pêche e n eaux pcu profondes ; Somono = pêche des grands fleuves ; Nono = riziculture, etc.), déjà repérée par Jean Gallais (1967). Des enquêtes plus réccntcs (Fay 19931, 1997) montrent cltic ces paclcs. cn instaurant dcs droits différenciés et inégaux sur les ter- ritoires et les ressources, consacrent souvent des rapports de force divers entre groupcs sc rcncontrant sur u n meme espace, et ce clans le cadre de ce que Jean-Loup Amselle (1 990) appelle les << expansions et contractions B des empires (cn particulier du Ghana et du Mali). A I’issuc de ccs contrats inégaux, on constate aussi souvent que les moins forts sont rcjetés dans la catégorie des << travailleurs-producteurs n (en peul : golloqjle), les donii- nants se réservant la qualité dc guerricrs (haa.riirikooDe), de <<gens du pou- voir )> (Iaa17rr~17koobe).

On négligera ici Ics récits mythiques sur I’originc des Peuls (Botte & Schmitz 1994; Fay 1997) pour rctenir l’accord qui se fait localement sur l’arrivée des prcmières vagues peules ai1 Maasina dans la seconde moitié du XIII‘ siècle, et sur l’arrivée plus tardive, entre le X I V ~ et le XV‘ siècle, dcs chefs Arße Diallo-Vikko qui vont régner sur la zone jusqu’au XIX‘ siEcle (Vikko est un nom d’honncur qui leur est donné pour flatter leurs qualités gucrrières). Les premières vagues de Peuls délimitent, non sans conflits, Icurs psturagcs, en inernc tcinps qu’ils se soumettent de façon plus ou moins formelle une partie dcs groupes antérieurs, souvent sous u n e formc tributaire (Fay 1997). Les rivalités pour les vassalisations de divers typcs des autres groupes sont elles-mêmes l’occasion de ten- sions entre groupes peuls. Ce sont, selon l’expression locale, toutes les <<utilités,, du Maasina que l’on se dispute et se distribue. L‘histoire de la région sera toujours le t1iéh-c de luttes ayant à la fois pour objet des ter- ritoires (pastoraux, halieutiques ou agricoles) et des aires de prédation. Ces premiers Peuls ne sont d’ailleurs pas tous exclusivcment pasteurs. En effet, une partie d’entre eux, les Cooso et les Toor-o@?e, pratiquent aussi alternativement la peche et la lcvée de tributs sur les pêcheurs bozos (pre- nant ainsi la relève des anciens pouvoirs guerriers issus du Wngndori qui

3. Fay 199.51) L’agriciilturc en particulier ne connote .jamais vraiment une sp6cialité << ethnique : toris les groupes ori1 pu la pratiqiier h différentes époques, à l’occasion de dif- ficultés affcclant les autres productions. Sur I’exislencc proliable d’un élevage deltaïque prC-peul, cf. Gallais 1980.

avaient inauguré cette pratique), et la plupart cultivent lorsque les cir- constances économiques l’exigent d .

Lorsque les arße installent leur règne, nomadisant entre le Mema et le Maasina, ils se heurtent à d’autres groupes de pasteurs-guerriers s, agran- dissent leurs troupeaux de bêtes prises au combat, redistribuent à leurs alliés des troupeaux, des pâturages et des droits prédataires après en avoir dépossédé les vaincus ‘. Ainsi leur pouvoir <<coiffe >>, e n les remaniant, u n e hiérarchie de droits sur les territoires et sur les hommes, ce qu’illus- trent l’organisation de formes collectives de production (pêches collec- tives, par exemple) dans laquelle s’insèrent leurs captifs, et la réorienta- tion à leur profit de la circulation de tributs divers. II s’agit du manga-ji, appellation qui désigne d’abord u n tribut perçu par les Manga Marka sur les pêcheurs du sud-Diaka, puis un tribut prélevé 8 l’occasion de la pêche d’étrangers au finage par les maîtres d’eau du fleuve qui en remettent une partie aux a r k , et Pgaleinent u n tribut versé par les Bozos des plaines (le <( ponga .) aux Koniongallu (c’est-&dire aux vassaux << libres-nobles >> des arße qui leur <<confient n ces plaines), lesquels le reversent aux arße et s’en voient rétrocéder la plus grande partie. II s’agit aussi du coiirzgi, tribut versé aux .Joivr-o (à l’origine responsables-guides pastoraux devenus ensuite maîtres des pâturages) par des lignages étrangers venant paître C leur D herbe, et qui sera reversé par la suitc aux arße et en partie rétro- cédé, selon u n e logique d’emboîtement tributaire’. Dans la représentation et l’organisation locales en effet, le pouvoir guerrier suprême, Laanili, domine ou <<possède D Ics hommes. I1 est ainsi principalement le posses- seur suprême de leurs propriétés, puisque la reconnaissance de ces pro- priétés est suspendue à sa volonté (Fay 1995a) : on dit que ce pouvoir << recouvre,, la zone, les dominés étant virtuellement réduits à I’état de << proclucteurs >> 5 son service. Cela peut faire l’objet de justifications his- toriqucs a posteriori : on dira dans certains contextes que les arße avaient

4. Plusieurs auteurs ont déjh noté, dans divers milieux peuls, le caractère de (<cliché), ou tle ~ l a b e l n de l’exclusivité pastorale (Boutrais 1994, pour I’Adamawa; De Bnlijn & Van Dijk 1995, pour le / fnnye) .

5. Principalement aux .In///& qui s’étaient taillts la part du lion en s’attribuant toutes les herbes (<de Mtrou [vers l’actuel KC-Macina] B Mérou [vers I’actucl Konna] )), après des combats avec d’autres groupes peuls (Solso&, Fero)@, YalldJe).

6. Les germes de conflits futurs sont ainsi posés entre SoosoJe et Sn/sn/ße, Peuls de Youvarou et du Wuro-Ngya, entre ccs derniers et les Ja//[@, et entre les Ju///tJe et les Soo.rnJe. On distingue. localement entre les <( propriétés trouvées )) (= héritées : Jey tnit~nnC30) et les <( insertions N (rinnrlude : désappropriations et réappropriations par le pou- voir). Des maîtres d’eau du fleuve sont de même dépossédés de leur maîtrise au profit de pêcheurs clients. Dans le sud-Diaka, les Konior7gnl/rr, ralliés aux ArJc. se voient distri- buer des droits tributaires (( siir le cou )) cles Bozos des plaines, droits qui sont N repris n i des COOSO et dcs Siig~r(&.

7. Pour l a définition de ces notions, cf. Daget 1949; Gallais 1967, 1980; pour des élé- nici i fs nouveaux sur le manga-ji, cf. Fay 1997, et, sur I C conngi, Legroxse 1997.

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organisé et protégé la fuite dc ((leurs pastcurs,> depuis I C Mandé et qu’ils sont vetius ((-reprendre leurs troupeaux )) (en fait, ces ((pasteurs N étaient tout aussi bien cics gucrriers). II semble que la prise en main dcs Pculs dominés ait notainmcnt pris la formc d’interventions des arße dans la nomination dcs jowro, qui est nornialenicnt unc afpaire lignagère interne. L‘organisation du Maasilia sous le règne des arfie, si elle fluctue au f i l des conflits et des changements d’alliance pendant quatre siècles, n e se réduit donc pas au << désordre païen )> qu’ont voulu y voir des perspectives islamo-centristes.

Inversement, l’ordre de la Diina, l’Empire théocratique érigé par Sékou Amadou au XIX‘ siècle, ne se résume pas à une organisation ration- nelle de l’espace politique et productif. La Diina remanie la carte des << bourgous >> lignagcrs en déplaçant des frontières, en créant de nouveaux bourgous au profit de groupes alliés, divisc le Delta en autant de Icydi agro-pastoraux9, codifie les chemins de transhumance (hrro l ) ainsi que Ics attributions et droits d’occupation des gitcs (wii7de : lieux de repos et de traite des animaux en période de décrue, situés sui des bosquets sur- élevés). Elle institue également les hnarin7a ct IC bourgon &if-el. Les pre- miers sont des pâturages villageois liés à la sédentarisation forcée. Inter- dits de culture, ils sont placés sous le contrôle d’un ou plusieurs chefs de village. Les seconds sont des p2turages souvent prélevés sur le bourgou d’opposants et dévolus aux chefs politiques implantés par la Diina, à savoir les ((marabouts n portant le nom de Cissé et placés 5 la tete des principaux leydi ~pol i t iqucs D.

8. Ce termc désignc d’abord une association herbacée for mant les nicilleurs p8turage4 lors du retrait des eaux, par extension I’enscmblc de la plainc inondable situéc entre Diaka et Niger, et enfin les pâturages !ribaux-lignagels que s’ttaicnt attribués des groupes peuls (ale bourgou (dcs)-Jn//rrJen). Sur l’organisation de la Diina, dont nous ne rappelons ici que les grands piincipes nécessaires ?I notre ohjct, cf. principalement Gallais 1967, 1980, 1984, et Ba & Daget 1984.

9. Leydi (plur. leyde) désigne initialement la terre. Lorsqu’ori parle, dans Ia littérature, des <<leydi n (leyde) du Maasina, on entend gtnéralement par là ces ailes agro-pastorales (instaurées par la Diina) dont un lignage ou u n groupe de lignages détient la maîtrise (poli- tique et mystique), et qui sont idéalcrncnt constituécs d’un village peul noble Wirro, d’un ou plusieurs villages de capfifi? Suré, d‘un gîte et d’un chemin de transhumance menant au haarima ; cf. ;/IJYI. On pcut aussi, dans le cadre des découpages effectués par les a r k d’abord, par la Diina et par I’& colonial ensuite, utiliser ce tenne pour désigner une aire poli$ue <<recouvrant x les territoires de degré inférieur, et dont la chefferie est dévolue àun lignage. Lcs frontières dcs lcyde pastoraux aussi bien que des lcydc << politiques n (qui coïn- cident parfois) ont pu varier à chaque époque dans le cadrc dc rapports de force divers. mais assez faihlcment, d‘autant que, dans la région, les chefs dc canton coloniaux (le can- ton peut aussi etre désigné comme ccleydi .) ont presque toujours été choisis dans les der- nitres familles dominantes dc l’époque précolonialc. Le terme pourra s’appliquer ensuite, selon le contexte, à toute aire ou tenitoire déterminés géographiquement et politiquement : << lcydi Maasinan pour I’enscnible tlc la région, leydi d’un village pour tltsigner I’ensemhle dcs ICITCS siir Icsqi~cllcs il a des droits, quc ce villagc soit peul, ho70 o11 nutre.

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Certes, on peut dire qu’une morale musulmane prônant un plus juste L2?% partage des ressources et une volonté d’organiser une complémentarité spatiale pacifique des divers typcs d’exploitation l n inspirent ces mesures. Mais ce système de complémentarité s’établit aussi sur fond de domina- tion impériale du Delta. De surcroît, la redistribution des biens et des prio- rités effectuée entre les groupes peuls obéit à des stratégies d’alliance et de contrôle politique qui n e sont pas radicalement différents de ceux qu’avaient effectués les arße, ce qui se traduit localement par l’expres- sion : (<Ce n’est pas pour rien qu’une herbe suit une herbe,). De ces stra- tégies et contrôles emergent les embryons de bien des conflits futurs, se.lon une logique déjà étudiée.

Enfin, l’ensemble fonctionne comme un système de production agro- pastorale organisé << au profit des élites politico-religieuses de la Diina >9

(De Bruijn & Van Dijk 1995) et visant explicitement à <( affaiblir les tribus peules propriétaires de bowgous,>> (Gallais 1980). Ce sont ces élites qui l’organisent, distribuent les droits sur les terres, tranchent dans les conflits qui peuvent survenir dans les trois secteurs de production. Selon la logique locale, on l’a vu, les hommes et leurs propriétés appartiennent principiellement au pouvoir guerrier suprême.

De même qu’on pouvait dire autrefois que les autres Peuls étaient ((les bergers des arße D, les élites théocratiques se conçoivent comme les véri- tables propriétaires, ali nom de Dieu, du leydi Maasina et de ses diverses <<utilités >>. De même que les arße intervenaient dans le choix lignager des jowro, Sékou Amadou (< suspend >> pcndant deux ans les différents jowro et les << réinstitue >> après qu’ils aient donné des gages d’islamisation et d’allégeance. Ajoutons que les anciens pouvoirs se sont, à chaque fois que c’était possible, réinscrits dans le nouveau système par allégeance. C’est ainsi que, à Wuro Ngya par exemple, une lignée ardo a pu prendre le nom de Cissé et se placer à la tête du leydi. C’est sur le même modèle d’ailleurs que les anciens pouvoirs s’étaient ralliés aux arße. L‘aristocratie théocratique coiffe en grande partie des chaînes politiques et tributaires antérieures à elle et en bénéficie au sommet, les (( recouvre >) I‘.

La vache, la houe et le filet s’articulent désormais sous le signe du Coran, niais les lecteurs du Coran sont les nouveaux maîtres de la Lance.

I O. Agricole, pastorale, halieutique : l’ordre des parcours et des traversées est harmo- nieusement accordé à celui de la récolte des champs et à celui des barrages de pêche.

I 1. Le conngi, par exemple, doit, selon la nouvelle réglementation, être partagé entre lejnwro, les nicmbres mâles de son lignage et le percepteur qu’il désigne, mais une partie en est sorrvcnt reversée aux Cissé, comme l’est une part du manga-ji pour la pêche, pra- tique que reconduiront les chefs de canton. L’importance du conngi est fixée à une quan- tité minimale de lait ou de cauris, mais, d’après nos enquêtes, les transgressions n’ont pas commencé avec la colonisation. Les chaînes tributaires (allant des pêcheurs aux maîtres d’eau ou aux Komongallu. puis aux a r k , par exemple) sont la plupart du temps laissées intactes, le nouveau pouvoir se substituant simplement à l’ancien au sommet de la chaîne, ou s’y rajoutant coinme u n échelon supérieur.

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122 HORIZONS NOMADES EN AFRlQUE SAHÉLIENNE

J,es crues, la coutume et le droit

L‘organisation fonci&re misc cn placc par la Diina n’a de sens que sur la base d’un système politique global et, cn ce qui concerne l’élevage, d’une chargc pastorale déterminée (qui, selon Jean Gallais, a quintuplé en 1980), et les repères qui déterminent les frontières entre groupes et entre types de production tiennent aussi B des configurations géo-clima- tiques données. Or, tous ces Cléments vont être moiifiés par la suite.

Un certain nombre de tensions latentes dans les modes théocratiques de fixation des droits vont ainsi s’aviver de l’époque coloniale B nos jours, dans le cadre de changements politiques et/ou climatiques. Ces évolutions ayant déjà été maintes fois décrites (cf. notamment Gallais 1967, 1980, 1984 ; Kintz er al. 1992 ; Legrosse 1997), on les résumera ici brièvement.

Des chefs de village tendent iì s’approprier familialement les haarima ; des chefs de canton (souvent issus, dans cette région, des anciennes familles dominantes de la Diina) font des beit-el leur propriété person- nelle et usurpent les droits de jowro affaiblis. Ces chefs de canton, deve- nus la plus haute autorité ~recouvrante>> du leydi, récupèrent par ailleurs une bonne partie des conngi. Profitant de l’essaimage lignager et de l’al- tération des formes familiales, des jowro plus puissants pcrsonnalisent au contraire les droits sur le bourgou ((dans un sens latifundiaire D (Gallais 1980). Dans le cadre d’une forte inonétarisation des secteurs de produc- tion, IC conngi prend progrcssivemenl la forme de somincs d’argent importantes, tout comme d’aillcrrrs les (( compensations traditionnelles D de la zone telles que le manga-.ji ou In compensation versée pour le prêt d’une parcelle.

Parallèlement, l’importance dcs troupeaux pénétrant dans le Delta s’accroît, du double fait de l’apparition de nouveaux éleveurs (commer- çants de bétail, commerçants en général, autres groupes ethniques thé- saurisant sous cettc forme dans une période d’enrichissement ... fonction- naires d’État), ct de la présence d’un plus grand nombre de troupeaux étrangers 12. Les dates et la durée de séjour de la transhumance deltaïque se modifient, d’abord pour évitcr la zone de l’Office du Niger, puis pour entrer plus tôt dans le bourgou du fait de la concurrence. Les vagues de sécheresse accentueront évidemnient cette ((concurrence aiguE pour l’es- pace>> (ibid.) ainsi que la surcharge relative des pâturages. Elles affecte- ront également, de plusieurs points de vue, l’articulation entre élevage et

12. On peut se demander actuellement si la plupart des troupeaux n’appartiennent pas B des non-pasteurs. L’importance des troupeaux étrangers est d’ahord illustrée par les conflits importants entre Peuls et Touaregs ; mais l’arrivée de nombreux troupeaux xenon- ka& (extérieurs au Maasina) pose également de graves problèmes de préséance et de perception des compensations.

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PASTORALISME, DÉMOCRATIE ET DÉCENTRALISATION . 123

agriculture. D’une part (ne serait-ce que pour des raisons démogra- phiques), la surface des champs cultivés s’accroît et l’agriculture (parti- culièrement la riziculture pluvio-fluviale) doit faire face à des pluies et à des crues insuffisantes, d’où la nécessité d’abandonner des terres mal im- guées et d’en investir de nouvelles ; la tentation est alors forte d’empiéter sur les chemins de transhumance (et les gîtes) I’. D’autre part, les trou- peaux qui rentrent de plus en plus précocement dans le bourgou (pour les raisons évoquées, auxquelles s’ajoutera plus récemment celle de I’insé- curité occasionnée par les <( rébellions D du nord) troublent fréquemment l’activité de récolte.

On ne peut se contenter, pour expliquer ces désordres, d’incriminer les modifications climatiques et le (< non-respect des traditions >>, auxquels on ajoute éventuellement Ia logique démographique. Cette <( interprétation- réflexe >>, qui fera fortune dans divers textes administratifs et d’expertise, est simpliste pour plusieurs raisons.

Premièrement, parce que la réglementation du pastoralisme et de l’ar- ticulation des différents secteurs de production effectuée par la Diina était faite pour un Maasina militairement (( tenu >> par les Peuls. C’est pourquoi les premiers problèmes graves posés par les troupeaux’ (( étrangers )) (en l’occurrence ceux des Touaregs) se manifestent logiquement après l’affaiblissement des Peuls du Maasina par les Toucouleurs. La recherche de pâturages par des éleveurs diversifiés et plus nombreux, dans le cadre de l’insertion du Maasina au sein d’un territoire national, devait naturel- lement poser des problèmes spécifiques.

Deuxièmement, parce que cette réglementation reflétait une domina- tion peule sur d’autres groupes ethnico-professionnels. C’est pourquoi la libtration coloniale des esclaves affecte déjà le statut des terres et ouvre la voie à des types nouveaux de transactions (Cissé, cité par Kintz et al. 1992). S’il est vrai que les modifications géo-climatiques peuvent provo- quer des empiétements productifs sur des territoires définis comme pas- toraux !“, la recherche de nouvelles terres non encore cultivées pose, même en dehors de tout espace pastoral, des problèmes d’appartenance oÙ se confrontent des droits réclamés ((par défaut n par d’anciens dominants peuls sur des territoires qu’ils dominaient globalement, et ceux de vil- lages formés de groupes divers 15. Sur un autre plan, l’apparition de nou-

13. En 1980, Jean Gallais note qu’ail n’est pas un hurto1 qui ne soit grignoté, inter- rompu, détourné par les rizières n. Salmana Cissé (cité in Kintz el al. 1992) remarque que ce sont généralement les cultivateurs les plus nantis qui tentent l’empiétement. On pourrait ajouter que c’est souvent au détriment des Peuls les moins puissants.

14. A ce titre, et comme le remarque Danièle Kintz (1 992), le Delta intérieur est un des rares lieux où l’espace pastoral est codifié et ne vient pas simplement ((en déduction )) des autres, et cette réalité est évitlemment liée i l’ancienne domination impériale par des pas- teurs.

15. Lorsque des cultivateurs venus du sud-Diaka demanden1 une terre plus au nord, ils peuvent ainsi être renvoyés aux autorités respectives d’un village bozo et d’un village

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veaux types d’tlevcurs liés à de nouvclles stratifications sociales et pro- fessionnelles régionales et nationales, si elle rcprtsente une << dés-ethnici- sation D relative de la profession, s’inscrit dans des phénomènes très ariciens de spécialisations-déspécialisatioiis qui ont donné naissance aux différcnts groupes dits (< cthniques >> (dont Ics Pculs) et n’est ni plus n i mnins Itgitimc que ccux-ci.

Troisièmement, parce que cette réglementation s’effectuait dans un cadre où le monde peul << noble-libre )) était lui-même dominé par une élite politico-militaro-religieuse qui opérait des redistributions de territoires pastoraux ou autres (ct de droits agricoles ou halieutiques donnés à des Peuls ou à des non-Peuls) en faveur de ses clients. Insistons à nouveau sur ce point : la << réglementation harmonieuse n que la Diina a fait de l’es- pace était tissée de codifications hiérarchisées de coups de force. Les contentieux ainsi ouverts ont été, pendant la colonisation, largemcnt gtrés par ccttc niêmc élile ayant accédé aux chefferies dc canton et qui mainte- nait ainsi (ou augmentait: voir les exemples d'ce abus >) donnés plus haut) sa domination politique, f o n c i h , et ses droits prédateurs I h , e n même temps quc la législation coloniale confirmait les droits coutumiers indivi- duels et collectifs et limitait le domaine de l’Érat à ce qui faisait l’objet d’un titre I’. Avec l’indépendance, conformément à la doinanialisation générale dcs rcssources naturclles, la proclaination de l’appartenance des pâturages au patrimoine national, et la supprcssion (de principe) des droits éminents sur la terre, l’herbe et I’e’au, crecnt une situation nouvelle et u n peu anomique. Cellc-ci est concrètement gCrCc au cai-rcfour des ancicnncs autorités iinptrialcs - les cantons sont suppriinés, mais Ics familles qui les dirigcaient demeurent un pouvoir (infra-) politique et économique -, de nouvelles forces socio-économiqucs émergentes et des représentants locaux de l’administration I‘. Sous les régimcs successifs - dictature mili- taire puis parti-unique (Union démocratique du peuple malien, UDPM)-,

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rirnaapnc cntre les deux territoircs approximatifs (si el puisque la terre n’a jamais été cul- tivde) dcsqucls elle se situe, et à u n lignage peul dont cette terre relevait (toujours sur un territoire (( approximatif ))) anciennement.

I G. Avec des coniradicrions intcrnes : la création des cantons et la détermination de leurs limires s’est faite avcc autant de tensions que celle des leydi <<traditionnels )>... comme par la suite cclle des cercles et arrondissements, et actuellcrnent celle des coni- miines rurales.

17. Pour des précisions concernant I’évolution de Ia juridiction foncière. cf. Gallais 1967, 1980. et Barrière 1995. .

18. Ccux-ci apparaissent en effet en partie comme le nouveau pouvoir ((recouvrant >>

(avec son pouvoir de légiférer et sa dimension prédatrice) les anciennes hiérarchies et n e peuvent exercer lcur fonction sans négocier avcc les pouvoirs qu’ils recouvrent. C’est pourquoi, même sous le régime socialiste, les tensions entrc administratcurs et (( féodaux n (sclon le langage de l'époque) n’cmpêchaient pas une relative coopdration (dc même qu’à u n autre nivcau Ics rclations enire Ics commcrçanis CI Ia hurcaucratic socialisle ne furent jamais rompus).

1 LJ )’Ab I UI<AI,IbML, Ij)bh’vlUCl<A 111: L I IJbLLIV 1 l</\Llb/\ 1 IVN

\ ZS et compte tenu de problèmes fonciers de plus en plus ((visibles D, va s’ef- fectuer une récupération progressive, parallèlement à la législation moderne, de certains éléments de la ((tradition),, ce qui crée un nouvel état des forces et des rapports de force autour du foncier IV. Enfin, la démo- cratie et la perspective de la décentralisation remodèlent encore ce rapport, au moins par l’anticipation qui est faite localement de leur réalité, comme on l’examinera dans la troisième partie. Les problèmes fonciers en géné- ral et pastoraux en particulier ne peuvent donc, on le voit, être examinés sans analyser les reformulations incessantes d’anciens contentieux, et les apparitions de contentieux nouveaux, qui surgissent à chacune des refor- mulations du jeu de pouvoirs qui les encadrent, dans u n contexte oÙ toutes les règles ont toujours été historiquement liées à des reformulations de ce tY Pe.

Quatrièmement, parce l’organisation de l’espace effectuée par la Diina, et mue par une volonté politique, s’effectue évidemment sur la base des spécificités pastorales, et n’est ni simple ni univoque, indépendamment même des modifications géo-climatiques. Jean Gallais (1 967) remarque que le leydi 2” peut être (< spatialement discontinu P pour des raisons sou- vent historiques et politiques. D’un autre point de vue, Pascal Legrosse (1997) note que la frontière des leyde, qui détermine aussi bien les droits prédataires sur les étrangers que les droits de pacage des c autochtones >>, n’est pas un bornage géométrique, mais procède plutôt d’un contrôle cen- tral approximativement établi à partir des gîtes2!. C’est pourquoi il y a a imprécision et flexibilité des frontières x (ibid. j. Caractéristiques du mifieu, modes d’exploitation et modes d’appropriation et de contrôle des territoires renvoient bien sûr l ’un ?I l’autre dans ce type d’imprécision : ce sont bien des gîtes que la Diina avait le plus souvent distribués à des

19. Réavivant la contradiction entrejowro ct anciens dignitaires de la Diina, comme on le verra. Pour leur palt, et dans tous les secteurs (cf. Fay 1994 pour la pêche), les admi- nistrateurs civils assureront généralement leur droit prédataire en concurrence avec les instances politiques lorsquc naîtra le parti unique UDPM. Ils le feront notamment en pre- nant des décisions floues et provisoires (ils sont régulièrement mutés et remplacés) orien- tées en fonction des rapports de force présents, ce qui offre la meilleure garantie du ((res- surgissementa futur du conflit. Ils y seront i !a fois poussés et aidés par les directives janusiennes désormais émises par l’appareil d’Etat central (faire régner le droit. se conci- lier la tradition, assurer la paix civile ... (ibid.).

20. Conçu comme l’ensemble Wuro (village peul central)-suré (village de captifs)- fiéhé (localité satellite implantée pour dcs raisons productives ou de surveillance)-bourgou.

21. Ce n’est ((pas une limite, un bomage d’un système clos [mais] la lisière de l’espace des pâtures dont l’exploitation se fait à partir des gîtes (propres à u n Ieydi) et de l’aire de contrôle des ressources par u n lignage. [c’est] la maîtrise des gîtes qui donneà son lignage propriétaire I’exclusivité des droits sur les pâturages auxquels ils donnent accts n. Cette logique ((en rayonnement n, aussi bicn que le caractère ((discontinu N des territoires, pour- raient etre particllement cornparCs aux logiques qui président a u x découpages des terri- toires halieutiqucs chez les Bozos (Fay 1994).

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groupes clients dépourvus de bourgou. C’est pourquoi, lors d’un conflit portant sur les priturages, on voit altemer dans les argumentaires des que- relles sans fin sur l’emplacement précis de lieux-marquages de limites (marigots, tertres exondés) et des invocations de droits historiques ancien- nement attribués, mais aussi de droits d’usages successivement dévolus entre groupes sur une base matrimonialc2*. Sur u n autre plan, il est bien évident que la formule générale de la complémentarité intersectorielle et interethnique : (<l’herbe pour les Peuls, la terre pour les Markas >> (ou les Bozos ou Sornonos ici ou Ià”) ne peut déterminer d’attributions précises sur chaque espace géographique et de pouvoir. Seules des relations déter- minées entre différents groupes déterminés - ou bien des décisions poli- tiques d’ordre supérieur - peuvent lu i donner u n contenu au fur et à mesure de I’évolution des peupleinents, de 1’ investissement des espaces disponibles et des palettes d’activités techniques. C’est d’autant plus vrai lorsque la correspondance réglée entre appartenance ethnique et activité sectorielle se relativise fortement. Si l’on considère le développement du petit élevage, des animaux de traits et dc la thésaurisation en bétail, d’une part, et la pratique (directe ou par le biais du salariat ou de diverses formes de métayage) agricole de beaucoup d’éleveurs, d’autre part, on peut considérer qu’actuellement <( tous les producteurs ruraux du Mali sont agropasteurs [...I. De la même façon qu’il y a peu d’éleveurs purs [...I il n’y a pas d’agriculteurs qui ne pratiquent aucun élevage>> 24 (Kintz el a/. 1992 : 35). Par- ailleurs, (( la production pastorale cornme le foncier pasto- ral sont en interaction constante avec l’agriculture et le foncier agricole >> (ihid. : 36) du point de vue de la vaine piiture, de la fumure des champs, de la répartition de l’espace et des investisscmcnts dconomiques croisés, ce qui donne lieu B u n véritable lacis d’accords particuliers sur les usages de l’espace2>. Dans lien des cas, ce qu’on baptise h2tivcment compétition

22. Dans le conflit - qui fui parl¡culitrcmcnt meurtrier en I994 : 29 morts. 35 blessés - entre les Peuls Soosoßc et Salsalße, on avait ainsi affaire à une vieille dépossession (jamais totalcmcnt inélaholisée) d’un groupe an profit d’un autre par la Diina, à des droits d’usage (réinterprétés) liés ?I une ancienne alliance matrimoniale entre les deux groupes, et h un empiètement sur l’ordre de préséance, rendu hypersensible par les conditions de la sécheresse, des dates d’entrée dans le bourgou déplacées et une herbe plus rare.

23. II n’y a pas que les Mirkas ou les Bambaras limitrophcs au Delta qui possédaient des finages indépendants: a u fil des rapports (le force historiques (à l’époque des arße ou à celle dc la Diina), des villages bozos ou somonos ou inalinkés se voient reconnaître i’au- lonomie de leur finage par les conquCrants peuls, et des a chefferies de terre )) très anciennes l’attestent en de nombreux lieux.

24. Kintz er al. 1992. Pour des constats de mênie type dans des zones proches, cf. également De Bruijn Rr Van Dijk 1995 (Haayre); De Bruijn e[ al. 1997 (pays dogon).

25. Juxtaposant souvent, comme on l’a tléj3 vu. plusieurs logiques. Par exemple, u n groupe peul ayant acquis u n territoire pendant la période impériale peut considérer comme légitime qu’une fraction innlinké qiii avait plus anciennement cultivé une cuvette sur ce territoire (ct l’avait abandonnée ullérieuremcnt) la remette en culture à l’occasion d’une faible inondation. Ce groupe peul reconnail ainsi un droit historique lié h une N mise en

\G entre agriculteurs et éleveurs renvoie à des compétitions entre fragments I23 peuls (ou entre un fragment peul et u n autre groupe) pour la captation de la rente agricole, voire à la décision d’un fragment peul de mettre lui- même e n culture une portion de bourgou 2h.

Enfin, cinquièmement, parce que l’organisation sociologique du moiide pastoral peul elle-même n’est pas non plus simple ni univoque. Des types divers de jowro peuvent exister depuis longtemps (Gallais 1967 ; Legrosse 1997), dotés de responsabilités spécifiques. Passées au crible des évolutions historiques, politiques et Cconomiques, ces positions aboutissent à des personnages très différents. Certains se sont créés de petits empires entre Diina et colonisation, qu’ils ont largement perpétués jusqu’à l’époque actuelle, d’autres (majoritaires) s’étant paupérisés à l’ex- treme ; certains contrôlent pratiquement seuls u n immense bourgou ou partagent le contrale, de façon formelle ou informelle, avec des (c sous- jowro >> (ce qui suscite toutes sortes de tensions dans l’exploitation fami- liale pastorale et les rapports avec les éleveurs étrangers et les agricul- teurs qui pénètrent le leydi), ou bien ont perdu la plus grande partie de leur territoire et voient ce qui en rcste envahi par d’autres fractions ou rongé par les champs, ou encore n e possèdent éventuellement plus de troupeaux propres, ou enfin sont purement et simplement reconvertis dans l’agriculture (Kintz et n/. 1992; Legrosse 1997). Quoi qu’il en soit, on peut, en utilisant sa qualité ou en usurpant celle d’un autre, trouver diverses motivations soit pour favoriser la présence des étrangers, pas- teurs ou agriculteurs, fournisseurs de rente, soit pour se crisper de façon défensive sur des droits anciens, soit pour gérer au mieux les différents revenus complémentaires possibles d’un espace pastoral politiquement fort.

Ainsi, i l s’avCre que les politiques des administrations nationales suc- cessives et de leurs représentants locaux ont largement contribué à obs- curcir les règles du jeu. A partir de 1969, les pouvoirs publics réunissent annuellement u n e <<Conférence des bourgoutières >> qui aspire à devenir l’instance supérieure de décision et de contrôle de la vie pastorale. Ces conférences reconnaissent progressivement, entre 1969 et 1977, l’ordre traditionnel d’entrée dans le bourgou, fixent un calendrier de pénétration pour les principaux lieux et proclament le respect des chemins, des gîtes el des haarima. Mais leurs recommandations ne sont pas suivies, et les pro- blèmes ne cessent de se multiplier malgré une tentative de réglementa- tion plus stricte à partir de 1987. Les jowro sont juridiquement niés depuis

culture n, mais considérera comme normal qu’on lui demande son autorisation (et éven- tuellement qu’on lui paye tribut) pour cultiver u n e autre portion de territoire, même si celle-ci ne se situe pas - ou plus - sur un burtol.

26. Un de nos informateurs remarquait à propos des conflits : ((Ce n’est pas un pro- blème entre Peuls et non-Peuls, c’est le problème d’hommes nouveaux sur une terre nou- velle. ))

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128 HORIZONS NOMADES EN AFRIQUE SAHl?I,IENNE

I’indépendancc. De graves affrontemcnts ( I 978- I98 1) promeuvent néan- moins I’iddc dc ]cur utilisation à dcs fins de pacification *’, ct ils apparais- sent à la Conférence dcs bourgoutièrcs au début des années 80 ; ils en dis- paraissent ensuitcjusqu’R la démocratie *n, mais ils constituent dc fait des interlocutcurs dc terrain pour I’administra~ion locale.

En même temps, une Commission nationale des bourgoutières est créée, qui, cntre 1987 et 1989, prcnd des décisions inspirées par la recon- naissance d‘un <<droit coutumier )> (différent du << droit d’usage>,), consa- crant des droits d’exploitation et de propriété de <<particuliers ou de col- lectivités en vertu de la coutume,) (Barrière 1995), mais i l n’est pas qucstion des jowro, et la détermination des unitCs conccrndes reste à pré- ciser administrativement par un rcccnsement dcs bourgoutières. Du com- bat contre les << féodaux >) aux jeux administratifs sur la complémentarité entre <<droit moderne>> et <<droit coutumier )> 29, le résultat le plus constant fut d’enrichir certains pôles de pouvoir locaux (t< traditionncls >> ou admi- nistratifs) en ddstabilisant le milieu.

Dans une soci&tC qui s’&tait construite selon u n e logique d’emboîte- ment-gigogne de pouvoirs successifs, correspondant à des hïérarchies éga- lenicnt emboîtées de droits fonciers et tributaires, l’incertitude concernant les nouvelles hiérarchies a particulièrement scmé la confusion. Lorsque la colonisation supprima Ics cantons, par excrnplc, le pouvoir des familles << niaraboutic~ucs >) de la Diina cn fu t bien silr affecté. Mais, outre que nombre d’entre clles sont devenucs des forces économiques, Icur pouvoir sc maintient sous cl’autrcs formes. D’unc part, ccs c< marabouts >> sont des médiatcurs quasi obligés :I l’occasion des tensions ou conflits paice qu’ils sont à l’origine des attributions de biens )) ct de droits et qu’ils e n gardent la ménioirc ainsi que celle de l’histoire du pcuplement régional, notam- ment sous forrnc de tal-ikhs”’. D’autie part, dans la logique locale, la

27. C’est l’époque oÙ I ’etat promeut l’idée d’unc. utilisation dcs formes traditionnelles de réglementation dans tous les secteurs ; pour Ia pêche, cf. Fay 1994.

28. On trouvera u n exposé très complet sur la succession des Confé.rences et des rkgle- mentations dans Barrière 1995.

29. Geil¡ F-Jesscling et Chcibanc Coulibaly (1991) notent àjuste titre que l’imprécision des concepis permet notainnient (( 1 ceux qui connaissenk le droit moderne préconisé dans les Lexies de s’approprier des terres “coutumières” au détriment des populations rurales )>

et que le résultat de ces incoliérences fut, coiilrairement au principe qui les inspirait, de désécuriser le monde rural. Coinine le,rcmarquait un de nos informateurs, N tantGt on nous dit “faites Ia coutume”. tant81 c‘est I’Etat qui dit %’est moi qui fais ça’””.

30. Dont ils maitrisent I’accEs, ct dont ils font éventucllement circuler des fragments recopiés au fil de l’tvolution des conflits et de la générosité des clemandcurs. Avec I’ins- tauration de l’administration terriioriak. CI des instnnccs politiques (UDPM), dans IC cadre d’un conflit les N adversaires de hasea, si l’on pcrit dire, ont ainsi afraire à plusieurs pon- voirs (d‘interprétation, de médiation ou de décision) qui s’emboîtent ou se superposent : les possesseurs dc tariklis, les chefs de village importants de la zone qui sont cri mesure d’at- tester (oralement cetle rois) du passE. les atlministraicurs et les rcpréscntants du Parti. 11 n’est pas rare d’ailleurs que toutcs ces instances soient réunies par l’administrateur lorsque la résolution d’un coriflii s’avère particulièrement arclue.

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PASTORALJSIVIE. DGMOCRATIE ET DÉCENTRALISATION 129

contradiction des différents droits ne peut être tranchée que par un pouvoir (ou le rappel d’un pouvoir) d’ordre supérieur. Dans les réunions de média- tion, on fait ainsi apparaître les hiérarchies anciennes fondatrices des droits pour départager les droits actuels, en tenant compte, bien sûr, des rapports de force. Mais la présence de l’administration coinme ((pouvoir recouvrant D parallèle fausse le débat, puisqu’on peut espérer ou craindre qu’elle sanctionne u n coup de forcc sur une base concussionnaire. Ajou- tons que les réinterprétations que permet la légitimation partielle, par l’ad- ministration, de la <( coutume >> ou du ‘< droit traditionnel >> obscurcissent encore la situation et créent parfois des situations franchement anomiques. I1 est clair, par exemple, que la plupart des droits concernant les terres ont ét6 distribués par la Diina en même temps que l’agriculture se généralisait (notamment pour payer la znkkhar). Ils l’ont été dans la limite du rcspect des territoires de pâture, eux-mêmes sanctionnés par la Diina ; les jowro peuls pouvaient pour leur part, au nom de leur droit sur <<les herbes),, empêcher la création de champs sur leurs burti (chemins de transhu- mance), mais ne légiféraient nullement sur la distribution des terres agraires, ni d’ailleurs sur l’installation et la distribution de concessions, qui relevaient des chefs dc village sous le patronage des marabouts ’ l .

Mais lorsque les jowro sont tacitement reconnus comme interlocuteurs par l’administration en tant que représentants << traditionnels n des ((éle- veurs peuls >>, ils peuvent aussi bien revendiquer des droits sur la << terre >)

qui se trouvc sous lcurs << herbcs D, et ce à des fins diverses. La même administration n’oublie pas par ailleurs le principe de domanialité (que l u i rappellent par exemple avec vigueur des agriculteurs en quête de terre) et peut être tentée, si le conflit s’éternise, de faire appel aussi aux anciens dominants pour éclaircir le problème. D’oÙ des imbroglios interminables, puisque des types de codification parfaitement antinomiques du rapport entre groupes et ressources sont utilisés non seulement parallèlement par des acteurs opposés, mais conjointement par l’instance supposée les dkpartager.

Examinons maintenant l’impact, sur cette réalité complexe, de la récente Démocratie et de la décentralisation en voie de réalisation.

Peul, producteur et citoyen

En mars 1991, u n e insurrection populaire relayée par une partie de l’armée a renversé le Président Moussa Traoré, arrivé au pouvoir à la faveur d’un putsch militaire en 1968. Un État de droit a vu le jour sous le

3 I . Soris réserve du droit qu’ils avaient O’installer leurs villages de captifs de culture saré.

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. .. , .. . . 470 y signe du mulripartismc. Un programinc clc c1éccntralisation a été lancé ci1

1995, destiné à instaurer une <(participation populaiie >> au développe- ment, à ((mieux encadrer la vie économiquc D cn (( allégeant les charges de I’Étatn (Primature 1996: 3, 3 3 , programme qui a abouti, fin 1996, à regrouper IO 752 villagcs en 682 cominuncs rurales. Des Clections devraient avoir lieu fin 1998 ou début 1999 pour doter ces communes d’une administration. 6tat dc droit et gestion communale constitucnt u n nouveau cadrc au sein duquel vont désormais se traiter tous les grands problèmes du pays, notamment l’organisation foncière.

Sur le plan politique, la nature de la démocratie a d’abord été très approximativement comprise par le monde rut al (Fay 1995a). Celui-ci percevait les partis politiques coinmc des fractions de pouvoir en lutte les uncs contre les autrcs et avait le sentiment général d’unc ((vacance du pouvoir,,, cn opposition 5 la définition localc du (<pouvoir recouvrant n qu’on a évoquée plus haut. Les administratcurs locaux cn particulicr hési- taient à prendre des décisions dans une période d’incertitude politique, et le renvoi des affaires à la justice occasionnait des retards, d’autant qu’il n’y a qu’un juge par cercle, ainsi qu’une montée en puissance de la concussion (ihid.) ct un durcisscment eles conflits. Après unc péliode de désenchantement paysan qui a suscité des conduites de désobCissance civilc (non-paiement dcs impôts, révoltes contre dcs agents administra- tifs), I’ktat s’est stabilisé et a donné des signes de force avcc, notamment, l’arrêt des rébellions, I C réencadrement fiscal et ... de bonnes pluies et crues. Examinons les conséquences de ces phénomènes qui sont repé- rables dans les inscriptions politiques rurales au Maasina (observées depuis 1992 et rCcemmcnt 5 l’occasion dcs Clections législatives de l’an- née 1997, d’ailleurs annulées, et de la préparation des élcctions munici- pales, prtvucs pour j u i n 1997, et finalement repoussées à novem- bre 1998).

Dans u n premier temps, l’ensemble des tensions existant dans le inonclc local s’cst spontanément projeté sur la palette des partis politiques régionalement présents. Les adversaires qui s’opposaient autour d’un enjeu important, quelle qu’en soit la nature (foncier, lutte pour la chefferie dc village, rivalité d’origine historique entre lignages ou villages issus d’une même souche ou cntrc ethnies, lutte d’influence entre propriétaires fonciers, bourgeoisie commerçante, nouveaux acteurs liés au développe- ment, intellectuels locaux, etc.) ont tendu à s’inscrire dans ou à voter pour des partis différents ‘*. Un observateur novice aurait pu reconstituer toutes les tensions existant dans la zone à partir de l’analyse des inscriptions politiqucs. Les partis ont généralement été choisis parce qu’ils avaient récupéré les chefs de file des réseaux de clientèle (d’échanges de plesta-

32. Ce sont des clien[èles lignagèrcs, c h i q u e s . villageoises ou sous-régionalcs enrièrcs qui voteni dans les faits, et non des individus.

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tions et de services) qui tissent la société malienne et relient le personnel d 3 2 ’ politique national aux dynamiques rurales (Fay 1994a).

Dans un second temps, le pouvoir semblant désormais établi, et le parti au pouvoir ayant fait d’excellents scores, une forte tendance à s’y rallier s’observe actuellement de la part des chefs de réseaux susmcntionnés et, partant, d e leurs clientèles. Les clientèles opposées tendent donc à y ins- taurer spontanément des tendances, comme elles le faisaient auparavant dans le parti unique de l’ancien régime.

La décentralisation a pour sa part déclenché les passions en milieu rural parce que, précisément, elle était directement liée au foncier. I1 s’agissait de constituer des ((ensembles humains solidaires dans la réali- sation d’objectifs cominuns de développement et de bien-être social >>, << sur la base du volontariat et du libre choix >> (Primature I996 : 1 1). L‘idéo- logie de la dtccntralisation est largement <<communautaire n ”: les com- munes rurales devront intégrer << toutes les formes communautaires de développement social à I’échelle du village,, et les ((dépasser v en inté- grant des <<formes modernes de démocratie représentative et élective n (ikid. : 11-12). Sur le plan de la gestion foncière, on parle d’une <<mise e n commun >> des restsources qui devrait permcttre de ((rendre caducs >) les conflits existants.

Les traductions en peul des messages de sensibilisation destinés au Maasina disent, plus radicalement, que les membres des communes rurales <<formeront un même lignage n, qu’ils (<auront un même nombril v et qu’ils ((mangeront ensemble les biens communs >>, notamment << avec les étrangers qui sont venus s’installe? parmi nous >) (Radio-FM-Mopti, courant 1997). Ces messages sont évidemment propres à entretenir, selon le point de vue, rêves ou fureurs, et pour tous finalement une grande inquiétudc, parce qu’ils font de l’enjeu communal celui d’un bouleverse- ment total possible.

L‘inquiétude des <<autochtones )> est d’autant plus forte que, si les uni- tés administratives opéraient déjà des découpages indifférents à l’ordre des propriétés, ce qui, comme on 1Ia vu, posait problème, les administra- teurs, s’il était avér6 qu’il fallait leur (( donner à mangern, ne prétendaient pas s’approprier les biens. Or cela risque (dans la représentation locale) d’être le cas des futurs maircs. Ceux-ci, dc plus, ne représenteront pas un pouvoir ((recouvrant )> de l’extérieur les inaitrises paysannes et créant de l’ordre moyennant tribut, ce qu’&aient les impériaux d’autrefois, mais une des composantes du monde paysan avec ses intérêts propres, internes au système, ce qui accroît la peur de leur capacité d’arbitraire. Parfois, des unités cominunales correspondant mieux aux unités réelles de ges-

33. Sur l’utilisation de l’idéologie (< cotiiniunautaire )> par le régime précédent, en conjonction avec des représenlations (( impériales x récupérées des empires. cf. Bagayogo 1987.

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132 IIOR17.0NS NOMADES EN A17RIQUE SAIIfiI,IENNE PASTORALISME, D ~ M O C R A T I E ET D~CENTRAI,ISATION I33

tion des biens ont été constituées, mais ce n’est pas Loujours possible ’O et, même alors, dcmeurc enticr le problème de l’attribution et de la nature du pouvoir communal sur Ics biens, qu’aucun tcxfc ne précise encore.

Les stratégics lides 5 la misc ci1 place des communes ont généralement reflété tous les intérêts en présence, déjà meniionnés dans l’évocation des ralliements politiques (un des enjeux dc ces ralliements, non mentionné plus haut, fu t d’ailleurs la promesse politique de favoriser la mise sur pied de telle ou t e k commune ct la promotion de tel ou tel maire). Des unités de pouvoir (et de gcstion foncière) datant de differentes époques ont tenté de se reconstituer sous forme communale : souvent des cantons, corres- pondant approximativement à des unités créées sous les arße ou la Diina, mais aussi des chefferies antérieures aux empires réunissant plusieurs vil- lages, ou, à l’inverse, des villages forinant une ZAER (zone d’animation et d’expansion rurale, sous-unité administrative qui encadre les actions de développeineiit) lF.

Souvent, comme le remarquait u n de nos informateurs, (con a réveillé toutes les haines qui dormaient D et souvent également, devant l’impossi- bilité de s’entcndrc, on s’est finalement rabattu sur l’unité administrativë (I’arrondissemeiit) proposée en désespoir de cause par l’administrateur. Comme on l’a déjà vu pour le ralliement aux partis politiques, u n des grands enjeux était de nc pas se trouver dans la niêmc commune que ses ennemis, à moins d’y être dominant (et c’est alors cux qui ne le souhai- taient pas), ce qui donne à certaines communes u n tracé gdométriquement surréaliste, et explique sans doute en partie pourquoi Ics communes sont beaucoup plus nombreuses qu’initialement prévu.

En ce qui concerne la gestion institutionnelle de l’élevage, IC Sémi- naire national sur Ics bourgoutiCies (août 1993) rccominandait dans ses conclusions finales I’élaboration d’un code pastoral ainsi que la prise en compte de I’importancc dcs jowro, leurs droits de gestion devant être pré- servés sous condition d’une (( moralisation )> de leurs fonctions (ßarrière 1995). La Conférencc régionale qui a suivi (novembre 1994 : elle ne s’était pas tenue depuis le changement de régime) voit des jowro effectuer leur réapparition, et va dans le meme sens en se situant dans la perspective de la décentralisation : respecter les règlcments traditionnels, empêcher les dultures S L I ~ parcours mais aussi les dégâts dans les champs, mettre f in aux vols de bétail (qui constituent un véritable fléau depuis plusieurs

34. Pour donner u n seul exemple. l’herbe <<des Jallufle n s’étendait sur trois cercles ; elle va désormais s’inscrire dans six h huit comiiiuncs.

35. Dans I’liésitation entre coininunc rurale et coniinune urbaine peuvent aussi s’op- poser les intérêts d’une bourgeoisie d‘assise impérial’e. désireuse de conserver <( ses cain- pagnes )) pour des raisons tributaires, et ceux d’une nouvclle couclie de coinnierçants urbains souliaitarit se ressener Cconomiquenient sur la ville. Par ailleurs, grands et petits lettrés des campagnes croient voir leur hcure venue pour occuper des ro tdons commu- nales et mènent leurs stratégies propres.

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années), régler harmonicusement les problèmes de succession à la charge du jowro, accélérer les procédures judiciaires. La Conférence recom- mande aussi la constitution d’une association des jowro.

La tonalité iddologique des interventions se situe curieusement entre unc référence aux réglementations (< traditionnelles D de la Diina, dans l’idée, en vogue dans le contexte de la décentralisation, de ((régler les problèmes en famille D, et une demande de réglementations juridiques plus strictes. Catherine et Olivier Barrière (1995) notent que beaucoup de jowro sont pessimistes, considérant que Ics recommandations des diverses conférences sont rarement respectées, les calendriers de traversée régu- lièrement transgressés et les taxes levées par I’État régulièrement détour- nées.

Depuis quelques années s’est constituée une association de promotion de la culture peule (Tubitnlpullunkr~, qu’on pourrait traduirc par ((Renais- sance peule )>), regroupant les tenants du << monde peul >> au sens le plus général du terme (gommant les différences de statut internes au monde peul et y intégrant les <<peulisCs >) des derniers siècles, les intellectuels bozos par exe~nple‘~). Une association des jowro tente pour sa part de voir le jour depuis 1993, mais la naissance est difficile: les tenants de cette association hésitèrent d’abord entre une association indépendante et la création d’une commission interne à Tubifal Prtllnokri (certains voyant d’un mauvais ceil l’assignation identitaire peule <<homogène >> compro- mise par un regroupement de propriétaires fonciers). L‘association t int finalement ses assises de façon indépendante, mais une scission eu t rapi- dement lieu entre deux clans représentant deux regroupements de jowro de bourgous différents. Les problèmes qui se sont posés étaient liés, d’une part, à la difficulté pour lesjowro de se subordonner les uns aux autres (un des problèmes que l’association voulait rdsoudre était justement la péren- nisation des préséances de transhumance) et l’existence de tensions anciennes, d’autre part, à la très grande variété, évoquée plus haut, de sta- tuts et de droits que recouvre, selon le lieu, la fonction de jowro. Des modalités de réconciliation semblaient se dessiner récemment, mais un nouveau problème s’est posé, celui de l’enregistrement légal de l’asso- ciation, les iristances régionales officielles considérant que certains des noms proposés au bureau ne correspondaient pas à de véritables jowro.

Les difficultés qui affcctent le fonctionnement politique, la mise en place de la déccntralisation, la gestion foncière et la vie des associations mentionnées renvoient finalement toutes à une juxtaposition de catégo-

36. Cette association se situe donc au carrefour de la défense d’une culture infériorisée (Ia langue peule est de moins en moins parlee, même dans la capitale régionale de Mopti), de Ia promotion d’une identité régionale unitaire dans le cadre de la décentralisation. d’une récupération <<dans le culturel )) du prestige historique peul par des intellectuels de groupes anciennement dominés, ou. pour certains peut-être, d’une légitimation idéologique de la . lutte pour la conservation de leur statut.

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134 IIORIZONS NOMADES EN AFRIQUE S A I I ~ L I E N N E PASTORALISME, DÉMOCRAIIE ET DÉCENI‘RALISATION 135

ries sociologiqucincrit et liistoriquement hétérogènes et 5 l’attente d’une redéfinition du pouvoir légitime, c’est-h-dirc de la catégorisation légitime. A une hiérarchic de droits fonciers et tributaires, remaniée et coiffée h chaque moment de l’histoire précoloniale par un pouvoir gverrier qui la refaisait fonctionner 2 son profit, a succédé, inaugurée par I’Etat colonial, la ronde de la coutume ct du droit. Mais ce qu’on appelle <<coutume,, ou <<tradition,, est en fait obtenu en isolant des codes (de plus, divers) qui étaient liés à des pouvoirs et 5 dcs stratifications passées, d’où l’impossi- bilité fonctionnelle de préciser leur contenu.

Concernant le foncier pastoral, on a montré que l’invocation des codes de la Diina est en soi parfaitement anachronique, ce qui ne veut pas dire qu’il faut nier en bloc toutes les gestions concrètes qui en découlent, comme le remarquait dé$ Jcan Gallais en 1980. Vouloir codifier à partir d’une perspective qui prétcnd concilier les droits du jowro <<traditionnel >> (en ignorant l’énorme variété des positions actuellement recouvertes par ce terme, et des chaînes de pouvoir dans lesquelles elles s’insèrent), du producteur pastoral ou agropastoral << en général >) (toutes les (< proprié- tés D se sont construites, on l’a vu, <<de l’autre côté>> de la production), et du Peul <ten général D (réalité qui ne recouvre strictemenf aucune des deux autres et est actuellement remaniée stratégiquement par une partie des intéressés), e t ce au nom du droit égal des citoyens, est une gageure.

C’est aussi une gageure dc définir, dans le cadre d’un foncier plus conflictuel que jamais, la gestion communale du foncier comme une affaire <<de lignage N ”, ou de redéfinir en termes de démocratie élective des réseaux verticaux 5omplexes de clientèles. Reste que l’histoire est contradictoirc et que 1’Etat doit prendre en charge ces contradictions, sa vocation étant de Ics réorientcr en foiiclioii de sa conception du socius, ce qui finalcment n’est pas si différent des tâches N traditionnellement,, dévolues au pouvoir impérial-guerrier. Encore faut-il pour cela savoir (ce qui était plus simple pour une chefferie tributaire) au nom de quels prin- cipes on rentre dans les contradictions pour les mcttre en mouvement - et non s’y laisscr prendre -, c’est-%-dire,,sans doute, rompre avec des confu- sions idéologiques inaugurées par I’Etat colonial, et reprises depuis par des intérêts très divers.

. 37. Il,n’es[ pas é!onnail[ que, dans le cadre de ces contradictions, u n e partie de I’ap-

,parcil d’Ecat actuel soit fasciné par u n prophétislnc scripturaire. le mouvement Nko (Amscllc 1996). qui prcnd unc foonc chico-polifiquc en pt‘éscntarit I a dtccntralisnlion coinmc la forme aclicvte d’une culturc politique mandinguc don[ on voit les prémisses dans ... I’Empirc du Mali. *

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136 HORlZONS NOMADES EN AFRIQUE SANÉLIENNE

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Décentralisation et developpement dans le Delta intérieur du Niger

(Mopti, République du Mali)

Salmana

Au Mali, le processus de décentralisation a connu deux phases. L mière, pendant la deuxième République, relève davantage de la gande politique que d’un programme de conception et de mise en I du transfert de certaines compétences politiques, administratives e noniiques des pouvoirs dirigeants aux populations. A bien décrypl slogans, cette propagande politique visait beaucoup plus une décc tration au niveau des organes dirigeants qu’une véritable responsal tion des populations sur lesquelles on se déchargerait d’un farde développement devenu trop encombrant.

La deuxième phase a bruyamment démarré avec la troisième blique. Un certain idéalisme, sous-tendu par une attitude plus ou volontariste de I’État, a donné lieu, sur le plan pratique, au b a l k cadre institutionnel en vue de la mise en place de la décentralisatior et décrets ont vu le jour pour permettre et légaliser le transfert e d’une partie du pouvoir aux populations rurales organisées en comn

Avant d’en arriver là, plusieurs étapes ont été franchies en fonct l’environnement social, économique, technique et politique. De nom tâtonnements en matière de participation des populations consic comme bénéficiaires des interventions extérieures, en matière de g des terroirs villageois et de démocratisation de la vie publique, ainsi reconnaissance de facto de l’existence d’un foncier rural, etc., or cédé l’engagement politique actuel en faveur d’une responsabilisatil populations - rurales et urbaines - quant à la gestion de leur deveni dans le cadre de communes dotées d’un pouvoir de décision.

Cependant, les rapports exacts entre ces nouvelles communes à c Irr c-mlrrrln-llit6s lit- Snnt n2q rlairrment rlPfinir Facr 5 cet enjeu pri -

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SOUS LA DIRECTION DE

André Bourgeot

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Sociétés, développement et démocratie

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-1YART (CERI-CNRS)

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SOUS LA D I N C T I O N DE André 3ourgeot

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Éditions KARTHALA 22-24, boulevard Arago

75013 PARIS

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Table des matSres

. . ............................................. Comité scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .:. 4

Remerciements .......................................................................... 5

Avant-propos ............................................................................. 7

Thèmes proposés ....................................................................... 9

Introduction, par André Bourgeot ................................................ 11

PREMIÈRE PARTIE

DI~MOCRATIE, DI~CENTRALISATION ET POUVOIRS LOCAUX

1. Riimayk, Tjari+n, lklan : les damnés de la terre, le dévelop- pement et la démocratie, par Roger Botte .............................. 55

2. Crise identitaire ou stratégie de positionnement politique en iMauritanie. Le cas des Fulbe Aynaabe, par Ibrahima Abou Sal1 79

3. De la nomadisation des noms propres. État civil et <<démo- cratie >> en Mauritanie, par Abdel Wedoud ould Cheikh . . . . . . . . . .

4. Pastoralisme, démocratie et décentralisation a u Maasina (Mali), par Claude Fay .........................................................

5. Décentralisation et développement dans le Delta intérieur du Niger (Mopti, République du Mali), par Salmana C i n é

6. Histoire, pouvoirs, pâture forestière et droits d’un groupe peul Badinkoo& (Mali), par Frédéric Le Marcis . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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137

6 E ...

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7. De la chefferie administrative à la parasouveraineté régio-

8. Enjeux sanitaires en milieu touareg et mercantilisme occi-

nale, par Georg Klute .............................................................

dental, par Jacques Hureiki . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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