loup et pastoralisme dans les alpes françaises : état des

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Introduction Un premier programme européen Life Nature a été financé à hau- teur de 8 MF (1,22 M ) par l’Union européenne pour la période 1997 à 1999. Ce premier programme a permis d’assurer le suivi de la popula- tion de loups déjà installée dans le massif du Mercantour et d’accompagner l’expansion de l’espèce dans l’arc alpin. Une évaluation des mesures de protection des troupeaux domestiques a été proposée et mise en place avec des résultats probants dans le territoire du Mercantour (POULLE et al., 2000). Depuis 1998, le loup est également présent de façon permanente dans les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, l’Isère et la Savoie, et depuis 1999 dans la Drôme. Les investigations sur les mesures de prévention menées par les techniciens pastoraux dans les secteurs des Alpes du sud durant le premier programme Life ont apporté un certain nombre d’enseignements ; il convient, dans un contexte nord-alpin comportant des systèmes pastoraux différents, de les mettre en pratique en proposant aux éleveurs, quand cela est pos- sible, une mise en place de la prévention assortie d’un suivi et de l’évaluation de son efficacité. En 1999, à la demande du ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, un second programme Life a été cofinancé par l’Etat français et l’Union européenne pour un montant total de 18,6 MF (2,4 M ). Ce second programme a pour objectif d’accompagner la pro- gression du loup, notamment par des mesures diminuant l’impact de la prédation sur les troupeaux et sur l’économie des exploitations, et en favorisant son acceptation sociale. L’autre objectif de ce programme consiste à élaborer une stratégie nationale de la gestion du loup en France en concertation avec l’ensemble des partenaires concernés. 31 Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des lieux et perspectives de résolution d’un conflit par Florent FAVIER Depuis 1992, date du retour du Loup en France, dans les Alpes, de nombreuses dispositions ont été prises en matière de suivi des populations, de mise en place et d’évaluation des mesures de protection des troupeaux domestiques et des systèmes de compensation des dommages. Mais les conflits restent latents entre partisans du retour du Loup et éleveurs. Cet article fait le point sur la situation et révèle toute la difficulté de la concertation lorsqu’elle se déroule dans un climat passionnel. t. XXIII, n° 1, juin 2002

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Page 1: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

Introduction

Un premier programme européen Life Nature a été financé à hau-teur de 8 MF (1,22 M €) par l’Union européenne pour la période 1997 à1999. Ce premier programme a permis d’assurer le suivi de la popula-tion de loups déjà installée dans le massif du Mercantour etd’accompagner l’expansion de l’espèce dans l’arc alpin. Une évaluationdes mesures de protection des troupeaux domestiques a été proposée etmise en place avec des résultats probants dans le territoire duMercantour (POULLE et al., 2000).Depuis 1998, le loup est également présent de façon permanente

dans les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, l’Isère et laSavoie, et depuis 1999 dans la Drôme. Les investigations sur lesmesures de prévention menées par les techniciens pastoraux dans lessecteurs des Alpes du sud durant le premier programme Life ontapporté un certain nombre d’enseignements ; il convient, dans uncontexte nord-alpin comportant des systèmes pastoraux différents, deles mettre en pratique en proposant aux éleveurs, quand cela est pos-sible, une mise en place de la prévention assortie d’un suivi et del’évaluation de son efficacité.En 1999, à la demande du ministère de l’aménagement du territoire

et de l’environnement, un second programme Life a été cofinancé parl’Etat français et l’Union européenne pour un montant total de 18,6 MF(2,4 M €). Ce second programme a pour objectif d’accompagner la pro-gression du loup, notamment par des mesures diminuant l’impact de laprédation sur les troupeaux et sur l’économie des exploitations, et enfavorisant son acceptation sociale. L’autre objectif de ce programmeconsiste à élaborer une stratégie nationale de la gestion du loup enFrance en concertation avec l’ensemble des partenaires concernés.

31

Loup et pastoralismedans les Alpes françaises :

état des lieux et perspectivesde résolution d’un conflit

par Florent FAVIER

Depuis 1992, date du retour duLoup en France, dans les Alpes,de nombreuses dispositions ont

été prises en matière de suivides populations, de mise en place

et d’évaluation des mesuresde protection des troupeauxdomestiques et des systèmes

de compensation des dommages.Mais les conflits restent latents

entre partisans du retour du Loupet éleveurs.

Cet article fait le pointsur la situation et révèle toutela difficulté de la concertation

lorsqu’elle se dérouledans un climat passionnel.

t. XXIII, n° 1, juin 2002

Page 2: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

Ainsi, les actions mises en œuvre pourrépondre à ces objectifs sont les suivantes :- surveiller l’expansion de l’espèce par

l’animation d’un réseau de correspondantsqui récolte les indices de présence et certifierles nouveaux secteurs, notamment par l’outilgénétique,- évaluer l’exploitation des ressources ali-

mentaires sur l’ensemble des zones de pré-sence permanente du loup par le suivi desmeutes et le suivi individuel,- assurer un système de compensation des

dommages dans les nouvelles zones de pré-sence,- évaluer la faisabilité et mettre en place

des mesures de prévention en fonction desdifférents systèmes pastoraux rencontrésdans les régions alpines et préalpines,- bâtir un programme de communication

sur les actions réalisées au travers de la pro-blématique loup par la diffusion de supportsd’information.

Le loup en FranceHistoriqueLa disparition du loup en France au début

du XXe siècle, au vu des incessantes tenta-tives d’éradication et de la forte volonté natio-nale qui soutenait cet objectif, semblait iné-luctable : forte ruralité, raréfaction du gibiersauvage, développement de l’élevage ovin,incitation et motivation économique à lachasse aux loups... Pour des raisons diamé-tralement opposées, le retour naturel du loupsemblait tout aussi inévitable à la fin du XXe

siècle : déprise agricole, désertification desespaces ruraux, reconquête des espaces natu-rels par la végétation, abondance du gibier,protection intégrale de certains secteurs (parcnationaux), évolution de l’opinion publique(ORSINI, 1996). Les recherches scientifiquesont en effet apporté une meilleure connais-sance de l’espèce, ce qui a favorisé une largeadhésion à la présence du prédateur etl’amélioration de son image auprès du public(Sondage de la Sofres, 1995).Depuis 1992, date des premières observa-

tions d’individus dans le Mercantour, l’étudede l’évolution du nombre de loups présents enFrance et de leur répartition géographiquen’a cessé d’être une priorité : elle est néces-saire pour la gestion de l’espèce (tant sur leplan biologique que pour les indemnisationset la prévention des attaques). Cette étudepermet également de répondre aux rumeursconcernant sa réintroduction, en démontrantformellement que les individus présents enFrance proviennent d'Italie. Ce suivi del’évolution de la répartition des loups a néces-sité l’instauration d’une structure techniqueactuellement opérationnelle sur huit départe-ments 1 : le “ Réseau loup ”. Ce réseauregroupe environ de 450 agents de terrain,appelés “ correspondants ”, qui, par leur mis-sion (agents de parcs, de l’ONCFS, del’ONF 2, de la gendarmerie nationale...), leurmétier (accompagnateurs en montagne,guides, professionnels de l’élevage…) ou leursloisirs (chasseurs, randonneurs, natura-listes), assurent le recueil de tout indicepotentiel de présence du loup (traces, crottes,urines, restes de proies…). L’animation tech-nique et la synthèse des informationsrecueillies sont assurées en continu auniveau national par le personnel spécifiquedu programme Life : le vétérinaire pour lesdommages et le biologiste pour les indices. Lasynthèse des données permet de mettre àjour chaque année une carte de présence del’espèce dans les Alpes (Cf. Fig. 1).

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1 - Les Alpes-Maritimes,les Hautes-Alpes,

les Alpes de Haute-Provence, la Drôme,la Savoie, la Haute-

Savoie, l’Isère et le Var.2 - Office national

de la chasseet de la faune sauvage –

Office national des forêts

Fig. 1 (ci-dessous) :Distribution des zones

de présence permanentede loups sur l’arc alpin

français estimée à la finde l’hiver 2000-2001

par le "Réseau loup".

Page 3: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

Statut actuelde la population de loupsLes études menées ont ainsi permis

d’estimer le nombre minimum de loups pré-sents en France (Cf. Fig. 1). Cette estimationse fait en hiver, quand les conditionsd’enneigement permettent de dénombrer lestraces faites par des individus différents.L’hiver 2000-2001, s’il ne montre aucune

augmentation du nombre de loups, met enlumière une expansion territoriale toujoursactive (DUCHAMP & LEQUETTE, 2001). Ainsi,le nombre d’individus présents en France,estimé à l’issue de la campagne hivernale2000-2001, est constitué d’un minimum de24 à 26 loups (contre 26 à 29 pour l’hiver1999-2000). Il serait hâtif d’en conclure àune ébauche de stagnation du nombre demeutes et des effectifs les constituant, carelle n’est statistiquement pas significative àl’échelle de l’arc alpin : d’un point de vuedémographique la population de loup enFrance est restée, depuis 1992, dans saphase d’expansion (soit un facteur multipli-catif du nombre de meute de 1,36 par an). Ilfaut noter cependant un fort effet régional,puisque aucune nouvelle meute ne s’est ins-tallée dans le Mercantour depuis 3 ans, lesespaces vacants disponibles étant de plus enplus restreints dans ce massif.Les neuf zones de présence permanente

aujourd’hui identifiées (Cf. Fig. 1) occupentainsi une surface de 242 000 hectares surl’arc alpin français et cette surface est enconstante augmentation depuis 1993(DUCHAMP et al., 2001) (Cf. Fig. 2) corrélati-vement au nombre de zones de présence tem-poraire. Cette corrélation indique égalementun statut de colonisation toujours en action,notamment au nord du Mercantour. Leseffectifs minimums, basés sur la taille dugroupe estimée par le suivi des pistes dans laneige, sont donnés dans le tableau I.De plus, de nouvelles zones de présence

mises en évidence en 2001 (Vallée de laClarée, Haut Var et Ubaye) font l’objetd’incertitudes quant au statut de l’espèce cardes indices ne sont récoltés de façon récur-rente que depuis 2000. Le plateau deCanjuers, les Ecrins, le plateau d’Ambel(Vercors), ont été fréquentés au moins tem-porairement par le loup, mais aucun indicerécurrent ne vient documenter ces sites. Afind’établir les patrons démographiques du loupsur l’arc alpin, un recul minimum de troisannées consécutives est nécessaire pour vali-der des tendances, compte tenu de la

méthode de suivi retenue par le comité scien-tifique loup (DUCHAMP et al., 2001). Onestime qu'une zone est fréquentée demanière permanente quand on trouve desindices de présence durant trois hiversconsécutifs.

Dans la région méditerranéenne, la prévi-sion en matière de potentialité d’accueil duloup est difficilement vérifiable en l’absencede marquage individuel et du fait del’absence fréquente de neige en hiver : uneestimation de ces zones par un modèle depotentialité intégrant les facteurs environne-mentaux et la densité humaine comprend latotalité des Alpes-de-Haute-Provence, lamoitié nord du Var, le Luberon, la région duVentoux et le Sud-Ouest du Vercors (CORSIet al., 1998). La totalité de la côte méditerra-néenne apparaît peu favorable à la présencedu loup malgré une croissance continue deseffectifs d’ongulés sauvages dans ces régions,ce qui représente un facteur propice(MAILLARD, 1999).

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Fig. 2 (ci-dessus) :Variations temporellesdu nombre de zonesde présencepermanentes depuisl’arrivée du loupen France. Deux autreszones de présenceprésentent un statutincertain quantà l’établissementd’une nouvelle meutequi ne pourra êtreconfirmé qu’à l’issuedu prochain hiver.

Tab. I (ci-dessous) :Répartition des meuteset estimationdes effectifs minimumdans les airesde présence permanentepar le suivi des pistesdans la neige(Source des données :Réseau loup)

Massif Nombre de meutes Effectif minimum estimédurant l’hiver 2000 - 2001

Mercantour 4 (+1 transfrontalière) 14Monges 1 1Var Présence sporadique -Haut Var-Ubaye Statut incertain -Queyras 1 3 - 4Béal Traversier 1 3La Clarée Statut incertain -Belledonne 1 1 - 2Haute Maurienne Statut incertain -Vercors 1 2

Page 4: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

Le pastoralisme :dommages et préventionEvolution des dommagesDepuis le retour officiel du loup, les dom-

mages ont évolué au fur et à mesure que desmeutes se sont installées dans de nouveauxterritoires et que des individus sedéployaient dans des départements voisins àla recherche de zones d'installation (Cf. Fig.2). La prédation exercée par les loups, relati-vement forte en France, est principalementdue à une grande disponibilité d’ovins enpâture en comparaison avec le versant ita-lien des Alpes : en 2000, 1483 ovins etcaprins ont été indemnisés au titre du loup,c’est-à-dire quand sa responsabilité dans uneattaque ne pouvait pas être formellementexclue (RÉSEAU LOUP, 2001). En 2001,l’ensemble des compensations a concerné1830 ovins (ou caprins), sur 372 attaques,pour un montant de 2 068 667 F (315 366 €)(Cf. Fig. 3 pour l’évolution temporelle desdommages de 1993 à 2001). En comparaisonavec l’an 2000, le nombre d’attaques indem-nisées est sensiblement le même (371), pourun nombre de bêtes indemnisées légèrementsupérieur (Cf. L’Infoloups n°10, sous presse).Cette situation est aussi bien liée au sys-

tème pastoral français, qui est un systèmed’élevage ovin-viande extensif (dont cer-

taines caractéristiques peuvent s’avérer han-dicapantes dans le cas de prédations), qu’àl’adaptabilité du loup aux différentesméthodes de prévention (notamment unreport des attaques de jour face au regroupe-ment nocturne des troupeaux préconisé pourréduire les dommages) (Cf. article deLaurent Garde dans ce numéro).

Quant à vouloir faire la part des attaquesattribuables aux loups ou aux "chiens en étatde divagation", tels que défini par le coderural - le terme de " chien errant " ne s'appli-quant qu'à des animaux retournés à l'étatsauvage et n'ayant plus de propriétaires,qu'on trouve essentiellement dans le sud del'Italie ou au Maghreb (DIMANCHE et al.,2000) - il s’agit là d’un exercice qui, outrequ’il donne lieu à des polémiques, est diffici-lement réalisable : la disparité de collectedes informations entre les dégâts attri-buables aux loups et ceux concernant leschiens ne permet pas d’avoir des données ennombre suffisant pour être fiables et scienti-fiquement interprétables. En effet, la procé-dure qui permet d’attribuer l’origine desattaques au loup fait l’objet d’un recense-ment exhaustif au travers de constats dedommages systématiques sur déclaration del’éleveur. Par contre le recensement desdégâts dus aux chiens divagants ne peut êtreque partiel puisque basé sur d’éventuelsconstats de gendarmeries ou d’assurances,qui ne sont ni systématiques ni obligatoires,ou sur des enquêtes faisant appel à lamémoire des éleveurs. Certains s’avancent àcomparer le nombre de victimes dont sontresponsables les loups dans les Alpes et leschiens en France : les premiers ne sont res-ponsables que de 2 000 bêtes tuées quand leschiens le seraient de 15 000, 100 000, voire500 000 victimes (MAUZ, 2002) ! Les chiffresse télescopent et sont inutilement polé-miques : aucun recensement exhaustifn’existe. Il n’apparaît pas non plus sérieuxde comparer les dommages que font environtrente loups avec ceux que font des chiens,qui ne sont par ailleurs pas dénombrés, etsur une surface de territoire qui n’est pascomparable ! Le nombre de brebis présentessur les territoires d’observation est égale-ment un facteur déterminant dont il n’estjamais question dans ces comparaisons.Les différences que l’on peut cependant

observer dans les caractéristiques desattaques de chiens et de loups se manifes-tent principalement par le rapport dunombre de victimes sur le nombred’attaques : TROPINI (2001) relève en effet un

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Fig. 3 (cidessous) :Evolution temporelle

des dommagesoccasionnés

aux troupeauxdomestiques, ayant fait

l’objet d’une indemnisa-tion au titre du loup

(cas où la responsabilitédu loup n’a pu être

exclue)(Poulle et al., 2000).

Page 5: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

rapport en moyenne de 12,8 (±3,6) victimespar attaque de chien et de 2,8 (±0,3) victimespar attaque de loup. L’augmentation dunombre d'attaques, qui est proportionnel àl’augmentation de l'effectif d'une meute, estplus marquée lors du passage de 2 à 4 loupsque lors du passage de 6 à 8 loups dans unemeute (ESPUNO, 1998 pour un test sur unemeute du Mercantour). Le nombre de loupsn’explique cependant que 30% de la variabi-lité du nombre d’attaques par estive, 70%restant imprévisibles. La caractéristique desattaques de loup est qu’elles se concentrentsur une estive une année donnée et surd’autres estives l’année suivante. Des fac-teurs explicatifs, tels que la topographie del’alpage et l'évolution du mode de conduitedu troupeau au cours de l’estive, incluantune composante temporelle plus fine, sontactuellement en cours d’étude.La détermination du prédateur est une

étape importante puisqu’elle conditionnel’indemnisation des pertes subies parl’éleveur : le système de compensation actuelrepose sur l’établissement de constats systé-matiques. Étant donné la présence communedu lynx et du loup sur certains territoires, laprocédure a été harmonisée pour les deuxprédateurs et un formulaire unique deconstats existe depuis le 1er juillet 2000.Depuis cette date, l’expertise que réalise levétérinaire du programme Life, qui est prin-cipalement fondée sur les constats de dom-mages (origine de la mort, indices éven-tuels…) doit conduire à répondre auxquestions suivantes : la mortalité est-elledue à une prédation, à une autre cause ou àune origine indéterminée ? S’il s’agit d’uneprédation, peut-on écarter la responsabilitédu loup et / ou du lynx ? La décisiond’indemnisation, qui dépend en dernier res-sort de la Direction départementale del’agriculture et de la forêt (D.D.A.F.) dudépartement, est prise en fonction du constatet de la présence avérée ou non du loup surle secteur concerné. Elle autorise un recoursde la part de l’éleveur dont le dossier peutêtre réexaminé.

La protection des troupeauxLe système d'exploitation qui a cours dans

les Alpes et Préalpes françaises est un sys-tème mixte d'utilisation de parcours deproximité (inter-saison) et de transhumanceen alpages. On peut trouver des formes émi-nemment variables du nord au sud desAlpes, mais toutes ont un système commun

d'utilisation des ressources fourragères spon-tanées, ce qui est le principe d'un systèmeextensif.La déprise agricole a entraîné à la fois une

réduction du nombre d’éleveurs ovins et unaccroissement des effectifs de leurs trou-peaux, avec malgré tout une baisse relative-ment constante du nombre global de brebisen France. Suite à ces évolutions, les grandstroupeaux ont assuré à leurs propriétaires laviabilité économique de leurs exploitations ;quant aux troupeaux plus réduits (en des-sous de 800 têtes environ), ils l’ont trouvéeen mettant leurs brebis au pâturage sans yexercer une surveillance permanente,s’affranchissant ainsi du coût que représenteun berger, ou en regroupant leurs troupeauxde manière à permettre l’embauche d’un ber-ger. La surveillance du berger a été rempla-cée par l’utilisation de parcours clôturésdans les zones préalpines (par exemple dans

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Photo 1 (en haut) :Loups des Abbruzzes(Italie)Photo B. Lequette /PN Mercantour

Photo 2 :Constat de dommagedans le MercantourPhoto Poulle / LIFE

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les Monges, le Diois ou le Buech), et par unesurveillance occasionnelle effectuée par leséleveurs locaux eux-mêmes (comme c’est lecas dans les Alpes Maritimes) ou les éleveurspluriactifs (comme dans les Alpes du nord) :seuls les grands troupeaux de 1000 à 1500têtes offrent en effet une marge suffisantejustifiant l’emploi d’un berger salarié pour lasaison d’estive (LEGEARD, 2000). C’est égale-ment au dessus de 800 têtes environ que lanécessité de gestion d’un alpage se fait res-sentir, pour conduire les animaux dans lesdifférentes zones de pâtures. Sans présencehumaine, les brebis ne mangent que lesmeilleurs quartiers, y entraînant du surpâ-turage, et délaissent les zones peu appé-tantes : le sous-pâturage débouche rapide-ment sur un embroussaillement qui rendensuite les quartiers impropres au pâturage.Toutes ces évolutions, ajoutées aux carac-

téristiques de l’élevage ovin extensif, se sontrévélées être des facteurs limitants pour laprotection des animaux face à la prédation

du loup. Il a fallu inverser la tendance despratiques, notamment de garde des trou-peaux : le rôle prépondérant de la présencehumaine sur les unités pastorales confron-tées à la prédation est apparu rapidement.En parallèle aux mesures de protection pré-conisées, la politique d’amélioration des amé-nagements pastoraux s’est renforcée 3, per-mettant par exemple de remettre en état oud’installer des cabanes pastorales pour logerles bergers, mais aidant aussi à la réfectiondes pistes, des parcs de regroupement…Avec la réflexion entamée par le ministère del’agriculture sur les contrats territoriauxd’exploitation, c’est toute la politique agricolequi a commencé à être repensée. Le pastora-lisme n’y échappe pas, avec la contraintesupplémentaire que représente la présencedu loup… Les dommages causés aux éle-veurs, dans une telle dynamique, ne pou-vaient qu’être pris en charge par l’Etat, priseen charge s’étendant également aux mesuresde protection.

Cette nécessité de la protection des trou-peaux s’est imposée aux gestionnaires dèsles premières attaques. Les méthodes de pré-vention des dommages utilisées sans inter-ruption depuis des siècles par nos voisins ita-liens, portugais et espagnols, ou encore dansdes pays d’Europe de l’est ou d’Amérique dunord, ont montré la nécessité de sensibiliserles éleveurs à des pratiques pastorales inté-grant la prédation, par la mise en place demesures de protection. Elles étaient déjà uti-lisées en France contre l’ours et contre leloup avant sa disparition. Il s’agit du chiende protection, du regroupement nocturne destroupeaux, et d’une présence humaine pourleur mise en place et leur suivi : ce rôle duberger, de l’éleveur ou d’un aide-berger estun élément incontournable de la préventiondans la mesure où elle a besoin d’être penséeet organisée. Ces mesures de prévention ontfait ou font encore l’objet de nombreusesétudes dans le cadre du programme Life, à lafois pour expérimenter leur efficacité et cher-cher à l’améliorer.

Le rassemblement des troupeaux est régu-lièrement utilisé dans les pratiques pasto-rales. Dans une optique de prévention desattaques, le regroupement des animaux dansdes parcs mobiles électrifiés (soit des filets àmaillage de fils, soit des clôtures à 4 fils) res-treint le déplacement des brebis à une zonecirconscrite, limitant leur étalement en cou-chade libre pendant la nuit, et par là les pos-sibilités de prédation ; l’électrification desfilets peut être considérée comme un facteur

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3 - La loi pastorale de1972 (loi de modernisa-tion du pastoralisme) apermis à l’élevage ovin

de se structurer en auto-risant la création des

associations foncièrespastorales et les groupe-

ments pastoraux.

Photo 3 :Chien pastoudans un parc

de contention,Hautes Alpes

Photo F. Favier / LIFE

Page 7: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

secondaire pouvant repousser certaines ten-tatives d’approche ou de franchissement desparcs mobiles par les loups ou tout autre pré-dateur.La garde de nuit n’étant une solution ni en

termes d’efficacité ni en termes de conditionsde vie et de travail, la mise en place dechiens de protection dans les troupeaux est àce jour la solution la plus efficace qui ait ététrouvée pour faire échouer des tentatives deprédation nocturne. Sans que cette efficacitépuisse être garantie, cette mesure ayant desfacteurs limitants tel que la topographie, lecouvert forestier (ROUSSELOT et PITT, 1999),l’effectif des troupeaux et le niveaud’information de l’éleveur (DURAND, 2000), laprésence de chiens de protection présente uneffet de diminution significatif des attaques,surtout si la mesure est couplée avec leregroupement nocturne systématique(ESPUNO, 1998)Dans le cadre du programme LIFE, les

contraintes nouvelles imposées aux éleveurspar la mise en place de ces mesures sontprises en compte : la mise à disposition detrois à quatre mois d’aide-bergers dansl’année permet de soulager les bergers ou leséleveurs du surcroît de travail que peuvententraîner entre autres le déplacement fré-quents des parcs de contention ou le trans-port de la nourriture des chiens en alpage.La surcharge supplémentaire pour l’éleveur,évaluée au travers d’études menées dans lecadre du programme LIFE, n’étant effective-ment pas négligeable, le Ministère del’aménagement du territoire et del’environnement prévoit qu’à terme ce sur-croît de travail puisse être pris en compte autravers d’une indemnité compensatrice, dontle montant et le mode d’attribution sontactuellement à l’étude.D’autres moyens peuvent limiter la préda-

tion, comme c’est le cas quand certaineszones sensibles sur les unités pastorales sontaménagées (mise en place d’impluviumsquand les points d’eau sont situés dans deszones boisées ou escarpées, sécurisation debarres rocheuses représentant une fortemenace de dérochement, débroussaillages dezones ou passages buissonneux potentielle-ment dangereux, etc.). Cette déterminationdes zones dangereuses peut se faire au tra-vers de diagnostics pastoraux allégés inté-grant le risque de prédation, qui évaluent lesdifférents points de vulnérabilité d’une unitépastorale donnée, selon l’utilisation qui enest faite, en fonction de ses ressources et desdifférents aménagements existants. Ces ana-

lyses de la vulnérabilité des unités pasto-rales face à la prédation débouchent sur desrecommandations en termes de conduite detroupeau, de moyens de prévention etd’aménagements pastoraux structurants(voir GARDE, 2001).

Une nécessaire politiquede conciliationSituation de conflit :les blocagesDans un conflit, deux points de vues

s’affrontent dans une logique de “ tout ourien ” : esquisser une volonté de concessionest alors considéré comme une erreur fatale.De telles situations sont bien connues pourêtre difficiles à démêler à cause de la radica-lisation des positions. Pour y parvenir, il estimportant de chercher à cibler précisémentles différents points de blocage. Ils sont géné-ralement nombreux et peuvent parfois sem-bler provenir de situations tout à faitbénignes aux yeux de l’observateur exté-rieur, mais sur lesquelles des positions sesont cristallisées.Dans la “ problématique loup ”, le premier

point de blocage porte sur la légitimité mêmedu retour de l’espèce : les éleveurs maintien-nent que la présence du loup est totalementincompatible avec l’activité pastorale, dansla mesure où les moutons figurent parmi lesproies du prédateur. C’est un point de vuequi n’est pas dénué d’arguments, techniquescomme politiques 4. Mais il s’oppose fonda-mentalement à un autre point de vue, qui estcelui des protecteurs de la nature et qui esttout aussi fondé. Au-delà du strict respectdes lois, la nécessité de protection d’uneespèce telle que le loup se justifie en cequ’elle implique notre société à plusieursniveaux : politique (prise en compte desorientations décidées par le jeu démocra-tique), philosophique (importance de traitertoute les formes de vie animale et végétalecomme étant interdépendantes les unes desautres, et donc nécessaires au maintien d’unéquilibre indispensable à notre propre sur-vie), socioculturel (évolutions des chemine-ments culturels et sociaux en matièred’environnement et de protection de lanature) et scientifique (intérêt biologiqued’une chaîne alimentaire ininterrompue etde la présence d’un superprédateur).L’affrontement entre les deux points de vuesest d’autant plus difficile à dénouer que cha-

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4 - Il s’appuie notam-ment sur les conclusionsd’un rapportd’information parlemen-taire qui va dans ce sens(Honde et Chevallier,1999)

Page 8: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

cun est légitime : on ne peut pas défendre laposition d’une nouvelle éradication du loup,ni contraindre l’élevage ovin à abandonner lesystème extensif, ce qui serait contraire àl’exigence sociale d’une nourriture de qualitéet d’espaces naturels entretenus. L’obstacleessentiel vient, en fait, de ce que les deuxpositions sont défendues par de solides argu-ments, mais dans des logiques différentes.En effet, défendre un élevage traditionnel

que mettrait en péril le retour d’un grandprédateur sauvage serait assimilé par cer-tains à une dialectique conservatrice. Alorsque s’engager pour la protection d’espècescomme le loup ou l’ours serait pour d’autresl’expression d’une société urbaine progres-siste : coupée de ses racines campagnardes etpaysannes. Ces derniers n’auraient de lanature qu’une vision bucolique qui consiste àen faire un lieu où les nuisances citadinessont abolies et où le sauvage et le naturelrègneraient sans partage. On peut penserque si, ici, la confrontation des culturesrurales et urbaines s’exprime pleinement àpropos du loup, la relation qui les opposesouvent en ce qui concerne la chasse ou cer-taines pratiques agricoles pourrait être ana-lysée de la même manière. On assiste à un“ choc des cultures ” qui oppose deux visionsdifférentes de la nature : l’une qui y voit unespace où l’on vit et dont on vit, et l’autre quin’y voit qu’un espace de loisirs, où l’on se res-

source et se détend. Cette incompréhension,qui provient d’un manque de références com-munes entre ces deux cultures, se traduitrapidement en une polarité des sentiments :pour ou contre.Un autre point de blocage important vient

de la polémique résiduelle autour du retourdu loup : a-t-il été naturel, réintroduit, intro-duit, assisté, facilité...? Certains représen-tants de la profession agricole ont fait decette question le fondement de leur opposi-tion à la présence du prédateur. Il y a là unelogique qui, pour peu qu’on fasse l’effort de lacomprendre, se défend et s’inscrit dans lacontinuité des orientations des organisationsprofessionnelles agricoles (OPA) concernantles grands prédateurs (le loup et le mouton,présents tous deux sur le même alpage, sontincompatibles). Pourtant, grâce à la rigueurscientifique de divers biologistes qui ont tra-vaillé sur la question du retour du loup parl’Italie, ou sur les analyses génétiques desindices retrouvés dans les Alpes françaisesdepuis 1992-93, l’origine italienne de lapopulation de loups présente en France n’estpas contestable.Le cas du loup en France n’est pas isolé :

des pays dans lesquels une population degrands prédateurs a toujours existé (Italie,Espagne, Pologne, Croatie...), et où les effec-tifs des populations s’accroissent avec commeconséquence une colonisation naturelle denouveaux territoires, relèvent la même sus-picion des éleveurs, qui croient à des actes deréintroduction (BLANCO, OLANSKA, MAJIÆ,comm. pers. ; BATH, 2000).On voit que cette question de la réintro-

duction, si elle semble définitivement régléepour les protecteurs de la nature, est uneobjection récurrente dans le monde del’élevage qui ne doit pas être considéréecomme secondaire : l’importance qui lui estaccordée par les professionnels va bien au-delà de la simple modalité du retour des pré-dateurs. Qu’un tel animal, en un demi siècle,passe d’un statut de nuisible à celui d’espèceprotégée a aussi contribué à déconcerter lemilieu agricole. Paradoxalement, le loup nepeut pas être considéré comme étant un fac-teur naturel par de nombreux éleveurs,contrairement aux chiens divagants, parexemple, qu’ils appréhendent comme un évé-nement occasionnel mais intrinsèque à laforme d’élevage qu’ils pratiquent. La pré-sence continue du prédateur potentiel quereprésente le chien en état de divagation nepose pas les mêmes problèmes à l’éleveur ouau berger chargé de protéger le troupeau que

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Photo 4 :“Danger loups”

affiche d'opposantsau loup

dans le Mercantourau milieu des années 90

Page 9: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

la présence d’un loup : ils peuvent capturerles chiens quand ils se laissent approcher, ouse retourner juridiquement contre leurmaître quand c’est possible. La solutionultime qui consiste à abattre le chien est éga-lement envisageable dans la mesure où,contrairement au loup, il n’est pas uneespèce protégée.Existe-t-il des moyens qui permettraient

de sortir de ce conflit ? On peut se risquer àen évoquer deux. Le premier réside dans lamodération et la négociation : or chaque par-tie se fait souvent entendre par sesextrêmes, qui ne sont pas nécessairementreprésentatifs. Les échanges se bornent par-fois à des provocations qui radicalisent lespositions et vont à l’encontre d’un processusde négociation et de dialogue, pour lequel lamodération des parties est nécessaire. Lesecond débouché réside dans les “ accidents ”qui peuvent survenir dans de tels climats etqui peuvent aider à faire avancer des situa-tions bloquées en imposant un dialogueauparavant impossible, comme ce fut parexemple le cas lors de la mort de l’ourseMelba (MSIKA, 1997).Mais on se rend compte que si le premier

n'est pas facile à atteindre, le second n'estpas souhaitable : un accident n'est pasquelque chose qui se gère facilement et ilpeut avoir des effets ou prendre des propor-tions imprévus et opposés aux objectifs pour-suivis. En tout état de cause, la résolutiond'un conflit par un tel biais n'est jamaisrecherchée, c'est souvent une opportunitéqu'il convient de savoir saisir. Il reste donc,dans l'unique alternative que propose lasituation de conflit (escalade / dégradationou négociations), la voie du dialogue, verslaquelle il faut de toutes façons tendre, mal-gré les difficultés auxquelles il convient defaire face.Bien que le contexte ait fortement évolué

ces dernières années et que beaucoupd’éleveurs aient fait de réels effortsd’adaptation aux mesures de prévention, ilsemble que la conciliation ne soit pas encoreune évidence pour tous : la sensibilité desuns et des autres ne le permet pas toujours.

Les actionsDans une telle conjoncture, les informa-

tions peuvent soit être utilisées de manièrestratégique, soit servir d’outils de modéra-tion : c’est cette seconde optique qui s’estimposée, depuis le début du second pro-gramme LIFE et la mise en application d’un

plan d’information et de communication, auxministères chargés de la gestion de cette pro-blématique (agriculture et environnement).Mais les conditions dans lesquelles il seraitaisé d’informer de manière neutre ne sontpas réunies, car le préalable qu’est laconfiance manque aujourd’hui entre les diffé-rents protagonistes. Les premières appari-tions du loup en France ont en effet été mar-quées par une attitude de suspicion deséleveurs vis-à-vis de toute forme de commu-nication institutionnelle et officielle leconcernant, celle-ci étant à leurs yeux forcé-ment sujette à caution.

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Photo 5 (ci-contre) :Indices de loupsdans le Mercantour :sac de crottesPhoto Poulle / LIFE

Photo 6 (ci-dessous) :Suivi d'empreinte dans laneige, MercantourPhoto Poulle / LIFE

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Pour autant ne rien faire et ne rien dire,dans ces conditions, peut s’avérer plus préju-diciable encore : en matière de communica-tion, il est considéré qu’une intervention,même maladroite, est plus souhaitable qu’unsilence, car “ le silence rend suspect ”(WESTPHALEN, 2000). C’est pourquoi, dans lecadre de l’application du “ Dispositif nationalde soutien au pastoralisme et de gestion duloup ” et du programme Life “ Le retour duloup en France ”, divers comités permettentd’échanger des informations par le biais deconcertations régulières ; par ailleurs, leplan d’information du public qui a été mis enplace prévoit notamment de diffuser uneinformation factuelle précise, parl’intermédiaire de différents supports.Le Comité national de concertation sur le

loup réunit l’ensemble des organismes res-ponsable de la gestion du loup en France

(Ministères de l’environnement et del’agriculture et leurs services déconcentrés,Parcs nationaux et naturels régionaux,Office national de la chasse et de la faunesauvage...), les organisations profession-nelles et syndicats agricoles (CNJA, FNO,FNSEA 5, Confédération Paysanne, SyndicatOvin, Association des bergers des Hautes-Alpes...), ainsi que certaines associations deprotection de l’environnement (Groupe LoupFrance, ASPAS, FNE 6...). Ce comité nationalest consulté sur les grandes orientationsconcernant la politique de gestion du loup ; ilrecueille les avis des principaux groupesd’intérêt impliqués dans ce dossier. En 2001,il a par exemple permis de présenter uneversion du “ protocole de prélèvement d’unloup (ou d’un chien) visant à réduire lesattaques sur troupeaux domestiques ”. Suiteà cette présentation, le texte a été légère-ment amendé pour sa version définitive.Les comités locaux de concertation permet-

tent aux préfets de réunir, dans la mêmeconfiguration mais à un niveau départemen-tal, les représentants des services de l’Etatet des établissements publics ou administra-tifs, des professionnels de l’élevage et desassociations de protection de l’environne-ment. La vocation des comités départemen-taux est d’informer les différents organismesde l’évolution de la situation sur le plan de lagestion (dommages, mesures de prévention,effectifs de loups et zones de présence),d’écouter les difficultés ou les revendicationsde la part des professionnels de l’élevage, etde recueillir les avis nécessaires aux ins-tances nationales pour le comité de concerta-tion.Dans le cadre de la diffusion d’informa-

tions spécifique à la gestion des loups enFrance, une étude portant sur les croyances,l’état des connaissances et les intentionscomportementales vis-à-vis du loup d’unéchantillon représentatif (n= 800 personnes,dont 400 habitants des Alpes Maritimes et400 de la Savoie) a permis d’établir qu’ilexistait bien une méfiance vis-à-vis de lacommunication officielle, tout en montrantune certaine attente en termes d’informa-tions : sur le loup, sur la gestion de l’espèceet des dommages qu’elle génère, ou encoresur les aspects agricoles de la problématique(BATH, 2000).Cette étude a permis de mettre en place

une démarche de communication au traversde différents supports d’information.L’Infoloups est le magazine du programmeLIFE qui donne, depuis 1996, une informa-

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Photo 7 (ci-dessous)Photo Alain Schall

Photo 8 (en bas) :Piège à loup du Queyras,

visible au Muséedu Soum, Saint Véran,

Parc naturel régionaldu Queyras

Photo Florent Favier / LIFE

5 - Confédérationnationale des jeunes

agriculteurs, Fédérationnationale ovine,

Fédération nationaledes syndicats

des exploitants agricoles.6- France Nature

Environnement

Page 11: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

tion officielle à plusieurs centaines de per-sonnes, par le biais d’articles scientifiques,de bilans, d’articles de fond, de dossiers pra-tiques permettant de comprendre des docu-ments officiels ou des opérations particu-lières... Sa vocation a légèrement évolué,puisqu’il concourt dorénavant à apporter auxlecteurs des éléments de base sur le pastora-lisme.Le site internet dédié au loup présente les

documents incontournables nécessaires à lacompréhension de la problématique et à uneinformation complète (sur les loups enFrance mais également sur le pastoralisme,les études, les mesures de protection, lesexemples étrangers...).Des informations utiles et pratiques desti-

nées à l’ensemble des utilisateurs de chiensde protection, sont diffusées dans les diversoutils de communication ; elles peuventconcerner des méthodes de dressage, des“ trucs ” pour résoudre les travers de certainschiens, ou simplement se familiariser avecles différentes races de chiens et desexemples étrangers.Divers supports vont également être réali-

sés ou sont déjà disponibles, pour informerlargement les touristes, randonneurs et pro-meneurs de la présence de chiens de protec-tion sur les alpages, et des comportements àadopter en leur présence.Plusieurs réunions ont déjà été organisées

pour donner aux éleveurs intéressés uneinformation complète sur les différentesmesures de prévention, et notamment leschiens. Ces réunions s’appuient sur deséchanges d’expériences, des réponses auxinterrogations des éleveurs et peuvent êtrel’occasion de débats. Parmi les informationsdiffusées lors de ces réunions, il est impor-tant de souligner la cassette vidéo qui a puêtre faite grâce à des images infrarougestournées par des agents du Parc national duMercantour (secteur de la Moyenne Tinée) :ces images réalisées de nuit à l’aide d’unecaméra thermique appartenant à la SAGEMmontrent l’attaque de deux loups sur untroupeau de 2400 ovins, et le travail des 5chiens de protection pour le défendre. Cefilm n’est pas encore disponible en grandpublic mais permet de donner un aperçu auxéleveurs du travail que peut fournir un chiende protection (de même qu’il informe sur lestechniques d’approche des loups et les réac-tions des brebis).L’ensemble de ces outils de communication

est en cours de conception ou d’utilisation.Les résultats seront évalués au cours d’une

nouvelle enquête, pour comparer le niveaude connaissance du public avec les résultatsobtenus lors de l’étude du professeur AlistairBATH.Dans le cadre du programme Life, les

actions de terrain sont parfois plus porteusesd’informations ou de messages, notammentau travers du rôle qu’exercent les technicienspastoraux de l’équipe Life. Embauchés pourmettre des mesures de prévention à la dispo-sition des éleveurs et pour les assister dansleur mise en place, ils deviennent, par leurécoute, leur proximité, l’intermédiaire entrel’administration et le monde de l’élevage. Dela même manière, le rôle des personnes char-gées de réaliser les constats de dommages, cequi n’est pas une tâche évidente, est fonda-mental, qu’ils soient des agents del’O.N.C.F.S., des Parcs (Mercantour,Queyras...), de l’O.N.F. ou des gendarmes,

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Photo 9 (ci-dessous) :Cette photo présente unsystème de contentiondifférent du filet : quatrefils électrifiés sont soute-nus par des piquetssouples en fibres, quipermettent aux animauxde s’échapper du parcsans le détruire et sanss’étouffer, tout enoffrant une protectionaux moutons.

Photo 10 (en bas) :Ouverture du filet decontention par l'éleveur,LuberonPhotos Florent Favier /LIFE

Page 12: Loup et pastoralisme dans les Alpes françaises : état des

car ils apportent un soutien aux éleveurs quiviennent d’être victimes d’attaques (l’aide-berger joue aussi ce rôle de soutien psycholo-gique, Cf. L’Infoloups n°10).L’ensemble des organismes qui ont une

responsabilité dans la gestion du dossier(parcs nationaux et naturels régionaux, ser-vices déconcentrés, ministères, établisse-ments publics...) ont également un rôle nonnégligeable dans le sens où ils sont des vec-teurs d’information et tentent de contribuerquotidiennement à l’amélioration ducontexte : par des actions spécifiques, desrapports cordiaux avec les éleveurs, par lamise en application de mesures pastorales ousimplement par leur proximité et leur écoutedu monde rural et professionnel...Quelle qu’elle soit, la démarche empruntée

doit s’inscrire dans un objectif de résultats àlong terme. Comme on l’a vu, les éleveurs nesont pas prêts de se résoudre à la présencedu loup : dans un contexte de lutte socialepour l’amélioration des conditions de travailet de passage aux 35 heures, ils s’opposent àdevoir travailler plus pour protéger leurstroupeaux. Il convient donc de n’attendre derésultats positifs de ces efforts de communi-cation que dans plusieurs années. C’est autravers de passerelles jetées entre le mondepastoral et celui des protecteurs de la natureque l’on pourra atteindre les avancées lesplus probantes.

ConclusionLe retour du loup en France suscite bien

des débats, et souvent dans un climat pas-sionnel impropre à permettre aux uns et aux

autres de se comprendre. Alors, comme sou-vent, la situation se situe-t-elle peut-être aumilieu, dans un contexte qui permettrait dene pas sacraliser le loup, de prendre encompte les attentes des éleveurs dans leursréelles proportions, et de chercher, ensemble,des solutions moins irréversibles quel’éradication ou moins conflictuelles que lacoercition.Aider les éleveurs à supporter au mieux la

présence des loups, par la recherche et lamise en place de solutions les plus fiablespossibles et adaptées au mieux aux pra-tiques pastorales et aux modes de fonction-nement des exploitations, paraît être unpréalable indispensable à une acceptationnon pas du loup mais des conséquences de saprésence. C’est à ce titre que les mesures deprévention existantes et ayant fait leurspreuves dans certaines circonstances sontpromues dans le cadre du programme LIFEet que des expérimentations sur d’autres sys-tèmes de protection sont en cours. Ce préa-lable passe également par une écoute atten-tive des éleveurs.Mais il ne les dispensera pas de faire de

nouveaux efforts, notamment lorsqu’ils’agira, dès la fin du programme LIFE en2002, de se retourner vers de nouveauxoutils qui permettront de financer (CTE,Natura 2000...), si possible dans les mêmesconditions, l’ensemble des mesures quiseront mises à leur disposition.Il faut cependant toujours garder présent à

l’esprit que de tels efforts, s’ils sont consentispar la profession, nuiront d’autant plus àune “ acceptation locale ” du loup qu’ils luiseront imposés et contraignants. Les change-ments que le retour du loup impose àl’élevage ovin prendront sans doute plu-sieurs décennies avant de pouvoir être denouveau considérés comme des facteurs “naturels ” par les éleveurs. Et encore celaimplique-t-il une politique de terrain appro-priée et une écoute constante.

F.F.

RemerciementsJe tiens à remercier tout particulièrement

Christophe DUCHAMP, biologiste du programmeLIFE, Thierry DAHIER, vétérinaire du pro-gramme LIFE et Philippe OLEON, technicienpastoral du programme LIFE, pour leur précieusecollaboration dans la rédaction et la relecture decet article. Je remercie également Joël BOURI-DEYS, chargé de mission à la Direction régionalede l'environnement, pour son appui syntaxique.

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Florent FAVIERChargé

de communicationdu programme LIFE"Le retour du loup

dans les Alpesfrançaises" 2000 –

2002, sous l'autoritéde la Direction

Régionalede l'EnvironnementPACA : Le Tholonet,

BP 120, 13603Aix-en-Provence

Cedex 01Courriel : life@paca.

environnement.gouv.fr.

Photo 10 (ci-dessus) :Cabane de berger de la

Vallée de la Bollène dansle Mercantour.

Photo Florent Favier / LIFE

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Le retour du loup en France en 1992, et sa progression le long de l'arc alpin (huit départements sontaujourd'hui concernés par sa présence), ne se sont pas faits sans heurts, notamment avec les éleveursovins qui ont eu à subir des dommages.Face à la prédation et aux conflits qu'elle engendre, l'Etat, avec, pour les années 1997 à 2002, le sou-tien de cofinancements européens dans le cadre de deux programmes LIFE successifs, a choisi d'appor-ter différents éléments de réponses :- par la mise en place dès 1993 d'un système de compensation des dommages ;- en améliorant notre connaissance des loups et de leur répartition sur le territoire français, au traversnotamment des études de suivi, pour répondre aux questions locales ou concernant la biologie et lecomportement de l'espèce, et mettre en place le système d'indemnisation des dommages dans lesnouveaux secteurs de colonisation ;- par la prise en charge des mesures de protection : parcs de contention nocturne, chiens de protec-tion, aide-bergers ;- en permettant aux éleveurs, aux populations locales, aux partenaires et aux différents interlocuteursde l'Etat de se tenir informés de l'état des connaissances sur les différents points (biologie, répartition,dommages, prévention, actions en faveur du pastoralisme…) par le biais d'une campagne de commu-nication et des outils qu'elle produit.

Résumé

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Références bibliographiques

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Lupo e pastoralismo nelle Alpi francesi : inventario dei luoghi e prospettiva di risoluzione diun conflitto

Il ritorno del lupo in Francia nel 1992, e la sua avanzata lungo l'arco alpino (otto dipartimenti concer-nuti dalla sua presenza), non si sono fatti senza urti, segnatamente cogli allevatori ovini che hannoavuto da subire danni.Di fronte alla predazione e ai conflitti che genera, lo Stato, per gli anni 1997 a 2002, col sostegno dicofinanziamenti europei nel quadro di due programmi LIFE successivi, ha scelto di recare differenti ele-menti di risposta :- dalla messa in posto fin dal 1993 di un sistema di compenso dei danni ;- migliorando la nostra conoscenza dei lupi e della loro ripartizione sul territorio francese, particolar-mente attraverso studi di seguito, per rispondere alle domande locali o tocando la biologia o il com-portamento della specie, e mettere in posto il sistema di indennizzazione dei danni nei nuovi settori dicolonizzazione ;- dalla presa in carico delle misure di protezione : parchi di contensione notturna, cani di protezione,aiuto-pastori ;- permettendo agli allevatori, alle popolazioni locali, ai collaboratori e ai differenti interlocutori delloStato di tenersi informati dello stato delle conoscenze sui diversi punti (biologia, ripartizione, danni,prevenzione, azioni in favore del pastoralismo) al mezzo di una campagna di comunicazione e degliarnesi che producce.Malgrado queste disposizioni e un miglioramento sicuro del contesto, il conflitto è sempre latente :bisogna analizzarne le ragioni per gerirne gli effetti. In questa propetitiva, e in quella di un'espansioneregolare del lupo verso nuovi territori - ciò che implicherebbe nuovi focolai di conflitto - questo articolosi propone di addurre, attraverso di una lettura soggettiva del problema, elementi di riflessione.

Summary

Riassunto

Malgré ces dispositions et une amélioration certaine du contexte, le conflit est toujours latent : il fauten analyser les raisons pour en gérer les effets. Dans cette perspective, et dans celle d'une expansionrégulière du loup vers de nouveaux territoires – ce qui impliquerait de nouveaux foyers de conflits, cetarticle se propose d'apporter, au travers d'une lecture subjective du problème, des éléments deréflexion.

The wolf and sheep farming in the French Alps : the present situation and perspectives forresolving a conflict

The return of the wolf to France in 1992 and its spread along an arc of the Alps (eight French départe-ments are currently affected by its presence) has not gone on without causing upset, notably amongsheep farmers who have suffered losses in their herds.The Government, faced with this predatory activity and the conflicts it has engendered, has decidedon a number of measures, backed for the period 1997-2002 by European co-funding within the fra-mework of two successive LIFE programmes :- as of 1993, a compensation scheme for losses sustained;- improving understanding of the wolf and its distribution in France, in particular through monitoringstudies designed to provide answers to locally-voiced questions about the species' biology and beha-viour, and a compensation scheme for losses sustained in areas newly populated by the wolf;- meeting the costs for protective measures : nighttime enclosures, guard dogs, shepherd's helpers;- enabling sheep farmers, the local population as well as people involved with, or partners of, the Stateto keep up to date with knowledge on the various aspects of the issue (biology, spread, damage andlosses, prevention, action in support of livestock rearing...) through a communications campaign andthe techniques it generates.Despite such measures and a degree of improvement in the general context, latent conflict remains : itis necessary to analyse the reasons in order to manage its effects. With this view in mind, along withthe perspective of a regular spread of the wolf into new territory (which implies the emergence offresh conflict in other places), this article hopes to provide some food for thought from a subjectiveconsideration of the problem.

t. XXIII, n° 1, juin 2002