paraphrase de la physique d'aristote livre 2 chap 6
DESCRIPTION
La Physique est une sorte d'introduction épistémologique à l'ensemble des ouvrages d'Aristote de science naturelle (un des trois domaines des sciences théorétiques, avec les mathématiques et la philosophie première). Elle est ainsi une réflexion sur la connaissance des réalités naturelles et sur la nature en général.La nature se caractérise pour Aristote principalement par le changement.L'influence de ce que Heidegger disait être « le livre fondamental de la philosophie occidentale » est considérable.TRANSCRIPT
LIVRE II
DE LA NATURE
Paraphrase de la physique d'Aristote livre 2 chap VI.
J'ai promis plus haut de comparer le hasard et le spontané ;
je reviens à ce sujet ; et je répète que le hasard et le
spontané, ou, en d'autres termes, ce qui se produit tout
seul et de soi-même, sont tous deux des causes indirectes
et accidentelles pour les choses qui ne peuvent être ni
toujours absolument, ni même le plus habituellement, et
parmi ces choses pour celles qui peuvent être regardées
comme se produisant en vue d'une certaine fin. La
différence entre le hasard et le spontané qui se produit de
soi-même, c'est que le spontané est plus compréhensif ; car
tout hasard est du spontané, tandis que le spontané n'est
pas toujours du hasard. En effet, le hasard proprement dit,
n'est jamais rapporté qu'aux êtres qui peuvent avoir un
hasard heureux, du bonheur, en d'autres termes, une
activité ; de même qu'il ne peut jamais non plus concerner
que les choses où l'activité est possible. Ce qui le prouve,
c'est que la prospérité, c'est-à-dire les événements très
favorables qu'amène le hasard, se confond avec le bonheur,
ou du moins s'en rapproche beaucoup. Or, le bonheur est
une activité d'un certain genre, une activité qui réussit et
qui fait bien. J'en conclus que les êtres auxquels il n'est pas
permis d'agir et qui n'ont aucune activité propre, ne
peuvent rien faire non plus qui soit justement attribuable au
hasard. C'est là ce qui fait qu'on ne peut pas dire que l'être
inanimé, la brute ou même l'enfant, agissent par hasard,
parce qu'à différents degrés ils sont privés du libre arbitre
et de la préférence réfléchie dans leurs actes. Quand donc
on emploie pour ces trois ordres d'êtres les expressions de
bonheur et de malheur, ce n'est que par une simple
assimilation plus ou moins lointaine. Cela rappelle le mot de
Protarque, qui prétendait que les pierres qui entrent dans la
construction des autels sont heureuses, parce qu'on les
adore en même temps que les Dieux, tandis que les autres
pierres, qui sont cependant toutes pareilles, sont foulées
aux pieds. Mais d'une manière tout à fait indirecte, ces
êtres que je viens de nommer peuvent par hasard souffrir,
si ce n'est produire, quelqu'action, quand on fait par hasard
quelque chose qui les concerne ; mais en un sens autre que
celui-là., il n'est pas possible qu'ils agissent ou qu'ils
souffrent par l'effet du hasard.
Quant à la spontanéité, on peut l'appliquer aux animaux
différents de l'homme et jusqu'aux êtres inanimés.
J'entends par spontané ce qui se produit tout seul et sans
cause appréciable. Par exemple, on dit qu'un cheval s'est
mis spontanément en marche ; le mouvement qu'il a fait
sans pouvoir s'en rendre compte, a pu lui sauver la vie ;
mais il ne l'a pas fait en vue de son salut. Autre exemple :
Un trépied est tombé spontanément et tant seul, et, dans
sa chute, il s'est placé de telle façon qu'on pût s'asseoir
dessus ; mais il n'est pas tombé apparemment en vue
d'offrir un siège à quelqu'un. Il est donc évident que, dans
les choses qui se produisent en réalisant une certaine fin,
on doit dire que l'effet se produit spontanément et de lui-
même, quand la chose, qui a une cause étrangère et
inconnue, arrive sans que ce soit pour l'effet même qui se
produit. On dirait que c'est du hasard, s'il s'agissait d'un
acte quelconque d'un agent libre qui se trouverait avoir
produit tout autre chose que ce qu'on en attendait. La
preuve que ces distinctions sont exactes, c'est qu'on dit
d'une chose qu'elle a été faite en vain, quand ce qui a été
fait en vue d'un certain résultat, ne produit pas le résultat
attendu. Par exemple, on se promène pour faciliter la
digestion et relâcher le ventre ; mais si l'on n'obtient pas ce
résultat cherché, on dit qu'on s'est vainement promené, et
que la promenade a été vaine. Il faut bien remarquer cette
nuance, et l'on ne doit dire d'une chose, qu'elle est vaine,
que lorsque, faite en vue d'une autre, elle n'accomplit pas
l'objet pour lequel elle avait été faite, et qu'elle semblait
naturellement devoir amener. En effet, ce serait un non
sens ridicule que de dire par exemple qu'on s'est baigné
vainement, puisqu'il n'y a point eu d'éclipse de soleil. C'est
qu'en effet on ne s'est pas baigné pour que l'éclipse eût
lieu. Ainsi, l'on dit d'une chose qu'elle arrive d'elle-même et
spontanément, comme l'indique l'étymologie seule du mot
grec, quand cette chose même a été vaine ; et, par
exemple, une pierre en tombant a blessé quelqu'un ; mais
sa chute n'avait pas pour but de porter un coup, et l'on dit
alors que cette pierre est tombée spontanément et
fortuitement, pour distinguer ce cas de celui où la pierre
aurait été lancée par quelqu'un, avec intention de blesser
une autre personne.
C'est surtout dans les choses qui se produisent par le fait
seul de la nature qu'on pourrait distinguer le hasard et la
spontanéité. Ainsi , quand un phénomène a lieu contre les
lois de la nature et qu'il est monstrueux, nous disons bien
plutôt qu'il est spontané, que nous ne disons qu'il vient du
hasard. Le hasard suppose toujours une cause extérieure ;
le spontané suppose toujours une cause interne. Ceci doit
faire voir assez nettement les différences que l'on met
vulgairement entre la spontanéité et le hasard. Mais, quant
à leur mode d'action, il faut les ranger l'un et l'autre parmi
les causes motrices ; car ils sont causes de phénomènes
naturels ou de faits qui tiennent à l'intelligence, et dont le
nombre est illimité. Mais, comme le hasard et le spontané
sont causes de phénomènes que la nature et l'intelligence
pourraient également produire, et que le hasard et le
spontané se montrent là où l'intelligence et la nature
n'agissent qu'accidentellement et d'une façon détournée ;
comme, en outre, l'accidentel ne peut être antérieur et
supérieur à ce qui est en soi, il est clair aussi que jamais la
cause accidentelle ne peut être supérieure à la cause
essentielle. Donc la spontanéité et le hasard ne viennent
qu'après l'Intelligence et la nature : et si l'on allait jusqu'à
concéder que le hasard peut être la cause du ciel, il n'en
faudrait pas moins que l'Intelligence et la nature fussent
encore les causes supérieures de bien d'autres
phénomènes et de tout cet univers.