Pandemonium

TOMEFINAL

LiziCascile&AïvyFrog

TOMESPRECEDENTSTOME1TOME2TOME3

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«Naïvement,noussommespersuadésd’avoirnotredestinaucreuxdesmains,depouvoirlecontrôler,enfairecequenousvoulons.

Maisc’estuneforcequinousestbiensupérieurequiécritnotrehistoireetnousguideversnotreavenir.»

ProserpineDiavolo

1Gauthier

C’estcommesitoutmoncorpsétaitvide,commesij’avaisplongédanslenéant.Untrousansfond,desabyssesdanslesquelsaucunelumièreneparvientàm’atteindre,àmedonnerl’envied’avancer ou, au moins, un peu d’espoir. Je marche comme une ombre. Comme un mort quiramperaithorsdesatombe.

J’ai claqué la porte. J’ai dévalé les escaliers. J’ai fui la source de cemal qui vientmebouffer,plantersescrocsdansmachairalorsquej’étaisdevenuasthénique,complètementincapabledepenser.

Mespiedstrainentsurlebétontrempé,lapluies’abatsurmonvisage.Jenerentremêmepaslecoudansmaveste,jemefousdeça.Jen’aiplusquelatrahisondevantlevisage.Jetangue,unpeu,encoresonné.

Commentilapufaireça?Commentilapubaiseravecelle?Commentilsontpumelecacher,fairecommesiderienn’était.Commes’ilsnemeprenaientpaspouruncon.Mespoingsseserrent,unfrissoncourtsurmonéchine.J’aidumalàycroire,àréaliser.C’étaitlapiregifledemavie,lepiremensongedemonpère.

Iladesdizainesdefemmesàsespieds.Alorspourquoielle?Pourquoimonassociée…mon amie. Je crispe ma mâchoire, comme pour encaisser une droite, cette pensée me percute,m’assommeunpeupluscommeunuppercut.Jemeplie,expire,effleureunefaçadecolorée.

Ici, j’ai ma famille de cœur. Des gens honnêtes, francs, chez qui on peut débarquern’importe quand. Je pousse la porte, elle n’a jamais été verrouillée. Parait qu’ils ont jeté la clé,commelamaisonbleueadosséeàlacollinedanslachanson.

Jemelaissetombercommeunemerdedansl’ascenseur,passelamaindansmescheveuxdégoulinants de flotte. J’ai le cœur qui cogne, percute, fracassema cage thoracique. Il y a tant dechosesquejevoismaintenant.Tantd’indices.Tantdefoutagesdegueule.Rienqu’àl’anniversairedemonpère,lesregardsentremamèreetProserpinetrouventuntoutautresens.

Elleaussi,ellesavait.

Mesdeuxparentsm’ontprispouruncon.Pourleroidescons.Jepréfèreencoremebarrer,squatter l’escalierdesCassel-Garian.Jenedemanderiendeplusqu’untoit, justedutempspourneplustomber,pourarrêterdesombrer.

C’est Julian quime sort de l’ascenseur,me traîne jusqu’à l’appartement deVirgile. Lafamilleestlà.Ellemeregarde,pascommeunétranger.Justecommeunmembrearrivéàlabourre.

Alors,jem’assois.Silencieusement,jelesremercieetfixemonassiette.

—Onpeutteservirquelquechose?proposeZolaavecbonnehumeur.

J’aimerais ouvrir la bouche,mais j’ai trop peur de dégueuler. Je secoue la tête, refuse,repoussel’assietteenporcelainevieillotte.J’enauraistellementeuàdireàmonpère.Montraîtredepère.Virgileenserremonépaule,meglisseuncoupd’œilinquiet.

—Vieux,tupeuxpasrestersansbouffer…

—Enplusc’estleragoûtdegrand-mère,ajouteunenanaauxcheveuxrougeblottiecontreEthan.

Jeladévisage,j’enaitellemententenduparlerquejen’auraisjamaispucroirelavoirenvrai.C’étaitdevenucommeunmythe,unehistoireàlaconpoursedistraire,ledélired’Ethan.

—Cassandre,jet’aidéjàditdem’appelerMémé.

Bahtiens,MéméCasselvamieux.

QuandjevoisEthanembrasserlefrontdesabelle,toutsedéforme.Proetmonpèreenlacésm’apparaissent,merévulsent,tordentmonestomac.Jedégagedemaplaceaussivitequepossibleetrendslabiledanslasalledebains,àl’abridesregards.Moncorpsconvulsepresque.

Putain!

Lepalpitants’emballeencore,mefaitunmaldechienettoutemaragesedéversedansceque je rends.Virgile,envraipote,mesoutient,passeunemain rassurantedansmondos.Pourtant,toutmoncorpssemetentension,laréalitédemonétatmerevientenpleinegueuleetmedégoute.

—Qu’est-cequitefoutdanscetétat?

Ilmelanceunganthumidepourmerafraîchir,jemelaissetomberàcôtédeschiottesetprendsmonvisagedansmesmains.

—Monpère…Pro…

—Ehbienquoi?Tonpère…Pro…

Jerelèvelevisage,justeparcequejen’aipaslaforcedeledire.Jeluifaislesgrosyeux,illitenmoicommedansunlivreouvert.

—Ilssontadultes,tusais…

Unchocdeplus!C’estpasmonpote,onmel’aéchangé!C’estpaslui,c’estpasVirgile.

—Insurge-toiunpeu,merde!jetempêteenluibalançantsongantàlagueule.Mapote,monassociée, qui s’envoie mon père ! Y’a que moi qui trouve que c’est malsain ? Pas normal ?Dégueulasse?

Ilhausselesépaules,laragerevientencore,meprenddanssesbrasetserrefortàmefaireexploser.

—C’ESTDÉGUEULASSE!Ilaunterraindechassegrandcommelemonde!Ilalechoix…Ilale

choix…

Je crois que c’est ce qui m’écœure le plus. Savoir qu’il avait parfaitement le choix,l’opportunitédesetrouveruneautrejoliebruneetfoutrelapaixàProquipourraitêtremasœur.

Quipourraitêtresafille…

—Tusais,danslafamilleonestpastropregardantsurl’écartd’âge…justifie-t-il.Onsecontented’aimer.Parcequec’estunechancedetrouverl’amour,levrai.

Mesyeuxs’arrondissent,jesuiscomplètementahuri,prisdecourtparsaréaction.

—Y’adeslimites,tusais.

Mavoixtremble,jevoudraisjustequ’ilvoieleschosescommemoi,qu’illesvoiecommetoutlemondedoitlevoir.

—Etalors?Proestmajeure,tonpèreaussi.T’aspasidéedecequejedonneraispourconnaîtreplusqu’uncoupd’unsoir.Avoirunenanaquim’attendàlaplacedustockdebièresquej’aiaufrais,pouvoirréellementparler.Elleseraitlà,às’inquiéterdesavoircommentjevais…Tusaisàquandremonteladernièrefoisqu’onm’ademandésij’allaisbien?

Sonregardestdouloureux.Jepercutequemêmemoijem’intéressepastantqueçaàsaviefinalement.

Tuparlesd’unefamilledecœur,pasfoutudemesoucierdesgensquim’accueillent.

Lesilence s’installe,pèse surmapoitrine. Jene saisplus. Je suispaumé.Complètementpaumé.

2Proserpine

Troissemainesplustard…

La main sur la poignée du caddie, je m’égare dans la contemplation des avions ancienssuspendusdanslehallprincipaldel’aéroport.Çamedistrait,m’éloigneunpeudecequim’amèneréellementici.Lesvalisessontlourdes,trèslourdes,pluslourdesquetouteunevie.J’écouteàpeinel’hôtesseduguichetdelacompagnieaériennehautdegammechoisieparHayden.

L’Australie.L’Australie.L’Australie.

Cesimplemottournedansmatête, l’inonde, lasubmergedetousmessouvenirs.Detoutcequiétaiticietappartenaitàmonhistoire.C’estunchangement,unenouvellepagequejevaistournerdansladouleur.Agniaavoulum’accompagner,j’airefusé,sansdoutetropfroidement.

C’estimmobilequ’ellem’aregardéepartir,monterdanslalimousinevenuemechercherenbasdel’immeuble.Jenemesuispasretourné,j’aieupeurdenepasavoirlecouragededescendrepourrejoindreHayden.Jem’accrocheàsonbras,pressesonbiceps.Ilamaigridepuissadernièrecourse,jeposematêtesursonépaule,ungestetendrequejenemesuisaccordéquetroprarement.

C’estlechaos,unbrouhahaquelaraisonneparvientpasàfairetaire.Pourtant,c’estbienellequim’apousséeàprendrecettedécision,àallerjusqu’auboutmalgrémoncœurquiallaitsebriserencoreunefoisalorsqu’ilseremettaitàpeinedelafindemonhistoireavecMarc.

Qu’il estdurdedireadieux.Dequitterquelqu’unqui a compté, avecquionavu son futur.Pourtant,jem’avanceverslecontrôledesbagagesàmain.L’appréhensionestlà,menacededéborderenlarmessurmonvisagequejecachesousunmasquefaussementserein.

UneDiavolonesauraits’effondrer.Leslarmessontpourlesfaibles.

La voix demamère s’invite dansmon crâne, hantemes souvenirs etma résolution. Jemetends,faisfaceàHayden.Nosprunelless’accrochent,etnoslèvressescellent.Danscebaiser,j’yjettetoutcequej’avaiscommeamourpourlui.Toutcequejeluiauraisréservépourl’avenir.

Maisnousçan’existepasaufutur.Paspournotrecouple.

Ses lèvres chaudes caressent les miennes, prolonge cette dernière étreinte, l’ultime d’unerelationquiauralaisséuneplaiedansmoncœur.

Ilestdansl’intérêtdechacundepasseràautrechose.

Jemecroyaisdemarbre,persuadéed’avoiruncoeurdediamant.Rienn’atteintlediamant.Onletaille,onleplieàlabeautédécidéeparl’homme,maisrienneleblesse.

J’aiuncœurdepapierqueleshommesdéchirentencoreetencore.

Jepose lamain sur sonpectoral, incapabledeparler. Il effleurema joue, chercheencore àcapturermesirispourtentersansdouteuneveinenégociation.Maismadécisionestprise,etc’estlabonnedécision.C’estlachoseàfaire,pourlebiendechacun.

AbandonnerAgnia.PlanterGauthier.DiredéfinitivementadieuxàMarc.Troischosesdontjesais maintenant que je suis incapable. Alors, d’un pas, je recule. Je brise silencieusement le lien,tourne ledosà l’Australieet à l’avenir avec lui.Et j’avance, lementonhaut. Je traverse lehall eneffaçantchaquesentiment,dansunsilenceglaçant.

J’ai appris depuis mon plus jeune âge à faire ça. J’ai appris à tout camoufler, à jouer lacomédiedel’assurance.Ettoutlemondeycroit.ToutlemondesaufAgnia.Carellesait,elleconnaîtlavéritableProserpine,cellequi l’amaintefoissuppliéededormiravecellecarelleétait terrifiéedanscemanoirtropgrandpouruneenfant.

Neteretournepas.

Touteseule, jemeconvaincsdenepas faire le seulgestequipourraitme fairedouter.Unedisciplinedefer,unecontrainte.

Voilà.C’estfait.

***

Troisjours.C’estletempsqu’ilafallupourquejeréalisepleinementqu’ilnefranchiraitplusjamaislaporte.Pourquejepassedel’assuranceaudéniavantd’accepter.L’amours’estéteint,vite,tropvite.Pendantuninstant,j’aimêmedoutéqu’ilaitexisté,j’aimêmedoutédemarelation.

Agniaaétélà,commeunesœur.Elleaécoutémonsilence,séchéleslarmesquejen’aipasversées.C’étaituneétrangeléthargie,commesilecontrecoupm’avaittuéeavantquejenerenaissedemescendres.

Le premier jour, j’ai pensé à lui. Tout le temps. À notre rencontre, à nos échanges, àMonaco,àsatendresse.

Ledeuxièmejour,j’aiencorepenséàlui.Maisjemesuissouvenuedetoutescesfoisoùilm’aplantéepourXouYraison.Toutescesfoisoùjel’aiespérésansjamaislevoirarriver.

Letroisièmejour,j’aipenséàmesdésirs.Ilm’afaitmiroiterunerelationtendreetdanslacompréhensiondel’autre.Maistoutçan’étaitqu’unedouceillusiondelaquellejemeberçais.

Aujourd’hui,jemerelève.Aujourd’hui,jeboismoncaféaucomptoir,faceàAgniaetavecmon petit démon qui chasse les lacets de ses Converses. J’ai horreur de ces chaussures, j’espèremêmequ’unenuit le petit diable arrivera à les lacérer pour l’obliger àmettre la superbepaire dePradaque je luiaiofferteun jourdebonté.C’estcemêmejourque j’ai laisséTimmymangerdescrêpesàlamaison.

Agniamecouvedu regard, jeconsultemonmobile.Lavieme rattrape, la réalitéaussi.Gauthierestfâché.Ilm’ajetéàlagueulequ’ilsavaitpourMarcetmoi.J’airépliquéquejefaisaisunpeucejevoulaisdemonvagin.Chosequ’ilatrèsmoyennementappréciée.

Maisçanepeutplusdurer.Nousavonsunemaisond’éditionàfairetourner.Decefait,jeleconvoque, prétextedesdossiers à récupérerpour le coincer.Agnia laisse faire, ne semêlepas. Jepensequ’ellead’autreschatsàfouetteravecsonvétérinaire-chevalierservant.

Enmilieud’après-midi, ilsepointe.Jesuisseuleavec le trucminiaturequinoussertdechat.C’estqu’ilaprisl’habitudededormirsurl’autreoreillerdemonlitlanuitetdevivreautourdemes chevilles la journée. Il peut passer des heures lové surmoi alors qu’il snobeAgnia, on croitrêver!

Gauthiers’avance,fermé.Jel’inviteàs’asseoir,ilrefuse.

—Jemepermetsd’insister,j’appuiesuruntonoùpersonnenes’amuseraitàmecontrarier.

—Tunepeuxpasobtenirtoutcequetuveux.

Bien,ilattaque.

—Parfait.Alors,quefaisons-nous?Onarrêtelà?OnfermeStuprum?C’estàçaquetuveuxarriver?jepersifle,cinglante.

—Biensûrquenon!

—Alors,assieds-toi.

Ils’exécute,semetleplusloinpossibledemoi.Maisjesaisdéjàcommentjevaisopérer.Jelesaisdéjà,carjeleconnaismieuxquesaproprefamille.MieuxqueVirgile.

— Toi et moi, pendant cinq ans on a été ensemble. Du premier jour de fac, jusqu’au stage chezScripturam.Toietmoi,onatraversélasélectionsanspitié,étaientprisdansl’undesmasterslesplusrestrictifs…

—T’aspasbesoindemerappelercequ’onatraversé,jelesaisetjecomprendsd’autantmoinscequiaputeprendre,soupire-t-ilavecunedéceptionquimepoignardelesentrailles.

Longuement,jefaistournermatasseentremesdoigts,lemotestjustelà,auborddemeslèvres.

J’ai cru avoir du courage en prenantmon indépendance. J’ai cru avoir du courage enlaissantMarc.J’aicruavoirducourageentournantledosàHayden.Maistoutestlà.Toutestjustelà,dansunephraseminuscule.Dansuneréalitéquej’aidumalàadmettre,àformuler,àassumer.

Pourquoi…Pourquoia-t-ilfalluquecesoitlui?

J’inspire,lèvelesyeuxauplafondetpuisedanscequ’ilmerestederessources.

—Parceque…jel’aime.

Voilà.Jel’aidit.C’estsortidansunsouffleàpeineaudible.MaisGauthieraparfaitement

entendu.Etj’appréhendesaréaction.Jevoischacundesesmusclessetendre,ilsembleprêtàbondir.Maisilnebougepas.Non.Ilencaisseavecunrirenerveux.

—Ilétaitmarié…

—Ilm’avaitpromisqueledivorceétaitentraind’êtrefait.Gauthier,s’ilteplait…Toietmoi,notreamitié elle est au-dessusde ça.Tun’aspas ledroit dem’envouloirparcequemes sentimentsontdécidéqueçaseraitlui…

Lui…Cedoitêtrelui.Maisjel’aiperdu,jel’airepoussécommeuneidioteenpensantfairelebonchoix.

Toutesleslarmesquejen’aipasverséespourHaydenroulentmaintenantsurmesjoues.J’aiperdu.J’aitoutperdu.

Marc.Hayden.Gauthier.

Jenesuisqu’uneconne!Sijen’avaispasvolésiprèsdufeu,sijen’avaispaseucettesoifde l’amour d’un homme. Si je n’avais pas voulu combler cet énorme trou que j’ai au cœur. Si jen’avaispaseubesoind’unhommematurepourmemontrerquej’existaisdanssonmonde.Sij’avaiseuplusdansmaviequedescartesoudesappelsdemesparents.Si…

soudain, on m’enlace. Gauthier me presse fort contre lui, tout mon regret imbibe sachemise, mes sanglots semblent impossibles à tarir. Mais il est patient. Il me caresse le dos, mechuchotequeçavaaller.

Commentçapourraitaller?

EtcommeuneréponseàlapetiteProserpinequiapeur,ilmurmureaucreuxdemonoreille:

—Çaira,toutirabien.

3Agnia

Proserpineestdétruite.Haydenestparti.Ellenel'apassuivi.Etc'estlameilleuredetoutesles décisions qu'elle a pu prendre dans sa vie. Je souhaite son bonheur et en aucun cas je n'auraissouhaitéinfluencersonchoix,alorsjen'airiendit.Jenesuispasintervenue.Maisjel'aimeetjelaconnais. Hayden n'était pas celui qu'elle voulait. Il devait l'aider à panser ses blessures et il vientinvolontairementdel'obligeràarracherlepansementd'uncoupsec.

Ellen'estpaspartie.Cen'estpaspourmoi,poursamaisond'édition,pourGauthier,oumêmepourMarc.Elle est restéepour elle.Parcequ'au fond, tout au fond,bien caché, lavéritableraison de ce choix est son bonheur. Celui qu'elle pourrait vivre. Le seul qui pourrait la satisfaire.L'unique.

Ellesouffretropencorepourl'admettre.Ellesebattropencorepourl'envisager.Maisseulement deux choix s'offrent à elle. Retrouver Marc ou se guérir de lui. Si elle opte pour laguérison,elledevrauserdepatience,commej'apprendsàlefairemoiaussi.

Àl'heureactuelle,noussommestoutesdeuxaussibriséesl'unequel'autre.Toutesdeuxaussidéterminéeàtournercettefichuepagepleinederatures.Onapleuré.Beaucoup.Maisonsetientlamainetonneselâcherapas.Jamais.

Elleavouluallerpasserlajournéeauspa.Alorsj'aisourietmesuisenthousiasméepourcetteactivitéentrefilles.Intérieurement,jesuisloind'êtreàl'aiseavectoutça.Jen'aimepasvraimentqu'onmetouche,metrimballerenpeignoirdevantdespersonnesquejeneconnaispas.Proserpinemeproposedechoisirparquoinouspourrionscommencer.Paréliminationj'aiprislebainàremouspourdeuxpersonnesdansl'espoirdenousretrouverunmomentsanscroiserquiquecesoit.Cequejen'avaispasprévuc'étaitquecetrucétaitunbaindeboue.

—Horsdequestionquejerentrelà-dedans,c'estdégueulasse,Pro!

—Agnia,arrêteunpeu,cesontdesalgues!Tuverrasçafaitunbienfou,s'amuse-t-ellefaceàmondégout.

Jelaregardeuninstantpataugeràl'intérieuretréalisequ'ellenem'apasordonnédelarejoindre.Çameconvaincàlefaire,parcequemameilleureamieabesoindemoi.Jeglisseunpied,unejambe,puisl'autreetm'assoisàsescôtés.

—ÇaressembleassezàlaporcheriedeMonsieurSanson,jemurmureenpensantauvieuxvoisindeGravillons-sur-rivière.

—Saufqu'iciçanepuepas.

Nousnousdétendonsuninstant,yeuxfermés,maisrienqu'àl'idéedelaisservagabondermonesprit,jenecessedegesticulerd'angoisse.

—As-tufini?merouspète-t-elle.

—C'estcettepseudomusiqued'ambiancezenquimestresse,jemejustifie.

—Bien!Discutons…Qu'enest-ildeJulian?

Jesoupireavantderépondre.Julian,unsujetquej'auraispréférééviter.

—Cen'estpasfacile.

—J'avaisremarqué!Jeterappellequejesuisprésenteàchacunedesesinterventionsfoireusespourtedéclarersonamour.

—Àvraidire,jeparlaisdemoi.Cen'estfacilepouraucundenousdeuxetilnemefacilitepaslatâcheenayantcetteattitude.

—C'estpourtanttoiquil'asplaqué.

Sonaffirmationrésonnecommeunequestion.Douce,timide,inquiète.

—Parceque j'ai comprisquenotrehistoirene finiraitpasbien.Quemessentimentspourtantbienprésents ne suffiraient pas à justifier le mal qui nous attendait. Parce que s'investir comme nousvoulions le faire demande plus d'amour, plus de passion et d'engagements que nous ne pourrionsjamaisnousdonner.

Ellenemerépondpas.Sonregardbaissésefixesursesmainsqu'elleressorttoutjustedelabouedanslaquellenoustrempons.Ellesait.Ellecomprend.Etj'oseparcequejeneveuxpasqu'elletraversecequej'aitraversérécemment.

—Commetonhistoire…avecHayden.

Pas unmot, juste une réaction, un souffle. Ironique ?Blessé ?Approbateur ? Je neparviensàl'identifier.Cequimepousseàl'éclairersurmonraisonnement.

—Pro,Jeneveuxpasquetuaiesmalcommej'aieumal.Onn'ajamaisvécudanslemêmemonde,onn'apas lamêmehistoire.Nousvivonsnosvies enparallèle sans jamaisqu'ellesne se croisent.Leurseullienc'estlamainquel'onsetendrégulièrementdepuisl'enfanceetquel'autreattrapesansprendreletempsdelaréflexion.

Levisage toujoursbaissé, ellem'accordeun regardcurieuxencoin. Jeneperdspasl'occasion de m’emparer de ses prunelles et m'y accroche pour qu'elle prenne conscience de mabonneintentionetdemasincérité,toutenreprenantmonmonologue.

—Jenesuisjamaisintervenuedanstaviepourmettreledoigtsurteserreursoutepousserdansunedirection.Maisnevois-tupasquenoshistoiresavecJulianetHaydensontquasimentidentiques?Desamours tremplins qui n'étaient destinés qu'à nous faire rebondir de nos histoires si difficiles àaffronter.MarcetYannsontà l'opposé l'unde l'autreetpourtantnoussommesressorties tellementblesséesdecesrelations,aprèsdesannéesàattendrelebonheurdontnousrêvions.

Mameilleureamiebascule la têteenarrièrepourretenirses larmes.Àtâtonsdans lebassin,jecherchesamainpourmaréconforterentoutediscrétion.Lorsquejelatiens,j'entrelacemesdoigtsdanslessiensetellelaissecoulersapeinelelongdesesjoues.

—Marcestunhommebienquiestfoudetoi.Gauthierm'aditquesonpèreavaitentamélaprocédurededivorce.Ill'afaitpourtoi.N'endoutepas,c'estévident.

—C'esttroptard!murmure-t-elle.

—Ilm'afallucombiendetempsavantdequitterYann?J'auraispuvivrequelquechoseavecRaphaël,maisjen'aipasréussi…

—Tuauraisdû!s'empresse-t-elled'ajouter,pleinederancœurenversmonex-fiancé.

— Mais c'était compliqué, difficile, douloureux pour tout un tas de raisons autre que l'amour.J'imaginequecen'étaitpasplussimplepourMarc.

Lespaupièrescloses,jelalaisseassimilermonraisonnement.

—Vousêtesfaitl'unpourl'autre,Pro.Etrienquepourça,ilneserajamaistroptard…

Laportes'ouvreetl'esthéticiennetropenthousiasteàmongoûts'avanceversnous.

—Mesdames,êtes-vousprêtespourunmasquecorporelauchocolatmaintenant?

—Vousnousprenezpourungâteau?jel'interroge,surprise.

La jeunefemmes'offusque,mais jen'yfaispasattention,metournantversmonamielorsquej'entendssonrireéclater.Lestracesencorehumidesdeseslarmesbrillentsouslesrefletsdelalumièreartificielle,maissonsourireestsincère.Jemeprometsdoncdefairemonmaximumpourêtresuperficiellelerestedelajournée!

—Dis,Pro,tucroisqu'onpourralemangersonglaçageauchocolatàladame?jechuchoteàmameilleureamieensortantdelavaseàcochons.

4Proserpine

JerefermelaboitemailetmetourneversGauthierquiraccrocheàl’instantavecunetoutenouvelleauteurequej’airepérée.Cetteplumeestpleinedepromesses,amoureusedugenreérotico-historique,elleseracertainementunvéritableatoutpournotremaison.

SuiteàmajournéeauspaavecAgnia,j’aivumaviesousunnouveaujour.Toutça,toutcequia bouleversé mon existence ces derniers temps est une chute, une chute dont je me relève pouravancer.Alorsjevoistoutdifféremment.Etj’aideAgniaàtournersapageenneconvoquantJulianquelorsqu’elletravaille.C’estuncoupdepouce,unefaçondeluimontrerquejesuislàpourelle.

—Bon. Julian, tu peux rentrer chez toi etGauthier tu vas chez l’imprimeur faire le point sur lesnouvellesmaquettes,j’ordonneavecautorité.

Lesgarçonsnecherchentmêmepasàcontredire,jeprendslapochetteréservéeauxcontratsetattrape leminuscule démon par la peau du cou alors qu’il vient de filermon bas avec ses petitesgriffes.

—OnnefilepaslesbasdeMaman,c’estmal!jeréprimandeavantdelereposer.

GauthieretJulianmedévisagentavantd’exploserlittéralementderireàs’entenirlescôtes.

—Tuviensdedire«Maman»àcetruc!Maisquiêtes-vous,qu’avez-vousfaitdeProserpine?

—Laferme!jepersifle.EtnevousavisezpasdeleraconteràAgniasinonjevousmange!

—C’estpluscrédiblemaintenant,Maman,pouffeGauthieravantdes’éclipser.

Jeruminejusqu’àlavoiture,çam’aéchappé.Etjen’ypeuxrien!C’estlafauted’AgniaquiesttoujoursentraindeluidirequenoussommessesMamans.Unjourilfaudraquej’expliqueàChoupiquecen’estpaspossiblebiologiquement.

J’appuie sur l’accélérateur, retrouve le plaisir de la vitesse en filant jusqu’aux éditionsScripturampourrécupérerlescontratsdemestoutnouveauxauteurs.Danslemail,Marcm’enjointàveniretàtâcherdenepascassermesnouveauxauteurs,commesij’étaisdugenreànepasprendresoindemesaffaires.

C’estsansdouteunefaçondemefairedigérerlesfrasquesd’EvadesPlaisirsquej’aichoiside baptiser «Eva la grosse connasse » quand j’en parle àGauthier. Il parait que ce n’est pas trèsdéontologique,mais jem’enficheéperdument.Çamepermetderelâcher lapressionetd’éviterdecommettreunmeurtre.

Auplus jem’approchede l’immeuble,auplusunedoucechaleurnéedansmesentrailles,

commeàl’époque.Unevaguedenostalgies’écrasecontremonthoraxquandjequittemavoitureetpénètredanslehallduprestigieuximmeuble.Mesyeuxseposentsurl’immensephoto,s’attardentsursonairdominant.

Çasuffit,Pro!

Jememetsunegiflementaleetsnobelafilledel’accueilquimescrute.Marcsaitdéjàquej’arrive,c’estcertain.Nousn’avionsrendez-vousquedansuneheure,jeluifaisleplaisird’êtreenavance.Jebloquel’ascenseurduboutdemonescarpin,letempspourRaphaëldeserueràl’intérieur.

—MademoiselleDiavolo…

—Petitassistantinsignifiant,jelenargueavecunsourireencoin.

Il ne le prend pas mal, les bras débordant de dossiers, probablement de nouveauxmanuscrits.C’est incroyable la quantité qu’ils en reçoivent au quotidienmalgré des critères d’uneexigence rare. Ilnesuffitpasde faireparvenirson texte, il faut l’accompagnerd’uneprésentation,d’unargumentaire,duprofildespersonnages…Ensommeunetechniqued’écrémagequej’aidécidé,enaccordavecGauthier,dereprendre.

Aujourd’hui,jemesensd’attaque,d’unehumeurguerrière,prêteàdévorerlemonde.Lesportesmétalliquess’ouvrentsurl’étagedeMarc,jedonneuncoupdehancheàRaphaëletluipassevolontairementdevantpourentrerdanslebureaudemonmentor.Jenetoquemêmepas,meretrouveprised’unenouvellevaguedenostalgiequandmestalonss’enfoncentdanslamoquette.

Lesmurs transpirent encore de nos soupirs, je peux nous voir baiser sur le sol, nousétreindresur lecanapé.Moncœurseserre, jepressemapochettecontremapoitrinepourtrompercetteimmondesensationalorsque,malgrémoi,ladentelledemonsous-vêtementdevienthumideaucontactdemonsexe.

—Proserpine…

Il soufflemonnom,commeunedélicieusecaresseet congédieRaphaël,qui a tentéuneentrée, d’un geste de lamain. Ses yeux plus sombres qu’un ciel d’orage saisissent lesmiens, s’enemparent et me font frissonner jusqu’au plus profond de mon âme. Péniblement, je déglutis,redevenueàcetinstantlaProserpineenadmirationpourcethommeàlaréussiteincroyable.

Peu de gens savent son véritable parcours. Etmoi,malgré notre histoire,malgré cettedouleur que j’ai de l’avoir vu tant trainer à divorcer, je ne peux m’empêcher de le respecter. Ilm’inviteàm’asseoir,mesirispassentsursonbureauoùsaphotodefamilleadisparu.

—Puis-jeteproposerunespresso?

—Jenecomptepasrester.

Nos voix se posent, chaudes comme un délicieux vent du sud. Je dépose la chemisecartonnée, entrecroisemes doigts. Il appuie sur son interphone, je patiente en lissantma jupe quidévoilemeslonguesjambes,flirtàlalimitedeladentellequiornelehautdemesbas.

—Raphaël,lescontrats.

Pasdepolitesse.C’estinutile.Ildoitsesouvenirqu’iln’estrien,justedespetitesmains…

Quandjepensequ’Agniaauraitpufiniravecluiplutôtqu’avecl’autreconnarddeYann…

Siseulementelleavaitécoutésoncœur,misdecôtélaraisonetsonvillagepourvivresaliberté. Mais ça n’a été qu’un contre temps, qu’une chose qu’il faut oublier. Maintenant, j’ai laconviction que sa prochaine histoire sera grandiose, magnifique, romantique, douce… TellementAgnia,finalement.

L’assistantdéposelespapiersentrenous,ilestcommeunintrusdanscetteatmosphèresiparticulière,cetéchangederegardsquienditlongavecMarc.Ilcapturemesprunelles,faitbouillirlesangdansmesveines,lefaitaffluertoujoursplusviteversmoncœur.Maisnon!Jedoisrésister.

Jerompsbrutalementcelien,mefocalisesurlescontrats.Naturellement,jerelislepremier,contrôle chaque clause soigneusement.Marc a tout fait pour protégerStuprum,magorge se nouelorsqu’ilmurmuremon prénom. Samain se pose surmon épaule, je sursaute, n’avais pas réaliséqu’ils’étaitlevé.

Quelquechosedefroidglissesurmapeau, jemeretournevivementvers lui.Son indexglissesousmonmenton,mesdoigtseffleurentunsomptueuxcolliercomposédepierrestailléesenpoire.

—Marc,nousnepouvonspas.

Mavoixauraitdûêtrepluspercutante,mais jen’yarrivepas. Jesaisque jenedoispasreplonger,jelesais,maisilestmaflamme,uneobsessionquim’enivredèsquej’ailemalheurd’êtredanslamêmepiècedelui.Maisparfierté,aunomdecettedouleurquim’aiguillonnedel’avoirvumettretantdetempsàdivorcer,jeretirelebijouquitombeausol,justeàsespieds.

—Proserpine,jen’aiplusquetoientête.Tumehantes!Turéalisesqu’àchaquesecondejenesongequ’àtoi?Et…

—Marc!j’interromps,àlalimitedudésespoir.Toutça…Toutçatuauraisdûypenserilyadeuxans.Tuauraisdûypenseravantdemeperdre…

—JENET’AIPASPERDUE!hurle-t-ilenm’étreignantjusqu’àmefairemal.

Jemedébats,luttecontretoutecettedualitéenmoietlaissel’orgueilluidonnerlagiflequil’éloigne.Àboutdesouffle,jesaisislesdocumentsetfuis.

Sijereste,jenepourraisplusjamaisêtreforte…plusjamais…

Uneétrangecolèrem’habite,différentedetoutcequej’aiconnumepossède,meporte,medonne des ailes. Invincible, je roule à tombeau ouvert jusqu’à l’appartement, m’impatiente dansl’ascenseuretmeprécipiteàl’intérieur.Etlà,jelavois.LapetiteProserpinequialenezcolléàlavitre.LapetiteProserpineenattented’amour.LapetiteProserpinequidevientlagrande.Etlagrandesaitpertinemmentavecquielleaunproblèmeàrégler.

Lepetitdémonmesuit jusqu’àmonbureauoù je jettesur leclavier toutceque jepeuxreprocheràmamère.Enlarmesd’avoirtantgardéleschosespourmoi,jetrouveenfinlaforcedediretoutcequimepèsetoutcequim’empêchedem’envolerversmondestin.

Rapidement,leslignesdeviennentdespages,etcespagessontmisesdansunmail.Justeunmail.Une chose qu’elle recevra entre diverses invitations à des expositions et galas.Unmail qui,peut-être,toucheraplussoncœurquemessanglotsd’enfantsouquemessilencesd’adolescente.

Maman…

5Agnia

KyuetOdileviennentdefinirladernièreopérationdelamatinée.Unchatrouxàcastrer.Laroutineseloneux.Mais jen'aipaspum'empêcherde trainerdans lecoinafindem'assurerquenotrepetitpatientsoitbienconfortablementinstallédanssacage.J'entendsdeshurlementsvenantdel'autrecôtédelacliniqueetm'empressed'allervoircequ'ilsepasse.

—Agniaaa,hurleProserpine.Agnia!C'esthorrible!Tiens!

MameilleureamietientChoupi,notrechatonduboutdesdoigts.Parlapeauducou,entreson pouce et son index comme une vulgaire serpillère.Mon cœur se soulève. S'il arrive quelquechoseàcepauvrepetitanimal…

Souslesregardsmédusésdemesdeuxcollègues,j'attrapelechatonet…lachaussurequePro'merefileaupassage.

—Proserpine!Calme-toi!Qu'estcequ'ilt'arrive?jetentedel'apaiser.

—Maisc'estcetruc-là.Ila…

Et lavoilàquimimelevomissementavecunair tellementdégoutéqu'elleneparvientmêmepasàledire.Danslaseconde,Odilerécupèrelefélinetfiledanslasalled'auscultation,suivieparKyu.Jeréaliseàcetinstantquej'aideuxnouveauxamissurlesquelsjepeuxcompter,sansaucundoute.

—IlagerbédansmesLouboutins,Agnia!chouinePro.Tusaiscombiencoûteunedecesmerveilles?

J'examinel'escarpinquejetenaisinstinctivementjusqu'ici.Peum'importecequepeuventbiencoûtercesgodasses,cequicomptec'estquelechatonn'aitpasavaléquelquechosededangereuxouqu'ilsoitprisdetroublesgasto-intestinaux.Ilestencorepetit,iln'ysurvivraitpeut-êtrepas.

—Odile!Kyu!jehurlepourinterpellermesamis.

Letalondanslamain,jelèvelebrasaumomentoùilsreviennentversnous.Proserpinesemble soulagée.Elledoit croireque jevais tenterde transpercer le cœurdecemignonpetit chatavecsontalonaiguille.Maisiln'enestrien!

—Bouledepoils!j'explique.

Macollègueexplosederireàtelpointqu'ellepréfèrenoustournerledospoursecalmeretjecroisdécelerunsourireaucoindeslèvresdemonpatron.Trèspeuamuséeparlasituation,j'aivéritablementenviedemefâchercontremonamie.Ellem'afichuunedecespeurs!Maisj'ensuis

incapable.Jenepeuxpasm'énerver,oumêmeluidirequoiquecesoit.Cen'estpaslemoment,lavien'estpas simplepourelleactuellement.EntreHayden,Marc,Gauthieret samèredontellen'aplusaucunenouvellemalgrélemailqu'elleluiaenvoyédernièrement.

Jem'approchedeKyuetluichuchoteàl'oreillequejevaisrevenirdansquelquesminutes.Ensuitejem'avanceversProserpine,passemonbrasautourdesesépaulesenl'attirantverslasortie.

—Viens,onvaprendrel'air,jel'invite.

Unefoisàl'extérieur,nousnousadossonscontrelemur,l'uneprèsdel'autre.Unpetitsilences'installeaufuretàmesurequejemesensimpuissantepouraidermameilleureamie.

—Jevaisteracheterdeschaussures,jesouffle.Onferaunejournéeshoppingettuchoisiraslapairequiteplaira,n'importelaquelle.

Jetournelatêtedanssadirectionpourluioffrirunsourireréconfortant,maissesyeuxrestentaccrochésaubitumedutrottoir.

—Jesuisdésolée,Pro!j’ajoute.

Unmurmure. Simple. Léger. Sincère.Mamain se pose sur la sienne etmes doigtsenserrentsapaume.Pourqu'ellesachequejesuislà.Quejenelalâchepas.

—Cenesontquedeschaussures,admet-elle.

—Jeneparlaispasdeça…

Elleinspireprofondémentenrelevantlevisageetfermantlesyeuxavantdemeregardervraiment,enfin.Ellecomprend.Cesmotsquejen'aipasprononcés.Ellelesaentendusmalgrétout.Aprèsquelquessecondesd'hésitation,elleselance.

—Commentfais-tu,Agnia?

—Commentjefaisquoi?jem'étonne.

—Tout!Êtreici,là.Aprèscequetuasvécuàunmètredelà.Pourrevenirchaquejourenceslieux,lesaffronter.Resteràcôtédelui,tonvéto,sansluisauterdessuspourlebaiseretoublier?

Un soupirmêlé d'un sourirem'échappe. Elleme demande une recettemiracle, uneformulemagiquedontjen'ainirecettenisecret.Ellemeposeunecolle,unequestionsansréponse,maisjen'aipaslecœurànepasluiendonner.Alorsjetentedeformulerquelquechosedevrai,deréconfortant,sansmentir.

—Je te regarde toi ! J'admireceque tuas faitde tavie toutescesannées, ta façond'affronter tondestin,demepousserenavantetjetentedeprendreexemple.Alorstouslesmatins,jemelèveetjemedisqueçavabiensepasser,quejedoisavoirconfianceetqu'unjourmavieseconstruiratoutnaturellement.

—Mavien'estpourtantpasglorieuseactuellement…

—Lamienne non plus et pourtant on est toujours là, toutes les deux, ensemble.On a aussi Papa,Maman, Yoni. Et on y gagne chaque jour, tu as retrouvé Gauthier, et moi j'ai eux, j'énumère en

désignantlaportedelaclinique.

Àsontour,elleserremamaintoutenposantsatêtesurmonépaule.Elleabesoindemoi.Etjemejureencetinstantdetrouverunesolutionpourluirendrelebonheurqu'ellemérite.

Après une petiteminute à nous remettre de cette conversation éprouvante pour nos cœurs,nousnousredressonsetentronsàl'intérieurdelacliniqueoùOdilenousattend.

—Jevaisramenerlechatàlamaison,conclutPro.

J'interrogeOdileduregard,ellem'indiquequeKyuesttoutdemêmepartil'examiner.Jeluidemandedetenircompagnieàmameilleureamie,letempsquej'aillerécupérerl'animal.Lorsqueje reviens accompagnée du vétérinaire, Prom'informe qu'elle a invité Odile à dîner et lance uneinvitationàKyu.Cederniern'apasletempsderépondrequesonassistanteaccepteàsaplace.

***

Aprèsletravail,Odileetmoisommesmontéesdanslavoituredenotrepatronquinousaconduits jusqu'à lamaison.Proserpineavaitpréparéunvéritablefestinet jedoisbienadmettrequesontraiteurfaitdesmerveilles.

La soirée se passe parfaitement bien, même si l'évidente complicité qui s'installe entremacollègue et ma meilleure amie pour jouer les entremetteuses entre Kyu et moi devient pesante.CependantdeconstaterqueProritdepuislenotrearrivée,qu'elleaprévuàmangerpourunrégimentetqu'elleneserendpascomptedesquantitésqu'elleavale,suffitàmefaireoubliercedésagrément.

Àlafindelasoirée,nosinvitésnousremercientavantdeprendrecongé.Aprèslesavoirraccompagnés jusqu'à l'ascenseur, je reviensdans l'appartement. Je surprendsProdans lacuisineàdébarrasseravecbonnehumeur.C'estbienlapremièrefoisquejelavoisfaireça!

—Tuesinfernale!jelagrondeenm'approchantpourl'aiderdanssatâche.

—Développe…

—Ohhhparcequetucroisquejen'aipasvutonpetitjeuavecOdile?Vousvousprenezpourquoi?Desmarieuses?

Elleoserireauxéclatsalorsquejemefâchecontreelle.J'avouequejen'ymetspasdumien,jeneveuxpasvraimentladisputer,maisjevaisdevoirredoublerdesérieuxmalgrétout.

—ProserpineDiavolo!Jeneplaisantepas!Ilnesepasserarienentreluietmoi.C'estcomme…comme…

—Tuvoist'esincapabledel'expliquer!Ilvousfautuncoupdepouce,décide-t-elle.

—NON!Jeneveuxpas, ilneveutpas.Je l'aimeénormément,maisçan'estpasde l'amour,nidel'attirance,c'est…monGauthier.TuvoudraisquejetepoussedanslesbrasdeGauthier?

—Non.Évidemmentquenon,reconnait-elle.

—Alorstucomprends?jem'assure.

—Parfaitement.Tuasraison.Jeteprometsdevouslaissertranquille.

—Merci.

Elleabieneulemessageetjesaisquel'exempledeGauthierétaitparfaitpourluifairecomprendrequeparfois,entredeuxpersonnesdesexesdifférents,uneamitiépeutsecréer.Justeuneamitié,voulueparlesdeuxparties.Quelquechosedesain,desimple.Lemomentestidéalpourlancerlesujet.

—Danscecas…jecroisquejepeuxteparlerdequelquechose…

Ellesentuneinformationcroustillanteets'approchedemoiavecsonairsicurieuxquimemanquaitcesderniersjours.

—Kyupossèdeunchaletàlamontagne.Ilainvitéquelquesamispourleweek-endprochain.Etilm'aproposédevenirégalement,accompagnéesijelesouhaite.Tuveuxbienyalleravecmoi?jetente.

—Oui,oui,ouiiiiiiii,seréjouitmonamieensautillantsurplace.

—J'étaiscertainequel'idéeteplairait,jejubile.

Nous nous installons à table avec un verre de vin afin que je lui détaille un peu leprogrammeprévu.Toutlemondeseretrouvelàbaslesamedi.Kyuetmoiferonslarouteensembleaprèslafermeturedelacliniqueafinderetrouverlegroupe.JesuggèreàProserpinedeprendrelaroute dès lematin afin de nous dégoter une desmeilleures chambres du chalet, ce qu'elle trouvegénialissimementstratégique.Etellen'imaginepasencorecombienellevaaimerlamontagne!

6Proserpine

Jevidemondressingdevantleregarddésabuséd’Agniaquitentevainementdegratouillerlechaton.Jesavaisbienqu’ilfiniraitparluienvouloirdel’avoiraffubléd’unnomaussiidiot.

—Nemeregardepascommeça,j’aitentédelaconvaincredechangertonprénom,jerappellealorsquelefélinmetoise.

—Choupic’esttrèsbien!Etjetefaisremarquerquetouttesvêtementsquetumesors-lànesontnichauds,nicouvrants.

Jehausselesépaules,jen’aipasl’intentionderessembleràunebouledenoëlentricotin.Jeluiprésenteunerobefuseauenlainequim’arriveàmi-cuisse,ellelèvelesyeuxauciel.

—C’estaussiépaisquemanuisette…

—Maisc’estenlaine!jeproteste.Tuneveuxpasnonplusquejemetteunecagoule?

—Ceseraitindiqué,pourtant.

Jemecoiffed’unesublimechapka,Agniamefaitlesgrosyeux.

—C’estdelafaussefourrure,paniquepas.Marcavaitfaitsonradinsurcecoup-là.

Jeme fige. C’est sorti naturellement, si naturellement que çam’a terrifiée.Une pointes’enfoncedansmoncœur,jesecouelatête.

Tournerlapage.Jedoistournerlapage.

—Tudevraisprendredespulls,desleggingsàmettresousdespantalons…

—Despanta-quoi?jerépète,outrée.

—Tusais,cestrucsquetumetsetquicouvrentlesjambes…T’enportaisdesimmondesaucollège.

—Pitié!Nemerappellepaslespantalonspattesd’elph’.

Nouséchangeonsunregardetpouffonsderirecommedeuxadolescentes.Ilyacertainespériodesstylistiquesdemaviequejepréfèreoublier.

—Jeporteraisdescollants,etdesbottesfourrées,ceserasuffisant…Agnia?

—Oui?

—Cepullavecunetêtederenneaunezrouge,tucomptes…Leporterpourdevrai?Danslavraie

vie?

Narinespincées,jejaugesatenuedujour.Unjeanbrutaccompagnéd’unpullquinedevraitexisterquedanslestéléfilmsdeNoëlqu’onnousbalancejusteavantlesfêtes.

—Biensûr!Ilestsupercepull,enpluslerenneesttropchou,argumente-t-elle.

—SileDocteurChoitevoitdébarqueraveccetrucchezlui,ilvatelicencierett’abandonnersurletrottoir.

Elle lèvelesyeuxauciel.Sicethommeaunminimumderespectpoursesrétines, ilnel’autoriserapasàmonterenvoitureavecçasurledos.

—J’espèrequetuasprévuuntrucsexyendessous.

—Jeterappellequenousfaisonsseulementletrajetenvoitureensemble,peste-t-elle,brascroisés.

—D’abordletrajetenvoiture,puis…

—Puisrien!Jeneveuxplusd’histoires.Jeveuxjustevivre,etmerelever,àmonrythme.Souviens-toidenotreconversationd’hier!

Agniasortdesesgonds.C’estrare,maisjenevaispaslatitillerdavantage.Aprèstout,sondocteurnousinvitedanssonchaletavecdesamis,c’estbienqu’elledoitcompterunminimumpourlui. Je faisminedecapituleren levant lesmainsetpasseauxnuisettes. Jen’auraispasassezd’unevalisepourceweek-end.

J’aiétéheureusedel’initiativeduDocteurChoi,quandAgniam’aannoncécepetitbreakàlamontagne,j’ailittéralementsautésurl’occasionpourm’éloignerdetouscequimeblesse,mefaitmal,m’intoxique.

—Tudevraisprendreunedoudoune…

—Inutile,j’aimacapeDolce&Gabbana,sitonchatdaignenepluslaprendrepoursonlit.

Lepetitdémonadesgoûtsdeluxe.Jamaisjenel’aivuposersesfessesailleursquesuruntissuterriblementcher.Etneparlonspasdusecondoreillerdansmonlitqu’ils’estapproprié.

—Pro,tuvasmourirdefroid!

—Ilyalechauffagedanslechalet,non?

—Etquandtuvasskier?

J’éclatederire.Moi?Skier?Etrisquerd’abimerl’unedemessuperbesjambes?Elleestfolle!

—Non.Jecompteseulementparaderenville,fairelesboutiquesdeluxe…Oh,etmetrouverunspa.Jenepeuxpasvivresansunspa.

Je boucle mes bagages Louis Vuitton, un ensemble de valises auquel je tiensparticulièrementquim’aétéoffertpourmesdix-huitans.Satisfaite,jepousseunlongsoupird’aise.

—Voilà…Jen’aiplusqu’àprendrelevolantetàteretrouverlà-bas.

Je n’ai plus qu’à fuir, loin d’ici et respirer le grand air.Unpeu comme le jour où j’aidébarquéàGravillon-sur-rivière.

—Soisprudente,mesouffle-t-elledansuneétreinte.

Je la serre, plus fort, un remerciement silencieuxà cetteopportunitéqu’ellem’offredeprendrelelarge.

—Promis.

***

Jerouledepuisplusieursheures.Lastationdeskis’offreenfinàmoi,monGPSmeguidedanslesruesenneigéesjusquedansleshauteursoùdefabuleuxchaletsrivalisentdegrandeuretdeluxe.Émerveillée, je prends le temps d’admirer les architectures alliant à la perfection le rustiqueaveclemodernisme.

Jemestationnedansl’alléed’unchaletentièrementéclairé,prendslapeinedem’extasierdevantleluxe.

CeDocteurChoimesembledeplusenplusêtreunbonparti…

Jedonnequelquecoupauheurtoirenformedegueulede lionetpousse la lourdeported’entrée,presquesurprisequ’iln’yaitpasdupersonnelpourseprécipiteretm’ouvrir.J’entredansune immense pièce avec une mezzanine en bois massif. Un feu ronfle dans une impressionnantecheminéeenpierressombres.

Soudain, une sensation douloureuse vient m’oppresser, faire raisonner toute cettesouffrancequej’aienmoi.C’estcommesiceslieuxm’étaientfamiliers,commesijelesconnaissaisdéjà.

—OndiraitlebureaudeMarc,jemurmure,effarée.

—Jesais.

Jefaisvoltefaceetledécouvrejusteàcôtédel’entrée.Moncœurs’emballe,unacouphènevientm’assourdir.NousnesommespasdutoutchezleDocteurChoi.Non.C’estlefameuxchaletdeMarc. Comme une proie, je cherche où fuir, comment lui échapper. Mais avant que je ne puissebouger,sesgrandesmainsenserrentmesépaules.

—Pro…

—Non.

Non!Non,ilnepeutpasêtrelà!Jenepeuxpasêtretombéedansunpiège…SurtoutpasdansunpiègetenduparAgnia.

Jemedéchiredel’intérieur,monestomacseretournefaceàcettetrahisondemameilleureamie,masœurdecœur.Jemedébatsmefaisviolencepourmedétacher,m’enfuir.

—Jeneveuxplusdetoi,Marc!Jeneveuxplus…

Lespleurs,untrop-pleind’émotionquimeprendàlagorgeetmefaitexploser.

—J’aidivorcé,Pro.Jel’aiquittée!Tum’entends?Quittée!Amélie,c’estfini,ellen’existepluspourmoi…

—NON!Non…Tuastellementtrainé,tellementattendu…

Tum’astanttuéeàpetitfeu.

Jeprendsmatêteentremesmains,saisiedevertiges.Ilvientmesoutenir,c’estcommesisesmainsmebrûlaient,pirequedel’acidequicouleraitsurmapeau.

—Tuauraisdûlaquitteravant.Tuauraisdûpenseràmoi,ànous,jesuffoque.

Ilmepressecontresontorse,leslarmesdévalentmesjoues,menoient.

—Pro,jesuisdésolé.C’étaituneprocédurecompliquée…

—Etpourmoi?Tucroisquecen’étaitpasdurd’êtreseulementlamaitresse?Cellequ’oncache,qu’onn’assumepas?

Ilm’assoitsurlecanapé,jen’arrivepasàcroirequ’Agniaaitpumepiégercommeça.Jenepeuxpascroirequ’ellem’obligeàvoirlavéritéenface.Ilmesouffledesmotsdoux,s’excusemillefoisetmoi?Etmoi,jecède,fonds,laissetouslessentimentsenfouisrefairesurface.

Jereviensdesmoisenarrière,àlagenèsedenotrehistoire,àcedésirardentdevenuunevéritable source de vie, une raison d’exister et de traverser le quotidien.Un pansement pourmoncœurlacéréparmesparents.Unedoucechaleurm’enveloppe,merappellepourquoiçaaétélui.

—Pro,jenepeuxpasvivresanstoi,confesse-t-ilàvoixbasse.

Ilmefautdutemps.Quelquessecondesquisontuneéternité.Unmomentensuspendjusqu’àcequelaréalitédecequej’éprouveviennesurmeslèvres.

—Moinonplus.

7Agnia

Lepaysagedéfileetdepuisunebonneheuredéjà,jereconnaistout.Lesmoindresviragesjusqu'aux parcelles d'herbes, avec les récoltes ou les animaux. On y arrive. On est tout près.Inconsciemment, mesmâchoires se serrent, je comprends que la peur commence à m'envahir. LepanneauencadréderougenousindiquequenousentronsdansGravillons-sur-rivière.Onyest.Jeneferaispasmarchearrière.

Pourmedonner la forceet lecourage, je tourne la têteversKyu, installéderrière levolant.Ilmelanceunregardcompatissant.Lepauvren'apasconsciencedelagalèredanslaquelleils'est foutu lorsqu'il m'a proposé de participer à mon déménagement. Cela partait d'une bonneintention. Nous discutions lorsque j'ai glissé que ce dimanche je retournais à mon village pourrécupérercequej'avaislaissélà-bas.Ilm'aassuréquesi j'avaisbesoindebras, ilseraitdisponiblepourdonneruncoupdemain.J'aiacceptévolontiers,carseulGauthierétaitdans laconfidence.JesouhaitaisprofiterdupiègetenduàProserpinepourqu'elleretrouveMarcafinqu'ellen'apprennepasmonintentionderetournerauvillage.Ellem'enauraitempêchée.Alors,j'aifaitappelàGauthier,quilui-mêmem'afaitlasurprisedemanderàVirgilesacamionnetteduPandemonium.Lehipsteravuçacommel'occasionparfaitedesefaireunweek-endentrepotes.

Etmaintenant,jerevienschezmoi,dansmonpetitpaysnatalavecmestroisamis.JejetteunœildanslerétroviseurpourveilleràcequeGauthieretVirgilenoussuiventtoujoursaveclepetitcamion. Je neme retiens pas de glousser en voyant Virgile s'époumoner en chantant. Vu laminedéconfitedeGauthier,jesuisravied'êtremontéedanslavoituredeKyu.

—Oùsetrouvelamaisondetesparents?mequestionne-t-ilpouranticiperlepetitrond-pointdroitdevant.

—J'aimeraisautantrécupérermesaffairesavant,medébarrasserduplusdur,siçanetedérangepas.

—Onestlàpourça,touslestrois.Ontesuit.Profites-en,s'amuse-t-ilpourmedécontracter.

Jeluiindiquerapidementlecheminassezsimplepourrejoindrelamaison.Puisj'attrapemontéléphonedansmonsacàmainposéàmespiedsetcomposeunmessagequej'envoieàGauthierafindel'informer.Jesurveilleencoreunefoisdanslerétroviseurqu'illereçoitbien,jelevoisfixersonportable,leverlesyeuxdansnotredirection.Nosregardssecroisentetilmefaitsignequec'estd'accordenlevantunpouceenl'air.Jemepenchepourrangermonmobileetmefigeaubruitdespneussurlegravier.Jemeredresse.Lemoteurdelavoitures'arrête,suivideceluidelacamionnette.

Je regardepar la fenêtre etmalgré lanuit quivient tout justede tomber en cette find'après-midi, je reconnais la cour, le jardin, la joliemaison.À travers les fenêtres, la lumièremeconfirme qu'il est là. Je sors de la voiture de Kyu en fixant la porte d'entrée de la maison. Les

portièresdemestroisamisclaquentàleurtour.J'entendsvaguementVirgileproposerdepréparerlesvéhiculesàembarquerlematos.J'avancejusqu'àlamaisonsansmeretourner,lesvoixdesgarçonss'arrêtent, tandis que les grincements et autres bruits métalliques me signalent qu'ils se mettent àl'ouvrage. Ils sont formidables.Volontaires, prévenants face à la situation, je sais que je suis bienentourée. Ilsme protègeront quoiqu'il arrive,mais ont suffisamment de recul pour faire face à lasituationaveccalme.Cequin'auraitpasétélecassij'étaisvenueavecPro,ouYoni,ouPapa.Etcettepenséemedonnesuffisammentdeforceetdecouragepourpressermonindexsurlasonnette.

Laclenchedelaportes'abaisse.Ilestvenum'ouvrir.Trèsrapidement.Troprapidement.L'espace d'une toute petite seconde, je vois dans ses prunelles la surprise qui le traverse. Il nes'attendaitpasàmerevoir.Maisilreprendbienvitedupoildelabête.

—T'esrevenue!Ettucroisquejevaisreprendreuneputecommetoi?crache-t-il,méprisant.Mêmeentemettantàgenoux,jenetelaisseraipasuneautrechance.

—Jen'enveuxpas,Yann,jetrancheenserrantlespoings.

Àmes simples paroles, je vois la rage sur son visage. L'affronter est horriblementdifficile,jepeineàlutter,àleregarderenface,ànepasm'excuseretmemettreenboule,depeurqu'ilnes'acharnesurmoi.

—Jesuisvenuerécupérercequim'appartient,jereprendspourconclure.

—Parcequetut'imaginesqu'ilrestequoiquecesoitquisoitàtoiici?éclate-t-ild'unrirehaineux.

—C'estcequ'onestvenuvérifier,trancheKyu.

GauthieretKyufontleurapparitionàmescôtés,j'ignoreoùsetrouveVirgile,maisjesuiscertainequ'iln'estpasbienloin.LeteintdeYannpassedublancaurouge.

—Alorst'esvenueavectesmecs?TufaisMénageàtrois?siffle-t-ilentrelesdents.

—Cesontmesamis!jenepeuxm'empêcherdemejustifier.

— Il n'y a qu'avecmoi qu'elle a accepté de coucher, lanceVirgile avec un naturel qui blase toutel'assemblée.

Cettefamilleestinfernale!Ilsm'auronttoutfait!

Cependant,l'apparitiondeVirgile,sigrandetmusclé,associéàsoninterventionauraeuleméritederendreYannsipâleetsivert,quej'aicruqu'ilallaitnousfaireunmalaisesurplace.Sansunmot,ils'écarte,s'assoitdanslesescaliersprèsdelaporte,etnousentronsfaireletourdechaquepièce.

Beaucoupdemesaffairesontdisparu.Yannavaitraison.Maisj'aipurécupérerquelquesvêtementsqu'ilavaitlaissésdansunependerieetunecommodequiappartenaitàMamanlorsqu'elleétaitadolescenteetqu'ellem'avaitoffertsaveclebureauassorti,pourmesdix-huitans.

Aumomentdepartir,Gauthiera lamerveilleuse idéedevérifier legarageetnousydécouvronslebureaud'adodeMamanetenvironsixcartonsferméssurlesquelsilestécrit"traînée"aumarqueurrouge.Personnenerebondit,nousfaisonstoussemblantdenepasavoirvul'inscription

insultanteetenembarquonslebureauetlamoitiédescartonsdanslacamionnettemaintenantpleine.Lestroiscartonsrestantstrouventleurplacedanslecoffredelavoiture.

GauthieretVirgilemontentdanslacamionnette.Kyumonteenvoiturealorsquejemedirigeverslaportièrepassagèreafindemonterenvoiture.Parchance,jeclaquelaportejusteavantqueYannhurle toute lahainequ'il ressentenversmoi.Je lesentends,maissavoixestatténuéeparl'habitable. Kyu a le réflexe de mettre la musique suffisamment forte pour couvrir totalement lescrisdeYann.Nous l'ignoronset sortonsdesapropriété tranquillement, suivisdenoscompèresencamionnette.

En dix minutes, nous rejoignons la maison de mes parents.Maman se précipite àl'extérieurpournousaccueillir.Jemettraismamainàcouperqu'elleguettaitnotrearrivéederrièrelerideaudelacuisine.

—Jesuissicontentedevousrencontrer,lesgarçons!s'enthousiasme-t-elle.

ElleembrasseGauthier,KyupuisVirgileavantdesejetersurmoipourm'enlaceravecsonamourinfini.Yonisechargedeprendrelerelaiensaluantletrio.GauthierfaitnaturellementlesprésentationsentreKyuetmonfrère.

—Rentrez,ilfaitfroid!Onvaboireuncouppourseréchauffer,intervientmonpère.

Yonis'approchedemoipourm'embrasser.Jesuisestomaquéedevantl'interventiondemonpère.Cethommequineprendquasimentjamaislaparole.

—Qu'estcequevousluiavezfait?j'accusemonfrère.

—Nous,rien!Tureviensàlamaisonaprèsêtrepartiesansdireaurevoir.T'esaccompagnédedeuxdetesamisquej'airencontrésetvantéauprèsdesparents.Etavectonpatron,enplus!D'ailleursilétait tempsquevous arriviez, ça fait trois heures queMaman trépigne et quePapa tourne en rondd'impatience.

—Dis-moiqueMamanafaitunsuperdessert,jelesupplie,gourmande.

—Onaàboufferpourtrenteetellen'apasfaitundessert,maisquatre!

Lebrasautourdemesépaules,Yonimefaitentreràl'intérieurdecettemaisonquiseratoujoursmonchezmoi-mêmesijen'yvisplus.Monregardbalayelapièceetmonsourires'illumineàcettevision.Mamanquidéposedespetitsfourssalésetdusaucissonsurlatable,nonsansrouspétersurGauthierquinepeuts'empêcherdepiocherdedans, tandisquePapasortquelquesbouteillesdubarenpleinediscussionavecVirgilesurcequisembleêtreunebouteilledeWhisky.

J'y voismonbonheur se rapprocher tout doucement,ma famille,mes amis, debonsmomentsdepartageentoutesimplicité.Cequimeconfortedansmesrécentesdécisions.

8Proserpine

Nos lèvresse trouvent, je l’embrasseavecunedévotionrare.Jeneveuxplusvivresansamour. Je veux savoir que quelque part, un homme pense à moi, m’aime. Il me fait basculer enarrière,nossoufflessemêlent,maisjenesuispasprêteàça.

—Non,Marc…

Sessourcilssefroncent,l’inquiétudepassesursonvisage.

—Tuaspeur?

Mesdoigtsremontentlelongdesesbras,jedéglutispéniblement.

—Non,juste…J’aibesoind’autrechose.Pasdesexe…

Seslèvresseposentavecdouceursurmonfront,sesmainseffleurentmesjoues,jelesenssourire.

—Nousavonsdeuxjourspournous,rienqu’ànous.

Le silence s’impose naturellement. Blottie contre Marc, je soigne chacune de mes plaiessentimentales. Le feu m’hypnotise de ses superbes volutes rouge et jaune, des quelques étincellesjaïssantesduboisquicraque.

Ils’écartedemoilentement,jel’interrogeduregard.

—Viens,nousallonsfairequelquechosed’inédit.

Macuriosités’intensifiealorsquejelesuisjusqu’àunegrandecuisine.Ilouvreunfrigodissimuléderrièreunefaçadeenboissculpté.Surleplandetravail,ildéposeuneénormedinde.Jem’étrangled’étonnementetdedégoûtfaceaucadavreduvolatile.

—Maisqu’est-cequetuvasenfaire?

—Nousallonscuisinerensemble…Commeunvraicouple.

—Jerefusedetoucheràcettechose!

Il rit, tandis que je reste le plus en retrait possible pour être certaine de nemême paseffleurerl’animal.Toujourshilare,ilouvreunlivrederecetteets’appliqueàsuivrescrupuleusementchaqueindication.

—Tuattendsdesinvités?jeprésumefaceàlatailledelabête.

—Non.Justetoietmoi.

Mesyeuxs’écarquillent,ilyaàmangerpourquinze,c’estàcroirequ’Agnialepossède.Jen’auraisjamaisimaginévoirMarcfairelacuisineavant.Ilatoujourscommandéchezdestraiteursoudînéau restaurant. Ilmet ladindeau four, s’approchedemoiavecsesmainssales, je serre lesdents.

—Tunemetouchespas!Jetesignalequetesmainsontétédanscette…chose.

Ilrouledesyeux,unlégerrirem’échappedevantlacocasseriedelasituation.J’enavaisbesoin.J’ouvrelacaveàvin,débouchepournousunPetrusquicouledansdeuxverresballons.Lesiris fondus les uns dans les autres, nous trinquons à ce nouveau départ, à cette vie qui nous tenddésormaislesbras.

Nous n’avons pas besoin de parler, nous nous satisfaisons de la présence de l’autre,profitonsdechaquesecondequis’égrèneetnousrapprocheunpeuplus.Lescorpssefrôlent,lapeausecouvred’unechairdepoule,etmapoitrinesesoulèvedavantage,dansunerespirationpluscourte,plusintense.

Noussavonstantl’unsurl’autre,nousn’avonsjamaiseudesecrets.Moncœurpercutemapoitrine,commes’ilvoulaitalleràlarencontredusien,fusionner.

Commentai-jepufaillirrenonceràtoutça?Àcettecertitudequ’ilestmonavenir?

***

Nousn’avonsmêmepasdîné.Ladindeabrûlédanslefour,caraucundenousn’avoululâcherleslèvresdel’autresquandlaminuterieasonné.Puis,ensemble,nousnoussommesendormisdanslaplusluxueusedeschambres,unfeudecheminéecrépitantdansl’âtre.Sentirnospeauxl’unecontrel’autre,sachaleurm’envelopper,meprotégerdumonde,aétésansdouteleplusmerveilleuxdesmoments.

Aumatin, je suis réveillée par des caresses chastes, pleines de tendresse. Je souris,metourneversluietviensmordillerlelobedesonoreille.

—Biendormi?susurre-t-ilencapturantmeshanches.

Jepeuxsentirsonérectionpressercontremonventre,mesdoigtssuiventlessillonsdesesmuscles,s’égarentsursonbas-ventreeteffleuresonmembre.Mapoitrineécraséecontresontorse,sesmainssurmesfesses,ledésirmeconsume,faitdemoidelalaveenfusion.

Àcalifourchonsurlui,jecaressedemeslèvressagorgeetembrassesespectoraux,jusqu’àêtre interrompue par des hennissements. Mes sourcils se froncent, l’amusement se lit dans lesprunellesdeMarc.

—Vasvoiràlafenêtre,suggère-t-ilendéposantunbaisersurl’undemesseins.

Péniblement,jem’arracheaulitetenrouleledrapautourdemoi.Jem’avancejusqu’àlafenêtreoùlegivreformedesuperbesarabesquesglacées.Monnezs’ycolle,etjedécouvreenbasduchaletunecalècheatteléededeuxsuperbeschevaux.

—Commeuneprincesse,jesouffle,ébahie.

J’ai tantrêvéd’untourencalèchedansmesexcèsderomantisme.Commeuneenfant, je

trépigneetmeprécipitepourm’habillersouslesriresdeMarc.

Etçaaétéainsitoutleweek-end.Desinstantsderêve,desattentionspournousrapprochertoujoursunpeuplusjusqu’àcequel’amourachèved’inondernosveinesetd’envahirnoscœurs.Jen’étaispluslamaîtresse.Non,j’étaislaseuleetunique,cellepourquiilveutexister.

***

Encoredansunétatdeplénitudeabsolu,samainsurmataille,nouspassonsensemblelaporte des éditions Scripturam. Je souris en songeant à la première fois où je suis entrée ici.À lapremièrefoisoùj’aivul’impressionnantMarcChevalier.

—MonsieurChevalier.Unepersonnevousattenddansvotrebureau.

—Jen’avaispasderendez-vousaujourd’hui,proteste-t-il.

—Elles’estimposée.

Lamanièredontelleappuiesurleelleneprésageriendebon.Nousprenonsl’ascenseur,mamainseglissedanslasienneetlaserrefort.J’appréhendeunretourd’Amélie,quetoutceséjouràlamontagnen’aitétéqu’unmirage.

Lecœurbattant fort,bien trop fortpourqueson rythmepuisseêtre supporté, j’entreenpremièredanslebureau.D’uncoup,monsangaffluxjusqu’àmesjoues,puislesquittebrutalementetlaissemoncerveaudansunétrangebrouillard.

—Tonconciergem’aditquejetetrouveraisici.

Savoixclaque,plusautoritaireetsévèrequ’uncoupdefouet.Mamèreselèvedufauteuil,s’approchelentement.Avechorreur,jeconstatequ’elleetmoiavonscemêmedéhanché,cettemêmeséductiondanslagestuelle.Nosyeux,nosirisparfaitementidentiques,s’affrontent.

—Tumedéçois,Proserpine,lâche-t-elle,pincée.

Sonparfumcapiteuxmedonnedeshaut-le-cœur,jeravalemasalive.

—Tun’asétéqueça,toutemavie.Jeméritaismieuxcommeenfant,largementmieux.

LamaindeMarcquimesoutenaitm’abandonne.J’aipeurdevaciller,m’accrocheàcetteforcequejepuiseloin,trèsloin,dansmonenfanceàMilan.Monprotecteurseplacedevantmoi.

—Proserpineestunefemmeincroyable,persifle-t-il.

Elleéclated’unrirecruel,lissesontailleurbeigeduplatdelamain.Jebaisseleregard,commesiçapouvaitmeprotégerdesaméchanceté,decettehainequ’ellenourritenversmoidepuistoujoursetquin’ajamaiscesséedemetourmenter.

—Etvousêtes…?

—MarcChevalier,soncompagnon.

—Compagnon,glousse-t-elle.Proserpine,tuachèvesdemefairehonteentemettantencoupleavecunhommeenâged’êtretonpère.Jenepensaispasquetutomberaissibas.Ilestétonnantdevoiràquelpointlamédiocritédetonexistenceserévèledeplusenplusaveclesannées.

Jefixemesdoigts,chaquemotestuncoupdepoignard,uneinfiniedouleur.Maisjenepeuxplus.Etjeneveuxplusendurerça.Jeneméritepasça.Non…Non.JesuisProserpine,quelqu’undebien malgré ma carapace. Je ne suis pas une catastrophe. Je ne suis pas un échec. Je suis moi,seulementmoi.Unejeunefemmequiréussit,quiavancedansuneviecompliquée.

Matêteserelèveàmesurequejeréalisecombienmamèresetrompe,àquelpointellepeutêtre dans le faux. La petite Proserpine me pousse, me chuchote ce que j’aurais dû dire il y alongtemps,cequiabesoind’éclater.J’inspire,rompsdéfinitivementunlien,melibèred’uneentrave.

—Jen’aiplusdemère.

Ma phrase explose malgré mon ton étrangement posé. Elle fait l’effet d’une bombe,abasourditmagénitrice.Sabouches’ouvreetseferme,incapabledeformuleruneréponsealorsquejebombemapoitrine,redressemonbuste.

J’aiMarc.J’aiAgnia.J’ailesSéraphins.J’aiGauthier.Alors,jenecrainspasdeperdreunepersonne qui n’a su que me rabaisser tout au long de ma vie. Non. Je ne le redoute plus caraujourd’hui j’ai des gens qui sont là pourmoi, pourme protéger et s’inquiéter demon existence.Monmentorm’étreintalorsquejem’apprêteàdonnerlecoupfinal.

—Jeneveuxplustevoir.Plusjamais.

Jesuissonnée,réaliseàpeinecesmotsquisontsortisdemabouche,cesproposquiontsilongtempsattendud’êtrerévélés.Maisjenem’effondrepas,carj’aiunsoutiendepoidsetl’amourd’unentouragemillefoisplussainqu’elle.Millefoisplusaimantquemaproprefamille.

Aujourd’hui,lapetiteProserpinebafouéeetrejetées’éteint,àtoutjamais.

EpilogueMarc

Quelquesmoisplustard…

Lesdeux flutesdechampagnearrivent lorsque lespremierspilotes franchissent la ligned’arrivée. Depuis notre loge V.I.P, nous admirons le sacre d’un nouveau champion du monde deformule1.Prorêvaitd’assisteràceGrandPrixdécisif,voilàdessemainesquej’aiorganisénotreséjour àAbuDhabi. Suite luxueuse, restaurants de rêve et,maintenant, une coupe de champagne àsavourerenamoureux.

J’admirelesyeuxdeProquipétillentautantquelaboissonlorsqu’elledécouvrelabaguequiflotteàl’intérieur.

—Marc…

Jeposeungenouàterre,récupèrelabagueenorornéed’unimposantrubistailléencœur.Samaindélicatedanslamienne,jelatrouveplusbelleencorequelesautresjoursdemavie.Sesirisdechatmalicieux,sesjoueslégèrementrosies,salèvrequ’ellemordille.

—Proserpine,tueslaseulefemmeàlaquellejepenseàchaqueinstantdemonexistence.Tuesmonoxygène,maraisondevivre,lesbattementsdemoncœur…

Une larmeperleàses longscilsnoirs, jepressesesdoigts,mesoreillesbourdonnentetl’émotionvientdéborderdemeslèvres.

—Meferais-tul’honneurdedevenirMadameChevalier?

Sesprunellessetroublent,sevoilentdetristesseetun«non»s’échappedesabouchedansunsouffleàpeineaudible.Toutemonâmem’échappe,s’extirpedemoncorpspournelaisserqu’uneombre.

—Jesuisdésolée,Marc.JenepeuxpasêtreProserpineChevalier.

Monmondetoutentiernedevientqu’obscurité.Elletournelestalons,quittelalogeaveccettegrâcedansladémarchequilafaitêtresupérieureàtouteautrefemme.Jel’admirecommeuneœuvre, une déesse,malgrémon cœur qui se déchire douloureusement. Je nem’attendais pas à unrefus.Jesaigne,m’essouffle,découvreunesensationdenoyade.

Nousétionssifusionnels.Nousétionssibien.Pourquoi?Qu’est-cequiapusepasser?

***

Le retour à notre quotidien a été rude. Je vomis littéralementma colère sur les autres.Chacunenprendpleinlafigure.Iln’yapasderaisonquejesoisleseulàêtreunchampderuines.Chaque inspirationdanscetteviesanselleestunsuppliceetchaqueexpirationdevient lapromessed’unefinquej’attendsetespèremaintenantquejesuisprivédesonamour.

Mon fils entre dans le bureau sans taper. C’était lamanie de Proserpine, ça. Pas la sienne.Cependant,jefaisl’effortdenepasluicrachermahaineetl’inviteàs’asseoir.

—Alors,quellessontlesnouvelles?jegrommelle.

—Elleestretournéevivreàsonduplex.

—C’estAgniaquidoitêtrecontente…

Gauthierretientdifficilementunpetitrire,jepressemonstylojusqu’àcequ’ilsebriseentremesdoigtsetquel’encreinondemesdoigts.

—DucouptugardesChoupi?poursuit-il,hilareet,probablement,inconscient.

Jedésignelecanapéd’angleoùlechatestinstallésurleplaid.Quandj’aiemménagéavecPro, nous avons convenu que la bestiole viendrait ici, où désormais les bureaux de Stuprum sontinstallésàlaplacedel’ancienservicedelacollectionérotique.Maisdepuislefiascod’AbuDhabi,elleachoisidetravaillerchezellepourm’éviter,unesituationquidevientpurementinsupportable.

—Labagueétaitparfaite.Lasituationétaitparfaite,jerumine.

Macolèredéteintsurtoutelamaisond’édition.Lescouverturessontsombres,toutcommelesnouveauxmanuscrits sélectionnés.Leplanétait clairdansmonesprit, et tellement simple. Je lademandaisenmariageetellerépondaitoui.Jesaisqu’auplusprofonddesonêtrec’estsondésir.Ellene veut que moi, nous nous sommes suffisamment prouvé notre amour. Nous savons que nousexistonsl’unpourl’autre.

—Tusais,tondivorceavecMamann’aquequelquemois…Tunecroispasquetut’esprécipité?sehasardemonfilsenprenantlesoindes’éloigner.

Je le foudroie consciencieusement du regard. Je n’ai pas besoin deme souvenir de cetépisodedouloureux.

—ElleestamoureusedeMarcChevalier,elleauraitdûmedireoui!jem’emportedansungestequienvoietoutvalsersurmonbureau.

Lamâchoirecrispée,jemelèveetm’approchedelafenêtre.D’ici,jevoissonimmeubleauloin.Jeladevineentraindescruterlavilleàtraverslabaievitrée,dedominersonmonde.A-t-elleseulementconsciencedecetteplaiequ’elleaouverte?

—Laisse-moi…

Je ne veux pas de public pour voir ma chute vertigineuse intérieure ni pour me voirm’effondrer.Elleestlaseuleàpouvoirmefaireça,àavoirlepouvoirdemedétruire.Jemelaissetombersurlecanapé,lesyeuxdanslevague.

Commentlarécupérer?

***

Unesemaineplustard,jesuisuneloque.Àtelpointquemonfilsajugéutiled’intervenirenm’organisant un diner avec Pro dans la mesure où elle ignore toutes mes tentatives de prise decontact.J’ignoresijedoisleremercieroulemaudire.L’écrindelabagueesttoujoursdansmaveste,nel’apasquittédepuisnotreséjouretsemblepeserunetonne.Quandellearrive,j’ailecœurauborddeslèvres.Jeluitirelachaise,l’inviteàs’asseoir.Elleesttellementbelle.

Mesyeuxcoulentsursesépaulesdénudées,sontaccrochésparlesstrasssursapoitrineetsuivent ses courbes parfaites. Immédiatement, elle plonge dans le menu. Je n’ai pas faim, j’aiseulementledésirdel’avoirànouveaupourmoiseul.J’observechacundecesgestesgraciles,tombeamoureuxunebonnecentainedefoisavantqu’ellenem’accordeunregard.

Alors,jen’aiqu’unmot,qu’uneseulechoseàluidemander.

—Pourquoi?

Deuxsyllabes,deuxbattementsplusviolentsdemoncœur.Mesyeuxsefondentdanslessiens,sonmentonseposesursesmainsentrecroisées.

—Tun’espasMarcChevalier.Jeneseraispasunemascarade.

Dévastéparl’évidence,jemerenfoncedansmonsiège.ToutelachaleurduLibansoufflemesidées,lesbalaie,merenvoieloin,trèsloin,jusqu’àmesorigines.

—JesuisMarcChevalier,dirigeantdeScripturam,jerétorque.

—Non…Non.Marc Chevalier, c’est cette carapace que tu t’es inventée pour mieux t’intégrer etmoi…Etmoijenepeuxpasépouserunecarapace,unecoquille,unmensonge.

Chaquemotmepercute,commeunviolentcrochéenpleinestomac.Ellesepencheenavant,chercheàsaisirmesmains,lalèvreinférieuretremblante.

—Toutemavien’aétéfaitequed’apparences,continue-t-elle,lavoixnouéeparunsanglot.Etjeneveuxplusdeça.Jeveuxjuste…toi.Levéritabletoi…

—Iln’existeplus,Pro.C’estMarcChevalieretseulementça…

—Ryad!

Ryad.Ilyasilongtempsquejen’avaisplusentendumonvéritableprénom.

—Jen’aimerais jamais une illusion.Alors…Alors, ou tu acceptes d’êtreRyadKhazen avecmoi,avecnous,oujetequitte.

Jedevinetouteladouleurqueluiprovoquecettemenacedanssavoixquiéclatecommeducristaljetéausol.Sesmainsviennentpresserlesmiennes,lesétreindreplusfortquel’espoir.Etmoi,jeréalisequ’elleestsansdoutelaseuleàm’aimerréellement,sincèrement,duplusprofonddeson

cœuraupointd’êtrepasséoutrecepersonnagedeMarcChevalier.Aupointdevouloirporterlenomdesimplesimmigréslibanaisvivantdansl’ombreetletravailaunoir.

Jemepenchepar-dessuslatable,l’embrassejusqu’àperdremonsouffle,laissenoslèvresse chercher, avant de se caresser et s’écraser l’une contre l’autre dans un baiser passionné. Plusjamaisjenepourraislalâcher,plusjamaisnousneseronsséparés.

Quandnousnousséparons,jesuissourdaumonde.Jenevoisqu’elle,quesondésird’êtreliée à jamais àmoi, au véritablemoi. Je capture son doux visage entremes paumes, savoure cetinstantquejesaisêtrecrucial.

—Alors,meferas-tul’honneurd’êtreProserpineKhazen?

—Oui…Oui…OUI!

Elleéclated’unrirelibérateuretunrienenfantinquandjeluipasselafameusebagueaudoigt.J’ydéposeunbaiser,tendrement.

—Jeteconfiemoncœur,prends-ensoin,murmure-t-elle.

ProserpineKhazen,elleestmonprésent,jeseraissonavenir.

EpilogueKyu

Quatreansplustard…

Belle.Tellementbelle. Jenepeuxdétachermesyeuxd'elle.Sonvisage fatiguéaprèsl'effort, sescheveuxblondsdécoiffésencoreunpeuhumidesaprèsavoir transpirés.Etsonsourireresplendissantdebonheur.Parcequecequ'onvientdevivrelà,cemomentqu'onn'oublierajamais,resteragravépourtoujours.Unéchangederegardentrenousasuffipourqu'onsachequenosviesseront à jamais unies. Peu importe le temps perdu, la peur, les disputes, les promesses ou lesdéclarationsdevantMonsieurleMaire.Toutçan'aurajamaisplusaucunevaleurmaintenant.Enunefraction de seconde nous venons de conclure le plus grand engagement de notre existence.C'étaitévident.Onasu.

Lesquatredernièresannéesrepassentenavancerapidedanslatête.Agniaadébarquédansmavieens'imposantinvolontairement.Lecomblepourunefemmed'unetellefragilité.Douce,naïve,perdue, au fond je savaisqu'elle se ferait dévorer toute entièrepar cemonde.Mais ellen'a jamaisabandonné.Àsafaçon,ellealutté.Monadmirationn'afaitqu'accroîtredejourenjour.Etpuis,peuàpeu,elles'estendurcie,affirmée.Uneamitiés'estinstallée.Justedel'amitié.

Jemesouviensdel'époqueoùsonexétait jaloux,oùOdileetProserpinesouhaitaientnousvoirconcrétiserunerelationqueniAgnianimoinevoulions.Nousavionsdûmettrelespointssurles"i"avecellesafind'avoirlapaix.Qu'ellesdoiventêtresatisfaitesaujourd'huidenoussavoirencouple,plusamoureuxquejamais.Onauramisletemps.Plusd'unanexactement.C'estlongpourcertains,maisc'étaitnécessairepournousfinalement.Dutempspourguérir,dutempspourgrandir,dutempspourl'envie,ledésir,accepteretoser.Nosamisnel'avouerontjamais,maisjesuiscertainqu'ilspensaientqu'aufinal,ilnesepasseraitrienentreAgniaetmoi,misàpartcetteamitié.

Etpuiscequidevaitarriverarriva.Naturellement.Sinaturellementquenousavonsétésurprisl'uncommel'autre.Elleétaitrestéeaprèsleboulot.Commebiensouvent,onavaitprévudeseregarder un film en bouffant indien dansmon studio que je trainais à quitter.Ça arrivait souvent,c'étaitfacile,uncoupdefilàpasserpourêtrelivré,etunefoisnotredînerarrivé,ons'installaitdanslecanapéenlançantunDVD.

Maisjen'aijamaisregardélefilm.Agniaavaitfaimetjemerappelleraitoujourslorsqu'elleavaitvoulupiquerdiscrètementdansunedesboîtesdu sachetde livraison.Ellene s'attendaitpasàtombersuruntrucaussiépicé.Jeseraisbienincapablededirecequec'était,maissatêtequandellearéalisél'erreurqu'ellevenaitdecommettre,ça,çameresteraenmémoire.Jel'aicharriéependantunmoment,ellen'enfinissaitpasdepleurer.Pourunefois,ellen'étaitpasrougeécarlatepargêneoutimidité.J'ai tellementriqu'elleavait finiparrireaussimalgré ladouleurdanssabouche.Onétaitappuyé sur la table-bar dema petite cuisine américaine. J'étais penché en avant, etmoi aussimeslarmescoulaient,maisderire,contrairementàelle.Etc'estlàquec'estsortidemabouche,commesionétaitunvieuxcoupleaprèscinquanteansd'union.

—T'esterrible,maisjet'aime,révèlais-jeautantàellequ'àmoi.

Nosgloussementssesontarrêtésinstantanément.Etàmoinsd'avoirunmiroirpourmevoir,jenesaispaslequeldenousdeuxaétélepluschoquéparmesmots.J'aieupeur.Vraimentpeurdelaperdre.Onétaitbiencommeça.Touslesdeux.Enpotes.Çasuffisait.Uneseconde,j'airegrettémesparolesparcequej'avaislatrouilledel'effrayer,delaperdre,qu'ellemefuit.Etj'aicomprisquesijeflippaisautantc'estquemessentimentsétaientbeletbienlà.Jenelesavaispasvussedévelopperetcen’estpasplusmal,carj'auraistoutfaitpourlesarrêter.

Je suispersuadéque j'avais l'air d'un imbécilependant cepetit silencedurant lequel,chacun dans notre monde, nous prenions la décision de savoir quoi faire, comment gérer cettesituation que l'on attendait pas. J'allais me raviser, m'excuser, mais elle a souri. Un petit peu. Unsourirepresqueimperceptible,maispourtantprésent.Elleadéposéuntoutpetitbaisersurmeslèvresencoreentrouvertesdesurpriseavantdereprendrelavie,làoùonl'avaitlaissée.

—Alors?Onleregardecefilm?s'impatienta-t-elle,enjouée.

Elles'estdirigéeverslecanapépours'yinstaller.J'aichoppélesacdebouffeetlesdeuxbièresqu'onavaitpréparées,avantde la rejoindre. J'aimis leDVDenroute, l'ai regardéemanger,réagirfaceauxrebondissementsdel'histoire.Maispasunefoisjen'aiposémesyeuxsurl'écran.

Ilnes'estrienpassédepluscesoir-là.Onn'enapasvraimentreparlé,onnes'estpasplusdévoilé.Onatoutbêtementlaisséleschosesveniretonlesatoujoursbienaccueilliesmaintenantquenoussavionsquenousnousapprêtionsàvivrequelquechosetouslesdeux.Aufuretàmesuredessemainessuivantes,Agniapassaunenuitchezmoi,puisdeux,puistrois.Etçavafairepresquetroisansqu'onvitensembleofficieusement.ParcequeMademoiselleasoncaractèreetj'aimeça.Safaçonderefuserdevoirsonnomsurmaboîteauxlettres,dedépenserlamajoritédesonsalairepourqueProserpineluilaissel'appartementmêmesinil'unenil'autren'yvitplus.SimaAgniasavaitquesameilleureamiemettaittoutcetargentsuruncompteenbanqueàsonnom,elleseraitfolle.

Elleavaitréintégrésonappartementilyaàpeineunan.Mesparentssonttrèsrespectueuxdes traditions et nousmettaient la pression pour nousmarier. Surtout mamère. Agnia a paniqué.J'étaisprisentredeuxfeux,paumé,jen’aipasréussiàgérer.Onétaitpartid'unediscussionquiafiniendisputeparcequ'onn'a jamaispucorrectements'exprimer l'unet l'autre.Onnes'estpasséparé,maisellenerestaitplusaustudio.

Etaprèsdeuxansdeviecommune,parcequequoiqu'elleendise,c'étaitdelaviecommune,jen’aipassupporté.Jesuisallélaretrouverchezellepourluividermonsac.Quejenevoulaispasêtreen couple, ni avec elle, ni avec aucune femme après ma dernière histoire, mais qu'entre nous cen’étaitpasprémédité,quetouts'estfaitsansqu'onaitunquelconquepouvoirdessus.Onétaitpatronetemployéeetenunriende tempsons'est réveilléencoupleetqu'avantce jour-là, jen'avais jamaisréaliséquec'étaitçamavie,quec'étaitcebien-êtrequejevoulais,celuiquejeressentaisquandjemetrouvaisavecelle.Quejem'enfoutaisdecequepensaitmamère,decequevoulaientimposermesparents,etquemoinonplusjenevoulaisluipasserlabagueaudoigtparcequ'onn’avaitpasbesoindeçaentrenous.Etquesiçadevaitarriverunjour,alorsçaseferait,spontanément,commetoutlerestedenotrehistoire.

C'étaitlapremièrefoisqu'onparlaitvraimentdecequ'onressentait.Enfinmoisurtoutparcequ'ellenerépondaitpas.J'aiattendu,lesbrasballants.Elles'estmiseàpleurer.Jenevoyaispaspourquoi,hormissielleavaitprisladécisiondemequitter.Moncœurs'estserrétandisquej'avais

cetteépéedeDamoclèssuspendueau-dessusdelatête.

—Cen'estpascequetuauraissouhaitéentendre,n'est-cepas?j’aiconclu,anéanti.

—Cen'estpasça,hoquetait-elledifficilement.C'estmoi.C'est…moncorps.

—Agnia…,jesouffleenl'attirantdansmesbras.

—Jesuisenceinte!

Moncœuraratéunbattement,peut-êtremêmedeuxoubiendix.Moncorps,monâme,moncœursesontvidés.Maissesontremplissivitedecetrucquejeneconnaissaispas,quejen'aipaseuletempsdemesentirmourir.Cetruc,sipuissant,quid'unseulcoup,m'arendusifier,sifort,sigrandetsurtoutsiamoureuxdecettenanaquipleuraitdansmesbras.Àcemoment-là,jepensaisvivrelachoselaplusdinguedemavie.Quelleignorance!

—Dis-moiquetuveuxlegarder.Dis-moiquetuleveuxautantmoicebébé, je l’aisupplié,grandsourireauxlèvresentenantsonsidouxvisageentremesmains.

Elleaagitésatêtedehautenbasavecunetelleénergiequeledouten'étaitpaspermis.C'est làqu'onaappris tous lesdeuxcequec'estdefaire l'amour.Pas justedusexe,duplaisiravecquelquessentiments.Maisvraimentfairel'amouràlapersonnequ'onaimeduplusprofonddenotreâme,lapersonnedenotrevie,cellepourquionaccepteraitdemouriroudetuer.

Etmaintenant,jelaregarde,sinature,siépanouie,si…elle.Etmespenséessontcoupéeslorsque la puéricultrice lui dépose notre petite fille dans les bras. En quelques minutes, j'ai deuxraisonsd'accepterdemouriroudetuer.Levoilànotrevéritableengagementàvie,notredéclaration,notrepromessed'amouréternel.Elles'appelleNara.

FIN

Ainsis’achèventlesaventuresd’AgniaetProserpine.Désormais,chacunevoledesespropresailesverssondestin.Iln’estplusquestiond’unangeoud’undémon,simplementdedeuxfemmesquiontsu

sedécouvrirautraversdesépreuves.

Nousremercionsleschroniqueusesquiontprisletempsdeplébiscitercettesérieainsiquenoslectricesquifontvivrecettehistoireàchaquefoisqu’elleschoisissentd’entournerlespages.

Etpourvousremercier,nousvousproposonsenbonusunchapitredeGauthierquisesituechronologiquemententreletomeunetdeux.Àvousdetournerlapagepourprolongervotrevoyageau

cœurdePandemonium…

Nousavonshâtedevousretrouversurnosfutursduos…

Gauthier

La serviette tombe sur mes hanches, je ressens encore les bienfaits d’une séance de sportintensive.Cesdernierstemps,j’éprouveplusquejamaislebesoind’allermedépenser,d’extérioriserla frustration que génère cette foutueEva des Plaisirs. J’en viens àme demander quotidiennementpourquoinous l’avonsacceptéeetàmaudireProd’avoirflashésursonmanuscrità l’ouverturedenotremaisond’édition.

L’écrandemonportables’allume,l’appareilvibresurmatabledechevet.Jelesaisisetjetteunregarddésabuséàl’identifiantquis’affiche.

Quandonparleduloup…Jedevraisl’expédiersurmonrépondeur,maisPromeferaitsévèrementlagueulesielledevaitse

retrouveràgérerunecrised’egodenotreauteurestar.J’inspireungrandcoup,résigné.Mondoigtglissesurl’écranetactivelehaut-parleur.—Ehbien,vousenmettezdutempsàdécrocher!

C’estfoutantd’amabilité.—Voustéléphonezpourévaluermarapiditéoupourunvraisouci?jerétorqueenlaissanttomberlaservietteàmespieds.

L’atmosphère est étouffante. Une journée lourde, au ciel plombé, à travers duquel un soleilbrûlanttentedepercer.—J’aiunsouci.Vousêteslesouci.

Génial!Jetired’ungestebrusquesurmontiroir,ellecontinuededéblatérersurmonmanquedequalifications. En temps normal, je tâcherais de le tourner à l’humour.Mais pas là. Pas quand çadevient un véritable harcèlement. Chaque jour, je dois l’écouter, me taper ses râleries. La tensionévacuéependantlacourseàpiedrevientetcrispemanuque.—Jevousrappellequej’aiunmaster,jeronchonneenenfilantmonboxer.—C’estça,unmasterdécrochédansunepochettesurprise.J’exigeunautrecorrecteur.—Pourlacentièmefois,ilfautquevousnégociiezçaavecmademoiselleDiavolo.EtmademoiselleDiavolovousenverrachier.

C’estsortitoutseul.Tantpis,j’ensuisàunstadeoùjem’enbranle.—Comment?Maiscommentosez-vous…—Jenefaisquevousavertir.Proserpinen’apasmapatienceetellevousenverrachiercopieusementsivouspersistezdanslescapricesetlaconnerie.

Elleenchaînetoutessortesd’onomatopées,jejubile.Puiselleraccrochealorsquejesélectionneunpoloplutôtléger.

Victoire!J’aiclouélebecàcettesaloperie!Jeneregrettepasunseul instant lesmotsque j’aiemployés. Ilarriveunmomentoùquandon

n’estpasentendu,ilfautdonnerdanslelangagefleuri.Jeboutonnemonpantalon,savourelecontactavecletapisépais.Jejetteuncoupd’œilàmeschaussuresdevillesoigneusementcirées.

Depuismonadolescence,jemeforceàporterceshorreurspourfaireplaisiràmamère,mêmesi mes pieds en souffrent. Au point que je ne peux pas me concentrer pour bosser quand je suischaussé.Une fois, j’ai bien tentéde ramenerdesBirkenstocks1 chezPro pour travailler.Elle les a

balancéesparlafenêtreetj’aibienfaillisuivre.Jesuissecouéd’unfouriresilencieuxenrevoyantsatête.Sansparlerdesonhurlement.Quand

jevois les talonsvertigineuxqu’elleporte, jemedisquecette femmeest justeunemasochistedespieds.Maiscen’estpasparcequ’elleaimesouffrirquejedoisenfaireautant.

Jevaporiseduparfum,enfilemalourdemontreaupoignet,jenepeuxplusreculer.IlfautquejemettelesinstrumentsdetorturepourfilerchezPro.Jeregardeunedernièrefoismonmobile,jen’aiplusd’excusespourresterenchaussettes.

***

C’esttoujourspareil.Jepatientecommeuncondevantl’appartementdePro.JesaisqueMadame

prendletempsdeseremaquiller,desfoisqu’unémirseprésenteàmaplace.Jefeuilletteundossier,la sacochede l’ordinateurportable,bourréedepaperasse, contremahanche.Quand jevois tout lerouge,touteslescorrectionsrefusées,j’aienviedelesfaireboufferàl’auteure.

Jefrappeàlaporte,encore.Pro,réfléchis,cen’estpasunprincequiserisqueraitàabîmersesmainsentoquant.Jememetsàtaperdupied,croisemesbras.Lesminutespassent,etjecommenceàavoirenviede

dégommermoi-mêmelaporte,quand,enfin,elles’ouvre.—Nefaispascettetête,jen’aipasétésilonguequeça!

Ellepiqueunbaisersurmajoue.Immédiatement,macolères’envole.C’esttoujourspareilavecPro. Je lui en veux, puis jeme souviens qu’au fond c’est quelqu’un de bien qui a peur de ne pasapparaîtresoussonmeilleurjour.Quandjevoissonmaquillageetsatenueimpeccable,bienquetrèscourte,j’aipresquedelapeinepourelle.Jecroisqu’elleenmourraitsijedevaislavoirautrementquedansl’imagequ’elleseforgedepuisqu’onseconnaît.

Dèsquej’entre,j’envoiemesmauditeschaussuresdansuncoin.Jesuisunpeucommechezmoi.Jem’installedanslecanapé,maplacedeprédilection,faceàlabaievitrée.Jeposelesdossierssurlatablebasseetouvremonordinateur.—Ellemeprendlatête,l’autrepouffiassed’EvadesPlaisirs.

Rienqu’envoyant«ManuscritEvadesPlaisirs»s’afficheràl’écran,j’ailagerbe.Cettefemmemesortparlesyeux.—Ilmesemblequecen’estpastrèsdéontologiquedeparlercommeçadesauteurs,réplique-t-elleavecsontond’institutriceautoritaire.

Je m’en fous royalement. Elle peut bien me râler dessus, elle ne fait pas mieux. Elle devraitcommencerparseréprimanderelle-même.—IlmesemblequematrèschèrecollaboratriceatraitécettemêmeEvadesPlaisirsdechieusepasplustardqu’hier.

Elle roule des yeux et joue les innocentes.Mais je ne marche pas. Depuis le temps qu’on seconnaît, j’ai appris à ne plus me laisser attendrir. Elle est irrécupérable de toute façon. Son côtébourreaudetravailmepermetdelapardonnerquandmême.—Enrouge,c’estlescorrectionsqu’elleneveutpas?balise-t-ellequandellefaitdéfilerledocumentsurl’ordinateur.—Ouais,ellemefaitdescacasnerveuxpourdesvirgules!jem’insurge.

Bienvenuedansmonenfer,Pro.—Monpèreauraitdéjàrompulecontrat!j’appuie,deplusenpluscontrarié.—Tonpèregèrel’unedesplusgrossesmaisonsd’éditiondupays,jeterappelle.

Et voilà, le complexe d’infériorité qui revient. Ce n’est pas parce qu’on est petit qu’il faut selaissermarcher dessus. Je joue nerveusement avec le stylo quatre couleurs, certain quemon pèrenousdiraitdenepasnousencombrerd’uneconnepareillealorsqu’onreçoitdesmanuscritschaquejour.

Les pages défilent, j’oscille entre rire nerveux et véritables envies de meurtre. Je redoute dedevoir modifier des dates de sortie afin de se plier aux caprices de la pénible de service.Heureusementqu’onaaussi signéavecdesauteurssympas, sinon j’auraisdéjà toutenvoyébouler.Ayant toujoursvumonpèremenersamaisond’éditiond’unemaindefer,çamegonfled’avoir lasensationd’êtreunfaiblard.

Soudain,macolèresourdeestperturbéepardesbruitsde talons. Je relève la têted’uncoupetm’immobilisedevantlacréaturederêverougissantequis’avanceversnous.

Merde!Labombe!Jefouilledansmamémoire,ilnemesemblepasquePromel’aitdéjàprésentée.Oualors,elle

selagardepourelle.Elleenseraitbiencapable,enplus.—Je…J’aifiniet…Tupeuxvenir?!couinel’invitéesurprise.

Ellevireaurougeécrevisse,jemesenssourirecommeuncon.Jemelève,biendécidéànepaslaisserpasserça.Voilàdeslustresquejen’aipasvuunefilles’empourprerdevantmoi,çadoitbienremonteraucollège.—Mademoiselle,nousnenousconnaissonspas…

Voixsuave,regardbrûlant,ellefondetsaisitavecdouceurlamainquejeluitends.—Jesuis…Lameilleure…Agnia!

Jehausseunsourcil,sesyeuxmefuient.C’estdommage,j’aiàpeineeuletempsdemerendrecomptequ’ilsavaientlacouleurd’unchocolatgourmand.—Agnia,c’estcharmant.JesuisGauthierChevalier.

Impressionnée,n’est-cepas?Je bombe le torse, elle doit être émue de rencontrer un homme de ma position. Elle semble

déconcertée,jevaisluirépéter,pourqu’ellesoitbiencertainedenepasrêver.—GauthierChevalier.

Tu sais, l’héritier puissant qui possède déjà sa propremaison d’édition et promis à un avenirbrillantdanslequelilsera…—J’avaisbienentendulapremièrefois,àvraidire.

Ellecoupelefildemespensées,Proexploselittéralementderire.Unriresadique,bienentendu.Lalégendeditqu’unjourellearisansméchanceténimoquerie.Etmoi,j’ail’aircon.Trèscon.Ellenemelâchepaslamain.Jenesuispasdécidéàlalibérernonplus.—Laissetomber,Gauthier.Lenumérodu«filsChevalier»,çanemarchepasavecleshabitantsdeGravillons-sur-Rivière.

Formidable…Non,jenemedécouragepas.

—Alors,tuesenvacanceschezPro?Siellemerépondqu’elleestsonplancul,jemebarreetvaismesaoulerauPandemonium.Mon

egonelesupporteraitpas.—Non.Si!Non…C’estcompliquéetpuis…Pro,fautquejeteparle!

Ellemelâchebrusquementlamain,commesielles’étaitébouillantée.Jelaregardefuir,Promefaitunclind’œil.Commentjesuiscenséleprendre,ça?J’aipasfaitclind’œilpremière langueàl’école !Àmoins qu’elle ne tente à l’instant un numéro de télépathie. Je ferme les yeux et essaye

d’entendre.Mêmesic’estpurementridicule.Gauthier,ilfautquetuarrêtesd’êtredébilequandtuasaffaireàunesublimepairedejambes.Jesecouelatête,maconsciencearaison.Jevaism’asseoir,reprendreleboulot,laissermaproie

revenirversmoiestlameilleuresolution.JepoursuislescorrectionsetmedemandesiProaencored’autrescopinescanonqu’ellemecache.

Quand les deux redescendent, la belle s’éclipse pour faire le tour du duplex.Autrement dit, jepourrai espérer la revoir dans trois jours, le tempsqu’elle retrouve son chemindans le dédale depièces.—Alors,commenttulatrouves?questionneProenserasseyantàmescôtés.—Scandaleusementbonne.

Ellesourit,machiavélique.Jecommenceàbienlaconnaître.—Ellemanquedeconfianceenelle,alorsessayede…—La draguer ? La charmer ? Ou la baiser sauvagement contre la baie vitrée ? j’énumère, l’œilpétillantdeluxure.

J’adorelesfemmes,maissuisunéternelmalchanceuxenamour,toujoursletypequifinitparsefaireenfler.Proestsceptique.—Contrelabaievitrée?répète-t-elle,brascroisés.—Unvieuxfantasme…Tuaslesnouvellescouvertures?

C’estbien,oublielepetitculd’Agniaetconcentre-toi.Leprofondsoupirdemacollaboratriceenditlongsursonras-le-bol.

—Jecroisqu’ilvavraimentfalloirquenousengagionsungraphiste,souffle-t-elle,dépitée.Jebasculesurletableaudescomptes,voilàdessemainesquenousparlonsd’intégrerunnouveau

membre. Je regarde l’évolution des chiffres, nous décollons doucement,mais sûrement.C’est unelongue discussion qui commence. Pro a peur de faire plonger lamaison d’édition, etmoi qu’ellenousfasseunburn-out2.

Agnianous interrompt enposantdeuxbouteillesd’eaugazeuse sur la tablebasse. Jeme rincel’œildanssondécolleté.Elledevraitsepencherunpeuplus…Maisnon,elles’éloigneets’assoitsurl’autre canapé. Jene laquitteplusdesyeuxetmeplais àdétailler sagorge, sa taillemarquée, seshanchesquejevoudraisempoigner.Elleboit,déglutit,sapoitrinesesoulèverapidement,sestétonstrahissentsontrouble.

Quandelles’enaperçoit,ellecachesesseins,pudique.Maisçanem’arrêtepas,bienaucontraire.Mon instinct de prédateur s’éveille, j’ai envie de la traquer. L’excitationme fait bander, je désiretoujours ceque jenepeuxpas avoir.Toutm’a toujours étédonnéavecune facilitéblasante. Jeneveuxpasdeça,dumoinspasaveclesfemmes.

J’aicaptésonregardcoupable.Tunem’échapperaspas.

—Dis-moiAgnia,tuesdansl’édition,toiaussi?CommentProlaconnaît-elle?

—Non!Non,non.Je…pasdutout,bafouille-t-ellesansparveniràquittermesiris.—Tu sais parfaitement que non,Gauthier. Sinon tu la connaîtrais déjà.Laisse tomber, grommelleProserpine,passablementagacéeparcetteaffairedegraphiste.—Maisçam’intéresse,cequetufais,Pro.C’estimportant!protestelajolieblonde.

Immédiatement,leregarddeProserpines’adoucit.Impressionnant.

—Latroisièmeenpartantduhaut.Cesontleslivresqu’onédite.Tupeuxjeterunœilsituveux.

Mesyeuxcoulentsursesjambesquandellesehissesurlapointedespiedspoursaisirl’ouvrage.Elleenlitquelqueslignes,rougitdeplusbelleetnoustourneledos.Soninnocenceattisemonenviedelabaiser.Jebousdeposermesmainssursataille,del’attirercontremoipourl’embrasser.

Jetentedeluiparler,maisc’estmoiquimemetsàcafouillercommeunabruti.Àdéfautdesonâge,jeluidemandesonnumérodeSécu.CequiachèvelarelativepatiencedeProserpine.—J’aivoulufaireàmanger.Maisiln’yavaitriendanslefrigo,mesauveAgniaalorsquejemenoiedansuneautrequestionstupide.

J’éclatederire,lanervositémetrahitd’uncoup.—Pronesenourritquedusangdesesvictimes,c’estbienconnu!

Jenel’aijamaisvuemanger.Saufunesalade,unefois,auresto,pourunrepasd’entreprise.Ellemefrappeàl’arrièredelatête,unesalemaniequ’elleadepuisqu’onseconnaît.Jen’arriveplusàm’arrêterderirealorsquelapauvreAgniasedécomposeplusqu’ellenesedétend.—Jen’aipasletempspourlacuisineetlescourses.Ettoi,varirecheztoi!s’énervePro.

Jeremballemesaffaires,hilare.Ellemetireparlecol,jevaisperdreAgniademonchampdevision!Jeluisouffleunbaiser,ellesemordlalèvre.—Attends,meschaussures!

Prolesattrapeetmelesbazardedehorssansdélicatesse.—Tulesmettrasdansl’ascenseur,petitcon.—T’espasdrôle,Pro!

Ellefronceuneultimefoislessourcils,ellesaitquejel’adorequandmême.

***Jemegareaupieddel’escalierdel’hôtelparticulierdemesparentsavecmoncoupésport.Pro

merépètetoujoursquej’aichoisiunevoituredegonzesse.Ellecrèvejustedejalousieparcequejel’enfumequandjeveuxàlacourse.

Lemajordomemesaluequandjepasselaported’entrée.—Oùsetrouvemonpère?jequestionneenfourrantlesclésdansmapoche.—Danslabibliothèque,JeuneMonsieurChevalier.—Vous ne croyez pas qu’àmon âge je peux être appelé seulement «Monsieur Chevalier » ? jesoupire.

Jen’aimepascettefaçondemedésigner,çamerenvoietropaustatutdegamin.—VousrestereztoujoursleJeuneMonsieurChevalier,Monsieur.

Inutiled’insister.Jemontequatreàquatrelesmarches,laportedelabibliothèqueestentrouverte.Notrepersandortsuruncoussinàcôtédufauteuildemonpère.CedernierestplongédansunZola,unverrederougeposésurleguéridonàsescôtés.—Gauthier, queme vaut le plaisir de ta visite impromptue ? interroge-t-il sans lever les yeux del’ouvrage.J’adoreêtremoinsconsidéréqu’unbouquin…

—JeviensdechezProserpine,onabesoind’aide,mais…—Mais avec son ego, elle préféreramourir que de venirme solliciter, complète-t-il en posant lelivre.

Parfois,j’ail’impressionquemonpèrelaconnaîtmieuxquemoi.Ilmedésignelesecondfauteuildelamain,j’yprendsplace,lachevilleposéesurmacuisse.—Proserpinearriveauboutdesescapacitéspourfaire le travaildegraphiste.Etsinousdésirons

multiplierlessorties,elledoitdéléguercettetâche,j’expliqueposément.Monpèremejauge,entrelacesesdoigtsdevantsabouche.Jepoursuismonexposéenévoquantles

chiffres,lapossibilitédedébloquerunbudget.Jesaisqu’iln’entendquelesdiscourss’appuyantsuruneréalitééconomique.Surtoutvenantdemapart.Ilenatoujoursbeaucoupattendudemoi.Ilvoulaitque je fassemieuxque lui.Malheureusement, jusqu’àprésent, je ne suis bonqu’à être sonombre.Voilàpourquoijemisetantsurlesuccèsdenotretoutejeunemaisond’édition.—J’aidemultiplesCVdegraphistes.Jesupputequepasserunentretiend’embauchepourunefilialedeScripturamnelesdérangerapas.Letremplin.Nousnesommesqu’untremplin.

—Certainement.J’espèrequePronem’envoudrapasd’avoirdemandédel’aideàmonpère.Mêmesiellevoudrait

aussisedétacherpeuàpeudel’influencequeScripturamexercesurnous.—Autrechose?questionne-t-ilenportantleverreàseslèvres.—Non.

Ilboit lentement,savoure.Mesyeuxtraînentsur lesétagères,dessinent lasilhouetted’Agniaquis’empared’unlivre.Sataille.Sesfesses.Sesjambesquin’enfinissentpas.

—Viendras-tuaccompagnéàmonanniversaire?Aussitôt,lasublimenymphes’évapore.Lafrustrationmebouffe.

—Jenesaispas…—Tusaisquej’aiunesaintehorreurdesgensquidisent«Jenesaispas»,mereprend-ilsèchement.

L’incertitudeetl’ignorance,deuximpardonnablespourmonpère.—C’estmalheureuxquetun’aiespasunejoliejeunefemmeànousprésenter.C’estàsedemandersij’auraisunedescendanceunjour…—Jen’aiquevingt-quatreans,jerappellefroidement.

Tous les ans, quand son anniversaire approche, il a pris l’habitude de m’emmerder avec sa«descendance».Jemeferme,jeveuxprendremontempspourtrouverlabonnepersonne.—C’estàcroireque jene t’aipas faitassezbeaupour intéresser lagent féminine,me taquine-t-ilavantdesereplongerdanssonlivre.

Jeplantemesonglesdansletissudufauteuiletmelèved’unbond.L’entretienestfini.Etmoi,j’aibesoind’allermedétendre.

***

C’est naturellement que je me suis retrouvé devant l’appartement de Virgile. Pour une fois, il

règneuncalmerelatifdansl’immeuble,jetoqueàplusieursreprises.Ilm’ouvre,surpris.Engénéral,nousnousrejoignonsauPandemoniumàunrecoindecomptoir.—Pourquoitufaislagueule?demande-t-ilenm’invitantàentrer.—Monpère.Héritier.Bonnasseblonde.—Jedoistrouverl’intrus?rit-il.

Ilsortdeuxbièresdufrigo,jemelaissetombersurunechaise,décapsuleuràlamain.—Tefaispaschieràmesortirunverre.

J’ouvresonambréeetlaluitends.Iltrinqueavecmoi.Unegorgéefraîchemelibèreunpeudemacolère.—Bon,oncommenceparquoi?Tabonnasseblonde?Outonpère?

Ilprendlesiègeàcôtédemoi,jefixelemurcouvertd’affichesdeconcerts.—Parfois,j’aienviedeluidirequejesuisgay,justepourqu’ilmefoutelapaixavecsalubie.

Jetapoteleboisdelatable,parendroits,ilyadesinscriptionsgravéesaucouteau.Desinitiales.Descitations.Desmorceauxdevie,enquelquesorte.—Laisse-le,ildoitfaireungenredecrisedelaquarantaineoucinquantaine.—Non, lacrisede laquarantainec’estquand tuachètesunebagnoledesportetcouchesavec uneétudiantequipourraitêtretafille,jeraille,amer.—Qu’est-cequiteditqu’ilbaisepasavecunecochonnedelavingtaine?

Jemanquederecrachermabière,ilricane.—Mec, t’es censéme remonter lemoral, pasme rappeler quemon père baise peut-être plus quemoi!

Ils’esclaffecarrément,jemerendscompteàquelpointlasituationpeutavoirl’airdébile.Alorsjemelaisseaussialleràenrire.Çaseramieuxquedelaisserçamepourrirlavie.—Ettabonnasseblonde?

Jeterminemabouteille,jesaisqu’ils’attendàunesuperhistoiredecul.Jevaisledécevoir.—Prohébergeuneamie…—Arrêtetesconneries,mecoupe-t-il.

Jeledévisage,c’estàsontourdemefairelanguirendégustantsabière.—Pro,elleapasd’amiesfilles.—EtZola,c’estquoi?—Ma cousine est une fuckfriend, ça compte pas, réfléchit-il en fixant le plafond. Elles ont baiséensembleplusdefoisqu’ellesnesesontparlé,tupeuxpasappelerçauneamitié.— Il y a duvrai dans tes paroles, je capitule en scrutant la bouteille que je fais tourner entremesdoigts.MaisjetedisqueProauneamie.Uneblondesupercanonquis’appelleAgnia.

Jelesensdevenirrêveur.C’esttoujourspareildanscettefamille.Jepatienteenallantmechercherunesecondebière,jeresteappuyécontrelecomptoirdesacuisine.—Agnia,songe-t-ilàvoixhaute.—Ouais.ProvasûrementtelaramenerauPandemonium,alorst’espriédejouerlesétonnésetdepasmepourrirmoncoup.—Jevaisrienavoiràjouer,Agniaellepeutpasexister.Pron’apasd’amies!—Merde!Voilà.

Commeça,c’estclair.Ilselève,medonneuneclaqueamicalesurl’épaule.IlverraquandProseramèneraaveclacréaturederêve,ilsetrouverabiencon.Etmoi,jemefoutraibiendesagueule.

***

Uneodeurdebouffe.C’estincroyable.L’appartementdePro,lananaquinemangejamais,sentla

bouffe.Ellemefaitlabise,jequittemeschaussures.—C’estunedaube?jedemande,leventredéjàentraindegargouiller.—Bœufbourguignon!

Agnianousrejoint,duchocolatsurleboutdunez.Commentelleafaitpours’enmettrejusque-là?Ellesourit.Automatiquement,jel’imite.Malgrétout,quelquechosecloche.Ilfaitunechaleuràcreverdehors,etellenousconcocteunplathivernal.Arrêtedetropréfléchiretfais-larire.

—Jecroisdevinerquetuaimesbienlapâteàtartiner,jem’amuseenlasuivant.Pro!Ilmesemblait

quetacuisinec’étaitunmodèlefacticed’expo!Elleme fusille consciencieusement du regard. Je l’ignore en ouvrant lamarmite, j’ai rarement

sentiquelquechosed’aussiappétissant.—Allez,auboulot,s’impatienteProentapantdanssesmainscommeuneinstit.

Jevaisfinirparcroirequ’ellearatésavocation.Proaumilieudegamins,çaseraitdrôle.Enfin,çadépendpourqui.—Ouais…C’estça,fous-moilapaixpendantquejeregardelajolieAgniaquicuisine.

—C’estdelatarteTatin?jereprendsendécouvrantunsupergâteau.—Oui,etonafaitdescrêpesavecTimmyetGeorges,ilsvousenontunpeulaissésituasunpetitcreux…

Desgens,chezPro?Incroyable!Enfait,j’aimeraisassouvirunautreappétit…Non,prendsunecrêpeetsoissage.J’entartineunedechocolatetentraîneProdanslesalonavantqu’ellenetueAgniapoursonexcès

desociabilité.Elleouvrelelogicieldemontageavecunemaquetteencours.Jesenssondésarroi,elledéteste atteindre ses limites, elle veut toujours aller plus loin. Malheureusement, sa maîtrise dulogicielestlimitéeàsoncôtéautodidacte.Jelasenssurlepointdecraquer,mêmesielleseprotègeavecsonarmuredemaquillageettenueprovocante.—Tuasvuavecmonpèrepourunillustrateur?

Désamorcerlabombeémotionnelle,luimontrerqu’unesolutionestsurlepointd’êtretrouvée.—Jel’aivucetteaprès-midi,ilnousasélectionnéplusieursCV.

Parfait!Etellen’apasdûl’envoyerchier,miracle.Ellequinesupportepasqu’onl’aide…—Cool,montre!

Jeperçoisunlégermalaise.Sestraitssecrispentpresqueimperceptiblement.—Jelesaioubliés.Jesuisdésolée,j’aiététellementprisepar…

Elle s’interrompt, troublée. Pro et sa peur de foirer. Je dois la déculpabiliser, sinon toutecommunicationseraimpossible.— Papa est chiant quand il sort ses discours interminables. Tu m’étonnes que tu aies oublié !j’affirme,plutôtconvaincant.

Aussitôt,ellesedétend.—Oui,maisjenedoutepasqu’ilmeferaparvenirlescandidatures,piaille-t-elle,encorelégèrementnerveuse. Je sais qu’un d’entre eux a retenu son attention. J’ai rapidement lu son parcoursprofessionnel,iladesacréesréférences.Àsedemanders’ilsaitqu’ilpostulepourunmicro-éditeur.Non,Pro.Ilpostulechezmonpère.Jenepeuxpasluidirecommeça.Jesaisqueçabriseraitsonenviederéussir.Elleycroitautant

quemoi,elleveutaussiquenousexistionsparnous-mêmes.Choisird’êtresoutenuparScripturamlespremierstempsaétéunedécisiondouloureusepournousdeux,maisnécessairesinousvoulionspasserlecapfatidiquedestroisans.—Tu sais, les gens savent que Scripturam est derrière nous, je tente, avec la sale impression demarchersurdesœufs.Onestungenred’antichambre,untremplinverslamaisond’éditiondemonpère.

Je sens bien que ça l’affecte.Mais je suis perturbé par Agnia qui s’agite comme une folle encuisine.Commepourfuirquelquechose.Jepeuxsentird’icisonmal-être.—EtAgnia…Ellepréparesouventdesplatsd’hiveralorsqu’oncrèvedechaud?jemerisquesanslaquitterdesyeux.

Prosoupire,jeperçoistoutesonimpuissance.J’ignorecequiaamenéAgniaici,maisjeferaitoutpourqu’elleoublie,qu’elleseredécouvre,cessed’êtregênée,commesielleavaithontedesapropreexistence.

Je saisis lamaindemonamie, son regard est toujours tournéversAgnia. Jepresse sesdoigts,pourluidirequ’ellen’estpasseule.Jen’aijamaisvuProainsi.Normalement,riennelabouleverse,ellesefoutdetoutetavance.Maispaslà.Pasavecelle.—Onvaseremettreauboulot,murmure-t-elleenlâchantdoucementmamain.

Jehochelatête,nelacontrariepas.Jel’encouragepourlacouverture,lavalorise.Puis,avecelle,je fais le point sur le planningdes sorties et denos corrections. J’assume seul cette partie, je suisdébordé,maisilnemeviendraitpasàl’idéederéclamerunautrecorrecteur.Carsijelefais,Prosepriverad’ungraphiste.Etça,jenepeuxpasletolérer,parcequ’ellecompteencoremoinssesheuresquemoi.

Jenesuispasdupe, je saisquesonmaquillagemasquedesnuitsblanches,desheurespasséesàtrouverdesmanuscrits,validerdessorties,gérerlacommunicationetlegraphisme.— Je ne voudrais pas vous interrompre, mais il est déjà 21 heures, s’excuse Agnia d’une voixminuscule.Voussemblezfatigués,touslesdeux.Vousnevoulezpasvenirmanger?

Sapropositionestunvraisoulagementpournousdeux.—Jepensaisquetunenousledemanderaisjamais!j’avoue,affamé.—Allons-y,renchéritProensefrottantlesyeux.

La fatigue nous guette tous les deux. Jem’étire, courbaturé à force de rester devant l’écran. Jedécouvreunejolietable,soigneusementdressée.C’estuneattentionquimetouche.ParcequejesaisqueProaperdul’habitudequequelqu’unprennesoind’elle.—Installez-vous,toutestprêt,jevaisservir…Oh,non!Levin,jenesaispaschoisirlevin,jesuisdésolée.Jen’aipasl’habitude,normalementc’est…

Lesmotsd’Agniasemblentsebloquerdanssagorge.J’aimerais luidemandercequinevapas,maisPromeprenddecourt.—Jem’encharge,Agnia.

Jemedétournedelatablepourm’approcherdelatarteTatin, tropattiréparladélicieuseodeurqu’elledégage.—Hep!Onnetouchepas!

Agniametapotelamain,commeàunsalegosse.Jeprofitedecettebrèchepourm’amuseravecelleetluifaireoubliercequisemblelatracasser.—Justepourgoûter,jelaséduisendévorantsapoitrineduregard.—Non!Tuaurasdudessertquandtuaurasmangétaviande!contre-t-elle,maternelleetamusée.

J’adopteunairchoqué.Elledoute,jemenoiedanssonregard.—Jesuisvégétarien!jeprétends,justepourvoirsaréaction.

Aussitôt, elle panique. J’aurais dû le prévoir. Elle semet en quatre pour s’adapter àmon soi-disantrégimealimentaire,j’ensuisréduitaumutismeparsagentillesse.MaisProrevientmettreleschoses dans l’ordre en me donnant un coup à l’arrière de la tête. Je grimace, Agnia l’imite. Jesupposequec’estbienfaitpourmoi,çam’apprendraàmemoquerdesinnocentesjeunesfilles.

Àtable,jesavourelasimplicitédelacuisineetn’hésitepasàservirAgniaenvin.Lapremièrefoisqu’elleytrempeseslèvres,jevoissesyeuxpétiller.Elledécouvre.Jenepeuxm’empêcherdeluifaireunsouriretendre.Ellerefuselequatrièmeverre,lesjouesdéjàbienrosies.Jelatrouvebelle.Elle a quelque chose de franc, une authenticité quimemanque terriblement.Dansmon entourage,dansmonunivers,toutlemondeporteunmasque.Maispaselle.

Pro s’éclipsed’uncoupquandson téléphone sonne. Je l’observe, lapâleur sedevine sous sonfonddeteint.—Tusaisquic’est?s’inquièteAgnia.—Aucuneidée!Pourquoi?Tulafliques?jesuppose,charméparsonaudace.

Aucunepersonnesained’espritnes’yamuserait.—Non,jem’inquiète,c’estdifférent,sedéfend-elle.Elleavaitl’airsérieuseetpréoccupée.Sic’étaitunappelprofessionnel,elleseraitrestéeavectoi.Agnia,Proatoujoursl’airsérieuseetpréoccupée.

—Qu’enconclus-tu,Sherlock?—Rien,moncherWatson!J’espèrejustequecenesontpassesparents.Ilsonttendanceàfaireuncarnagesurleurpassage.Tiens,ellenem’ajamaisparlédesesparents…

—Proserpineestforte,Agnia.Ellegéreraquoiqu’ilarrive.Malgrémonassurance,jesensbienqu’elledoutetoujours.Ellefixeanxieusementlesescaliers,

jemesensimpuissant.Moncerveaucommenceàêtreembruméparledésir,parl’envied’elle.Peuàpeu,jenevoisplussoninquiétude,toutestbalayéparlabeautédesonvisageetdesescourbes.

Ellesepenchepourdébarrasser,ànouveausapoitrines’offreàmoi.Jemevoisdéjàluiretirersarobe,embrassersesseinsquimenarguentavecleurstétonspointés.Ellemefaitbander,etelleenesttotalementinconsciente.Çavafinirparmerendrefou.Complètementdingueetbonàenfermer.

***

Vautrédanslefauteuild’unshowroomprivéetultraselect,unsoupirdelassitudem’échappe.Ma

mères’admiredanslaglace,perchéesurunpodiumautourduquels’affairentdescouturières.—Jedoiséblouirtonpère.

Jehausseunsourcil,dubitatif.—Vousnevousséparezplus?

Elleéclatederireetsetourneversmoi.—Touslescouplesontdeshautsetdesbas,jesuislaseulequ’ildésire.

Quelquechosesonnefauxdanssonintonation.Commesiellecherchaitàs’enconvaincreelle-même.Jesoupçonnemonpèred’avoirunemaîtressedepuisquelquetemps.Jesaisqu’ilpartsouventen voyage d’affaires, rentre à des heures improbables pour des réunions tardives et dîne avecd’importantssoutiensfinanciers.—Encoreuneannéed’écoulée,murmure-t-elleenscrutantsonreflet.—Oui,maisquandmêmemoinsquetoi.

Mieux vaut ne pas trop vanter ses qualités, ma mère serait fichue de lui refiler une pommeempoisonnéepourresterlaplusbelle.—Iln’yapasderaisonqu’ellenetombepassoustoncharme.

Jene répondspas,Mamann’a jamais étéobjective. Je supposequec’est leproprede toutes lesmères.—Tul’asdéjàvueentêteàtête?poursuit-elle,préoccupéeparledécolletédesarobe.—Unpeu.—Unpeu,çanesuffitpas!Tudoisluisortirlegrandjeu.Restaurantchicetcompagnie.Lui proposer une sortie rien qu’à nous deux… Pour une fois, je crois que ma mère est de bon

conseil.

***

J’arrêtemavoituredevantl’immeubledeProserpine,partagéentreexcitationetappréhension.J’ai

avertimonamiedemonintention.Elleatrouvéçagénial.J’aimisésurlecostard,lesfemmesaimentle costard. Et la cravate. Surtout la cravate. J’entre dans l’immense hall et découvreAgnia devantl’ascenseur,hilare.

Dèsquejem’approche,ellerougit.Jelasalue,prendslepartidel’embrassersurlajoue.Elleneme repousse pas, au contraire, ellem’accompagnepourmonter à l’appartement. Ses cheveux sontdécoiffés,ellearboreunstyletrèsdifférentdeceuxauxquelsm’ahabituéPro.—Quelleclasse!admire-t-elle,lesprunellesscintillantes.

Merde ! Je ne sais pas comment le prendre. C’est bon ? C’est craintif ? C’est un plantagemonstrueux?—J’enaitropfait,tutrouves?C’est-à-direquej’aihésité,tuvoiset…—Non,non,çatevatrèsbien,jet’assure!

Monegosegonfle,c’estparfait.Absolumentparfait.—Tum’attendais?jetente,pleind’espoir.—Oh,j’allaisvoirGeorgesavecTimmy.Etpaf,prends-toiçadanslagueule,Gauthier.Jetirelatronche,unpeuvexé.

—Georges,leconcierge.Tusais,levieuxmonsieur,legardienquoi,cafouille-t-elleenmefuyantduregard.EtTimmy,c’estlegaminquitraînedansl’ascenseur.

Nousentronsdansl’appartement,jeresteplantédanslevestibulealorsqu’unedisputeéclateentrelesdeuxamies.—Écoute,c’estmêmepasmoi,c’estFrançoise!prétendProserpine.Françoise?C’estquiFrançoise?

—Qu’est-cequemamèreaàvoirlà-dedans,Pro?C’estquoicebordel?Putain,monplanestfoutu!

—Oh!C’estbon,toutvabien!Gauthierm’acontactée,cariln’avaitpastonnuméroetilsouhaitaitt’inviteràdîner.Tamèreainsistépourquejeluirépondequetuétaisd’accord,cequej’aifait.Tusaisparfaitementquejenepeuxrienluirefuser!Etpuisj’aicomplètementoubliédet’enreparler.Etl’oscarduplusbeaumensongerevientàProserpineDiavolo,grandemanipulatricedesonétat.Jememordslalanguepournepasrire.Interviens,crétin!Sinonellevatefilerentrelesdoigts!Je réajustemacravate,vérifiedans lemiroirque j’ai toujours l’airdu jeunepremier idéalpuis

pénètreàmontourdanslacuisine.—C’estpasgrave,jeneveuxpasquetutesentesforcée,Agnia.

Elle fait volte-face, sa gêne se lit sans peine sur son visage rubicond. Mon cœur pulse troprapidement,jevaisfinirparavoirl’aird’unadoquiconnaîtsapremièretrique.—Non,Gauthier!Jesuissimplementsurprise.Etpuisregarde-moi,sedésole-t-elleenmontrantsasalopetteenjeans,atypiquedanscequartierriche.

Jesenssavoixsebriser,quelquechoseassombritsonregard.Ledoute.Lacrainte.Et,surtout,lahonte.Çamerévulsedelavoiraussimalàl’aise.—Onrecommence!Agnia,acceptes-tudedîneravecmoicesoir?

Bien,faisonsçadanslesrègles.JeretiensProetMamanpourleurssuperconseils.Ellehésite,ses

yeuxvontrapidementdedroiteàgauche.—Entreamis?jelâcheavantdememettreuneclaquementale.Groscon!Disbonjouràlafriendzone!

—Avecplaisir.Accorde-moivingtminutespourmechangeretonyva.—Horsdequestion,tuesparfaitecommeça.Jenevoudraispastedonnerletempsderevenirsurtadécision.Bienjoué…Jemedéprime,plusçava,plusjesuiscomplètementnazeaveclesfemmes.

— Amen ! Maintenant, dégagez de chez moi avant que vos bons sentiments ne me retournentl’estomac,raillePro,toujoursconcentréesursonmobile.Tuparlesdebonssentiments!Jevaisjamaisréussiràlaséduiresijedevienssonpote.Ellemesuit,vaguementinquiète.J’ail’impressionquejesuislepremiermecaumondeàl’inviter

aurestaurant.C’estquandmêmedingue!—Tuaimeslesfruitsdemer?jequestionnepourmettrefinausilencepesant.—Pasparticulièrement,pourquoi?Aïe.

—Jesuisvraimententraindetoutgâcher,hein?murmure-t-elle,coupable.Bien.Jedoisprendreleschosesenmainsavantquecettesoiréenetournedéfinitivementaufiasco

superembarrassant.Jeretiremaveste,ainsiquelacravate,puisdéboutonnemachemise.J’enlèveunepartiedemacarapaced’héritierintouchable.JeredeviensunpeuplusGauthier.Ellesemblevouloirdisparaîtredansuntroudesouris.—Tuveuxbienmettreçadanstonsacs’ilteplaît?

Je tâchede luidemanderde lafaçon laplusdouce,qu’ellecessed’avoirpeur.Elles’exécute, jeretroussemesmanchessurmesavant-bras,medébarrassedemonimagedegendreidéal.Cesoir,jevaisêtremoi.Justemoi.—Tusaisquoi?Onvalaissertomberlerestochic,lesfruitsdemeretmavoiture.Onvasortird’ici,marcher,errerdanslaville,discuter,etquandtuverrasunendroitquitedonneenvied’entrer,tumeledis,onymangera!Qu’est-cequet’endis?—J’endis quePro a du souci à se faire.Tu risquesdedevenirmonmeilleur ami avecdes planscommeça.Sonmeilleurami,jesuispassortidusable,moi.J’abandonnemon coupé sport, ce soir l’air est frais, juste ce qu’il faut. Elleme saisit le bras,

électrisemoncorps.Jelaregardesourire,s’émerveillerdechosesquej’aicesséderemarquerdepuisdesannées.Desdétails,unebeautédevenuebanaleàtroplavoir.

Elle s’arrête devant un libanais, je jauge rapidement la devanture chargée d’une décorationexotique.—Tuaimeslacuisineépicée?jem’étonne,l’imaginantplutôtterroirbienfranchouillard.—Jesuisjustecurieuse,jen’aijamaismangélibanais.

Lepropriétairenoussalueavecbonnehumeuretnousinstalleaufonddelasalle.Leparfumdesépicesembaumelapièce,noustransporteailleurs.—Ilsontunplatdécouverteàdeux…Tutelaissestenter?jesuggère,maladroitement.

Elle acquiesce, souriante. J’ai bien compris qu’elle avait horreur de décider,même si la libertésemblelagriser.—Alors,Agnia,etsitumeparlaisdetoi?Aprèstout,jenesaispasgrand-chosesurtoi.Hormislefaitquetuesunvraicordonbleu,jeplaisante.

Ellerit,sedétendunpeu.Jelaregardefairetournerunepetitepoteriequiornelatableentresesdoigts.C’estuncheval.—J’arrivedelacampagne…

C’estainsiqu’ellecommenceunlongrécit.Elles’ouvreàmoi,plusquejen’auraisosél’espérer.EllemeracontesarencontreavecProquandellesétaientenfants,leuramitiéàtouteépreuve,puislaséparationaprèslelycée.EtYann.Ungarçonqu’elleaaimé.Ellenes’enrendpascompte,maiselleévoquesessentimentspourluiaupassé.—Jesuisfiancée.Maisj’aiprispeur.L’angoisseprénuptiale,chuchote-t-elle,auborddeslarmes.«Jesuisfiancée.»Laphraseserépète.Encore.Nous.Unehistoiremorteavantd’êtrenée.Toutmondésirpourelle

disparaît.C’est instantané.Àlaplace,reste l’amitié.Justeunattachementplatoniqueet l’enviede laprotéger.Est-cequeçaseratoujourscommeça?

***

Majambes’agitenerveusement.ProetEvadesPlaisirsselivrentàunejouteverbalesansmerci.

—NousfonctionnonssurlemodèledecontratdesÉditionsScripturam,j’explique,pourlaénièmefois. Vous n’êtes pas sans savoir que cet éditeur nous soutient depuis la fondation des ÉditionsStuprum.—VousallezmefairecroirequeMarcChevaliernedonnepasd’avanceàMelodieGrandville?—MelodieGrandvilleécouledeuxcentmilleexemplairesparan.Ilmesemblequevousnejouezpasdanslamêmecatégorie,semoquePro,enpositiondeforce.

Letéléphonenousinterrompt.Jeregardemacollaboratricedécrocher,puispâliravantd’afficherunerésolutionhorsducommun.—Ilnemeferarien,affirme-t-elle,poingsserrés.Envoie-lechezmoi,jesuisprêteàl’accueillir.

Saconversationmeglacelesang,ellevasemettreendanger.Jemelèvepourlaretenir,maisellefiledéjà.Insaisissable.L’inquiétudevientmeclouerànouveauaufauteuil,commeuncoupdepoingdansleventre.—Non,maisquelmanquedeprofessionnalisme,ronchonneEva.— Il y a parfois des affaires qui nécessitent qu’on plaque tout. D’autant plus quand on est endiscussionavecunepersonnequinoustraitecommedelamerde,jecraque.

Sesyeuxs’écarquillentsoussonloupendentelle.Jesensuneénergienouvelle.J’aijusteenviedelaremettreàsaplace.Calmersajoie.—Parfaitement.AvecProserpine,onsedémènepourvous.Vousavezvotrecollectiondebouquins,onécoutevoscapricespourlacouverture,pourlasortie…Unautreéditeurvousauraitfoutueàlaporteavantderuinervotreréputationcheztoussesconfrères.

La rageme faitbouillir, elle se ratatine sur sachaise.L’espaced’une seconde, j’ai cruentendremonpèreparler.C’estcequ’illuiauraitdit.Motpourmot.JesaisqueProarriveàbout,onn’enpeutplus de son putain demelon. Sa lèvre inférieure tremble,mais je neme laisse pas avoir. Elle estbonnecomédienne.—Dégagez…Avantquejenecassevotrecontrat.

Elleselèveprécipitammentetdéguerpis.Lamenacedelaruptureducontrat.C’estmoche,maispour lemoment,çamarche.Jepaye lanoteaucafé, jemetraîne,mainsdans lespochesetépaulesbasses.SijedébarquechezPro,ellevametuer.Non.Pire.Ellevamefairelagueulesévèrementetrendrenotreboulotimpossible.Maisjenepeuxpasm’empêcherd’êtresoucieux.

MespasmeconduisentchezVirgile.Saporteestgrandeouverte,lamusiqueàfond.Jem’arrêtesurleseuilet leregardepasserl’aspirateuravecunboxerauxcœursmulticolores.Ilvamefalloirunepsychothérapiepouroublierça.

Ilchante,àtue-tête,ets’enbranleroyalementdefairechiersonmonde.C’estdurock.Dutrèsbonrock,même.Jecommenceparbattrelamesureavecmonpied,puis,lesparolesmeviennent.D’abordenmurmure,avantdedeveniruncrilibérateur.Jehurleautantquelui,faisvolermeschaussuresetsautesursoncanapé.Jem’enfous,jemedéfoule.Jeveuxzapperlerâteaumonumentalquejemesuispris avec Agnia, Pro qui me semble de plus en plus étrange, et tous les cons qui peuplent monquotidien.

Ilfaitdel’airguitaravecsonaspirateur, jeprends le rouleaudeSopalinenguisedemicro.Onauraitdûmonterungroupe,luietmoi.—Oh!Lesdeuxcons,vousn’avezpasbientôtfinidefoutrelebordel?!

Virgilesetourneverslenouveauvenuetentameunlongsolod’aspirateur-guitare.J’éclatederire.—C’estbon,Julian,onsedétend,tempèreleguitarhero.—Ouais,maismoij’aipostulépourunpostesuperimportant,j’aibesoindemeperfectionnerdanslecalmeaucasoùonmerecontacterait…—MERDE!nousaboyonsenchœuravantd’enchaînerunnouveaumorceau.

J’aiquinzeansdansmatête.Etçafaitdubien.Nousnousécroulonssurlecanapéaprèsunconcertdelégende.Jetueraispourunebière,maisle

frigoestaumoinsàdixmètres.Jesuisàboutdesouffle.—C’estquoiquit’amène,vieux?—Tonfrigotoujoursblindédebièresdefou,jericane,complètementavachi.—Etenvrai?

Jepousseunlongsoupir,pasraviquelesemmerdesmereviennentenpleineface.—Proadessoucis.Jenesaispasquoifaire.—Envoie-luiuntexto.

Maisquelleidéedegénie!Jemedemandecommentj’aipunepasypensertoutseul.—Jeterappellequ’onparledePro,laspécialistedumythoetdeladissimulation.—Déjà,sielleterépond,c’estqu’elleestenvie.C’estpascon.Jetiremonportabledemapoche,àlavuedemesconversations,forceestdeconstaterquemavie

socialesetrouveêtreassezlimitée.Stuprummeprendtoutmontempsetmonmondenetourneplusqu’autourdumicrocosmedel’édition.

«Commenttuvas?»Troispetitsmots.Laréponseestpresqueimmédiate.

«Bien,j’airégléleproblème.»Je peux enfin souffler.Vraiment.CommeditVirgile, elle est en vie. Pour fêter ça, je trouve le

courage de me lever pour nous prendre deux bières. Je trinque, regarde le soleil se coucher àl’horizon.Monportablevibredansmapoche,jefroncelessourcilsendécouvrantlaphotodemonpère.—Vautmieuxdécrocher,conseilleVirgileenreconnaissantl’identifiant.

Jefaisglisserl’icône,personnen’ignoreMarcChevalier.—TuasdesnouvellesdeProserpine?BonjourPapa,ouijevaisbien,merci.

—Oui.Ellevabien.Mêmesij’aiaucuneidéedecequ’ils’estpassé.

—Uncingléadébarquéaubureau…—Ettul’asenvoyéchezPro?jegrogne,soudainfaceàlaréalité.Pros’estretrouvéeavecuntaré,ets’illuiavaitfaitmal?

—J’aifaitcequ’elleavoulu,arrêtedefairecommesitunelaconnaissaispas!Elleestbornée.—Elleestbornée,jerépète,avecunrireamer.Labonneexcusepournepasdirequetuascomplètementmerdésurcecoup-là.

—Manifestement,tun’espasdisposéàdiscuter.Jevaistelaisser.Nouscomptonssurtaprésenceàmonanniversaire.—Çavadesoi.

Il raccroche sans plus de commentaire. J’aimerais aller chez Pro.M’assurer que les filles vontréellementbien.MaisentrerdanslabulledeProsansqu’ellesoitprête,ladécouvrirdansunmomentdefaiblesse,risquedetoutfairebasculerentrenous.Elleneveutpasêtreàplaindre,elleveutquelemondenevoiequel’imagequ’elleveutbienluioffrir.

Virgilemeposelamainsurl’épaule, ilsait.Ilcomprend.LuiaussipratiqueProdepuisquelquetemps.Sansalliécommelui,jeseraisbiendanslamerdefaceàcettefemme.

***

Lafêtepourl’anniversairedemonpèrebatsonplein.Encostume,jedonnelechangeauxinvités

prestigieuxconviésparmamère.Jenesuispasallévoirlesfilles,mesuiscontentéderuminerdansmonappartetd’avancersurlescorrections.C’étaitlachoseàfaire,Pron’auraitpastoléréunretarddansleplanning.Jevidemacoupedechampagne,guettantleurarrivée.

Proserpine, toujoursen retardpour les soirées.Oucarrémentabsente.Monpère, amid’unduc,m’aracontéquecedernierl’avaitattendueduranttouteuneréception.Ilnel’ajamaisvuepasserlaporte,ellenes’enestpasexcusée.Pourquoiledevrait-elle?C’estuneDiavolo,unefamillericheàmillionsquebeaucoupcomparentauxMédicis.Sansdoutelafauteàsonpatrimoineitalien.

JemedirigeverslesalonoùunenfantmassacredeboncœurduMozart.Jenepensaispasqu’ilétaitpossiblequedessonsaussipeumélodieuxpuissentsortirdecesuperbepianoàqueue.Mamèrevoulait que je joue d’un instrument. J’ai choisi le piano. Avant de comprendre que l’idéal pourséduire les filles, c’était la guitare. Avouons-le c’est quand même plus simple de trimballer uneguitaresurlecampusqu’unpianoàqueue.—Oualors,ilpourraittoutsimplementarrêterdetorturercepauvreinstrument.

Pro! Iln’yaqu’ellepourdireaussi fortceque tout lemondepense toutbas.Jefends la foule,ellesmetournentledos.—Pro,Agnia!

Elles se retournent, je remarque immédiatement les yeux rougis d’Agnia. J’interroge Pro duregard,mais elle fixe quelque chose derrièremoi.Mes parents ! Je voismamère faire la bise àProserpine,quisemblevouloirluiplanterseslongsonglesmanucurésdanslacarotide.—Proserpine,tunousprésentes?demandemamèreentendantlamainàuneAgnialiquéfiée.Maman,jeteprésentecellequijen’aipasréussiàavoir.

—Vousêtesladamedel’afficheàlaparfumerie.Jemeretiensderire,Agniadanstoutesasplendeur.Maismamèreestflattéed’êtrereconnueen

tantqu’égéried’unparfumhorsdeprixpourlecommundesmortels.—Exactement.Damedel’afficheàlaparfumerie,jeteprésenteAgnia.Agnia,ladamedel’afficheàlaparfumerie.

Proserpinejetteunfroidglacial.Çanepassera jamaisentrecesdeuxfemmes.L’unesemblenéepourdétruirel’autre.—AmélieChevalier,reprendMaman,imperturbable.—Enchantée,madame.

Elleestintimidée.Non!Sijecommenceàmesouvenirpourquoij’aicraquésurelle,jevaisêtredanslamerde.Onsereprend,Gauthier.

—Proserpine,Agnia,saluepolimentmonpère.Jemeconcentresurlabelledeschamps,troubléparsesyeuxencorebrillantsdelarmes.J’aienvie

del’entraîneràl’écartdecetaffrontement.—Papa,Maman,maintenant que vous avez rencontréma future femme, on peut vous abandonnerpourlaisserlibrecoursànotreamourdansmachambre?

Monbrasencerclesesépaules,jesenschacundesesmusclessetendre.Mamèrelèveclairementlesyeuxauciel.— Ne panique pas Agnia, je plaisante. Allons faire le tour du propriétaire, ça va te détendre,d’accord?

Elleselaisseguider,j’aidumalàavanceraumilieudesconvivesquimetrouventplusaccessiblequemonpère.J’aihorreurdecessoiréesoùonveutprofiterdemoipourquejeglisseunmotàmongéniteur.Heureusement,cetteannée,Agniaestavecmoi.

Je me retrouve prisonnier d’une discussion interminable, les invités ne me lâchent plus. Ils sebousculent,cherchentàattirermonattention.Jemesensétouffé,l’enviemeprenddeleurhurlerdedégageraulieud’affichermonsouriredegarçonmodèle.—Gauthier,noussommesattendus.

Je suis tellement désarçonné par son initiative qu’elle doit tirer surmon bras. Je retrouvemesesprits,l’inquiétudeestvisibleaufonddesesprunelles.Jel’entraîneàl’écart,dansuncoinoùnousseronsenfintranquilles.Lachairdepouleparcourtsondos,sesbrassecroisentsursapoitrinequandelleseretrouvecontrelemur.

Elleveutseprotéger,secouperdenotremonde, jeglissemamainsoussonmenton, j’aimeraisqu’ellemeregardedroitdanslesyeux.—Agnia,jevoisàtatêtequeçanevapas.Toutàl’heuredevantmesparents,c’étaituneplaisanterie,ils lesavent, ilsont l’habitude.Les femmesavecqui jecouchene rencontrent jamaismesproches,alorsarrêtedetestresserpourça,OK?

Ellehoched’abordlatête,unpeuplusconfiante.—D’accord.J’avouequetum’asprisedecourt,j’aiunpeuflippé.—Faut tedétendre,onestamis.Tuapprendrasàmieuxmeconnaître,ne t’en faispas.Etpuis t’esfiancée,alors…—NON!

Son crime faitmal. Il venait de loin, comme si elle l’avait gardé enfoui pendant des jours. Jel’encourage,lavoishésiter.J’aimeraisqu’ellenedoutepasdemoi.—Jenesuisplusfiancée.C’estfini.C’estdupassé,n’enparlonsplus,tuveuxbien?

Savoixestétranglée,jecommenceàremettrelespiècesdupuzzledansl’ordre.LetypechezPro.SafaçondemeplanterlàavecEvadesPlaisirs.Iln’yaquepourAgniaqu’elleauraitfaitça.Jeluiembrasselehautducrâne,mecontrainsàn’éprouverquedel’amitié.Jenepeuxpasêtreautrechosequ’unami.Fiancéeounon,sielleavaitvouludemoi,ellemel’auraitmontré.Là, jemesensjustelourdaudavecelleetvraimentmaladroit.

Je la guide à travers lamaison. Je lui présente les lieux, leur histoire.Avant de vivre ici, nousétionsdansunsuperbeappartement.UnpeudanslegoûtdeceluidePro.Maismonpèreatoujoursrêvédegrandeur.Ilavaitbesoind’exhibersaréussite,d’êtreplusquelefilsd’ouvriersimmigrés.Ils’estforgéseul.Ilarenoncélongtempsauxplaisirsdelaviepourseconsacrerautravail.

Quantàmamère,elleaétéséduiteparlejeunehommed’affairesprometteur.Sonmariageaétéun coup de poker. Un coup de maître. Paraît-il qu’il y a eu de l’amour dans leur histoire. De lapassion.Maisj’aidumalàycroire.

Àmonbras,j’aicertainementleplusbeaudesatouts.Leshommesm’envient,jesaisqu’ilscrèventd’envied’êtreàmaplaceplutôtqu’avecleurréservedebotoxsurpattes.Agniagagneenassuranceetrelèvelementonquandnousdescendonsl’escalierd’apparat.Jenepeuxm’empêcherdesourire,çaneluiressembletellementpas.

Elles’offusque, je luimontre laréalitéenface.Ellen’imaginepascequ’ellepeutcréercommedésirchez leshommes.Etmoi, jenesaisplusquiestAgnia.Elleadeuxfaces,deuxpersonnalités,deux façons d’exister. L’une contrainte.L’autre naturelle. Il lui appartient de découvrir laquelle estlaquelle.

NousretrouvonsProserpine,l’airprofondémentagacé.J’ignorecequemonpèreluiadit,maisçanousl’afoutueenboule.J’oseespérerqu’ilneluiapasparlécomptabilitéoud’unéventuelcouacadministratif.Ilnousabandonne,jeregardeProserapprocherd’Agnia,unrienpossessivedanssonattitude.

Commeuncon,j’enris.Lesdeuxontl’aird’êtreplusquedesamiesetnes’enrendentmêmepascompte.Monpèrerevientavecunjeunehomme,demonâgesansdoute.Ilfaitlefier,probablementfraîchementdiplôméetdéjàpromuàunposteenvié.Êtrel’assistantdeMarcChevalier,unemanièred’ouvrirtouteslesportes.—Raphaël,jeteprésentemonfilsGauthier,sonassociéemademoiselleProserpineDiavoloainsiquesonamie…—Agnia!coupe-t-ilenladéshabillantduregard.

Jevoissesyeuxdessinersescourbes,s’attardersursapoitrineetsaisirsesprunelleschocolatauxpupilleslargementdilatées,sansdoutesymptomatiquesdecequiprovoquesonfrisson.—Agnia,souffle-t-ilànouveau,toutaussisurprisquemonamie.C’estquoicebordel?

—Ehbien,jenevousprésentepasAgnia,danscecas!poursuitmonpère.—Vousvousconnaissez!?!jem’affole,complètementlargué.

Ill’observetoujoursetdétachelentementsesyeuxd’ellepourmeconsidérerenfin.—Effectivement,Agniaetmoiavonsétéàlamêmefac.

J’encaisse le choc. La probabilité que ça arrive était maigre. Le regard d’Agnia évoque plusqu’une simple camaraderie étudiante. Malgré mes bons sentiments, la jalousie vient exciter mesenviesdetoutenvoyerchier.—Intéressant!Vousétiezbonsamis?surenchéritPro,commesij’étaisd’humeuràentendreça.—Pasexactement,glapitAgnia.—Nousétions…proches.

C’estça,proches.Paslapeinedenousfaireundessin.VoirAgniaplongervolontairementdansleregarddecetypemerendfou.Etsiçamegonflaitd’êtrejustel’ami?Jenesaisplus.Siseulementilpouvaitdégager.—Mais jevousconnaisaussi,mademoiselleDiavolo.Nousnoussommesrécemmentcroisésdansl’ascenseurdeScripturam,ilmesemble.

Décidément!C’estlefestival!Jerumine,voisàpeineProetmonpères’éclipserpendantquelajolieblondecontinuedebaver

devant l’assistant de mon père. Elle relâche doucement mon bras. Nos corps s’éloignent, elle estailleurs,surlamêmeplanètequelui,sansdoute.Etilresteplantélà,détestableàsouhait.Jusqu’àcequeProserpine se ramène pour embarquerAgnia. Je la regarde partir, lancer un dernier regard àRaphaëlpuisdisparaîtredanslanuit.C’estdéfinitif.Unami.Jenesuisquel’ami.

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