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10 Direction[s] n° 139 février 2016 L’information sur www.directions.fr L’information sur www.directions.fr Direction[s] n° 139 février 2016 11 11 e TROPHÉE ] PRIX COOPÉRATION ET OUVERTURE SUR LE TERRITOIRE La solidarité numérique au service des associations Le Pin (Deux-Sèvres). Porté par une entreprise d’insertion, le programme ADB Solidatech entend démultiplier l’impact social des associations grâce au numérique. Il propose du matériel reconditionné à des prix accessibles, un accompagnement à son utilisation et coconstruit des projets où l’informatique sert des causes solidaires. équipements informatiques et des logiciels aux associations, aux fon- dations reconnues d’utilité publique ainsi qu’aux biblio- thèques. Le dispositif a été initié et porté par les Ateliers du bocage, une entreprise d’insertion de 200 salariés, basée au Pin (Deux- Sèvres), spécialiste notamment de la collecte, du réemploi ou du recyclage d’équipements électro- niques et bureautiques. « Tech- Soup, une ONG américaine tra- vaillant depuis 25 ans à rendre des équipements numériques accessibles aux associations cher- chait un partenaire exclusif en France », raconte Nesrine Dani. Les Ateliers du bocage récoltent (via des dons ou du rachat), réparent et reconditionnent l’équipement informatique et ADB Solidatech fournit ce maté- riel, personnalisé en fonction des demandes des associations. Mais le programme, qui emploie onze salariés dont un en CDD d’insertion, a décidé d’aller plus loin dans ses propositions. « Nous avons développé un accompagnement aux usages numériques avec une assistance téléphonique, une newsletter mensuelle et une offre de forma- tion adaptée qui a démarré en juin dernier », détaille la respon- sable. Les 14 200 associations ins- crites gratuitement au dispositif peuvent donc appeler chaque jour la hotline. « Nous leur répondons sur des questions techniques ou sur leur éligibilité à tel ou tel matériel, détaille Sylvain Régis- Gianas, coordinateur opération- nel. Nous pouvons aussi prendre la main sur un ordinateur et aider les structures à s’approprier les logiciels. » Des projets multiacteurs Troisième axe d’ADB Solida- tech: mettre le numérique au ser- vice de causes sociales et environ- nementales via la cocréation de projets multiacteurs. D écale-toi un petit peu, conseille Gilberte, 84 ans, à son mari. Ta boule de bowling va encore tomber à droite! » Dans la pénombre d’une pièce transfor- mée en salle de jeux vidéo, l’an- cienne aide-soignante s’affirme comme une experte es quilles, ver- sion Wii. Cet après-midi, une petite dizaine de résidents de l’établisse- ment d’hébergement pour per- sonnes âgées dépendantes (Ehpad) de La Caravelle, à Niort (Deux-Sèvres), se sont installés comme chaque semaine devant un grand écran rétroprojeté et s’échangent les manettes électro- niques. Les seniors se transforment alors en as du bowling virtuel. Le matin, c’est sur des tablettes que ces nouveaux geeks ont surfé sur la vague numérique, aidés par Guillaume et Kévin, deux jeunes d’une vingtaine d’années en ser- vice civique. « Je n’avais jamais touché à une tablette ou à une console de jeux vidéo. Mais c’est venu vite avec eux, sourit Gilberte. On fait de bonnes parties de bow- ling, on s’amuse. Avec la tablette, j’ai notamment appris à envoyer des mails à mes enfants ! Pour communiquer, c’est facile. » Comment le numérique est-il rentré dans la vie de ces retraités ? Grâce à Silver Geek, un projet porté depuis septembre 2014 par un collectif rassemblant une dou- zaine de partenaires, acteurs publics, entreprises et associations, et copiloté par le programme ADB Solidatech en partenariat avec Orange. Le concept est simple : mettre à disposition de structures accueillant des personnes âgées des kits composés d’outils numé- riques (cinq tablettes, un vidéopro- jecteur, deux consoles de jeux vidéo, auxquels s’ajoute la connec- tique associée) et les compétences de jeunes en service civique. Le but? Agir en faveur du « bien vieil- lir », rompre l’isolement des per- sonnes et favoriser le lien social intergénérationnel grâce à l’usage ludique d’outils numériques. Dix-huit structures sur quatre départements du Poitou- Charentes, plus de 500 seniors, dont la moyenne d’âge est de 85 ans, bénéficient de ce dispositif encadré de façon opérationnelle par 72 volontaires en service civique venus de l’association Unis-Cité. Comment s’est monté ce projet ? « La Poste de Poitou- Charentes avait lancé une consul- tation animée par le Rameau, un laboratoire de recherche appliquée sur la construction de projets entreprises/associations, avec des groupes de travail sur des théma- tiques sociétales que sont le bien vieillir, la jeunesse et le numé- rique, résume Nesrine Dani, la responsable du programme ADB Solidatech. C’est via les rencontres au sein de cette consultation que cette expérimentation est née. » Du matériel reconditionné et personnalisé ADB Solidatech, c’est quoi? Un programme créé en 2008 pour fournir à des tarifs solidaires des « Un modèle économique à trouver » Karen Toris, chargée de communication et du projet Silver Geek, ADB Solidatech « Silver Geek est un nouveau modèle de gestion de projet pour Les Ateliers du bocage. Nous avons créé un collectif informel composé d’une douzaine de partenaires, d’entreprises, d’acteurs publics et d’associations où chacun a sa voix. Nous sommes deux copilotes, ADB Solidatech et Orange, qui fixons et animons les réunions, tandis que la structure budgétaire passe par le fonds de dotation de l’entreprise créé en janvier 2014. Le fait de ne pas avoir de forme juridique très stricte nous donne une certaine souplesse de fonctionnement. L’expérimentation a été évaluée de septembre 2014 à juin 2015 et nous a confortés dans le désir de poursuivre. Nous cherchons aujourd’hui un modèle économique afin de pérenniser le dispositif. Nous entrons dans la phase de modélisation pour pouvoir dupliquer le programme ailleurs et proposer des kits prêts à l’emploi. » © WIlliam Parra Photos : WIlliam Parra « Les associations ont besoin de diversifier leurs ressources, d’être plus visibles, de renouveler des bénévoles… » Le projet Silver Geek, piloté par ADB Solidatech, œuvre pour le « bien vieillir » en proposant aux Ehpad des kits numériques (tablettes, jeux vidéo…) et une assistance technique afin de favoriser le lien social intergénérationnel. Nesrine Dani, responsable d’ADB Solidatech, et Antoine Drouet, directeur adjoint des Ateliers du bocage, l’entreprise d’insertion qui porte ce programme. © WIlliam Parra

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Page 1: P CooPaTon T oUTU SU L TTo La solidarité numérique au ... · Karen Toris, chargée de communication et du projet Silver Geek, ADB Solidatech « Silver Geek est un nouveau modèle

10 Direction[s] n° 139 février 2016 L’information sur www.directions.fr L’information sur www.directions.fr Direction[s] n° 139 février 2016 11

11e trophée ] prix coopération et ouverture sur le territoire

La solidarité numérique au service des associations

Le Pin (Deux-Sèvres). Porté par une entreprise d’insertion, le programme ADB Solidatech entend démultiplier l’impact social des associations grâce au numérique. Il propose du matériel reconditionné à des prix accessibles, un accompagnement à son utilisation et coconstruit des projets où l’informatique sert des causes solidaires.

équipements informatiques et des logiciels aux associations, aux fon-dations reconnues d’utilité publique ainsi qu’aux biblio-thèques. Le dispositif a été initié et porté par les Ateliers du bocage, une entreprise d’insertion de 200 salariés, basée au Pin (Deux-Sèvres), spécialiste notamment de la collecte, du réemploi ou du recyclage d’équipements électro-niques et bureautiques. « Tech-Soup, une ONG américaine tra-vaillant depuis 25 ans à rendre des équipements numériques accessibles aux associations cher-chait un partenaire exclusif en France », raconte Nesrine Dani.

Les Ateliers du bocage récoltent (via des dons ou du rachat), réparent et reconditionnent

l’équipement informatique et ADB Solidatech fournit ce maté-riel, personnalisé en fonction des demandes des associations.

Mais le programme, qui emploie onze salariés dont un en

CDD d’insertion, a décidé d’aller plus loin dans ses propositions. « Nous avons développé un accompagnement aux usages numériques avec une assistance téléphonique, une newsletter mensuelle et une offre de forma-tion adaptée qui a démarré en juin dernier », détaille la respon-sable. Les 14 200 associations ins-crites gratuitement au dispositif peuvent donc appeler chaque jour la hotline. « Nous leur répondons sur des questions techniques ou sur leur éligibilité à tel ou tel matériel, détaille Sylvain Régis-Gianas, coordinateur opération-nel. Nous pouvons aussi prendre

la main sur un ordinateur et aider les structures à s’approprier les logiciels. »

Des projets multiacteurs

Troisième axe d’ADB Solida-tech : mettre le numérique au ser-vice de causes sociales et environ-nementales via la cocréation de projets multiacteurs.

Décale-toi un petit peu, conseille Gilberte, 84 ans, à son mari. Ta boule de bowling va

encore tomber à droite ! » Dans la pénombre d’une pièce transfor-mée en salle de jeux vidéo, l’an-cienne aide-soignante s’affirme comme une experte es quilles, ver-sion Wii. Cet après-midi, une petite dizaine de résidents de l’établisse-ment d’hébergement pour per-sonnes âgées dépendantes (Ehpad) de La Caravelle, à Niort (Deux-Sèvres), se sont installés comme chaque semaine devant un grand écran rétroprojeté et s’échangent les manettes électro-niques. Les seniors se transforment alors en as du bowling virtuel. Le matin, c’est sur des tablettes que ces nouveaux geeks ont surfé sur la vague numérique, aidés par Guillaume et Kévin, deux jeunes d’une vingtaine d’années en ser-

vice civique. « Je n’avais jamais touché à une tablette ou à une console de jeux vidéo. Mais c’est venu vite avec eux, sourit Gilberte. On fait de bonnes parties de bow-ling, on s’amuse. Avec la tablette, j’ai notamment appris à envoyer des mails à mes enfants ! Pour communiquer, c’est facile. »

Comment le numérique est-il rentré dans la vie de ces retraités ? Grâce à Silver Geek, un projet porté depuis septembre 2014 par un collectif rassemblant une dou-zaine de partenaires, acteurs publics, entreprises et associations, et copiloté par le programme ADB Solidatech en partenariat avec Orange. Le concept est simple : mettre à disposition de structures accueillant des personnes âgées des kits composés d’outils numé-riques (cinq tablettes, un vidéopro-jecteur, deux consoles de jeux vidéo, auxquels s’ajoute la connec-

tique associée) et les compétences de jeunes en service civique. Le but ? Agir en faveur du « bien vieil-lir », rompre l’isolement des per-sonnes et favoriser le lien social intergénérationnel grâce à l’usage ludique d’outils numériques.

Dix-huit structures sur quatre départements du Poitou- Charentes, plus de 500 seniors, dont la moyenne d’âge est de 85 ans, bénéficient de ce dispositif encadré de façon opérationnelle par 72 volontaires en service civique venus de l’association Unis-Cité. Comment s’est monté ce projet ? « La Poste de Poitou-Charentes avait lancé une consul-

tation animée par le Rameau, un laboratoire de recherche appliquée sur la construction de projets entreprises/associations, avec des groupes de travail sur des théma-tiques sociétales que sont le bien vieillir, la jeunesse et le numé-rique, résume Nesrine Dani, la responsable du programme ADB Solidatech. C’est via les rencontres au sein de cette consultation que cette expérimentation est née. »

Du matériel reconditionné et personnalisé

ADB Solidatech, c’est quoi ? Un programme créé en 2008 pour fournir à des tarifs solidaires des

« Un modèle économique à trouver »

Karen Toris, chargée de communication et du projet Silver Geek, ADB Solidatech

« Silver Geek est un nouveau modèle de gestion de projet pour Les Ateliers du bocage. Nous avons créé un collectif informel composé d’une douzaine de partenaires, d’entreprises, d’acteurs publics et d’associations où chacun a sa voix. Nous sommes deux copilotes, ADB Solidatech et Orange, qui fixons et animons les réunions, tandis que la

structure budgétaire passe par le fonds de dotation de l’entreprise créé en janvier 2014. Le fait de ne pas avoir de forme juridique très stricte nous donne une certaine souplesse de fonctionnement. L’expérimentation a été évaluée de septembre 2014 à juin 2015 et nous a confortés dans le désir de poursuivre. Nous cherchons aujourd’hui un modèle économique afin de pérenniser le dispositif. Nous entrons dans la phase de modélisation pour pouvoir dupliquer le programme ailleurs et proposer des kits prêts à l’emploi. »

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« Les associations ont besoin de diversifier leurs ressources, d’être plus visibles, de renouveler des bénévoles… »

Le projet Silver Geek, piloté par ADB Solidatech, œuvre pour le « bien vieillir » en proposant aux Ehpad des kits numériques (tablettes, jeux vidéo…) et une assistance technique afin de favoriser le lien social intergénérationnel.

Nesrine Dani, responsable d’ADB Solidatech, et Antoine Drouet, directeur adjoint des Ateliers du bocage, l’entreprise d’insertion qui porte ce programme.

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12 Direction[s] n° 139 février 2016 L’information sur www.directions.fr

11e trophée ]

« Une nouvelle manière de fonctionner avec le secteur pri-vé, le public, l’économie sociale et solidaire dans un objectif com-mun d’intérêt général », appuie Nesrine Dani. Silver Geek fait par-tie de ces projets, tout comme Ordyslexie. Cette dernière expéri-mentation vise à équiper les enfants dyslexiques d’un « car-table numérique » (ordinateur hybride tactile et clavier, stylet, scanner portatif, logiciel, etc.) afin de développer leur confiance et leur autonomie à l’école.

Trois acteurs principaux, avec chacun « des domaines de com-pétence », précise Nesrine Dani, portent le projet : « Denis Masson, le président d’Ordyslexie, s’est chargé de la recherche et dévelop-pement (R & D) de la solution informatique ; l’association Familles utilisatrices de la solu-tion Ordyslexie (Fuso France) dis-tribue les équipements et fournit la méthodologie pour former les bénéficiaires à l’utilisation de l’outil ; ADB Solidatech récupère les dons d’ordinateurs (2 000 machines ont été ainsi données par Air France), les teste, les reconfigure et les équipe. On fait également de l’ingénierie de projet,

et s’occupe de la communication et des financements », liste la responsable.

De nouvelles ambitions

« Notre objectif, c’est qu’au tra-vers du numérique [1], les associa-tions démultiplient leur impact social, qu’elles renforcent leur action auprès de leurs bénéfi-ciaires, répète Nesrine Dani. Le chantier est énorme : on compte 1,3 million d’associations en

France, mais il n’existe aucun dis-positif public d’inclusion numé-rique (comme pour les particuliers ou les TPE) leur permettant d’être plus compétentes en la matière alors qu’elles ont besoin de diver-sifier leurs ressources, d’avoir davantage de visibilité, de renou-veler des bénévoles, etc. »

ADB Solidatech, lauréat 2015 de « La France s’engage », compte bien monter en puissance. « Nous rentrons dans un plan de dévelop-pement avec quatre objectifs : tou-cher plus de 20 000 bénéficiaires sur deux ans en France, élargir la palette d’outils numériques mis à disposition pour répondre aux besoins que l’on ne couvre pas aujourd’hui (par exemple nous ne proposons pas de logiciel de ges-tion de projet), développer les formes d’accompagnement per-sonnalisé (notamment avec les formations) et passer sur les pro-jets multiacteurs du mode expéri-mentation à la pérennisation des dispositifs et leur duplication. »

Un schéma de gouvernance plus adapté

Un développement qui corres-pond à une réflexion plus globale sur la stratégie de l’entreprise d’in-

sertion. Les Ateliers du bocage ont été fragilisés économiquement en 2013 et 2014 à la suite de la perte d’un gros marché de sous-traitance de collecte de cartouches d’imprimantes. Un bouleverse-ment qui a boosté la volonté de transformer l’association en socié-té coopérative d’intérêt collectif (SCIC) alors que le schéma de gouvernance était devenu inadap-té vu la taille de la structure (près de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires). « Nous avions besoin de recapitaliser l’entreprise, précise Antoine Drouet, le directeur adjoint. Avec la SCIC, nous avons opéré un changement sans perdre nos valeurs sociales, le statut coo-pératif permettant de rassembler toutes les parties prenantes de l’entreprise. »

Désormais, Les Ateliers du bocage veulent aussi limiter au maximum le travail en sous-trai-tance. « Nous voulons développer notre offre en propre pour des causes solidaires, et ne pas dépendre de clients qui peuvent nous confier des marchés pour les retirer ensuite en délocalisant, ajoute Antoine Drouet. ADB Soli-datech est un super outil pour cela : le challenge, pour nous, est très important. » Et le moyen de créer un cercle vertueux au ser-vice de causes solidaires.

Flore MabilleauPhotos : William Parra

1] Lire dans ce numéro la tribune p. 40

ConTaCT• ADB Solidatech : 05 31 61 60 15 www.adb-solidatech.fr

ADB Solidatech compte notamment un atelier de reconditionnement du matériel récupéré (à gauche) et un centre d’appel pour toutes questions techniques des utilisateurs.

Les ateliers du bocage :• 200 salariés, dont 35 CDD Insertion et 11 postes en entreprise adaptéeaDB Solidatech :• 11 salariés, dont 1 CDD en insertion• 14 200 associations inscrites (300 par mois)• 1 000 euros au minimum : valeur d’un kit Silver Geek• 3 300 ordinateurs de bureau et 2 995 PC portables préparés en 2014• 1 atelier de reconditionnement et de réparation et 3 “bootiques” pour la distribution

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