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Objet d’étude : Renaissance et Humanisme G.T : L’éducation et le savoir au centre de la pensée humaniste Texte 2 : Érasme, Traité sur l’éducation, 1529

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Page 1: Objet d’étude : Renaissance et Humanisme G.T : L’éducation et le …€¦ · Les jeunes enfants y sont poussés, nous l'avons dit, par le plaisir naturel de l'imitation, dont

Objet d’étude : Renaissance et Humanisme

G.T : L’éducation et le savoir au centre de la pensée humaniste

Texte 2 : Érasme, Traité sur l’éducation, 1529

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« C’est pourquoi il est incomparable, inoubliable, ce tableau d’Holbein qui nous montre Érasme au moment le plus solennel, à l’instant où il crée. […] Il n’y a que ce portrait qui nous laisse pénétrer la personnalité d’Érasme, il est le seul qui nous fasse deviner la présence de forces secrètes dans le petit corps souffreteux que cet homme de génie traîne comme une encombrante et délicate carapace. »

Stefan Zweig

Présentation de l’auteur

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[…] c’est le plus parfait de ses chefs-d’oeuvres et c’est peut-être le meilleur portrait qu’on ait fait d’un écrivain en cet instant magique où la pensée invisible apparaît sur le papier. On se souvient de cette oeuvre - qui, d’ailleurs, l’ayant vue pourrait jamais l’oublier ! - Érasme est à sa table, l’émotion vous empoigne : il est seul. Un profond silence règne dans la pièce, la porte doit être fermée derrière cet homme en plein effort ; personne, rien ne bouge dans cette étroite cellule ; du reste, s’il se passait quelque chose autour de lui, l’homme, plongé dans ses méditations, en proie aux transes de la création, ne s’en apercevrait pas. Il semble de pierre, tant il est immobile ; pourtant dès qu’on le regarde de plus près, son attitude n’est pas celle du repos, mais du recueillement le plus profond. C’est l’attitude mystérieuse d’un être dont l’activité vitale est purement intérieure ; avec une attention qui ne faiblit point - son regard ne quitte pas les mots que sa main effilée, presque féminine, trace sur la blancheur du papier, obéissant à un ordre qui lui vient d’en haut. Sa bouche est fermée, son front brille d’un froid et léger éclat, le mouvement que fait la plume en moulant les caractères sur la page muette semble facile et mécanique. Toutefois une petite contraction musculaire entre les sourcils trahit l’effort cérébral, effort à peine perceptible et qui pourrait passer inaperçu. Presque immatérielle, cette légère crispation, voisine des lobes créateurs du cerveau, nous permet de deviner les luttes douloureuses qu’Érasme doit engager pour trouver l’expression, le mot juste. Sa pensée prend en cet instant figure que l’on comprend : tout n’est qu’attention soutenue, tension d’esprit dans cet homme, et ce silence est traversé de courants mystérieux. Ainsi représenté, il atteint au sublime, ce moment chimique où la pensée se matérialise et où apparaît l’écriture. On resterait des heures entières à contempler ce portrait et à écouter son silence vibrant, car, dans ce symbole d’Érasme au travail, Holbein a immortalisé la sainte gravité du travailleur intellectuel, l’invisible patience du véritable artiste.

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« Notre regard est attiré par le profil du visage aux yeux baissés, nettement découpé sur la tenture vert sombre, et par la finesse des mains occupées à rédiger. Holbein a d'ailleurs porté un grand soin à la description de ces mains, comme nous le montre une feuille d'étude conservée au musée du Louvre. La composition est sobre afin de refléter l'attention du modèle qui se concentre exclusivement sur son activité littéraire. Le choix d'un profil strict, très rarement pratiqué par Holbein, est une claire allusion aux effigies d'empereurs romains gravées sur les médailles antiques. Ainsi ce portrait, malgré le caractère intime de la représentation, revêt une allure très officielle. Holbein nous livre une véritable icône de ce grand lettré, dont la bouche légèrement pincée trahit l'exigence morale. » Notice de l’œuvre, site du Musée du Louvre

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Érasme de Rotterdam, né autour des années 1466-69 aux Pays-Bas est une des figures les plus représentatives de l’Humanisme européen. Fils illégitime d’un prêtre, il est d’abord moine puis est ordonné prêtre en 1492. Il voyage beaucoup à travers toute l’Europe (cf. le programme étudiant Erasmus, qui porte son nom), et se lie avec d’autres personnalités marquantes du mouvement, comme Thomas More, chez qui il écrira son seul ouvrage vraiment lu et célèbre aujourd’hui, Éloge de la folie. Dans ce petit ouvrage satirique, la déesse de la Folie prend la parole pour parler des hommes, de manière ironique, en soulignant à quel point elle leur est indispensable tant ils semblent manquer de raison. C’est donc une critique virulente de la société. Il s’oppose à Luther dans une longue polémique autour des idées réformées. Il meurt à Bâle en 1536. Appelé parfois « prince des humanistes », il a œuvré toute sa vie pour la diffusion de ces idées humanistes, prônant la paix et la foi dans ce que l’homme peut avoir de meilleur. Théologien et évangéliste, il n’a pas hésité à critiquer l’Eglise et ses dérives. Son œuvre est écrite en latin, langue européenne des Humanistes.

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Présentation de l’oeuvre

• Il est l’auteur de la fameuse sentence : « On ne naît pas homme, on le devient. » Ceci explique l’importance pour Érasme de l’éducation, et principalement celle des enfants. Il était aussi surnommé « père des études ».

• Le texte que nous allons étudier se trouve dans un traité sur ce thème, genre très courant à l’époque. Il a aussi souvent abordé ce thème dans sa volumineuse correspondance. Il a également écrit un ouvrage sur l’éducation des princes (destiné à Charles Quint) et un autre sur l’éducation et le savoir-vivre chez les très jeunes enfants.

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Toutefois nous pouvons également veiller avec soin à ce que la fatigue soit réduite à l'extrême et que, par conséquent, le dommage soit insignifiant. C'est ce qui se produira si nous n'inculquons pas aux enfants des connaissances multiples ou désordonnées, mais seulement celles qui sont les meilleures et qui conviennent à leur âge, où l'agrément est plus captivant que la subtilité. En outre, telle manière douce de les communiquer les fera ressembler à un jeu et non à un travail. Car, à cet âge, il est nécessaire de les tromper avec des appâts séduisants puisqu'ils ne peuvent pas encore comprendre tout le fruit, tout le prestige, tout le plaisir que les études doivent leur procurer dans l'avenir. Ce résultat sera obtenu en partie par la douceur et la bonne grâce du maître, en partie par son ingéniosité et son habileté, qui lui feront imaginer divers moyens pour rendre l'étude agréable à l'enfant et l'empêcher d'en ressentir de la fatigue. Rien n'est en effet plus néfaste qu'un précepteur dont le caractère amène les enfants à haïr les études avant d'être en mesure de comprendre pourquoi il faut les aimer.

Tu vas me demander de t'indiquer les connaissances qui correspondent à l'esprit des enfants et qu'il faut leur infuser dès leur prime jeunesse. En premier lieu, la pratique des langues.

Les tout-petits y accèdent sans aucun effort, alors que chez les adultes elle ne peut s'acquérir qu'au prix d'un grand effort. Les jeunes enfants y sont poussés, nous l'avons dit, par le plaisir naturel de l'imitation, dont nous voyons quelques traces jusque chez les sansonnets et les perroquets. Et puis - rien de plus délicieux - les fables des poètes. Leurs séduisants attraits charment les oreilles enfantines, tandis que les adultes y trouvent le plus grand profit, pour la connaissance de la langue autant que pour la formation du jugement et de la richesse de l'expression. Quoi de plus plaisant à écouter pour un enfant que les apologues d'Ésope qui, par le rire et la fantaisie, n'en transmettent pas moins des préceptes philosophiques sérieux ?

Le profit est le même avec les autres fables des poètes anciens. L'enfant apprend que les compagnons d'Ulysse ont été transformés par l'art de Circé en pourceaux et en d'autres animaux. Le récit le fait rire mais, en même temps, il a retenu un principe fondamental de philosophie morale, à savoir : ceux qui ne sont pas gouvernés par la droite raison et se laissent emporter au gré de leurs passions ne sont pas des hommes mais des bêtes. Un stoïcien s'exprimerait-il plus gravement ? Et pourtant le même enseignement est donné par une fable amusante. Je ne veux pas te retenir en multipliant les exemples, tant la chose est évidente.

Mais quoi de plus gracieux qu'un poème bucolique ? Quoi de plus charmant qu'une comédie ? Fondée sur l'étude des caractères, elle fait impression sur les non-initiés et sur les enfants. Mais quelle somme de philosophie y trouve-t-on en se jouant ! Ajoute mille faits instructifs que l'on s'étonne de voir ignorés même aujourd'hui par ceux qui sont réputés les plus savants. On y rencontre enfin des sentences brèves et attrayantes du genre des proverbes et des mots de personnages illustres, la seule forme sous laquelle autrefois la philosophie se répandait dans le peuple.

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Toutefois nous pouvons également veiller avec soin à ce que la fatigue soit réduite à l'extrême et que, par conséquent, le dommage soit insignifiant. C'est ce qui se produira si nous n'inculquons pas aux enfants des connaissances multiples ou désordonnées, mais seulement celles qui sont les meilleures et qui conviennent à leur âge, où l'agrément est plus captivant que la subtilité. En outre, telle manière douce de les communiquer les fera ressembler à un jeu et non à un travail. Car, à cet âge, il est nécessaire de les tromper avec des appâts séduisants puisqu'ils ne peuvent pas encore comprendre tout le fruit, tout le prestige, tout le plaisir que les études doivent leur procurer dans l'avenir. Ce résultat sera obtenu en partie par la douceur et la bonne grâce du maître, en partie par son ingéniosité et son habileté, qui lui feront imaginer divers moyens pour rendre l'étude agréable à l'enfant et l'empêcher d'en ressentir de la fatigue. Rien n'est en effet plus néfaste qu'un précepteur dont le caractère amène les enfants à haïr les études avant d'être en mesure de comprendre pourquoi il faut les aimer.

Tu vas me demander de t'indiquer les connaissances qui correspondent à l'esprit des enfants et qu'il faut leur infuser dès leur prime jeunesse. En premier lieu, la pratique des langues.

Les tout-petits y accèdent sans aucun effort, alors que chez les adultes elle ne peut s'acquérir qu'au prix d'un grand effort. Les jeunes enfants y sont poussés, nous l'avons dit, par le plaisir naturel de l'imitation, dont nous voyons quelques traces jusque chez les sansonnets et les perroquets. Et puis - rien de plus délicieux - les fables des poètes. Leurs séduisants attraits charment les oreilles enfantines, tandis que les adultes y trouvent le plus grand profit, pour la connaissance de la langue autant que pour la formation du jugement et de la richesse de l'expression. Quoi de plus plaisant à écouter pour un enfant que les apologues d'Ésope qui, par le rire et la fantaisie, n'en transmettent pas moins des préceptes philosophiques sérieux ?

Le profit est le même avec les autres fables des poètes anciens. L'enfant apprend que les compagnons d'Ulysse ont été transformés par l'art de Circé en pourceaux et en d'autres animaux. Le récit le fait rire mais, en même temps, il a retenu un principe fondamental de philosophie morale, à savoir : ceux qui ne sont pas gouvernés par la droite raison et se laissent emporter au gré de leurs passions ne sont pas des hommes mais des bêtes. Un stoïcien s'exprimerait-il plus gravement ? Et pourtant le même enseignement est donné par une fable amusante. Je ne veux pas te retenir en multipliant les exemples, tant la chose est évidente.

Mais quoi de plus gracieux qu'un poème bucolique ? Quoi de plus charmant qu'une comédie ? Fondée sur l'étude des caractères, elle fait impression sur les non-initiés et sur les enfants. Mais quelle somme de philosophie y trouve-t-on en se jouant ! Ajoute mille faits instructifs que l'on s'étonne de voir ignorés même aujourd'hui par ceux qui sont réputés les plus savants. On y rencontre enfin des sentences brèves et attrayantes du genre des proverbes et des mots de personnages illustres, la seule forme sous laquelle autrefois la philosophie se répandait dans le peuple.

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Toutefois nous pouvons également veiller avec soin à ce que la fatigue soit réduite à l'extrême et que, par conséquent, le dommage soit insignifiant. C'est ce qui se produira si nous n'inculquons pas aux enfants des connaissances multiples ou désordonnées, mais seulement celles qui sont les meilleures et qui conviennent à leur âge, où l'agrément est plus captivant que la subtilité. En outre, telle manière douce de les communiquer les fera ressembler à un jeu et non à un travail. Car, à cet âge, il est nécessaire de les tromper avec des appâts séduisants puisqu'ils ne peuvent pas encore comprendre tout le fruit, tout le prestige, tout le plaisir que les études doivent leur procurer dans l'avenir. Ce résultat sera obtenu en partie par la douceur et la bonne grâce du maître, en partie par son ingéniosité et son habileté, qui lui feront imaginer divers moyens pour rendre l'étude agréable à l'enfant et l'empêcher d'en ressentir de la fatigue. Rien n'est en effet plus néfaste qu'un précepteur dont le caractère amène les enfants à haïr les études avant d'être en mesure de comprendre pourquoi il faut les aimer.

Tu vas me demander de t'indiquer les connaissances qui correspondent à l'esprit des enfants et qu'il faut leur infuser dès leur prime jeunesse. En premier lieu, la pratique des langues.

Les tout-petits y accèdent sans aucun effort, alors que chez les adultes elle ne peut s'acquérir qu'au prix d'un grand effort. Les jeunes enfants y sont poussés, nous l'avons dit, par le plaisir naturel de l'imitation, dont nous voyons quelques traces jusque chez les sansonnets et les perroquets. Et puis - rien de plus délicieux - les fables des poètes. Leurs séduisants attraits charment les oreilles enfantines, tandis que les adultes y trouvent le plus grand profit, pour la connaissance de la langue autant que pour la formation du jugement et de la richesse de l'expression. Quoi de plus plaisant à écouter pour un enfant que les apologues d'Ésope qui, par le rire et la fantaisie, n'en transmettent pas moins des préceptes philosophiques sérieux ?

Le profit est le même avec les autres fables des poètes anciens. L'enfant apprend que les compagnons d'Ulysse ont été transformés par l'art de Circé en pourceaux et en d'autres animaux. Le récit le fait rire mais, en même temps, il a retenu un principe fondamental de philosophie morale, à savoir : ceux qui ne sont pas gouvernés par la droite raison et se laissent emporter au gré de leurs passions ne sont pas des hommes mais des bêtes. Un stoïcien s'exprimerait-il plus gravement ? Et pourtant le même enseignement est donné par une fable amusante. Je ne veux pas te retenir en multipliant les exemples, tant la chose est évidente.

Mais quoi de plus gracieux qu'un poème bucolique ? Quoi de plus charmant qu'une comédie ? Fondée sur l'étude des caractères, elle fait impression sur les non-initiés et sur les enfants. Mais quelle somme de philosophie y trouve-t-on en se jouant ! Ajoute mille faits instructifs que l'on s'étonne de voir ignorés même aujourd'hui par ceux qui sont réputés les plus savants. On y rencontre enfin des sentences brèves et attrayantes du genre des proverbes et des mots de personnages illustres, la seule forme sous laquelle autrefois la philosophie se répandait dans le peuple.

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Toutefois nous pouvons également veiller avec soin à ce que la fatigue soit réduite à l'extrême et que, par conséquent, le dommage soit insignifiant. C'est ce qui se produira si nous n'inculquons pas aux enfants des connaissances multiples ou désordonnées, mais seulement celles qui sont les meilleures et qui conviennent à leur âge, où l'agrément est plus captivant que la subtilité. En outre, telle manière douce de les communiquer les fera ressembler à un jeu et non à un travail. Car, à cet âge, il est nécessaire de les tromper avec des appâts séduisants puisqu'ils ne peuvent pas encore comprendre tout le fruit, tout le prestige, tout le plaisir que les études doivent leur procurer dans l'avenir. Ce résultat sera obtenu en partie par la douceur et la bonne grâce du maître, en partie par son ingéniosité et son habileté, qui lui feront imaginer divers moyens pour rendre l'étude agréable à l'enfant et l'empêcher d'en ressentir de la fatigue. Rien n'est en effet plus néfaste qu'un précepteur dont le caractère amène les enfants à haïr les études avant d'être en mesure de comprendre pourquoi il faut les aimer.

Tu vas me demander de t'indiquer les connaissances qui correspondent à l'esprit des enfants et qu'il faut leur infuser dès leur prime jeunesse. En premier lieu, la pratique des langues.

Les tout-petits y accèdent sans aucun effort, alors que chez les adultes elle ne peut s'acquérir qu'au prix d'un grand effort. Les jeunes enfants y sont poussés, nous l'avons dit, par le plaisir naturel de l'imitation, dont nous voyons quelques traces jusque chez les sansonnets et les perroquets. Et puis - rien de plus délicieux - les fables des poètes. Leurs séduisants attraits charment les oreilles enfantines, tandis que les adultes y trouvent le plus grand profit, pour la connaissance de la langue autant que pour la formation du jugement et de la richesse de l'expression. Quoi de plus plaisant à écouter pour un enfant que les apologues d'Ésope qui, par le rire et la fantaisie, n'en transmettent pas moins des préceptes philosophiques sérieux ?

Le profit est le même avec les autres fables des poètes anciens. L'enfant apprend que les compagnons d'Ulysse ont été transformés par l'art de Circé en pourceaux et en d'autres animaux. Le récit le fait rire mais, en même temps, il a retenu un principe fondamental de philosophie morale, à savoir : ceux qui ne sont pas gouvernés par la droite raison et se laissent emporter au gré de leurs passions ne sont pas des hommes mais des bêtes. Un stoïcien s'exprimerait-il plus gravement ? Et pourtant le même enseignement est donné par une fable amusante. Je ne veux pas te retenir en multipliant les exemples, tant la chose est évidente.

Mais quoi de plus gracieux qu'un poème bucolique ? Quoi de plus charmant qu'une comédie ? Fondée sur l'étude des caractères, elle fait impression sur les non-initiés et sur les enfants. Mais quelle somme de philosophie y trouve-t-on en se jouant ! Ajoute mille faits instructifs que l'on s'étonne de voir ignorés même aujourd'hui par ceux qui sont réputés les plus savants. On y rencontre enfin des sentences brèves et attrayantes du genre des proverbes et des mots de personnages illustres, la seule forme sous laquelle autrefois la philosophie se répandait dans le peuple.

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Tu vas me demander de t'indiquer les connaissances qui correspondent à l'esprit des enfants et qu'il faut leur infuser dès leur prime jeunesse. En premier lieu, la pratique des langues.

Les tout-petits y accèdent sans aucun effort, alors que chez les adultes elle ne peut s'acquérir qu'au prix d'un grand effort. Les jeunes enfants y sont poussés, nous l'avons dit, par le plaisir naturel de l'imitation, dont nous voyons quelques traces jusque chez les sansonnets et les perroquets. Et puis - rien de plus délicieux - les fables des poètes. Leurs séduisants attraits charment les oreilles enfantines, tandis que les adultes y trouvent le plus grand profit, pour la connaissance de la langue autant que pour la formation du jugement et de la richesse de l'expression. Quoi de plus plaisant à écouter pour un enfant que les apologues d'Ésope qui, par le rire et la fantaisie, n'en transmettent pas moins des préceptes philosophiques sérieux ?

Le profit est le même avec les autres fables des poètes anciens. L'enfant apprend que les compagnons d'Ulysse ont été transformés par l'art de Circé en pourceaux et en d'autres animaux. Le récit le fait rire mais, en même temps, il a retenu un principe fondamental de philosophie morale, à savoir : ceux qui ne sont pas gouvernés par la droite raison et se laissent emporter au gré de leurs passions ne sont pas des hommes mais des bêtes. Un stoïcien s'exprimerait-il plus gravement ? Et pourtant le même enseignement est donné par une fable amusante. Je ne veux pas te retenir en multipliant les exemples, tant la chose est évidente.

Mais quoi de plus gracieux qu'un poème bucolique ? Quoi de plus charmant qu'une comédie ? Fondée sur l'étude des caractères, elle fait impression sur les non-initiés et sur les enfants. Mais quelle somme de philosophie y trouve-t-on en se jouant ! Ajoute mille faits instructifs que l'on s'étonne de voir ignorés même aujourd'hui par ceux qui sont réputés les plus savants. On y rencontre enfin des sentences brèves et attrayantes du genre des proverbes et des mots de personnages illustres, la seule forme sous laquelle autrefois la philosophie se répandait dans le peuple.

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Toutefois nous pouvons également veiller avec soin à ce que la fatigue soit réduite à l'extrême et que, par conséquent, le dommage soit insignifiant. C'est ce qui se produira si nous n'inculquons pas aux enfants des connaissances multiples ou désordonnées, mais seulement celles qui sont les meilleures et qui conviennent à leur âge, où l'agrément est plus captivant que la subtilité. En outre, telle manière douce de les communiquer les fera ressembler à un jeu et non à un travail. Car, à cet âge, il est nécessaire de les tromper avec des appâts séduisants puisqu'ils ne peuvent pas encore comprendre tout le fruit, tout le prestige, tout le plaisir que les études doivent leur procurer dans l'avenir. Ce résultat sera obtenu en partie par la douceur et la bonne grâce du maître, en partie par son ingéniosité et son habileté, qui lui feront imaginer divers moyens pour rendre l'étude agréable à l'enfant et l'empêcher d'en ressentir de la fatigue. Rien n'est en effet plus néfaste qu'un précepteur dont le caractère amène les enfants à haïr les études avant d'être en mesure de comprendre pourquoi il faut les aimer.

Tu vas me demander de t'indiquer les connaissances qui correspondent à l'esprit des enfants et qu'il faut leur infuser dès leur prime jeunesse. En premier lieu, la pratique des langues.

Les tout-petits y accèdent sans aucun effort, alors que chez les adultes elle ne peut s'acquérir qu'au prix d'un grand effort. Les jeunes enfants y sont poussés, nous l'avons dit, par le plaisir naturel de l'imitation, dont nous voyons quelques traces jusque chez les sansonnets et les perroquets. Et puis - rien de plus délicieux - les fables des poètes. Leurs séduisants attraits charment les oreilles enfantines, tandis que les adultes y trouvent le plus grand profit, pour la connaissance de la langue autant que pour la formation du jugement et de la richesse de l'expression. Quoi de plus plaisant à écouter pour un enfant que les apologues d'Ésope qui, par le rire et la fantaisie, n'en transmettent pas moins des préceptes philosophiques sérieux ?

Le profit est le même avec les autres fables des poètes anciens. L'enfant apprend que les compagnons d'Ulysse ont été transformés par l'art de Circé en pourceaux et en d'autres animaux. Le récit le fait rire mais, en même temps, il a retenu un principe fondamental de philosophie morale, à savoir : ceux qui ne sont pas gouvernés par la droite raison et se laissent emporter au gré de leurs passions ne sont pas des hommes mais des bêtes. Un stoïcien s'exprimerait-il plus gravement ? Et pourtant le même enseignement est donné par une fable amusante. Je ne veux pas te retenir en multipliant les exemples, tant la chose est évidente.

Mais quoi de plus gracieux qu'un poème bucolique ? Quoi de plus charmant qu'une comédie ? Fondée sur l'étude des caractères, elle fait impression sur les non-initiés et sur les enfants. Mais quelle somme de philosophie y trouve-t-on en se jouant ! Ajoute mille faits instructifs que l'on s'étonne de voir ignorés même aujourd'hui par ceux qui sont réputés les plus savants. On y rencontre enfin des sentences brèves et attrayantes du genre des proverbes et des mots de personnages illustres, la seule forme sous laquelle autrefois la philosophie se répandait dans le peuple.

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Les idées directrices du texte

• Ce texte est un modèle d’argumentation directe : l’auteur y énonce clairement ses idées, par un registre didactique très marqué, en prenant bien soin d’être clair et compris. Les étapes du raisonnement sont bien distinctes, grâce notamment à de nombreux connecteurs. Erasme s’implique dans son raisonnement par les marques de personnes, les exclamatives et les termes mélioratifs qui montrent son enthousiasme quant à l’éducation qu’il prône. Il est cependant dans la conviction, puisqu’il s’adresse plus à la raison qu’aux sentiments. Son destinataire est lui aussi présent, interpellé par les interrogatives; l’emploi de la 2e personne, les impératifs.

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Les idées directrices du texte

• La thèse d’Erasme est claire : il faut adapter l’enseignement au jeune âge de l’enfant et ne pas les considérer comme des adultes – il faut donc passer par le plaisir, la douceur et non par la brutalité comme on pouvait le faire avant (les 2 champs lexicaux s’opposent ds l’extrait). D’où son éloge de l’apologue et de l’argumentation indirecte en général, très marqué dans le texte par des termes mélioratifs, des hyperboles…

• Ce texte correspond parfaitement aux idées humanistes puisque l’apprentissage des langues y est vu comme un socle indispensable, comme chez Rabelais, et ce d’autant plus que les enfants apprennent facilement, par l’imitation, les langues nouvelles (remarque très moderne pour l’époque). L’éloge des études faite par Erasme, ainsi que l’importance accordée dans cet enseignement aux auteurs grecs et latins sont également des éléments qui rattachent ce texte à la pensée humaniste.