numéro 6 été 2006 - marche-poesie.com

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ASSOCIATION CIRCÉ 12 RUE PIERRE ET MARIE CURIE 75005 PARIS TÉL. 01 44 32 05 95 FAX 01 44 32 05 91 Poesie.Evous.fr Numéro 6 été 2006 À P ARIS, place Saint-Sulpice, l’an passé, un 24 juin, grisé comme le frère de l’ange, il était venu de son Chaumont létal avec une allégresse de nouveau- né – après des mois d’errance captive entre deux tombeaux à peine défleuris, celui d’une amante et celui d’une mère – pour recevoir et signer son premier recueil de poèmes, l’Origine du désir. Quelques heures plus tard, Arnaud Pelletier décédait brusquement dans un bar du quartier Saint-Germain. Magnifique, il portait au cou le collier ophidien des dépendus. Il était joyeux comme un orpailleur immergé dans les reflets de l’aube. Je l’avais rencontré dans sa ville quelques années plus tôt, aux Silos, la Maison du livre et de l’affiche, où me retenait un contrat ludique, à peine surpris de voir surgir en lui les figures fondues d’Artaud adolescent et du Lautréamont imaginaire de Félix Vallotton. Il avait un manuscrit dans les doigts. Je l’ai ouvert négli- gemment sous son regard de noyade. « Des poèmes, dit-il. Et le début d’une histoire que je réécris sans cesse. » On reconnaît en quelques minutes le lien affranchi des mots, cette coordination mystérieuse qui atteste la pleine altérité. Le style n’est pas un effet de cape et de manches, mais cette complication dramatique de la langue à l’endroit d’une subjectivité aux prises avec le péril du sens. J’ai pris le temps de lire et de relire ces pages, d’inciter l’auteur à combattre au mieux démons et influences, J E SUIS NÉ à Jacmel en 1926. » C’est par cette phrase extraite de Poète à Cuba (1976) que René Depestre ouvre l’évocation d’une enfance haïtienne. En dépit de la dispa- rition de son père en 1936, cette enfance est baignée par la douceur du golfe de Jacmel, les influences océanes, les fêtes religieuses, le carnaval et le vaudou. Son éducation et ses études, le jeune Depestre les doit à la machine Singer, force tutélaire qui permet à sa mère, modiste, d’élever seule ses cinq enfants : Sous nos toits son aiguille Tendait des pièges fantastiques à la faim. Son aiguille défiait la soif. La machine Singer domptait des tigres. La machine Singer charmait des serpents. Elle bravait paludismes et cyclones Et cousait des feuilles à notre nudité. À dix-neuf ans, poussé par la venue d’André Breton en Haïti, l’adolescent rassemble ses premiers poèmes et se rend à l’Imprimerie nationale qui ne publiait que le journal du gouvernement. La réponse du directeur est de celles que l’on aimerait entendre plus souvent : « Apportez-moi cent cinquante dollars et je vous édite ». Le jeune poète lance une souscription, réunit la somme exigée et demande que la couverture du recueil imite le plus possible les livres des éditions Gallimard. En avril 1945 paraît Étincelles, recueil marqué par l’influence du poète noir américain Langston Hughes. Dès le texte liminaire, intitulé « Me voici », le poète se définit lui-même René Depestre Neptune Haïtien par Bruno Doucey Les mourirs vifs d’Arnaud Pelletier par Hubert Haddad comme « un animal marin de la poésie » qui sent gronder en lui « la colère des foules » et vibrer leur « rage de vivre ». Le succès de l’ouvrage est fulgurant. Avec quelques-uns de ses amis, le jeune homme fonde La Ruche, journal d’action poétique et politique qui se veut un brûlot révolutionnaire. La suite prend corps dans le brasier des jours : La Ruche est interdite de publication, tandis qu’une grève de soutien éclate dans les milieux étudiants. Déjà la contestation se géné- ralise, entraînant le départ du dictateur Elie Lescot. De la prison où il se trouve, René Depestre écrit un second recueil, Gerbe de sang, cri d’un être « qui a reçu le baptême du feu et qui prend congé, blessé, de l’adolescence… » Été 1946 : le poète débarque à Paris, épris de liberté et boulimique de savoirs. Il y découvre les grandes bibliothèques, La Sorbonne, le climat d’effervescence intellectuelle qui anime la vie étudiante. Avec l’intuition fiévreuse d’un jeune exilé, il pressent et précède le mouvement des décolonisations, fréquente les poètes surréalistes et les chantres de la négritude qui se réunissent autour de Présence africaine. De son propre aveu, il devient un « métier à métisser » ses appren- tissages de la vie, ses lectures et ses expé- riences érotiques. Au début des années 50, Pierre Seghers publie deux de ses recueils : Végétations de clarté (1951), préfacé par Aimé Césaire, et Traduit du grand large (1952). Mais à l’heure où paraissent ces ouvrages, le poète est déjà loin : dès novembre 1950, le jeune contestataire est expulsé de France par décision ministérielle. Débute alors une longue errance à travers le monde : à Prague, où la jeune femme juive d’origine hongroise qu’il a épousée est accusée d’être un agent du Mossad israélien ; au Chili, où l’entraînent Jorge Amado et Pablo Neruda ; en Argentine, puis au Brésil où il milite clandestinement pour le Parti communiste. Ici comme ailleurs, le sol brûle sous ses pas. Le poète revient à Paris et se rapproche de Présence africaine qui publie Minerai noir (1956). Il avance alors « les pieds nus dans l’herbe de [sa] Négritude », se dit « de la grande race des volcans », assume l’héritage de l’imaginaire vaudou longtemps mis à distance par les écrivains haïtiens, revendique des racines et des identités multiples. Nous ne sommes pas loin du grand recueil baroque de Depestre, celui où se mêlent politique, érotisme et vaudou : Un arc-en-ciel pour l’Occident chrétien (1967). Mais pour l’heure, en décembre 1957, René Depestre est au seuil d’une nouvelle espérance. En Haïti, la chute du gouver- nement de Paul Magloire l’autorise à tenter un retour au pays natal. D’autant que le nouvel homme fort du pays, François Duvalier, ancien médecin du quartier Bas-Peu-De-Chose, est un ami d’enfance. Le poète acceptera-t-il de devenir responsable culturel au ministère des Affaires étrangères ? LES ÉDITEURS ET LE PLAN DU 24 e MARCHÉ 8-9 RENÉ DEPESTRE NEPTUNE HAÏTIEN 1 / LES MOURIRS VIFS D’ARNAUD PELLETIER 1 / JACK RALITE LES MAINS DANS LES MOTS 2 / HÉLÈNE DORION L’ÉCRITURE D’UNE RÉCONCILIATION 3 / MARCHÉ DES LIVRES 4 à 15 / JEAN-PIERRE SIMÉON LE RETOUR DE LA POÉSIE SUR LA PLACE PUBLIQUE 4 / JULIEN BLAINE LETTRE OUVERTE À ARTHÈME FAYARD 4 / HUBERT HADDAD IMMANQUABLEMENT 5 / PIERRE-ALBERT JOURDAN DANS L’ATTENTE D’UN REGARD 5 / JAVA LAST ROCK SUR UN AIR DE SAMBA 6 / LA PÉRIPHÉRIE DU 24 e MARCHÉ DE LA POÉSIE 7 / LES NUITS DU 24 e MARCHÉ 10 / DÉMOCRATISATION CULTURELLE, DIVERSITÉ LITTÉRAIRE 11 / À CHACUN SON ÉDITION 11 / JAMEL EDDINE BENCHEIKH SANS RÉPIT DE LUMIÈRE 12 FLORENCE TROCMÉ ET L’AVENTURE QUI S’AFFICHE 13 LES ÉDITIONS APRÈS LA LUNE 13 Un animal marin de la poésie > p. 3 > p. 2 PHILIPPE BERNI

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Page 1: Numéro 6 été 2006 - marche-poesie.com

ASSOCIATION CIRCÉ 12 RUE PIERRE ET MARIE CURIE 75005 PARIS TÉL. 01 44 32 05 95 FAX 01 44 32 05 91 Poesie.Evous.fr

Numéro 6 été 2006

ÀPARIS, place Saint-Sulpice,l’an passé, un 24 juin, grisécomme le frère de l’ange, ilétait venu de son Chaumont

létal avec une allégresse de nouveau-né – après des mois d’errance captiveentre deux tombeaux à peine défleuris,celui d’une amante et celui d’une mère –pour recevoir et signer son premier recueilde poèmes, l’Origine du désir. Quelquesheures plus tard, Arnaud Pelletier décédaitbrusquement dans un bar du quartierSaint-Germain. Magnifique, il portaitau cou le collier ophidien des dépendus.Il était joyeux comme un orpailleur

immergé dans les reflets de l’aube. Jel’avais rencontré dans sa ville quelquesannées plus tôt, aux Silos, la Maison dulivre et de l’affiche, où me retenait uncontrat ludique, à peine surpris de voirsurgir en lui les figures fondues d’Artaudadolescent et du Lautréamont imaginairede Félix Vallotton. Il avait un manuscritdans les doigts. Je l’ai ouvert négli-gemment sous son regard de noyade.« Des poèmes, dit-il. Et le début d’unehistoire que je réécris sans cesse. » Onreconnaît en quelques minutes le lienaffranchi des mots, cette coordinationmystérieuse qui atteste la pleine altérité.

Le style n’est pas un effet de cape et demanches, mais cette complicationdramatique de la langue à l’endroit d’unesubjectivité aux prises avec le péril dusens. J’ai pris le temps de lire et de relireces pages, d’inciter l’auteur à combattreau mieux démons et influences,

JE SUIS NÉ à Jacmel en 1926. »C’est par cette phrase extraite dePoète à Cuba (1976) que RenéDepestre ouvre l’évocation d’une

enfance haïtienne. En dépit de la dispa-rition de son père en 1936, cette enfanceest baignée par la douceur du golfe deJacmel, les influences océanes, les fêtesreligieuses, le carnaval et le vaudou. Sonéducation et ses études, le jeune Depestreles doit à la machine Singer, force tutélairequi permet à sa mère, modiste, d’éleverseule ses cinq enfants :Sous nos toits son aiguille Tendait des pièges fantastiques à la faim.Son aiguille défiait la soif.La machine Singer domptait des tigres.La machine Singer charmait des serpents.Elle bravait paludismes et cyclonesEt cousait des feuilles à notre nudité.À dix-neuf ans, poussé par la venued’André Breton en Haïti, l’adolescentrassemble ses premiers poèmes et se rendà l’Imprimerie nationale qui ne publiaitque le journal du gouvernement. Laréponse du directeur est de celles quel’on aimerait entendre plus souvent :« Apportez-moi cent cinquante dollarset je vous édite ». Le jeune poète lanceune souscription, réunit la somme exigéeet demande que la couverture du recueilimite le plus possible les livres deséditions Gallimard. En avril 1945 paraîtÉtincelles, recueil marqué par l’influencedu poète noir américain Langston Hughes.Dès le texte liminaire, intitulé « Mevoici », le poète se définit lui-même

René DepestreNeptune Haïtienpar Bruno Doucey

Les mourirs vifs d’Arnaud Pelletierpar Hubert Haddad

comme « un animal marin de la poésie »qui sent gronder en lui « la colère desfoules » et vibrer leur « rage de vivre ».Le succès de l’ouvrage est fulgurant.Avec quelques-uns de ses amis, le jeunehomme fonde La Ruche, journal d’actionpoétique et politique qui se veut un brûlot

révolutionnaire. La suite prend corpsdans le brasier des jours : La Ruche estinterdite de publication, tandis qu’unegrève de soutien éclate dans les milieuxétudiants. Déjà la contestation se géné-ralise, entraînant le départ du dictateurElie Lescot. De la prison où il se trouve,René Depestre écrit un second recueil,Gerbe de sang, cri d’un être « qui a reçule baptême du feu et qui prend congé,blessé, de l’adolescence… »Été 1946 : le poète débarque à Paris,épris de liberté et boulimique de savoirs.Il y découvre les grandes bibliothèques,La Sorbonne, le climat d’effervescenceintellectuelle qui anime la vie étudiante.Avec l’intuition fiévreuse d’un jeuneexilé, il pressent et précède le mouvementdes décolonisations, fréquente les poètessurréalistes et les chantres de la négritudequi se réunissent autour de Présenceafricaine. De son propre aveu, il devientun « métier à métisser » ses appren-tissages de la vie, ses lectures et ses expé-riences érotiques. Au début des années50, Pierre Seghers publie deux de sesrecueils : Végétations de clarté (1951),préfacé par Aimé Césaire, et Traduit dugrand large (1952). Mais à l’heure où paraissent ces ouvrages,le poète est déjà loin : dès novembre1950, le jeune contestataire est expulséde France par décision ministérielle.

Débute alors une longue errance à traversle monde : à Prague, où la jeune femmejuive d’origine hongroise qu’il a épouséeest accusée d’être un agent du Mossadisraélien ; au Chili, où l’entraînent JorgeAmado et Pablo Neruda ; en Argentine,puis au Brésil où il milite clandestinementpour le Parti communiste. Ici commeailleurs, le sol brûle sous ses pas. Lepoète revient à Paris et se rapprochede Présence africaine qui publie Minerainoir (1956). Il avance alors « les piedsnus dans l’herbe de [sa] Négritude », sedit « de la grande race des volcans »,assume l’héritage de l’imaginaire vaudoulongtemps mis à distance par les écrivainshaïtiens, revendique des racines et desidentités multiples. Nous ne sommes pasloin du grand recueil baroque de Depestre,celui où se mêlent politique, érotisme etvaudou : Un arc-en-ciel pour l’Occidentchrétien (1967).Mais pour l’heure, en décembre 1957,René Depestre est au seuil d’une nouvelleespérance. En Haïti, la chute du gouver-nement de Paul Magloire l’autorise àtenter un retour au pays natal. D’autantque le nouvel homme fort du pays,François Duvalier, ancien médecin duquartier Bas-Peu-De-Chose, est un amid’enfance. Le poète acceptera-t-il dedevenir responsable culturel au ministèredes Affaires étrangères ?

LES ÉDITEURS ET LE PLAN DU 24e MARCHÉ 8-9

RENÉ DEPESTRE NEPTUNE HAÏTIEN 1 / LES MOURIRS VIFS D’ARNAUD PELLETIER 1 / JACK RALITE LES MAINS DANS LESMOTS 2 / HÉLÈNE DORION L’ÉCRITURE D’UNE RÉCONCILIATION 3 / MARCHÉ DES LIVRES 4 à 15 / JEAN-PIERRE SIMÉON LERETOUR DE LA POÉSIE SUR LA PLACE PUBLIQUE 4 / JULIEN BLAINE LETTRE OUVERTE À ARTHÈME FAYARD 4 / HUBERTHADDAD IMMANQUABLEMENT 5 / PIERRE-ALBERT JOURDAN DANS L’ATTENTE D’UN REGARD 5 / JAVA LAST ROCK SURUN AIR DE SAMBA 6 / LA PÉRIPHÉRIE DU 24e MARCHÉ DE LA POÉSIE 7 / LES NUITS DU 24e MARCHÉ 10 / DÉMOCRATISATIONCULTURELLE, DIVERSITÉ LITTÉRAIRE 11 / À CHACUN SON ÉDITION 11 / JAMEL EDDINE BENCHEIKH SANS RÉPIT DE LUMIÈRE 12FLORENCE TROCMÉ ET L’AVENTURE QUI S’AFFICHE 13LES ÉDITIONS APRÈS LA LUNE 13

Un animal marin de la poésie

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Les circonstancesmétéorologiquesn’auront pas permis dedonner à l’inaugurationdu 23e Marché de laPoésie toute l’envergure que nousavions voulue. Voici lediscours qu’aurait dûprononcer Jack Ralite.

L’ANNÉE DERNIÈRE le Marchéde la Poésie s’était ouvertdans la grisaille. Il y avaitcomme une rumeur de

tristesse qui blessait l’atmosphère. Nonque les poètes soient absents, ils étaientau contraire si nombreux ces hommeset ces femmes qui mettent les mains dansles mots, les soupèsent, les caressent,les hument, les savourent, et qui pensentcomme Diderot : « Un mot n’est pas lachose, mais un éclair à la lueur duquelon l’aperçoit ». Non que les éditeursindépendants boudent. Ils étaient près

de 500 et offraient aux lecteurs si heureuxde le feuilleter, un verbier encore agrandi.Non que les amants de la poésie seraréfient, ils étaient encore plus presséschez l’un, chez l’autre, chez l’un etl’autre, de ces éditeurs sorte de bénévolescherchant « le luxe de l’inaccoutumance »selon Saint John Perse, étant « skieur aufond d’un puits » comme dit Michaux.En vérité, les acharnés et amoureux orga-nisateurs du Marché qui avaient peud’argent étaient confrontés au murfinancier qui prétend tout régenter, etqui ne portent les poètes – les autresartistes aussi – qu’à la boutonnière.Oui l’an passé la situation était grave etelle n’a été sauvée que par l’opiniâtretéadmirable et inventive des organisateursdu Marché, soutenus par vous. Tous,vous vous êtes assurés la conjonctionsolidaire et durable de la Région Île-de-France, de la Mairie de Paris et de l’État. Mais en ces temps où l’on connaît leprix de tout et la valeur de rien, où notremonde est en manque de demain, ensuspension de sens, où les livres sontsommés de remplir la vie de significationimmédiatement consommable, appa-remment la vieille taupe poétique

continue de creuser. Oui le Marché dela Poésie a surtout su dire non à ceque certains répandent qu’en Francela poésie est mal aimée. Alors qu’elleest, n’est-ce pas cher Bernard Noël, « lefoyer de résistance de la langue vivante,contre la langue consommée, réduite,univoque ». Oui le Marché de la Poésiea su dire non en posant les revendicationsdes éditeurs indépendants souvent sipetits : régulation rigoureuse du marchéde l’écrit poétique – pourquoi pas despoésies d’art et d’essai comme on aconquis auprès de Malraux un cinémad’art et d’essai –. Défiscalisation, aideà acquérir du matériel informatique,contribution au lancement d’éditeursindépendants, aide à l’embauche, à latraduction, à la distribution. Défenseintransigeante du prix unique du Livre.

Et que les médias en parlent en laissantparler les poètes alors qu’actuellementils nous fabriquent une soi-disant élite« best-sellarisée » à tout faire. Il y ena assez qu’il pleuve toujours où c’estmouillé. Et vous le savez bien les nomsles plus connus des « mouillés » sontSeillière et Lagardère qui marchent plusqu’à la rentabilité, à la profitabilité.Et que l’Éducation nationale généralisela présence des poètes dans les classesoù ils sont essentiels. Lundi soir j’aiassisté au Centre national du Livre, rue

de Verneuil, à une réunion d’une centained’enseignants, de poètes et d’élèves surla poésie. C’était passionnant. C’étaitfondamental. « La poésie n’est jamaisun espéranto qui a réussi, c’est-à-dire leplus court chemin et le plus commodede la communication triviale c’est-à-dire un ouvre-boîte, un passe-partoutuniversel, écart qui ne peut pas être sansconséquence ».J’aime cette approche de Gracq. Car ilne s’agit pas seulement de batailled’argent, mais aussi de bataille d’idées,de sens, de philosophie. « Il y a dans l’art (c’est valable pour lapoésie) comme un jet volcanique quiopère une rupture dans les profondeursdu partenaire ».Pierre Boulez parlant de René Charpoursuit : « Il semble tout à la fois vous

déposséder de vous-même et agrandirvotre capacité, votre prise et votre pouvoirau-delà de ce à quoi vous avez jusqu’àprésent songé ».

la poésie disons le motnous augmente

On comprend que si souvent les rapportsentre les pouvoirs et les artistes aient étédes « mariages cruels », des « danses demort ».Chacun a son expérience dans cedomaine parce que par autoroute ou parvenelle, en face ou par derrière, la poésiecomme tous les arts sont disputés parcequ’ils dérangent, qu’ils suppriment desimpossibilités, qu’ils sont contre laroutine, le normalité, qu’ils bouleversentla place du symbolique réduit audécoratif et au normalisant, et surtoutqu’ils favorisent de nouveaux commen-cements. Il faut défendre intraitablement les poètes.On comprend Philippe Jaccottet : « UnÉtat véritablement sage devrait, maisc’est beaucoup demander, réserver aupoète une place mais que cette place futcelle du gêneur perpétuel, de celui quiva répétant sans cesse des choses surpre-nantes, insaisissables, douteuses etpourtant éclatantes… oui, le poète n’estnécessaire que s’il demeure profon-dément inutile et inutilisable »…« Lespoètes soustraient (les mots) à leur pureustensilité »… D’ailleurs il y a chez l’êtrehumain un plaisir de sortir de laconjoncture et les choses visiblesdébouchent parfois sur « presqueinvisible » « moins bord secret du visibleque parfait aboutissement de la vue,sa floraison ».

avec la poésie il y aune entrée dans l’humanité

J’habite Aubervilliers et je voudraisreprendre la même idée à partir du lecteurpotentiel comme je viens de le faire à

partir du poète. Aujourd’hui, noussouffrons d’une certaine conception dutravail qui est comme une maladie del’homme normal résultant de l’ampu-tation de l’initiative des salariés. Ondirait, dit le psychologue-chercheur,Yves Clot, que ceux qui dirigent sontà la recherche d’un fantôme, un hommeplein de savoirs et vide de toute pensée ;cet homme lui rappelle le « boxeurmanchot » de Tennessee Williams. Ducoup il n’est pas rare que certainstravailleurs ne tournent plus rond et c’estsurtout parce que les choses tournentmal au travail. Il est une contradictionà voir en face : l’organisation du travailaujourd’hui tend simultanément àconvoquer et à refouler la subjectivitéet l’intersubjectivité des travailleurs.C’est une bataille de conserver intactela possibilité de s’étonner, d’alimenterla curiosité contre l’enfermement dansdes routines défensives. L’homme, lafemme ont alors, selon le philosopheGeorges Leblanc : « un moi congelé, aubord de rien, un presque rien ». C’estcomme une manière de « réduire lestêtes ». Sont alors « désertés les désirscréateurs au profit des désirs repro-ducteurs »… « c’est renoncer à lamobilité de la vie… c’est mettre entreparenthèses l’idée même de vie ». Lavie des hommes et des femmes ressentcela comme un mépris social, une humi-liation, une blessure, un déni de recon-naissance. Quand on pense qu’aujourd’huiles salariés de Renault Le Mans doiventse battre car certains veulent fermer leurbibliothèque !

tout cela constitueun déficit de pensée

Combattons ces impossibilités fabriquées.L’inaccompli bourdonne d’essentiel. Antonin Artaud avait raison de dire :« On ne peut accepter la vie qu’à lacondition d’être grand, de se sentir àl’origine des phénomènes, tout au moinsd’un certain nombre d’entre eux. Sanspuissance d’expansion, sans une certainedomination sur les choses, la vie estindéfendable ».J’ai au début rappelé la poésie selonBernard Noël. Je voudrais clore enévoquant l’« Urgence d’écriture » selonHery Mahavanona, poète malgache. Etencore avec Boris Gamaleya, poèteréunionnais : « Semer partout lesmembres de l’Esprit ».Aujourd’hui noircir du papier ça pullulemais éclairer du papier c’est rare et lespoètes en écrivant veulent commeRimbaud: « Tendre des cordes de clocherà clocher, des guirlandes de fenêtre àfenêtre, des chaînes d’or d’étoile à étoileet (vous) dansez ».Affectueusement, merci aux poètesprésents, à leurs éditeurs courageux, àleurs lecteurs pour mieux vivre, auMarché de la Poésie pour durer.

Intervention de Jack RaliteSénateur de Seine-Saint-Denis, Président d’Honneur du 23e Marché de la Poésie

Les mains dans les mots

à commencer par celle d’un vague sosieen cruauté, tout en le laissant libre deses errements. Il avait vingt-huit ans,autant de blessures, un goût âpre deliberté et l’avenir à discrétion. La poésiene demande pas son reste. Souveraine,elle surgit à nos dépens, par surpriseperpétuée.

l’excès de vie au vitriolDans l’aventure d’être, rien ne sauraitse négocier. « L’esprit conquiert sa véritéà la seule condition de se retrouver soi-même dans l’absolu déchirement », écriraHegel en songeant peut-être au destind’Hölderlin. « Maladie contagieuse »ou « excès de vie », est-il un autre sujetque la mort, même si la vie l’emporte ?Dans le récit édité quelques semainesplus tôt, V.I.T.R.I.O.L, formule térébrantedes initiations, l’intrication du biogra-phique et de la fiction atteint à ce puréquilibre tragique que seul un poète sait,par exception, accomplir. Arnaud voulaittout connaître de la vie ardente sous lefiligrane des visages et des mots. Il s’étaitpassionné pour le seul livre à ce jour

les instants dont ils furent le secretcombustible –, au point de vouloir écriresur elle une thèse, de renouer malgrél’urgence avec la sérénité besogneusedu clerc. Claude Louis-Combet, préfacierde Miriam aux éditions Lettres Vives,me confiait ces jours-ci dans une lettreson regret de n’avoir pu trouver le tempsd’éclairer un peu la belle impétuosité dece brûleur de marques.Comme sa Vanessa, l’héroïne de chaquepage, elle-même « disparue à toutjamais dans un bar », Arnaud Pelletiera laissé l’écriture au creux de notremain. « Et l’Éternité, qu’est-elle donc,sinon le premier instant sans fin d’unpremier amour ? » murmure en écho,par-dessus le siècle, O. V. de L. Milosz,grand répétiteur des nostalgies crépusculaires.Avec les mots du déchirement toutempreints du lyrisme funèbre d’un Nervalou d’un Dante, c’est hors d’haleine,

en fragile conquérant de l’être et le cœurirréparablement noué, qu’Arnaud aurabalbutié, pour tous ou pour personne,l’œuvre tant espéré. Hubert Haddad

Les mourirs vifsd’Arnaud Pelletier> suite de la p. 1

On reconnaît en quelques minutes le lieu affranchi des motspublié de Miriam Silesu (Cinéraire) –petite sœur inconnue et mortellementrattrapée dans l’intensité brusque d’uneespèce de génialité, ce bûcher de tous

La vieille taupe poétique continue de creuser

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À tous ceux qui croient que les mots ont donnétout leur suc et qu’il n’y a plus rien à en extraire,à tous ceux qui pensent que la languene peut être que de bois, à tous ceux qui ontdécidé que sens se conjugue avec sans issue,je dis : lisez Hélène Dorion.

LE PRIX DE POÉSIE Mallarmé,2005, c’est elle, Hélène Dorion,pour son recueil Ravir: les lieux,publié aux éditions de La

Différence. Et c’est un bonheur ! Bonheur de voir l’Académie Mallarmécouronner pour la première fois depuissa création en 1937 un poète du Québec. Bonheur de découvrir, mises sur le devantde la scène poétique, Hélène Dorionet son œuvre. Bonheur enfin de la suivre dans plusieursmanifestations lors de sa venue à Paris,en mars dernier, pour la remise du prix.Et de pouvoir ainsi approfondir ledialogue autour de son travail.Poète, romancière et essayiste, HélèneDorion est née en 1958, au Québec. Aprèsdes études de philosophie et de lettres,elle devient secrétaire de rédaction dela revue Estuaire. Elle prend ensuitela direction littéraire des Éditions duNoroît. Elle a également enseigné pendantplusieurs années. Elle a publié plus d’une vingtaine delivres, parmi lesquels Ravir : les lieux(éditions de La Différence, 2005), unessai, Sous l’arche du temps (LaDifférence, 2005), ainsi que Jours de

sable (La Différence, 2003), récit quilui a valu le Prix Anne-Hébert.

la poésie, travail du sensAu fil de ses textes, il semble qu’elle apoursuivi, inlassablement, la même quête :« rendre visible l’invisible et combler lafaille existentielle de notre être aumonde* » (Sylvestre Clancier lors de laremise du prix Mallarmé à Hélène Dorion,le 9 mars 2006). Pour elle, la poésieest en effet travail du sens, par la traverséede l’ombre, de l’obscurité. Elle dit : «Écrire devant moi, non pas ce que je saismais ce que je ne sais pas ou pas encore,de moi-même, de la rencontre avecl’autre, avec le monde. Pour éclairerce qui est encore obscur. » Selon ellel’écriture nous donne cette capacité detransformation, le poème transformele regard d’un être sur lui-même, sur lavie. Le poème tente de « déplacer » leregard, d’émouvoir dans le sens étymo-logique de faire bouger, mettre enmouvement. L’écriture est une réconci-

liation, de l’éphémère et de l’éternité,du corps et de l’âme, une mise en relationde cette « grande figure géométriquequ’est l’univers et de cette petite figuregéométrique qu’est notre vie ».

écrire, un actede résistance

Trois œuvres récentes, toutes parues auxÉditions de la Différence permettentd’illustrer l’ampleur de ses moyens,puisque elle a publié aussi bien un récitJours de Sable, qu’un substantiel essaisur la poésie Sous l’arche du Temps,et un recueil de poèmes, Ravir : les lieux.Trois modes d’écriture, en quête d’unemême « possibilité de partager » qui est« de l’ordre de la résonance ».Mais cela n’exclut pas la juste mesurede ce qu’est ce monde où nous vivons :il y a une responsabilité, un engagement,un acte de résistance représentés parle fait d’écrire, aujourd’hui : « Poser cegeste, cet acte qu’est l’écriture. Rendrecompte des lieux d’ombre, de zonesgrises, de violence ». Mais pas par unelutte ouverte, plutôt dans « une formed’abandon au monde, pour lecomprendre, en saisir les mouvementset avoir l’espérance de le transformerpar nos quelques mots. »Lors de son passage à Paris, HélèneDorion a confié qu’elle travaille actuel-lement sur deux nouveaux recueils et unroman : « Écrire, c’est un mode decommunion fondé sur la réflexion maisaussi sur l’imagination créatrice, surl’expérience du langage, s’abandonnerau langage pour tout à coup entrer dansnos failles ».

tout d’un coupentrer dans nos failles

Je me saisirai de ce mot de faille pourconclure. Car je ne voudrais pas que l’oncroie qu’il y aurait là une œuvre mièvre,baignant dans un optimisme facile. Non,

c’est une œuvre d’aujourd’hui, pour leslecteurs de ce temps et de ce monde, uneœuvre où ombre et lumière sont les deuxfils d’un même tissu, où le doute et ledésespoir sont tissés, là encore, avecla célébration, la contemplation, uneœuvre qui unit de façon totalement intimeet totalement humaine le blanc et le noir,la vie et la mort. Une œuvre « cheminsde réflexion », à dimension ontologiqueet métaphysique, d’une écriture superbe,d’une totale économie de moyens (nijargon, ni trucs typographiques ousyntaxiques, l’utilisation la plus classiquequi soit de la grammaire, du vocabulaire)mais où chaque poème est à la foislimpide et complètement mystérieux,de telle sorte qu’on peut les relire, tous,d’innombrables fois, assuré d’y trouverà chaque lecture quelque chose d’autre,de nouveau. Florence Trocmé

* Citation empruntée au discours prononcépar Sylvestre Clancier. Il est possiblede lire l’intégralité de ce discours sur le sitepoezibao.com

Rencontre avec Hélène DorionPrix Mallarmé 2005

L’écriture d’unereconciliation

nos lointains amonts, dont le cours nousentraîne aux estuaires du temps ? Ensoixante ans, la rivière de son écriture apris des formes différentes. Un lecteurattentif y découvre l’impétueuse, qui seconfond avec la fougue de la jeunesse ;la nonchalante dont les courbes épousentles rythmes de la musique cubaine ;l’abondante qui gouverne la rosée etirrigue nos déserts; la battante, souveraineinsoumise qui entraîne sans relâche lespales du moulin ; et puis la coléreuse,rapide, emportée, toujours prompte àpousser le roulis de la révolte.

célébration de l’érotismesolaire

Cette poésie étonne par sa singularité,mais elle n’est pas seule. Elle partageavec celle de Walt Whitman un Mississipide fraternité humaine. Comme cellede Langston Hughes, elle laisse entendrele claquement régulier du bateau à aubesde la négritude. Par sa luxuriance verbale,son baroque caribéen, son intarissablegermination, elle ressemble aussi auxberges de l’Orénoque que décrivait BlaiseCendrars ; elle évolue « entre le loa dela poésie, l’archivolute de la plantetropicale et l’œil du félin embusqué dansla nuit » (Michel Onfray, La Chair deslangues d’esclaves, préface de Non-assistance à poètes en danger, Paris,Seghers, 2005). Elle est aussi de cellesqui remontent les estuaires du désirféminin. Dans son inlassable célébrationde l’érotisme solaire, René Depestrese compare volontiers au « bateau chargéd’épices » qui tangue sous le poids deses désirs. La barbe de ce Neptune haïtienest « un imaginaire qui bande bien » !Pour autant, le soir venu, dans le chantapaisé des derniers recueils, cette poésieest aussi le fleuve où vogue la piroguedes poètes : celle de Césaire et de Senghorqui « réveillent dans nos souvenirs lachaux vive de la mer ». Son chant faitoublier « le malheur nègre des fonds decale » : il est celui d’Agoué-Taroyo, loaocéanique du vaudou haïtien, auquelle poète s’identifie depuis l’enfance. Quece Neptune des Caraïbes n’éveille ennous aucune méfiance : il est le nautonierde nos plaisirs en archipel.

Bruno Doucey

Non-assistance à poètes en danger, Seghers, coll.« Autour du monde », 2005.Rage de vivre – Œuvres poétiques complètes,Seghers, à paraître en septembre 2006.Chroniques d’un animal marin, DVD de PatrickCazals, Les Films du Horla, 2006.

Impensable. Dès son accession aupouvoir, « Papa Doc », se révèle êtrele pire des Tontons macoutes. Devant lamégalomanie du dictateur, Depestre baten retraite et s’apprête à quitter le pays ;mais en pleine nuit, des miliciens fontirruption à son domicile, le mettent enjoue, fouillent sa bibliothèque. Ignoranceoblige, même Le Petit Chaperon rougeleur semble être un livre communiste !Le poète en résidence surveillée à Port-au-Prince découvre, par la radio clan-destine de Cuba, le mouvement delibération nationale de Castro. Avec lacomplicité de Nicolas Guillen, il se rendà Cuba où Che Guevara lui propose d’or-ganiser un mouvement insurrectionnelcontre Duvalier. Il s’engage dans uneguerilla qui tourne court, maisqu’importe: le voici citoyen des Antilles,vivant à l’heure de ses utopies. La fêtecubaine trouvera son expression la plusheureuse en 1964, dans le Journal d’unanimal marin : Laissez-moi crier ma joie de vivreLaissez-moi frapper à vos portesLaissez-moi peindre ma joie sur tous lesmursIl s’engage dans la voie romanesque,trouvant une consécration avec Hadrianadans tous mes rêves qui obtient le prixThéophraste Renaudot en 1988. Il publieégalement des essais qui font de lui l’undes porte-parole de la francophoniecréole : Bonjour et Adieu à la négritude(1980) ou Le Métier à métisser (1998).Plus proche de nous Encore une mer àtraverser (2005), ouvrage dans lequell’écrivain dresse un bilan de l’expériencehaïtienne à l’heure de la mondialisation.Le cours de la poésie de René Depestrea-t-il disparu au bénéfice de ses enga-gements et de sa réussite romanesque ?Cela arrive parfois : une rivière disparaîtpour suivre un cours invisible sous lasurface de la terre. Qu’elle dorme sousles pierres ou « se disperse sous lesmousses spongieuses », l’eau n’est jamaistrès loin. Tôt ou tard, elle remonte à lasurface de la terre qui s’en trouverégénérée : sa transparence étonne, safraîcheur porte le rire aux lèvres, sesmurmures font chanter la vie. Parfois,plus rarement, les rivières s’assèchentpour ne jamais renaître.Avec René Depestre, rien de tel. De 1945à 2005, date à laquelle il publie Non-assistance à poètes en danger, le flux desa poésie ne s’est jamais tari.Dans les mois qui précèdent la publi-cation du recueil, en cet été indien de laparole, l’écrivain connaît la joie d’unretour en Haïti. Il y retrouve le golfede Jacmel, des visages perdus depuisl’adolescence, l’énergie d’un désespoirque ne connaissent pas nos latitudestempérées. « La rivière de l’enfance »emmène alors ses travaux vers « latroisième rive ».Et si la poésie, c’était cela finalement :un fleuve dont les eaux fertilisent lesrives de nos vies, une rivière venue de

René DepestreNeptune Haïtien> suite de la p. 1

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Écrire, c’est un mode de communionfondé sur la réflexion

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Planches d’anatomieRobert VigneauAdana Venci/éolienne, 160 p., 16 €Robert Vigneau se préoccupe peu desmodes : il écrit la poésie qu'il aime, celle quichante et qui est faite de simplicité. Il nouspropose dans son nouveau recueil, fruitd'une longue maturation, des variations

anatomiques. Maisc'est sans narcissismequ'il se contemple etpeu lu i importel'esthétique : c'est lafonction, le vivant quicomptent. L'intérieurdu corps l'intéresse

autant sinon plus que l'extérieur. Ni volontéd'embellir, ni volonté d'enlaidir dans sestextes. Ils donnent simplement vie auxorganes, toujours présentés en action au grédes voyages et des souvenirs de l'auteurdont ils sont un compagnon de route dansun parcours autobiographique oùapparaissent aussi ses proches. Si les organesapportent plus souvent contrariétés etdésagréments que satisfactions Vigneau neles juge pas mais les considère sansamertume ni complaisance, finalementémerveillé : « Étrange, étrange d'être soi, /Seul à sentir son chaud, son froid, / Son cœur,son corps ou ses couleurs. / Seul à savoirson intérieur ». C'est cet émerveillement quien fin de compte est aussi celui de la créationpoétique : « Quel étrange besoin me mordet me dévore/De rappeler ma vie en motsbien ordonnés ». BERTRAND TASSOU

Salut, salut MarxusGwenaëlle StubbeAl Dante, 120 p., 15 €D’abord, il y a Marxus, et puis Vraux, Alfredet les autres. Et puis il y a beaucoup de jambes,de chapeaux, de lits, de la pluie et des miettes.Des plages aussi. On approche de Magritte.Une écriture qui sans cesse sollicite, surprendet excite. Gwenaëlle Stubbe, dont on avaitdéjà repéré la voix en revues (Petite,Nioques ), nous prend par la main et le bout

du nez pour desba lades dans denouvelles garabagnesurba ines , dont labanalité est battue enbrèche, battue enneige. Les figures :

enflées vers l’incongru. L’écriture se faitparfois dédommagements collatéraux dePennequin ou Quintane. On peut aussi lireMarxus comme l’on jette des graviersmulticolores dans les petits aquariums. Oucomme il vous plaira. Madame Plumes’expose et s’avance. Stubbe jubilant, Stubbede guingois, c’est la joie retrouvée desturlututus et des tralalas qui nous font tantdéfaut.« Des miens, j’ai toujours eu leur chair auxtrousses, dès mes premiers essais de peaux ».

THIERRY CLERMONT

Le Côté de BalbecPierre SilvainL’Escampette, 2005, 113 p., 14 €Pierre Silvain fabrique une ville. Il le faut bien.Le Balbec cher à Proust est imaginaire hélas.

Et la pet i te c i tébalnéaire normandeque nous connaissonsb ien , Cabourg , aperdu de sa joliesse.Les années et l’urbani-sation galopante ont

joué quelques tours bourg du bord de mer.Ainsi était-elle lorsque Pierre Si lvaincommença à y séjourner voici maintenant

quelques années. Aujourd’hui, Cabourg n’estplus. Le béton et le bitume ont boursouflésa figure. Son extension, sa modernisationsont « tumorales ». Il faut que l’écrivain attristé,médusé par la disparition des choses, inventeune ville palimpseste où déposer le Balbecemprunté Proust et ses propres souvenirsd’un Cabourg plus soucieux de coquetterie. La nostalgie de Pierre Silvain est une nostalgielucide mais incorrigible. De son écriture élégante, fine et roborative,l’écrivain enroule Balbec et Cabourg, hier etaujourd’hui. Une écriture qui ne se déprendni du rêve ni de la réalité. La nostalgie et lalittérature sont des diamants bruts danslesquels Pierre Silvain taille avec dextérité. Ilest le joaillier accompli du temps et des mots.

NATHALIE COLLEVILLE

Trois anciens poèmes misensemble pour lui redireje t’aimeJames SacréCadex éditions, 64 p., 11 €James Sacré rassemble trois anciens ouvragesminces (dont son tout premier, La femme etle violoncelle, Promesse, 1966), en un seulouvrage, dédié à Mary, hommage à safemme, à la femme, au corps désiré, et, il nepeut en être autrement avec James Sacré, à

la poésie, objet dedés ir, et de toutemanière amoureuse,tension vers l’autre etcaresse du regard etsensualité du dépla-cement et crudité dudire et déhanche-

ment érotique au bout du compte,aspiration à une sexualité cosmique (« Ellejoint dans l’herbe l’homme et le monde », dit-il d’elle, sa femme). Qu’il l’évoque auvioloncelle, le voilà « debout solide avec saverge heureuse bien serrée dans la musique», le plus haut lieu étant celui « doux et durau centre de la femme », parce que là setrouve « le centre du langage », dont peuvents’élever les variations du verbe « aimer » quivont irriguer la phrase et emplir chaque mot,furieusement, sexualité et musicalité enJames Sacré combinent.

JEAN-PASCAL DUBOST

Les reduplicationsSamuel RocheryÉditions MIX., 7 €La reduplication est guili-guili et surtoutvolontaire. Samuel Rochery qui travaille levers comme s’il était la véritable note en basde page, le construit avec coupe, brio et

intelligence à l’ombrede si grands ancêtresqu’on en sera i tintimidé ; mais lui-même chu de laProse en touteconna issance decause redouble ,

complète, éclaire, tiraille : « Il éprouveseulement l’équipement de la nature àagrandir, les outils pour former Gâchis. ». Ungrand beau livre qui rassasie « aux signes-signes et aux cartes » d’un jeune auteur (néen 1976) qui par ailleurs anime l’excellent siteinternet, Les cahiers de benjy, d’une mêmeligne philo-sympathique (celle du premierromantisme allemand et de sa réceptionpoétique vingtiémiste en France). On y litnotamment des textes de Rachel Defaÿ-Liautard, Guillaume Fayard, Virginie Lalucq,Martin Richet. Rochery encore : « Aucuneémotion nouvelle ne sort d une pierre/touteseule à toutes les époques. »

JÉRÔME MAUCHE

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Il manquait un point de convergence desmaisons de poésie pour éviter le gâchis, ladéperdition d’énergie, une instance quipermette la mise en synergie de l’action desunes et des autres, mais aussi qui permettede clarifier, de structurer, dans le respect desdifférences: structurer n’est pas uniformiser.Il m’a semblé, de ma position de directeurdu Printemps des poètes avec vue pano-ramique et neutre, que c’était le moment oujamais d’impulser un nouveau réseau. Il y aquelques années, il y a déjà eu une tentative –peut-être alors prématurée – de rassem-blement de ces structures. Manifestement ily avait un besoin puisque cela a marché :toutes les maisons sollicitées ont répondu.

La question du lienMais surtout la raison d’être de ce réseau estle besoin dans lequel nous sommes de devoircréer du lien. Les maisons de la poésie commele Printemps des poètes, le Marché de lapoésie, tous les acteurs de la poésie, leséditeurs, contribuent à la vie de la poésie.Et pour cela, il faut des lieux, complémen-taires mais non adversaires. Ces lieux doiventéchanger entre eux, communiquer, monterdes projets communs, pour que, au-delàde la singularité de chaque initiative, la poésiesoit reconnue en tant que telle dans l’espaceculturel public.

La question de demainIl faut d’abord rendre viable ce réseau, trouverles moyens techniques et financiers de sadurée. Il faut aussi en définir clairement lesobjectifs qui soient communs à tous. Celaveut dire se développer, encourager la créationd’autres maisons, accompagner leurs débuts,élargir le réseau à tout l’espace européen, etpar la suite à l’espace international plus largeencore, puisque l’on sait que ce qui carac-térise la poésie, plus encore que le romanou les autres arts, est cette dimension inter-nationale qui lui est inhérente.Au-delà, il faudrait, à terme, une articulationentre les structures locales, régionales (onpeut souhaiter qu’il y ait au moins une maisonde la poésie par région), et une structurenationale qui serait, comme il en existe unepour la photographie, la danse, la chanson,le théâtre, le cinéma ou le cirque, une instanceavec une vraie mission de service public,qui aurait comme objet de coordonner, d’im-pulser, de conseiller, d’être interlocuteurauprès des instances nationales, pour faciliteret accompagner tel ou tel projet parti-culier lié à la poésie, les demandes desstructures locales et les initiatives de groupesou d’associations.

La question du retourIl y a objectivement aujourd’hui un retourde la poésie sur la place publique. Ce retourest le résultat de nombreux facteurs,notamment le travail sur le terrain, militant,de nombreux acteurs que l’on pourrait presquequalifier de clandestins. Ce qui fait que lapoésie, contrairement à ce qu’on dit habi-tuellement, est très dynamique ; la créationest riche et de qualité et il y a un vrai travaild’édition, aussi divers et aussi riche. Il n’ya pas de problème avec la poésie de ce pointde vue.Et s’il y a un problème c’est avec lamédiation.Par ailleurs la demande existe; on voit l’intérêtque suscite aujourd’hui la poésie, de façonincontestable, à travers le succès du Printempsdes poètes, les lectures de poésie, les salonset les marchés qui ont lieu toute l’année dansdes lieux très divers.

La question de la médiationCe constat établi, la question est de savoircomment faire pour que les lecteurs, plusdisponibles qu’on ne croit à la poésie, plusnombreux aussi, rencontrent notammentla poésie contemporaine ? On a besoin delieux d’informations, de formation (pour lesmédiateurs), de lieux qui fassent l’interfaceentre les lecteurs et la création. Or ces lieux,pour une part, existent déjà, notamment

un certain nombre de maisons de la poésie.C’est à travers la multiplication de cesmaisons – lieux de ressources, de formation,d’information, de documentation, depromotion, la création – et le renforcementde ce réseau sur tout le territoire qu’on arriveraà améliorer la médiation. C’est un travail delong terme comme celui que mènent déjà,depuis longtemps, ces structures, les festivalsou le Marché de la Poésie.

La question du réseauIl est évident que les maisons de la poésiesont toutes différentes par leur statut, leurstructure, leur rayonnement, leurs partis pris.Cette différence n’est pas gênante, elle tientaux circonstances qui ont présidé à leurcréation, aux besoins de telle ou telle région.Mais ce qui paraît important c’est qu’il y ait,dans ces différences, une convergence d’ob-jectifs : être le lieu de la médiation entre lacréation poétique et les lecteurs.Si on veut que les choses avancent, la poésiea besoin, comme le théâtre, la danse, l’art,de lieux de références, de relais institutionnelsfinancés par l’argent public, qui servent d’in-terlocuteurs pour les élus et les décideurs.Je pense que plus on multipliera ce genre destructures, nécessairement fiables dans leursfinances et dans leurs partis pris, plus ondonnera de points d’appui à ce que j’ai appeléle retour de la poésie sur la place publique.

Questions à Jean-Pierre SiméonDirecteur artistique du Printemps des poètes, initiateur du projet

par Jacques Fournier

Le retour de la poésie sur la place publiqueEn juin 2005, à Nantes, 12 maisons de poésie de France et de Belgiquese sont rassemblées dans la Fédération européenne des maisons de poésie / réseauinternational.

MARCHÉ DES LIVRES

Ventabren, le 19 avril 2006

Mon cher Arthème,Oui, à toi, mon cher Arthème et à tesdescendants plus ou moins légitimes,Je me disais que parmi ta postérité c’estsurprenant (tout de même !) qu’aucun d’entreeux (de tes héritiers) ne publie les poètesde leur vivant mais se régale à imprimer leur viedélicieusement interprétée par celle-ci oucelui-là dès qu’ils sont morts*.Si c’est seulement parce qu’il te manqueun directeur de collection, je suis volontaire.Même si pour ce faire tu dois racheterles éditions de l’Oubli (pages 44 & 92)*Bien à toi mon cher Arthème ;à vit-vite, j’espèreJulien Blaine1

* Nu précipité dans le vide de Sereine Berlottier (C’est unroman (??) sur la vie et la mort de Ghérasim Luca.)

1. Si tu veux mieux ou pire savoir qui je suis : Google,le geôlier de mes amis chinois, se tient à ton entière disposition.

Lettre ouverteà Arthème Fayard

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V.I.T.R.I.Ø.L.Arnaud PelletierCaméras Animales, 2005, 60 p., 12 €V.I.T.R.I.Ø.L. est le « diamant à cinq faces »d’Arnaud, « parfaitement noir ». Qui le lit leconnaît, lui l’aliéné, jadis, le tranché des motssuffocants en gorge, difficiles à s’en délivrerLui, hélas, mort accidentellement l’an passé,mais par chance, d’emblée, déjà vide de tantde mots libérés Arnaud ne ment pas sur lamort « un excès de vie » et encore la cherche-

t-il férocement dansle grand jeu du corpsqui jouit. Il est l’héritierde tous ceux qui ,contaminés par une« bestiole interne »,ont fait de la vie une

démesure à souffrir par vérité d’un salutpropre à la fièvre, d’un esprit défoncé parl’Ailleurs « pour le chaos, la vitesse, l’accident,la contingence vésanique, le désordreexistentiel. » Arnaud créateur de l’insensé,du sang dans les mâchoires déguisé envocables s’échappant sans entendement,écrit contre une solitude totale d’être aumonde. La prouesse de sa fulgurance est àcoup sûr aujourd’hui de le voir vivant, de lelire dans cet espace physique de la page oùla naissance recouvre à chaque instantl’horizon sans regret. LAURINE ROUSSELET

Rêves d’avant la mortMichel OhlPlein Chant 2006, 85 p., 12 €Michel Ohl naquit à Onesse, village desLandes et alla enfant à son école ; retrouvantil y a quelques années une photo de classede sa maternelle, il tâcha d’identifier tous sespetits camarades d’alors, cherchant à savoirce qu’ils étaient devenus, s’ils étaient vivants

ou morts. Voici l’unedes mat ières desrêves d ’Ohl , qu icherche en quoi sesrêves se rapportentau réel, en viennent ety retournent ; il nousemmène dans les

rues de Bordeaux, dans un récit de lacomtesse de Ségur, à l’hôpital des cancéreux,retrouve ses parents morts mêlés à desvivants ou d’autres morts célèbres ou connusque de l’auteur. Le travail de l’éditeur-imprimeur, EdmondThomas, est extrêmement impressionnantcar Ohl a truffé son récit de citationsmanuscrites, de surprises typographiquesimpeccablement offertes dans l’ouvrage. Découvrir ces rêves d’avant la mort est l’undes plus sûr moyens d’éclater de rire àchaque page. Qu’importe le titre, il n’est enrien macabre, le rêve est l’une des plus sûresmanifestations de la vie. DANIEL CRUMB

Tectonique des femmesMarcel Moreau Photographies de Jean-David MoreauCadex, 2006, 55 p. 17 €Marcel Moreau et son amour irréductiblepar les mots, pour la femme dans sesprofondeurs, voilà qui ne fait plus secretdepuis que les sonorités du temps, par

frottements, nousdévisagent au fil deson œuvre en leurmystère enrac inéSeulement , « Lephotographe a bienvu . B ien entrevu .L’invisible dans tous

ses états. ». Oui, des photographies en noir etblanc de Jean-David Moreau, (prises de vueen macro d’un canapé de cuir) au désir et àl’urgence de signifier – absolu, aussipénétrantes d’impossible que l’oxygèneraréfiée danse, en devenir, autour de l’extase

à les regarder. À lire et à voir, on succombe auvertige du Sacre de l’Amour célébré, au plusprès des « organes débraillés » qui envahissentpar le geste, l’absence définitive d’être énigmeà la vie qui s’oublie La splendeur du corps dela femme est ici sans appui « Elle est la peaudes origines. De l’avenir des origines. ». Et del’ivresse de son « continent noir », Marcelécrit encore, que seule la brûlure d’une prièreprétend à l’honorer. LAURINE ROUSSELET

À contre mortMarcel HennartRougerie, 2005, 75 p., 12 €Douzième recuei l – posthume – deHennart, publié chez Rougerie, signe d’unefidélité d’autant plus précieuse qu’elle devientplus rare entre un poète et un éditeur à

l’écart de tout tapagemédiat ique et detoute obsess ionmercantile. Dans Àcontre mort résonnel’adieu bouleversantdu poète à la vie et

d’abord à sa compagne, jusqu’à ce qu’il aitjoué à mourir le premier. Il eut le temps derevoir les épreuves du livre. Je retenais monsouffle, me cramponnais à l’air qui me quittait.Il dédie à Michèle la joie des jours, encorepréservée sous la blancheur des draps et latiédeur de la couverture. Dans l’accouche-ment de la mort l’octogénaire est redevenul’enfant à l’écoute au fond d’un ventre d’unevoix qu’il ne parvient à entendre dans lademeure peut-être inexistante qui l’attendau bout de son souffle. Il lui faut s’habituerà n’être rien / dans la noire immensité de laterre. Nous entendons sa voix déjà voilée parla mort. Dépourvue de tout apprêt, elle parledans son naturel, sa vérité, sa sincérité, saprofondeur. Nous y retrouvons l’attachantepersonnalité de l’homme avec qui nouscheminions avec bonheur par les ruellestortueuses de Rodez, le temps du week-endde Pentecôte. Une dernière fois noussommes tombés dans les bras l’un de l’autredébut septembre 2005, dans les couloirs oùparvenaient les échos des fastes oratoiresaux Journées de poésie de Liège. Il nousapprit et nous apprendra à redécouvrir lemonde à travers le regard ingénu, fragile, laparole simple, neuve, d’un enfant émerveillé,à peine figé l’instant d’une photographie.Marcel, nous te savons dans le paradis protégédes poètes. Et nous continuons à lire tespoèmes. JEAN-CLAUDE XUEREB

Mehdi met du rouge à lèvresDavid Dumortier, ill. Martine MellinetteCheyne éd., « Poèmes pour grandir »,2006, 48 p., 12,50 €Mehdi va à l’école avec du rouge lèvres ; il ades manières de fille qui lui échappent desmains, ça fait beaucoup jaser. Ainsi un pointd’interrogation court derrière lui. On n’ena jamais fini de libérer les yeux des grands

sur ce que font lesenfants, et aussi ceuxdes enfants parfoistôt encrassés. MaisMehdi ne se réduit pasà cela, il aime donnerdu millet à son cerf-

volant, fabriquer des trèfles à quatre feuilles.La plume délicate de Dumortier s’adresseà ses jeunes lecteurs par brèves évocationsqui ici suggèrent et là pointent vivement,évidant le récit de l’inutile pour qu’on yentende comment ça chante sans faire leçon.S’épaulent les mots justes du texte et lesparfaites images de M. Mellinette, ses motsgros à gros traits de grosses couleurs quirutilent et ses doux découpages de douxacryliques brossés, têtes et bustes, mains,yeux, bouches, et talons aiguilles.

PHILIPPE LONGCHAMP

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HUBERT HADDAD n’a pas écritun mot dans le champ de l’or-dinaire, pas plus que demillions… Le vent s’abat où

l’histoire saignante se déchire. Et inutile des’accabler, s’écorcher de stupéfaction devantsa bibliographie car rien de cette idée calculéene révèle sur la folie délivrée, au flux desimages, du travail à vivre, en gorge, à tonnerla page par ramassé de solitude, en se confiant,non sans lointain mais corps et âme, à lamort, oui, jusque-là, comme si c’eût été ladernière… Exilé d’une mémoire sans légèreté,aveuglée de soleil, la Méditerranée, de l’Autre

côté, Haddad s’entretient de toujours avecla ruine du souvenir qu’il accueille dansl’instant, et sans autrement, celui de l’éternelretour. Dans le récit Le Camp du banditmauresque, il achève ici la conscience d’êtrel’enfant de nulle part, déjà arpenteur de nuitsbrûlantes, flanquées d’Ailleurs… De même,il se déplie sans innocence dans son romanUn rêve de glace (publié en 1974 et rééditéen 2006) : « L’absence est cette distance oùle corps s’enlise, mais qui laisse un goûtd’éternité aux lèvres par-delà toute désunion. »Ainsi, sa langue s’écroule du tragiquesans hésiter, par pure cécité, et se hisse à

hauteur du combat des origines soudainlibérées par chance, d’un tiers de mémoire…Haddad, fidèle à l’histoire littéraire de sonami Michel FardoulisLagrange, écrit àpropos : « La mémoire à chaque livre rajeunitdans les métamorphoses de la métaphore. ».Le temps n’existe pas. Nous le savons. Etcette certitude, quand l’impossible la devient,nous cause bien des effrois à durer, à la cimede la nausée, à se vomir, à l’excès… Car,que de mondes, nous en sommes sûrs, au-delà du défini et de cette limitation du« croire »… Et c’est l’écriture convulsivechez Haddad qui s’impatiente

HUBERTHADDAD

Immanquablementpar Laurine Rousselet

remarquablement user, selon les besoinset les obstacles qu’il reconnaissait en lui-même, pour agir sur sa volonté, son intellect,ses affects ou sa sensibilité, et se rendre plusconscient, disponible, attentif – malgré saméfiance envers l’écriture et les mots, siprompts à trahir ce dessein.

s’ouvrir à la possession des chosesIl est temps de lire, vraiment, Pierre-AlbertJourdan. Qui semblera peut-être étrangementprécurseur aujourd’hui, où la pensée et lespratiques d’Extrême-Orient, qu’il méditaitassidûment et s’efforçait de transposer dansses écrits (du brusque kôan zen au lâcher-prise taoïste dans la contemplation), le désird’ouverture aux « choses telles qu’elles ont »et d’intériorité dont ils sont animés, sontdevenus plus familiers, plus répandus. Etl’on peut espérer qu’il soit mieux entendu,et se voie donner l’importance que lui ontdéjà reconnue des poètes plus renommés,souvent associés autrefois à l’aventure dePort-des-Singes, et beaucoup de poètes enchemin : des proches, Philippe Jaccottet etYves Bonnefoy, Lorand Gaspar ou JacquesRéda, Yves Leclair, François Lallier ou AlainLévêque, qui préparent pour début 2007 unnouveau cahier d’hommage dans Europe,et une soirée à la librairie Tschann. Avant,souhaitons-le, que la part de son œuvre laplus intense, et la plus belle, paraisse sousune forme accessible à tous ceux que pour-raient épauler son compagnonnage.« Déchire ce bouclier dérisoire !Alors, de neige en soleil, tu cueilleras l’uniquefleur et les voyages s’ouvriront à son parfumde lumière. Le silence revient, il ouvre leciel. Il porte ce bleu profond que tu es, detoute éternité, toi, l’accroc de ce bleu. Toi,repriseur de bleu. Toi, cousu de bleu. »

Élodie Meunier

IL SEMBLERAIT, vingt-cinq ans après samort en septembre 1981, que Pierre-Albert Jourdan soit toujours aussi peulu, aussi peu connu. Sans doute ne

recherchait-il guère la célébrité, mêmerestreinte au cercle des lecteurs de poésie :il se tenait décidément à l’écart des milieuxlittéraires, et refusait pour ses recueils, ousa revue Port-des-Singes, les circuits degrande diffusion, préférant les petits éditeurs,voire souvent le compte d’auteur. Non parvolonté de secret, ou parti pris élitiste, maispar souci de cohérence, de fidélité au sensintime de sa démarche. Pour éviter que l’onne regarde (et se défendre de voir lui-même)ses textes comme une « œuvre », un objetverbal qui vaudrait avant tout pour ses qualitésesthétiques, sa façon de dire, de saisir, detransmettre le paysage de Provence qui luiétait si cher, le brin d’herbe, le lézard oul’oiseau – quand l’acte d’écriture visait pourlui, de plus en plus, essentiellement à setransformer, à agir sur soi-même pour serendre capable de rencontre plénière avecle monde, et sa dimension intérieure, invisible.Et quand la publication de l’écrit, simpletrace de ce travail, ne tenait à ses yeux salégitimité que de l’utilité qu’il pouvait, peut-être, avoir pour d’autres, sur un cheminsemblable.« Cette petite maison d’écriture est unemaison de redressement. »Moins, sans doute, dans les poèmesproprement dits que Jourdan a d’abordcomposés : car il y essayait encore plutôt decapter la plénitude, la lumière des instants

d’accord avec le paysage – et il éprouvaittrop vivement les dangers de cette tentativedéjà presque perdue d’avance, son intimecontradiction avec la présence nue au mondequi lui importait davantage, malgré tout, queson œuvre, pour qu’un puissant malaisene vienne embarrasser sa voix, et empêcheraussi une véritable réussite littéraire. C’est,surtout, dans les « fragments » auxquels ils’est tenu après 1970, quand il a décidé de« croire aux mots comme souliers et noncomme épingles de fixation », comme moyend’avancer intérieurement plutôt que de retenirune expérience – abandonnant la forme dupoème avec le projet poétique auquel il l’avaitassociée durant quinze ans – que Pierre-Albert Jourdan est vraiment lui-même, etqu’il est essentiel. Dans ces petits textes plusmodestes, précaires, plus ouverts que lespoèmes, plus souples aussi, et dont il savait

Pierre-Albert Jourdan,Dans l’attente d’un regard

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6 NUMÉRO 6 été 2006

Rimbaud x 9Jacques DemarcqÉditions Voix, 2006, 112 p. 15 €Inconfondable compositeur de pages délieci/eux z – aoum ! le drôle de zozio, strangepoètoiseau Jacques Demarcq nous livre sonRimbe pas bien gentil neuf fois, et ce commeil se doit : viscéralement (il a ses bonnesraisons) et dans toutes les sciences (mettons,à la folie). Au commencement si l’on veut, leverbe et son contraire, le sexe de la femme

(« la scaux », l’originedu monde se lonCourbet , etc . ) ouencore la source de lajeune Oise natale – Asyou l ike i t ! fera itWilliam dans la languede Shakespeare .

L’auteur de La Danse du dos, des Chin Oise Rieset des maîtres enchanteurs Zozios s’aMusedingoulûment, alors voici très neuves d’uncoup les filles de Mnémosyne. « Il n’est depoésie qu’à s’en moquer » lance le poète aujournaliste. Rimbaud x 9 ne constitue pas untribut à l’homme aux semelles de vent dansle sens traditionnel : plutôt, l’esprit qui le meutsemble avoir chaussé les mêmes grolles et,illuminé, joyeux, arborer on dirait le sourire dufameux chat de Lewis Carroll. Absoludixmentinouï, neuf fois. VALÉRIE ROUZEAU

Trembler comme le souffletrembleBernard VargaftigObsidiane, 2005, 70 p. 13 €Une sorte de continuité semblerait lier lelivre précedent Comme respirer (2003) à cedernier titre dont le « souffle » peut êtrevu/lu comme le prolongement d’un même

élan resp irato ire .Poèmes dont chaquevers est un poème, lestextes de BernardVargaft ig , poètedécrypteur de l’at-tente et de toute

épiphanie, donnent corps aux sentiments,matérialisent l’abstrait pour « faire entendre »le silence et l’oubli habitant chaque mot, un« insatiable savoir » qui est tournoiement,dispersion, étonnement, nudité du cri,rythmiquement scandé dans un lieu à la foisintime et ouvert au tremblement sansaucune crainte. De sa nomination, qui effaceet ranime l’absent par le ressassementphonique et charnel de sa trace, jaillit unmonde au bout des lèvres, espace quitraverse. Et on se laisse faire « sans savoirpourquoi le paysage/Rend le désespoir sidésert ». FABIO SCOTTO

Voir / NoirFrançois DavidÉditions Møtus, 2005Le livre détonne, tout d’abord par songraphisme, tout noir avec les textes blancs ensurimpression, puis par sa texture, car on lelit avec les yeux mais aussi avec les doigts.Ainsi dès le titre, sur la couverture, on peutlire au choix « Noir » ou « Voir ». Ensuite, àtravers un jeu dans l’obscurité auquelparticipe un enfant aveugle et deux autresqui ne le sont pas, le livre nous invite à nousmettre à la place des non-voyants et àcomprendre aussi que même en ayant tousses sens, on ne voit pas toujours l’essentielInstants précieux et en se promettant de nepas les oublier une fois grande.

VALÉRIE SCHMITT

ET PUIS il y avait eu la rigueur maodont, pour ma part, je n’avais retenuque le col. Bref, Java était une revued’après les avant-gardes qui

cherchait d’abord avec légèreté à mettre enplace des espaces polymorphes d’inventions,des échantillonneurs d’écritures, une nouvellecartographie des flux, en s’émancipantjustement des lourdeurs avant-gardistes pourproposer une réflexion pour ainsi diredavantage libertaire qui, nous l’espérions,passerait plutôt par des mises en perspective,des maquettes à faire soi-même, des effetsde miroitements, de transparences et de reca-drages. Jean-Michel Espitallier, Caisses à Outils(Annexe II)Quand Jean-Michel Espitallier a écrit ceslignes, sa revue, celle qu’il édite avec JacquesSivan et Vannina Maestri, n’était pas encoremorte mais, lisez-vous ? déjà il en parle aupassé, à l’imparfait : mauvaise conjugaison !Des revues disparaissent mais à jamais restentau futur…Enfin ce coup-ci, c’est le dernier numérod’une revue : le n° 27/28 de Java.Car tout commence et finira là : dans lesRevues de Création… & de tout temps, àtoute heure, déjà hier et encore hui et demain.Elles ont révélé les poètes à leur début, lesécrivains à leur commencement, les artistesà leur arrivée, puis elles ont regardé ce débuts’accomplir ou mourir, ce commencements’épanouir ou finir, cette arrivée arriver oune jamais venir… Et comme les poètes et

les artistes elles ont, elles aussi, débuté et sesont achevées, elles ont commencé et fini,elles sont arrivées puis sont parties, ellessont nées et sont mortes.De leur vivant elles ont achevé les poètesaccomplis, oublié les écrivains parvenuset jeté les artistes épanouis :nécrophiles, elles ont consacré de bellesnécrologies à ceux et celles qu’elles avaientvu naître. Elles parlent toutes les langues,elles vivent sur tous les continents, ellesutilisent tous les outils…

À peine un moyen de transmission, decommunication, de reproduction, d’im-pression, une machine de parole, d’image,de son, (et tous ses contraires) se met-il(se met-elle) en place, charrié(e) par les ingé-nieurs, les savants, les techniciens ou lescrétins, que les revues de création l’em-ploient.Elles sont un employeur définitif, irrémé-diable, permanent : elles emploient, ellesfonctionnent, elles occupent, ellesmanœuvrent, elles tournent, elles pratiquent,elles habitent, elles hantent, elles chargent,elles emploient. Elles occupent, elles occupentl’espace, elles expédient, elles accueillent,elles transmettent, elles reçoivent, ellespublient, elles enregistrent, elles gravent,elles jettent, elles jettent, elles jettent et elles

réexpédient. Elles vivent un numéro ou mille,un jour ou un siècle, elles sont célèbres ouinconnues, secrètes ou clandestines, imbécilesou très intelligentes, immaculées ou sales,pures ou impures. Rien n’existerait, aujourd’hui, sans elles, entout cas ni « je », ni nous, ni toi, ni lui etencore moins toi ou vous mes tendres et déli-cieuses amours.Et nous (nous) survivants devons continuerà survivre pour continuer à parler, raconter,dire et lire à voix haute Adriano, Franco,Ghérasim, Christophe, et les autres ambas-sadeurs disparus.Mais est-ce que cela, ce discours, si lié àla poésie, a une chance de t’intéresser, lecteurpassif et inattentif ?

Julien Blaine

encore de cracher, parfois même écœuranted’absolu en son vacillement si sincère, « nonplus “je” puisque l’infinitif est ma durée »(Les Larmes d’Héraclite, 1996), nous récon-ciliant sans fin à la déchirure d’être nepas, en vie…Oui mais l’amour, hélas, et ses catastrophes,embrasent aussi le deuil, et voilà que sonfrère Michel, le peintre, l’aîné, l’aimé, aconfondu il y a une vingtaine d’années, etque l’infirmité définitive de l’abandondemeure dans un arrière-goût de pleurs :« Que ne donnerais-je pour que cette dalleà Pantin ne couvre qu’un mauvais rêve, pourqu’il soit vraiment parti vers la Cité desSaints. Jérusalem ! n’oublie jamais ce douxpassant des Temps enfouis qui marquait sonchemin de couleurs. » H.H. Et puis alors, etpuis encore, plus que jamais, pour dominercet état de cendres qui se dénude en crises,se meurt et mord aux lèvres la possibilitéindiscutable de disposer de la page commed’un principe vivant, rageur. Et Haddad s’yemploie sans merci, en s’isolant d’œuvre en

œuvre, au fil du temps, devenu masse avidede sons par-devant le sens commun à vieillir,et d’être en combat permanent, il ne perdrien de son agitation…Haddad est né séparé. Il est né pour saisir lasoif qu’il déchaîne et qu’il nous communique,par ravissement, l’un à l’autre, s’ouvrant lesveines en silence pour mieux se livrersans raison… Il est dans la démesure funèbredu violent désir d’écrire, épousant par làmême, en retour, l’étendue du vivre plein,tandis que l’humilité en lui en appelle à l’en-treprise souveraine ; parce qu’il est pour lapauvreté, le tremblement du rien, le don parivresse qui se mange, se dévore d’aussi loinque la blessure tremblante de sordide sangloteencore, et le lui demande.

l’extraordinaire accident de la traversée

Son essai passionné, truffé d’éruditionlittéraire, son « encyclopédie subjective »Le Nouveau Magasin d’écriture (2006) entémoigne. Résultat de trente années, sansdéfaillir, pour animer l’Autre, sans attendre,dans l’univers des ateliers d’écritures, etsous l’éclairage déchiré des prisons, deshôpitaux psychiatriques… L’écrivain seprojette romancier, essayiste, critique d’art,

sans oublier le comptant de ses heuresravalées pour le difficile du théâtre…Mais avant tout, s’il s’interroge en tous lesgenres, c’est parce que ceux-ci n’ont qu’unseul visage, celui de la poésie. Haddad estdans l’extraordinaire accident de la traversée,tenace en la vitesse de son halètement, telGuilhem dans le roman La Ville sans miroir(1984) : « Depuis toujours, l’abîme grignotela montagne. Et ce grignotement est le bruitmême du monde. Guilhem, Guilhem a couruvers l’abîme ! Quel étrange silence baignele socle des plaintes. Plus bas toujours,retombent les cendres du monde… ». Ainsidonc, sa poésie chante pour nous : « entends-moi/visage qui nourrit l’univers/j’ai connul’éternité/je l’ai connue elle m’a tué », « toutest foudre au miroir/distance mortelle del’écho » dans Le Testament de Narcisse(1997), quand de tous côtés le vent s’épuiseet claque à l’attente du rien… Sa langueglorifie le péril de la naissance en son travailde mise à mort, souillée par le désir d’êtrenue, au-dehors et en dehors, poussée sansabri par la faille qui ne se dévide que pourfrapper au plus secrètement… Enfin, je salueun ami, aussi transparent que magique estson secret habité par l’étreinte d’écrire, lafièvre… Laurine Rousselet

Last Rock sur un airde SambaLe dernier numéro de Java

Cosmopoética 2006Poètes du monde à Cordoue Hommage à Claude EstebanLorsqu’une ville comme Cordoue (Andalousie, Espagne) devient un pointde rencontre de poètes et de musiciens, la création éclot. Il en fut ainsi lorsde la célébration de Cosmopoética 2006, du 19 au 23 avril dernier en présencede 53 poètes et de 16 musiciens du plus haut niveau international. Aucours de ces cinq journées, la poésie fut diffusée jusque dans les écoles,l’université, les bibliothèques, les centres civiques, les places et les espacesmonumentaux de cette ville Patrimoine de l’Humanité. Cordoue a étépar son histoire, un lieu de cohabitation de cultures. À l’occasion deCosmopoética 2006, la présence de poètes arabes, latino-américains,européens et anglo-saxons lui a redonné cette essence de ville cosmo-polite et ouverte au dialogue. Cordoue est par ailleurs devenue au cours de ces journées la premièreville à célébrer la mémoire du poète français Claude Esteban, disparu-quelques temps auparavant. Esteban avait confirmé sa présence auxrencontres et fut évoqué par une lecture de poèmes ; les poètes présentsont regretté cette disparition soudaine qui les privait de pouvoir apprécierà la fois l’un des meilleurs poètes européens et l’un des plus importantstraducteurs de l’illustre poète cordouan Luis de Góngora. Le pari réussi de Cosmopoética fut de rassembler poètes confirmés etreprésentant différentes tendances poétiques et de jeunes talents quientament leurs premières compositions. Aux côtés de Derek Walcott(Antilles), Prix Nobel en 1992 étaient présents Mahmud Darwish (Palestine),Mark Strand (USA), Oscar Hahn (Chili), John Burnside (Royaume Uni),Maurizio Cucchi (Italie), Ángel González (Espagne), María Lainá (Grèce),Eduardo Milán (Uruguay), María Negroni (Argentine), Henrik Norbrandt(Danemark) ou Tomás Segovia (Espagne-Mexique) entre autres, et 15autres poètes espagnols actuellement bien en vue, comme MercedesCebrián ou Andrés Navarro. La Poésie s’est emparée d’une ville, Cordoue,au cours de ces journées d’avril.

Hubert HaddadImmanquablement> suite de la p. 5

des revues disparaissent mais à jamaisrestent au futur

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��� MARCHÉ DES LIVRES

DR

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programmation de La Périphérie du 24e Marché de la Poésie

Périphérie I - jeudi 1er juin 2006 / 19 h

Bibliothèque nationale de France > Entrée libreSite François Mitterrand (Déambulatoire)Quai François Mauriac 75013 ParisM° QUAI DE LA GARE (6) / BIBLIOTHÈQUE FRANÇOIS MITTERRAND (14)

Les déambulécrituresLectures, performances, vidéos, musique, danse…Omar Abou Afach, Martin Bakero, Marie-Claire Bancquart, Jean Bollery, MichelBoy, Michel Bulteau, Pierrick Calvez, Anne-James Chaton, Georges-EmmanuelClancier, Chœur en scène (dans le cadre de l’« Opéra des Rues »), Annie Cohen,Jacques Demarcq, Monique Dorsel, Jean-Pascal Dubost, David Dumortier, MarieÉtienne, Laurent Friquet, Jérôme Game, Charles Gonzalès, Philippe Guénin,Hubert Haddad, Bernard Heidsieck, Jacques Izoard, Françoise Klein, ArnaudLabelle-Rojoux, Sébastien Lespinasse, Sabine Macher, Juha Pekka Marsalo etOlivia B. Merilahti (Atelier de Paris), Jérôme Mauche, Marcel Moreau, CélineNardou, O.N.B. (Office national des Brindilles), Charles Pennequin, VéroniquePittolo, Julie Potvin, Stéphane Roger, Laurine Rousselet, Valérie Rouzeau...

Périphérie II - mardi 6 juin 2006 / 20 h 30

Ménagerie de Verre > Entrée libre12-14 rue Léchevin 75011 ParisM° SAINT-MAUR (3)

Fais une halte chez AntonellaClaudia Triozzi est artiste chorégraphe, plasticienne. Elle vit et travaille à Paris.Depuis la pièce The Family Tree (2002) en passant par Stand (2004) et Opera’sShadows (2005), elle explore le travail de la voix. Passionée par les multiplesdessins sonores que la technique vocale peut exécuter, elle créée ses sons sur unmode d’improvisation. Elle nous donne à voir des expériences qui l’engageront dansl’écriture de textes et chansons. Son travail développe des sonorités au vocabulaire« brutiste » et lyrique où la voix s’exprime par des paragraphes de tempsmélodiques qui puisent aussi bien leur inspiration dans le cinéma, le théâtre quela radiophonie. Elle est accompagnée par la musicienne et compositrice Hacorencontrée au Japon, ainsi que le compositeur et musicien Michel Guillet, ClaudiaTriozzi propose une performance sonore sous forme de concert dans Fais unehalte chez Antonella. Elle improvisera autour de fragments de textes et mélodieschantés, qu’elle a écrits.

Périphérie III - Mercredi 7 juin 2006 / 18 h

Salons de l’Hôtel de Ville de Paris > Carton d’invitation exigé à l’entrée3 rue Lobau 75004 ParisM° HÔTEL DE VILLE (11) (1)

La Finlande reçoit... Soirée finlandaise #1Lecture de Paris demeure (extraits). Michael Edwards.Kalevala, lecture finno-franco-portugaise (extraits) par Kira Pontanen, MarianneÉpin, Charles Gonzalès, Jorge Chaminé.Teranga, croisement de voix, percussions, chants d’Afrique de l’Ouest et afro-cubains, chansons françaises par les Soli-Tutti (dir. Denis Gautheyrie), avec leschœurs de la Maîtrise universitaire de Dakar (dir. Jacques Saar).

Périphérie IV - Jeudi 8 juin 2006 / 19 h 30

Institut pour la Mémoire > Entrée librede l’édition Contemporaine (IMEC)9 rue Bleue 75009 ParisM° CADET (7)

Poésie pneumatiqueLectures et conversations avec des poètes amis de la revue Midi (sauvages,amateurs, inclassables, lectures, affichages, collages, vitrines, exposition…)Soirée présentée par Albert DichyRené Allendy, Pierre Amrouche, C.F. Amundsen, Françoise Ascal, JacquesBaratier, Yves de Bayser, Françoise Brun, Ileana Cornea, Alain Duault, GuyDumur, Ghislaine Dunant, Juliette Espérou, Serenella Cazac, Gilles Gontier,Colette Goupil, Andrée Hyvernaud, Béatrice Holzbacher-Tremblot, JeanneHyvrard, Alain Jouffroy, Anita J. Laulla, Vannina Maestri, Olivier de Magny, AnnaMarconato, Marie Masseur-Dérens, Gilles de Obaldia, Jean Paulhan, SandrinePot, Suzanne Tézenas, Georges Schehadé, Jacques Sivan…Soirée organisée par la revue Midi, avec le concours d’Ent’revues et lacollaboration de l’IMEC.

Périphérie V - Vendredi 9 juin 2006 / 19 h

Maison de l’architecture > Réservation obligatoire au 01 53 26 09 05(salle de la chapelle) ou à [email protected]

148 rue du Faubourg Saint-Martin 75010 ParisM° GARE DE L’EST (4) (5) (7)

Constellation des VoixDans une mise en scène de Claude Guerre et sur des peintures de MichelMousseau, Zéno Bianu répond de sa voix vive à la galaxie sonore des poètes(Apollinaire, Cendrars, Desnos, Éluard, Breton, Pound, Celan, Pasolini, Artaud…)qui nous ont laissé, par la grâce de la radio, la trace orale de leur poésie. Degrands et splendides fantômes sortent peu à peu du son comme on revient dupassé. Ce sont les derniers Mohicans de la langue, et de sa puissance poétique.Organisé avec la Cité européenne des Récollets.

Périphérie VI-Dimanche 11 juin 2006 / 18 h

Fondation Arp > Entrée libre21 rue des Châtaigniers 92140 ClamartRER MEUDON-VAL FLEURY (RER C)

« Aucun jeu de muscles terrestre » Jérôme MaucheJérôme Mauche s’intéresse aux relations entre arbitraire et humour, auxtransferts de l’art contemporain à la littérature, à la spatialisation du narratif.Il organise des lectures de poésie, entre autres, au Musée Zadkine à Paris.Comme historien d’art, il a travaillé notamment sur le peintre Willi Baumeisteret ses rapports à Hans-Jean Arp.

Périphérie VII - Lundi 12 juin 2006 / 18 heures à 20 h

Le Lucernaire > Entrée libre53 rue Notre-Dame-des-Champs 75006 ParisM° NOTRE-DAME-DES-CHAMPS (12) / VAVIN (4)

Carlos Drummond de Andradeo poeta de sete faces / Le poète aux sept visages

Soirée lusophone autour du poète brésilien avec la participation musicale deMaria Bragança, et chorégraphique de Sônia Mota.Organisée par la revue franco-portugaise Sigila avec le concours d’Ent’revues,dans le cadre du « Cycle Revues plurielles ».

Périphérie VIII - Mardi 13 juin / 18 h

Atelier de Paris-Carolyn Carlson > Entrée 20 € plein tarif / 10 € tarif réduitLa Cartoucherie 75012 Paris Réservation au 01 43 74 99 61

M° CHÂTEAU DE VINCENNES (1), NAVETTE BUS RATP

Soirée finlandaise #2Lectures par Inger-Mari Aikio, Claes Anderson, Catharina Gripenberg, JyrkiKiiskinen, Helena Sinervo - Rap saami par Amoc accompagné de Ruzze.Programmes de duos et de trios par le Theatre Academy d’Helsinki Huntpar Tero Saarinen.

Périphérie IX - Mercredi 14 juin 2006 / 19 h

Institut Finlandais > Entrée libre dans la limite60 rue des Écoles 75005 Paris des places disponibles

M° CLUNY-SORBONNE (10)

MusicalitésCréations musicales contemporaines de Lauri Kilpiö, Kaija Saariaho, RiikkaTalvitie, interprétées par Valérie Gabail, soprano et Pia Varri, pianoAlain Suied, L’Inadvertance.Bernard Heidsieck, Poésie/ActionLaurence Vielle et Vincent Granger, Performance

Périphérie X - Lundi 19 juin 2006 / 20 h 30

Bibliothèque nordique > Entrée libre dans la limite6 rue Valette 75005 Paris des places disponibles

M° LUXEMBOURG (RER C)

Neige de MémoireTextes de Christian DotremontLecture de logogrammes, logoglaces, logoneiges, d’extraits de correspon-dances, carnets de voyages en Laponie, accompagnée de projections et dechants lapons par la compagnie P.M.V.V. le grain de sable. Conception et interpétation par Vincent Vernillat et Philippe Müller.Organisé avec la Bibliothèque nordique et la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Périphérie XI - Mardi 20 juin 2006 / 19 h

Hôtel de Massa > Entrée libreSociété des Gens de Lettres38 rue du Faubourg Saint-Jacques 75014 ParisM° SAINT-JACQUES (6)

Poésinage au fémininCatharina Gripenberg, Kirsi Kunnas, Sophie Loizeau, Sophie Moussampès,Véronique Pittolo, Valérie Rouzeau, Helena Sinervo.Organisé avec la Société des Gens de Lettres.

Périphérie XII - Mercredi 21 juin 2006 / 20 h

Centre national du Livre > Entrée libre dans la limite53 rue de Verneuil 75007 Paris des places disponibles / Réservation indispensable

M° RUE DU BAC (12)au 01 49 54 68 92 ou [email protected]

Fête de la musiqueCap Vert et Lusophonie africaineLectures de poésie portugaise et concert de Jovino dos Santos, organisé par larevue Latitudes, avec le concours d’Ent’revues et du Centre national du Livre.

Périphérie XIII - Jeudi 22 juin 2006 / 20 h30

Fondation Cartier > Réservation (indispensable) tous les jours,pour l’art contemporain sauf le lundi, de 12 h à 20 h, tél : 01 42 18 56 72

261 boulevard Raspail 75014 Paris Droit d’entrée 6,50 € / tarif réduit 4,50 €

M° RASPAIL (4) (6) / DENFERT-ROCHEREAU (4) (6) / (RER B)

Le Marché de la Poésie et les Soirées Nomades de la Fondation Cartier pourl’art contemporain présententHubert Haddad et Bernard Noël / LecturesLes Soirées Nomades sont organisées avec le soutien de la Fondation Cartierpour l’art contemporain, placée sous l’égide de la Fondation de France, et avecle parrainage de la société Cartier.

Périphérie XIV - Vendredi 23 juin 2006 / 21 h

La Guillotine > Entrée 5 €24 rue Robespierre 93100 MontreuilM° ROBESPIERRE (9)

Bal poétiqueInterventions et performances de Serge Pey, Anne-James Chaton, Kirsi Kunnas,Bernard Heidsieck, Charles Pennequin. Musique par l’Orchestre des pianos.Organisé avec La Guillotine.

Périphérie XV - Samedi 24 juin 2006 / 19 heures

Atelier de Paris - Carolyn Carlson > Entrée 10 € pour les adultesLa Cartoucherie 75012 Paris 5 € pour les moins de 12 ans

M° CHÂTEAU DE VINCENNES (1), NAVETTE BUS RATP

Je ris de me voir si belle ou solo au plurielpar Julie Brochen et le Théâtre de l’Aquarium

Les rêves de Karabine KlaxonChorégraphie de Carolyn Carlson.Lectures de poèmes finlandais par Kirsi Kunnas.Organisé avec l’Atelier de Paris.

Périphérie XVI - Dimanche 25 juin 2006 / 17 h

Musée Montmartre (17 h-18 h) > Entrée libre12 rue Cortot 75018 ParisQuartier Montmartre (18 h-19 h 30)Galerie W (19 h 30 à 23 h)44 rue Lepic 75018 Paris - M° ANVERS (2) / ABBESSES (12) / BLANCHE (2)

Rallye poétiqueLectures, performances, vidéos au musée Montmartre Avec Marc Alyn, Abed Azrié, Hubert Haddad, Marie-Florence Ehret, WernerLambersy, Hervé Le Tellier, Serge Safran, Nohad Salameh, Jacques Sommer /Sur les pas des écrivains, lectures par Charles Gonzalès : Guillaume Apollinaire,Marcel Aymé, Max Jacob, Louis-Ferdinand Céline, Jean-Baptiste Clément,Gérard de Nerval, André Salmon, Pierre Reverdy, Eric Satie, Tristan Tzara.Interventions graphiques d’Antonio Gallego, Anita Gallego, Pepito Gonzales,Patrick Pinon / Galerie W : lectures suivies de À larmes égales de Marc Delouzeaccompagné de Olivier Sailhan (guitare), puis d’une performance de MichelBulteau et Colin Newman.Organisé avec la Mairie du 18e, le Musée Montmartre et la Galerie W.

Périphérie XVII - Lundi 26 juin 2006 / 20 h

Centre Wallonie Bruxelles > Entrée libre7 rue de Venise 75004 ParisM° RAMBUTEAU (11)

Attrait des hauteursUn voyage dans le monde poétique, tumultueux de l’enfance, à travers le Canadafrancophone (Québec et Nouveau Brunswick).Interventions de Martine Audet, Denise Desautels, Rachel Leclerc et SergePatrice Thibodeau. Organisé par Rhizome production.Avec le concours du Centre Wallonie-Bruxelles et de la Délégation générale duQuébec, avec le soutien de la Promotion des Lettres belges de langue française.

Périphérie XVIII - Mardi 27 juin 2006 / 20 h

Centre Wallonie Bruxelles > Entrée libre4 rue de Venise 75004 ParisM° RAMBUTEAU (11)

Jack Spicer, C’est mon vocabulaire qui m’a fait çaBleu du cielSoirée présentée par Éric Suchère, poète et traducteur et Didier Vergnaud,directeur des éditions Le bleu du ciel.Pierre Alferi, Sébastien Smirou, Jean-Jacques Viton.Organisé avec le concours du Centre Wallonie-Bruxelles et du Bleu du Ciel.

Périphérie XIX - Jeudi 29 juin 2006

Fond’action Boris Vian et Fatras > Entrée libre dans la limiteTerrasse des trois Satrapes des places disponibles / Réservation indispensable

6bis Cité Véron 75018 Paris par courrier ou à [email protected]

M° BLANCHE (2) / PLACE DE CLICHY (2) (13)

Dernière séance : Le cinéma de Jacques Prévertet de Boris Vian17 h : Table ronde et exposition avec la participation de Carole Aurouet et NicoleBertolt : Boris Vian et Jacques Prévert, leur relation au cinéma.Projection de courts-métrages.Buffet de clôture du 24e Marché de la Poésie et sa Périphérie.22 h 30 : Projection des films La Joconde de Henri Gruel et Notre-Dame deParis de Jean Delannoy, présenté par Arnaud Laster et Danièle Gasiglia-Laster.Organisé avec la Fond’action Boris Vian et Fatras.

Périphérie XX - du 14 au 19 juin 2006 de 12 h à 14 h

L’Arlequin > Entrée libre76 rue de Rennes 75006 ParisM° SAINT-SULPICE (4)

Estival de cinéma poétiqueMercredi 14 juin Les noces en Carélie, pays des poèmes de J.W.Mattila et Lesame d’Inari - menacé mais pas mourant, court métrage sur Amoc, rappeursame, de Inger-Mari Aikio-Arainak.Jeudi 15 juin À la recherche des Milles et une Nuits de Nacer Khemir.Jeudi 16 juin Le dernier des immobiles de Nicola Sornaga, en présence duréalisateur, de Zéno Bianu, Michel Bulteau et Renaud Ego autour du Manifesteélectrique et de Matthieu Messagier.Samedi 17 juin René Depestre, chronique d’un animal marin de Patrick Cazalset René Depestre, retour à Jacmel (extraits), suivis d’échanges entre le réalisateuret René Depestre, animées par Catherine Pont-Humbert. Organisé par la Maisondes écrivains, cycle « rendez-vous francophones ».Dimanche 18 juin L’enclos de Armand Gatti, en présence d’Armand GattiLundi 19 juin DR Chance réalisé par F.J.Ossang, en présence du réalisateur.Organisé avec le concours des Écrans de Paris l’Arlequin.

Périphérie de l’extrême - Samedi 1er juillet 2006 / 17 h

La Minoterie > Entrée libre7 rue du Moulin - Penzé 29670 TauléInventer la lumièreExposition de Michel Mousseau (peintures)

Le Bon Marché > Entrée libre24 rue de Sèvres 75007 ParisCycle de lectures et exposition à la librairiePortraituresExposition photo de Louis Monier autour de portraits d’écrivainsdu jeudi 1er juin au samedi 1er juillet 2006Poésie du samediRencontres-lectures Bernard Noël, Abdellatif Laâbi, Hubert Haddad...Durant le mois de juin, les samedis (10, 17 et 24 juin), de 17 h à 18 h

Trente événements constitueront La Périphérie du 24e Marché de la Poésie. Pour cette deuxième année,nous avons privilégié la diversité poétique à travers différents lieux et modes d’expression artistique :nous défendons le mot, l’image et le son, dans une dimension poétique dont les quatre joursdu Marché de la Poésie sont la vitrine et le cœur, et dont les événements de La Périphérie du 24e Marchéconstituent un acte culturel unique et pluriel. Notre objectif est d’installer la poésie sous toutes ses formesdurant le mois de juin : Paris-Poésie-Capitale.

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LES ÉDITEURS DU 24e MARCHÉAB ÉDITIONS L3 ABSTÈME & BOBANCE A10 ACERMA F1/F1BIS ADEN B11/12 ADN ÉDITIONS E6AENCRAGES & CO A15/16AFFICHE, REVUE DE POÉSIE (L’) H10/11AGE D’HOMME (L’) C9AICLA B11/12AL DANTE K4ALEPH-ÉCRITURE FACE E5 AL MANAR D15ALLIA A6ALLUSIFS (LES) MARCHÉ NOIR ALTERNATIVES E3AMIS DE LOUIS ARAGON ET ELSA TRIOLET H4AMOURIER (L’) F5ANABET D4ANIMAL (L’) MARCHÉ NOIR ANIMA MUNDI D10APOGÉE K6ARALD AGENCE RHÔNE-ALPES DU LIVRE ARBRE (L’) C10ARBRE À PAROLES (L’) D6ARCADES H1ARÊTES (LES) A10BISARFUYEN D13/14ARICHI D12ARPA FACE E3 ARTALECT H3ART ET LECTURE H3ARTSLIVRES.COM E3ART LE SABORD E2ARTS VERTS DE PARIS (LES) F1/F1BIS ASPECT A12/13 ASSOCIATION (L’) MARCHÉ NOIR ASSOCIATION DE RECHERCHES POÉTIQUES B9ASSOCIATION DES AMIS DE JEAN BERTHET FACE A15 ASSOCIATION POUR L’INCITATIONÀ LA CRÉATION LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE B11/12ATELIER DE L’AGNEAU A14ATELIER DE LA MAGNE D4ATELIER DES BRISANTS (L’) B13ATELIER DES GRAMES A2/F9ATELIER DU GRAND TÉTRAS A15/16ATELIER DU GUÉ A3ATELIER DU HANNETON A10BISATELIER DU POISSON SOLUBLE FACE E2 ATELIER LA FEUGRAIE C6ATRABILE MARCHÉ NOIRATTENTE (ÉDITIONS DE L’) H10/11AUTREMENT DIT D6BABEL ÉDITEUR A7BACCHANALES B4BARDE-LA-LÉZARDE H9BARQUE (LA) D4BENOÎT JACQUES BOOKS MARCHÉ NOIRBIBLIOTHÈQUE (LA) E3BLEECKER STREET E6BLEU DU CIEL (LE) H10/11

BOIS D’ORION (LE) B10BOUDOIRS ET AUTRES D4BOURNAZEL (DIANE DE) D15BOUT DES BORDES (LE) E7BRANDES D6BRÉMOND (JACQUES) A2/F9BRÈVES A3BRUIT DES AUTRES (LE) H2BUCHET CHASTEL F1/F1BISB.Ü.L.B COMIX MARCHÉ NOIRBULLETIN CRITQUE DU LIVRE FRANÇAIS (BCLF) B10CACTUS MARCHÉ NOIRCADEX ÉDITIONS A2/F9CADRATIN (LE) B11/12CAHIER CRITIQUE DE POÉSIE H10/11CAHIER DU REFUGE H10/11CAHIERS BLEUS / LIBRAIRIE BLEUE H7CAHIERS DE POÉSIE RENCONTRES B4CAHIERS DE VESONE A8CAHIERS DU DÉTOUR F1/F1BISCAHIERS DU SENS (LES) H6CAHIERS LUSOPHONES F1/F1BISCAMÉRAS ANIMALES MARCHÉ NOIRCAPUCIN (LE) C3CARDÈRE (ÉDITIONS DE LA) F1/F1BISCARNETS DU DESSERT DE LUNE (LES) FACE D15 CARROSSE (LE) F1/F1BISCASSANDRE MARCHÉ NOIRCASTOR ASTRAL (LE) F3CCP H10/11CENDRES (EDITIONS DES) D2CENTRE D’ART ET DE LITTÉRATURE E7CENTRE EUROPÉEN DE POÉSIE D’AVIGNON D1CENTRE INTERNATIONAL DE POÉSIE MARSEILLE H10/11CENTRE RÉGIONAL DU LIVRE DE FRANCHE COMTÉ A15/16CENTRE RÉGIONAL DU LIVRE DE LORRAINE A12/13CENTRE WALLONIE-BRUXELLES D6CÉPHÉIDES F1/F1BISCÉSURE K6CHAMCHINOV (SERGE) FACE B8 CHANDEIGNE E3CHASSE PATATE (LE) FACE B10 CHEMINÉE À TIRAGE CONFIDENTIEL (LA) B11/12 CHEYNE ÉDITEUR F8CHRONIQUES ERRANTES ET CRITIQUES A14CINQUIÈME ROUE (LA) F1/F1BISCIPM “LE REFUGE” H10/11CIRCÉ C9C/I/R/C/É F6C.L.A.P B2CLIVAGES B11/12CLOU DANS LE FER (LE) FACE B12 CNEAI (CENTRE NATIONAL DE L’ESTAMPEET DE L’ART IMPRIMÉ) MARCHÉ NOIRCOMMUNAUTÉ FRANÇAISE WALLONIE-BRUXELLES D6COMMUNE H5COMP’ACT B7COMPAGNIE DE L’ÉTOILE (LA) FACE D13 COMPLICITÉS K2COMUS MOMUS & CO CONTRE-ALLÉES F1/F1BIS CORLEVOUR (ÉDITIONS DE) A7CORMIER (LE) D6CORNELIUS MARCHÉ NOIRCORPS PUCE C10COUDRIER (LE) D6COUR PAVÉE (LA) FACE D10 CRÉAPHIS D10DAILY BULL (LE) D5DÉCHARGE A10BISDEL ARCO B3DÉLIRANTE (LA) B6DERNIER TÉLÉGRAMME K4DES FEMMES (EDITIONS) - ANTOINETTE FOUQUE F1/F1BISDESNEL H9DESPALLES ÉDITIONS D3DES PRÉS (LIBRAIRIE) F1/F1BISDIATEINO L2DIGITALE (LA) K6DISEUSE (LA) F1/F1BISDOGANA (LA) B11/12DOMENS A3DOUBLE JE FACE E5 DOUDOU D4DRAGONNE (LA) A12/13DROZOPHILE MARCHÉ NOIRDUMAS TITOULET K7DUMERCHEZ E6ÉCHO D’ORPHÉE D4ÉCLAT (L’) MARCHÉ NOIRÉCLATS D’ENCRE L6ÉCLOSE (L’) MARCHÉ NOIRÉCRITS DES FORGES H1ÉDITEURS ASSOCIÉS A10BISÉDITIONS DU 57 (LES) MARCHÉ NOIRÉDITIONS ISABELLE SAUVAGE F1/F1BISEMPREINTES FACE D12 EN FORÊT/VERLAG IM WALD A15/16 ENNOÏA E3ENT’REVUES D4EPM ÉDITIONS L4ÉQUIPAGES (LIBRAIRIE) F1/F1BISESCAMPETTE (L’) B11/12ESPACE POÉSIE D6

ESPERLUETTE A10BISESTRACELLE C12ESTUAIRE H1ÉTOILE DES LIMITES (L’) C11ÉTRANGÈRE (L’) D6EUROPE E1EXIT L5FAIRE PART C11FAIS LE TOI-MÊME SI T’ES PAS CONTENT FACE B3 FAITES ENTRER L’INFINI H4FANLAC A8FARIO D4FARRAGO H10/11 FATA MORGANA F7FÉDÉRATION EUROPÉENNEDES MAISONS DE POÉSIE - RÉSEAU INTERNATIONAL D1FÉDÉROP C3FESTIVAL FRANCO-ANGLAIS C7FEUGRAIE (LA) C6FIBRES LIBRES ÉDITIONS MARCHÉ NOIRFICELLE K3FILI F1/F1BISFIN H10/11FINITUDE B13FINNISH LITERATURE INFORMATION CENTRE F1/F1BISFLAMMARION E5FLBLB MARCHÉ NOIRFLIES FRANCE A10BISFOLLE AVOINE K6FONDATION MAURICE CARÊME K5FORMULES B9FPC / FORMES POÉTIQUES CONTEMPORAINES B9FRAM (LE) D6FREMOK MARCHÉ NOIRGALLIMARD D11GARE MARITIME D1GAZ MOUTARDE H1GENESIS A11GENEVIÈVE PASTRE H3GESTE D4GINKGO E3GRADIVA (LA) - LIBRAIRIE B11/12GRAMMAIRE ET GRAPHIE C10GRAND INCENDIE (LE) L5GRÈGES C8HARMATTAN (L’) C11HERMAPHRODITE A12/13HEXAGONE C2HIVER (CLÉMENCE) C4HOMMES SANS ÉPAULES (LES) FACE A14 HOMNISPHÈRES MARCHÉ NOIRHORS SOL (GALERIE) K3ICI ET LÀ D1IDÉE BLEUE (L’) A10BISIKKO FACE B12 IMHO MARCHÉ NOIRIMPRESSIONS NOUVELLES B9IMPRIMERIE D’ALSACE-LOZÈRE E8INCERTAIN SENS MARCHÉ NOIRINDICATIONS D6INDIGO ET CÔTÉ-FEMMES FACE E7 INTERFÉRENCES E3INVENTAIRE (L’) C4INVENTAIRE / INVENTION MARCHÉ NOIRJ’AI DEUX MAINS GAUCHES MARCHÉ NOIRJHON MARCHÉ NOIRJOURNAL DES POÈTES (LE) D6JOURNAL D’UN JOUR H9JOURNAL LITTÉRAIRE (LE) L6KARGO MARCHÉ NOIRKHIASMA MARCHÉ NOIRKICKSHAWS B5‘L A2/F9LANORE K5LANSKINE B11/12LA PART COMMUNE FACE E8 LATITUDES F1/F1BISLETTRE VOLÉE (LA) D6LETTRES VIVES D13/14LÈVRES URBAINES H1LIAISONS D6LIBELLÉ FACE A11 LIBERTÉ H1LIBRAIRIE ESPAGNOLE F4LICORNE AILÉE (LA) FACE D13 LINEA REVUE DE LITTÉRATURE FACE E3 L’IROLI C10LITTÉRATURES PIRATES MARCHÉ NOIRLIVRES DANS LA VILLE (DES) K6LIVRES OBJET DU FARFADET FACE E5 L’ORMAIE K2LOUP DE GOUTTIÈRE (LE) K1MÂCHE-LAURIER E1MAELSTRÖM D6MAIN COURANTE H2MAIN DE SINGE (LA) B7MAISON CLOSE A12/13MAISON DE LA POÉSIE D’AMAY D6MAISON DE LA POÉSIE DE NAMUR D6MAISON DE LA POÉSIE DE NANTES D1MAISON DE LA POÉSIE DE PARIS D1MAISON DE LA POÉSIE DE RENNES - BEAUSÉJOUR D1MAISON DE LA POÉSIE DE SAINT-QUENTIN-EN-YVELINES D1MAISON DE LA POÉSIE ET DES MÉTIERS DU LIVRE D4

Marché des Lettres est un journal publié parCIRCÉ, association loi 1901Siège social : 12 rue Pierre et Marie Curie75005 Paris - FranceBureaux : 3 rue Lhomond 75005 Paris - FranceTél. [00 33] (0)1 44 32 05 95 / Fax : [00 33] (0)1 44 32 05 91e-mail : [email protected] de la publication : Jean-Michel PlaceRédactrice en chef : Arlette Albert-BirotSecrétaire de rédaction : Vincent GimenoAssistants de la rédaction : Émily Cameleyre, Victor GuéganDirection artistique et maquette :Michel Mousseau, Stephan Nave

Ont collaboré à ce numéro : François-Jean Authier, Édith Azam, Julien Blaine, Élodie Bouygues, Ghislaine Brault-Molas, Anne Brouillet, Hélène Cazes,Sylvestre Clancier, Thierry Clermont, Roser Cosials,Nathalie Colleville, Daniel Crumb, Claude Debon, Marc Delouze, Jacques Demarcq, Bruno Doucey, Jacques Douté, Jean-Pascal Dubost, François-MichelDurazzo, Marie-Florence Ehret, Tristan Felix, Jacques Fournier, Hubert Haddad, Jean Jordy, Yves Jouan,Daniel Legrand, Philippe Longchamp, Sabine Macher,Sandrine Marcillaud-Authier, Claire Mathon, Pierre Maubé, Jérôme Mauche, Élodie Meunier, Jean Miniac, Joëlle Pagès-Pindon, Éric Parisis, Xavier Person, Jack Ralite, Aline Ranaivoson, Dominique Ranaivoson, Laurine Rousselet, Philippe Routier, Valérie Rouzeau, Valérie Schmitt,Marianne Simon-Oikawa, Fabio Scotto, Alain Suied,Bertrand Tassou, Florence Trocmé, Jean-Claude Xuereb

Un supplément huit pages « Poésie finlandaise » offertavec Marché des Lettres no 6, à épuisement du stock.

Achevé d’imprimer chez Roto-Champagne, France© CIRCÉ, 2006 www.Poesie.Evous.fr

BIBLIOTHÉCAIRESJournée de formation

Vendredi 16 Juin 2006Centre Wallonie Bruxelles – 46 rue Quincampoix 75004 Paris

9h30-10h00 > Accueil des stagiaires et inauguration de la journée parJEAN-PIERRE SIMÉON directeur artistique du Printemps des poètes

PIERRE VANDERSTAPPEN responsable littéraire du Centre Wallonie Bruxelles

10h00-12h30 > Quels sont les différents visages de la poésiefrancophone aujourd’hui

Rencontre-débat avec : DANIEL MAXIMIN écrivain, poète et responsable littéraire du festival

francofffoniesPIERRE-YVES SOUCY directeur des éditions La lettre volée en BelgiqueGASTON BELLEMARE responsable des éditions Les écrits des Forges

et du Festival des Trois Rivières au Québec.Panorama de la poésie francophone européenne

(belge, suisse, luxembourgeoise, roumaine) québécoise, afro-caribéenne.

Problématiques abordées :Où et pourquoi écrit-on en français ?

La poésie francophone se limite-elle aux pays francophones ?La place de l’oralité dans la poésie francophone

(différenciation avec la culture du conte) ?La diffusion des livres de poésie francophones.Réseau français à l’étranger et autres moyens.

12h30-13h30 > Déjeuner (libre)

13h45-14h15 > Informations du Printemps des poètes Bibliographie et sélection de spectacles et CD de poésie francophone

La prochaine édition du Printemps des poètes, en 2007

14h15-15h15 > à la redécouverte de Léopold Sedar Senghorpar le poète tchadien NIMROD

Découverte et redécouverte du poète francophone L. S. Senghordont on fête le centenaire de la naissance.Les filiations et les influences de sa poésie.

15h15-16h15 > Rencontre avec le poète haïtien RENÉ DEPESTRE

16h30 > Visite du Marché de la Poésie

Organisation : Céline Hé[email protected]

Tél. 01 53 80 42 47

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LEN

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MAISON DE LA POÉSIE NORD PAS-DE-CALAIS C12MAISON DE LA POÉSIE RHÔNES-ALPES B4MAISON DES ARTS VIVANTS (LA) E7MAISON DES ÉCRIVAINS ÉTRANGERS ET TRADUCTEURS E1MANGLAR FACE B12 MARCEL LE PONEY (ÉDITIONS) E7MATIÈRES MARCHÉ NOIRMAUGUIN L. F1/F1BISMEET E1MELUSINE C9MEMO MARCHÉ NOIRMÉMOIRE VIVANTE FACE D9 MENSUEL LITTÉRAIRE ET POÉTIQUE (LE) D6MERCURE DE FRANCE D7MERCURE LIQUIDE MARCHÉ NOIRMIDI A14MIX. FACE D11 MOEBIUS C1MORT-QUI-TROMPE (LE) A12/13MOTUS D8MULTIPLAST K7MULTIPLES D9MURMURE (ÉDITIONS DU) E3MUSÉE BIBLIOTHÉQUE ARTHUR RIMBAUD C11NAHUJA A2/F9NIOQUES B9NOÉSIS B9NOROÎT E2NOUVEL ATHANOR (LE) H6NOUVEL REVUE FRANÇAISE D11NOUVELLE TOUR DE FEU L1NU(E ) K7NUIT MYRTIDE (LA) MARCHÉ NOIRNUNC A7OBSIDIANE E1OCTAVIENNES (LES) H3ŒIL ÉLECTRIQUE (L’) MARCHÉ NOIROFFENSIVE MARCHÉ NOIROFFICE CULTUREL DE L’AMBASSADE D’ESPAGNE F4OIE DE CRAVAN (L’) MARCHÉ NOIROISEAUX DE PASSAGE A10OPALES B11/12ORBE MARCHÉ NOIROSTINATO RIGORE A11OTTEZEC D3PAPILLES A15/16PARADE SAUVAGE C11PARC H9PARIS MUSÉES MARCHÉ NOIRPAROLE ERRANTE (LA) A9PAS, F1/F1BISPASSAGE D’ENCRES D2PASSAGE DU NORD-OUEST E3

PASSAGE PIÉTONS A10BISPASSE (LA) F1/F1BISPAULHAN CLAIRE H8PAUPIÈRES DE TERRE H8PAVUPAPRI FACE E2 PERCE-NEIGE L5PETIT ÉCHO (LE) D4PHI E4PHILIPPE (JEAN-LOUP) F1/F1BISPICASCO C10PLACE (JEAN-MICHEL) A11PLEINE PAGE B11/12POÉSIE PREMIÈRE D9POINT D’INTERROGATION D4POINTS DE SUPENSION A10BISPOLYGRAPHE (LA) B7PORTE DES POÈTES (LA) C5PPT (PLOUM PLOUM TRALALA) MARCHÉ NOIRPRÉ#CARRÉ FACE D15 PRÉTEXTE ÉDITEUR C8PRINTEMPS DES POÈTES D1PROMOTION ARTS & CULTURE H9PROPOS DE CAMPAGNE B8PROPOS2ÉDITIONS B8PYRO L5QUIDAM ÉDITEUR MARCHÉ NOIRQUIQUANDQUOI ? FACE B12QUOI ? D4RACINE (LIBRAIRIE GALERIE) FACE A14 RACKHAM MARCHÉ NOIRRAGAGE D4REFLET DE LETTRES B9REHAUTS C6REMUE-MÉNINGES D6RENARD PÂLE (LE) E8RENCONTRES E7REQUINS MARTEAUX (LES) MARCHÉ NOIRREVUE COMMUNE H5REVUE DES REVUES D4REVUE D’ESTHÉTIQUE A11REVUE QUOI ? D4REVUE VERLAINE C11RITAGADA MARCHÉ NOIRROUGE-GORGE FACE B4 ROUGE PROFOND E3ROUGIER V. ÉDITIONS K3SABORD (LE) E2SAINT-MONT L6SARRAZINE B11/12SCHENA EDITORE K5SEGHERS D7SÉMIOSE MARCHÉ NOIRSENS & TONKA A9

SÉQUENCES C6SEUIL (ÉDITIONS DU) C8SIGILA F1/F1BISSIGNUM D10SINGE A12/13SOCIÉTÉ DES AMIS DE LOUIS ARAGON ET ELSA TRIOLET H4SOLEIL NATAL (ÉDITIONS DU) L1SOLITAIRES INTEMPESTIFS (LES) A15/16SONART H3SORGUE B10SPECTRES FAMILIERS H10/11SU-CURE/SALE B9TAILLIS PRÉ (LE) D6TAOR F1/F1BISTARABUSTE C13TEMPS DES CERISES (LE) H5TEMPS QU’IL FAIT (LE) B11/12TEMPS VOLÉ (LE) F7TÉTRA LYRE D6THÉLÈME FACE B10 THÉODORE BALMORAL D8TIPAZA K2TRADUCTIÈRE (LA) C7TRANSIGNUM C7TRAVERS A15/16TRAVERSIÈRE B1TRIAGES C13TRIBORD MARCHÉ NOIRTRIDENT NEUF FACE B11 TRIPTYQUE C1 TRUFFAUT (FRANÇOISE) MARCHÉ NOIRTYPO C12UNES B2UN ETAT D’ESPRIT E3UNION DES ÉCRIVAINSDE GRENOBLE -DAUPHINÉ - SAVOIE B4URDLA B11/12VACARME MARCHÉ NOIRVAGUE BESOGNE D4VAGUE VERTE C10VANNEAUX (LES) C10VERDIER F7VILLE-MARIE LITTÉRATURE C2VIRGILE A15/16VLB C12VOIX D’ENCRES D12WALLONIE-BRUXELLES D6WIGWAM MARCHÉ NOIRWILLIAM BLAKE & CO.EDIT B11/12XÉROGRAPHES (LES) FACE E6XÉRO/4 FACE E6 YELLOW NOW MARCHÉ NOIRZÉDÉLÉ FACE B4

Littératurespirates/Daw

Créée en 1991 pour développer les interactions productives entre artet société, l’association Dissidence Art Work ou DAW a investi le livrecomme terrain privilégié de son action. Sous le label Littératures Pirates,elle développe, avec ses partenaires français et étrangers, un réseau decoopération interprofessionnel et transdisciplinaire.

Ses actions comprennent :> L’organisation de rencontres, d’événements et d’expositions ;> La mise en place d’actions de coopérations locales, interrégionales etinternationales dans le domaine de l’édition, de la diffusion, de la promotionet de l’action culturelle ;> L’animation d’ateliers publics et professionnels ;> Le développement du label éditorial FRMK, maison d’édition européennedes littératures graphiques, en collaboration avec le collectif d’artistesFrémok/Fréon Asbl.

Littératures Pirates est né en 2002 de la nécessité de mettre en valeur,par des pratiques inventives, la création éditoriale indépendante. Sesactions favorisent les échanges et les collaborations entre les acteursdu livre (auteurs et artistes, éditeurs, diffuseurs, libraires, bibliothécaires,associations culturelles, institutions, public) pour une meilleure promotionde la bibliodiversité, selon le terme proposé par l’Alliance des éditeursindépendants.Face aux formes de marchandisation ou de précarisation, l’activitéculturelle, quelle que soit son expression (artistique éditoriale ou événe-mentielle) est soumise à des difficultés économiques qui mettent endanger son caractère particulier. Pour dépasser ce constat, LittératuresPirates parie sur l’invention et l’échange. Elle voit dans les pratiques soli-daires et équitables l’occasion de nouer de manière fructueuse les enjeuxartistiques, culturels et sociaux.

Pour permettre au public de découvrir les productions des éditeurs indé-pendants qui œuvrent au service de la création artistique et intellectuelle,mais aussi pour permettre à ceux-ci de se rencontrer et d’échanger,Littératures Pirates organise des manifestations durant toute l’année :rencontres avec le public et/ou les professionnels, organisation d’évè-nements, d’expositions et d’ateliers (écriture, sérigraphie, gravure).Ces actions visent à former et informer les publics autant qu’à fédéreret développer les coopérations entre les acteurs du livre indépendant.Les événements Littératures Pirates présentent le travail d’éditeurs-créateurs indépendants portés sur les croisements des formes et desidées. Ils se construisent autour de deux axes: des librairies éphémèresqui présentent la production des éditeurs, des programmationsartistiques et professionnelles mises en place avec des structurespartenaires.

Le festival Littératures Pirates combine ces deux aspects dans desconfigurations différentes selon le lieu investi. Interventions de choré-graphes, de réalisateurs et de plasticiens y côtoient lectures, rencontres,débats et présentations.Autour du festival s’est peu à peu constitué un réseau interprofessionnelqui permet de développer des actions collectives avec des structurespartenaires. Les dernières éditions du festival se sont tenues au CentrePompidou en partenariat avec la Bibliothèque publique d’informationet à Angoulême lors du Festival international de la Bande dessinée enjanvier 2006.Aujourd’hui, Littératures Pirates est la signature d’un réseau qui marquele souci, tant politique que poétique, de la mise en valeur des créationsintellectuelles, artistiques ou pratiques de l’édition indépendante. À travers Littératures Pirates, DAW participe à la réflexion ou aux actionsd’associations, de collectifs ou d’institutions publiques locales, nationaleset internationales pour des outils favorisant la promotion de la productionéditoriale vers le public et la circulation de l’information entre les acteursdu livre indépendant en France et à l’étranger.

Contact : Claire [email protected]

Littératures Pirates/DAW119 bis rue de Paris 93100 Montreuil / Tél. 01 48 58 20 90

WWW.LITTERATURESPIRATES.ORG

RasboraInvestment and Support Luxembourg

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Camille BazbazMusique sur parole

Concert20 heures / Podium du Marché

Soirée Finlandaise #3

2e nuit du 24e Marchéde 20 heures à 23 h / Podium

soirée présentée par Sylvie Moussier

Inger-Mari AikClaes Andersson

Catharina GripenbergJyrki Kiiskinen

Kirsi KunnasHelena Sinervo

Lectures en français parKirs Poutanen

Rap saâmi par Amocaccompagné par Ruzze

Jeudi 15 juin Samedi 17 juin

Jeudi 15 juin / Podium17 h 30 > Inauguration officielle

Vendredi 16 juin / Podium17 h > Remise du Prix internationalde poésie francophone Yvan Goll

Samedi 17 juin / Podium15 h 30 > Table ronde organisée par la Société

des Gens de Lettres« Le droit d’auteur en poésie »

17 h 30 > Remise du PrixAntonio Viccaro - Les Trois Canettes

Dimanche 18 juin / Podium15 h 30 > Table ronde organisée par Circé

« Créer un réseaude petits éditeurs indépendants »

17 h 30 > Remise du PrixCoup de cœur - Parole enregistrée

de l’Académie Charles Cros

Samedi 17 et dimanche 18 juinTerminus Place Saint-Sulpice

« Un autobus à plate-forme »Autour du quartier Saint-Germain,

trois itinéraires et quinze stations-poèmespendant toute la durée du Marché

Du jeudi 15 au dimanche 18 juin« Des voix d'écrivains dans la ville »L'association Accents graves Québec

installe deux postes d’écoute présentantdes lectures par des voix de poètes francophones

Et aussi...

10 NUMÉRO 6 été 2006

programmation du 24e Marché de la PoésieQuitteOlivier BourdelierWigwam, 2005, 16 p., 4,60 €« Méfiez-vous des oiseaux et méfiez-vousdes fleurs / d'aventure suis revenu / maigrenu / dur. » Dans ces quelques vers un artpoétique s'exprime. Mais il serait trompeurd'y voir le seul versant de l'écriture d'OlivierBourdelier. En réalité, le cœur interne de sapoésie se tient sur un fil tendu entrecontention et expansion, dissociation

énigmat ique etenjambement defailles douloureuses,assèchement minéralet dés i r d 'autreshorizons en lesquels,peut-être, se fier. « Ohles cieux rouges de

l'enfance ! » écrivait-il en pensant à LéopoldSédar Senghor dans son précédent recueil,Araignée (Tarabuste, 2001). À ceux-ci onpourrait ajouter la tentation du sacré quiaffleure à travers les interstices d'une réalitédurement passée au tamis. Comme unefleur de crocus qui parviendrait à percer unsol granitique, justifiant ainsi la citation deLeonard Cohen placée en exergue : « Andevery breath we drew was hallelujah. ».

JEAN MINIAC

Quelque chose, quelqu’unSylvie Fabre G,avec un frontispice de Frédéric BenrathL’Amourier, coll. Grammages,2005, 62 p., 19 €Du dernier recueil de proses poétiques deSylvie Fabre G., il nous faut retenir en premierlieu le choix de la belle maison d’édition,L ’Amourier, et de sa col lect ion« Grammages », dans laquelle le papier eneffet possède un « poids », une matière et

une dens ité peucommunes. Cettematière de l’écriture,désignée, désirée, seretrouve dans le textede S . Fabre G. Enquarante pages d’uneprose à la fois rayon-

nante et ramassée, et en quatre saisons,l’auteur nous convie à l’accompagner dans unparadoxal « pèlerinage plein de vide », uneascension, l’exploration d’un désir sans nomet sans objet , vers « quelque chose,quelqu’un ». La poésie sert cette histoireénigmatique, en redoublant la quête spirituelled’une interrogation sur ses propres moyens :parole « semeuse de lignes », incertaine d’elle-même, penchée, mais aussi vertige du motqui célèbre la victoire de son élaboration vailleque vaille, vers les Pâques printanières, où lemot « amour » – quelque chose – est enfinprononcé. ÉLODIE BOUYGUES

C’est mon vocabulairequi m’a fait çaJack Spicer, traduit par Éric SuchèreLe bleu du ciel, 2006, 352 p., 25 €Homosexuel de la Côte Ouest, au lieu des’intégrer comme naturellement à lagénération beat, Spicer jette un regardcritique sur des traditions poétiques dontles fantômes le hantent : de Lorca (1957),jusqu’aux approches universitaires moquéesdans Langage (1964), en passant par son ami

Robert Duncan(Admonitions, 1958),ses contemporainsWi l l i ams (Unebrouette rouge, 1959),Creeley (Hommage,1960) et quelques

autres, mais aussi les légendaires Billy TheKid (1958), Rimbaud (Un faux roman sur lavie d’A R., 1960) et Le Saint Graal (1962). Toutse passe comme si Spicer se protégeait de ce

qu’il ressent au quotidien par ces présenceset réc iproquement . Souvent descommentaires distancient encore lespoèmes. Et cela dans un style tourbillonnantoù les hantises s’entrechoquent auxbonheurs de la quête — d’amour ou d’océan.Une carrière (dix ans) aussi fulgurante que lesdouze livres qui la jalonnent, tous ici réunisdans une traduction convaincante.

JACQUES DEMARCQ

Connaissance du tempsLucio MarianiGallimard, coll. L’Arpenteur, 2005, 92 p., 15 €

Connaître toute chose par le temps qui estla forme de toute chose : voilà ce quepropose Lucio Mariani dans ses quarantecourtes pièces et le poème-fresque qui les

clôt. La phrase, parfoisnarrative, oublie biensouvent le moi dupoète et embrasse lemonde en unmouvement continud’incarnation. Ainsi leconcept devient lachose, sensuelle et

palpable, le divin habite la nature, le temps sefait espace praticable. Désormais intime, lecosmos s’ouvre en nous car l’instant de notrelecture est vieux de mille ans : il est la genèsecomme la fin, la nature moite et maternellede l’Italie d’antan comme le vide pressenti parla vieillesse, il est « vie et mort confonduesdans la formule immobile du temps ». Decette ultime fusion naît la joie sombre dusceptique dont la lucidité sévère ne parvientpas à étouffer le vivant désir. Lucio Mariani,poète-métronome, arpente et mesure,« sous l’olivier [il] pose sa mémoire », et c’estcomme un remède à l ’amnés iecontemporaine. ANNE BROUILLET

Les Anciens CombattantsJacques DoutéL'Harmattan, 2005, 90 p., 11 €Jacques Douté, d'un mai à l'autreCertains poètes attendent une vie pour serappeler à nous. Je me souviens d'unensemble très construit paru dans une revued'avant-garde, Dérive, animée par Guy Darol,auteur d'un Hardellet décisif entre autreséloquents rappels aux fiers désordres del'avenir. Jean Marie Le Sidaner, poètemémorable jusque dans l'espèce d'offrandecritique qui occulte son œuvre, remarqual'auteur incidemment. Après mille ans

d'attente, ce dernier,longtemps professeuren khâgne et hypo-khâgne , s igne lesAnciens Combattantsoù je retrouve l'amplescansion héroïque etfunèbre d'un Antique,au sens noble, militant

du printemps lacrymogène, fort entremblements et en convulsions. On songeà d'Aubigné, au bel Hugo de Dieu, ou desChâtiments, à Jacques Audiberti, à tous lesbatteurs d'estrade campés devant l'abîme.Certes, il n'est pas novice, mais la voix porteau-delà des catacombes en profitant dugouffre : « Nous n'aurons rien bâti, riendétruit. Aucune ombre / De fenêtre ébouléene porte notre nom. »Jaques Douté revient du Temps, avecl'Histoire en écharpe, pour dire élégammentune fausse prise de la Bastille ou le crépusculed'Octobre. On peut l'écouter, décalé, car lapoésie surgit comme la foudre, avec desretards à jamais circonstanciés, « bien dresséepour le vin des morts ». Par ce livre auxaccents oraculaires, à rebours des modes, levétéran reprend de l'active, entre deuxbarricades pensives, dans l'ample théâtredes orages. HUBERT HADDAD

��� MARCHÉ DES LIVRES entrées libres

francofffonies

1re nuit du 24e Marchéde 20 heures à 22 h 30 / Podium

soirée présentée par Sylvie Moussier

avec la présence exceptionnelle de René Depestre

Nimrod, Gabriel Okoundji

HOMMAGESJamel Eddine Bencheikh

par Claude Debord et Arlette Albert-BirotGaston Miron

par Hélène Dorion, Robbert Fortin,Nicole Brossard, et José Acquelin

Arnaud Pelletierpar Hubert Haddad, Marcel Moreau

et Laurine RousseletTrois Roumains à Paris

Benjamin Fondane, Ilarie Voronca,Gherasim Lucapar Ève Griliquez

accompagnée par Gaspard Clauss au violoncelle

Vendredi 16 juin

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Paris n’est pas ce qu’il devraitClaude MeunierÉditions de l’AmandierC'est étrange comme les poètes qui ontécrit sur Paris furent rarement des rigolards.Fargue, Roubaud, Réda. Peut-être parce quepour écrire sur Paris, il faut vivre dans Paris– et ce n'est pas drôle tous les jours. Pasrigolards, les poètes, mais en revanche,souvent, leurs poèmes sont traversés par un

humour fulgurantcomme une hordede sangliers traversantles Champs-Elysées.Les poèmes deClaude Meunier sontainsi, ils fulgurent, à leslire, les bras nous en

tombent, et la vieille logique du piétonindifférent prend soudain ses jambes à soncou : « Rue des Martyrs, c'est monter unpeu », « La rue de la Perle est des plusagréable, on peut la prendre dans les deuxsens », « Ce matin (dimanche 2003) / la ruede Patay a des airs de campagne ». Héritierde Queneau (oh que oui !), d'Allais (dans tousles sens), cousin de Delbourg (pas triste !),Claude Meunier nous avertit dans saProposition 1 : « Je voudrais changer le nomdes rues de Paris, / et, par un effet depoésie, / les adapter à mon hypocondrie ».Vaut le détour. MARC DELOUZE

Écrire dans le noirBenoît Conort Champ Vallon, 2006, 220 p., 16 €Il faut la patience digestive du boa constrictorpour apprécier à sa juste mesure ce fascinantobjet littéraire, à la lisière du poème et del’essai, de la confession hors pudeur et del’analyse littéraire. Fildefériste, Conort prendlà de grands risques à hauteur de sa passionpure pour la poésie :« i l plonge dansl’épaisseur noire va jusqu’au doloir/ d’oùelle vient pourquoi cette/ douleur sourde

douleur lourde ». Surun rythme effréné,convoquant les fan-tômes, multipliant lesréfé rences et lescitations, il creuse,rumine, frotte de noircette apnée en ténè-bres qu’est l’origine

du poème. Ici, pas de complaisance, d’excèsde chair ni de compromis. Réglant une foispour toute le débat et les exaltations stérilesopposant la poésie à la prose, Conortdéveloppe, entre autres, un salutaireplaidoyer pour le verset (celui de Claudel,de Segalen, de Saint-John Perse) et sonrenouveau :« j’appelle verset cet excès deprose dans le vers / j’appelle verset ce pli quifait le vers dans la prose/ pli contre pli, pli surpli, ce qui plisse le rythme. » À lire avec lenteur, faute de quoi, le vertige desabîmes, l’éveil des douleurs

THIERRY CLERMONT

DormansMarie ÉtienneFlammarion, 2006, 214 p., 17 €Un titre étrange, dont l’orthographetronquée reflète le monde de Marie Étienne,autre, parallèle, et pourtant confondu avec

le réel : « Dans mamain est une clef /Une double de lavra ie qui n ’ouvrerien ». Le roman de lanuit ouvre le livre dansune atmosphère in-temporelle, lointaine,

qui se teinte d’onirisme dans les Dormans,d’orientalisme dans Le Cahier japonais ,d’espace dans les Sonnets du ciel, certes ; maisles histoires et les souvenirs sont bien plus

qu’un moyen de fuir. Nous voilà plongésdans les profondeurs de l’existence et de lamort, dans la complexité de la réalité. D’oùle morcellement du livre et des poèmes, oùplusieurs voix se font entendre, unissant lescontraires dans un ensemble sublime. Lesimages glissent, mélodieusement, épousantle rythme continu de la conscience errante,puis laissent place à des colliers de mots,brefs, syncopés. Au-delà de cette écritureplurielle, c’est « la note juste » qui estrecherchée : capter ce qui est là et ce quiétait, embrasser la totalité par-delà le tempset l’espace. ALINE RANAIVOSON

Terre d’ombres fleuvesJohannes Bobrowski,traduit par Jean-Claude SchneiderAtelier La Feugraie, 2005, 171 p., 16 €L’Atelier La Feugraie, installé dans le Calvados,achève ici la publication de l’œuvre poétiquecomplète du poète allemand Johannes

Bobrowski (1917-1965). On retrouvedans Terre d’ombresfleuves (publié enbilingue dans la trèsbe l le co l lect ion« L’Allure du chemin »)les thèmes chers àBobrowski : les pay-

sages et l’Histoire, la Nature, la mémoirecollective ou individuelle. Bobrowski a vécuen Allemagne de l’Est avant d’être reconnuet estimé en Allemagne de l‘Ouest. Sontraducteur Jean-Claude Schneider expliquebrièvement que « cette poésie de la nature[...] s’infléchit désormais vers une poésiedavantage éprise de totalité, plus ouverteaux mythes et aux crimes de l’Histoire, où lalangue se fait plus métaphorique et aussiplus obscure. » NATHALIE COLLEVILLE

Matière de miroirEva Diamanstein, traduit de l’allemandpar Jean-Pierre Faye et Denis TrierweilerL’Harmattan, coll. Poètes des cinqcontinents 53 p., 8 €Voici des poèmes d’« après Auschwitz » – etun grand livre. Eva Diamanstein est née enAllemagne, bien après la guerre, mais d’unpère juif roumain, rescapé de Dachau, etdont toute la famille avait disparu dans laShoah. Le père devait ensuite mourir à sontour : l’Allemagne est ici à la fois patrie et

terre d’exil, de deuilinguérissable. Toutcommence par unKinderlied, un « chantd’enfant » , d ’unebizarrerie grinçante,traversé de fantômesdérisoires et terribles(« Mon grand-père

était un bout de savon »), avec sa ritournellede somnambule : « Four noir porte du ciel /Four noir chemin d’Enfer ». Ailleurs, une sortede sonnet cassé (« Kaddisch ») voudraitrejoindre le père mort, mais les mots arriventtrop tard, clausule coupante qui brise lepoème. De page en page se répercute« l’incantation brève de la douleur » (J.-P.Faye) : un langage abrupt, elliptique, tout enruptures, où passent d’étonnantes images :« Je veux voyager dans les zones glacées /dans la paupière de la nuit ». Nul refuge pourla parole, que le vide « Pense un lieu où nuloiseau ne chante / Simplement silence », oupeut-être, par instants, le « labyrinthe » desregards réciproques et des mots réfractésen « matière de miroir ». JACQUES DOUTÉ

Le Chant de Manhattanprécédé de L’Avancée dansle texte et suivi de Piano wordsJeanine BaudeSeghers, coll. Poésie, 2006, 131 p., 12 €

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JAMAIS la production de livres enFrance n’a été aussi prolifique. Cequi pouvait passer pour une « démo-cratisation » du marché du livre,

produit en réalité des effets inverses, etce, pour deux raisons principales : d’unepart,la diffusion et la distribution sontdevenues plus accessibles qu’auparavant,et les projets visant à accélérer le processusd’intégration d’éditeurs à ces réseaux semultiplient. D’autre part, les progrès tech-niques de la chaîne graphique (PAO,impressions offset et numérique), cesdernières années, ont considérablementfacilité la production de livres. L’on pourrait se réjouir d’une telle évolutionqui va dans le sens d’une diversificationindéniable de l’offre. Pourtant, face à

l’abondance nouvelle, le lecteur ne risque-t-il pas de renoncer au plaisir de la découverte,et de ne s’en remettre qu’aux livres les plusvisibles, et donc les plus médiatisés, selondes techniques qui restent largement horsde la portée des éditeurs indépendants ?

une diversification indéniablede l’offre

Ces derniers subissent depuis un an une crisemajeure, qui se manifeste par une vague deretours sans précédent et donc une dette àleur diffuseur pour nombre d’entre eux.Le système repose sur une production quine cesse d’augmenter alors que le lectoratest loin d’être extensible et que la capacitéd’absorption des libraires est limitée. Maisle « remède » choisi par beaucoup d’éditeurs

(les grandes maisons en premier lieu) afinde survivre et de maintenir artificiellementleur niveau de revenu, ne pourra qu’aggraverle mal, en contribuant à former une véritable« bulle productive ». En d’autres termes, lemarché est déjà totalement saturé, mais ilfaut produire davantage encore pour espérerse maintenir, quelles qu’en soient les consé-quences.La logique actuelle du marché est en outredéfavorable aux éditeurs indépendants età la durée de vie du livre dans la mesure oùelle oppose le « temps long » que réclamel’élaboration d’un catalogue de qualité, autemps court, privilégié par la plupart desacteurs de la chaîne du livre, et qui imposed’éliminer les livres pas ou peu rentablesimmédiatement. Daniel Legrand

Démocratisation culturelle,diversité littéraire ?

��� MARCHÉ DES LIVRES

À chacun son édition Lors du dernier Salon du Livre, Francis Esménard (AlbinMichel) et Antoine Gallimard (groupe éponyme) ont, à l’occasion d’un entretien paru dans Paris-Match, accusé la petite édition d’êtreà l’origine du trop grand nombre de parutions, les accusant ainsi de noyer le marché du livre et de la librairie. Chiffres à l’appui, il suffiraà tout un chacun de consulter Livres-Hebdo ou les données économiques du Syndicat national de l’Édition (S.N.E.). Nous savonstous que le phénomène est inverse. Antoine Gallimard s’en est même excusé dans les colonnes du Monde, Francis Esménard, lui, apréféré la politique de l’autruche. Paris-Match, auquel nous avons demandé un droit de réponse, a fait la sourde oreille. Ce débutd’année fut également riche en rebondissement puisque le S.N.E. a dévoilé depuis quelques mois son projet « Calibre », solution dedistribution pour les petits éditeurs indépendants. Le manque de concertation – étonnant de la part d’un « syndicat » – dont ce projetest issu ne surprendra guère ceux auquel le projet est destiné (la petite édition indépendante), puisque l’on ne les associe qu’unefois la structure établie, ne leur permettantainsi que de participer aux ravalements defaçade.Aujourd’hui, l’état des lieux est différent.Il y a deux ans, confrontés à la survie mêmedu Marché de la Poésie, nous avons réuninos amis éditeurs pour leur faire part denotre problématique. Nous avons entenduce jour-là des dizaines de voix parler àl’unisson « rassemblement », d’« union ».Quelques mois plus tôt, le S.N.E. – toujours“hautement concerné” par la petite édition –sentait le vent tourner et organisait unpremier débat, puis une commission.Plutôt qu’unir ou rassembler, notre asso-ciation, Circé, tente de constituer un réseaude petits éditeurs indépendants pour fairevaloir auprès du Syndicat, du ministère dela Culture, des C.R.L. et autres institutionsconcernées, une concertation véritable surun sujet aussi brûlant, urgent et fragile quel’avenir de la petite édition indépendante.Notre initiative en est encore à ses balbu-tiements, mais le principe est là. Débattreensemble, à travers un réseau nationaloù chaque éditeur concerné doit être dela partie. Nous ne sommes pas spectateurs et ne laisserons pas s’aplanir les reliefs du monde éditorial qui, malgré toutes les commissions,études ou réalisations menées jusqu’à présent n’ont abouti qu’à lézarder encore plus la petite édition dans une production éditorialeaux enjeux économiques qui nous dépassent. Alors, restons naïfs tout en faisant savoir que nous sommes acteurs, et que nosexpériences doivent aussi servir à construire les solutions à nos problèmes.Je ne manquerai pas de saluer également d’autres initiatives telles celle de L’Autre livre et de son livre blanc : il existe maintenantquelques structures pour « coordonner » la petite édition indépendante, pour agir et coopérer. Nous serons présents, avec les éditeurs,pour participer activement (et non en répondant simplement à quelque questionnaire).La diffusion et de la distribution en sont les clés essentielles. Nous ne nous laisserons pas « calibrer » à merci.

Vincent GimenoUne table ronde, organisée par Circé, aura lieu sur le Podium du Marché, le dimanche 18 juin de 15 h 30 à 17 h, sur le thème« Créer un réseau d’éditeurs ».

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Bergère ô tour Eiffel démâtée, éperdue dansl’agonie du contemporain, Jeanine Baudefait bêler le troupeau des ponts jetés entrela vieille Europe et le Nouveau Monde. Entreses années continentales et l’american way

of dream. Son Chantde Manhattan est laRhapsody in blue duvoyage intérieur. Il faitcrépiter, syncoper,chalouper, tournoyerles formes et lesmat ières du rêve

éveillé. Cueille, compulse, compile les éclatsd’une géographie passementée, instable,mouvante, migrante, métisse. Tout y passecar tout passe, maelström du luxuriant etde l’atroce, opéra vertigineux du sordide, del’épique et de la féerie moderniste. CetteBabel labile, insulaire et insolite, oublie vitequ’elle n’est qu’une portion du monde, uneenclave minérale entre les eaux. Abîme enabyme, elle en vient à résumer le cosmos,ses grandeurs et ses précarités, espaceconsacré par le chant, immensément dilatéaux envergures du moi poétique qui yramasse ses folies, ses désirs, ses ailleurs etses enfances. N’était la démesure, on enpleurerait. FRANÇOIS-JEAN AUTHIER

Portrait d’une dameAlain FrontierAl Dante, 432 p., 25 €Frontier invente un genre : l’instantané verbal,qui est au cliché ce que Matisse est à la photode famille. Trois années durant, avec uneoreille digne de l’œil d’un peintre, il note desphrases prononcées par son modèle. Quiaime à commenter ce qu’elle voit, fait ouressent. Et qu’on suit de minute en secondedans des circonstances très diverse : chez

elle ou au restau, à lacampagne, la mer, lamontagne ou au zoo,prenant ou classantdes photos, pensantaux amis ou à ses filles,s ’ intéressant auxoiseaux, à ses voisins,

aux trains qui passent et aux trous rencontrés,jurant contre les chauffards, taquinant soncompagnon scribouillard, qui jubile à sesimparfaits du subjonctif comme à sesraccourcis péremptoires. Le personnage, ilfaut dire, est fascinant, drôle, plein d’esprit.Une femme entendue, comme l’est unsourire complice. Le contraire du banalismesociologique brossant l’époque. Un chef-d’œuvre d’amour, où au regard destroubadours s’est substituée l’écoute. Dequoi réespérer du langage.

JACQUES DEMARCQ

Le Nouveau Magasind’écritureHubert HaddadZulma, 2006, 30 €L’éléphant en colère qui orne la couverturedu dernier livre de Hubert Haddad, annoncela couleur. Comme lui , l ’ouvrage estsurdimensionné (plus de 900 pages),bouleverse tout sur son passage, et laisse lelecteur ahuri et médusé par ce qu’il voitdéfiler devant lui. Le point de départ de cette

somme appelée àdevenir rapidementun c lass ique estsimple. S’appuyantsur son expériencedes ateliers d’écriture,Haddad met à ladisposition de sonlecteur, te l un

quincaillier à celle de ses clients, les outils etles savoir faire qui l’aident, depuis de longuesannées, à mettre sur le chemin de l’écritureles publics qu’il rencontre. Questionnaires,

listes, textes choisis que l’on découpe, copie,transforme à loisir, images, tout est bon pourbriser les inhibitions, et déclencher la création.En bon pédagogue, Haddad offre desexercices, des exemples, des conseils, uneanthologie de la littérature mondiale, uneréflexion critique, une histoire des genres. Illui fait don surtout de son univers littéraireet humain, de ses goûts personnels, de sonenthousiasme, et d’une immense générositéqui tient, moins encore à la richesse desmatériaux proposés, qu’à la confiance qu’ilaccorde aux possibilités créatives de chacun.

MARIANNE SIMON-OIKAWA

Voix venues de la terreDanièle Corre, encres de Judith Rothchild. Jacques Brémond, 2005, 70 p., 18 €Lauréate du prix de poésie des Jardins deTalcy 2004 pour les seize premières pages decet ouvrage, Danièle Corre a dédié son beaurecueil à Georges-Emmanuel Clancier,grande figure de la poésie française dontelle partage l’inspiration, marquée par uneécoute attentive et sensible du monde, et

un lyrisme qui, pourêtre contenu, n’en estpas moins prenant. Selivrant à une véritable« évocation » au sensétymologique du

mot (« appeler de la voix »), au fil des poèmes,Corre fait revivre des temps anciens quetraversent des figures oubliées, « rois bergers »ou « toques et tabliers blancs ». Dans le fluxd’un temps où le présent se nourrit du passéet fomente l ’avenir, le poème se faitconfidence ou dialogue vibrant, emportéparfois par un hexasyllabe – « Des êtres auxgestes lents/passent sous les feuillages » –,demi-alexandrin au rythme éternel, commeces encres de J. Rothchild qui éclairentl’ouvrage de leur intemporelle beauté

JOËLLE PAGÈS-PINDON

Une anthologieHaroldo de Campos, proposée par Inês Oseki-DépréAl Dante, 2005, 216 p., 22 €Une figure emblématique de la poésiebrésilienneIl faut rendre hommage à Inês Oseki-Dépré(et à son éditeur, Al Dante !) à double titre :pour avoir déjà si bien œuvré pour introduireen France l'œuvre de Haroldo de Campos,grande figure de la poésie brésilienne et aussipour le tour de force que représente latraduction d'un tel auteur. Haroldo de Campos (1929-2003), brésilien,a fondé le groupe Noigandres, à l'origine dumouvement de la poésie concrète au Brésil(dont un des buts fut d'inventer de nouvelles

formes poétiques).Poète , mais auss ipenseur et traducteur,i l fut un é lémentmoteur d'un renou-veau de la culturebrésilienne. Excellentthéoricien et essayiste,

il sut traduire magnifiquement ses idées etl'anthologie que présente ici Inês Oséki-Dépré semble très emblématique de soninventivité et d’une incroyable capacité derenouvellement qui fait penser à celle d'unPicasso. Le livre qui parcourt les années 1948-1998 est un régal de lecture et offre unebonne introduction à l'œuvre. Espérons qu'ilportera le public à lire les recueils déjà édités(Galaxies, Yugen, L'Éducation des cinq sens) et leséditeurs à continuer d'explorer cette œuvremajeure. FLORENCE TROCMÉ

M’accompagneMarc André BrouilletteÉditions du Noroît, Montréal, 2005,96 p., 15 €

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LA PRÉSENCE de notre ami JamelEddine Bencheikh au 23e Marchéde la Poésie, aura été son dernieracte poétique. À cette occasion, il

lut un dernier long poème « Sans répit delumière » que Sarah Wiame présente cetteannée.En juin dernier, exténué par la maladie, il asurmonté le mal car il tenait par-dessus toutà cette sortie de scène ; aussigrand arabisant qu’il fût,spécialiste du mythique AlAndaluz, traducteur avec son amiAndré Miquel des Contes deSchéhérazade, ce qui prévalait d’abord pourlui était la poésie – oserai-je dire sa poésie ?Pour que naisse une belle amitié, faite pourmoi d’admiration et de respect, il a suffi, en1990, d’une rencontre fulgurante suivie parla projection de À la recherche des Mille etune Nuits, le beau film de Nacer Khémirdont Jamel est l’unique protagoniste. Toujoursaccompagné de Claudine, il devint vite unhabitué de la place Saint-Sulpice. Dansles allées, aux alentours du stand de Tarabuste,bientôt son éditeur attitré, mais aussi surle podium de nos soirées où sa présencemagnétique, sa parole rudement engagée,mais toujours poétique, retenait l’attention,

suspendait les souffles. L’écoute deBencheikh était une mise à l’épreuve pourchacun d’entre nous. Un moment de réflexiongrave : poète français, il gardait dans salecture puissamment rythmée, comme lesouvenir de la mélodie orientale et son sensde l’oralité, parfois sous-tendue par uninstrument de musique. Accompagné parJustin Weiss, il arrivait à son apogée.

Il faut se rappeler qu’au printemps 1993furent « égorgés poignardés abattus », six« frères algériens » de Bencheikh : HafidhSenhadri, Djilali Liabes, Laïdi Flici, TaharDjaout, Mahfoud Boucebsi, M’hammedBoukhozba.L’œuvre du poète Tahar Djaout nous étaitfamilière, il fallait réagir à cette disparitionviolente, au moins pour marquer une soli-darité qui peut sembler dérisoire. Inoubliablesamedi 26 juin 1993, quand Jamel montasur scène, accompagné de toute l’équipe– Xavier d’Arthuys, Albert Bohbot, JeanMarcourel, Philippe Ollé-Laprune, Jean-Michel Place, et moi-même – le public ne

savait pas où le verbe allait le conduire quandla voix s’éleva : S’ils brûlent nos livres, il n’y aura plus un feu à flanc de montagne, une luciolevaguant de ciel en cielqui ne répète chaque signe dévorécomme une lecture incandescentequi attisera notre alarme[…]Tu t’es allongé sur ton poème pour mourirSous ton poème pour te couvrir[…]Un bébé a hurlé parce qu’il venaitDe naître La foule fut sidérée, au sens le plus fortdu terme, par Attiser l’alarme. Un temps,le silence absolu, dense, lourd, enveloppala nuit d’été. Moment de conscience aiguë :oui, pendant cet éphémère épisode de grâcetragique, la poésie prouva qu’elle servait.Cette nuit-là, le Marché fut marqué au ferrouge. En juin 2005, le ton n’a guère changé decette haute figure intransigeante, exigeante,qui ne vivait pas à la légère. Mais augurez-vous encore d’un MessieProphètes absents de l’Étoile de la CroixEt du CroissantQuand sur les cinq continentsLes tueries découpent le temps ?Le même qui réunit en un recueil ses Écritspolitiques (1963-2000), interpelle avecvéhémence, interroge avec âpreté. Qui ? LesProphètes, tous les prophètes de la religiondu Livre, et celui-là qui prêcha l’amour :Pourquoi laisser tyrans et démons luna-tiquesRégner décréter enjoindreJeter aux fersInventer de pieuses torturesJésus oublies-tu qui tu fus ?Ultime appel qui ne peut s’achever quesur le point d’interrogation :La Foi n’est-elle qu’un lac immobile Depuis si longtemps tari ?« Et la colère te consume… », ajouteClaudine. Colère lucide qui frémit encoredans notre oreille, « Rien ne s’est accompli »,mais colère qui inventa un écrivain irré-ductible, un poète à vif :Vaincre peut-être l’irrémédiable…Tout vient si tard à connaissance…Transparence à vif

Arlette Albert-Birot

JAMEL EDDINEBENCHEIKHSans répit de lumière

��� MARCHÉ DES LIVRES

Il n’y a pas de courage à mourirMais un effroyable étonnement

24e Marché de la Poésie15-18 juin 2006 / Place Saint-Supice

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NUMÉRO 6 été 2006 13

Une poésie, à l’instar de certains poèmesd’Hélène Dor ion ou de L ionel Ray,concernée par un certain questionnement

existentiel à traverslequel éphémère etéternel se rejoignent :l’indicible s’y fait jour.Le poète te nted’exprimer à traversdes réflexions intimessur les couleurs un

constant ré-enchantement du monde. Le bleu est rêve d’un ailleurs ni froid ni sec,sensible, sensuel, celui d’une « eau céleste »dont on embrasserait les « vagues bleues » :il transcenderait la lumière et l’obscur, letemps en mouvement, sorte « d’éternelprésent ». Pour Brouillette, dont l’approcheest résolument bachelardienne, si « le bleus’attache aux êtres et aux choses [et] induitle regard à la profondeur du jour et auxombres du désir », le mauve « entraîne leregard dans les profondeurs de la rêverie ».Quant au rouge, « il dresse son joug au-dehors et au-dedans », carré rouge de lasouffrance ; tandis que le noir « ouvre surune profondeur sans mesure du proche etdu lointain, du présent et du passé » et quele blanc rend visible « l’intimité des premiersjours dans le prolongement de l’existence ».Le vert « est désireux [...] il vise l’ailleurs,territoire de l’autre ». Enfin, l’or est « matièreet voyance enfouies au creux des os dursqui craquent sous l’impulsion de la fusion. Ilse loge au corps, entre le rêve et la sensation. »On voit œuvrer, et de belle manière, unpoète. Le corps, la matière et l’esprit sonttraversés et travaillés par la couleur : unprocessus à l’?uvre en leur sein que le poète,véritable alchimiste, parvient à exprimer. Il vient d’obtenir pour ce recueil le Prix LouisGuillaume du poème en prose.

SYLVESTRE CLANCIER

Soleil piléBenjamin Jules-RosetteÉditions Le Carbet, 2005, 58 p., 10 €Langueur, douleur. Violence, tendresse.Innocence, souffrance. Chœur des hommes

prisonniers, cœur desâmes l ibérées . Laparole vient de plusloin que sa proprenuit. Elle remonte soncours en p i roguep s y c h o p o m p e ,inverse le sillage des

galères maudites pour reposer chez sesmorts d’Afrique. Cette écriture est unpèlerinage vers la terre promise de lanégritude atavique, vers le vaste sein d’avantla Chute. Elle aspire à la Paix des origines, à lacautérisation du tragique. Emblème desgrandes saignées noires, le MartiniquaisBenjamin Jules-Rosette s’est fait un nom enprêtant son corps aux voix des autres.Comédien et metteur en scène, il joueCésaire, Glissant ou Tchicaya U Tam’si. Soleilpilé est une nouvelle naissance, l’avènementpoétique du « veilleur inlassable », la vivanteprojection de tous ses horizons de langage.

SANDRINE MARCILLAUD-AUTHIER

Laisse-moi te parlercomme à un chevalIsraël ElirazCorti, 2005Tout semble clair, net, évident, selon lescommentaires qui entourent la sortie

de chaque livre, dechaque poèmed’Israël Eliraz. Et toutest net, effectivement,à le lire, à lire Laisse-moi te parler commeà un cheva l . Maisqu’est-ce qui est net ?

Nous sommes avertis d’emblée, le mot estcomme le pain qui cache un autre pain(Abeilles / Obstacles, José Corti, 2002) ettout cela pour dire / autre chose / queparfois nous appelons / petits objets dusilence.Car le silence, là, reste lui-même, sanstraduction possible, puisqu’auprès duJourdain, le visible reste hors / d’atteinte. Levisible, c’est à dire aussi les mots écrits. Etnous lecteurs , sommes là , devantl’inatteignable. « Tout n’est pas dit, car au-delà / Dieu parle encore », est-il écrit dans ceque le l ivre recuei l de paroles , p lusprécisément dans le chapitre intitulé bientôtquelque chose va se passer« Va se passer » et se passe, puisque ce quiviendra est déjà là tandis que ce qui se passeà cette heure / est déjà passé. Ainsi le lecteurassiste et participe à la saisie du mouvement,sous les apparences de la pierre, sous ce quele poème, comme la pierre, a d’apparent. Etc’est ainsi, également, qu’avec Eliraz nousentrons sur des territoires inoccupés,puisqu’ils n’existent qu’au moment où lecrayon les trace. YVES JOUAN

Éponymerevue d’art et de littératureÉditions Joca Seria, 200 p., 20 €Voici le 22e numéro de cette revue créée àNantes par un éditeur dont le cataloguemanifeste l’ intérêt pour les relationsqu’entretiennent textes et images. Photos,dessins, peintures, sculptures, films, vidéos,installations.Comment ce qui fait images peut-il fairetextes ? La revue offre à cette question des

réponses différentes,déroutantes parfois,fortes et aventu-reuses. Elle s’ouvre surque lques textes« solitaires » qui, euxauss i , exp lorentl’espace de l’écriture

et font image. De longs extraits quipermettent une véritable entrée dans letravail de l’auteur. Entre autres, des textescourts de Pierre Autin-Grenier, des haïkusde prison de Lutz Bassman, des extraits du« Désordre » de Jasmine ViguierC’est sans doute cette volonté d’explorationde tous les modes de la création quicaractérise la revue éponyme.Avec Isabelle Bonzom, la peinture sort de latoile et va se poser dans les couloirs de laprison. Les vêtements dessinés par MichaDeridder parlent et le roman photo deChristiane Cavallin Carlut qui conclut cenuméro en signe aussi la volonté politique.Deux numéros par an, le prochain sortira enjuillet 2006. MARIE-FLORENCE EHRET

Chants et DéchantsJean AlexandreÉditions Lambert-Lucas, 2005, 200 p., 20 €

Le titre nous éclaire sur l’état d’esprit del’auteur. On chante et on déchante. Noussommes dans un monde binaire.Le livre est composé d’un choix de poèmes

écrits entre 1969 et2005, publiés soit enrevues soit en recueils.L’auteur trouve soninspiration dans sa vieet dans son histoire.Or ig ina i re d ’unquartier populaire deParis, il a beaucoup

voyagé, pratiqué de nombreux métiers : ilest pasteur dans une paroisse de quartierpopulaire.Son inspiration est biblique et évangélique.Très sensible au rythme, certains de sespoèmes rappellent les gospels afro-américains, la gouaille des quartiers de son

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FLORENCE TROCMÉ lance qu’elle ena rêvé toute sa vie. Pourtant, l’iti-néraire fut long avant de s’immergeren la passion, mais la littérature et

précisément la poésie ont fini par la rattraperet reconnaître en elle, sans se tromper, unfervent défenseur du verbe célébré. Lacréation de son blog, non, de sa revue littéraireen ligne POEZIBAO.com (contraction de poésieet de dazibao) en décembre 2004, témoigneen effet de sa vitalité à déclarer son amourà la langue, j’entends la plurielle, cellequi ne s’attache à aucune « chapelle ».Née en 1949, après une formation en histoirede l’art et archéologie, Florence devientjournaliste en 1971 dans le domaine de ladécoration (revue Maison et Jardin) pourlequel son goût restera à peu près inexistantdurant vingt-cinq ans. Elle apprend icison métier ; les techniques du journalisme,mais aussi les règles de mise en page…Composer un article au signe près, à partir

d’une colonne de faux-texte, n’aura très viteplus aucun secret pour elle. Fin de la revue.À partir de 1995, elle commence à naviguersur le net en vue de faire de la rédaction.Son amour de la musique (discophile excep-tionnelle et surtout musicienne depuisl’enfance – piano), la conduit à se rendrecritique musicale pour concerto.net. Maisc’est l’attrait de la littérature, aussi tenaceet lointain que celui de la musique, qui lagagne enfin quand elle pose ses premierspas en tant que critique littéraire, pour lessites maulpoix.net, paru.com ou remue.net.

Du reste, le vrai virage est pris enzazieweb.fr ; site « participatif » où chacunpeut publier ses notes de lecture. Tambour !Florence en rédige pour elle depuis toujours !Elle caracole en tête des contributrices les

plus prolifiques. Et l’idée lui vint en 2002de proposer à Isabelle Aveline, la créatricedu site, de publier chaque jour un extraitde poésie contemporaine. Le forum« l’Almanach poétique » est ainsi créé. Un« appareil » est rapidement constitué autourde l’extrait ; une petite biographie et biblio-graphie. Aussi, fin 2004, à la demanded’I. Aveline (lui promettant de « tirer lefil » vers son site), POEZIBAO voit le jour,Florence crée son propre blog qui devientson aventure… Le travail exigeant de« l’index » s’exécute sitôt « en lienhypertexte » et entièrement alphabétique,permettant une circulation des plus faciles.Le cœur de « l’Almanach poétique » esttransplanté, cette fois accompagné d’uneillustration (photographie de l’auteur ouaquarelle réalisées par Florence oucouverture de l’ouvrage). Des contacts secréent, des amitiés. Remarquons celle deFlorence pour la poète américaine MarilynHacker, qui l’amène à défendre le travaildes femmes poètes, lesquelles sont si malreprésentées dans les anthologies des« grands » éditeurs français. Question deparité oblige, figurera donc un jour sur deuxdans la catégorie « Anthologie permanente »l’œuvre singulière d’une femme poète.Aujourd’hui « La boucle est bouclée. ».Florence Trocmé, qui rêve d’animer la revuejusqu’à ses quatre-vingts ans, y consacreentièrement sa vie. Ses sorties nourrissentles catégories « Agenda », « Rencontres etreportages », ses lectures les catégories« Fiches de lecture », « Lexique de poétique »,« Fiches bio-bibliographiques »… Notonségalement une recension très régulière etquasi complète des revues de poésie. Sesgoûts éclectiques nous font passer avecbonheur et cela quotidiennement de BlaiseCendrars à Gertrude Stein, de ChristianPrigent à Pierre Albert-Birot… Et si Florencepratique le bénévolat depuis des années,c’est qu’elle redonne sans compter ce quepar ailleurs la vie lui offre, pareil à son tempsde lecture qui s’appelle toujours ! Deuxchoses lui sont insupportables : rencontrerun auteur sans estimer l’avoir lu (autant direde a à z) et recevoir un ouvrage et « ne rienen faire ». Pour finir, POEZIBAO est l’aventured’une vie et saluons le temps qui a su attendre,en son meilleur, quelqu’une pour et paramour de la poésie…

Laurine Rousselet

Florence Trocmé etl’aventure qui s’affichepoezibao.com

��� MARCHÉ DES LIVRES

Les éditions Après la luneAprès la Lune est une toute jeune maison d’édition née en mars 2006,Parrainée par l’écrivain algérien Yasmina Khadra, elle développe à ce jour trois collectionsqui se fichent de la bienséance économique et de la frilosité incompressible.– La maîtresse en maillot de bain : la collection des petits arrangements avec l’enfance.N’allez pas croire que cette collection est réservée aux enfants ! Ce serait uneerreur. Vous êtes là dans la littérature pure et, si vous ne craignez pas de fouiller lesreplis de votre cœur et de votre mémoire, vous y recueillerez les voix singulières deYasmina Khadra, Hervé Jaouen, Jean-Jacques Reboux, Caryl Férey, Sigmund Freud,Hervé Prudon, Paul Fournel, en attendant les confessions explosives de Mitterrand,du petit Jésus et de Marcel Proust ! (mars 2007)– Lunes Blafardes : la face cachéedu crime.Cette collection réfute l’éti-quette « roman policier » quila gênerait aux entournures.Parce que la littérature, pourexplorer le noir absolu, face etpile, a besoin d’espace (huit titrespar an).Premiers ouvrages :Corps-morts, de Sylvie Rouch,Dernier combat, de SylvieCohen, Enquête d’un père,d’Olivier Thiébaut, La Colère desenfants déchus de CatherineFradier.– Tous les possibles : la collectionde tous les possibles.Deux romans en mai : C’esttoujours la faute de la femme à barbe de Dominique Zay, Je suis en deuil de PierreFiloche. Mais aussi des essais, des pamphlets inattendus. Parce qu’ils dérangent, parcequ’ils vont au plus juste et au plus fou. Premier de la série : Chômeurs qu’attendezvous pour disparaître, recueil de témoignages de chômeurs et d’agents de l’ANPE,à paraître en janvier 2007. Philippe RoutierÉditions Après la LuneDiffusion CED - Distribution Belles LettresDirection éditoriale : Jean-Jacques Rebouxwww.apreslalune.com

le lien hypertexte poétique

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14 NUMÉRO 6 été 2006

enfance, les machines de l’usine Le rythmeest, de ce fait, varié.Tout est écrit en point, en contrepoint, cequi justifie parfaitement le titre de cespoèmes teintés d’espoir et d’optimisme.

Ghislaine Brault-Molas

La Lave et l’ObscurPierre ColinLe Castor Astral, coll. L’Atelier Imaginaire,46 p., 12 €L’ouvrage prête à discussion, elle fut vive ausein des jurés du Prix Max-Pol Fouchet !

Le poète n’est pasminimaliste, tout luiest bon pour lancerau vent déclarationsd’amour, v i s ionsd’oracles et motsépiques. Il ne parlepas en son nom mais

à celui d’une première personne pluriellequ’il abrite, ou qui l’habite, à laquelle il prêtesa voix. Ce nous de majesté jongle sans effortavec les tempêtes et le soleil, ose tous lesrapprochements : « Il est tard comme unnid » écrit-il par exemple.Il ne craint pas non plus les alexandrins : « Lesoleil guttural pèse lourd dans les mots »Ni aucun des effets d’une poétique quasibiblique : « Les brebis de la nuit s’en vontdans nos mémoires »Barbare à sa façon, il a les mains pleines defruits de fleurs et de bijoux, de « chevauxfous et de chair heureuse ». Son lyrisme nousrend cette heureuse innocence que notresiècle ne mérite pas.Quelques mots de Luis Mizon et WernerLambersy ouvrent ce recueil – prix spécialMax-Pol Fouchet 2005 –, et sur la couverture,une très belle photo de Maïté Colin imaginel’horizon. Marie-Florence Ehret

La Chambrede Joë BousquetPierre CabanneAndré Dimanche, 2005, 203 p., 38 €Après l ’enquête de P. Cabanne surLa Chambre de Joë Bousquet, viennent de sortirdeux ouvrages qui éclairent cette hautefigure : une réédition du Meneur de lune etJoë Bousquet, une vie à corps perdu, d’E.de la Héronnière. Cet essai évoque avec forcel’univers du poète, ses amitiés et l’attirancequ’il exerça sur les artistes et écrivains de son

temps : Aragon ,Bellmer, Breton, Dali,Dubuffet , E luard,Ernst , Gide, K lee ,Magritte, Paulhan,Tanguy, Valéry, Weil,Mais la clé qui ouvre le

mieux l’univers feutré de la chambre deCarcassonne de Bousquet est sans doute lapeinture. Le jour n’étant pas admis, lestableaux apportèrent à Bousquet la lumièrequi éclairerait et féconderait son imaginaire.Depuis la blessure de 1918 qui l’alita jusqu’àsa mort , en 1950 , i l échangea unecorrespondance nourrie avec Jean Paulhan,son ami, conseiller et éditeur, qui l’aida àconstituer sa collection et dont certaineslettres ont été reproduites ici. Aujourd’huidispersés, beaucoup de ces tableauxn’avaient été reproduits, et cela suffit à faireun livre d’art et document incontournable,pour la connaissance de Bousquet et de lapeinture de son temps.

François-Michel Durazzo

Ce tressaillement du loupGuy Cloutier, encres de LaubièsDumerchez, 2005, 56 p., 15 €En ouvrant Ce tressaillement du loup, on setrouve d’abord attiré, forcément par lesarabesques à gros traits, comme si le noircherchait l’échappée du blanc. L’œil se tourne

vers l’écriture, l’échappée est dans le bleude la typographie. Bon ! La guerre, hors desoi, en soi. On est secoué par la fièvre de la

langue, des mots, desévocations brutales.On voudrait fuir, sedisant, c’est obscur,mais non, force est deconstater que l’on setrouve dans lesmaëlstroms croisés

de la guerre du soi et de la guerre du monde.Souffrance de l’emprisonnement, révoltecontre son propre vide empli de faussesmanœuvres maniérées. Le monde ?Également inhabitable ! Violence du monde,violence de soi. Bon ! L’issue vraisembla-blement possible, le mot, les mots, le poème.L’actualité de la plongée vertigineuse dansces vides évoque celle de la psychanalyse,apnée destinée à déboucher sur la vie. Onsort de cette lecture renvoyé à soi-même,à ses guerres. Ghislaine Brault-Molas

Le Campdu bandit mauresqueHubert HaddadFayard, 2006, 254 p., 17 €La mémoire en sangPoète, inventeur de mots et de rêves, HubertHaddad défend une langue r iche etprofonde. Cette fois, il nous propose un « récitd'enfance ». Et sa mémoire d'homme,d'enfant, de poète, saigne. Elle saigne de cetindicible que le regard de l'enfant scrute, quel'homme veut oublier et que le poèteenchante et pourtant regarde sans se

détourner ! Noussommes dans lesannées 50, au seuil de« l'indépendance » dela Tunisie. Mais pourla famille blessée durécitant, l'Exil a déjàcommencé. Le froid,

la détresse sont des précipités de tragédiesintimes : les tentatives de suicide du père, laforte et terrifiante personnalité de la mère,le suicide du grand frère – voilà le contexteoù évolue le petit Juif de Tunis perdu dansMénilmontant. . . Aurait- i l oublié son« origine » ? Sans doute, mais une petite filleblonde la lui rappelle : tout exil est uneenfance déchirée. L'école ? On la diraitinhumaine . La misère est là , f ixe etincontournable, comme un masque, commela Mort. Pourtant, il y a toujours – pour lesenfants – un « bandit mauresque », un noman’s land, un rêve qui vous éloignent de lafroideur et de l'oubli du monde adulte. Laparole poétique d'Hubert Haddad se faitplus secrète mais aussi plus lumineuse danscette confession bouleversante. Ne passezpas à côté de ce livre. Il parle de notre surpriseinsubmersible devant le mystère du vivant.Le mien, le sien, le vôtre. Alain Suied

Après Flaubert,Hip Hop PoèmesSerge GavronskyAl Dante, 2005, 104 p., 15 €On ne lit pas assez Gavronsky, ou alors mal.Tant pis pour lui, dommage pour les autres.L’aphoristique Temps mort (éd. Ulysse fin desiècle), le porno-désopilant Petite histoire duPCR (le petit chaperon rouge en petiteculotte) sont pourtant des livres qui effacentune grande partie de la production poétiqueactuelle. De New York, où il vit depuis plusd’un demi-siècle, Gavronsky vient de nousfaire parvenir ses hip-hop poèmes, suite de77 fulgurances commençant toutes par lejaculatoire : « Et avec çà ? ». Dans cetentrechoc de mots et de références sociales,d’interférences culturelles et politiques,Gavronsky énumère, enfile, aligne, liste, horsd’haleine. Un chapelet où se mêlent Billy the

kid, les Brooklyn Dodgers, les couillonnadesou les guerres triviales, à dévider dansl’urgence. Thierry Clermont

Le Réel d'à côtéCharles DobzynskiL'Amourier, 2005, 96 p., 19 €Trois chants de mort« Ce noir, travaille-le / à l'empêtre à la pâte /tisonne-le dans l'être, / chauffe-le à blanc, /qu'il te dénude, / assèche peut-être, / il terendra la vue » Ce que Charles Dobzynski dit là, on peut ledire de son poème, de sa langue, de son livre.

Le Rée l d 'à côtéregroupe trois chants,trois « totenlieder »,sidérants de force etde beauté (noires, sinoires). Ce livre estfeu. Parce qu'il tutoie

la mort, tente de la regarder dans les yeux ety réussit par éclairs (terribles). Il est composé de trois temps en crescendo :fausse présence présente dans le Chant 1, leréel d'a côté ; temps du chant solitaire ensuite,dans Le jour tient par le noir, avec l'alternancede poèmes de plusieurs vers et de distiquesaphoristiques et enfin les terribles pseudo-dialogues de la troisième partie, Dialoguepour suite, qui font songer par moments àla scène de l'échange entre la statue duCommandeur et Don Giovanni chezMozart. Ce sont là textes métaphysiques,apocalyptiques, allumés aux tisons jamaiséteints des camps : « La mort , vousconnaissez ? ». Florence Trocmé

Brooklyn : SketchesThierry ClermontMaelström éditions, 2005, 20 p., 3 €À chaque climat, la mémoire se livre sanséconomie à ses oublis, réveillant ses appétitspropres à la disparition : « Alors il fallait justeabandonner l’inconsolable On avait oubliéque la neige apaise tant et tant » Pourtant,au bord du souvenir qui fait de son temps sa

dérive, tel l’ailleursirrésistiblement séduitpar l’éternel, ThierryClermont enclenchele rêve d’en sortirindemne : « La petitevoix m’ ins i ste :trébuche dans tes

émois, avance et prends ta joie ! ». Il y a dusoleil dans cet hiver-ci où il est questiond’errances au rythme de blues, entreBrooklyn Bridge et Harlem Flophouse,d’ivresse du corps au sortir de silences : « Lesexe est ivrement absent, fou d’angoisses.Les abris de chair sont ivres ». Le désir devoir surprend la ruse du vraisemblable, quantà l’impossible, Thierry écrit encore que durerne se peut qu’évanoui par enchantement :« Ce que nous savons doit-il obséder ? » Dece « bookleg » – livre de l’instant, livret deperformance – i l nous faut écouterouvertement sa volonté d’en finir avec lenoir, par là même sa clarté de genre des plussincères. Laurine Rousselet

Le Corps étoiléIngrid AuriolRougerie, 2006, 70 p., 12 €« Où suis-je ? » La question est posée en l’undes premiers poèmes du recueil et IngridAuriol tente, de poème en poème, dequestion en question, de répondre. Derrièrece « où suis-je ? », se lit « où est – ce corps –perdu trouvé ? » mais aussi « qui de nosamours remembrera le corps défunt ? » etencore « pourquoi chercher tant de poux àma pauvre tête? » Les poèmes sont courtset denses, des femmes y dansent commedes songes, Sapho, Cassandre, Rebecca Lerêve et l’idéal se confrontent au réel le plus

ménager, dans une langue qui chantedoucement à l’oreille. Ingrid Auriol murmure,même lorsqu’elle crie ; elle enserre ses

douleurs dans unesoif inextinguible desoleil. Ses éclats depoésie ne se posentjamais sur une véritéou une sérénité, lalutte pour trouverune raison de vivre y

est constante, rien ni personne n’apporteconsolation, mais de par la grâce de l’écriture,nul ne serait coupable.« Ainsi vont toutes chosessomnambules et sans amerJe veux tout innocenterC’est définitif ». Daniel Crumb

Manuel de contemplationen montagneYves LeclairLa Table Ronde, 2005, 124 p., 13 €Yves Leclair ou le clair éveil« Qu’est ce que le monde veut dire ? Et s’iln’a pas de réponse à nous donner, pourquoifeint-il sans trêve un discours ? » GustaveRoud, Air de la solitude, « Point de vue ». Sans doute le recueil d’Yves Leclair par sanature, sa forme, sa composition mêmesimpose-t-il au lecteur de laisser émerger en

lu i les réfé rencesd’autres poèmes,d’autres émotions,d’autres désirs. Et c’estRoud – que Leclairconnaît bien – quivient continûment àl’esprit. C’est à coup

sûr le discours du monde que le Manuel decontemplation en montagne invite àentendre, à écouter, à déchiffrer, dans unacte – un non acte ? – d’accuei l , desoumission admirative, de réception poreuseet heureuse. Trois temps composent unensemble du jour – Matin, Midi, Soir –rythmant le silence et l’advenue au vol desoiseaux, au chant des vents changeants, aufrisson des sources et des torrents, auchuchotis des bruits divers, aux couleurs età la lumière tremblantes, comme naguèremâtines, vêpres et angélus du crépuscule. Etle journal intime se tisse des « choses vues »et des poèmes lus, réactualisant dans l’infinid’un temps humain les cheminementsspirituels de Bashô et les voyages de Leclairdans son ermitage d’altitude. Jean Jordy

Le Corps du sableFabio ScottoL'Amourier, 2006Composé d'extraits de La Douce Blessure,d'Anniversaire, de l'Intouchable, et du recueilBouche Secrète, le beau volume donné parL'Amourier est une infinie conversation avecl'aimée. Le lecteur y restera pris au souvenird'une image, d'un drapé, d'un tableau quin'a pas été peint. Le Corps du sable de Fabio

Scotto se lit commeune poignée de sablefin, chaud, qu'on laisseglisser entre ses doigts.Il en reste, longtempsaprès, l'insaisissableimpress ion d'unecaresse invisible, que

l'on perdrait à vouloir refermer la main. « J'ai nourri mon amour de jeûnela voix au cœur de mieldans le corps du sable (...) »J'écoute les poèmes de Scotto comme onépie deux amoureux à la table voisine d'uncafé ou de l'autre côté d'un arbre. La voixd'un homme, qui parle d'amour à unefemme. Qui parlait d'amour à une femme.« L'amour est une chanson pour personne »C'est mon droit d'espionne, ou de lectrice :

tous les mots d'amour me reviennent. Lecorps du sable a la couleur de l'absence.Sable des machines à tromper le temps etcorps d'imprimerie pour saisir l'insaisissable.Heureusement que les mots furent inscrits,car, tout près, c'est le noir néant, qui cerne lespoèmes et vit de silence. Hélène Cazes

Infinisterre suivi de CrashOlivier ApertÉditions Apogée, 128 p., 15 €Depuis le t roublant Comme auCommencement, paru il y a sept ans, onsavait la poésie d’Olivier Apert animalementchargée , cabrée dans sa quête dedévoilement. Ici, il a traîné ses doigts et regardssur les extrêmes, les pointes. Ceux de la terreet des sentiments à sec, celles de l’océan etde la chair qui monte. Bref, les promontoiresd’où tout bascule. Lisbonne à l’envers, boutsd’Europe, centres éperdus, tentatives dedéfinitions, torsions idiomatiques... On peutparfaitement lire Infinisterre et Crash commeautant de suites (au sens de réductionorchestrale) de rages inachevées : « Allongéécroui / ton corps car l ingue une /résurrection noire que tourmente le métal,ses pièces disparues flancs / dispersés dansla forêt , hé l ices R .A .F. du sub l imechantournées par / sa propre ivresse ».Jusqu’où le fildefériste Olivier Apert saura-t-il se jouer des limites ? Thierry Clermont

Un chant dans la nuitOlivier Salazar-FerrerDe Corlevour, 160 p., 16 €L’auteur nous entraîne dans un labyrintheéblouissant où l’on suit le fil d’une Arianeaussi subtil qu’incandescent. Tout y estdensité. Par son style élégant, raffiné, avecun petit écho suranné, intemporel et

nostalgique, il nousconvie non pas à une« errance » mais à uneperpétuelle Visitationde l’intelligence, dansun décor subl imé(Venise), où l’on glissedans les st rates

infimes du temps, dans l’encorbellementdes événements de naguère, dans lasensualité du sentiment. Nous y côtoyonsla Cour des Grands, ceux qui colorèrent desève intellectuelle les siècles récents. Le texteest hanté par les traces de Rilke, Mallarmé,Heidegger, Casanova, Neruda Peintres etmusiciens ne sont pas en reste. Tout estprécis, fulgurant, nourri d’une érudition quine sert pas à nous étourdir mais à nousdonner le regret de ne pas avoir participé àces fêtes insolites de l’esprit en compagnied’un Poète qui vouvoie l’absolu tout envirevoltant, léger, dans les velours d’uneséduction classique et envoûtante. Cecheminement nomade aux accentsphilosophiques est parsemé de pépites, depierreries, d’enluminures verbales. « Quandsaurons-nous lâcher tout ce qui estimportant pour devenir une feuille mortedans le vent de l’esprit ? » Trente chapitrescourts et ciselés. Une écriture d’orfèvre.

Éric Parisis

Œuvre poétique 1Abdellatif LaâbiLa Différence, 2005, 460 p., 30 €Voici rassemblés des textes de jeunesse, Lerègne de barbarie (1965-1967), des poèmesdes longues et terr ib les années del’emprisonnement, Sous le bâillon le poème(1972-1980) enfin ceux du retour à la vie,Discours sur la colline arabe (1985), L’Écorché vif(1986) qui permettent peu à peu de poserde loin un nouveau regard sur le Maroc (Tousles déchirements, 1990). L’écriture torrentueuseet limpide jaillit au cœur de l’évocation parfoisinsoutenable des tortures, exécutions,

Un fou parle seul,à ma place

Un fou parle seul, à ma place

Un fou parle seul à ma place, il dit

[ce qu’il me manque à dire

Il parle haut et fort, et ça me

[dévisage

Il parle haut et fort et moi,

[je le répète

Je répète ses mots mandibules

Je répète

Je crache des os

Je répète

Je crache des os

J’aggrave

Aggraver pousse les limites

L’incise est redoutable

Parfaite la tremblante : Du manque

[à dire

Du manque à dire

Du manque à me dire tiens debout

Je tiens debout par le silence

Je hurle le cri blanc, la flèche

Je crispe le soleil dans mes mains

La ligne frontale traverse

Je répète les mots mandibules

Les mots qui me disent tout moi

Je les redis dans une mastication

[sauvage

Un fou parle seul ça me brûle

Un fou parle seul et moi

Et moi dedans je le répète

Je le répète et tout dans moi

Se craque et se dévisage

La cassure est du manque à dire

Du manque à dire

Du manque à dire me bouleverse

Je brûle dedans tête, derrière figure

Ça fait un cri coup de bâton

Un cri qui coupe à la brisure

Le cri d’un fou qui se brûlure

Se douloureuse

Se douloureuse

Il hurle le fou, il gueule

Dedans tout moi un fou qui flambe

Qui craque du manque partout

Du manque à dire

Du manque à dire

Du manque à dire

Du manque à dire

��� MARCHÉ DES LIVRES

Édith Azam

Page 15: Numéro 6 été 2006 - marche-poesie.com

NUMÉRO 6 été 2006 15

enfermements : « j’en appelle / à un nouveaulyrisme / qui réinsère l’homme / dans nosœuvres de beauté ». Du centre de détentionen plein désert, menacé de mort et d’oubli,

il lance : « Connaissez-vous / la dernière demes hérésies ? / Vousne me croirez pas /mais moi / je chantel’amour heureux ». Ilrésume a ins i saposition : « Je n’aijamais r ien eu à

vendre / Un ange déchu / qui ne se résignepas / je veux bien être cela » et celle de sapoésie : « C’est ma vie / que je mets enmots / que je traduis en images / plus oumoins heureuses ». Une poésie plus quejamais associée au mot-clé Souffles auquel onajoutera « de vie » exprimée dans « les parolesdu provisoire ». On attend avec impatienceles autres volumes !

Dominique Ranaivoson

PerfectionClaude MinièreRouge profond, 2005, 10 €À la recherche de la perfectionNe dit-on pas frôler la perfection ? Ce serait,mais dans un sens autre que le sens habituel,ce que fait ici Claude Minière. La perfection,il tente de l'effleurer, de s'en approcher, avecdes mots simples, avec l'aide de quelquesgrands aînés à peine sollicités, Héraclite,Hölderlin, Barnett Newman, Tchouang-Tseu.Car il sait bien que la perfection ne se laisse

jamais fixer ou figer.Que même si elle «br i l le pas son ab-sence », elle est là,souvent, bien mieux,bien plus qu'on neveut, qu'on ne peutle croire. Alors pour la

frôler, l'effleurer, il procède un peu commequi voudrait mettre du sel sur la queue d'unoiseau, il change de tactique, un aphorismeici, un croquis là, une méditation ailleurs. Enà peine quarante textes, écoutant, regardant,laissant se faire « l'irruption d'un bonheur ». Perfection inaugure symboliquement lacollection « Stanze » des éditions RougeProfond, dont la direction éditoriale estassurée par Guy Astic et Christian Tarting.Une collection qui voudrait « traiter lesquestions d'esthétique (contemporainesmais aussi plus anciennes) selon uneessentielle logique d'écriture – reconnaissantlà une condition première à la vitalité de lapensée ». Florence Trocmé

De la plus haute tourAndré Lagrange,frontispice de A. Jaume-Boyé, E.C. Éditions, 2006, 106 p,. 15 €Voici le quatrième ouvrage qu’AndréLagrange dist ingue de ses « œuvrespoétiques » en le nommant « essai » et en lesous-titrant « Libres pensées ou autres ».Une telle nomenclature ne tromperapersonne : c’est toujours, en dépit dequelques références apparemment« historiques », de quelques bribes desouvenirs peut-être en partie inventés,

d’un emploi franc du« je » , l a mêmerumination poétique,la même erranceurbaine et maritime,la même quête têtueet pathétique d’unchemin dans et par le

langage, d’un contact toujours en voied’abolition, de « Signifiances en demeure ».Cette parole trouée d’informulé, commevenue d’ailleurs, désancrée, est belle, sansgrandiloquence, mais sans concession.

Étrange, interrogative, fragmentaire,inachevée, elle n’impose rien, elle en impose,par sa gravité désenchantée. Sous l’œil despasseurs aimés, Cocteau, Apollinaire, et lecher Breton, l’imagination célèbre sa liberté,et le pouvoir de l’écrit : non dans sa forced’assertion, mais dans sa capacité à ajouterdu trouble, du porte-à-faux dans notrelecture du monde. Plus que jamais, l’écritured’André Lagrange nous entraîne en utopie.

Claude Debon

Haies vivesVéronique JoyauxÉditions de l’Idée bleue, 2005, 96 p., 12 €Dire le présent renouvelé de notre relationau monde, la force et la fragilité de ce lienténu, tissé de « ces gestes qui cherchent àsurvivre », de ce « vivre furtif », ce lien à fleurde peau, où s’entremêlent indissociablementaccord et rupture, fusion et solitude, lisièrespressenties d’une tragédie toujours possible.Dire, ou plutôt laisser parler les mots, aurisque de la dissonance, « les mots encore /comme une résurgence », « affleurement »,« source à saisir au cœur du silence », desmots à claire voix, des mots d’eau claire et desoirées d’été, pour une écriture à vif, attentive,une parole frémissante et pudique.

Pierre Maubé

Juste làYves JouanDumerchez, 2006, 17 €Juste là : polysémie de ce beau titre.Simplement là, mais aussi là à l'endroit exactoù et juste, au plus serré, au plus près. Livreécrit sur le rebord du silence, silence où logece « là », silence où retourne le poète lorsqu'ilrencontre un « butoir ». Livre sur l'écriturecomme détecteur de « l ' i r révé léimprobable », qui est là et qui est le seulantidote du rien. Une écriture qui se révèlepetit à petit, comme la photo dans le bain,qu'il est bon de parcourir et reparcourir pourla laisser venir à soi, écriture qui creuse son

l i t , qu i épouse lemouvement de lamarée. Mer et rivières,cours et flux sont trèsprésents de mêmeque l'oiseau auquel lepoète « momie deplumes » , semble

parfo is s ' ident i f ier comme en unephylogenèse inversée. Remontant du présentà « l'oiseau préhistorique » : « Là / quandla clarté / noire ou diurne l'emporte / surle dépôt / un Narcisse prudent / parlepour troubler / la surface / des eauxmémorielles ». Juste là, à l'interface entre le poète et lemonde, au point focal du sens ? Là, où tout« se tient / en réserve ». Juste là.

Florence Trocmé

Superadobe Jérôme MaucheLe bleu du ciel, 2005, 25 €Esthétique moche Superadobe de Jérôme Mauche proposequelque chose comme une post-poésieépuisée, assouplie aux limites de la plasticité,caoutchouteuse. Des petites prosesétrangement amorphes y posent enéquilibre instable de minces portraits de noscontemporains, caricaturaux, grimaçant dansd’étranges désarticulations narratives,

torsions syntaxiquesaux parcoursacc identés , vo i re« scratchés » . Desproses plus longuessont des excèslogorrhéiques de nos

logorrhées actuelles, sorte de cauchemarde prose . On pourra i t par ler d ’un

baroquisme spontané, mu par un douxdélire, perte de contrôle avec atterrissageforcé dans les plis, désinhibition littéraire,captation en live d’une certaine conditionde l’homme moderne, bégayante, foireuse,fin de partie d’une télé-réalité déjantée.Quelque chose comme un burlesque atonedéstabilise toute figure, et le beau risque quefait courir l’auteur à son livre tient dans cettesorte d’idiotie plate, ironie sans objet, ou dontl’objet nous échappe. Xavier Person

L’Inadéquat(le lancer crée le dé)Florence PazzottuFlammarion, 2005, 15 €Il y a quelque chose de philosophique, plussans doute même, de quas imentontologique dans cette poésie-là qui restepourtant de la poésie . Sans aucuneambiguïté. L'Inadéquat est composé deplusieurs séquences, très différentes. Maisqu'il s'agisse des 24 textes de Les Attendus,dynamisés par le balancement d’une page àl’autre, ou des Inconférences, qui font penser

fugitivement à Natha-l ie Sarraute , onéprouve une mêmejouissance de lecture,autant intellectuellequ’esthétique. Aveccette conv ict iond’être devant un

texte contemporain, de soi, de ce monde-là,de soi dans ce monde-là. De la pensée irriguela langue pour avancer dans l’incompris, ledifficile à dire, l’impossible à dire. FlorencePazzottu use de toutes les ressources de lapoésie, en virtuose. Il faut laisser le sens flasherentre les tournures, la parole tâtonnante(mais si belle, la langue, si subtil, l’usage deses ressources, si libre, l’exploitation de lasyntaxe) susciter des images intérieures,images sans images, images de pensée,pensées-images, pensée peau des mots. Àmon sens un livre majeur.

Florence Trocmé

Victor Hugo « celui quipense à autre chose »Danièle Gasiglia-LasterPortaparole, 2005, 8 €Dès l ’ introduction, l ’auteur s itue lepersonnage : un homme moderne,d’engagement et de conviction. Elle montrela « perméabilité » du jeune Hugo auxévénements et aux petites choses etcomment grâce à son imagination et à songénie, elles deviennent littérature : roman,poésie, théâtre. I l ne s’agit pas d’une

biographie exhaustivemais plutôt de fairecomprendre aulecteur qui est cethomme à travers sonexpérience de vie :une v ie longue ,presque un s iècle

traversé, des engagements personnels etpolitiques, des amitiés, des inimitiés, desbonheurs et des malheurs. Victor Hugo aenterré trois de ses enfants, sa femme et samaîtresse. Il a connu les grands hommes deson époque : hommes de lettres, politiquesPas de détails graveleux sur sa vie privée maisjuste l’essentiel pour mieux appréhenderl’homme et l’œuvre.L’auteur s’attache essentiellement à lamodernité du personnage et essaie dedéterminer les influences qu’a pu avoir VictorHugo sur les générations suivantes, MarcelProust, par exemple. Une bonne initiationà la vie et l’œuvre de Hugo. À conseiller àun public de non initiés.

Ghislaine Brault-Molas

Polynésie-Poésie suivi de La Poésie, c’estLoïc HerryLes Écrits des Forges, 66 p., 10 €Loïc Herry, rongé et pressé par le cancer quiallait l’emporter en 1995, profita d’unerémission pour visiter la Polynésie avec sacompagne, entreprenant là un voyage dansle fantasme d’un paradis sur terre, dont ilte nta de mimer menta lement etpoétiquement la disposition géographique.C’est pourquoi les poèmes esquissent unecarte de tendresse dans l’éclat des sens,

évoquent d’intensesfiançailles des corpset de la terrepolynésienne, « grainde terre », « océancutané », jusqu’à lafus ion érot ique ,« courbe cambrée ducocotier dressé/sur le

lagon », au rythme d’une émouvante luciditéqui s’appuie sur le dérisoire et la dérision dèsle redoublement plosif au titre (Po/Po),propage cependant par tout le l ivrel’assonance amoureuse en « i » qui faitentendre une onde de vie jusqu’au cœurdu prénom de l’aimée, Christel, y déposeun dernier message avant de disparaître : iln’y a peut-être pas de paradis sur terre, maissi on se laisse envahir par « le goût de la vie »,on peut reconnaître « la Beauté ».

Jean-Pascal Dubost

Gustave Roud, une solitudedans les saisonsGérard Titus-Carmel Jean Michel Place/poésie, 2005, 126 p., 11 €Selon le fécond principe de la collectionanthologique de poésie de l'éditeur Jean-Michel Place, un poète parle d'un autrepoète, avant que soit donné un choixsubstantiel de textes. Gérard Titus-Carmel,poète et peintre, se penche sur GustaveRoud, poète etphotographe. C'est un beau texte que donne Titus-Carmel,sorte de méditation sur l'œuvre de GustaveRoud, comme s'il explorait la figure intérieure,

très mélancolique,qu'il s'est constituéeà la lecture de l'œuvrede ce dernier. « Poètesuisse né en 1897 dansle canton de Vaux etmort soixante-dix-neuf ans plus tard à

Moudon », qui n'aura quasiment jamaisquitté sa région natale, où il vécut à l'écart dumonde, attentif à la nature et aux travauxdes champs, observant, écoutant, arpentantle paysage alentour en « interminablesmarches solitaires » et photographiant. Dans la partie anthologique, on découvrequelques-uns des plus beaux textes deGustave Roud et une quinzaine de sesphotos, choisies en contrepoint. Ce livre jouepleinement son rôle, donner envie de lirel'œuvre de Gustave Roud, éditée en troisvolumes à la Bibliothèque des Arts àLausanne. Florence Trocmé

Prosopopées urbaines,anthologie poétiqued’inéditsDesnel, 2006, 192 p., 17,80 €Dix-huit poètes francophones évoquent laville ou leur ville. Fort-de-France parce quela coordinatrice Suzanne Dracius place entête d’ouvrage un bref entretien avec AiméCésaire, puis Paris, Sarajevo, Jacmel, Port-au-Prince, Narbonne et la ville au singulier dechacun. Les poètes originaires de Corse, Haïti,Maurice, Paris , Tunisie, Guadeloupe,expriment leur rage, leur désarroi, leurbonheur, de dire un lieu de vie, de perte, demémoire, un lieu de vérité ou de mascarade,un « espace / trace / territoire » personnel.Ils se disent aussi eux-mêmes à travers lesprésentations détaillées. Plusieurs textes dupoète sénégalais Birago Diop sont ajoutés àce recueil qui permet surtout de rassemblerdes écrivains francophones contemporainsautour d ’un thème commun. Re -connaissance et découverte font lire RenéDepestre puis Maguy Durcé, AmadouLamine Sall puis Valérie Livory, les aînésouvrant la voie aux « autres urbains ». Tousécoutent cette ville qui « apprivoise lesinvisibles / et s’ouvre à la magie des mots ».

Dominique Ranaivoson

Tu es un bombardieren piqué surdouéPascale PetitLe bleu du ciel, 2006, 64 p., 10 €Elle pique sur moi, dans ce livre largementrédigé à la deuxième personne, plutôt endentelle pour œuvrer finement entreréférences et expériences, ponctuant le fluxde ses lignes d’un : « qu’est-ce que tu fais ? »Pascale Petit me tutoie et reprend dans ungeste quas i tendre les c l ichés de lanormalisation pour les faire respirer entreses pages. Je lis. Je relis. Une trentaine de pages plusloin et bien familiarisée avec le tutoiement,soudain, tout ce que j’ai pu m’appropriergrâce à cette adresse : phrases, espaces,questions, se dérobe pour se serrer en blocssuivis, sans virgules, pas mélangé pour autant,autour d’une première personne.

Les dictionnaires Français-Sirène, ou Sirène-Poisson rouge pourraient aider à déchiffrer,s’il y avait là le vrac de l’origine, la matière dela première partie, mais ce n’est ni vrac ni à

déchi ffrer, c ’estaussitôt une liste dephrases numérotésde 5 à 61 qui s’ensuit.Certains numérosmanquent et telaissent de l’espace.

Tu les connais, tu ne te souviens pas, turecommences à lire. Jusqu’à la dernièrephrase de la dernière page : « 61/ nous noussommes laissés séduire. » Sabine Macher

L’Origine du désirArnaud Pelletier, illustration de couvertureet tirage de tête de Francis GuryDumerchez, 2005, 64 p., 15 €Incipit Arnaud PelletierPuisque n’êtes plus que mots, par ellipsesn’en découdrait que ce qu’en avez dit, àvotre insu, mot pour mot : « Je conseille cesparoles du scorpion contagieux. Le Meurtreet l’Écriture de l’offrande, paraboles. Le palde ce présent demeure intact et pur. Ladétestation accoste à mes rivages. Le désirentame sa destruction. Je me donne. Qu’onfinisse ce corps. Depuis trois mille ans jevomis. La Glossolalie, en cercles autour dela sibylle, censure le sens commun. Le déliredes chamans dilate l’être. Inventons le dernierchant d’amour pour atteindre la membranedivine en la Géhenne. Toute parole, mort

parlée ? Du néantsept fois ta boucheaux forceps va naître.Je suis du signe dusexe. Écrivez-moimon nom. La poésiesouffre de l’encremorte. Je la nomme

l’incessante sueur de la folie, je multiplie, jecontamine l’encre pleine de L’Enfant Innée.J’ai nourri l’apocalypse réversible à la languedes entrailles. Désormais je veux participerde la Divinité à la vitesse de l’éther. Je suis lepoète en devenir. Je porte Le Livre à errer dela cruauté après la tombe. Toute blessurecèle un sens. » Tristan Felix

Vis-à-vis Invia suivi de l'État poétiqueGeneviève Pastre Éditions Geneviève Pastre, 2005 Trois états de la matière poétiqueCe sont trois états de sa matière poétiqueque Geneviève Pastre, que l'on connaît bienpour ses engagements politiques et en faveurdes sexualités, nous offre. De la poésied'expression, vivante, narrative souvent,relèvent la trentaine de textes qui composentVis-à-Vis, titre emblématique de la posture

de l'auteur dans lemonde, accueil etre gard . Su i t I nv i a(emprunté à Lucrèce),petits blocs poétiquespresque oraculaires.Non pas écr i tureautomatique mais

écriture pure : « fuyant le sens, la continuité,la logique, l'expression de mes sentiments, demes émotions, de mes ébauches d'idées, jebifurquais sans cesse afin [...] d'aller versl'inconnu ». Dans l'État poétique enfin,l'auteur donne un bref et dense essai, livrant« réflexions/fricassées, tours et retours » etouvrant son enfance, son intimité, sespaysages clés (Le Rhin, les Causses). Ce livredans sa diversité est un livre de désir etd'espoir comme le laisse entendre sa coda« la splendeur du monde, l'immarcescibledésir de vivre, la profondeur des désirs et laquête de l'amour. Même trébuchante laparole renaîtra » Florence Trocmé

VIENT DE PARAÎTREJean-Luc Parant

Jean-Louis Giovannoni

Serge PeyArlette Albert-Birot

��� MARCHÉ DES LIVRES

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