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Génération adhésion Clinic 2013 ; 34 : 413-417 413 Nouvelle approche des restaurations adhésives en composite du secteur antérieur : la shell technique modifiée Les restaurations directes du secteur antérieur à l’aide de résine composite se sont imposées en trois décennies comme une thérapeutique fiable, esthétique et économe en tissus. Toutefois, leur mise en œuvre s’avère d’autant plus complexe que la perte de substance est volumineuse ou qu’elle s’intègre dans une restauration globale du sourire. L’approche semi-directe de tels cas constitue alors une intéressante solution de remplacement aux restaurations indirectes (facettes…) : elle permet d’associer l’esthétique et le faible coût financier de la technique directe à une gestion en extrabuccal, plus aisée. et de réfection – reste une solu- tion intéressante [5]. Toutefois, dans les cas complexes où les restaurations sont multiples, la maîtrise des formes, des posi- tions et de l’état de surface ren- dent la technique « directe » dif- ficile et chronophage [6]. Or, de récentes publications ont montré des restaurations complètes d’ar- cades érodées ou abrasées par une approche purement additive et adhésive, à l’aide de tech- niques semi-directes ou indi- rectes [7-10]. Ces restaurations semi-directes, dites de la shell technique (tech- nique de la coquille) [11], asso- cient la facilité de mise en œuvre du composite, la rigueur de la réalisation sur modèle et un temps de travail en bouche sup- portable pour le patient [12-14]. Le principe est le suivant : réali- sation en dehors de la bouche d’une coquille vestibulaire et incisale en composite « émail », qui sera ensuite rebasée à l’aide de composite « dentine », et mise en place sur les dents abrasées sans aucune préparation. Voici donc posées les bases de l’acte que nous vous proposons de détailler à présent grâce à un cas clinique. Cas clinique Mme H., 56 ans, nous consulte pour une restauration globale avec une demande esthétique des secteurs antérieurs maxillaire (réfection bridge 21-23) et mandi- bulaire (dents « raccourcies »), et la volonté « d’éclaircir son sourire ». L’examen clinique révèle une diminution de l’étage inférieur de la face traduisant une perte de G râce à l’évolution des maté- riaux et à l’optimisation des procédures cliniques adhésives [1], les indications des restaura- tions en composite se sont mul- tipliées au point de devenir incon- tournables dans l’arsenal thérapeutique de tout praticien. Elles permettent de restaurer les dents de façon fonctionnelle, durable et biomimétique [2, 3] tout en respectant le principe d’économie tissulaire [4]. Cette nouvelle dentisterie, additive et esthétique, remplace celle qui fut longtemps enseignée en pro- thèse conventionnelle, par sous- traction de tissus sains. Si la céramique reste pour beau- coup le matériau de choix dans le secteur antérieur, le composite – grâce à ses propriétés méca- niques et optiques, son faible coût, sa facilité de mise en œuvre Académie de dentisterie adhésive Dr Cédrik BERNARD, Paris Dr Antoine OUDIN, Cannes

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Nouvelle approche desrestaurations adhésives encomposite du secteur antérieur :la shell technique modifiéeLes restaurations directes du secteur antérieur à l’aide de résine composite se sont imposées entrois décennies comme une thérapeutique fiable, esthétique et économe en tissus. Toutefois, leur mise en œuvre s’avère d’autant plus complexe que la perte de substance est volumineuse ouqu’elle s’intègre dans une restauration globale du sourire. L’approche semi-directe de tels casconstitue alors une intéressante solution de remplacement aux restaurations indirectes (facettes…) :elle permet d’associer l’esthétique et le faible coût financier de la technique directe à une gestionen extrabuccal, plus aisée.

et de réfection – reste une solu-

tion intéressante [5]. Toutefois,

dans les cas complexes où les

restaurations sont multiples, la

maîtrise des formes, des posi-

tions et de l’état de surface ren-

dent la technique « directe » dif-

ficile et chronophage [6]. Or, de

récentes publications ont montré

des restaurations complètes d’ar-

cades érodées ou abrasées par

une approche purement additive

et adhésive, à l’aide de tech-

niques semi-directes ou indi-

rectes [7-10].

Ces restaurations semi-directes,

dites de la shell technique (tech-

nique de la coquille) [11], asso-

cient la facilité de mise en œuvre

du composite, la rigueur de la

réalisation sur modèle et un

temps de travail en bouche sup-

portable pour le patient [12-14].

Le principe est le suivant : réali-

sation en dehors de la bouche

d’une coquille vestibulaire et

incisale en composite « émail »,

qui sera ensuite rebasée à l’aide

de composite « dentine », et mise

en place sur les dents abrasées

sans aucune préparation.

Voici donc posées les bases de

l’acte que nous vous proposons

de détailler à présent grâce à un

cas clinique.

Cas cliniqueMme H., 56 ans, nous consulte

pour une restauration globale

avec une demande esthétique

des secteurs antérieurs maxillaire

(réfection bridge 21-23) et mandi-

bulaire (dents « raccourcies »), et la

volonté « d’éclaircir son sourire ».

L’examen clinique révèle une

diminution de l’étage inférieur de

la face traduisant une perte de

Grâce à l’évolution des maté-

riaux et à l’optimisation des

procédures cliniques adhésives

[1], les indications des restaura-

tions en composite se sont mul-

tipliées au point de devenir incon-

tournables dans l’arsenal

thérapeutique de tout praticien.

Elles permettent de restaurer les

dents de façon fonctionnelle,

durable et biomimétique [2, 3]

tout en respectant le principe

d’économie tissulaire [4]. Cette

nouvelle dentisterie, additive et

esthétique, remplace celle qui fut

longtemps enseignée en pro-

thèse conventionnelle, par sous-

traction de tissus sains.

Si la céramique reste pour beau-

coup le matériau de choix dans

le secteur antérieur, le composite

– grâce à ses propriétés méca-

niques et optiques, son faible

coût, sa facilité de mise en œuvre

Académie de dentisterie adhésive

Dr Cédrik BERNARD, Paris

Dr Antoine OUDIN, Cannes

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dimension verticale d’occlusion,

certainement liée aux différentes

restaurations prothétiques pos-

térieures inadaptées. On remar -

que une usure amélaire vestibu-

laire du secteur antérieur

maxillaire droit avec des dents

légèrement linguo-versées.

Le plan de traitement consiste :

• en postérieur, à augmenter la

dimension verticale d’occlusion en

reprenant les restaurations posté-

rieures prothétiques des secteurs

2 (24, 25, 26), 3 (35, 36, 37) et 4

(44, 45, 46, 47) : des couronnes et

des bridges provisoires à la nou-

velle dimension verticale d’occlu-

sion seront dans un premier temps

mis en place afin de valider le pro-

jet. Des restaurations additives

adhésives (composites directs)

seront réalisées dans le secteur 1 ;

• en antérieur à la mandibule, à

réaliser des composites semi-

directs selon la shell technique

(objectifs : augmenter la longueur,

améliorer l’aspect vestibulaire et

éclaircir) ;

• en antérieur au maxillaire, à res-

taurer le secteur 1 (15 à 11) par des

restaurations adhésives en céra-

mique (facettes) et par un bridge

céramique conventionnel pour le

secteur 2 (21 à 23).

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3

La patiente présente des restaurations prothétiques inesthétiques, une perte de dimension verticale d’occlusion se traduisant par un

recouvrement incisif important. On remarque une abrasion occlusale marquée des incisives mandibulaires. Wax-up mandibulaire à

la nouvelle dimension verticale d’occlusion (réalisation : laboratoire Art’N Smile, M. Sébastien Mosconi).

1

2 3

Modèle en plâtre issu d’une empreinte

silicone un temps deux viscosités.

Modèle silicone (Quick Die®, Bisico) issu

d’une empreinte polyéther (Impregum®,

3M ESPE) qui permettra le rebasage direct

des coquilles en composite.

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8

4

5 6

La dimension verticale d’occlusion est rétablie par des restaurations prothétiques provisoires correspondant au projet prothé-

tique et permettant ainsi d’envisager la réalisation des composites semi-directs dans le secteur antérieur mandibulaire.

Situation au moment de l’empreinte. Le choix de la teinte émail (UE3 Enamel HRI®, Micerium) est décidé en accord avec la patiente, la

teinte dentine est choisie pour le secteur antérieur mandibulaire (UD3,5 Enamel HRI®, Micerium). L’ouverture des points de contact

grâce à un strip abrasif a été réalisée afin de faciliter les étapes de laboratoire, mais aucune autre préparation n’est effectuée.

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Wax-up antérieur mandibulaire restaurant esthétique et fonction (M. Sébastien Mosconi). Une empreinte du wax-up diagnostique

est effectuée avec un silicone transparent (Memosil®, Heraeus Kulzer). Les « coquilles » vont être réalisées une par une afin d’optimi-

ser l’adaptation dès la première phase. Le composite émail choisi (UE3 Enamel HRI®, Micerium) est mis en place au niveau de la face vesti-

bulaire et de la partie incisale de la dent sélectionnée, à l’intérieur du guide en silicone transparent, sur une épaisseur inférieure à 0,5 mm.

9 10

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Le guide en silicone est ensuite repositionné sur le modèle en plâtre préalablement isolé avec une couche de silicone liquide (Rubber

Sepp®, Kerr) afin de presser le composite sur la dent. La photopolymérisation est effectuée à travers le guide en silicone transparent

(1 min). La coquille d’émail obtenue est ébarbée puis repositionnée dans le guide : le composite teinte « dentine » (UD3,5 Enamel

HRI®, Micerium) est appliqué, puis l’opération de pressage/photopolymérisation est répétée. Résultat obtenu après ébarbage rapide.

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16

Des rajouts de composite émail sont éventuellement effectués sur le modèle en sili-

cone afin d’améliorer l’adaptation de la coquille, dans les zones proximales par exemple.

La restauration obtenue est ensuite repositionnée sur le modèle en silicone, préala-

blement sectionné en modèle positif unitaire, et rebasée à l’aide de composite fluide photopolymérisé à travers la coquille en place.

15 et 16

17 et 18

Les restaurations sont ensuite

polies au niveau des bords et reposition-

nées sur le modèle en plâtre initial afin

d’ajuster les points de contact.

19 et 20

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Conclusion

La shell technique permet donc

de gérer des cas complexes

antérieurs à l’aide de restaura-

tions composites. L’absence de

préparation combinée à la maî-

trise de l’adhésion aux tissus den-

taires permet de respecter les

principes d’économie tissulaire et

de s’inscrire ainsi dans une den-

tisterie idéale, purement additive

et surtout très esthétique. Le travail

extrabuccal à partir du wax-up

diagnostique facilite l’obtention

d’un état de surface optimisé

(absence de porosité liée à la

mise en forme par pression du

composite) et une gestion avan-

cée des formes et de la fonction,

la longévité de ces réhabilitations

n’en étant que meilleure.

Il s’agit donc d’un traitement pou-

vant remplacer les facettes en

céramique, qui trouvera toute son

indication lorsque le coût sera un

frein à l’acceptation du traitement

par le patient.�

21

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22

23

L’étape finale consiste à réaliser la macrogéographie et la microgéographie de surface et le polissage [15-16] (fraise flammebague rouge, obus silicone Komet, disque brosse en poils de chèvre puis en coton Micerium).21, 22 et 23

Après essayage clinique avec une pâte d’essayage, les restau-rations shell sont collées sous digue unitaire, à l’aide d’une collesans potentiel adhésif photopolymérisable ou du composite derestauration utilisé en teinte dentine :

• nettoyage des surfaces dentaires/microsablage ;

• application d’acide phosphorique pendant 30 s sur l’émail et 15 ssur la dentine ;

• application du système adhésif sur les surfaces dentaires (primer

+ adhésif) (Optibond FL®, Kerr) ;

• microsablage de l’intrados des coquilles et application d’unefine couche d’adhésif afin d’améliorer la mouillabilité de la colle ;

• application de la colle (NX3® version photopolymérisable, Kerr)dans l’intrados, mise en place de la restauration. Élimination duplus gros des excès et photopolymérisation ;

• après dépose de la digue, finition puis polissage.

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Bibliographie

L’Académie de dentisterie adhésive (ADDA) a étéfondée en 1998 par notre maître, le Professeur MichelDegrange pour promouvoir une dentisterie adhésive,esthétique et peu invasive notamment par le biais deses fameuses « Batailles de l’adhésion ». Nous nousapprêtons à vivre la 80e étape de celles-ci et en sommestrès fiers.Cette association se veut une structure de formationcontinue à dimension humaine. De par nosmanifestations, nous cherchons à répondreconcrètement aux attentes de nos confrères etmembres, et à leur donner des « recettes » pratiquesapplicables dès le lendemain dans leurs cabinetsdentaires. Notre programme se composenaturellement de formations théoriques, mais aussi, et c’est là notre richesse, de journées de travauxpratiques. Car pour l’ADDA, l’apprentissage passetoujours par la pratique. Nous développons ainsi denouvelles thématiques (les matériaux d’assemblage en

prothèse, les inlays-onlays esthétiques, les contentions,la stratification des composites, etc.) pour répondre àtoutes ces situations cliniques où le collage estaujourd’hui devenu incontournable. Nos TP ont lieunon seulement dans toute la France, mais aussi au-delà de nos frontières puisque nous avons organisédes journées pratiques en Belgique et au Canada, et espérons continuer à les faire voyager.Notre but : démystifier certains actes, démocratisercertaines techniques, donner de nouvelles armesthérapeutiques à nos confrères. Bref, continuer à fairedécoller la pratique quotidienne de nos cabinets enpromouvant une dentisterie la moins invasive possible.Le tout en restant toujours très pratique et dans uneambiance amicale !Notre actualité est accessible sur notre page facebookainsi que sur notre site adda-idf.fr, et nous répondonsavec plaisir à toutes les questions de nos confrères vianotre adresse mail : [email protected]

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