nos années sauvages - apprivoiser

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Prologue : Apprivoiser

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Page 1: Nos Années Sauvages - Apprivoiser

Prologue : Apprivoiser

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Nos années sauvages, l’histoire d’un oiseau mystique, un oiseau sans pattes.

«No place to call home, no place to land». Un oiseau qui s’endort dans le vent et ne se pose qu’une fois, le jour de sa mort.

Cette édition préfigure un projet en trois parties. Une pièce en un seul acte, avec prologue et épilogue.

Deux autres éditions (Domestiquer et Achever), verront donc le jour dans quelques mois.

Un début et une fin programmés. Une naissance inattendue, une mort annoncée.

Un prologue : Apprivoiser

Apprivoiser l’animal, apprivoiser l’homme, apprivoiser un public.

Se confronter, expérimenter, puis convaincre, séduire.

Poésie, réflexion, chamanisme. Renouer avec la nature, s’en servir, s’en vêtir et au delà : s’en nourrir. Créativité matérialisée,

fusion des écritures et des approches, combinaison des styles, melting pot non exhaustif d’une thématique renouant avec nos

instincts. Nos Années Sauvages, jeunesse, envies, énergies, échanges, partages, rencontres. Une réflexion spirituelle sur notre

nature intrinsèque, ses racines, sa magie, notre passé, notre présent et notre avenir.

Objet prototype né d’une tentative commune de faire «bien», de faire «beau», ce premier fragment raconte donc la naissance

d’un projet. Un projet qui se voudrait indépendant de toute règle, de tout préétabli, de tout impératif, qui existerait en soi et

pour vous, et qui poserait ainsi un premier constat, réunissant déjà de nombreux talents aux pratiques diverses.

Fédérer, confronter. Se jouer des rôles, se jouer du langage.

C’est avec plaisir, folie et humilité teintée de séduction que nous vous présentons cette édition, cette première équipe et ces

diverses productions sélectionnées par nos soins pour mettre en exergue ces thématiques que sont l’animalité et la nature

humaine. Ce sont Nos Années Sauvages, ne cherchez pas à tout maîtriser, laissez vous guider, laissez nous vous apprivoiser.

Thomas Cartron & Sylvain Wavrant

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Le chamanisme réunit l’homme et l’ensemble de la création. Croyance, science, connaissance. Le chaman est un être humain qui devient après de longues années d’initiations et de formations, l’intermédiaire entre le monde terrestre et le monde des esprits, des morts et des dieux. Il voyage dans le domaine de l’invi-sible. Renouant avec les forces de la nature, il est à la fois prêtre, sorcier, devin, et guérisseur, par les soins qu’il apporte aux personnes qui font appel à lui. Faire tomber la pluie, attirer le gibier, nommer un enfant ou encore faire du tort à un ennemi font partie de ses attributions. Cet être possède le pouvoir de dialoguer avec les esprits de toute chose. Selon les croyances cha-maniques, toute création, de la montagne au ruisseau, en passant par le règne végétal, animal et minéral possède un esprit définissant sa nature même, son rôle, son existence.

Le chamanisme serait la plus ancienne des croyances. Nos ancêtres du paléolithique portaient déjà un intérêt tout particulier au monde naturel, ils respectaient la nature, celle-ci leur apportant de quoi survivre, se vêtir et se protéger.

En arborant la dépouille de l’animal tué lors de la chasse, l’homme absorbait son esprit et sa force. Dents, ossements, griffes, cornes, peaux et plumages se voyaient dès lors transformés en parures et talis-mans venant apporter protection aux hommes. Ces pratiques, cette connaissance du monde naturel se retrouvent dans toutes les civilisations. Dans chaque communauté réside également un chaman, sorcier ou sorcière dira-t-on, vieillard détenteur de pou-voirs, guérisseur ou autre personnage détenteur de la connaissance des plantes et des animaux, en harmo-nie avec le monde de la forêt. Plus qu’une religion, le chamanisme renoue avec les origines de l’homme et lui permet d’être en communion avec la nature des créations qui l’entourent.

Selon les rites chamaniques, tout homme possède un animal Totem, c’est a dire un représentant dans le règne animal sensé être la projection de sa personna-lité, de son caractère primitif et naturel. Cet animal Totem peut être découvert lors de certains type de

transes ritualisées. Ce Totem révèle la part animale de chaque être humain, équilibrant ainsi ces deux na-tures, son esprit et son instinct, son corps et son âme.

Les tenues et accessoires qui vont vous être pré-sentés au fil de cette édition en trois parties tendent à exprimer de manière stylistique ces Totems, cette part animal enfouie en chacun de nous.

Nos Années Sauvages, c’est également ceci, un prétexte à la matérialisation de cette thématique qui ressurgit de toute part, notre vision de l’homme et de l’animal, notre désir de révéler ces Totems au public.

Sylvain Wavrant

Shramana

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Sauvage et encore indomptée, la forêt ne prêta aucune attention à cet homme déterminé qui la parcourait d’un pas vif et léger. Il ne pouvait y avoir d’autre raison à sa venue qu’un peu de nourriture. Les animaux et les fruits, ici en quantité pouvaient être partagés.

Mais les hommes, comme celui qui traverse la forêt ont parfois de drôles d’idées.

Aucune nourriture ne l’intéressait, seul un buisson perché sur le versant d’une colline l’obsédait. La nature pensait ce secret bien gardé.

Caché dans un lieu sombre, étroit et sans chaleur, il y avait un buisson dont le feuillage ne subissait pas le changement des saisons. Et bien qu’elle soit généreuse et accueillante, la forêt ne pouvait pas tout accepter.

Elle se mit en colère, plus aucun bruit, plus aucune lumière ne venait à la rencontre de la terre. L’homme s’introduit alors à travers l’obscurité qui apparut devant lui sous une forme végétale inconnue, ou ra-cines, branches, feuilles, bourgeons, fleurs, se mêlaient autant à l’air et à la terre.

L’homme découvrit de nouvelles émotions au contact du cœur de la nature. Celles-ci furent res-senties avec violence et douleur lorsqu’il arracha par poignées le précieux secret de la forêt, qui au contact des mains de l’homme perdit son éternité.

Antoine Grissault

Sauvage et encore indomptée

sculpture : Antoine Grissault

illustration : Romain Epiais

Page 8: Nos Années Sauvages - Apprivoiser

Notre existence nous voit changer de peau. Celle-ci se pare de divers apparats, témoigne de notre évolution et glisse entre les étapes de notre mue pour atteindre sa prochaine méta-morphose, comme le fait un serpent entre les branches, épiant en silence sa prochaine proie...

Nous ne lisons pas toujours le même livre, nous ne regardons pas toujours le même film, nous ne nous préparons pas toujours le même repas, nous ne portons pas toujours le même vêtement...

Pourquoi un bijou ne serait-il pas le garant de cette permanente mutation qui parcourt notre vie et qui nous pousse à grandir, mûrir et changer ? Pourquoi ne traduirait-il pas cet état d’esprit, au carrefour de l’éphémère et de la continuité ?

Le serpent mentionné précédemment offre à juste titre un bel exemple de mutation : l’in-carnation biblique de la tentation peut devenir ici le garant de cette métamorphose lorsqu’il change de peau lors de sa mue. Si celle-ci le rend vulnérable car le processus est assez long, elle signifie aussi une petite mort pour le reptile, la disparition d’une partie de son existence, une transition vitale, indispensable pour renaître muni d’une nouvelle apparence. Son ancienne peau semble alors comme une relique de son passé, témoin éphémère de son évolution... Et si un bijou pouvait être à l’image des écailles perdues puis renouvelées de notre peau ?

Ces écailles apparaissent alors comme le miroir de notre transformation progressive, de nos changements d’habitude, de nos sautes d’humeur, de notre recherche d’identité, d’affirmation de soi au cours de notre exis-tence. Tour à tour opaques, nacrées, brillantes, lumineuses ou voilées, elles ne sont que la prolongation de nos doutes, de nos désirs et de nos espoirs. Le bijou doit trouver sa correspon-dance avec son/sa propriétaire... Au risque de rester cantonné dans une boîte poussiéreuse, condamné à l’oubli...

Ici, pas de risque d’une quelconque puni-tion pour n’avoir pas été l’objet de toutes les attentions : les parures proposées n’ont pas d’autre but que de souligner l’humeur du mo-ment, l’instant éphémère, le plaisir simple et léger... Issues de matériaux bruts, industriels, à durée de vie des plus limitées, véritables tocs authentiques, ces bijoux s’inscrivent dans le cadre d’une fonction sociale rudimentaire, à

l’opposé d’une précieuse alliance ou d’une ri-vière de diamants : ils ne doivent leur présence qu’à leur utilisation éphémère, se contentant d’illustrer un jour de notre vie entre fragilité et questionnement de notre “moi intime”, comme la mue du serpent illustre sa vulnérabilité au regard du monde qui l’entoure...

Si le bijou, quel qu’il soit, appartient à un rituel de sociabilisation et si la mue est un acte nécessaire dans la renaissance du serpent, alors les deux ne pouvaient que se combiner pour incarner pleinement l’instantané d’un moment de notre vie. Comme les paillettes suggèrent le spectacle, la fantaisie et l’oubli d’un quotidien trop gris dans un univers récla-mant la couleur et la brillance d’un décor en carton-pâte, théâtre des illusions qui embel-lissent nos réflexions, alors la parure offerte à votre convenance ne peut que trouver son chemin sur vos phalanges, histoire de montrer qu’il n’est jamais trop tard pour changer de peau tel un reptile qui ramperait sur notre épi-derme, et glorifier le provisoire... A l’infini...

Stéphan Granjeon, Zoé Violette

du toc authentique

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Explorer les limites et les possibilités physiques du métal, sa rigidité, sa froideur. Chauffer, marteler, souder, lui faire dire quelque chose de lui-même. Cela peut se tra-duire par un sentiment de lourdeur exacerbé, une finesse et une fragilité inhabituelles, ou encore un déséquilibre qui dérange par sa posture et sa forme. C’est un dialogue ouvert avec la matière.

Il arrive alors que soient révélées ses propres capacités formelles et que la matière devienne un objet empreint d’une identité qui lui est propre : parfois de l’ordre de l’organique ou du vivant.

Ici, les parures sont considérées comme des objets de culte, des reliques mêlant peau, plumage, métal et fourrure. Véritables curiosités, la sensualité de la courbe d’une fourche de vélo devient celle d’un bois de cerf. La matière dessine la continuité d’une nuque, les extrémités d’une grille en fer forgé figurent des griffes délicates et (acé-rées) pourtant menaçantes, le masque vient redéfinir la nature de l’homme, révélant son instinct, son Totem. L’acier prolonge le corps, ses attitudes et sa posture, entre l’humain, la machine et l’animal, combinaison de nos origines et de notre évolution.

Caroline Brisset

La matière, proLongement du corpS

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Aux frontières du crépuscule, les ombres passent. Elle glissent, caressent la terre et s’agitent sur les chemins de traverse.Les hommes sont du bétail, ils trainent les pieds jusqu’à l’abattoir.

Les boites mobiles courent sur l’autoroute pendant que certains corps sommeillent.Une voute de rapaces plane au dessus des voies, tels des monarques agiles, ils attendent silencieusement le ravage.

La nuit noire arme ses soldats ailés, les cieux se déchirent au son des voix volatiles.C’est l’heure du vacarme.

Dans la crasse d’une crevasse, le virage emporte les usagers noctambules. Les corneilles somnambules se gaussent, leurs rires marquent l’appel mortuaire.

Entends-tu le chant des oiseaux ? C’est le cri des cadavres qui cessent de respirer. Dans les cimetières, les carcasses dorment auprès des vers et des vers que les corbeaux croassent.

***Le tapage s’estompe, le rivage est proche.

***Loin du tumulte d’antan, l’aube déploie ses trésors.

Un hibou dort pendant que les libellules pullulent et circulent sur les lacs dorés. La rosée d’un matin nouveau dessine ses perles d’ignorance.

L’humidité de cette journée inédite amène un souffle d’insousciance au tableau. L’imagination d’un peintre fou a coulé le long des sentiers.

Les sommets des hêtres tout entier grimpent vers le ciel, des oisillons prennent leur envol pour la première fois. Les êtres se promènent dans la lueur d’un soleil limpide, le sol s’imprègne de leurs pas.

Un trait de lumière traverse les feuillages, comme pour signifier un nouvel âge…

Enora Minot

deS racineS et deS aiLeS

illus

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ière

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Nous pouvons aujourd’hui entendre parler de langage du corps ou langage corporel, c’est-à-dire : le corps parle, mode d’expression anterieur à la langue ou langage au-delà du langage verbal, proxi-mité de l’animal : la lenteur presque immobile, l’accroupissement, toute la courbure, toute la tension limite des muscles dénoncent le saut. On le sait, on le sent : la proie est en danger de mort, le tigre va bientôt attaquer. Nous pouvons penser : nulle part la Nature n’est silencieuse. À l’occasion d’un entretien d’embauche, transpiration, bouche sèche, des doigts qui tambourinent sur la table, des jambes agitées, tout cela peut indiquer nervosité, manque de confiance, etc. Il y a les larmes et le cri, mais il y a aussi la danse. La danse atteint un extrême : acmé du langage du corps, l’esprit souffle au cœur de la Nature, humanité et animalité semblent en harmonie, nuit de noces, trêve diurne.

Et pourtant nous pouvons à notre époque ressentir un déséqui-libre dans les plateaux de la balance, le contrepoids est trop lourd, basculement qui attire vers le promontoire. Au malaise dans la culture est sous-jacent le malaise dans la Nature, animal en danger d’extinction. Le corps se tait. La poussière revient à la poussière mais d’une Terre pleine de cendres rien ne poussera plus. Nous pouvons penser : partout la civilisation bâillonne la Nature. Il faut donc parler aussi de silence du corps, titre d’un ouvrage du poète italien Guido Ceronetti, nous y reviendrons en le citant.

Quels sont alors les signes de l’appauvrissement, voire la perte de l’expérience immédiate, vivante du corps, symptômes de mala-die ? Celui le plus évident, exemple du quotidien, se trouve dans l’expression : « je l’ai vu à la télé ». Cette expression n’est pas tout à fait innocente, elle porte en soi le risque de confondre poison et antidote. Notre époque perd en théorie au sens archaïque du terme  : les theoroi étaient ceux qui allaient voir avec leurs yeux et revenaient pour le raconter. L’écran de l’ordinateur nous met face au même danger : de hautes murailles à l’air anodin se lèvent contre le contact direct des sens avec la realité. Un autre exemple banal, c’est le metro. Les compréhensions mythiques de la vie voyaient la descente dans le souterrain comme une descente à la mort, pensons à l’Hadès des Grecs ou à l’Enfer des chrétiens. Nous y descendons pour nous faire transporter. Nous mangeons des oranges en été et des grappes de raisin en plein hiver. Même les oiseaux, avec les lumières électriques qui ne s’éteignent jamais, doivent être confus. Pensons aussi aux terrains de jeux où les enfants ne risquent pas – idéalement – de se blesser.

Les générations à venir vont regarder en arrière. Quelqu’un dira de nous  : ils étaient la civilisation de l’emballage, tout ve-nait dans des emballages et pour produire un kilo de fraises en Espagne ils dépensaient vingt litres d’eau. Elles parleront aussi de société-cloche ou societé-bulle puisque tout avait l’air prématuré. Et de société à l’effet de serre où la vie elle-même étouffait. On nous donne à manger de la nourriture qui vient déjà mâchée et on l’avale : paresse infinie de nos mâchoires, les entrailles ne vo-missent plus devant le répugnant. Nous-mêmes, nous creusons le gouffre et notre corps s’éloigne de nous comme un animal qui fuit l’incendie ou se heurte contre les barreaux. L’image du perroquet qui se déplume à soi-même dans une petite cage peut nous venir à l’esprit, ou l’image légendaire du scorpion acculé dans un cercle de feu, aiguillon qui s’enfonce dans son propre corps. Avons-nous d’immunité contre notre propre venin ?

Nous sommes des héritiers et il est aussi dur de racheter ce qui nous a été laissé que de s’en débarrasser. Permettez-nous un parallélisme très éloigné, presque cynique  : au supermarché, les listes d’ingrédients d’un prouduit disent qu’il peut y avoir des traces éventuelles d’autres produits auxquels nous pouvons être allergiques, c’est à dire  : en Occident le paganisme est mort et le monothéisme ne va pas très bien, il agonise au moins depuis deux siècles, mais les héritages des Antiquités grecque et romaine, ainsi que ceux du judaïsme, du christianisme et de l’islam, entremêlés

avec des peuples multiples, celtes, germaniques, slaves, etc., ces héritages subsistent toujours comme une sorte de reste indissoluble modelant encore nos façons de percevoir, sentir, penser, agir – en un mot  : vivre. Tout cela très bien gâché par la technique et la science modernes – chaudron de sorcellerie, fonte alchimiste ?

Nous pouvions même, dans l’Antiquité, concevoir le corps comme prison ou tombeau : « Quelques-uns appellent le corps le tombeau [σῆμα] de l’âme où elle serait présentement ensevelie ; en outre, c’est par le corps que l’âme signifie tout ce qu’elle veut signifier; et, à ce titre, le nom de σῆμα, qui veut aussi dire signe, est encore parfaitement convenable. Mais je crois que les disciples d’Orphée considèrent le nom de corps [σῶμα] comme relatif à la peine que l’âme subit durant son séjour dans le corps en expiation de ses fautes. Ainsi cette enceinte corporelle serait comme la pri-son où elle est gardée. Le corps est donc, comme son nom le porte, sans qu’il soit besoin d’y changer aucune lettre, ce qui conserve l’âme, jusqu’à ce qu’elle ait acquitté sa dette. »(1)

Pourtant les idéologies des écologismes ou les éducations à l’environnement d’aujourd’hui, par comparaison avec les visions païennes et panthéistes de la Nature, semblent des maquillages, mimétisme kitsch d’une perte irréparable. Écoutons Ceronetti : « C’est l’interdit sacré qui protège la nature, non la bonne éduca-tion, ni la loi civile. Si l’olivier est consacré à un dieu, l’olivier ne sera pas coupé. Si le porc est sacré, personne n’en mangera. Mais les interdits sacrés qui protégeaient la Grande Mère sont tombés et un monothéisme de plus en plus monoathée a détruit tous les cultes et les peurs sacrés de la nature. La terre n’est pas sacrée, on peut la détruire [...] La science la plus dévastatrice a soudainement surgi dans un vide parfait d’interdits et s’est mise aussitôt à l’oeuvre. »(2)

Nous pouvons regarder le ciel et se demander jusqu’à quand ? Nous pouvons ne pas trouver le moindre optimisme dans la réponse : « Tant qu’un olivier restera debout, tant qu’il y aura une chouette sur un arbre, tant qu’il restera une molécule d’eau conte-nant un peu de vie. » (3)

Nous pouvons parler sur un ton d’Apocalypse et pourtant n’en-trevoir aucune révélation : « Jamais il n’y eut tant de portes fermées dans le visible ».(4) Ou encore : « L’homme ne peut plus changer, ni prendre un autre chemin, il peut seulement finir mal ». (5)

L’eau se vengera et le désert tombera comme un déluge. Nous entendons deux cris. Sur l’arène, deux gladiateurs se disputent  : Décadence des décadences, tout est décadence versus Progrès des progrès, tout est progrès. Avec la modernité nous pouvons conce-voir le corps comme machine, ainsi que l’animal  : « lorsqu’une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu’il est à un arbre de pro-duire des fruits »,(6) ou encore : « [les bêtes] agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est que notre jugement ne nous l’enseigne. Et sans doute que, lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges ».(7)

Nous avons ici un pressentiment de mauvais augure du désastre, désorientation, aveuglement envers les astres. Grandit l’aspiration à comprendre d’un point de vue cosmique, hors de la Terre, hors de la condition humaine. Soit avec le microscope, soit avec le télescope, le très petit ou le très lointain, nous nous égarons des nos sens. Le smog spirituel s’annonce, les nuages ne laissent pas voir le ciel. En affirmant que les sens nous trompent, c’est la raison qui nous trompe, prise dans son propre piège comme une araignée ensevelie dans sa propre toile. Mais aussi longtemps que les poètes disent, et que nous tous nous disons, coucher de soleil – donné des sens, fidelité aux intuitions – et pas rotation de la Terre – conception intellectuelle – , tout ne sera pas perdu.

Nelson Pereira Marques

Le devenir Sourd muet du corpS

(Corps, Animal, Nature, Raison)

(1) Platon, Cratyle, 400c, trad. Victor Cousin(2), (3), (4), (5) Le Silence du Corps, trad. André Maugé

(6) Descartes, Discours de la méthode(7) Descartes, lettre au Marquis de Newcastle, 23 novembre 1646.

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Le jeune chevreuil parade, il attend sa biche. La chouette contemple la scène, impassible.

La voilà !

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Et ainsi la louve apprivoisa le blaireau craintif...

illustration : Romain Epiais

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L'instant. C'est en essayant de faire bouger les formes que l'on peut le retrou-ver. Une ambiance, un contexte, une mise en bouche. Faire danser les modèles, les laisser aller à leurs propres mouvements, sans limites particulières. Laisser l'autre confronté à lui-même. La musique, la nudité et l'absence de lumière crée une cer-taine complicité, un échange entre la personne qui se donne et celle qui prend. C'est dans ces mouvements, dans cette danse, que la photographie peut parfois capturer des instants précieux. La magie d'un flou où apparaissent des formes inédites, inexis-tantes dans la réalité. Parfois des chimères, ou des êtres monstrueux, parfois des visages déformés ou des regards hantés. Ces nouvelles images sont le reflet de la personne représentée. On y trouve un caractère particulier et une autre façon, moins «posée», de rencontrer une figure.

Danielle Delgrange

danSeS !

peintures et photographie : Danielle Delgrange

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Ainsi pourra se résumer le passage, silencieux et insidieux d’un état sauvage à celui domestique. En taxidermiste silencieuse, une part de notre humanité s’évertue, dans la construction de sa propre histoire, à dénuder la peau de l’autre, à la faire rentrer, comme un gant dans ce que l’on nomme en cette pratique, «  le mannequin ». C’est ainsi qu’en prenant la vie avec des gants, on installe le « bon sauvage devenu » en devanture d’une réserve d’où l’on ne s’échappe plus….si ce n’est d’un panier garni à l’autre, un peu comme chez Deyrolle…

Sitting Bull l’avait bien pressenti en disant que « les noirs sont des blancs de couleur  ». Entendez, que ce n’est pas un combat d’intégration qui fait se mouvoir le peuple sauvage de la nation Sioux, c’est la revendication d’appartenir autrement au monde, à la Terre Mère. Et c’est ainsi que peut se définir le peuple du non domestique.

Une autre peau rouge, d’une autre extermination, l’a tout aussi bien défini. Et je pense à toi Rosa Luxemburg,(4) « Rosa La Rouge », qui a redonné du baume à mon adolescence, comme je pense à Sit-ting Bull qui a bercé une partie de mon enfance.

Ils sont pour moi les piliers de mes années sauvages et avec eux, parce qu’ils sont toujours avec nous, parce qu’il faut être d’une vigilance de tous les instants, parce que la colère aussi est un moteur, j’envisage le processus qui nous fait passer du monde libre à celui de la domesticité. Rosa se sentait du monde sauvage et pensait sauvage : « j’ai parfois le sentiment de ne pas être un vrai être humain mais un oiseau ou quelque autre animal qui a pris forme humaine ». C’est pour cela qu’elle a su lire dans les larmes des buffles, bêtes sauvages de Roumanie capturées par l’armée allemande pour tirer des canons, combien « on les a terriblement mal traitées jusqu’à ce qu’elles comprennent qu’elles ont perdu la guerre…Et l’un des buffles…regardait droit devant lui, avec sur son visage sombre et ses yeux noirs et doux, un air d’enfant en pleur…Les larmes coulaient de mes yeux, c’étaient ses larmes…Notre peine, notre impuissance, notre nostalgie font de nous un seul être. »(5). Rosa, la domesticité c’est d’accepter d’avoir perdu la guerre et d’avancer en courbant l’échine.

À bien écouter le peau-rouge Tahca Ushte nous contant les éle-vages du monde blanc : « le volatile est mort dans un poulet comme ça…il n’y a plus que le blanc. »(6). Et « le blanc », comme l’homme du même nom, c’est notre part de domestique, d’absence de saveur.

« Les humains deviennent peu à peu des êtres contre nature, déshumanisés  »(7). « Chaque arbre fruitier se résigne  »(8) disait

Apollinaire. Et s’ils tendaient leurs branches à ce bel incendie, celui qui fit renaître des cendres d’Hiroshima un ginkgo rebelle, ines-péré, un peu en embuscade ? Le phœnix, comme un idéal de sauva-geon(9) poussant par delà les greffes, un cauchemar de jardinier…

Ce qui réunit Sitting Bull, Apollinaire, Rosa Luxemburg, Tahca Ushte et tous ceux de la même veine  ? Une affaire de verger en somme et ce dernier le dit si bien avec son humour : « ils ne sont pas parvenus à me changer en pomme, rouge à l’extérieur, blanche

danS LeS yeux de roSa, LeS LarmeSn’ont rien d’une peine perdue…

(traité poétique et sauvage sur la domesticité)

« Une poule couleur feu couve un œuf factice, le feu qui couve, lui par contre, ne l’est pas… Deyrolle !, tes sauvages trop bien domestiqués n’ont pas su échapper à la sauvagerie des flammes…sauve et comprenne qui peut ! » (1)

« Ils font joujou avec le feu sacré du soleil, en le transformant en bombe atomique. Ils ne réussiront au bout du compte, qu’à se faire sauter la cervelle. » (2)

« …Ils ont fait captive toute la nation sioux et dans une réserve l’ont jetée vive ils ont brisé notre ligne de vie et le tomahawk et l’arc et le couteau ils ont mis nos enfants dans leurs berceaux et ils nous ont dénudés de nos peaux… » (3)

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(1) Deyrolle : taxidermiste de renom, a fourni tous les musées depuis deux siècles, met en vente dans une boutique parisienne, tout type d’animal naturalisé. Elle a brûlé en 2009 et a repris son activité grâce à une importante chaine de solidarité d’artistes…(2) Tahca Hushte, in « de mémoire indienne » de Richard Erdoes, éd. Terre Humaine Plon poche presses Pocket. p. 86(3) poème sioux d’un appelé de la guerre du Viêt-Nam, Coiffure de Guerre Maculée, in « de mémoire indienne », p. 86(4) révolutionnaire allemande née polonaise en 1871, exécutée en 1919 à Berlin. Aile gauche de l’internationale socialiste. (5) Extraits de : « j’étais, je suis-je serai » éd. Maspéro 1977(6) in « de mémoire indienne », p.156(7) in « de mémoire indienne », p.154(8) Apollinaire, in « les saltimbanques »(9) sauvageon : pousse du pied mère sortant sous la greffe et faisant apparaitre l’essence originelle de la plante « porte-greffe »(10) in « de mémoire indienne », p. 41, à propos de ses multiples emprisonnements(11) in « de mémoire indienne », p. 52 s’adressant à R. Erdoes(12) in « de mémoire indienne », p.143

illustration : Romain Epiais

à l’intérieur… »(10) et chacun d’eux d’avancer dans le monde, à leur façon : en artistes. Il préciserait certainement que : « C’est une rai-son qui nous permet de nous entendre. Les artistes sont les indiens du monde blanc. »(11)

Postscriptum  : en guise de note d’espoir, c’est à lui encore qu’adviendra le mot, non de la fin mais de l’éternel recommence-ment (le monde sioux étant formé d’une boucle) : « la nature veut la rondeur des choses…de plus en plus nombreux, certains jeunes blancs veulent cesser d’être des cadres, des encadrés, des aplatis, et tentent de devenir ronds. Cela c’est bien. »(12)

Ainsi vont nos années sauvages…

T.D.H.

Page 24: Nos Années Sauvages - Apprivoiser

Le corbeau est réputé pour posséder des facultés psychiques remarquables, qui le

rendraient apte à comprendre certains mots humains. Oiseau utile et nuisible à

la fois, il se nourrit des charognes d’autres oiseaux ou de petits mammifères, mais apprécie aussi beaucoup les céréales. Le

«maître corbeau sur un arbre perché» de la fable de Jean de la Fontaine n’eut pas

toujours la mauvaise réputation que l’on a finit par lui faire. En effet n’oublions pas

que, selon la légende biblique, avant de lâcher la colombe, c’est lui que Noé envoya

en émissaire au bout de quarante jours du Déluge et qui, le premier, découvrit les

terres émergées (Genèse, 8, 6-7). Il fut donc un symbole de renouveau. Dans la Grèce

Antique, il était l’attribut d’Apollon et avait des dons prophétiques. Ainsi le corbeau,

fut d’abord un symbole de clairvoyance et devint souvent le compagnon des devins et voyants. Ce cher corbeau était capable de délivrer prophéties et mises en garde à l’homme. Bavard et indiscret, le dieu

changea son plumage blanc en noir puis le transforma en constellation pour le punir

de s’être attardé dans une mission urgente. On retrouve cette aspect prophétique

également dans la mythologie scandinave. Hugin et Munin sont les corbeaux qui accompagnent le dieu Odin, Hugin est capable de voir l’avenir et Munin de se

rappeler du passé élevant une fois encore ce volatile au rang divin, empreint de magie et d’intelligence. N’ayant pas toujours fait d’heureuses prédictions, on ne vit pas en

cet animal qu’un oiseau de bon augure. Etant aussi charognard, il fut même

parfois considéré comme annonciateur de malheur ou de mort. On compensera cette image en ajoutant simplement que comme

tout volatile, le corbeau est également un symbole de liberté et de légèreté hein?

Le zodiaque amérindiens assimile le corbeau au signe de la Balance. Et donc?Amis corbeaux, lâchez vos prédictions...

Le corbeau

illustrations : Hélena Guilloteau

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La Chouette a tout d’abord attiré l’attention des sages indiens par son mode de vie et de chasse. Ils ont été troublé par le regard tout à fait particulier de ce rapace nocturne. Ces yeux sont spécifiques tout de même! Ses paupières et bien sûr sa faculté à voir dans les ténèbres ce que l’être humain est incapable de percevoir. La Chouette s’est vite imposée comme l’incarnation animale du pouvoir de clairvoyance, un peu comme ce cher Corbeau ... Clairvoyance au-delà des ténèbres qui échappe à la pauvre humanité dont nous faisons partie. La Chouette se nourrit essentiellement d’insectes et de petits rongeurs, considérés par toutes les civilisations comme nuisibles puisqu’ils s’attaquent aux provisions vitales que nous amassons dans nos greniers. Ce volatile endosse alors un rôle protecteur, devenant un emblème de la chasse utile. En cela l’homme lui accorde un don de discernement, de justesse même.Dans la Grèce Antique, la Chouette était le symbole de la déesse Athéna, déesse de la guerre, et de l’intelligence. Elle représentait également les arts et la sagesse. Excellente conseillère, la chouette devint la personnification de ces valeurs. Tout comme le Corbeau, mais en raison de son hululement inquiétant, on pensait qu’elle était également annonciatrice de mort et comme participante des royaumes terrestres et souterrains. La pauvre, on l’a souvent sacrifiée pour des rituels de magie noire où elle était sensée pouvoir révéler des secrets et l’avenir. Pour d’autres il s’agissait de la réincarnation des morts souhaitant se venger du monde terrestre. Quelle réputation! Dire que pour moi c’était simplement la copine du maître Hibou de Bambi.

La chouette

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Direction artistiqueSylvain Wavrant & Thomas Cartron

StylismeSylvain Wavrant

PhotographieThomas Cartron

ModèlesArthur Gillet

Pierre HoudayerMarie Hume

Bérénice Lefebvre

ParruresCaroline Brisset

SculpturesAntoine Grissault

IllustrationsRomain Épiais

Hélena GuilloteauCoralie Mezières

PeintureDanielle Delgrange

RédacteursCaroline Brisset

Danielle DelgrangeStéphan GranjeonAntoine Grissault

Nelson Pereira MarquesEnora Minot

T.D.H.Zoé Violette

Sylvain Wavrant

Identité graphique - LogoAnne-Lise Bachelier

Conception graphiqueThomas Cartron

remerciements

T.D.H., Carine Peynaud, Romain Richard, Thomas Dellys, Honnête magazine, EESAB-Rennes, le Crij-Bretagne, le magazine REVS.

Imprimé chez Icônes - Ouest Imprimerie - Rennespremier tirage en 68 exemplaires sur papier cyclus print 115 gr.

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Acte 1 : DomestiquerÉpilogue : Achever