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N o 21 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 DOSSIER LA CHINE PRÉSENT ET FUTURS Tarif standard: 7 • Tarif étudiant, chômeur, faibles revenus: 5 • Tarif de soutien : 10 SCIENCE GRAND ENTRETIEN avec Roland Lehoucq TRAVAIL LA COBOTIQUE POUR L’INDUSTRIE 4.0 par Bernard Claverie ENVIRONNEMENT LES «EXPERTS» DE L’OCDE ET LA FAO RIDICULISÉS? par Gérard Le Puill

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No 21 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

DOSSIER

LA CHINEPRÉSENT ET FUTURS

Tarif sta

ndard

: 7

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SCIENCEGRAND ENTRETIEN avec Roland Lehoucq

TRAVAILLA COBOTIQUE POUR L’INDUSTRIE 4.0par Bernard Claverie

ENVIRONNEMENTLES «EXPERTS» DE L’OCDE ET LA FAO RIDICULISÉS?par Gérard Le Puill

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

ÉDITO Carton rouge pour la com’ verte de Macron ! Ivan Lavallée ................................................................................................... 3

DOSSIER LA CHINE, PRÉSENT ET FUTURS........................................................................ 6

ÉDITO Regards sur un géant Fanny Chartier .......................................................................................................................................... 7

Un voyage en Chine Olivier Dartigolles ..................................................................................................................................................... 8

Les nouvelles routes de la soie, une initiative de paix et de développement Didier Ardennet ...................................................... 10

Géopolitique de la science : la remontada chinoise bouleverse l’ordre ancien Sylvestre Huet .................................................. 13

La Chine et le nucléaire Jean-Christophe Fournel ................................................................................................................................... 16

Une civilisation « verte » hypothéquée par les menaces de Trump Dominique Bari ....................................................................... 20

La protection environnementale, le nouveau droit de l’environnement Jingjing Fan .................................................................... 22

La Chine et sa paysannerie Rémy Herrera ............................................................................................................................................ 25

La solidarité au cœur du financement de la sécurité sociale Mélanie Atindéhou-Laporte ................................................................ 27

Pour élargir la réflexion .......................................................................................................................................................................... 29

BRÈVES............................................................................................................................................................................................ 30

HORS LES MURS............................................................................................................................................................................ 31

SCIENCE ET TECHNOLOGIERENCONTRE Entretien avec Roland Lehoucq Propos recueillis par Arnaud Vaillant .................................................................................. 32

JEUNES CHERCHEURS Entre optimisation des microbatteries et implication pour la recherche Jérémy Freixas ............................ 34

RECHERCHE Université Paris-Saclay : où en est-on ? – Vers une plus grande concentration et de nouveaux problèmes Laurent Guilloux ................................................................. 36

– L’alibi de l’excellence Gilles Laschon ............................................................................................................................................ 37

– La problématique de la mobilité Pierre Garzon ........................................................................................................................... 39

TRAVAIL - ENTREPRISE - INDUSTRIES’APPROPRIER LE TRAVAIL Un fonds socialisé d’investissement Benoît Borrits ....................................................................................... 40

SERVICE PUBLIC Cheminots : un combat pour le service public Henry Wacsin ................................................................................. 42

TRAVAILLER DEMAIN La cobotique pour l’industrie 4.0 Bernard Claverie ................................................................................................ 45

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉBIODIVERSITÉ Sixième crise d’extinction : il faut sauver les bébés phoques… et les écosystèmes ! Alain Pagano ...................... 48

POLLUTION Les « experts » économiques de l’OCDE et la FAO ridiculisés par les spéculateurs ? Gérard Le Puill .......................... 50

RESSOURCES Et si on dépassait le jour du dépassement ? Amar Bellal ............................................................................................... 53

LIVRES............................................................................................................................................................................................... 55

Les sciences et les techniques au féminin : Madeleine Pelletier .................................................................................................... 56

NOUVEAU ! PLUS SIMPLE, PLUS RAPIDEpaiement en ligne sur progressistes.pcf.frAbonnement 4 numéros par an !

Progressistes (trimestriel du PCF) • Tél. 01 40 40 11 59 • Directeur honoraire : † Jean-Pierre Kahane • Directeur de la publication : Jean-François BolzingerDirecteur de la rédaction : Ivan Lavallée • Directeur de la diffusion : Alain Tournebise • Rédacteur en chef : Amar Bellal • Rédacteurs en chef adjoints : AurélieBiancarelli-Lopes, Sébastien Elka • Coordinatrice de rédaction : Fanny Chartier • Rubrique Science : Arnaud Vaillant • Rubrique Travail : Léa Bruido • RubriqueEnvironnement : Jean-Claude Cheinet • Brèves : Emmanuel Berland • Livres : Delphine Miquel • Jeux et stratégies : Taylan Coskun • Comptabilité : Mitra Mansouri• Abonnements : Françoise Varouchas • Rédacteur-réviseur : Jaime Prat-Corona • Comité de rédaction : Jean-Noël Aqua, Geoffrey Bodenhausen, Jean-Claude Cauvin,Bruno Chaudret, Marie-Françoise Courel, Simon Descargues, Marion Fontaine, Claude Frasson, Michel Limousin, George Matti, Simone Mazauric, Evariste Sanchez-Palencia, Pierre Serra, Françoise Varouchas • Informatique : Hervé Radureau • Conception graphique et maquette : Frédo Coyère • Expert associé : Luc Foulquier •Édité par : l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75167 Paris Cedex 19) • No CPPAP : 0922 G 93175 • No ISSN : 2606-5479 • Imprimeur : Publicimprim (12, rue Pierre-Timbaud, BP 553, 69637 Vénissieux Cedex).

Conseil de rédaction : Président : Ivan Lavallée • Membres : Hervé Bramy, Marc Brynhole, Bruno Chaudret, Xavier Compain, Yves Dimicoli, Jean-Luc Gibelin, ValérieGoncalves, Jacky Hénin, Marie-José Kotlicki, Yann Le Pollotec, Nicolas Marchand, Anne Mesliand, Alain Obadia, Marine Roussillon, Francis Wurtz, Igor Zamichiei.

Photo de couverture : Victor Chiang.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 Progressistes

a démission de M. Hulot marque une évo-lution salutaire dans les consciences. Unepolitique écologique n’est pas compatible

avec l’économie de marché ni avec la finance, quiraisonnent à court terme là où les enjeux se jouentsur des décennies, voire des siècles ou plus.La dure réalité des faits s’impose face aux illusion-nistes et grands communicants. Nicolas Hulotn’est pas le premier ministre de l’Écologie à claquerla porte, treize ministres de l’Écologie l’ont précédéen vingt ans. Au-delà du prétexte des lobbys, c’estle fait que ces gouvernements sont ceux des repré-sentants du capital financier comme du Medef,qui rend cette mission impossible. Delphine Bathoen a fait elle aussi l’expérience, débarquée du gou-vernement Hollande pour avoir contrarié lesappétits de « certaines forces économiques ». Elle

qui déclarait : « C’est sur l’écologie que se concentrel’affrontement avec le monde de la finance […]. Lemoment est venu de se mobiliser pour y faire face. »Nicolas Hulot était aussi ministre d’État, ce quipermet de mesurer l’importance de la crise quis’est ouverte.Le capitalisme français n’a plus d’alibi !Face à l’attaque en règle tant sociale qu’écologiquemenée tambour battant par ce gouvernement,l’activité de Progressistes est d’autant plus indis-pensable aux forces de progrès. Notre objectif estde contribuer, en tenant le cap du sérieux scientifiqueet de la raison contre l’obscurantisme et la déma-gogie, à la construction d’une lucidité collectivepermettant à l’humanité d’assumer une commu-nauté de destin face aux défis écologiques, sociauxet démocratiques.. n

IVAN LAVALLÉE, DIRECTEUR

DE LA RÉDACTIONDE PROGRESSISTES

Carton rouge pour la com’ verte de Macron !

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COMMANDEZ LES ANCIENS NUMÉROS DE PROGRESSISTES

N°18 SCIENCES ET TECHNIQUES, DES RÉPONSES PROGRESSISTESLes réponses du PCF sur les grands sujetsscientifiques et techniques : santé, énergie,écologie, recherche, OGM, climat, numé-rique… Nous abordons aussi la précaritéénergétique avec une contribution de MinhHa-Duong, membre du GIEC. À noter unarticle de Serge Abiteboul sur la sous-traitance par la DGSE de nos données àune entreprise états-unienne, un texte surla souffrance des femmes au travail deKaren Messing ainsi qu’une contribution deGérard Le Puill sur le glyphosate.

N° 20 LE NUCLÉAIRE À L’INTERNATIONALUn dossier qui dresse un panorama dunucléaire civil dans le monde, des avancéesde la recherche et des coopérations inter-nationales existantes. On trouvera aussi un appel à distinguer le vrai du faux dansles médias par Sylvestre Huet. Retrouvezaussi les autres rubriques avec, entre autres,un entretien avec Jacques Treiner sur l’intérêtde mettre la science à la portée de tous,un texte sur la sécurité au travail et unecontribution sur l’eau Cristaline.

N°17 BIODIVERSITÉLa biodiversité est aujourd'hui appropriée etmise en péril au nom de logiques économiqueset financières. Quelles politiques mener pourla préserver ? C’est le thème du dossier. Nousfaisons aussi le point sur l'économie du pétroleavec les contributions de Pierre-René Bauquiset Denis Babusiaux. À lire aussi, les rapportsentre humains et animaux au travail parJocelyne Porcher, Sylvestre Huet sur lesénergies renouvelables, et un texte de GillesCohen-Tanoudji sur le CERN.

N°19 BITCOIN, BLOCKCHAIN, TRADINGHAUTE FRÉQUENCE OU VA LA FINANCE?Un dossier inédit sur la finance et les tech-nologies numériques. Avec une contributionnotable de Nicole El Karoui, spécialiste enmathématiques financières. Retrouvez aussiles autres rubriques avec entre autres untexte sur la fameuse équation E=mc2,l’aménagement du territoire et le travail àdomicile. Enfin, nous rappelons l’engagementde Martha Desmureaux, ouvrière, avec unepétition demandant son entrée au Panthéon.

N°15 PÉTROLE, JUSQU’À QUAND?Grand oublié des débats sur l’énergie. Cenuméro revient sur les enjeux économiques,écologiques et géopolitiques actuels et àvenir autour de l’extraction du pétrole. Àlire aussi, « La science économique est-elle expérimentale ? » par Alain Tournebise,« D’autres choix politiques pour retrouverun haut niveau de sécurité ferroviaire » parDaniel Sanchis, ou encore « Loi “travail” :quand le Web rencontre la rue » par SophieBinet.

N°14 INDUSTRIE PEURS ET PRÉCAUTIONFace aux peurs et à la désindustrialisation,comment lier sûreté et développement indus-triels ? Ce numéro montre que des conver-gences existent pour repenser la gestion del’industrie afin qu’elle soit propre, sûre etutile. On lira aussi : « Scénarios 100%renouvelable, que valent-ils ? », « Jumelageentre syndicats français et cubains », etencore « L’intérim, un essor spectaculairementcontradictoire ».

N°13 JEUNESSE, REGARD SUR LE PROGRÈSDonner la parole à des étudiants communistesde toute la France sur des sujets aussi diverset fondamentaux que l’écologie, les transports,l’énergie, l’industrie, l’agroalimentaire ouencore la révolution numérique. Dans cenuméro, on lira également « Linky, mytheset réalités sur un compteur électrique » deValérie Goncalves, « Faut-il débattre desterroristes ou du terrorisme? » par NicolasMartin ou encore un article sur les jeux d’échecspar Taylan Coskun.

No 12 LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUEAprès un éloge de la simplicité dû à Jean-Pierre Kahane, ce numéro complète le no 5et prolonge la réflexion sur la révolutionnumérique dans la société, et plus particu-lièrement dans l’organisation du travail. Ildonne la parole à des experts et syndicalistesconfrontés aux remises en cause des conquêtessociales. Vous y trouverez les rubriques habi-tuelles, un article sur ce qui nous lie aux versde terre, un texte d’Édouard Brézin sur lesondes gravitationnelles…

CONTACTEZ-NOUS AU 07 88 17 63 93 ou [email protected] € les 3 numéros (+ frais de port) • 40 € les 10 numéros (+frais de port)

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

LA CHINEPRÉSENT ET FUTURS

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 Progressistes

PAR FANNY CHARTIER*,

près un siècle sous le joug d’impérialismes étrangers, larévolution chinoise de 1949 et la proclamation de laRépublique populaire de Chine ont rendu au peuple

chinois la maîtrise de son destin. En moins de cinquante ans,cette civilisation millénaire est (re)devenue un acteur de premierplan sur la scène internationale. Mais comment ce pays en est-il arrivé là ? Car la Chine et son mode de développement impres-sionnent tout autant qu’ils interrogent.

Aujourd’hui, 6 êtres humains sur 10 vivent en Asie, où près de1,4 milliard d’habitants sont chinois. La Chine est également ladeuxième puissance économique mondiale en termes de richessesproduites (PIB). Les défis économiques, écologiques ou encoreliés à la paix auxquels sont confrontés les peuples à l’échellemondiale concernent et concerneront donc inévitablement les Chinois.

Le dossier que nous vous proposons n’a pas la prétention debrosser un portrait détaillé de la Chine contemporaine et de sonhistoire. Il ambitionne plutôt de soumettre à la réflexion descontributions analysant les évolutions récentes des forces productiveschinoises pour comprendre la voie spécifique sur laquelle s’estengagé le géant asiatique. Agriculture, industrie, environnement,

développement scientifique et technique, économie, protectionsociale : quels sont les défis du développement chinois ?Diverses critiques peuvent évidemment être adressées à l’encontrede son mode de développement. Il n’en demeure pas moins quela Chine questionne la mondialisation capitaliste et conteste l’hé-gémonie états-unienne dans la gouvernance du monde. Notredossier tente justement de montrer la grande cohérence et lepragmatisme des politiques que la Chine met en œuvre pourproposer un autre mode de développement pour son peuple,mais aussi pour l’humanité.

Puisse ce dossier apporter un éclairage sur les enjeux et les défisde la Chine actuelle, loin de tout a prioriou caricature, et donnerl’envie aux progressistes de s’intéresser à ce pays dont nous avonsbeaucoup à apprendre. Car aussi légitimes et pertinents quesoient les débats théoriques sur les évolutions souhaitables pourl’humanité, nous voudrions avant tout inviter le lecteur à s’intéresserà l’expérience pratique, immédiate, que constituela voie chinoise vers le communisme dans la mon-dialisation capitaliste contemporaine. n

REGARDS SUR UN GÉANT

A

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*FANNY CHARTIER est coordinatrice de rédaction de Progressistes.

Situé à Chengdu (14 millions d'habitants) en Chine, le New Century Global Center est considéré commele plus vaste bâtiment au monde : il occupe une surface de 1,7 million de mètres carrés (170 ha).

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

PAR OLIVIER DARTIGOLLES*,

ous avons répondu à uneinvitation du Parti commu-niste chinois (PCC) pour le

200e anniversaire de la naissance deKarl Marx. J’y représentais le PCF.Plus de 100 partis et près de 200 invitésont participé aux trois étapes qui ontrythmé notre séjour: Shenzhen, Pékinet Xiaogang. Trois expériences dif-férentes pour un même projet dedéveloppement chinois. Pour mieuxcomprendre la réalité chinoise, lesévolutions en cours, les succès et lesdifficultés, les complexités, contra-dictions et paradoxes, j’avais la chanced’être accompagné par DominiqueBari, ancienne correspondante del’Humanité en Chine, qui continueà suivre les transformations de cepays, avec passion et l’envie de trans-mettre. Le premier choc est incon-testablement celui d’un changementd’échelle, de l’immensité chinoise.Dès le premier jour, cela plante ledécor de ce qui va suivre.

JOUR 1D’abord le périple pour rejoindre laprovince de Guangdong. Paris-Madrid-Shenzhen. Avec plus de deuxheures de retard pour l’arrivée àMadrid et l’idée que la première étape« chinoise » se fera à la Puerta del Solavant d’avoir un prochain vol pourShenzhen. Après plus de treize heuresde vol, arrivée à 20 heures à Shenzhen,direction l’hôtel et premiers contactsavec des délégués d’autres partis.

JOUR 2Shenzhen, une ville de 10 millionsd’habitants (la province en compte100 millions). Avec une spécificité :un développement dans la hautetechnologie – certaines entreprisesd’ici sont leaders dans leur domaine,à l’échelle mondiale. C’est par exemple

le cas pour les transports collectifsélectriques, ou les écrans flexibles.95 % de la population de la ville estoriginaire d’autres provinces. Lamoyenne d’âge est de 32 ans. On res-sent cette dynamique dès le premiercoup d’œil. Avec une superficie de2000 km2, cet ancien port de pêcheest devenu, en quarante ans, unegrande métropole chinoise, un résultatde la réforme et de l’ouverture enga-gées en 1978.Shenzhen fut la première zone éco-nomique spéciale (ZES) de Chineouverte aux investissements étrangersdans des entreprises manufacturières.Ce fut, durant quelques années, ce quel’on a appelé un « atelier du monde »où se fabriquaient des produits à bascoût, avec une population de travailleursmigrants peu qualifiée. Aujourd’hui,Shenzhen est une vitrine de la modernitéchinoise, une sorte de laboratoire quireflète les objectifs du gouvernementde monter en gamme, à haut niveau,leur production.Nous commençons par une visite de la bibliothèque de Shenzhen.Ambiance studieuse : nous sommesdans la période de préparation dugaokao, l’équivalent de notre bac-calauréat, qui déterminera un clas-

sement décisif pour la suite du par-cours universitaire. L’après-midi,nous sommes reçus dans les locauxdu Party Center Building, un espaceconsacré aux relations entre le PCCet les entrepreneurs de la ville.

Après une période de libéralisation,avec des pratiques financières et descomportements patronaux jugésnégativement, la présidence Xi Jinpinga imposé des règles plus strictes ausecteur privé, dont les activités doiventavant tout bénéficier au développe-ment national. La grande part laisséeau marché ne peut se comprendreque si l’on prend en considérationle rôle et l’intervention de l’État dansl’économie. Un rôle croissant del’État. Et du Parti : toutes entreprises,même étrangères, sont tenues d’ac-cueillir des cellules du Parti.

Curieuse ambiance dans ce building,entre culture start-up, performanceset évaluation d’un bon comportementselon des critères définis par le PCC.On ressent une liberté donnée auxentrepreneurs, à l’initiative, à l’in-novation, mais pour s’inscrire dansun projet de développement global,dont les grands principes, les étapes,fixés lors du dernier congrès du PCCen octobre 2017, ont pour horizon,à 2020, une « société de moyenne pros-périté ». Dans un pays qui compte,selon nos interlocuteurs chinois,60 millions de pauvres pour unepopulation de 1,4 milliard d’âmes.Puis, nous assistons à une présentationspectaculaire du projet Qianhai. Dequoi s’agit-il ? D’abord du centre definances le plus important de Chine,situé sur l’autre rive de Hong Kong.En 2015, une zone de libre-échangeest décidée, avec une politique detaxe préférentielle et une zone franche.Au regard de l’ampleur du projet,dans une zone particulièrement stra-tégique, on devine qu’il s’agit bel etbien d’une concurrence face à Hong

UN VOYAGE EN CHINEDu 25 mai au 3 juin 2018, Oliver Dartigolles s’est rendu en Chine pour y représenter le PCF accompagnéde la journaliste Dominique Bari. Il nous fait le récit de ce séjour qui donne à voir ce qui se joue actuel-lement dans ce pays.

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Le premier choc est incontestablement celui d’un changementd’échelle, de l’immensité chinoise. “ “

Après une période de libéralisation,avec des pratiques financières et des comportements patronaux jugésnégativement, la présidence Xi Jinping a imposé des règles plus strictes au secteurprivé, dont les activités doivent avant toutbénéficier au développement national.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 Progressistes

s

Kong, quand bien même les termesretenus pour en faire la promotionparlent de « coopération » et de « com-plémentarité ». La croissance estimpressionnante avec 50 entreprisesqui s’installent par… jour.

JOUR 3La journée commence par une confé-rence sur le développement de larégion de Shenzhen, avec les inter-ventions de jeunes chefs d’entreprises(informatique, design, transport) ;l’après-midi, c’est la visite de l’en-treprise Appotronics et des démons-trations saisissantes en 3D. Avant leretour à l’hôtel, petite promenadeau Grand Chinese Folk CustomsVillage, avec la reproduction en minia-ture des plus célèbres sites touristiqueschinois, suivie d’un spectacle.

JOURS 4 ET 5La dernière journée à Shenzhen estentièrement consacrée à la commé-moration du 200e anniversaire de lanaissance de Karl Marx avec une plé-nière d’ouverture, des ateliers, puisune plénière de conclusion à17 heures, au cours de laquelle jedois intervenir avec d’autres déléguésétrangers (Allemagne, Palestine,Venezuela, Égypte, Laos, Brésil, Inde,Népal).En cinq minutes, c’est compliqué :il s’agit de remercier les organisateursde ce forum, notamment le dépar-tement des Affaires internationalesdu PCC, évoquer Marx (c’est le sujet !)et prendre le parti d’une question,d’un sujet plus précis. Sur Marx, j’aidonné quelques exemples sur sonactualité en France, son retour, lamanière dont sa pensée est vivanteface aux grands enjeux de notreépoque. Comment se servir de Marxau présent? par exemple, en pensant,dans le même mouvement, le socialavec le « plein et libre développementde chaque individu». Puis, j’ai évoquéla dangerosité extrême de la situationinternationale. Les risques de guerre.La montée des nationalismes et despopulismes.La Chine propose aujourd’hui, contrel’unilatéralisme, de travailler à une« communauté de destin ». C’est leurproposition de « nouvelles routes dela soie » pour favoriser l’interconnexionentre les continents asiatique, euro-péen, africain et latino-américain.

Nous avons en effet besoin de nou-velles coopérations, de nouveauxrapports internationaux. Alors quel’Alliance atlantique est déchirée departout, l’Europe gagnerait à unéchange avec d’autres partenaires,dont la Chine, pour discuter desconvergences et des divergences surl’évolution de la situation interna-tionale. En tout cas, lors d’échangesen plus petit comité, j’ai pu mesurercombien nos interlocuteurs chinoisétaient sur l’idée d’un nouvel ordreinternational à construire. Ils rejettentl’esprit de guerre froide et ses logiquesd’affrontements qu’on tente d’imposerdans le monde et prônent la résolutiondes crises par la négociation.Le lendemain, un peu de repos etdeux promenades, hors programme,dans le quartier populaire de Dashala,où Dominique a ses repères et sesadresses, notamment pour un déli-cieux canard laqué.

JOURS 6 ET 7En matinée, visite de l’École centraledu PCC et du Centre d’étudesmarxistes, qui est un départementde l’école. Discussion avec le directeurde l’école. L’après-midi, découvertedu musée de la capitale. Magnifiquelieu avec de très belles expositions.La beauté des statues… En soirée,on retrouve l’aéroport de Pékin pourune nouvelle destination : Hefei,capitale de la province de l’Anhui,qui compte 70 millions d’habitantsdont 70 à 80 % sont des ruraux.Visite de Hefei. Temple, haute tech-nologie et musée de l’Histoire pro-vinciale. Le plus marquant : les pay-sages ruraux, les rizières, le travaildes paysans, qui défilent derrière lesvitres de notre autocar. Quel contrasteavec les buildings de Shenzhen !

JOUR 8Visite du village de Xiaogang, connudans toute la Chine pour avoir le pre-mier, avant même les directives dePékin et de Deng Xiaoping, lancé lesréformes à la campagne, en 1978. Ils’agissait de revenir sur la collecti-visation forcée des terres et sur la viesociale en général.On nous explique que dix-huit fer-miers ont accepté de signer descontrats leur accordant le droit d’usaged’un lopin de terre. Certains d’entreeux nous accueillent. On devine surleur visage toute une vie de travail,celui de la terre. Une partie de larécolte était achetée par l’État à prixfixe, le reste pouvait être vendu surles petits marchés privés locaux : lesrevenus des paysans se sont alorslargement améliorés. L’expériencefut généralisée.

L’Anhui est une province agricole,initialement peu riche, qui a dû fairede gros efforts pour se développer.Quelque vingt ans après le lancementde la réforme, des signes de ralen-tissement étaient apparus : peu deterre pour le nombre de paysans, lacroissance stagnait. On réfléchit surles suites à donner à cette expérience.En 2004, on élargit le champ de laproduction en la diversifiant et entransformant les produits agricolessur place. Plus de valeur ajoutée pour

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La Chine propose aujourd’hui, contre l’unilatéralisme, de travailler à une« communauté de destin ». C’est leurproposition de « nouvelle route de la soie »pour favoriser l’interconnexion entre les continents asiatique, européen, africain et latino-américain.

“ “La délégationétrangère lors du200e anniversairede la naissance de Karl Marx. Plus de 100 partiset près de200 invités étaient présents.

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

PAR DIDIER ARDENNET*,

eu après son arrivée au pouvoir,le 14 mars 2013, le présidentchinois Xi Jinping a officielle-

ment lancé le projet « Ceinture éco-nomique de la nouvelle route de lasoie et la route maritime de la soiedu XXIe siècle ». Depuis mai 2017, ceprojet s’appelle désormais Belt andRoad Initiative (« Initiative de la cein-ture et de la route »). L’idée du gou-vernement chinois est de mobiliserl’image des anciennes routes de lasoie qui reliaient la Chine, et parextension l’Asie, à l’Europe, en passantpar l’Asie centrale, le monde russe,la Perse, le Moyen-Orient et le Bassinméditerranéen. À l’échelle de l’Eurasie,

il s’agissait alors d’une certaine formede première mondialisation. Puis laChine s’est progressivement isoléeet affaiblie.

NOUVELLE ORIENTATION DE PLANIFICATION ÉCONOMIQUE En 2018, la Chine est un pays enpleine ascension. La victoire du Particommuniste chinois en 1949 lui arendu son indépendance nationale,perdue un siècle auparavant, et lesmesures économiques prises depuisles années 1980 ont fortement déve-loppé son économie. Aujourd’hui,la Chine est la deuxième puissanceéconomique mondiale, derrière lesÉtats-Unis, et la première puissancecommerciale. Si sa croissance

demeure très élevée, notamment parrapport à l’Europe ou à l’Amériquedu Nord, elle s’établit désormais àun niveau plus faible (entre 6 et 7 %)que dans les années 1980, 1990 et2000 (au-delà de 10 %).L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en2013 coïncide avec le lancement d’unenouvelle politique économique chi-noise. Il s’agit de changer de modede croissance, de passer de « l’usinedu monde » à un pays développé quiinvestit, qui innove et qui offre uneprotection sociale de qualité à sapopulation avoisinant 1,4 milliardd’individus. Les salaires en forte aug-mentation ont en effet rendu la Chinemoins compétitive en termes de coûtspar rapport à d’autres pays asiatiques.

LES NOUVELLES ROUTES DE LA SOIE, UNE INITIATIVE DE PAIX ET DE DÉVELOPPEMENTLes « nouvelles routes de la soie » constituent un des piliers de la nouvelle politique économique chinoise. Il s’agit d’une initiative pragmatique qui dessine les contours possibles d’un nouvel ordre mondial reposant surle codéveloppement, la paix et le respect des pays partenaires.

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plus de revenus. C’est un exemplede pragmatisme en Chine, où l’ons’adapte en cas d’obstacles.

JOUR 9Toute la journée, 19e Forum deWanshou sur « la réforme, le déve-loppement et la modernisation dela gouvernance d’État ». L’un desintervenants chinois estime que leurmodèle de développement, tel quel,n’est pas exportable à d’autres pays,puisque les conditions sont différentes,mais que leurs expériences peuventêtre une source d’inspiration. Avecle sens de la formule imagée, l’und’entre eux nous a invités à « emmeneravec nous, dans nos bagages, l’espritde Xiaogang ».

JOURS 10 ET 11Jour de départ avec un nouveau péri-ple : Hefei-quartier du Château dePau, en passant par Pékin, Istanbulet Paris. Premières impressions àchaud.La voie chinoise de développement(je ne sais pas si ce terme convient,

mais c’est celui qui me semble le plusapproprié après ce séjour) est uneréalité. Elle peut et doit questionner,elle n’en demeure pas moins uneexpérience en cours qui a, et aura,des conséquences pour la Chine elle-même et pour le reste du monde.La Chine a décidé d’une feuille deroute avec des objectifs précis dedéveloppement réaffirmés par XiJinping lors du XIXeCongrès, en octo-bre 2017. Nous avons pu poser toutesles questions. Nos interlocuteurs chi-nois connaissent nos questionne-ments, nos réserves et aussi noscraintes, nos désaccords. Ils répondentà tout. Soit directement, soit par unart de la dialectique… Sans s’offusquerde rien. Avec une caractéristique :un très grand pragmatisme. Il nenous font absolument pas « la leçon »,ils peuvent exprimer des doutes, direce qui, selon eux, a produit des résul-tats positifs mais aussi préciser cequi n’a pas donné satisfaction, cequ’il a fallu changer, réorienter. Ils’agit bien d’une expérience de déve-loppement. En réponse à certaines

de nos questions, ils nous disentpourquoi la démocratie occidentalen’est pas, pour eux, la voie à suivre.Ils présentent le PCC comme un parti

au pouvoir avec des liens directs avecl’ensemble de la société chinoise. Aucours des échanges ont été abordéespar les délégués des questions surles libertés, les conditions de travail,les droits syndicaux, la place politiquedes entrepreneurs du privé, la luttecontre la pauvreté, les inégalités, lesconditions de logement.Une expérience marquante. Avec desquestions ouvertes. Et la belle fraternitépartagée avec les autres délégués quiont participé à ces journées. n

*OLIVIER DARTIGOLLESest porte-parole du PCF.

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La voie chinoise de développementpeut et doit questionner, elle n’en demeurepas moins une expérience en cours qui a, et aura, des conséquences pour la Chineelle-même et pour le reste du monde.“ “

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De plus, les fortes inégalités socialeset territoriales ainsi que la dégradationrapide de l’environnement depuistrente ans ont entraîné une prise deconscience chez les Chinois, et notam-ment leurs dirigeants, qu’un déve-loppement plus inclusif, qualitatif etdurable était nécessaire dans le cadrede l’économie socialiste de marchéà la chinoise. Ainsi, l’État entendrendre la société chinoise « modéré-ment prospère» à l’horizon 2021, pourle centenaire de la création du PCC,et « forte et prospère » en 2049, pourle centenaire de la fondation de laRépublique populaire de Chine.

Le projet des nouvelles routes de lasoie (NRS) apparaît dans ce contextede transition économique commeun moyen concret de mise en œuvrede cette nouvelle politique. En orien-tant les investissements vers les infra-structures et les connectivités depuisla Chine jusqu’en Europe, les NRSconstituent un moyen de développerl’intérieur du pays et les provincesautonomes de l’Ouest qui n’avaientpas profité autant que la côte del’essor économique chinois, créantune fracture territoriale. Pour réaliserces investissements massifs, la Chinea créé en 2014 le fonds pour l’infra-structure de la route de la soie, avec40 milliards de dollars (entièrementchinois), et la Banque asiatique d’in-vestissement dans les infrastructures,avec 100 milliards de dollars (à domi-nante chinoise mais intégrant la plu-part des pays concernés par les NRS,dont des pays européens). Ces fondssont alimentés ou appuyés par lesgrandes entreprises chinoises(publiques et privées) et les principalesbanques du pays.Les NRS permettent ainsi d’utiliserles immenses réserves financièresamassées par la Chine du fait de sonextraversion économique, et ce dansune optique d’investissement dansle développement national et régional.

Les NRS doivent également inclurede nombreux pôles industriels dansles différents pays traversés par lesroutes, permettant également à laChine de réguler ses problématiquesde surproductions et de surcapacitésde production.

STIMULER LE DÉVELOPPEMENT DE RÉGIONS ENCLAVÉES OU DÉSTABILISÉESL’Asie centrale, qui concentrera lesaxes les plus structurants des NRS,est une vaste région ou se mélangentcultures et influences (chinoise, russe,turque, indienne, perse, européenne).Pour autant, cette immense zonecontinentale demeure largementenclavée et peu développée. Les NRSpassent notamment par la construc-tion d’infrastructures ferroviaires etroutières entre la Chine et l’Europe ;la plupart des pays d’Asie centrale ysont associés : les pôles industrielsdynamiseront l’économie de cespays. Par ailleurs, avant même le lan-cement des immenses projets desNRS, les échanges commerciaux entrela Chine et l’Asie centrale sont passésde 1 milliard de dollars en 2000 à50 milliards en 2013.

Quant à l’Asie du Sud-Est, si elle n’estpas au cœur des routes terrestres dela soie, elle participe des routes mari-times de la soie. Ces pays possèdentégalement une très vieille histoirede relations étroites avec la Chine.Malaisie, Singapour, Indonésie,Philippines, Vietnam, Cambodge,Laos, Thaïlande ou encore Myanmar :tous ces pays possèdent une trèsimportante, ancienne et puissantecommunauté chinoise. Dans beau-

coup d’entre eux, elle contrôle unepart non négligeable de l’économie;elle représente même la majoritédans la population de Singapour. Cespays échangent depuis des sièclesgrâce à la mer de Chine, véritableMéditerranée asiatique. Leur parti-cipation aux routes de la soie mari-times semble acquise, même si laChine doit composer dans la régionavec l’influence de l’Inde et du Japon,assez méfiants vis-à-vis de l’initiativechinoise, ou même des États-Unis,franchement hostile.Autre région cruciale pour le projetchinois : le grand Moyen-Orient. LaChine reçoit 60 % de son pétrole del’Afrique ou du Proche-Orient ; leMoyen-Orient est donc pour la Chineun partenaire économique essentielainsi qu’une porte d’entrée versl’Europe et l’Afrique via les routesmaritimes de la soie. La Chine parleet commerce avec la plupart des paysde cette région complexe, instable etaux conflits souvent instrumentaliséspar les puissances étrangères pourl’accaparement de ses sous-sols richesen hydrocarbures. Sa politique inter-nationale fondée sur la non-ingérenceet son absence de passif colonial luipermettent d’apparaître comme unepuissance nouvelle, une option dif-férente de celle des Occidentaux. Ainsila Chine investit-elle massivementen Égypte ou en Israël, mais surtoutentretient des liens économiques et diplomatiques très forts à la foisavec l’Arabie saoudite et avec l’Iran.Pour l’Arabie saoudite : 70 milliardsd’échanges économiques annuels etune coopération entre les deux paysautour du programme « Arabie saouditeVision 2030 ». Pour l’Iran, les lienssont anciens, et l’isolement diploma-tique de l’Iran depuis 1979 l’a rapprochéde la Chine. En janvier 2016, le présidentchinois Xi Jinping, en visite en Iran,a signé un accord d’échanges de600 milliards de dollars sur dix ansentre les deux pays.

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L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2013 coïncide avec le lancement d’unenouvelle politique économique chinoise. Il s’agit de passer de « l’usine du monde » à un pays développé qui investit, qui innoveet qui offre une protection sociale de qualitéà sa population.

“ “Sa politique internationale fondée sur

la non-ingérence et son absence de passifcolonial lui permettent d’apparaître commeune puissance nouvelle, une option différentede celle des Occidentaux. “ “Sous la mandature

du président Xi Jinping le projet

des nouvellesroutes de la soieprend son élan.

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Si l’Afrique ne se situe pas à propre-ment parler sur les NRS (à l’exceptionnotable de l’Égypte ou de Djibouti,qui voit l’implantation de la premièrebase militaire chinoise en Afrique),le continent est un partenaire essentielpour la Chine. Investissements massifs,notamment au Kenya, constructiond’infrastructures sur tout le continent,échanges commerciaux et universi-taires, là encore la Chine apparaîtcomme une alternative auxOccidentaux pour le développementafricain. D’autant que la Chine refusetoute ingérence politique dans lesaffaires intérieures des États du conti-nent et ne conditionne pas ses prêtset investissements à des réformeséconomiques et sociales comme lefont le FMI ou la Banque mondiale.La Chine entend proposer une alter-native de développement pourl’Afrique fondée sur le respect de lasouveraineté nationale et le ratache-ment de cette politique à destinationde l’Afrique à son vaste plan des NRS.L’Europe est la destination finale et

« naturelle » des NRS. Si pour lemoment les pays de l’est de l’Europe,comme la Pologne, du centre, commela République tchèque, ou du sudavec la Grèce sont assez impliquésdans ce projet, la France demeureun peu en retrait et n’arrive pas encoreà trouver sa place et à s’y impliquerpleinement. Certes, l’Allemagne estle principal destinataire des nouvellesroutes ferroviaires reliant la Chineà l’Europe, mais un premier trainest arrivé en avril 2016 à Lyon enprovenance de Wuhan, en Chine.Les dirigeants français gagneraientà être plus proactifs vis-à-vis desNRS. Cela dit, un forum s’est tenu àParis le 29 novembre 2017 avec pourthème les NRS, ce qui témoigne d’unintérêt nouveau des élites françaisespour ce projet. À noter que l’île deLa Réunion, qui se trouve sur le pas-

sage des NRS maritimes et où résideune importante communauté chi-noise, est très impliquée dans cetteinitiative.

STABILITÉ À SES FRONTIÈRES, PAIX AU NIVEAU INTERNATIONALLe but premier des NRS est bien éco-nomique, social et politique : investirles immenses réserves financièresaccumulées, développer le commerce,sécuriser ses approvisionnements,trouver de nouveaux débouchés à sesentreprises pour gérer les surcapacitésde production et les surproductions.Mais ce projet implique nécessairementde la stabilité, et donc la paix. En effet,les investissements massifs de la Chine,qui sont des investissements lourdset de long terme (infrastructures fer-roviaires, routières, portuaires, indus-tries), impliquent structurellementun impératif de paix pour assurer unedurabilité au projet chinois de NRS,qui concerne 40 % de la superficiemondiale, 70 % de la population, 60 %de la richesse et 75 % des énergiesconnues. Il s’agit donc d’un fait majeuret structurant pour le développement,la stabilité et la paix dans le mondedu XXIe siècle.Le projet des NRS possède égalementun axe plus affirmé en matière depréservation de la sécurité et de l’in-dépendance nationale, économiqueet stratégique chinoise. La Chine est

actuellement largement dépendantede la route maritime pour ses impor-tations en énergie et son commerce.Cette situation la rend vulnérable àl’attitude belliqueuse des États-Unis,dont la VIIe flotte stationne autourdu Japon, de la Corée du Sud et deTaiwan et multiplient les provocationsen mer de Chine. La Chine entendnotamment se prémunir contre unéventuel blocus maritime des États-Unis qui pourrait passer, par exemple,par la fermeture du détroit de Malacca.Elle développe les NRS terrestres afinde disposer d’une solution de com-merce en cas d’agression. Ces NRSterrestres sont de plus connectées àde nombreux ports chinois créesrécemment le long des NRS maritimes.Ainsi, le corridor Chine-Pakistanreliant la province autonome duXinjiang au port de Gwadar auPakistan, permet d’offrir un nouvelaccès à la mer et aux NRS maritimeset pourrait permettre de contournerpar les terres le détroit de Malaccaen cas de blocus.La politique étrangère de la Chinedes NRS s’inscrit dans une visiongéopolitique plus globale du pays,qui passe par la promotion et ladéfense du multilatéralisme. La Chinedéfend largement les institutionsonusiennes et apparaît comme lemoteur au niveau international dela lutte contre le réchauffement cli-

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Les investissements massifs de la Chine, qui sont des investissementslourds et de long terme impliquentstructurellement un impératif de paix pourassurer une durabilité au projet chinois de NRS, qui concerne 40% de la superficiemondiale, 70% de la population, 60% de larichesse et 75% des énergies connues.

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Thierry Gauthé, Courrier international

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 Progressistes

PAR SYLVESTRE HUET*,

émergence de la Chinecomme géant de la sciencese lit dans les principaux

résultats d’une étude bibliométrique1

fondée sur les données du Web ofScience, rendue publique en avrildernier par le Haut Conseil de l’éva-luation de la recherche et de l’ensei-gnement supérieur (HCERES). Uneétude de l’Obser vatoire des scienceset des techniques (OST), dirigé parFrédérique Sachwald, aujourd’huiun département du HCERES. Sonintérêt est de synthétiser une évolutionde quinze ans, de 2000 à 2015. Pointssaillants? Les États-Unis perdent leurhégémonie, éclatante il y a un demi-siècle. Le Japon s’écroule. Des paysémergent : Inde, Iran, Brésil, Coréedu Sud. La France ? Elle ne pointedésormais qu’au 7e rang, dépasséepar la Chine, mais aussi l’Inde, et nereprésente plus que 3,2 % des publi-cations scientifiques mondiales. Uneautre étude, le rapport Science &Engineering Indicators 2018 de laNational Science Foundation états-unienne2, souligne l’envol specta-

culaire de la Chine, passée de moinsde 87000 articles publiés en 2003 à426000 en 2016, année où le géantasiatique passe en tête de ce classe-ment par pays.

LA REINE ROUGEAu pays de la science mondiale, c’estcomme dans celui de la Reine Rouged’Alice au pays des merveilles : si tune cours point, ou pas assez vite, tute fais dépasser. Du coup, tout lemonde, ou presque, essaie de courirde plus en plus vite, de produire deplus en plus de connaissances scien-tifiques. En outre, les dirigeants poli-tiques, souvent incapables de mesurerautrement que par des chiffres uneactivité quelconque, se sont mis entête de mettre la pression sur lesscientifiques de la recherche publiqueen les sommant de publier toujoursplus et plus vite des « articles », résultatsde recherches, dans des revues des-

tinées à leurs collègues. Les « bons »chercheurs sont ceux qui publientle plus, croient-ils, ce qui est unevision très simpliste.Résultat? Le nombre de publicationsscientifiques s’envole. « Un double-ment», annonce Frédérique Sachwaldde l’OST, en fait d’un peu plus de800000 articles en 2000 on est passéà près de 1800000 en 20153. Cetteinflation reflète d’abord l’augmen-tation du nombre des scientifiquesen activité dans le monde commede leurs moyens techniques (obtenirle séquençage du génome d’un orga-nisme, et donc le publier, prend millefois moins de temps et d’argent qu’ily a vingt ans), et partant des connais-sances produites.Si cette vision est pour l’essentielcorrecte, il faut néanmoins la nuancer.La « digestion » par les communautésscientifiques de cette masse de résul-tats produits devient ainsi un pro-blème crucial. Mais, surtout, cetteinflation résulte aussi de problèmessérieux : création en série de revuesprédatrices dénuées de toute sélectiondes articles, saucissonnage des résul-tats d’expériences, publications pré-

Tel un bulldozer, la science chinoise bouscule les hiérarchies établies au siècle dernier. Elle s’imposecomme une grande puissance de la science et promet d’en devenir une superpuissance tout en acquérant à grande vitesse son autonomie sur l’ensemble des fronts technologiques.

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La « digestion » par les communautésscientifiques de cette masse de résultatsproduits devient ainsi un problème crucial.“ “

matique. Dans ce domaine, la Chineest certes devenue le principal pol-lueur, mais est également le paysqui investit le plus dans le dévelop-pement durable : 100 milliards dedollars rien que sur l’année 2016, et

la part des énergies renouvelablesdans son mix énergétique atteint20 %, contre 13 % pour les États-Unis. Par ailleurs, pour la Chine lafin de l’unilatéralisme américain/occi-dental doit passer aussi par la fin dutout-dollar. C’est pourquoi nombrede ses échanges commerciaux sontdésormais libellés en yuans conver-tibles en or ou dans d’autres monnaiesnationales. Si la Chine peut se per-mettre une telle audace financièrec’est parce qu’elle a considérablementaugmenté ses réserves en or ces dixdernières années : elles dépassentaujourd’hui les 3100 t. Les immensesinvestissements NRS peuvent être

de ce fait un accélérateur de la findu monopole du dollar dans les trans-actions internationales.La Chine d’aujourd’hui entend retrou-ver sa place historique de premièrepuissance mondiale, qu’elle avaitperdue depuis deux siècles. Forte deson histoire, de sa civilisation millé-naire et de sa longue tradition diplo-matique, la Chine souhaite utiliserl’ouverture, le commerce et le dialogue.Cette méthode est une promesse depaix dans un monde bousculé, quidoit faire de la Chine le pôle de stabilitéde ce XXIe siècle. n

*DIDIER ARDENNET est inspecteur des douanes.

La politique étrangère de la Chine des NRS s’inscrit dans une vision géopolitiqueplus globale du pays, qui passe par lapromotion et la défense du multilatéralisme.La Chine défend largement les institutionsonusiennes et apparaît comme le moteur au niveau international de la lutte contre le réchauffement climatique.

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GÉOPOLITIQUE DE LA SCIENCE: LA REMONTADACHINOISE BOULEVERSE L’ORDRE ANCIEN

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

maturées, résultats non reproducti-bles, fraudes, mauvaises conduites…Lorsqu’elle est plutôt le résultat dela pression exercée par le pouvoirpolitique, soucieux de « productivité »,cette inflation contribue à des dérives,fraudes et méconduites, dont la Chinen’est pas exempte.

TRAGÉDIE DE LA RÉVOLUTIONCULTURELLESi tout le monde court – voire accélère– à la même vitesse, les hiérarchiesétablies demeurent les mêmes. Maissi l’un accélère beaucoup plus queles autres, elles sont bouleversées.C’est ce qui s’est produit avec l’arrivéed’un nouveau coureur surpuissant :la Chine. Avec les réformes des années1980, ce pays immense a, petit à petit,constitué une force de frappe scien-tifique. Ce fut difficile, la Chine pré-Mao ayant été dépecée et envahiepar des puissances étrangères mettantà profit leur supériorité technologique,et la Chine de Mao ayant démoli sespremiers efforts dans l’enseignementsupérieur et la recherche avec la tra-gédie de la Révolution culturelle, lepays ne pèse qu’à peine 1 % du totalmondial en 1980. Mais depuis ledébut du XXIe siècle la machine à for-mer scientifiques et ingénieurs monteen puissance année après année. Leslaboratoires reçoivent des finance-ments substantiels. Les échangesinternationaux sont devenus la règle,favorisés par une diaspora chinoise(ou d’origine chinoise) abondammentprésente dans les laboratoires desÉtats-Unis ou d’autres pays.Il y a quinze ans, des responsablespolitiques ou des collègues journalistes– dont un correspondant en Chine !– auxquels je faisais part de l’obser-vation de la montée en puissancechinoise me rétorquaient : « C’est dela mauvaise science, de la copie. » Àl’époque, il est vrai, la part chinoisedes articles du « top » – les meilleuresrevues et le 1 % articles les plus cités– était encore très modeste. Ce n’estplus le cas. Même si la productionchinoise affiche une performancemoyenne inférieure à celle d’autrespays, son volume lui permet de pointerau 2e rang mondial, derrière les États-Unis, pour sa part du « top ». Depuis2000, elle a dépassé dix pays dans ceclassement des meilleurs articles,une remontadaencore plus marquée

que pour le nombre total d’articles.Les laboratoires chinois participentà toutes les aventures scientifiquesde pointe, de la génétique à l’astro-physique… quand ils ne sont pasleader mondial comme pour la télé-portation quantique par satellite.Leurs copublications avec les autrespays – notamment en mettant à profitla diaspora chinoise aux États-Unis– montrent leur insertion dans lacommunauté scientifique mondialeet boostent leurs résultats dans lesclassements fondés sur le nombrede citations.

La première place de la Chine ennombre de publications n’en fait pasencore le véritable numéro un de lascience mondiale, surtout si l’oncompte l’Union européenne commeun « pays », qui prend alors la tête.En outre, la baisse récente (depuis2014) des publications des États-Unis et des pays de l’Union euro-péenne est un effet en trompe-l’œil.Elle s’explique en partie par l’accrois-sement très rapide des articles publiésen coopération internationale – cequi aboutit à un décompte fraction-naire de chacune de ces publications,diminuant le total de chaque pays.Or, si les copublications internatio-nales sont passées de 15 à 23 % dutotal, ce mouvement est encore plusaccentué en Europe et aux États-Unis. Ainsi, en France, les copubli-cations (avec les pays de l’UE et horsUE) représentent nettement plus dela moitié du total.

LA FRAUDE EN CHINELa rapidité de cette évolution produitmanifestement dans les laboratoiresdes effets pervers, dont la fraudemajeure et tout l’éventail des « mécon-duites scientifiques » et autres man-quements à l’intégrité possibles :articles bidon, signatures d’auteursfantômes, revues dites « prédatrices »qui attirent des scientifiques corrom-pus… La liste est longue. Même si ellene doit pas illusionner, la science chi-

noise est pour l’essentiel « normale ».La revue Tumor Biology a ainsi misà la poubelle en 2017 plus de centarticles d’un coup, tous frauduleuxviaun système astucieux contournantla « revue par les pairs ». Les auteurschinois étaient parvenus à faire relireleurs articles par des pairs fantômes,dupant la revue4, un type de fraudeparticulièrement prisé en Chine.L’origine de cette fraude massive ?Une décision stupide du gouverne-ment chinois consistant à déciderde la carrière des médecins des hôpi-taux publics sur la base de leurs publi-cations scientifiques. Mais l’intérêtde cette histoire réside surtout danssa suite.Le gouvernement chinois a en effetréagi de manière très vigoureuse àcette fraude massive en déclenchantune enquête judiciaire approfondiequi a concerné plus de 500 scienti-fiques5. L’affaire s’est terminée parun procès spectaculaire dont le siteweb Rédaction médicale et scienti-fique, tenu par Hervé Maisonneuve,présentait ainsi le bilan : « Sur les521 auteurs impliqués, 11 ont été jugésinnocents avec 24 encore sous enquête.Parmi les auteurs restants, 486 auteursont été reconnus coupables d’incon-duites à différents niveaux. Un totalde 102 personnes ont été principale-ment responsables, 70 responsablessecondairement et 314 n’ont pas par-ticipé à la fraude, selon un responsabledu ministère chargé de l’applicationdes règles. Les 314 auteurs, déclarésnon coupables de fraude, mais ayantdes programmes de recherche ou desrécompenses, ont été accusés de négli-gences dans la gestion des recherches

académiques et des publications.Parmi les 107 articles rétractés, deuxétaient des plagiats, l’un a été rétractépar erreur et ses auteurs étaient inno-cents. Au total, 101 articles ont étéfabriqués, dont 95 ont été examinéspar des experts fabriqués (fraude aupeer-review avec de fausses adresses

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Lorsqu’elle est plutôt le résultat de la pression exercée par le pouvoirpolitique, soucieux de « productivité », cette inflation contribue à des dérives,fraudes et méconduites, dont la Chine n’est pas exempte.

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chinois avec les autres pays montrent leurinsertion dans la communauté scientifiquemondiale et boostent leurs résultats dans les classements fondés sur le nombrede citations.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 Progressistes

email). Douze articles ont été achetésauprès d’institutions tierces. »

UNE GÉOPOLITIQUE DE LA SCIENCE BOUSCULÉELes chiffres de la géopolitique de lascience disent une transformationdu monde que l’on peut résumer enquelques remarques (très) lapidaires.Dans les sciences, les technologies,l’économie, la géopolitique…, laChine reprend la place que lui donnesa démographie. Dans le monde dedemain, son statut de superpuissancesera une donnée de base. Traduirece rapport des forces des publicationsscientifiques en puissance scientifiqueet technologique serait toutefoisabusif. Il reflète plus précisémentl’effort de publications académiquesdes équipes de recherche financéessur fonds publics. Si c’est la base dela puissance scientifique et techno-logique que recherchent les pouvoirspublics, cette dernière provient éga-lement d’autres facteurs : l’effort derecherche privé, la capacité à concen-trer les efforts, le lien avec les indus-triels opérant dans les secteurs dehaute technologie et y disposant depositions fortes (la domination états-unienne sur les technologies numé-riques en est un exemple frappant),et surtout la durée passée de la maîtrisescientifique et technique. Si ces fac-teurs ne jouaient pas, l’Union euro-

péenne serait en situation de nettedomination face aux États-Unis depuisdix ans, mais l’écart favorable en pro-duction académique dont elle béné-ficie ne se traduit pas dans les dimen-sions industrielles de la technologieoù les deux puissances sont plutôtà parité globale.Un exemple frappant de la capacitéde la Chine à « transformer l’essaiscientifique en puissance techno-logique » est la mise en service dupremier réacteur nucléaire de3e génération, l’EPR de Taishan,dont EDF a 30 % des parts. Mais leplus significatif n’est pas la rapiditédu chantier (commencé deux ansaprès celui de Flamanville, il estdéjà en service). Le plus importantest ceci : le premier EPR chinois aété construit avec une cuve et desgénérateurs de vapeur achetés àAreva, le second, presque terminé,l’a été avec une cuve et des géné-rateurs de vapeur fabriqués enChine. L’étape suivante, c’est leréacteur de 3e génération Hualong,100 % chinois, tant pour la concep-tion que pour la construction… etdéjà proposé à l’exportation enGrande-Bretagne. Les entreprisesfrançaises seront au mieux sous-traitantes dans l’opération.Hégémoniques en 1990, après l’écla-tement du bloc soviétique, les États-Unis ne peuvent plus espérer dominer

le monde, même s’ils demeurent trèspuissants. Les pays d’Europe peuvent,ensemble et coordonnés, constituerune puissance mondiale de premierplan puisque l’UE est… la premièreproductrice de science. En revanche,isolés, ils seront des acteurs d’abordde second rang, puis de moindreimportance au fur et à mesure qued’autres pays s’approprieront scienceset technologies. D’ailleurs, c’est grâceà leur coopération serrée qu’ils ontréussi à se hisser aux premiers rangsdans les domaines de la physiquedes particules, de l’astronomie oudes technologies spatiales.Sciences et technologies de pointesont encore hors de portée de la plu-part des pays d’Afrique, d’une bonnepartie de l’Asie ou de l’Amériquelatine. C’est un problème mondial.Car la résolution de leurs difficultéséconomiques, sociales et culturelles– lesquelles vont jusqu’à la guerre etla sous-alimentation qui provoquentdes migrations massives non voulues– ne se fera pas à technologiesconstantes pour la production agri-cole, industrielle et l’aménagementurbain en croissance explosive.

La question du transfert de savoirset de technologies doit donc êtreposée autrement que dans le cadred’échanges marchands. Soutenir laformation d’une capacité scientifiqueet technologique dans les pays duSud les plus en difficulté devient unimpératif mondial si l’on veut affronterles défis du changement climatique,de la gestion des ressources naturelleset de la paix. n

*SYLVESTRE HUET est journalistescientifique.

1. hceres.fr/publication-Rapport-PSF2. https://www.nsf.gov/statistics/2018/nsb201813. https://www.inpi.fr/sites/default/files/inpi_statistiques_palmares_2017_vf.pdf4. http://www.sciencemag.org/news/2017/07/china-cracks-down-after-investigation-finds-massive-peer-review-fraud5. http://www.xinhuanet.com/english/2017-07/28/c_136480677.htm

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Un exemple frappant de la capacité de la Chine à « transformer l’essai scientifiqueen puissance technologique » est la mise en service du premier réacteur nucléaire de 3e génération, l’EPR de Taishan.“ “

Bibliothèque du centre culturelBinhai ouverte à Tianjin depuisoctobre 2017.

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

PAR JEAN-CHRISTOPHE FOURNEL*,

DE LA RUINE À L’HÉGÉMONIEAprès le sac du palais d’été le 18 octo-bre 1860, près d’un siècle de domi-nation et d’agressions économiqueset culturelles du peuple chinois parles empires français et britannique,puis par les États-Unis et le Japon,prend fin le 1er octobre 1949 avec lapromulgation de la République popu-laire de Chine. La civilisation millénaireà laquelle le monde doit tant d’in-ventions est alors ruinée (cf. graph).

Ruinée mais désormais libre de seschoix, de ses alliances et de son destin.Trente années de tâtonnements etde recherche d’un modèle écono-mique, industriel et de civilisations’ensuivent, qui débouchent le15 décembre 1991 sur la productionà Qinshan du premier kilowattheured’électricité chinoise d’originenucléaire : le réacteur de 300 MWede la centrale est de conception chi-noise, la cuve est fournie par le japo-nais Mitsubishi. À l’époque, plus desdeux tiers de la population activechinoise est encore classée dans lamain-d’œuvre agricole. Il aura ensuitesuffi d’une génération pour que ce6 juin 2018 à Taishan la premièreréaction en chaîne du premier réacteurEPR de la planète marque l’accessionde la Chine au rang de leader mondialdans la construction de réacteursnucléaires. Il n’est pas innocent quece réacteur EPR, mis en chantier surdeux installations en parallèle àTaishan et bien après ses aînés d’OL3en Finlande et Flamanville 3 en France,

toujours en construction, soit aussiavec ses 1750 MWe sur une seuleligne d’arbre le plus puissant desréacteurs nucléaires que l’histoirede cette industrie ait jamais conçuet mis en service.Dans quelles conditions et commentcette prouesse a-t-elle pu advenir ?C’est ce que ma modeste expérienceva tenter de retracer.

DES ENSEIGNEMENTS DE L’EXPÉRIENCE FRANCAISE…Ingénieur à la Direction de l’équipe-ment d’EDF, embauché en 1983 pourdémarrer Superphénix à Creys-Malville, j’ai eu la chance de vivre, àpartir de 2005, six années de ma car-rière professionnelle au cœur d’uneexpérience industrielle comparableà celle que la France a connue à partirde mars 1974, lorsque le gouverne-ment Messmer décida de construirejusqu’à sept réacteurs par an pendantprès de huit ans pour assurer l’indé-pendance énergétique de la Francedans le domaine électrique.Militant communiste et syndicaldepuis le milieu des années 1970,j’ai vécu pleinement dès mon entréeà EDF l’aventure de l’indépendanceénergétique qui devait, avec Super -phénix, assurer des siècles d’auto-nomie et d’indépendance à notrepays; je l’ai vécue comme tant et tantde salariés, comme mes collèguesd’EDF et du CEA, totalement engagéset motivés pour cette mission natio-nale. C’était l’époque où un grandservice public avait la mission d’équi-per la France de moyens de productiond’électricité et où un vaisseau amiralcréé à la Libération par Frédéric Joliot-Curie concevait l’architecture indus-

trielle du cycle du combustible quiallait doter la nation de son indé-pendance énergétique. C’était aussil’époque où l’État jouait bien plusqu’un rôle de stratège, puisqu’il défi-nissait et organisait le tissu industrielpour garantir la sécurité d’approvi-sionnement électrique du pays.Cette épopée industrielle, qui débutaen 1977 avec le démarrage deFessenheim, allait prendre fin avecle dernier réacteur N4 couplé en 1999au réseau à Civaux, dans la Vienne,suivant de près la décision criminelled’arrêt définitif de Superphénix etl’engagement d’un moratoire par legouvernement Jospin, qui allait s’avé-rer fatal pour l’industrie française et

sa capacité à maîtriser les grandschantiers de construction nucléaire.Le lecteur aura probablement oubliéles quelques chiffres que l’on doitrappeler ici et qui montrent l’effortinouï dont la France a été capablepour assurer son indépendance éner-gétique (effectifs et grands chan-tiers…), dans le cadre d’une organi-sation planifiée au plus haut niveaude la nation, par les VIe (1971-1975)et VIIe (1976-1980) plans quinquen-naux : Creusot-Loire, Framatome,Alsthom, EDF Direction de l’équipe-ment, tissu industriel (Delas, SPIE,Cegelec, etc.)… La planification fran-çaise, mise en place en 1945 et liquidéesur l’autel du libéralisme au débutdes années 1990, a constitué un desaspects les plus singuliers de l’actionde l’État pour domestiquer le marché.Se bornant à donner des objectifsquantitatifs ou qualitatifs définis d’uncommun accord entre les partenairessociaux, le Plan a permis d’orienter

LA CHINE ET LE NUCLÉAIRELa Chine est devenue en moins de soixante-dix ans ans le leader mondial dans la construction de réacteurs nucléaires. Cette prouesse est largement due à la façon dont le pays a tenu compte del’expertise et de l’expérience des ingénieurs français dans le domaine nucléaire.

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La planification française a constituéun des aspects les plus singuliers de l’action de l’État pour domestiquer le marché et a permis d’orienter les investissements dans les secteursprioritaires pour la croissance.

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Il aura suffi d’une génération pour que ce 6 juin 2018 à Taishan la premièreréaction en chaîne du premier réacteur EPRde la planète marque l’accession de la Chine au rang de leader mondial dans la construction de réacteurs nucléaires.

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les investissements dans les secteursprioritaires pour la croissance.

… AUX RÉUSSITES INDUSTRIELLESCHINOISESC’est en Chine que l’expérience fran-çaise (nationalisations, planification,standardisation) a servi de modèlepour hisser ce géant millénaire aurang de ce qu’il était avant l’humi-liation des impérialismes franco-britannique en 1860.La France reconnaît la Républiquepopulaire de Chine en 1964, maisn’oublions pas que nombre de sesdirigeants de premier plan ont étéformés au marxisme et à la lutte desclasses dans les universités et lesusines françaises au début du XXesiècle:Zhou Enlai, puis Deng Xiaoping, quia même travaillé au Creusot dans lesannées 1920. Après avoir restauréune base économique viable, MaoZedong, Zhou Enlai et d’autres vétéransde la révolution étaient prêts à selancer dans un programme intensifde croissance industrielle et de miseen place du socialisme. Dans ce but,l’administration adopte le modèle

économique soviétique, fondé sur lapropriété publique dans le secteurmoderne et la planification écono-mique centralisée. Cette approchedu développement économique semanifeste dès le Ier plan quinquennal(1953-1957) et reste encore l’outilmajeur du développement de ce pays.On citera pour mémoire des objectifsindustriels significatifs de l’avant-dernier plan, XIIedu nom (2011-2015) :

– le produit des industries stratégiquesnouvelles doit atteindre 8 % du PIB ;– les investissements étrangers sontles bienvenus dans l’agriculturemoderne, les hautes technologies etles industries de protection de l’en-vironnement ;– les régions côtières ne doivent plusêtre l’usine du monde mais des centresde recherche et développement, deproduction de haute technologie etde services ;– l’énergie nucléaire doit être déve-

loppée plus efficacement, à conditionque la sécurité soit assurée ;– la construction de barrages hydro-électriques doit être accélérée dansle sud-ouest de la Chine ;– le réseau ferré à grande vitesse doitatteindre 45000 km;– le réseau autoroutier doit atteindre83000 km;– un nouvel aéroport doit être construità Pékin ;– 36 millions d’appartements abor-dables pour les foyers à faible revenudoivent être construits.En mai 1982, conformément auVIe plan, qui prévoit « d’encouragerune mise à niveau des technologiesindustrielles en faisant de l’économied’énergie une priorité et de réunir lecapital nécessaire au renforcementde la construction des projets clés en matière d’énergie », FrançoisMitterrand signe à Pékin un accordintergouvernemental donnant lecadre politique nécessaire à toutetransaction nucléaire et qui permettrala construction de Daya Bay 1 et 2,puis de Ling Ao 1 et 2. Ces centralessont les copies conformes de réacteurs

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C’est en Chine que l’expériencefrançaise a servi de modèle. “

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Centrale nucléaire de Tianjin.

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français standardisés et construits àl’époque encore en France sous licenceétats-unienne (Westinghouse). Ellesseront mises en chantier puis exploi-tées au début, entre 1993 et 2002,avec le soutien massif d’EDF et deFramatome.

LA COOPÉRATION CHANGE DE SENSPendant la même période, la Coréedu Sud a fait construire en 1983 parFramatome deux îlots nucléaires àUlchin, qui entreront en service com-mercial à partir de 1988. Deux décen-nies plus tard, en décembre 2009, cepays remporte au nez et à la barbedes géants mondiaux du secteur quesont alors la France, les États-Uniset le Japon, un contrat de fournitureclés en mains de 4 réacteurs aux Étatsarabes unis (le premier a démarréen mars 2018 !). Le contrat prévoit lamise en route et l’exploitation de 4réacteurs de 1400 MW chacun, vial’adaptation de la technologie detroisième génération APR1400 deKepco.Ce détour par la Corée du Sud permetde comprendre l’intensité de la prisede conscience chinoise de son retarddans l’appropriation des technologiesoccidentales. Si les entreprises deBTP et de montage électromécaniqueont acquis une bonne maîtrise deleur métier dès 2004, force est deconstater que le tissu industriel localest alors très loin de pouvoir soutenirle programme quinquennal lancédans le cadre du VIeplan (2006-2010),lequel prévoit la fabrication et laconstruction de 4 à 6 réacteursnucléaires par an sur le sol chinois,puis les premières participations auxappels d’offres internationaux quedoivent lancer la Turquie et d’autrespays candidats au nucléaire.Le gouvernement chinois fixe alors,en 2004, à CGNPC, acteur majeur del’époque dans la construction nucléaireet partenaire de longue date d’EDFet de Framatome, dont les dirigeantssont francophones, un objectif radical :après les paires de tranches de DayaBay puis Ling Ao 1 et 2 (dénommésLAO phase 1), le gouvernement auto-rise l’achat de deux centrales sup-plémentaires à Framatome et Alstomdans le cadre du projet LAO phase 2,mais à la condition que la partie chi-noise s’approprie de façon radicale

la technologie française. Le graphiqueci-dessous illustre le coup de reinsque met tout un pays dans la sinisationde son industrie nucléaire dès 2005.C’est donc une petite équipe d’unedizaine d’experts de la Direction del’équipement d’EDF qui arrive enjanvier 2005 pour « conseiller etappuyer » le service chinois (on estloin des centaines d’expatriés quiavaient assuré la réussite des projetsDaya Bay puis Ling Ao phase 1). Trèsvite, les agents EDF présents com-prennent qu’ils ne sont pas les bien-venus au sein des équipes locales etqu’ils ont été imposés par les patronsd’EDF et de CGNPC pour garder lecontact et préparer les futures col-laborations sur EPR et l’aval du cycle,mais que désormais ce seront lesChinois qui auront la maîtrise descontrats, des sous-traitants et del’ensemble de l’enchaînement desphases de montage et des essais dedémarrage.

On assiste alors à l’organisation parle haut de toute une industrie, avecl’appropriation à marche forcée etpar le menu des codes et des stan-dards qui garantiront avec les sous-traitants chinois la qualité et la sécuritédes installations. Pour la plupart(RCC-M, RCC-E1, etc.), ces codes sontceux qui ont été élaborés par l’industrieet cautionnés par l’Autorité de sûreténucléaire française, et l’on verra lapartie chinoise sur LAO phase 2 s’ac-crocher férocement à ces outils dedizaines de milliers de pages qui per-mettent aux trois parties (le fabricant,

le commanditaire, l’organisme decontrôle) de parler le même langage.La grande épopée du nucléaire chinoisest en train de s’écrire lorsque, enjanvier 2005, j’atterris avec une dizained’autres ingénieurs EDF à Hong Kong.Quelques jours après, HervéMachenaud, un vétéran de la Directionde l’équipement d’EDF estimé parla Chine, vient nous éclairer sur notremission: « Vous êtes ici pour apprendre,apprendre comment la Chine vaconstruire en un temps record un parcnucléaire qu’aucun pays au monden’a égalé, comment elle va structurerune industrie, procéder avec ses sous-traitants, et adapter nos codes aumeilleur des évolutions technologiques,afin de servir dans quelques annéesnotre pays quand la nation confieraà EDF la responsabilité de renouvelerson parc de production nucléaire.2 »De nos jours, dans une carrière pro-fessionnelle, on croise peu de vision-naires capables de donner du sensautre que financier, et je dois direque cette rencontre a été la boussolede mes six années vécues entre LAOphase 2 et les deux EPR de Taishandans la Chine moderne.Lors de ma deuxième mission enChine sur les EPR de Taishan, deuxans après que LAO phase 2 a démarré,j’ai été stupéfié de voir une générationd’ingénieurs qui avaient été forméspar les pionniers de LAO phase 2,qui en connaissaient par cœur leretour d’expérience et les enseigne-ments rédigés par ces pionniers etqui utilisaient ceux-ci comme unebible que des milliers de Chinoisallaient utiliser à Hong Yanhe,Yangjiang, Fangjiashan, Ningde,Fuqing et ailleurs pour commander,faire fabriquer, construire et démarrerdes dizaines de CPR1000 partout enChine3. Il nous aura fallu expliquerque Taishan relevait d’une nouvellegénération de réacteurs, et que noscollègues devraient – comme nous– faire preuve d’autonomie et deréflexion propre pour s’émanciperdu modèle et réaliser un nouvelexploit.

AFFRONTER LES CONTRADICTIONSPour finir, je tenterai d’apporterquelques éléments de compréhensionaux questions suivantes que le lecteurincrédule pourrait se poser : Commentpeut-on construire et exploiter dans

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La Chine a pris des mesuresdrastiques pour, en un temps record, mettre l’industrie nucléaire à l’abri de la corruption.“ “

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la durée un parc de productionnucléaire sûr dans un pays où la plu-part des écoles s’écroulaient encorerécemment lors des séismes, tandisque les villas des gouverneurs résistentaux chutes d’avion tellement ellessont lardées du fer à béton qui manqueau toit des écoles? Et comment dansune Chine aux lois et règlements tousplus protecteurs les uns que les autrespeut-on croire à un nucléaire sûralors que des millions de salariéssont sans contrat de travail, sanssalaire quelquefois, totalement privésde droits élémentaires4 ?Pendant quatre ans à Ling Ao phase 2puis deux ans à Taishan, j’ai été témoin,mais aussi professionnellement impli-qué et politiquement engagé5, de laprofonde mutation de la Chine sousde multiples aspects. Cette Chinecorrompue du haut en bas et danspratiquement tous les secteurs d’ac-tivité, avec les scandales inouïs dontse sont délectés les médias occiden-taux (lait maternel mélaminé, solset rivières totalement pollués, enlè-vement et esclavage d’enfants dansles provinces reculées, organisationmafieuse démembrant des individuspour les envoyer mendier dans lesmégalopoles comme Shenzhen, etc.),cette Chine a pris des mesures dras-tiques pour, en un temps record,mettre l’industrie nucléaire à l’abride la corruption. J’ai vu ainsi le direc-teur adjoint de Daya Bay ainsi qued’autres, dont mon dirigeant directchinois, poursuivis en justice et purgerdes peines de prison parce qu’ilsavaient été convaincus de corruption.J’ai vu comment la police du districtde Yangjiang, dans le Guangdong,corrompue et soumise aux lois desbarons locaux du béton, a été neu-tralisée par le gouvernement centralde Pékin pour permettre de construiresur ce site du sud de Canton 6 réac-teurs CPR1000 calqués sur LAOphase 26. J’ai appris aussi des collègueschinois comment Li Peng, Premierministre, est venu devant les dirigeantsde Daya Bay et Ling Ao expliquer quel’URSS s’était effondrée à partir deTchernobyl et que pareil accidenten Chine signifierait la fin de la nationchinoise et de sa stabilité âprementconquise.Cette prise de conscience de dizainesde milliers de salariés impliqués dansl’industrie nucléaire chinoise a été

rapide et devra probablement êtreconsolidée encore. Mais peut-onmépriser ce qui a été atteint, alorsque l’on a découvert il y a peu enFrance que des années de dossiersfalsifiés dormaient dans les armoiresd’Areva au Creusot, alors que la Coréeavait, il y a une décennie, fait mas-sivement de même et alors que leJapon avait une organisation de lasûreté inexistante car totalementsoumise au monde des affaires ? Laprise de conscience chinoise et sonsavoir-faire d’aujourd’hui se sontbâtis sur une pratique millénaired’apprentissage laborieux, tenace etpartagé, et sur le sentiment fort d’ap-partenance à une nation multimil-lénaire et pour laquelle le sens del’unité et de la cohésion passe avanttout.

Enfin, les Chinois ont désormaisaccès à des quantités de sources d’in-formation et de connexions non cen-surées qui dépassent de loin ce queles médias occidentaux veulent nousfaire croire: le mouvement des grutierscomme celui des camionneurs ence moment se structure, phénomèneapolitique et sectoriel, que l’Étatbannit – mais pour combien de tempsencore? Le vecteur WeChat, 100 %chinois, a permis de mettre en mou-vement dans les jours menant au1er Mai, jusqu’à 27 villes de 19 pro-vinces, et a rassemblé jusqu’à10000 grutiers. Au-delà de cette struc-turation du mouvement ouvrier, c’estaussi à une forte opinion publiqueque les gouvernements locaux etcentraux ont affaire depuis dix ansen Chine. On ne compte plus les pro-jets (usines chimiques, etc.) à proximitédes grandes villes qui ont été aban-donnés sous la pression publique.J’ai personnellement mesuré l’extrêmesensibilité de la population chinoiseà la sécurité et à la sûreté des instal-lations qui s’est manifestée à la suitedu tsunami qui a frappé le Japon et

détruit plusieurs réacteurs àFukushima, en sus de toute l’industriechimique et pétrolière locale qui apollué les nappes phréatiques. Legouvernement chinois a dû prendredes mesures de grande ampleur,visant non seulement l’industrienucléaire nationale, mais égalementl’ensemble de la population, pourque l’acceptabilité du nucléaire puisseperdurer. Une part importante del’acceptabilité repose enfin sur unhaut niveau de salaires et de garantiesdes personnels des compagnies élec-triques, et par contagion des princi-paux sous-traitants. n

*JEAN-CHRISTOPHE FOURNELest ingénieur à EDF.

1. RCC-M, RCC-E : règles de conception et de construction des matériels mécaniqueset électriques.2. Le radier de Taishan coulé en quelquesheures (celui de Flamanville 3 aura mis dessemaines), les consoles du pont polaire, lesessais de démarrage en un temps record…tout cela devrait bénéficier aux futurschantiers d’EDF à Hinkley Point (Royaume-Uni), en Inde, et en France sur la suite de Flamanville 3.3. Statistiques AIE des réacteurs dans le monde : https://www.iaea.org/pris/ 4. 60 millions d’hommes travaillent dans la construction, le plus souvent des migrantssans éducation et férocement exploités.Selon une étude du Conseil d’État de 2016,les deux tiers seraient sans contrat, en infraction à la loi, et 50 % auraient desproblèmes de paiement des salaires. Malgré12 h de travail par jour, au lieu des 8 hlégales, les heures supplémentaires ne sontpas payées, pas plus que les chargessalariales. C’est de Changsha (Hunan), le 25 avril, qu’est partie la contestation,depuis un groupe WeChat de la Fédérationdes grutiers, revendiquant le droit à s’unir et appelant l’interprofession à débrayer le 1er Mai, pour obtenir respect de la loi et un salaire de 9 000 ¥ pour les grutiers.(Source : le Vent de la Chine, 17 mai 2018)5. L’apprentissage du chinois, lu, écrit,parlé, permet seul durablement d’installer le climat de respect et de confiance mutuels,et j’ai eu la chance de pouvoir m’y consacreravec ardeur dès 2006.6. Ce site était initialement prévu pourinstaller les deux premiers EPR. Le contratdes EPR avec EDF et Areva s’avérant pluslong que prévu à réaliser, le gouvernementchinois décida que le site de Yangjiang,étant prêt à recevoir les pelleteuses etcamions pour six réacteurs, serait équipé de la technologie maîtrisée par CGNP, le CPR1000.

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La prise de conscience chinoise et sonsavoir-faire d’aujourd’hui se sont bâtis surune pratique millénaire d’apprentissagelaborieux, tenace et partagé, et sur lesentiment fort d’appartenance à une nationmultimillénaire et pour laquelle le sens del’unité et de la cohésion passe devant tout.

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Page 20: No 21 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 LA CHINEdata.over-blog-kiwi.com/2/57/84/49/20180923/ob_84f552...2018/09/23  · Jocelyne Porcher, Sylvestre Huet sur les énergies renouvelables,

La transition énergétique est aujourd’hui un véritable objet des politiques économiques chinoises. Les contradictions entre ce volontarisme chinois et les États-Unis s’exacerbent et s’actualisent

sur le terrain commercial.

PAR DOMINIQUE BARI*,

L’ÉCOLOGIE: UN ENJEU POLITIQUEET ÉCONOMIQUEÀ l’heure où les États-Unis se désen-gageaient des accords sur le climat1,la Chine annonçait que d’ici à 2020elle allait porter à 300 milliards d’eurosses investissements dans les énergiesrenouvelables. La croissance écono-mique du géant asiatique s’est long-temps faite aux dépens de l’environ-nement, et tous les clignotants avaientviré au rouge dans ce secteur ; lesautorités n’en font pas mystère, qu’ils’agisse de la qualité de l’air, des inon-dations, des sécheresses, de la défo-restation ou de la mauvaise qualitédes eaux : fleuves, lacs ou réservessouterraines.Désormais, Pékin choisit un dévelop-pement qualitatif, et non quantitatif.L’agenda environnemental s’est accé-léré depuis le début des années 2010,et ce sous la pression des préoccu-pations de la population. Pour mesurerl’évolution des mentalités des pouvoirspublics, on peut se référer à leurs posi-tions au sommet de Copenhague en20092 et les comparer à celles prisesà la COP21 en décembre 2015. Lorsdu Forum de Boao, le « Davos asia-tique », tenu en avril 2018 sur l’île deHainan, le président Xi Jinping décryp-tait une nouvelle fois les ambitionsd’une Chine apte à devenir un labo-ratoire d’innovations et le « premierde la classe » en matière d’écologie,de protection de l’environnement,de biodiversité et d’économie d’énergie.Si le pays est le plus grand générateurd’émissions de CO2 dans le monde,il est aussi, désormais, le premier dansles investissements « verts » de la pla-nète.Cependant, la Chine est confrontéeà un double paradoxe. Le premierest de changer de politique écologiquetout en continuant son développe-ment nécessaire pour atteindre ses

objectifs d’un pays d’une « moyenneprospérité», débarrassé de la pauvreté.Le second est de transformer un payspollué pour devenir le premier acteurde la lutte contre la pollution et unmodèle environnemental d’ici à 20303.L’enjeu est politique autant qu’éco-nomique. En mars 2014, le Premierministre chinois, Li Keqiang, affirmaitque la Chine était « en guerre contrela pollution ». Une dimension éco-logique, chiffrée, a depuis été intégréeau plan quinquennal actuel (2016-2020), qui prévoit de créer 13 millionsd’emplois dans l’éolien, l’hydraulique,le solaire et le nucléaire. Le but estde réduire en cinq ans 25 % desdépenses en eau, de porter la partdes énergies non fossiles à 15 % dela consommation d’énergie nationaled’ici à 2020, puis à 20 % à l’horizon

2030, en faisant passer la part decharbon utilisée dans le mix éner-gétique à 58 % (contre environ 64 %actuellement).

RÉORGANISATION DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENTComme toujours en Chine, les ambi-tions sont ciblées dans une visionglobale. L’ancien ministère de laProtection de l’environnement a ététransformé en ministère de l’Écologieet de l’Environnement (MEE), unenouvelle entité aux responsabilitésplus larges et plus claires, s’occupantde questions qui auparavant étaientdispersées entre différents services.Le ministère est aussi en charge despolitiques sur le changement clima-

tique : par exemple, il superviseratoutes les politiques relatives à l’eau,de la gestion des ressources océa-niques à l’eau souterraine.Dans le même temps, pour définirune « ligne rouge écologique », Pékinréorganise le droit de l’environnementen instaurant la loi sur la préventionet le contrôle de la pollution atmo-sphérique et en créant au sein de laCour suprême un tribunal dédié auxlitiges environnementaux. Depuis2017, les provinces doivent définirdes zones géographiques excluanttoute « entreprise de développement ».Et dans un pays où la contestationreste difficile, la société civile n’hésiteplus à manifester, à se mobilisercontre des projets d’usines ou de raf-fineries, ou à interpeler l’État en tantque garant de la santé publique.Toutes les ONG chinoises enregistréeset travaillant depuis au moins cinqans pour l’environnement peuvententamer une action judiciaire endemandant réparation pour des dom-mages environnementaux, éco -logiques, ou pour des atteintes à desintérêts publics. Depuis 2015 et laloi sur la protection de l’environne-ment, les citoyens peuvent, sousforme d’associations, se porter partiecivile à l’encontre de groupes publicsou privés qui ne respecteraient pasles normes environnementales : unecentaine de litiges ont été portésdevant les tribunaux ; la majorité deceux qui ont été jugés donnait raisonaux ONG4.Autre volet politique de la réductiondurable de la pollution: la lutte contrela corruption. Le gouvernement liece problème à celui de l’écologie. Enmars 2015, Xi Jinping déclarait qu’ilallait « punir avec une main de fertous ceux qui détruisent l’environne-ment, sans exception ». Au Shanxi,l’une des provinces où la productionde charbon est la plus élevée, prèsde 15 000 fonctionnaires ont étéinquiétés. En janvier 2018, une nou-velle taxe écologique est entrée envigueur : entreprises et institutionsdoivent désormais payer pour lesémissions polluantes dans l’air, l’eauet le sol. En novembre 2016, tournant

UNE CIVILISATION « VERTE » HYPOTHÉQUÉE PAR LES MENACES DE TRUMP

Toutes les ONG chinoises enregistrées et travaillant depuis au moins cinq ans pourl’environnement peuvent entamer une actionjudiciaire en demandant réparation pour des dommages environnementaux, écologiques, ou pour des atteintes à des intérêts publics.

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le dos aux vieilles obsessions de ren-dement et d’accumulation, le minis-tère de l’Agriculture a mis en jachère400000 ha de terres arables pour enrestaurer la fertilité, gravementendommagée par la pollution ; ladécision a été facilitée par le bon étatdes stocks de céréales et accéléréepar l’urgence de moderniser l’agri-culture et d’augmenter les revenusdes fermiers.

Des progrès sont d’ores et déjà visibles.En 2016, la Chine a installé trois foisplus de capacité de production d’élec-tricité éolienne (23,3 GW) que lesÉtats-Unis, élevant sa capacité totaleà près du tiers de l’énergie éoliennemondiale. Sa capacité photovoltaïquea aussi plus que doublé durant lamême période, plaçant le pays aurang de premier producteur mondiald’énergie solaire. Concernant lestransports et les infrastructures à fai-bles émissions de carbone, plus de20000 km de lignes ferroviaires àgrande vitesse ont été construites aucours des dernières années, et leréseau devrait s’étendre à 45000 kmd’ici à 2030.Mais sur la voie de la transition éner-gétique globale des bémols persistent :la force de la prévalence du charbon,le parc de centrales nucléaires dontla qualité écologique est sujette àcaution compte tenu des risquesd’accidents et du difficile problèmede traitement des déchets sont autantde facteurs qui joueront un rôle déter-minant dans la capacité du pays àtenir, ou non, ses engagements. Ilfaudra des années pour que son envi-ronnement se purifie et que son éco-nomie passe réellement au « vert ».Une difficulté essentielle vient d’uneconsommation d’électricité par têted’habitant, croissante depuis 1995.

Si en 2005 elle était encore voisinede la moyenne mondiale et inférieurede plus de 50 % à celle de l’OCDE,dix ans plus tard, elle dépassait déjàcette moyenne de 25 %. Les projec-tions actuelles la situent en 2035 àplus de 40 % au-dessus de la moyennemondiale. Or, pour le moment, laproduction énergétique est en grandepartie fournie par le charbon. Onnote aussi une augmentation rapidede de la consommation de gaz naturel,évaluée à 230 milliards de mètrescubes(Gm3) en 2017, dont le tiers estimporté, selon le rapport de l’Agenceinternationale pour l’énergie (AIE)publié en novembre 2017 – soit ledouble des importations de 2012.Selon les prospectives de l’AIE, en2040 la Chine consommera 600 Gm3

et sera, avec les États-Unis (830 Gm3),le principal moteur du marché mon-dial du gaz. Il en est de même pourle pétrole : en 2016, les 400 millionsde tonnes importées chaque année(8 fois plus qu’en 2000) couvraient68 % de sa consommation.

L’INNOVATION AU SERVICE DE L’ENVIRONNEMENT Les efforts de la Chine visant à « décar-boner » l’économie se retrouventdans l’ensemble de ses initiativeséconomiques. Ses résolutions « vertes »coïncident avec ses objectifs de faireprogresser l’économie dans la chaînede valeur, de doper les industrieslocales à haute technologie et lesemplois haut de gamme qui en décou-lent, et enfin de jeter les bases d’uneexpansion économique plus durable.Pour accélérer la transition de sonmode de développement, la Chinemise particulièrement sur le secteurde l’innovation. C’est tout l’enjeu duplan « Made in China 2025 », lancéen 2015, qui doit assurer l’autonomiedu pays dans les technologies de l’in-formatique, l’aérospatial, les véhiculespropres. Le but? Augmenter la qualité,la productivité et l’innovation desusines à grand renfort de numérique

et de technologies avancées, commeles robots, dans dix secteurs jugésstratégiques par le pouvoir : infor-matique, aéronautique, agriculture,matériaux… Cette modernisationdes techniques de production, engénéralisant le numérique, devraitréduire la consommation d’énergieet de matières premières, et donc lesrejets polluants.Le plan de développement de l’in-telligence artificielle pour la pro-chaine génération, lancé en juillet2017, se veut plus incisif et mobilisesecteur privé et universités chinoises.En 2030, la Chine ambitionne ainsid’être le « premier centre d’innovationau monde ». Pékin y met les moyens.Les dépenses en R&D ont augmentéde 18 % par an depuis 2000, contre4 % pour les États-Unis et l’Europe.Même tendance pour les investis-sements dans les entreprises axéessur les technologies émergentes.En 2016, la Chine a investi l’équi-valent de 2,1 % de son PIB dans laR&D, un taux record parmi les paysen développement. Selon le WorldIntellectual Property Office, en 2017la Chine a dépassé le Japon et s’estclassée à la deuxième place avec48 882 brevets déposés, derrière les États-Unis (56624). Bien qu’ellene compte actuellement que50000 experts (850 000 aux États-Unis) et qu’il lui faudra, selon lerapport de 2017 du ministère del’Industrie et des Technologies del’information, dans les prochainesannées 5 millions de professionnelsde l’intelligence artificielle si elleveut atteindre ses objectifs les résul-tats sont tangibles : la Chine concur-rence aujourd’hui l’Occident dansla production de trains à grandevitesse, dans l’industrie nucléaire,dans les produits informatiques,dans l’aéronautique…Selon les prévisions, la proportiondes industries stratégiques émergentesdans le PIB devrait atteindre 15 % en2020, contre 8 % en 2015.

Une difficulté essentielle vient d’une consommation d’électricité par têted’habitant, croissante depuis 1995.“ “

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Ferme à vent de Guazhou : plusde 200 éoliennes.La Chine produitprès du tiers del’énergie éoliennemondiale.

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PAR JINGJING FAN*,

RÉDUIRE LA DISTANCE NORD-SUDSi l’économie chinoise est en pleinessor ces dernières années, les pro-blèmes environnementaux sont encoregraves. Son sous-développementdans le domaine de la certificationdes produits du fait d’une législationenvironnementale lacunaire a conduità d’importantes pertes financièresde la Chine dans le commerce inter-national en raison des barrières envi-ronnementales, les produits chinoisne répondant pas aux normes desprincipaux pays vers lesquels leurexportation devrait se faire. La loi surla protection de l’environnement dela République populaire de Chine aété promulguée en 1989 et a connu

quatre révisions. Les dernières dis-positions adoptées constituent uneévolution importante du droit envi-ronnemental chinois : en fixant auxentreprises des normes plus sévèresen vue de franchir les barrières envi-ronnementales, elles permettent deréduire l’écart Nord-Sud dans ledomaine de la protection.La différence des règlements visantà la protection de l’environnementauxentre les pays développés et en voiede développement joue un rôle impor-tant dans les échanges commerciauxNord-Sud. La révision du droit del’environnement chinois, entaméeau début de l’année 2011, a aboutià la loi du le 24 avril 2014, votée l’una-nimité ; elle est entrée en vigueur le1er janvier 2015 après deux sessions

de l’Assemblée populaire nationale.Ce nouveau cadre juridique signifieun changement fondamental pourla Chine, car en inscrivant la protectionde l’environnement dans la loi elleentend se rapprocher du conceptenvironnemental avancé des paysdéveloppés. Ce changement impliqueun nouveau concept environne-mental et la réalisation de l’interna-lisation du coût de la protection del’environnement.

LE NOUVEAU CONCEPTENVIRONNEMENTALLa gestion environnementale avancéequi caractérise la politique environ-nementale de l’Union européennerésulte d’un concept environnementalmature et progressif. Il se développedepuis le premier plan environne-mental, en 1973, jusqu’au quatrièmeplan environnemental, en 1992, quimet en avant le principe pollueur-payeur1 et la coordination de la poli-

LA « GUERRE COMMERCIALE » DE TRUMPUne perspective inquiétante pour lapuissance américaine qui fonde sadomination sur son avance high-tech et est au cœur de la « guerrecommerciale » déclenchée par DonaldTrump à l’encontre de Pékin. Sonconseiller Peter Navarro, chef du ser-vice de la politique commerciale etmanufacturière, ne s’en est pas caché.Après les dernières menaces de laMaison-Blanche de taxer à 25 % unenouvelle série de produits figurantdans la liste des technologies de« Made in China 2025 », M. Navarroconfirmait à la télévision américaineque ces mesures visaient à empêcherPékin de prendre le pas sur ces indus-tries naissantes. Outre les panneauxsolaires, ce sont les véhicules élec-triques qui sont notamment visés,secteur dans lequel la Chine devraitdevenir le premier marché mondialdans les prochaines années. Plusgénéralement, ce qui indispose lesÉtats-Unis et l’ensemble du monde

libéral est la cohérence industriellede la Chine et la force de sa puissancepublique dans son développementet sa construction économique.Washington met en cause cet « inter-ventionnisme » d’État, au nom de laloi du marché et de la libre concur-rence. Avec la nouvelle administration

états-unienne, ces critiques se sontfaites de plus en plus pressantes,appuyées par l’Union européenne.À la mi-juillet 2018, à l’occasion del’examen des politiques commercialesde la Chine à l’OMC, un exerciceauquel se soumettent à intervallesréguliers tous les membres de l’or-ganisation, Washington a officielle-ment remis en cause la légitimité du

géant asiatique à faire partie de l’ins-titution internationale. La Chine yavait adhéré en 2001, après quinzeannées de négociations.L’escalade à laquelle nous assistonsest particulièrement dangereuse. Elleoppose deux visions du monde –impliquant notamment l’avenir éco-logique de notre planète – car, selonPauline Loong, directrice de AsiaAnalytica à Hong Kong, la confron-tation quitte la sphère commercialepour glisser vers une confrontationpolitique. n

*DOMINIQUE BARI est journaliste.

1. Le 1er juin 2017, Donald Trump aannoncé son désengagement de l’accordinternational scellé à Paris en décembre2015.2. Au sommet sur l’environnement deCopenhague, les représentants chinoisavaient pris la tête des pays émergents quiréclamaient « le droit de polluer ».3. Dominique Bari, « La Chine en transitionénergétique », in Progressistes, no 16.4. Selon le service juridique de l’ambassadede France en Chine (juin 2017).

Ce qui indispose les États-Unis etl’ensemble du monde libéral est la cohérenceindustrielle de la Chine et la force de sapuissance publique dans son développementet sa construction économique.“ “

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Les évolutions récentes du droit environnemental chinois en disent long sur levolontarisme du pays pour diminuer son empreinte écologique et démontrentde la grande cohérence des politiques chinoises.

LA PROTECTION ENVIRONNEMENTALE, LE NOUVEAU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

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tique environnementale avec l’éco-nomie de la Communauté euro-péenne.Comme l’Union européenne, la Chinepoursuivait le principe du dévelop-pement durable, mais ne stipulaitjamais en termes explicites sa positionsur la notion de la protection de l’en-vironnement. En tant que droit fon-damental et général, le nouveau droitde l’environnement assure cette foisdans son champ d’application la pri-mauté de l’environnement sur l’éco-nomie. Dans ses dispositions géné-rales, la loi précise que « la protectionde l’environnement est une des poli-tiques fondamentales du gouverne-ment chinois ». Selon le professeurde droit Cao Mingde (université dePékin), qui a participé à la rédactiondu futur texte, la révision de la loi« fait passer l’environnement avantle développement économique » et « le fait d’ériger la protection del’environnement au rang de principefondamental est un changement consi-dérable qui montre que l’environne-ment est une priorité »2. Ce change-ment est une réforme du conceptenvironnemental chinois.La politique chinoise respecte aussile principe de la coordination dela politique environnementale avecl’économie et la société. Ce principeévolue dans la nouvelle loi de l’en-vironnement, qui substitue à l’ex-pression « la protection de l’envi-ronnement doit se coordonner avecle développement économique » l’ex-pression « le développement doitêtre coordonné avec la protectionde l’environnement » (art. 4). Cetterévision est incontestablement lereflet de l’adhésion au point de vuedu développement durable mature.Le cœur de la stratégie sociale estle transfert du développement del’économie simple vers le dévelop-pement durable le plus profond,celui selon lequel le développementéconomique ne peut pas passer lalimite de la capacité d’adaptationde l’environnement.Lors de l’approfondissement duconcept du développement environ-nemental, le nouveau droit ajoute lanécessité « d’impulser la constructionde la civilisation écologique, et depromouvoir le développement durableéconomique et social» (art. 1er) commel’un des objectifs législatifs, mettant

en exergue que « l’État soutient larecherche, l’exploitation et l’applicationde la technologie scientifique de laprotection de l’environnement. L’Étatencourage également l’industrie etpromeut la construction de l’infor-mation sur la protection de l’envi-ronnement, afin d’augmenter le niveauscientifique de la protection de l’en-vironnement » (art. 7). L’article 15 dela nouvelle loi stipule que « l’Étatencourage la recherche sur les critèresde l’environnement » en considérantque l’élaboration des standards envi-ronnementaux doit être prévisibleet avancée. L’augmentation des critèresde qualité de l’environnement estun processus à renforcer pour agirdans le sens de la prévention de lapollution; cela nécessite l’élaborationde critères scientifiques environne-mentaux. La recherche sur les critèresde l’environnement stipulé par lenouveau droit de l’environnementsignifie que l’État tente d’éleverconcrètement les standards de laprotection de l’environnement et leniveau du développement durable.

INTERNALISER LE COÛT DE LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT L’environnement est considérécomme une composante de la pro-duction, et à ce titre le marché luidonne un prix. Une production avecdes critères faibles de protection del’environnement ne saurait ni évaluerni distribuer correctement les res-sources environnementales, ce quiconduit au dumping environnementalet à l’augmentation de la pollutionde l’environnement.En Chine, on disait que « violer la loiest plus rentable que respecter la loi »car les amendes, forfaitaires, pour

non-respect des dispositions légalescoûtaient moins que la mise en placedes dispositifs visant au respect desnormes ou la réparation des préju-dices. Aujourd’hui, le gouvernementapplique le principe de pollueur-payeur en suivant le concept de l’in-ternalisation des coûts environne-mentaux (art. 6). En effet, pour lutterefficacement contre ce problème, lenouveau droit de l’environnement

En tant que droit fondamental et général, le nouveau droit de l’environnement assure cette fois dans son champ d’application la primauté de l’environnement sur l’économie.“ “

Ce nouveau cadre juridique signifie un changement fondamental pour la Chine,car en inscrivant la protection de l’environnement dans la loi elle entend se rapprocher du concept environnementalavancé des pays développés.

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Aires protégéesdes trois fleuvesparallèles dansle Yunnan. s

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renforce les sanctions contre lesindustries polluantes et les pouvoirsdes dirigeants. Premièrement, la nouvelle loi stipuleà l’article 59 de « condamner à uneamende par jour », c’est-à-dire queles industries polluantes vont êtrecondamnées selon les jours de sesactivités illégales au lieu d’une amendemaximale. En plus, le nouveau droitétablit une « liste noire » des industriespolluantes en inscrivant le chiffre deleurs émissions de polluants. Cesdonnées devront être publiées etaccessibles au public en temps réel.Deuxièmement, aux termes de l’ar-ticle 60 de la nouvelle loi, l’organismecompétent de l’environnement au-dessus de l’échelon de district a lacompétence d’ordonner aux industriespolluantes dont la somme d’émissionspolluantes dépasse la norme decontrôle à arrêter leurs productionset à procéder à leur fermeture.Troisièmement, la nouvelle loi stipulela sanction administrative et mêmepénale aux industries polluantes età ses dirigeants. Selon l’article 63 decette loi, la construction des industriessans l’évaluation environnementaleet qui refusent de respecter l’ordon-nance ou qui altèrent les chiffres desurveillance comme les industriesqui refusent de faire fonctionner cor-rectement l’installation préventivede la pollution et éludent la surveil-lance de pollution seront condamnéespar l’administration ou la justice.En appliquant ces mesures, la nouvelleloi fait peser sur l’entreprise unegrande pression par la mise en œuvrede sanctions plus sévères et, en mêmetemps, apporte de nouvelles oppor-tunités pour transformer et moder-niser les entreprises.

DES PRESSIONS FORTES SUR LES INDUSTRIES POLLUANTESL’ancien droit de l’environnementne punissait pas suffisamment lesindustries polluantes, ce qui permettaitaux usines de continuer à polluer ens’acquittant d’une somme nettementinférieure au coût d’une mise auxnormes : une industrie ne pouvaitêtre punie qu’une fois pour une affairepolluante, et l’amende maximaleétait de 100000 yuans, soit environ12500 €, ce qui est loin d’être suffisantpour arrêter la pollution industrielle.Avec l’application du nouveau droit

de l’environnement, le moded’amende « par jour sans plafondmaximal» (art. 59) rend les entreprisespassibles de payer un grand prix pourémissions polluantes. Ce texte forcedonc, indirectement, les entreprisesà investir plus pour lutter contre lapollution en atteignant les standardsenvironnementaux. Les industries ne respectant pas lesdispositions environnementalespeuvent être transformées ou éli-minées. D’ailleurs, l’établissementd’une « liste noire » (art. 54) affectebeaucoup les entreprises selon lenouveau droit : au regard de la cré-dibilité sociale, elles se sentent souspression si leurs informations pol-luantes illégales sont enregistrées.Ainsi, elles vont rencontrer des dif-ficultés dans les aspects suivants :accessibilité du crédit, cotation, coo-pération avec l’étranger et extensionde la production.

Jadis, les administrations de l’envi-ronnement n’avaient qu’un pouvoircoercitif indirect, comme la recom-mandation, mais normalement cegenre de recommandation est ino-pérant devant l’inactivité des gou-vernements locaux. Le nouveau droitde l’environnement confère aux admi-nistrations de l’environnement au-dessus de l’échelon de district le pou-voir de mettre sous scellés leséquipements polluants, voire de lessaisir (art. 25). Dans ce cas-là, lesadministrations peuvent contrôlerla production et les émissions pol-luantes illégales en exerçant des pou-voirs directs. Mais le processus seralong.

DÉVELOPPER DES INDUSTRIES À LONG TERMEEn Chine, les problèmes de la concur-rence injuste existent largement dansle marché sidérurgique. Pour lesindustries qui ne s’astreignent pasau respect des critères environne-mentaux établis, continuer de polluerest plus rentable qu’installer les équi-

pements « environnementaux » : envendant à bas prix, ces industriespolluantes détiennent une positionavantageuse dans le marché. C’estune « guerre des prix » qui entravele développement normal des indus-tries sidérurgiques et porte gravementatteinte à l’environnement chinois.Si le nouveau droit de l’environnementa pour l’heure un effet négatif sur lesindustries sidérurgiques, il aura sansdoute pour elles un effet positif àlong terme. Selon Liu Haimin, spé-cialiste économique en industriesidérurgique chinoise, dire que lerenforcement de la protection del’environnement abaisse le bénéficedes entreprises sidérurgiques est uneproposition fausse, car « l’augmen-tation du coût de la production conduità l’abaissement des bénéfices en appa-rence, mais ça fait sortir du marché,à long terme, les industries dont laprotection de l’environnement estinsuffisante ». Ces considérations surl’industrie sidérurgique remettenten ordre le marché sidérurgique etsont de nature à changer la situationchaotique dans ce domaine.Après le rétablissement du prix, larégulation de l’économie de marchécommence à fonctionner. Le nouveaudroit de l’environnement est unemire d’arpenteur, avec laquelle lesindustries prenant en considérationla protection de l’environnementfonctionnent mieux qu’avant, ens’appuyant sur un marché plus juste.Le nouveau droit de l’environnementélimine les industries dont les stan-dards ne correspondent pas auxnormes environnementales nationaleset rend plus concurrentielles lesindustries qui ont un véritable soucide la protection de l’environnement. n

*JINGJING FAN est docteure en droitinternational (université d’Aix-Marseille) et avocate en Chine.

1. Selon le principe-pollueur payeur énoncépar l’article L110-1 du Code de l’environnement, les frais résultant des mesures de prévention, de réduction et de lutte contre la pollution doivent être prisen charge par le pollueur. Le principepollueur-payeur a été adopté par l’OCDE en 1972, en tant que principe économiquevisant l’imputation des coûts associés à la lutte contre la pollution.2. http://www.la-croix.com/Ethique/Environnement/La-Chine-inscrit-la-protection-de-l-environnement-dans-la-loi-2014-04-15-1136725

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L’ancien droit de l’environnement ne punissait pas suffisamment les industriespolluantes, ce qui permettait aux usines de continuer à polluer en s’acquittant d’une somme nettement inférieure au coûtd’une mise aux normes.

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PAR RÉMY HERRERA*,

L’ÉGALITÉ DANS L’ACCÈS À LA TERRELa question de la terre est tout à faitfondamentale pour comprendre laChine, mais aussi pour saisir ce quidifférencie cette dernière de la grandemajorité des pays du «Sud» (à l’ex-ception de ceux ayant mené à bienune révolution socialiste, comme leVietnam ou Cuba). En effet, la Chineest parvenue à nourrir 19 % de lapopulation de la planète à partir deseulement 8 % des terres arables duglobe. L’ampleur de sa productionagricole pourrait paraître paradoxalecompte tenu du fait que pas plus de13 % de la superficie totale du payspeuvent être cultivés. Comment lepeuple chinois et ses dirigeants ont-ils réussi à relever un défi aussi extra-ordinaire? L’explication essentiellese trouve dans le fait qu’en Chine(comme au Vietnam ou à Cuba) laterre est publique : propriété collectivedes communautés villageoises, elleest distribuée entre familles pay-sannes, qui l’utilisent principalementpour la production de biens agricolesdestinés au maintien de l’autosuffi-sance alimentaire.

La Chine représente ainsi l’un desexemples du succès d’un systèmefoncier reposant sur des droits detous les paysans au sein du village.Cela correspond à une égalité dansl’accès à la terre et dans l’utilisationde celle-ci, avec un État présent infine en tant que seul propriétaire etune distribution égalitaire des terresentre les familles bénéficiaires del’usufruit. Étudier l’évolution histo-rique et la situation présente de lapaysannerie chinoise exige donc

d’examiner d’abord la trajectoire dece système foncier fondé sur la sup-pression de la propriété privée, et sacapacité à résister aux attaques dontil souffre à l’époque actuelle.

LES EFFETS DES RÉFORMES RÉCENTESIl est vrai qu’aujourd’hui de nombreuxpaysans chinois souffrent d’exploi-tation et d’injustice. Mais certainespratiques socialistes, résiduelles,subsistent encore, dont notammentl’héritage des grandes réformesagraires. Au milieu des années 1980,l’adoption d’une politique de crois-sance orientée vers les exportationsa eu pour conséquence des flux detravailleurs migrant des régions ruralesvers les villes – flux surtout constituéspar l’excédent de force de travail desménages ruraux possédant une petiteparcelle, sans expropriation de terres.Le secteur rural a supporté le coûtde la reproduction sociale du travailet servi de tampon pour absorber enville les risques sociaux provoquéspar les réformes procapital. Il a éga-lement montré sa capacité de stabi-lisation en régulant le marché du tra-vail et en réabsorbant les travailleursmigrants chômeurs dans les villespendant les périodes de crises.Certains soutiennent cependant laligne néolibérale qui préconise lamarchandisation des terres. Sous lapression de projets de construction

menés par des gouvernements locauxaux budgets contraints et des spé-culateurs immobiliers, l’expropriationdes terres s’est accélérée au cours dela décennie 1990. De 40 à 50 millionsde paysans ont ainsi perdu leursterres ; des paysans sans terre sontapparus dans les années 2000, spé-cialement après la loi de 2003 quimodifia la législation sur les terresarables collectives et exclut une nou-velle génération de l’allocation deterres par redistribution. Les dangersde telles évolutions sont réels et affai-blissent les mécanismes de gestiondes risques par internalisation dansla communauté rurale, en un tempsoù 200 millions de travailleursmigrants paysans vivent en ville etsont actifs à l’intérieur de la classeouvrière. C’est pourquoi la propriétéfoncière collective en zone ruraledoit être vue comme l’héritage leplus précieux de la révolution com-mencée en 1949.Le décollage de la Chine s’est large-ment appuyé sur les transferts deressources tirés du secteur rural. Àl’heure présente, le choix de s’orientervers l’exportation est devenu unmodèle si dépendant et porteur dedéséquilibres internes que la Chinedoit faire d’énormes efforts pourmodifier sa trajectoire de dévelop-pement en investissant dans la sociétérurale afin de garantir le progrèssocial et de préserver l’environnement.

La Chine est parvenue à nourrir 19 % de la population de la planète à partir de seulement 8 % des terres arables du globe. “ “

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LA CHINE ET SA PAYSANNERIEL’une des grandes réussites de la révolution chinoise est la mise en place de la propriété foncière collective en zone rurale. Les spécificités de la paysannerie chinoise expliquent pourquoi la Chine par-vient aujourd’hui à nourrir près d’un être humain sur cinq.

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Des solutions pour promouvoir unevoie alternative pourraient consisterà réactiver et revaloriser le statut dela paysannerie, à redécouvrir les idéespionnières des mouvements dereconstruction rurale et à soutenirles expériences – actuellement pra-tiquées dans le pays – de revitalisationdes régions rurales en tant que ten-tatives renouvelées et puissantes, àla fois populaires et écologiques, desurmonter les aspects les plus des-tructeurs du capitalisme mondialcontemporain.

LES SPÉCIFICITÉS CHINOISESDANS L’AGRICULTURE MONDIALEAprès 1949, le nouveau régime aappliqué une industrialisation detype soviétique, qui installa un sys-tème dual asymétrique en défaveurde la paysannerie. Pourtant, en dépitde cette stratégie d’industrialisation,la paysannerie a pu bénéficier desréformes agraires radicales. Bien queles modes actuels d’organisation,production et distribution agricolessoient totalement pénétrés par lesmécanismes de marché et n’aientplus grand-chose à voir avec ceuxde l’époque maoïste, la propriétéfoncière demeure étatique ou col-lective en Chine – même si ce sontdes formes dégradées qui sont sou-vent rencontrées, avec parfois uncontrôle privé effectif sur des terres.Mais la persistance de la propriétépublique est une clé permettant dedistinguer la situation – et le succès– de la Chine par rapport aux autrespays ayant une taille continentalecomparable et prétendument « émer-gents », tels que l’Inde ou le Brésil,ou des pays régionalement dominants(Afrique du Sud), pour lesquels laquestion agraire est loin d’avoirtrouvé des conditions, même par-tielles, de solution.Comprendre les spécificités et avan-cées de la paysannerie chinoise –constituant la majorité de sa popu-lation – est important lorsqu’on veutmesurer, par opposition, l’échecgénéral du capitalisme à l’échelle

mondiale pour résoudre les problèmesagraires et agricoles. La détériorationde la situation des agricultures pay-sannes du monde à la suite de l’exa-cerbation de la dimension alimentairede la présente crise systémique ducapitalisme a confirmé l’incapacitéstructurelle de ce système à surmonterles contradictions internes qu’ilgénère. Ces problèmes – ceux desfamilles paysannes productrices,ceux des consommateurs, et mêmeceux de tous les citoyens – atteignentles limites du supportable, notammenten matière de protection de l’envi-ronnement. Au Sud, où plus de lamoitié des pays ont perdu la capacitéd’approvisionner leur peuple en biensalimentaires, où 3 milliards de per-sonnes restent sous-alimentées etoù les conditions de vie des paysans– comme dans les bidonvilles urbainssurpeuplés du fait de l’exode rural –sont dramatiques, les problèmes ontmême dépassé ces limites et sontinhumains, inacceptables.

L’ENJEU DE LA SOUVERAINETÉALIMENTAIRELes dysfonctionnements affectantles secteurs agricoles dans le systèmemondial capitaliste sont identifiablesà travers des paradoxes saisissants.Près de 3 milliards de personnes surTerre continuent de souffrir de lafaim (pour un tiers) ou de malnutrition(pour les deux tiers) alors que lesproductions agricoles dépassent les

besoins alimentaires, d’où une sur-production d’au moins 150 %. Unegrande majorité de ces personnesvivent en zone rurale : les trois quartsdes individus souffrant de sous-alimentation sont des paysans.L’extension des espaces de mise enculture agricole dans le monde s’ac-compagne d’un déclin des populationspaysannes par rapport aux popula-tions urbaines. Une part croissantedes terres est cultivée par des trans-nationales qui ne dirigent pas leurs

productions vers la consommationalimentaire mais vers des débouchésindustriels ou énergétiques, plus ren-tables. En Afrique, un dynamismedes exportations agricoles dérivéesde cultures commerciales de rentecoexiste avec l’augmentation desimportations de produits de basedestinées à répondre aux besoins ali-mentaires. À l’évidence, et d’urgence,les choses doivent changer.L’ennemi commun des peuples duSud et du Nord est le capital financier,toujours plus barbare, destructeur…et en crise. Pour les peuples en lutte,le principe directeur est le contrôlepar les communautés de la gestiondes terres et de l’eau en tant quebiens communs, dont on ne doit pasautoriser la privatisation ni la mar-chandisation. Ce qu’il faut rechercherprioritairement, c’est la souverainetéalimentaire, et une condition en estl’accès à la terre pour tous les paysans,à considérer comme un but verslequel la plupart des luttes en zonesrurales sont orientées. La réformeagraire visant à redistribuer les terresaux paysans est à l’ordre du jour enAsie, Afrique et Amérique latine.La souveraineté alimentaire est aucœur des luttes. Pour l’atteindre, unmode de production autre que celuidu capitalisme devra être pratiqué.C’est la modernité même qu’ilconviendrait de repenser. L’accès àla terre et aux ressources nécessairesà la reproduction de la vie, en tantque biens communs, est un droitlégitime pour tous les paysans, lestravailleurs et les gens du peuple.Pour que la souveraineté alimentairesauvegarde des modes de gestioncollective autonomes, il faudra accep-ter la présence des agricultures fami-liales sur tout le futur prévisible duXXIesiècle. Pour résoudre ces questions,il faudra se libérer de la logique des-tructrice du capitalisme. Pour modifierles règles de domination impérialistedu commerce international, les pay-sans, les travailleurs et les peuplesdu Nord comme du Sud devronts’unir afin de faire face ensemble aucapital financier et reconstruire desstratégies alternatives pour la longueet difficile transition au commu-nisme. n

*RÉMY HERRERA est chercheur au CNRS,centre d’économie de la Sorbonne.

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Pour les peuples en lutte, le principe directeur est le contrôle par les communautés de la gestion des terres et de l’eau en tant que bienscommuns, dont on ne doit pas autoriser la privatisation ni la marchandisation.

“ “La propriété foncière collective

en zone rurale doit être vue comme l’héritagele plus précieux de la révolution commencéeen 1949.“ “

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Page 27: No 21 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 LA CHINEdata.over-blog-kiwi.com/2/57/84/49/20180923/ob_84f552...2018/09/23  · Jocelyne Porcher, Sylvestre Huet sur les énergies renouvelables,

PAR MÉLANIE ATINDÉHOU-LAPORTE*,

ors des politiques d’ouverture,le gouvernement central s’étaitd’abord engagé à atteindre le

développement économique pourensuite développer l’accès à la sécuritésociale. Aujourd’hui parmi les pre-mières puissances économiquesmondiales, la République populairede Chine a universalisé l’accès à l’as-surance vieillesse et l’assurance mala-die pour les citoyens des zonesurbaines et rurales.

« L’ÉTAT EST LA FAMILLE1 » : UNE SOLIDARITÉ ÉTATIQUEMULTINIVEAUXTous les citoyens appartenant à lazone rurale bénéficient uniquementde l’assistance sociale pour les assu-rances maladie et vieillesse, indé-pendamment de leur catégorie socio-professionnelle. Seuls les résidentsurbains sans emploi peuvent volon-tairement bénéficier de la mêmeassistance sociale. Le financementest partagé entre le gouvernementcentral, provincial et le résident.Les travailleurs urbains bénéficientde deux régimes de sécurité socialescindant les salariés relevant dusecteur privé des fonctionnaires rele-vant du secteur public. Ces régimesd’assurance dite « du travail » couvrentles risques de maladie, de chômage,d’accident du travail ainsi que lamaternité et la vieillesse. Le financement des assurances dutravail du secteur privé est répartientre l’employeur et le salarié, tandisque le gouvernement central financela sécurité sociale des fonctionnaires.Cette prise en charge étatique dufinancement de la protection socialerepose principalement sur une soli-darité mise en place à l’échelon localprovincial.La sécurité sociale relève du principede la couverture « multiniveaux ». Il

s’agit du renvoi de la loi nationale dela sécurité sociale – adoptée par legouvernement central et entrée envigueur le 1er juillet 2011 – au gou-vernement provincial, lequel délégueraà la ville puis au district le soin demettre en œuvre ses dispositionsselon les particularités et contrainteséconomiques et sociales locales.Ainsi, les assurances maladie, mater-nité, accident du travail relèvent dela solidarité provinciale, alors quel’assurance vieillesse relève de la soli-darité nationale. Toutefois, avec unepopulation de 1,374 milliard decitoyens, l’État partage la solidaritéavec la famille, qui a toujours constituéle cœur du financement de la sécuritésociale chinoise.

LA PITIÉ FILIALE, PILIER DE LA SOLIDARITÉ FAMILIALERemarque liminaire : dans la sociétéimpériale, Confucius préconise unesolidarité familiale, qui repose, d’unepart, « sur la notion de clan où lacellule familiale est assurée parl’homme et le respect de sa hiérarchieau sein de la famille en rendant hom-mage au culte des ancêtres» et, d’autrepart, « sur l’harmonie du clan avecla société en se soumettant au pouvoirhiérarchique supérieur dit vertical »2.Chacun doit rester à sa place tantdans la société que dans sa famille,ainsi les habitants peuvent vivre enharmonie. Ce concept connaît desévolutions et adaptations au coursde l’histoire de la Chine ; il reflèteprécisément l’obligation des enfantsde prendre en charge leurs parentslorsqu’ils sont âgés. Tradition -nellement, plusieurs générationsvivaient sous le même toit.Au cours de la période maoïste, lesentreprises d’État fournissaient unlogement pour toute la famille, etune assurance vieillesse aux travail-leurs urbains. Les travailleurs ruraux,représentant 80 % de la population

chinoise3, n’avaient pas de systèmede protection sociale comparable àcelui des résidents urbains; ils devaientdonc prendre en charge les parentsâgés, en plus de leurs propres enfants.Lors de la mise en œuvre de la poli-tique d’ouverture sous Deng Xiaoping,la main-d’œuvre rurale excédentairea commencé à se déplacer vers lesvilles. La pitié filiale évolue vers unenouvelle forme: pour faire un « bon »mariage les hommes doivent fournirvoiture et appartement à leur futureépouse. La voiture devient un signeextérieur de richesse qui valorise sonconducteur, et en posséder une estun critère souvent utilisé par lesparents pour déterminer si un pré-tendant jouit d’une bonne situationfinancière pour épouser leur fille ;

c’est aussi un élément importantpour accompagner des parents vieil-lissant dans leur déplacement. L’achatde l’appartement doit être interprétécomme une prolongation de la pitiéfiliale : son acquisition démontre quel’homme est en mesure de s’occuperde ses ascendants et ses descendants.Une expression chinoise précise que« au-dessus il y a les parents, en dessousil y a les enfants » . Lagénération « sandwich » doit doncprendre en charge leurs ascendantset leurs descendants; en contrepartie,les ascendants s’occupent des des-cendants. Les parents ayant en charged’assurer la survie économique de lafamille, les grands-parents s’occu-peront des petits-enfants, notammentde les accompagner à l’école et deles récupérer à la sortie. Pour les rési-dents ruraux, les grands-parents s’oc-cuperont également des enfantslorsque les parents iront travailler enville. En 2015, « 253 millions de citoyensruraux se sont déplacés vers la zoneurbaine » ; en 2017, le gouvernement

Avec une population de 1,374 milliardde citoyens, l’État partage la solidarité avecla famille, qui a toujours constitué le cœur dufinancement de la sécurité sociale chinoise.“ “

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LA SOLIDARITÉ AU CŒUR DU FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Le vieillissement de la population chinoise met à mal un modèle de so-lidarité qui reposerait uniquement sur la solidarité familiale. La Chine estface à un défi majeur : la mise en place d’une sécurité sociale assurant

la solidarité nationale.

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central a légiféré pour rappeler auxparents qu’ils devaient éduquer leurenfant et qu’ils ne pouvaient les laisserseuls à la campagne lors de leursdéplacements. La solidarité familialetraditionnelle a été transformée parla politique de l’enfant unique.

POLITIQUE DE L’ENFANT UNIQUE ET SOLIDARITÉ FAMILIALEDans la société moderne chinoise,la cellule familiale a connu une évo-lution, notamment à travers la poli-tique de l’enfant unique, appliquéede 1979 à 2014. À partir de 2014, lesecrétaire général Xi a assoupli cettepolitique à deux enfants. De nom-breuses familles refusent d’avoir undeuxième enfant en raison de lacharge financière que cela représente.Un marché autour de l’éducationdes enfants a émergé, notammenten matière d’accès à des écoles privéesinternationales, des cours particuliers,des activités extrascolaires.Deux conséquences résultent de l’ar-rivée tardive de cette réforme quiaurait dû initialement durer vingtans. D’une part, les enfants nés endehors de la politique de l’enfantunique n’ont pas d’identité (hùk�u)et ne peuvent pas accéder à la sécuritésociale. L’assouplissement de la poli-tique de l’enfant unique en 2014 per-mettrait à « 13 millions de citoyensd’obtenir une identité », selon le gou-vernement central. Cela dit, leur réin-tégration dans la société met au jourde nombreux enjeux, notammenten termes d’éducation et de santé.Par définition, cette population estdans une situation de pauvreté, carles parents n’ont pas eu les moyensde s’acquitter de la pénalité financièreafférente au non-respect de cettepolitique. Elle représente donc uncoût qui devrait être financé par lasécurité sociale, et ce en raison de lasolidarité étatique.D’autre part, le vieillissement rapidede la population impacte de plus enplus les perspectives du financementde la protection sociale chinoise. Eneffet, si elle ne devient pas une solidariténationale, il lui sera difficile de faireface à des perspectives démogra-phiques qui alourdissent la chargefinancière des futures pensions, et cesur l’ensemble du territoire national.Le 3 janvier 2018, l’Académie chinoisedes sciences sociales a publié un rap-

port sur les fonds d’assurance vieillesseet de retraite 2018-2022, qui dresse leconstat que « à l’échelle nationale leratio actif/inactif est de deux personnes

actives pour un inactif en 2018, contremoins de deux cotisants pour un inac-tif-retraité en 2022 ». Face aux pers-pectives de vieillissement rapide dela population chinoise, l’État s’estengagé à assurer une protectionbasique de l’assurance vieillesse. Lafamille doit continuer à assurer unrôle prépondérant dans la prise encharge des personnes âgées.Néanmoins, la famille contemporainen’a plus les moyens financiers de pren-dre en charge la solidarité traditionnelle.La sécurité sociale chinoise doit pallierdes contraintes internes du pays.

LA SOLIDARITÉ, UN PALLIATIF AUX CONTRAINTES INTERNESLa Chine a des contraintes internes,géographiques et juridiques, quiconditionnent son développementéconomique et social. En développantune solidarité nationale au cœur dufinancement de la sécurité socialepour toutes les assurances, la sécuritésociale pourra pallier les contraintesgéographiques – le système de sécuritésociale doit s’adapter à un territoirede 9597000 km² ! – et juridiques dumodèle.Du fait des politiques d’ouverture deDeng Xiaoping, la Chine connaît undéveloppement économique dispa-rate sur l’ensemble du territoire : lesvilles côtières connaissent un déve-loppement économique comparableà celui des pays européens alors queles provinces du Centre sont en coursde développement et les provincesde l’Ouest restent encore à êtreconquises, malgré le programme dela « route de la soie ».Dans le droit positif, l’accès à lasécurité sociale pour tous les citoyensest conditionné au développementéconomique et social du territoireoù elle est mise en œuvre. La trans-formation de l’économie a conduit

à l’augmentation des disparitéssociales, le coefficient de Gini4 estofficiellement de 0,469 en 2014, maisestimé à 0,61 par le Centre d’enquêteet de revenu des ménages. L’objectifde la sécurité sociale est de « pro-mouvoir l’harmonie et la stabilitédans la société », et ce en vertu del’article 1er de la loi de la sécuritésociale de 2011.

EN CONCLUSIONLa société contemporaine n’a plusles moyens financiers de supporterla solidarité familiale préconisée parConfucius. En effet, le maintien dela politique de l’enfant unique et lespolitiques d’ouverture ont profon-dément bouleversé la solidarité fami-liale, qui apparaît aujourd’hui à boutde souffle pour prendre en charge àelle seule les personnes âgées. Lasécurité sociale doit être envisagéecomme un moyen de maintenir l’har-monie intergénérationnelle dans lasociété chinoise. Une nouvelle répar-tition de la solidarité entre l’État etla famille pourrait être envisagée, etdonc implicitement une meilleure

répartition du financement de lasécurité sociale sur l’ensemble duterritoire. En effet, la sécurité socialechinoise pourrait généraliser la cou-verture de protection sociale à l’en-semble de la population pour plusieursrisques sociaux. L’évolution vers unesolidarité au niveau national per-mettrait de gommer les contrainteséconomiques et sociales internes. n

*MÉLANIE ATINDÉHOU-LAPORTE estdoctorante en droit (Zhejiang et universitéParis-V René-Descartes).

1. Traduction littérale de (État) quicombine les caractères de pays et de famille.2. Ke Chen, Corporations and Partnershipsin China, Kluwer Law International, 2010.3. China Statistical Yearbook 2015.4. Le coefficient ou indice de Gini estl’indicateur d’inégalités de salaires : 0correspond à une égalité parfaite (salaires,niveau de vie… seraient égaux) ; 1 à uneinégalité maximale, de sorte qu’une baissede l’indice traduit une diminution desinégalités, et une élévation uneaugmentation des inégalités.

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En développant une solidarité nationaleau cœur du financement de la sécuritésociale pour toutes les assurances, lasécurité sociale pourra pallier les contraintesgéographiques et juridiques du modèle.“ “

Dans la société moderne chinoise, la cellule familiale a connu une évolution,notamment à travers la politique de l’enfantunique, appliquée de 1979 à 2014.“ “

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FONDATION GABRIEL PÉRI

« Chine : Regardscroisés »,la Pensée no 373, janvier-mars 2013

Comment la Chine en est arrivée là ? Qu’a-t-on à apprendre de la Chine ? Ce sont ensomme les grandes questions que propose

de traiter sans a priorice dossier de la revue la Pensée. L’originalitéde ce dossier est d’avoir privilégié le dialogue entre chercheursfrançais et chinois via un partenariat avec la revue chinoiseMarxism and Reality et la publication d’un dossier conjoint.Dominique Bari et Rémy Herrera ont notamment apporté leurscontributions à ce numéro. Trois thèmes sont développés : lesystème financier chinois, les réformes politiques et la structurationsociale. n

SAMIR AMIN (dir.)

La Chine et le monde.Développement et socialisme Le Temps des cerises, 2013

Ce livre est la synthèse du séminaire « LaChine au XXIe siècle : présent et futur »,tenu à Bruxelles les 6 et 7 juin 2013. Alors,

où en est la Chine dans sa voie socialiste ? Vingt-deux auteurs dedivers pays (Chine, Inde, Europe, Amériques) et de divers horizons(économistes, sociologues, philosophes, historiens, responsablespolitiques et militants…) se sont attachés à répondre à cettequestion. Écologie, travail, économie, éducation, inégalités,démocratie, protection sociale, politique étrangère, etc. : surtoutes ces questions, cet ouvrage apporte des éléments de réflexionessentiels pour comprendre la Chine contemporaine. n

JEAN-CLAUDE DELAUNAY

Les Trajectoireschinoises demodernisation et dedéveloppement Éditions Delga, 2018

La Chine est entrée dans les tempsmodernes au XIXe siècle, avec un modede production inapte à assurer sa moder-

nisation. La dynastie Qing en a fait l’expérience. Le républicainSun Yat-sen n’a pas réussi à le dépasser. Seule la révolution com-

muniste a débarrassé ce pays de ses structures anciennes. Depuislors, son économie a suivi de nouvelles trajectoires. La premièrepartie du livre décrit les trajectoires réelles contemporaines dupays (démographiques, agricoles, industrielles, commerciales).Elle repose sur la documentation statistique actuellement la plusrécente (année 2016). La seconde partie porte sur les nouvellestrajectoires théoriques de ce pays. L’attention a été portée surles transformations subies par les idées et théories motrices del’ensemble, le marxisme. n

À l’heure où nous publions ce numéro, l’ouvrage n’était pas encore en librairie.Nous en avons donc reproduit la quatrième de couverture.

RÉMY HERRERA

« Économie chinoise : le socialisme ou la crise? »Conférence filmée (https://vimeo.com/254295775)

Malgré son succès économique manifeste, la caractérisation dusystème politico-économique de la Chine reste difficile pour lesanalystes non chinois. Comment expliquer le fonctionnementde l’économie chinoise et sa fulgurante croissance ? Dans cetteconférence donnée dans le cadre du séminaire annuel « Marxau XXIe siècle », Rémy Herrera propose une analyse de l’économiechinoise et de ses dynamiques sur longue période. Il récuse l’idéedu « décollage » de l’économie chinoise consécutif aux réformesentreprises à partir de 1978. Plus largement, il met au jour lesdébats existants au sein des intellectuels chinois, et plus parti-culièrement parmi les économistes. n

ET AUSSI :• Forum de Paris sur les nouvelles routes de la soie, 29 novembre 2017, note du Trésor du 10 janvier 2018.

• Ambassade de France en Chine, « Une illustration concrète desnouvelles routes de la soie : le projet de China Railway Express ».

• Pierre Dhomps et Henri Tsiang, le Big Bang des nouvelles routesde la soie, L’Harmattan, 2017.

• Lynn Pan (dir.), Encyclopédie de la diaspora chinoise, Les Éditionsdu Pacifique, 1998.

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POUR ÉLARGIR LA RÉFLEXIONPour prolonger la lecture du dossier, nous proposons une sélection de quelques ressources utiles à la compré-hension et la réflexion sur la voie chinoise vers le communisme d’un point de vue historique et économique.

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PÊCHE : LE GRAND GÂCHISPour trois poissons pêchés, un n’arrivera jamaisdans votre assiette. C’est l’amer constat del’Organisation des Nations unies pour l’alimentationet l’agriculture (FAO). En effet, 35 % des poissonspêchés sont rejetés en mer : un quart de ces pertessont des prises accidentelles ou des rejets, surtoutde la part des chalutiers qui rejettent dans la merles poissons morts parce qu’ils sont trop petits oune correspondent pas à l’espèce voulue. Toutefois,la majeure partie des pertes sont liées à des équi-pements de réfrigération défectueux : pourris, lespoissons sont jetés en mer !À la suite d’une décision de la Commission euro-péenne, il est interdit depuis le 1er janvier 2015de rejeter à la mer certains poissons jugés troppetits, car interdits à la vente. Cette interdictionsera étendue en 2019 à l’ensemble des espècessous quotas.

Depuis 1961, l’augmentation annuelle de la consom-mation mondiale de poisson a été deux fois plusgrande que l’augmentation de la population elle-même. De plus, un tiers des réserves de poissonsdans le monde était surexploité en 2015 (contre10 % en 1974) n

ITALIE : LA VACCINATION ENTREHYPOCRISE ET DÉMAGOGIE L’arrivée au pouvoir en Italie de mouvementspopulistes entraîne avec elle toutes sortes demesures. Depuis la rentrée 2017, au nom de laprotection des enfants qui ne peuvent pas êtrevaccinés pour des raisons médicales, les vaccinscontre dix maladies (tétanos, poliomyélite, rou-

geole…) sont obligatoires pour l’entrée en crècheou en maternelle. Les parents des enfants de 6 à16 ans non vaccinés risquent jusqu’à 500 €d’amende. Adoptée par l’ancien gouvernementRenzi, la mesure a été validée par la Cour consti-tutionnelle… et contestée par une partie de laclasse politique, Mouvement 5 Étoiles (M5S, « anti-système ») et Ligue (extrême droite) en tête.Aujourd’hui au pouvoir, le gouvernement populistequ’ont formé ces forces veut revenir sur la récenteobligation de vaccination pour aller à l’école. Si lesresponsables du M5S et de la Ligue tiennent despropos sur l’importance des vaccins (et disentmême avoir fait vacciner leurs propres enfants),ils sont farouchement opposés à toute forme de« coercition ». Début juillet, le Sénat a approuvéun amendement commun M5S-Ligue reportant d’unan l’obligation de vaccination pour la crèche et lamaternelle… dans l’attente de la révision de la loi.L’Italie connaît une recrudescence des cas derougeole, dont encore plusieurs mortels cette année.Tout comme la France, ou trois décès ont été comp-tabilisés depuis le début de l’année. n

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Du nouveau dans le domaine des rayons X

Chaque été, depuis plusieurs années, l’Institut national d’astrophysique de Milanouvre ses portes à des étudiants des lycées voisins afin qu’ils participent auxtravaux des chercheurs.

Six jeunes apprentis astro-nomes avaient pour tâched’étudier 200 sources derayonnement X sur prèsde 500 000 sources derayons X variables querecense le catalogue Extras.L’objectif était d’identifierles caractéristiques decelles qui n’auraient pasencore été étudiées.Ce que les astronomes enherbe ont isolé provientd’un groupe d’étoiles de la constellation du

Sagittaire, située à quelque 17000 années-lumière de la Terre. Dans l’amas deces dizaines de milliers d’étoiles, une a émis en 2005 un puissant rayonnement,qui décroît en moins de cinq minutes et qui n’a pas son origine dans une éruptionstellaire classique.Les astronomes supposent l’existence de nombreuses autres sources similairesdans le cosmos. Quoi qu’il en soit, cette découverte remet en cause la compréhensiondes explosions des rayons X. n

Test génétique pour prévenir du cancer du sein

Un test génétique dénommé Oncotype DX permettrait d’épargner une chimiothérapie,et donc les effets secondaires de ce traitement (nausées, perte des cheveux…),chez deux tiers des patientes – plusieurs milliers en France – atteintes de la formela plus commune de cancer du sein, celle à la fois localisée, hormono-dépendanteet influencée par les �œstrogènes et sans envahissement ganglionnaire.Évoquée lors du congrès mondial sur la cancer de Chicago en juin 2018, cetteinformation est a mettre en perspective. En effet, on observe depuis ces dernièresannées une baisse du nombre de prescription de chimiothérapie en cas de scorebas – score déterminé par l’indice de performance de l’OMS (de 0 : « Capabled’une activité identique à celle précédant la maladie », à 4 : « Incapable de prendresoin de lui-même, alité ou en chaise en permanence ») –, et surtout en cas de scoreintermédiaires, comme le souligne Suzette Delaloge, responsable du comité depathologie mammaire à l’Institut Gustave-Roussy et spécialiste du cancer du

sein, a propos de cette annonce.L’impact de cette annonce seradonc davantage à observer auxÉtats-Unis, où le recours à la chi-miothérapie est quasi automa-tique en cas de diagnostic decancer.En France, ce test génétique estcommercialisé, mais pas encoreremboursé par l’Assurance mala-die, son dossier étant à l’étudedepuis de nombreuses années.

Toutefois, les patientes y ont accès dans la plupart des établissements de santé,publics et privés, par le biais de financements publics. Cette actualité pourraitaccélérer les procédures de remboursement… n

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 Progressistes

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e premier débat, Les choix stratégiques dans l’industriepharmaceutique sont-ils compatibles avec les enjeux actuelsde la santé publique ? a permis de faire le point sur la

recherche médicale en France et dans le monde, et de pointer dudoigt la course aux profits à court terme par le secteur privé dumédicament, qui remet en cause la pérennité même de la recherchefondamentale dans ce secteur.Le second débat était Robotisation, intelligence artificielle : pertesd’emplois ou renaissance industrielle ? Après une brillante miseen contexte pour définir l’IA et ses multiples applications, lesintervenants ont su analyser les changements macroéconomiques

induits, et les possibilités de développements futurs pour l’industrieou la médecine de cette révolution informationnelle.Les intervenants, de grande qualité, ont tous accepté de partagerleurs analyses et contributions. Vous pourrez les lire dans lesprochains numéros de votre revue.Les deux soirées ont ainsi réuni une centaine de personnes sur lesdeux jours, et ont contribué à élargir le cercle de ses lecteurs fidèles.L’équipe de la revue est prête à renouveler l’expérience et à intervenirou à coorganiser d’autres débats partout où elle sera sollicitée.Pour chacun des débats, le regard complémentaire de la scienceet du travail, de chercheurs et de salariés. n

Premier débat sur la recherche médicale avec, de gauche à droite :Amar Bellal, rédacteur de chef de Progressistes ;Michel Pierre, directeur de recherche CNRS ;Thierry Bodin, délégué central CGT Sanofi Recherche ;Daniel Steinmetz, ancien responsable syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique CGT.

Notre revue était présente à l’université d’été du PCF qui s’esttenue une nouvelle fois dans les locaux de la faculté des lettresd’Angers, du 26 au 28 août 2018.De nombreux ateliers étaient proposés aux participants. Quelquesincontournables pour cette édition 2018 : l’atelier sur le bicentenairede Karl Marx et celui sur le 50e anniversaire de Mai 68. Mais aussiune grande marche pour la défense des services publics et unmeeting en vue des élections européennes dans le centre-ville,ainsi que l’avant-première de Mélancolie ouvrière… Cette année,les communistes ont vu grand !Comme chaque année, l’équipe de Progressistesa tenu un stand pourdiffuser les numéros parus et proposer l’abonnement à la revue.Nous avons également animé certains ateliers, dont « L’âge de laTerre ou comment on établit une vérité scientifique » d’Hubert Krivineet « Travail, entreprise, politique » de Jean-François Bolzinger. n

Du 9 au 14 juillet a eu lieu à Toulouse la 8e édition d’Euro Science Open Forum (ESOF) consacrant la ville « Cité européenne de lascience ». Cet événement a réuni près de 4 000 chercheurs acteurs socioculturels, économiques et politiques venus du monde entier.En parallèle aux conférences de cette manifestation, et à l’invitation de la fédération du Parti communiste de la Haute-Garonne,l’équipe de Progressistes a pu intervenir dans deux des débats qui ont jalonné cette semaine de juillet.

L’équipe de Progressistes à Toulouse !

Progressistes à Angers

L

n DÉBATS

Deuxième débat sur l’intelligence artificielle avec, de gauche à droite :Bruno Chaudret, directeur de recherche CNRS et membre de l’Académie des sciences ; Nasser Mansouri, économiste, ancien membre du Conseil économique etsocial ; Peppino Terpolilli, ancien chercheur en IA pour Total, membre du comité derédaction de Progressistes ; Malick Ghallab, robiticien, directeur de recherche CNRS.

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

PROPOS RECUEILLIS,PAR ARNAUD VAILLANT*,

« Ma marque de fabrique estd’utiliser l’imaginaire en généralet la science-fiction en particulierpour parler du seul monde quicompte au fond, le nôtre. »

Progressistes : Commençons parun résumé de votre parcours…Roland Lehoucq : J’ai passé unethèse en astrophysique, je suiségalement agrégé de physique.Je travaille au CEA (Commissariatà l’énergie atomique et aux éner-gies alternatives) dans le dépar-tement d’astrophysique du cen-tre de Saclay. Je donne des courssur la transition énergétique àSciences Po Le Havre et descours de physique à l’École poly-technique. Je suis très actif dansla diffusion des connaissancesscientifiques, notamment endonnant des conférences ou enécrivant des articles de vulga-risation. J’ai aussi participé à l’écriture de 34 ouvrages : 13 ouvrages collectifs et 21comme auteur ou coauteur.

Progressistes : Comment partagez-vous votre temps?R.L. : En dehors de mon tempsfamilial, je consacre environ un tiers de mon temps à larecherche. Je travaille en colla-boration avec quelques col-lègues, mais je ne dirige pasd’équipe. Le reste du temps estutilisé à la transmission desconnaissances, via de l’ensei-gnement, la formation, les confé-rences et l’écriture d’articles.Je donne des conférences depuisvingt ans, et au rythme d’environ

soixante par an depuis quelquesannées. Cela va des conférencesgrand public aux interventions

dans les festivals, mais aussipour des élèves de primairejusqu’à des étudiants de master 2.Je suis régulièrement sollicitépar des enseignants.

Progressistes : Vous êtes aussi président du festival Utopiales.R.L. : Oui, c’est un festival inter-national de science-fiction quise tient chaque année à Nantes.Ce sera la 19e édition en 2018,du 31 octobre au 5 novembre,avec la journée du 5 novembredédiée aux scolaires. La SF y estprésente sur tous ses supports

public puisse faire la part duréel, du plausible et de la fiction.Et nous utilisons la SF commepédagogie du réel.

Progressistes : Comment vous estvenue l’idée de la vulgarisation parla science-fiction?R.L. : J’ai lu les bouquins de SFde mon père quand j’avais treizeans, et cette passion ne m’a pasquitté depuis, avec en parallèledes lectures scientifiques.L’envie de transmettre lesconnaissances est venue lorsde camps de jeunes de la Sociétéastronomique de France, oùj’étais animateur entre dix-septet vingt-quatre ans pour gagnerun peu d’argent tout en prati-quant ma passion astronomique.Le déclic de la vulgarisation estvenu dans les années 2000 avecle lancement de la rubrique« Idées de physique » dans larevue Pour la science. Je l’ai tenuependant quatre ans, avant depasser la main. J’ai continué àécrire des articles, puis un bou-quin… puis on y prend goût.La question était de trouvercomment parler de sciences. Ily avait déjà des pointures,comme Hubert Reeves, qui par-laient déjà très bien d’astro -physique. L’idée de la SF estvenue d’un ouvrage écrit avecRobert Mochkovitch, un collèguede l’Institut d’astrophysique deParis, sur le thème de l’astro-nomie dans Tintin. Prenons parexemple la question : est-il pos-sible de déterminer la positiondu temple du Soleil à partir desinformations de l’album? Laréponse est oui. À l’aide d’uneétude astronomique de l’éclipse

(livres, BD, jeux vidéo, cinéma).J’en suis le président depuis2012, succédant à l’écrivain descience-fiction Pierre Bordage.Ce qui est à mon avis le plusintéressant dans la SF, c’estqu’elle envisage les consé-quences du progrès scientifiqueet technique sur les humains.Les éléments techniques d’uneœuvre prennent souvent l’aspectdivertissant du sense of wonder(émerveillement procuré par laSF) mais permettent égalementde discuter de ses usages.Prenons l’exemple de Vingt MilleLieues sous les mers. Jules Verneimagine un sous-marin élec-trique dans son roman aprèss’être documenté sur les sciencesde son temps. À son époque, lesous-marin existe déjà (mais ilest mû par la force musculaire)et l’électricité est au début de

son expansion. Mais ce qui estaussi important c’est l’usageque le capitaine Nemo fait deson sous-marin : il peut coulerimpunément n’importe quelautre navire, et il devient ainsile maître des océans.L’un des objectifs des Utopialesest que les visiteurs qui y vien-nent souvent pour se divertir,parfois déguisés, puissent enressortir en ayant réfléchi etappris des choses. Avec les délé-gués artistiques successifs, j’aimis un peu plus de sciencesdans le festival, pour que le

Entretien avec Roland LehoucqAstrophysicien et président des Utopiales, festival international de science-fiction, Roland Lehoucq témoigne de la façon dont il tente d’articuler son métier, la recherchescientifique, avec la science-fiction et la vulgarisation scientifique.

L’un des objectifs des Utopiales est que les visiteurs qui y viennent souvent pour se divertir, parfois déguisés,puissent en ressortir en ayant réfléchi et appris des choses.

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de Soleil décrite dans l’album,on peut le placer dans une régiond’une centaine de kilomètrescarrés située en Amazonie bré-silienne. On trouve ainsi uneinformation qui n’était pas énon-cée explicitement dans l’album.Il est donc possible de menerune enquête scientifique surdes mondes imaginaires pourmontrer comment se pratiquela recherche tout en s’amusantà répondre à une question légi-time sur l’album. Cela a été unerévélation.

Progressistes : Un schéma que l’onretrouve dans vos conférences.R.L. : Pour les conférences grandpublic, il faut partir de chosesque les gens connaissent. Onne peut se permettre de perdrecinquante minutes à contex-tualiser et expliquer l’œuvre, lebut étant de parler de scienceset de les pratiquer. Il faut doncchoisir une œuvre populaire,et cinématographique car ellefournit des images à analyser.De ce point de vue Star Warsest incontournable. Il fautensuite sélectionner les scènesou les objets que l’on peut ana-lyser, le sabre laser par exemple.L’important n’est pas tant dedévelopper les arguments contrela réalité du sabre laser que defaire une enquête à son propos.Cela commence par imaginerun objet réalisable qui peut s’enrapprocher, et se poursuit parla détermination de sa puissance.Cela permet d’expliciter la pra-tique scientifique en la mimantsur un sujet plus simple que leréel des laboratoires. Au final,c’est une façon plus agréableet divertissante pour parler desciences au public. Il y auraitpeu de monde pour une confé-rence sur la démarche scienti-fique, mais il y a toujours dupublic pour une conférence surStar Wars !

Progressistes : Tous les chercheursne font pas de la vulgarisation.R.L. : En effet, il y a relativementpeu de vulgarisateurs connus,mais bien plus qui œuvrentlocalement. C’est une activité

damentales qui n’avaient commeautre objectif que de mieux com-prendre le monde. Ainsi, unsimple système de géolocalisa-tion est un concentré de phy-sique quantique et de relativitégénérale, les deux plus grandesthéories physiques du XXe siècle.Il est nécessaire de faire de larecherche fondamentale pourinnover, dans tous les domaines,mais aussi pour garder la capacitéd’accès aux connaissances déjàaccumulées.Jusqu’à la fin de la Seconde

Guerre mondiale, le progrès dessciences était globalement syno-nyme de progrès humain.Maintenant ce n’est plus le cas,et chacun doit pouvoir com-prendre les enjeux des nouveau-tés scientifiques et techniques.On ne peut pas utiliser les tech-niques comme une baguettemagique. Chacun doit pouvoirs’approprier ce qu’il utilise etavoir conscience des consé-quences de cette utilisation carl’humanité co-évolue avec lestechniques qu’elle produit.Il faut aussi comprendre qu’ilexiste des lois qui ne se décrètentpas et contre lesquelles nous

n’aurons pas raison. Les théoriesscientifiques actuellementadmises comme pertinentesrésultent d’un long processusde discussions collectives, devalidation et de confrontationau réel expérimental. Leur vali-dité peut être remise en question,mais pas d’un simple claque-ment de doigts car le corpusactuel a mis deux mille ans à seconstruire. En revanche, ce qui

est considéré comme scientifi-quement faux le restera de touteéternité. Il est donc nécessaired’utiliser les sciences pour éclai-rer certaines décisions politiqueset éviter de graves ennuis. Ainsi,prétendre que l’on peut pour-suivre la croissance économiquedans le monde fini qu’est la Terreest une erreur qui sera fatale ànotre civilisation.C’est pour permettre au publicde comprendre cela que, dansma pratique de la vulgarisationscientifique, j’explique commentles connaissances scientifiquessont produites. La science sedéfinit plus par sa méthode etsa pratique que par ses sujetsd’étude.

Progressistes : Une conclusion?R.L. : Les sciences permettentde comprendre le réel, et leurssous-produits techniques modi-fient les sociétés humaines etleurs interactions avec leur envi-ronnement. En tant qu’unique

littérature qui intègre explici-tement les sciences et les tech-niques pour en envisager lesconséquences sur l’humanité,la science-fiction est l’un desmoyens de décrypter le présentpour éviter la catastrophe quis’annonce. n

*ARNAUD VAILLANT estresponsable de la rubrique « Scienceet technologie » de Progressistes.

qui prend du temps, et il fautavoir envie de s’y consacrermême si la diffusion des connais-sances fait partie des missionsde la recherche. On ne peut sepermettre d’arriver à une confé-rence sans avoir préparé sonsujet. Quand deux scientifiquesparlent ensemble, ils peuventse comprendre, ils ont le mêmejargon. Mais pour un échangede scientifique à grand publicune adaptation est nécessaire.Cela conduit à une recherchesur la façon d’exposer sa disci-

pline, ses concepts et sesméthodes, et au-delà sur la façonde présenter les sciences.

Progressistes : La vulgarisation sedéveloppe sur Internet.R.L. : Pour publier un livre, il fautun éditeur qui le soutienne. Pourdonner des conférences, il fauty être invité. Mais sur Internetn’importe qui peut parler de cequ’il veut et s’exprimer sans yavoir été invité. Le contenu scien-tifique étant de seconde main,la qualité peut être assez variable,quoique souvent de bon niveau.Mais il y a du travail de mise enforme qui est très réussi et unenthousiasme incontestable.Cela permet de toucher un publicdifférent, plus jeune souvent,que celui des interventions dechercheurs. La vulgarisation surInternet est donc complémen-taire de celle plus académique.L’objectif est d’avancer ensemblepour élargir la diffusion desconnaissances. C’est globale-ment positif. Un point appré-ciable est aussi la présence defemmes sur ces supports.

Progressistes : Quel est, selon vous,l’intérêt de la recherche?R.L. : Les objets techniques sontpartout présents dans notrequotidien. Leur réalisation estfondée sur des recherches fon-

Les objets techniques sont partout présents dans notrequotidien. Leur réalisation est fondée sur des recherchesfondamentales qui n’avaient comme autre objectif que de mieux comprendre le monde.

Il est donc possible de mener une enquête scientifiquesur des mondes imaginaires pour montrer comment se pratique la recherche tout en s’amusant à répondre à une question légitime sur un album de BD.

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Entre optimisation des microbatteries et implication pour la recherche

Dans cette tribune « Jeunes chercheurs » proposée par Progressistes, Jérémyretrace son parcours scientifique jusqu’à sa thèse, soutenue brillamment le 14 juin 2018. Il explicite ses motivations, évoque le cœur et les à-côtés

du métier de chercheur… et nous éclaire sur la miniaturisation des batteries.

PAR JÉRÉMY FREIXAS*,

ans un discours pro-noncé en 1975, GordonMoore, cofondateur

d’Intel Corporation, énonce cequi deviendra une loi : « D’ici àla fin du siècle, le nombre decomposants par unité de surfacedans une puce électronique dou-blera tous les deux ans. » Prèsd’un demi-siècle plus tard, cetteprédiction a mené à la fabricationde capteurs autonomes com-municants, dont l’épaisseur estcomparable à celle d’une piècede un centime (fig. 1). Une équipede recherche a intégré dans cetespace très réduit un capteuroptique, une antenne radio, unmicroprocesseur et une unitéde mémoire.Les propriétés de ces objets sontlimitées par la quantité d’énergiequi leur est accessible. Ici, unemicrobatterie permet de stockerde l’énergie convertie par despanneaux solaires. Or Mooren’avait pas prévu une loi ana-logue pour la miniaturisationdes unités de stockage de l’éner-gie. Les performances sontaujourd’hui très limitées. Comment faire pour alimenterun si petit objet ? C’est le genrede question que l’on essaie derésoudre au sein de deux labo-ratoires : l’Institut des matériauxJean-Rouxel (à Nantes) etl’Institut d’électronique, micro -électronique et nanotechno -logies (IEMN, à Lille). Nous ten-

tons d’associer les technologiesde fabrication de la microélec-tronique avec les sciences desmatériaux pour développer desbatteries à la fois compactes (dontl’épaisseur est inférieure au mil-limètre) et denses en énergie.Ce drôle d’univers m’est apparulors de mes études d’ingénieur :j’ai eu la chance de pouvoirdécouvrir le travail en laboratoire,ce qui a été suivi par une thèsesur ce sujet. J’ai donc vécu une

première expérience profes-sionnelle de choix. Mes labora-toires d’accueil sont dotés d’équi-pements à la pointe : l’IEMNpossède, par exemple, une salleblanche d’une surface de1600 m² permettant de réaliserpratiquement toutes les étapesde fabrication d’un composantélectronique dans un endroit

le plus « propre » possible. L’airétant filtré, la température etl’humidité stabilisées, les résul-tats deviennent reproductibles.Son fonctionnement représenteun budget considérable, de plu-sieurs millions d’euros chaqueannée. Le personnel associé estaussi très compétent, même sile nombre de contractuels esttoujours trop grand, empêchantparfois une bonne capitalisationdes savoir-faire sur certainestechniques.

POUR UN STATUT DU JEUNE CHERCHEURMon contrat de thèse avec leCNRS, suivi d’un poste d’ensei-gnant-chercheur contractuel,m’a épargné case chômage oujob alimentaire durant tout cetemps et permis de découvrirles joies de l’enseignement ! Il

me paraît important de le signa-ler car la vie à l’Université estvraiment très stimulante, contrai-rement de l’idée préconçue quej’en avais avant d’y entrer. J’aieu le loisir pendant presquequatre ans d’être payé pour réflé-chir. Réfléchir pour essayer deme poser les bonnes questionset arriver à comprendre des

choses. Réfléchir aussi à la façonla plus efficace de transmettredes savoirs, que ce soit au restede la communauté ou à mesétudiantes et étudiants.Cette liberté d’organisation meparaît extraordinaire, et peucommune à d’autres milieuxprofessionnels. Malgré cela, jene tenterai probablement pasle concours de maître de confé-rences (mais et si le futur mefaisait mentir?). J’ai le sentimentque la quantité de tâches deman-dées aux enseignants-chercheurscroît sans cesse, ce qui met enpéril leur liberté : multiplicationdes appels à projets pour leurfinancement (auxquels les per-sonnels doivent aussi participerpour évaluer, gracieusement,les projets), évaluations de toutesparts, recours massifs aux vaca-taires d’enseignements2, etc. Laconcurrence est aussi de plusen plus rude pour obtenir unposte, les financements pré-voyant des effectifs à peine main-tenus3, avec des moyennes d’âgeà la titularisation toujours élevées(environ 33 ans en 20134).Il n’empêche, si c’était à refaire,je le referai : cela reste une aven-ture incroyable, surtout lorsquel’on se sent en confiance avecses encadrants. C’est un projetcertes un peu envahissant, quiva forcément questionner l’en-tourage dont la réaction pardéfaut au mot thèse est : « Je nevais rien comprendre à ton sujetd’étude. » J’espère avoir surpris

Nous tentons d’associer les technologies de fabricationde la microélectronique avec les sciences des matériauxpour développer des batteries à la fois compactes et denses en énergie.

n JEUNES CHERCHEURS

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Figure 1. Michigan Micro Mote,Source : université du Michigan1.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 Progressistes

les personnes en face de moien arrivant à leur montrer quel’inverse était possible.La thèse ne se résume pas à fairedes expériences qui fonctionnentune fois sur dix ou à passer sesjournées dans des bibliothèques.Il y a un aspect communication,incontournable, au sein de lacommunauté (au travers d’ar-ticles, de conférences, de sémi-naires, de posters, etc.), maisaussi avec le « reste du monde ».Ce dernier aspect est encoretrop peu considéré, principa-

lement pour deux raisons : lacommunication prend un tempsqui normalement devrait êtredédié à la recherche et n’yapporte pas grand-chose. Étantun peu entêté, j’ai été voir parmoi-même ce qu’il en était.Mon projet de master consistaità étudier la valorisation de résul-tats issus d’un laboratoire envue de la création d’une entre-prise. C’est cet aspect-là qui m’ad’abord préoccupé : quelle suitedonner à une étude scientifiquedès lors que les objectifs ont été

passez par Lille, ne zappez pasle Cabaret des sciences !7

Des démarches « citoyennes »,comme la Marche pour lessciences organisée en réactionà l’élection de Trump8, sont ausside bonnes occasions de se poserdes questions qui ne figurentjamais aux ordres du jour desréunions de travail.

Tout cela prend un peu de tempsen effet, mais j’y ai gagné enaisance relationnelle et j’ai puréfléchir à des images pertinentespour présenter le contexte demes travaux, ce qui est toujoursutile dans une vie de doctorant.J’ai aussi développé ma com-préhension des liens qui existententre les différents acteurs dela recherche. J’ai enfin pas malenrichi la compréhension demon sujet, tant sur des aspectstechniques que sociaux. Ce reculme semble nécessaire tant notrequotidien, notamment nos choixpolitiques, semble lié à des sujetsscientifiques et techniques. n

*JÉRÉMY FREIXAS est assistanttemporaire d’enseignement et de recherche à Polytech Nantes, et docteur en chimie des matériaux.

1. https://www.eecs.umich.edu/eecs/about/articles/2015/Worlds-Smallest-Computer-Michigan-Micro-Mote.html2. https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/faute-de-moyens-l-universite-abuse-des-vacataires-53418743. http://huet.blog.lemonde.fr/2017/10/08/budget-de-la-recherche-2017-la-verite-est-dans-le-bleu/4. https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/statistiques/05/3/orig2012_302053.pdf5. http://beyondlab.org/6. https://labodessavoirs.fr/7. http://lesvulgaires.org/8. http://marchepourlessciences.fr/9. Étienne Eustache et al.,« Silicon�Microtube Scaffold Decoratedwith Anatase TiO2 as a NegativeElectrode for a 3D Litium�IonMicrobattery », in Advanced EnergyMatererials, vol. 4 (1301612), 2014.

atteints? Durant mes deux pre-mières années de thèse, j’ai par-ticipé à l’organisation de ren-contres régulières avec desscientifiques, des entrepreneurset des curieux5 : un bon prétextepour aller rencontrer du mondedans d’autres labos que lesmiens. J’ai aussi découvert l’exis-tence de nombreux dispositifs

de soutien à l’innovation : toutcela est loin d’être simple. Lesdispositifs de sensibilisation selancent progressivement, leschercheurs ne sont pas vraimentles porteurs de projet idéauxpour lancer une boîte et lesentrepreneurs ont quelques apriorisur l’intérêt de la recherche.J’ai été par exemple très surprispar un commercial qui trouvaitfabuleux que les chercheurscontinuent leur métier « aprèsqu’ils aient trouvé des choses ».

L’HUMAIN, TOUJOURS L’HUMAINCes rencontres m’ont amené àcroire qu’il manquait de l’hu-main. De l’humain pour fairele lien entre les résultats scien-tifiques et un potentiel déve-loppement économique. Etmême, plus fondamentalement,de l’humain pour évoquer ladémarche scientifique et lesmécanismes de fonctionnementde la recherche. La science esttrop souvent désincarnée etprésentée comme tombant duciel, alors qu’il s’agit à la based’un questionnement et d’unefaçon de s’intéresser au monde.Cette démarche, bien qu’ellene soit pas facile, est accessibleavec un peu de rigueur… et del’humain.Cela m’a donné envie de m’im-pliquer dans des actions demédiation comme la radio6 oudes projets un peu plus expé-rimentaux où il est question de créer des objets culturelscontenant de la science. Si vous

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La science est trop souvent désincarnée et présentéecomme tombant du ciel, alors qu’il s’agit à la base d’unquestionnement et d’une façon de s’intéresser au monde.

Avez-vous déjà retiré la coque de votretéléphone pour accéder à la batterie?Sur le mien, je peux lire : tension 3,8 V(les batteries lithium-ion ont une tensionautour de 4 V), capacité 2100 mAh/7,98 Wh. Ces chiffres représententles différentes obsessions des scien-tifiques travaillant sur les batteries.La capacité correspond à la quantitéd’électricité que l’on peut stocker. Enlisant 2100 mAh, je comprends queje peux obtenir un courant de 2,1 Adurant une heure. Ou de 0,21 ampèreen dix heures, ce qui correspond plusà la réalité d’utilisation d’une batterieque l’on décharge rarement en uneheure. En multipliant cette grandeurpar la tension, j’obtiens la valeur del’énergie (ici 7,98 Wh).Un capteur miniaturisé est plus frugal.Celui en figure 1 embarque une batteried’environ 10 µWh: près de un millionde fois moins de capacité de stockageque dans mon téléphone! Néanmoins,en stockant plus d’énergie dans cettebatterie, le capteur pourrait fonctionnerbien plus longtemps. L’objectif actuelest d’atteindre 10 mWh pour unebatterie de 1 cm2 d’empreinte surfacique.C’est la raison pour laquelle l’équipeoù j’ai fait ma thèse réfléchit à différentesstratégies pour améliorer la situation.Première stratégie : travailler sur l’ar-chitecture de la batterie. Il faut sereprésenter une microbatterie commeun empilement de couches mincesde matériaux (un peu comme un platde lasagnes). Actuellement, les dis-positifs sont fabriqués sur un substratplat. En générant de la rugosité, ildevient possible de déployer beaucoupde surface tout en restant compact :c’est ce qui se passe, par exemple,

à la surface de notre cerveau. Lescreux et les plis permettent d’avoirune surface énorme dans un endroitrelativement étroit (figure 2). En ayantplus de surface, il devient possibled’avoir des électrodes bien plus grandesque sur un dispositif plan, et partantplus de matière pour stocker plusd’énergie.Deuxième stratégie: jouer sur les maté-riaux. Les matériaux les plus courammentutilisés dans les applications portablesmettent en scène la chimie lithium-ion. Mais d’autres réactifs présententdes densités de stockage théoriquementbien plus importantes. Les couplesmétal-air sont de bons candidats. Leprincipe : l’une des électrodes est unmétal (aluminium, zinc, fer…) et l’autreun matériau poreux qui va laisser entrerl’air dans la batterie. L’oxygène va alorsoxyder le métal (c’est exactement cequi se passe quand le fer rouille) :cette réaction donne des électrons quivont alimenter un circuit relié à labatterie. Pour recharger, on fait l’inverse :en branchant la batterie sur une priseélectrique, les électrons vont arriverau niveau du métal oxydé pour lui per-mettre de retourner à l’état métal.L’oxygène revient alors à l’air par l’élec-trode poreuse. L’un des réactifs étantà l’extérieur de la batterie, celle-ci estplus compacte et plus légère qu’uneautre qui contient les deux réactifs(comme le lithium-ion, par exemple).Mais ce n’est pas sans poser de pro-blèmes : le rendement de la batterieest à ce jour relativement mauvais etla rechargeabilité faible. Ce type depile est déjà utilisé dans les dispositifsauditifs du fait justement de sa densitéd’énergie importante !

DES MICROBATTERIES RESPIRANTES POUR DOPER LES CAPTEURS MINIATURISÉS

Figure 2. Microstructuration du substrat d’une microbatterie.Microtubes sur silicium9 (a) : ces microstructures permettent de gagner en surface dans la profondeur du substrat (b, vue de face) tout en maintenant constante l’empreinte surfacique (c, vue de haut).

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

PAR LAURENT GUILLOUX*,

ors d’une visite sur leplateau de Saclay del’Institut de mathéma-

tiques d’Orsay, de Poly techniqueà Palaiseau et du nouveau cam-pus CentraleSupélec à Gif-sur-Yvette le 25 octobre 2017,Emmanuel Macron, nouvelle-ment élu président de laRépublique, entérinait la créationnon pas d’un seul mais de deuxensembles universitaires actantl’échec de la création d’une seuleet unique entité dans un territoireregroupant à lui seul 15 % de larecherche française, des diver-gences fortes persistant entregrandes écoles et universités.L’objectif initial était de créerune « Silicon Valley » à la fran-çaise, censée permettre au paysde se distinguer dans les clas-sements académiques inter -nationaux des universités, en particulier celui de Shanghai.Déclaré « opération d’intérêtnational » en 2006 par le gou-vernement Villepin, le projet estaccéléré par Nicolas Sarkozyavec la nomination de ChristianBlanc comme secrétaire d’Étatchargé du développement dela région Capitale et l’adoptionde la loi de juin 2010 relative auGrand Paris, dont l’objectif prin-cipal est de relier entre eux lesgrands pôles d’activité et lesaéroports. Le projet Arc Express

de nouveau métro de la régionÎle-de-France, porté par les éluscommunistes depuis une décen-nie, est fondu dans un nouveauprojet de métro, Grand ParisExpress, en janvier 2011. Parmiles cinq nouvelles lignes demétro prévues, la ligne 18 devraitrelier Saclay à la Défense et àl’aéroport d’Orly.Le projet d’aménagement duplateau de Saclay prévoit deconcentrer autour des établis-sements déjà présents sur le site(Commissariat à l’énergie ato-mique, CNRS, École polytech-nique, CentraleSupélec, ONERA,INRIA, HEC) d’autres grandesécoles, des entreprises et descentres de recherche présentsdans toute l’Île-de-France. Depuis,sauf exception telles que l’écoleTélécom SudParis à Évry ou

bien l’université de Versailles-Saint-Quentin, de nombreuxétablissements ont été dépla -cés : l’ENSTA (Paris), l’ENSAE(Malakoff ), Cen trale Sup élec(Châtenay-Mala bry), l’École nor-male supérieure (Cachan), ladirection recherche et dévelop-pement d’EDF (Clamart), et dansun avenir proche AgroParisTech(quatre sites en région parisienne,dont le centre de Grignon) lesera aussi.Les salariés et étudiants des sitesconcernés se sont souvent mobi-lisés contre des déplacementsabsurdes vers le plateau deSaclay : les chercheurs de l’uni-versité Paris Sud parce que lafac d’Orsay a été éloignée de lavallée et du RER pour l’implanterà seulement 2 km de distance ;les personnels du centre de

recherche EDF parce qu’ils ontété déplacés de 15 km aumoment même où était inau-gurée la ligne de tramway àClamart, attendue depuis quinzeans pour desservir le site ; lespersonnels et étudiants d’Agro -ParisTech de Plaisir-Grignonparce qu’on leur demande dequitter des locaux neuf, livrésen 2002 et 2009, sans pouvoir àl’avenir disposer de champsd’expérimentation à proximité.À l’ère de la révolution numé-rique, cette concentration d’éta-blissements et de financementsne peut être comprise qu’à tra-vers le prisme des logiques libé-rales à l’œuvre dans toutel’Europe, avec le paradoxe deconsacrer de moins en moinsde moyens pour la recherche,publique comme privée, sur le

Université Paris-Saclay : où en est-on ?Le plateau de Saclay, au sud de Paris, est aujourd’hui un des grands pôles de la re-cherche scientifique en France. Regards croisés sur les projets d’emménagement encours du plateau de Saclay et sur les conséquences du regroupement des grandesécoles sur ce site.

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n RECHERCHE

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Vers une plus grande concentration et de nouveaux problèmes

Le plateau de Saclay est situé dans le nord de l’Essonne, àune vingtaine de kilomètres au sud de Paris. Ses terres, grâceà l’irrigation naturelle, sont parmi les plus fertiles d’Île-de-France, aussi le site peut-il se prévaloir d’une longue traditionagricole. Le plateau est parcouru par des rigoles qui drainentl’eau. Ces ouvrages, ainsi que l’étang de Saclay, étaientdestinés à l’alimentation en eau du château de Versailles.C’est après la Seconde Guerre mondiale que le plateau deSaclay est devenu un important pôle d’enseignement, derecherche scientifique et de recherche et développement. Dès1946, Frédéric Joliot-Curie installe le Centre national de larecherche scientifique (CNRS) à Gif-sur-Yvette. L’année suivante,le CEA, fondé en octobre 1945 et dont le haut-commissaireest également Joliot-Curie, achète des terrains dans lescommunes de Saint-Aubin et Saclay. En 1947, l’ONERA créeun centre de recherches consacré à l’énergétique à Palaiseau.

En 1956, des laboratoires de la faculté des sciences deParis – qui devient l’université Paris-Sud en 1971 – sontrassemblés dans le campus d’Orsay. Le campus d’HEC àJouy-en-Josas est inauguré par Charles de Gaulle en 1964;l’IHES, centre de recherches en mathématiques et physiquethéoriques, déménage la même année à Bures-sur-Yvette ;l’École supérieure d’optique fait, quant à elle, son arrivéesur le campus d’Orsay en 1965.

Le Laboratoire central de recherche de Thomson-CSF(aujourd’hui Thales) s’y installe en 1968. Et plus récemmentDanone et le synchrotron Soleil. Le plateau de Saclay, quiaccueille entreprises, universités, grandes écoles et organismespublics, concentre aujourd’hui près de 15 % de la recherchefrançaise avec 10500 enseignants-chercheurs, 60000 étu-diants, dont 25000 en master et 5700 doctorants.

HISTORIQUE DU PLATEAU DE SACLAY

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 Progressistes

plan national. L’émergence depôles de compétitivité dans unsite comme le plateau de Saclaytraduit ainsi une vision de déve-loppement de plus en plus inégalitaire : le nouveau lycée international de l’Essonne estannoncé à Palaiseau pour 2021;un nouvel hôpital de proximitéà Saclay devrait ouvrir en 2024,mais il est financé par la ferme-ture des trois hôpitaux existants– de Juvisy, de Longjumeau etd’Orsay. Identifié dans le schémadirecteur de la région Île-de-France adopté en 2013, un

et d’Orsay (337 ha) ; la ZAC deCorbeville (94 ha).Si la construction de nouveauxlogements au sein des grandscampus existants, tels celui dePolytechnique, fait sens avec laconstruction de nouvelles garesde métro, de fortes inquiétudesse sont exprimées de la partd’associations et des élus locauxface à la mise en danger desterres agricoles du plateau deSaclay, parmi les plus fertiles dela région : il est possible d’y fairepousser du maïs sans irrigation,même par temps de canicule.

Ces inquiétudes ont été renfor-cées par l’annonce en 2011, sousla mandature de Nicolas Sarkozy,de la construction de plus de150000 logements. La mobili-sation des citoyens et des éluslocaux a permis la création endécembre 2013, par décret, dela zone de protection naturelle,agricole et forestière du plateaude Saclay afin de sanctuariser2469 ha de terres agricoles. n

*LAURENT GUILLOUX est secrétairede la section PCF Nord-Essonne.

second volet important de ceprojet d’ampleur est la volontéde construire des logementsdans un contexte de grave pénu-rie en Île-de-France, dont sontvictimes 10 % des Franciliens.Les nouvelles constructions delogements ont été organiséesautour de plusieurs zones d’amé-nagement concerté piloté parl’Établissement public d’amé-nagement Paris-Saclay (EPAPS),dont la ZAC de l’École polytech-nique à Palaiseau (232 ha) ; laZAC du quartier du Moulon, surles communes de Gif-sur-Yvette

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L’alibi de l’excellencePAR GILLES LASCHON*,

n janvier 2020 verra lejour un établissementuniversitaire dérogatoire

au Code de l’éducation. Il regrou-pera les neuf composantes (cinqUFR, trois IUT, une école d’in-génieurs) de l’université Paris-Sud-XI et quatre grandes écoles(CentraleSupélec, l’ancienneENS Cachan, AgroParis Tech,l’IOGS), et associera les grandsorganismes de recherche natio-naux (CEA, CNRS, IHES, INRA,INRIA, INSERM, ONERA), l’uni-versité de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) etl’université Évry-Val-d’Essonne(UEVE). Les structures et ins-tances de l’université Paris-Sud-XI se mueront pour créer unliant politique et administratifà tous ces établissements dis-parates et fonder la nouvelleuniversité Paris-Saclay. Le regrou-pement actuel du même nomdisparaît, scellant le divorceavec l’École polytechnique, quicréé avec ses écoles partenairesle pôle NewUni.Échec? Une chose est sûre : c’esttout le paysage de l’enseigne-ment supérieur et de la recherche(ESR) qui se fragmente dansune logique de concurrence desites, aboutissement de dixannées de dérégulation du sec-teur en région parisienne et en

province, sous l’action de troismandatures présidentielles suc-cessives, qu’elles soient de droite,de centre-gauche ou de centredroit.

CONCENTRATION DUPOTENTIEL DE RECHERCHEEN PÔLE DE COMPÉTITIVITÉL’objectif premier de ces évo-lutions structurelles est de ren-tabiliser les activités de recherche.Le mécanisme est bien connudes chercheurs depuis la géné-ralisation des financements surprojets. Tout ce qui est valorisableaux yeux de financeurs publicset privés, au niveau national

comme européen, doit brillerpour capter les crédits non récur-rents désormais indispensablesau travail des équipes derecherche. L’université Paris-Saclay a ainsi pour ambitiond’être une référence mondialeen termes d’université de« recherche intensive ». Et tantpis si cela fait mal à certainesthématiques moins en voguedans l’air du moment. Tandisque les laboratoires se restruc-turent et fusionnent en masto-dontes, les équipes considéréescomme étant de seconde zonepeinent à retrouver un port d’at-tache qui leur permette de mener

leurs recherches. Bonjour l’am-biance dans des laboratoires oùles personnels subissent desorientations qu’ils n’ont paschoisies !Nul doute que l’université Paris-Saclay tiendra ses promessesdans le classement de Shanghai,que ce pôle de compétitivité sedéveloppera… au détrimentd’autres territoires et structuresde recherche. Mais quelle avan-cée s’il s’agit seulement deconcentrer un potentiel derecherche déjà reconnu dansdes établissements déjà presti-gieux au niveau national ?D’autant plus que les coopéra-

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

tions existantes au-delà du péri-mètre Paris-Saclay seront tôtou tard remises en cause par laconcurrence entre sites. La« rationalisation » du secteur dela recherche est en marche. Cetteévolution toute libérale et bienconnue du secteur marchandnuira au final à la créativité dela recherche au niveau national,délaissant les thématiques incer-taines, privilégiant l’utilitarismeéconomique dans une compé-tition féroce et mondialisée.

FORMATIONS: SÉPARER LE BON GRAIN DE L’IVRAIEQui dit université de « rechercheintensive » dit aussi universitéd’« excellence » pour les forma-tions. Là aussi le potentiel relevantdu périmètre de la future uni-versité Paris-Saclay, mêmeamputé de l’École polytechnique,est impressionnant puisqu’ilregroupe doctorats, masters etdiplômes d’ingénieurs d’établis-sements parmi les mieux cotésen la matière. Les formationsélitistes des écoles et de l’uni-versité le resteront, avec deuxbémols: la concurrence inévitableentre masters et diplômes d’in-génieurs, et la situation géogra-phique de Paris-Saclay, qui nefera pas le poids face aux attraitsde Paris intra-muros en termesde vie étudiante.Tout devient plus compliquélorsqu’on considère les forma-tions de premier cycle, exclusi-vement universitaires à ce jour.Il ne s’agit plus de mener au plushaut les meilleurs étudiants maisde répondre au besoin sociétalde massification de l’enseigne-ment supérieur avec des étu-diants aux profils très diversifiésdans un contexte de pénuriebudgétaire chronique pour l’uni-versité. Ce secteur est en effetcoûteux, car exigeant en accom-pagnement pédagogique, et nesuscite pas l’intérêt des écolesfocalisées sur la réussite desmeilleurs. Le modèle retenu parla future université Paris-Saclayprévoit un premier cycle à deuxvitesses avec, d’un côté, deslicences de l’université Paris-Saclay destinées aux études

longues et, de l’autre, une Écoleuniversitaire de premier cycleà vocation d’insertion profes-sionnelle à bac + 3 tôt ou tardsecondarisée, coupée de larecherche et exclue à terme dela brillante université de rangmondial. La loi ORE (orientationet réussite des étudiants) auto-risant la sélection à l’entrée del’université et le nouvel arrêtélicence, qui accentue l’autonomiedes établissements, arrive à pointnommé pour fournir les outilsde tri des bacheliers à l’entréede ces deux premiers cycles. Comment ne pas imaginer queles financements de ces forma-tions seront disparates et pro-fiteront à une élite étudiantequ’il s’agira d’attirer dans unecompétition nationale, voireinternationale, tandis que lespublics plus fragiles se conten-teront de baisser leurs ambitions,accentuant le prédéterminismesocial dans l’accès aux hautesétudes et prestigieuses carrièresprofessionnelles ?UNIVERSITÉ PARIS-SACLAY 2025Une seconde étape est prévueà l’horizon 2025. L’enjeu estd’intégrer pleinement aumodèle les deux universitésassociées (UVSQ et UEVE). Unleurre? Si le modèle 2020 réussit

taires par le regroupementd’établissements d’enseigne-ment supérieur et de recherche,échouant cependant à rappro-cher le système universitairede celui des prépa-grandesécoles. La libéralisation de l’ESRfrançais franchit désormaisune nouvelle étape avec uneprésidence Macron qui n’hé-sitera pas à expérimenter denouvelles structures universi-taires, capables de concurrencerles prestigieuses universitésinternationales, mais de plusen plus éloignées de leurs mis-sions de service public, notam-ment celle d’offrir les plus bellesétudes au plus grand nombrede jeunes en ne s’arrêtant pasaux capacités individuelles dumoment. En renonçant à tenterde corriger les inégalitéssociales qui façonnent les parcours académiques des étudiants, en orientant sesrecherches vers une rentabi-lisation plus immédiate,l’Université perd ses ambitionsde phare pour le développe-ment de toute la société. Paris-Saclay en est un exempleemblématique. n

*GILLES LASCHON, agrégé de mathématiques, est directeur de l’IUT d’Orsay.

sur le plan de la compétitivitéde la recherche et de l’attractivitédes formations de prestige, ilsera bien difficile aux partenaires« premiers de cordée » de sup-porter les difficultés de deuxuniversités jeunes et particu-lièrement sous-financées ten-tant de répondre aux besoinsde formations de territoiresmoins favorisés qu’Orsay,Sceaux ou Cachan. Il est pro-bable qu’une partie seulementdes laboratoires et des forma-tions de ces universités rejoignel’université Paris-Saclay. La plu-part des licences intégrerontl’École universitaire de premiercycle Paris-Saclay devenue éta-blissement autonome.Au fond, les schémas pour Paris-Saclay n’ont rien d’original. Ilssont le résultat d’une évolutionde l’ESR dont les premièrespierres ont été posées en 2006avec la loi de programme pourla recherche, qui engage larecherche dans la voie de lacompétitivité, et en 2007 avecla loi relative aux libertés etresponsabilité des universités,qui prépare l’Université fran-çaise à la concurrence des ter-ritoires au niveau européen.La loi Fioraso de 2013 a fina-lement permis d’expérimenterla création de pôles universi-

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PAR PIERRE GARZON*,

haque année, la régionCapitale voit s’accentuerdramatiquement le dés-

équilibre emploi/habitat. D’uncôté, l’Ouest parisien qui aspireet verrouille l’implantation desimmeubles d’entreprises. Del’autre, tout le reste de l’Île-de-France où s’accumule le logementdes salariés et où disparaissentpetit à petit les sites pourvoyeursd’emplois. Pour la seule année2017, sur les 2 millions de mètrescarrés construits, la moitié l’aété dans la zone de la Défense.Les conséquences sont lourdes.Ce déséquilibre fait suffoquerles réseaux de transports, accroîtles inégalités sociales et spatialesen même temps qu’il concentreleurs effets de ségrégation dansdes villes, des quartiers. L’Es -son ne et la Seine-et-Marnevoient leurs zones de bureauxse vider, et ce au détriment desréseaux de transports déjà satu-rés. Le site de Saclay, dans cemouvement général qui doit

être contesté, est à la croiséedes chemins. Au cœur du Sudfrancilien, son implantationsuppose à la fois un haut niveaude desserte pour s’y rendre, maisaussi un maillage nouveau etsuffisamment fin pour accueillirles dizaines de milliers d’étu-diants et les milliers d’emploisprivés et publics induits.Son développement est dépen-dant à la fois des enjeux derecherche et de formation et dela capacité à penser l’aména-gement du site et les liaisonsqui lui sont indispensables pourinteragir avec les autres sites desanté, de recherche et de for-mation, comme la vallée scien-tifique de la Bièvre, les pôlesuniversitaires parisiens et del’Est francilien, etc.Dans ce contexte, le soutien àce pôle scientifique, par-delà lesmoyens en termes de parts duPIB consacrés à la recherchedans notre pays, passe par ledéveloppement d’un réseau detransports nouveau, robuste etefficace: la ligne 18, prévue ini-

tialement pour relier l’aéroportd’Orly à Versailles en passant parSaclay. Dès la création par la loidu 3 juin 2010 de la société duGrand Paris (SGP), le métro debanlieue à banlieue voit naîtreune première rocade avec leslignes 15 et, en second rideau,au sud, la ligne 18. Son tracéactuel est fragilisé par les volontéssuccessives des différents gou-vernements de réduire la factureglobale de la SGP, d’étirer le calen-drier de mises en service, de prio-riser les portions en zones denses.Si le tracé entre l’aéroport d’Orlyet le site de Saclay fait relativementconsensus, il n’en est pas demême après Saclay, à l’ouest.Deux phases de mises en chan-tier sont programmées aveccomme première le tronçonOrly-Saclay pour un objectifcalendaire placé à 2027.La suite est incertaine, et la cri-tique fuse : « Un métro pour des-servir les gens, par les champs ! »À l’opposé, les départementsdu Val-de-Marne et de l’Essonneont étudié une troisième hypo-

thèse : une extension de laligne 18 à l’est. La question debase repose sur l’attention àporter à trois enjeux forts :1. Relier les deux grands sitesd’emploi Orly-Saclay aux RER Cet D, à la future ligne 14 et autramway 7 tout comme la RN6.2.Favoriser les zones déjà densesde l’Est essonnien et du Sud val-de-marnais pour préserver lesterres agricoles à l’ouest et luttercontre l’étalement urbain.3.Contribuer à un saut du reportmodal du pôle de Saclay bâti dansles années de la voiture reine.Dans un contexte de fuite enavant du déséquilibre régional,les questions d’aménagementne peuvent être découplées desquestions de transports et del’intervention politique pour nepas laisser le marché de l’im-mobilier décider pour nous deces questions.n

*PIERRE GARZON est vice-présidentdu conseil départemental du Val-de-Marne, en charge des transports, et membre du conseil d’Île-de-FranceMobilités.

La problématique de la mobilité

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PAR BENOÎT BORRITS*,

LA QUESTION DEL’APPROPRIATION SOCIALELe dernier film de StéphaneBrizé, En guerre, mettait en scènela fermeture d’une usine d’Agen,avec le licenciement de ses

100 salarié(e)s, décidée par sonpropriétaire, le groupe allemandDimke. Face à face, deux posi-tions irréconciliables. Celle dela direction qui représente lesactionnaires : l’usine n’est pasassez rentable vis-à-vis de l’en-semble du groupe et tire vers lebas la rentabilité du groupe, ce

qui ne peut qu’avoir des inci-dences négatives sur le coursde l’action. Celle des salarié(e)squi ne comprennent pas la raisonde cette fermeture, l’entrepriseétant rentable. Leur colère estd’autant plus grande que ladirection leur avait demandé

de faire des efforts salariaux –40 heures payées 35 – en échanged’une garantie de l’emploi surcinq ans. En vertu de cet accord,les salarié(e)s assignent l’entre-prise au tribunal. Peine perdue,le jugement confirme le droitde l’entreprise de licencier. Lafin est alors écrite d’avance. Les

salarié(e)s se déchirent entrecelles et ceux qui refusent touteidée de licenciement et d’autresqui souhaitent négocier au mieuxleurs indemnités de licencie-ment. Le mot de la fin revientà Martin Hauser, le P-DG de lamultinationale: « Refuser de voirla réalité de ce marché revienten réalité à vouloir un autremonde, vivre dans un autremonde. Et bien, vous ne m’envoudrez pas, mais moi, pour mapart, je vis dans le monde quinous entoure, dans notre monde.Je vis, j’applique les règles de cemonde. »Cette fiction est un concentréde ce que nous connaissonsdepuis de nombreuses années.Si Martin Hauser clame haut etfort qu’il vit dans ce monde etapplique ses règles – sans men-tionner qu’il en profite largement–, les salarié(e)s le vivent dansleur chair, avec comme uniqueperspective le chômage et laprécarité. Pourquoi la majeurepartie de la population doit-ellesubir les diktats d’un systèmeabsurde incapable de fournirdes emplois là où se trouventles populations? Parce qu’ellene dispose pas de l’argent néces-saire pour investir de façon àcréer et/ou à maintenir lesemplois.Alors qu’aux XIXe et XXe sièclesl’appropriation sociale était l’ho-rizon de la gauche, voilà quecelle-ci, y compris dans ses com-

posantes les plus progressistes,limite désormais son programmeà des politiques de redistributionqui ne remettent pas en causele pouvoir des actionnaires.Depuis trois décennies, ces pro-grammes ne font guère recetteet ne nous sortent nullementdu monde infernal de MartinHauser. Comment dès lors don-ner du pouvoir à celles et ceuxqui n’ont que leur force de travailpour vivre?

CONQUÉRIR LA MAÎTRISE DES INVESTISSEMENTSLes gouvernements successifsde ces dernières décennies n’onteu de cesse de créer des poli-tiques publiques favorables auxdétenteurs des moyens de pro-duction au motif que ceux-cicréent les emplois de l’économiemarchande. Pis, plus nous avan-çons dans le temps, plus cesgouvernements obéissent auxdiktats du patronat, l’exemplele plus éclairant ayant été lesrenoncements systématiquesde François Hollande qui décla-rait pourtant : « Mon adversaire,c’est le monde de la finance. » Sinous devions prendre le contre-pied de ces politiques et aug-menter la part des salaires dansla valeur ajoutée, il deviendraitalors indispensable de permettreaux salarié(e)s de disposer desmoyens financiers qui leur per-mettront d’investir dans desemplois en lieu et place des

Un fonds socialisé d’investissement pour reprendre en main l’économie

Face à la financiarisation inéluctable du capitalisme, il est urgent pour les travailleurs de constituer des fonds d’investissements qui s’inscriront dans une logique d’éviction des actionnaires et leur permettront de reprendre

en main collectivement cette économie qui nous échappe.

Le dernier film de Stéphane Brizé, En guerre, est un concentré de ce que nous connaissons depuis de nombreuses années.

n S’APPROPRIER LE TRAVAIL

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actionnaires. Tel est l’objectifdu fonds socialisé d’investisse-ment (FSI).Son mode de constitution s’ins-crit dans une perspective d’aug-mentation de la part des salairesdans la valeur ajoutée qui déva-lorisera massivement les entre-prises1, posant la question de

l’éviction des actionnaires etde la gestion des entreprisespar les salarié(e)s avec inter-vention des usagers (-ères). Unetelle évolution rendra urgentela question de disposer de fondscollectifs qui permettront auxsalarié(e)s d’investir. La valeur ajoutée se décomposeschématiquement en salaireset profits, ces derniers n’étantque partiellement distribuéssous forme de dividendes. Lapartie non distribuée des profitssert à l’investissement contrôlépar les actionnaires : il est doncinconcevable d’envisager lahausse de la part des salairesdans la valeur ajoutée sanscontester aux actionnaires cettefraction de la valeur ajoutée quileur sert de chantage à l’emploi.Nous pourrions donc envisagerla constitution de ce FSI parl’établissement d’une cotisationsociale nouvelle, assise sur lessalaires bruts.Une fois la constitution de cefonds actée se pose la questionde son fonctionnement.L’investissement est une ques-tion d’opinions sur un futur quinous est inconnu, et conserverla pluralité de ces opinions seraindispensable pour le succèsde ce fonds. Par ailleurs, consti-tué et abondé sur une base natio-nale, sa taille va vite devenirgigantesque, mais il ne devrapas se transformer en uneimmense bureaucratie. C’est

ici que le rôle des banques estessentiel : être en contact avecl’économie réelle et les entre-prises. Ce sont donc ces établis-sements – qui, comme les autresentreprises, seront dirigés parleurs travailleurs (-euses) et usa-gers (-ères) suite à la politiquede hausse de la part des salaires

dans la valeur ajoutée – quiauront en charge la distributiondes crédits aux entreprises.

UN OUTIL DE PLANIFICATIONUne rupture essentielle avec lesrègles du capitalisme à pratiqueravec la gestion de ce fonds portesur l’affectation des investisse-ments. Dans le système écono-mique actuel, un investissementne se réalise qu’en fonction desa rentabilité attendue, qui doitêtre supérieure à ce que deman-dent les actionnaires en fonctionde la structure de financement(rapport dette/fonds propres)et, de toute façon, au taux d’in-térêt du moment : peu importel’objet de l’investissementpourvu que celui-ci soit suffi-samment rentable. À l’inversede cette pratique, nous choisi-rons de flécher les investisse-ments en fonction de leurs uti-lisations par l’établissement

d’enveloppes budgétaires. Celles-ci peuvent correspondre à desfinalités (transition énergétique,mobilité, outil industriel…), àdes modalités de crédit (créditsimple remboursé sur plusieursannées, ligne de crédit pour

financer un besoin en fonds deroulement, apports pour financerde la recherche et développe-ment) ou encore à une politiquevolontariste d’investissementsdans certains territoires défa-vorisés. Ces budgets doiventfaire l’objet de délibérationspolitiques dans l’ensemble dela population, réalisant ainsiune orientation de l’économieen fonction des besoins expriméspar toutes et tous, et non enfonction de la rentabilité desinvestissements.Le rôle du FSI n’est pas de dis-tribuer les crédits mais de per-mettre la réalisation de ce pland’investissements décidé par lapopulation. À cet effet, celui-ciproposera pour chaque enve-loppe budgétaire un taux d’in-térêt – qui peut aussi bien êtrepositif que négatif – avec lequelles banques emprunteront. Sile FSI constate qu’un budget adu mal à se réaliser, il baisseraalors le taux d’intérêt de celui-ci ; inversement, il l’augmenterapour ralentir les demandes. Lerôle des banques est de distribuerles crédits aux entreprises en sefinançant directement auprèsdu FSI : les taux d’intérêt qu’ellesproposeront aux entreprisesseront donc basés sur le tauxd’intérêt du FSI augmenté d’unemarge servant à couvrir les fraisde fonctionnement de la banqueet les éventuelles défaillances.En effet, les banques seront res-ponsables des sommes emprun-tées auprès du FSI – représentantde la collectivité – et devrontrembourser celles-ci même encas de défaillance de l’emprun-

teur. De même, les banquesseront responsables de la bonneaffectation des fonds : chaqueprêt accordé devra être financésur un budget adéquat, et letirage sur un budget qui offriraitun meilleur taux d’intérêt sans

correspondre à la nature du prêtdevra être sanctionné. En offrantdes lignes de crédit de longterme, le FSI permet ainsi auxbanques de se passer des mar-chés financiers pour stabiliserleurs bilans, comme elles le fai-saient auparavant en émettantdes titres financiers (actions etobligations), en recourant auxproduits dérivés ou encore entitrisant les crédits accordés.Nous avons jusqu’ici parlé duFSI au singulier dans la mesureoù l’échelon national est celuidans lequel s’exprime l’essentieldu débat politique. Il ne restepas moins vrai que le caractèrecollectif de ce fonds permet qu’ilse décline sur différents espacesgéographiques dès lors que lescitoyen(ne)s de ces espacesdésirent l’instaurer. On pourradonc le compléter avec desfonds régionaux ou sur tout ou partie de la zone euro2. Ces fonds constituent des com muns qui permettent de penser un dé passement de l’État dans une perspective pleinementinternationaliste. n

*BENOÎT BORRITS est responsablede l’Association pour l’autogestion.

1. La valorisation des entreprises estdonnée par l’actualisation de leursdividendes futurs. Augmenter la partdes salaires dans la valeur ajoutéerevient à diminuer, toutes choseségales par ailleurs, la part desdividendes distribués, et donc la valorisation des entreprises.2. On notera que l’établissement de ce fonds ne nécessite aucun critèreparticulier concernant la politiquemonétaire et peut très bien fonctionnerdans le cadre actuel de la politique de la Banque centrale européenne.

Le rôle du FSI n’est pas de distribuer les crédits mais de permettre la réalisation de ce pland’investissements décidé par la population.

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Si nous devions prendre le contre-pied de cespolitiques et augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée, il deviendrait alors indispensablede permettre aux salarié(e)s de disposer des moyensfinanciers qui leur permettront d’investir dans des emplois en lieu et place des actionnaires.

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Benoît Borrits est auteur de Au-delàde la propriété. Pour une économiedes communs (La Découverte, coll. « L’horizon des possibles ») qui propose une réflexion sur le dépassement de la propriété en vue notamment de la socialisationdes moyens de production.

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PAR HENRY WACSIN*,

onduite unitairementpar les organisations syn-dicales, l’action dans le

conflit actuel à la SNCF, bienqu’ancrée dans les réalités éco-nomiques et sociales du secteurferroviaire, n’en revêt pas moinsune dimension politique incon-testable. Elle répond à uneattaque frontale du pouvoir enplace contre un élément consti-tutif de la solidarité nationale :le service public. Appuyé surune verticalité rarement consta-tée à ce niveau de responsabilitéet doté d’une volonté maintesfois affirmée de relancer uneconstruction européenne enpanne en faisant de la Franceun « État start-up », le présidentMacron s’est engagé dans unprocessus brutal de « révolution »néolibérale auquel répond lemouvement, syndical par l’actionet plusieurs propositions.

L’EUROPE EN ROUE LIBRE…ET SANS GUIDONLa boulimie de quelques anciensdirigeants européens à étendrele périmètre géographique del’Union, sans lui donner le senset les moyens démocratiques etpolitiques de conduire les affairesd’une communauté librementdéfinie et solidaire, a éloignéune part de plus en plus impor-tante de la population euro-péenne du processus deconstruction communautaire.Le dernier exemple en date est

révélé par la situation en Italie,où on a vu se créer un attelagegouvernemental dont le seulliant se résume dans la mise aupilori des structures de l’UE. Lamultiplication de ce genre desituations est d’autant plus com-préhensible que les Européensne se sentent pas protégés parles différentes instances arc-boutées sur des références bud-gétaires et économiques, et entiè-rement dévolues aux quelquesbénéficiaires de la mondialisationfinancière, ceux dont notre pré-sident dit qu’« ils n’ont pas besoinde gouvernement ».

C’est en effet le contexte idéo-logique d’austérité budgétaireeuropéen et de création d’ungrand marché « libérateur » quitrace les grandes lignes des poli-tiques nationales : libéralisationet privatisation des grands mono-poles publics et des servicespublics, réduction des budgetspublics, recours au secteurprivé… Principe fondateur dela construction européenne,renforcé à chaque nouveau traité,ceux-ci étant parfois ratifiéssans l’accord des peuples, lerecours au grand marché inté-rieur et à ses extensions inter-

nationales noie l’intérêt généraldans un grand bouillon où noscuisiniers néolibéraux en fontune réduction pleine d’amer-tume, somme de quelques grosintérêts particuliers.L’actualité ferroviaire nous enrévèle un avatar supplémentaire.Entamée depuis le milieu desannées 1980, notamment avecla ratification du traité deMaastricht, la libéralisation destransports, avec plus particu-lièrement la déstructuration dusecteur ferroviaire, se poursuità marche forcée sous l’actioncommune de la Commission et

du Parlement européens, maisaussi du Conseil, et donc desÉtats membres. Alliant paresseintellectuelle et manque de cou-rage politique, les gouverne-ments nationaux successifs ontabandonné toute ambitionindustrielle et innovatrice pourleurs chemins de fer, et plusgénéralement pour des servicespublics, qu’ils réduisent biensouvent à un filet de sécurité.Ils ont en revanche laissé dansles mains de la technostructurebruxelloise l’organisation deslambeaux de solidarités natio-nales et communautaires. Celles-

ci se réalisant aux dépens de ladimension territoriale propreà chaque pays.

DÉMÉNAGEMENT DES TERRITOIRES ET MÉTROPOLISATIONEn effet, au prétexte de ratio-nalisation économique et finan-cière, l’actuel pouvoir restructurecomplètement nos territoires,notamment ruraux, pour affecterles moyens disponibles auxgrandes métropoles et à leursaires d’influence. Une vaste opé-ration de déménagement desterritoires est entamée, « déles-tant » ces derniers de leursclasses, leurs hôpitaux, leurstribunaux, leurs services pré-fectoraux et fiscaux, etc. Le sujetdes « petites lignes », terme trèsconnoté remplacé depuis ausein de la technostructure SNCFpar celui de « lignes d’intérêtlocal », est la contribution fer-roviaire à cette opération. Ellerenvoie à une vision de l’orga-nisation de la société qui vise àconcentrer l’ensemble des forcesproductives sur certains sitesau seul profit du capital. Celui-ci met ainsi en place, avec l’aidede l’État, les conditions maté-rielles de concentration desmoyens de production, ne rechi-gnant pas à mobiliser les moyenspublics – financiers et matériels– pour financer celle-ci (CICE,crédit d’impôt recherche…).Cette opération se double d’unecaptation rapide des missionsactuellement gérées par des

Principe fondateur de la construction européenne,renforcé à chaque nouveau traité, le recours au grandmarché intérieur et à ses extensions internationalesnoie l’intérêt général dans un grand bouillon.

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Cheminots : un combat pour le service public

La bataille ferroviaire est au cœur des luttes actuelles pour le maintien et le développement des services publics sur les territoires, pour ne pas laisser les affaires du monde entre les mains du monde des affaires.

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structures publiques. Cela soiten s’insérant avec des groupesprivés sur des marchés ouvertspar la puissance publique (c’estle cas de la réforme ferroviaireactuelle), soit en prenant pos-session de tout ou partie ducapital d’entreprises publiques.

LIBÉRALISATION,FINANCIARISATION ETPRIVATISATION DES SERVICESPUBLICSCe mouvement de fond, déjàengagé dans d’autres pays, s’ap-puie sur le principe idéologiquede base qui considère la gestionprivée plus vertueuse que cellepublique et que la concurrencerevivifie un secteur d’activitéen perte de vitesse. Exemples

et contre-exemples existent quipeuvent être portés au débat.Il est d’ailleurs consternant deconstater la faiblesse et la par-tialité des arguments présentéspour porter cet objectif. Celui-ci doit cependant s’extraire decette fixation opportunémentpolémique pour examiner lafinalité de ces stratégies de libé-ralisation et de privatisation :la captation d’une rente avecun investissement moindre !L’ouverture à la concurrence dutransport régional de voyageurs,largement financé par des sub-ventions publiques, est de cettedimension. La possibilité dequelques grands acteurs multi -nationaux de capter ces contri-butions financières et de les

maximiser en jouant simulta-nément sur le dumping socialet sur l’asymétrie d’informationsexistant entre l’opérateur et l’au-torité organisatrice est un objectifnon déclaré des décideurs.

Tous les pays où la concurrencea été introduite dans le ferroviaireont connu des revers de fortunesimilaires : augmentation destarifs pour les usagers et descontributions publiques, aban-

don de lignes d’aménagementdu territoire, report sur le moderoutier, remise en cause desgaranties collectives dessalarié(e)s… Un constat quenous pouvons faire sur d’autres

secteurs d’activité, comme l’éner-gie. C’est également dans cetobjet de priorité donnée au privéque l’État a ouvert le capital deEDF et de GDF, a ouvert les auto-routes à des concessions privées,

Ce mouvement de fond, déjà engagé dans d’autrespays, s’appuie sur le principe idéologique de basequi considère la gestion privée plus vertueuse que celle publique et que la concurrence revivifie un secteur d’activité en perte de vitesse.

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

ouvre actuellement à des dis-positions similaires Aéroportsde Paris, et ne tardera pas à lesouvrir pour Gares et Connexions,service et bientôt filiale, chargéede la gestion, l’exploitation etla maintenance des grandesgares ferroviaires. Ce dernierexemple est symptomatique dece qu’un sujet d’organisationprésenté comme interne à l’en-treprise a des interactions fortessur les politiques d’aménage-ment urbain. En effet, alors queles collectivités territorialesfinancent largement le déve-loppement et la modernisationdes gares, il faudrait laisser àquelques acteurs, souvent d’en-vergure multinationale et nonimplantés localement, la gestionet l’utilisation d’installationsqui sont des portes d’entréedans la ville.Nous avons là un sujet éminem-ment politique, qui dépasse lar-gement le monde cheminot. Cesujet n’est pourtant jamais venudans les différents débats ouprésentations médiatiquesdurant ces dernières semainesoù la propriété publique de laSNCF a été réaffirmée sans cesse,mais sans préciser les contoursde celle-ci. Gares et Connexions,filiale d’une SNCF Réseau lestéed’une dette qui n’est pour lemoment que partiellementreprise, est d’ores et déjà promiseà quelques acteurs privés. Il fautpar ailleurs préciser que lecontexte législatif actuel permetà la puissance publique de céderdes parties entières du réseauferré national à quelques acteursprivés spécialistes des conces-sions. Plutôt que de traiter deces sujets qui interrogent notredémocratie, la sphère média-tique, poussée par le pouvoirpolitique, s’est focalisée sur lestatut des cheminots.

LE LIEN DE SUBORDINATIONREMPLACÉ PAR UN LIEND’ALLÉGEANCELe sujet de l’abandon du statutdes cheminots s’inscrit dans lapoursuite de la réforme du Codedu travail, qui a connu un épi-sode important avec les ordon-

nances Macron. Mais c’est aussiune pierre lancée dans le jardindes promoteurs du statut desfonctionnaires et des défenseursde leur indépendance vis-à-visdu pouvoir politique. Derrièrecette remise en cause se trouveen fait un vieux projet patronalet du camp conservateur quiest celui de substituer des liensd’allégeance au lien de subor-dination contrebalancé par desgaranties collectives.

Certes, le terme de « lien d’al-légeance » n’apparaît jamaisdans les expressions. Il est rem-placé par des éléments de lan-gage de type novlangue. Unegrande publication numérique,Parlons RH, informait ainsi seslecteurs, le 12 juin 20181, queles recruteurs ne privilégiaientplus les diplômes pour embau-cher, leur préférant des com-pétences comportementales :capacité à s’organiser et à prio-riser les tâches, capacité d’or-ganisation et autonomie. L’articlese terminant par la phrase sui-vante : « Les nouveaux talentsdoivent donc miser sur le déve-loppement des compétences com-portementales qui les aideronttout au long de leur parcoursprofessionnel, sans un risqued’obsolescence. » Parler d’obso-lescence pour des salarié(e)s nemanque pas d’une savoureuseindécence ! L’individualisationdes conditions sociales et sala-riales, le recours aux compé-tences personnelles, le transfertdes protections vers le secteurassurantiel au lieu des systèmesde solidarité…, tous ces élémentsd’actualité concourent à laconstruction d’une relation detype vassal/suzerain, très éloi-gnée de nos objectifs syndicauxCGT d’émancipation par le tra-vail en se réappropriant son

contenu, son sens, sa finalité.Ce mouvement de fond n’estpas étranger à la conceptionqu’a notre président de laRépublique de la gestion mana-gériale des affaires publiques.

UNE RÉPONSE SYNDICALEQUI S’INSCRIT DANS LE CHAMP POLITIQUEEmmanuel Macron a en effetdeux piliers sur lesquels il appuiesa politique : l’individu produc-

teur-consommateur et l’entre-prise. Entre les deux, rien nesubsiste! Associations, mutuelles,syndicats, l’ensemble des corpsintermédiaires constitués sontconsidérés comme non contri-butifs à l’intérêt collectif, dontM. Macron se définit comme leseul dépositaire. Retour histo-rique violent en ce qui concernel’intervention syndicale. Carnous affrontons aujourd’hui unretour mielleux aux dispositionsde la loi Le Chapelier, qui, àl’aube de la révolution indus-trielle, interdisait les regroupe-

ments professionnels. L’actuelleremise en cause de l’action col-lective syndicale est réaliséealors que nous vivons une nou-velle révolution industrielle,numérique, pleine d’inconnueset d’incertitudes, qui nécessitede renforcer les protections soli-daires et collectives, par l’inter-vention des salarié(e)s. C’esttout le sens de la double besognequi est dans l’ADN de la CGT.L’actuelle situation politique,économique, sociale, environ-

nementale oblige en effet lessalarié(e)s à se réapproprier lesenjeux d’organisation de lasociété et des luttes de pouvoirqui s’y déroulent. « Ne pas laisserles affaires du monde au mondedes affaires » est une formuledéjà utilisée par un dirigeantsyndical, mais qui, dans lecontexte actuel, trouve sa per-tinence renforcée. Lutter pourla transformation sociale touten œuvrant à l’accroissementdu mieux-être des travailleurspar la réalisation d’améliorationsimmédiates est cette doublebesogne que nous portons jus-tement à l’occasion du confliten cours imposé aux chemi-nots… et qu’il nous faut élargir.Politiquement, la séquence quise déroule actuellement a déjàdonné des résultats tangiblesen termes de qualité des débatstenus avec l’ensemble des che-minots, mais aussi avec la popu-lation, pas seulement celle quiutilise le train.Ces divers déploiements et ini-tiatives ont contribué et contri-buent encore à l’élévation de laconscience politique. Ils per-mettent d’aborder les grandssujets au-delà de la présentationpartiale et partielle qui en estfaite par les médias, voire parcertains appareils politiques quin’ont pas intérêt à voir s’ouvrirce genre de débats, préférant le

cantonner à la définition destêtes de listes. Toujours dans leconflit en cours, il nous restemaintenant à travailler à l’amé-lioration immédiate du sort dessalarié(e)s. Parce que la grandevictoire politique de cette périodedoit se fixer sur un objectif cen-tral : rendre l’espoir. n

*HENRY WACSIN est secrétairefédéral à la fédération CGT des cheminots.

1. https://www.parlonsrh.com

«Ne pas laisser les affaires du monde au monde des affaires» est une formule qui, dans le contexteactuel, trouve sa pertinence renforcée.

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Derrière cette remise en cause se trouve en fait un vieux projet patronal et du camp conservateur qui est celui de substituer des liens d’allégeance au lien de subordination contrebalancé par des garanties collectives.

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PAR BERNARD CLAVERIE*,

L’INDUSTRIE DU FUTUR OU L’INDUSTRIE 4.0La collaboration humain-machine est à nouveau sur ledevant de la scène, notammentdans les perspectives de déve-loppement de l’industrie 4.0.Pour rappel, l’industrie a étémarquée par plusieurs révolu-tions techniques, technologiqueset sociales. On peut considérerl’avènement de l’industrie 1.0avec l’exploitation du charbonet de la machine à vapeur, suivied’une industrie 2.0 dépendantede l’énergie électrique, de laperformance mécanique et destransports terrestres, maritimeset aériens. La révolution cyber-nétique a inauguré l’industrie3.0, avec l’électronique, les télé-communications et les machinesinformatiques. Leur maturitépermet d’envisager une industrie4.0, caractérisée par la conver-gence des technologies indus-trielles et des produits person-nels, par la numérisation duréel pour en donner des repré-sentations virtuelles au servicedes concepteurs et des opéra-teurs, mais également des clientset usagers. Ces représentationssont transmises et travailléesdans un Internet ouvert, et mani-pulées grâce à la puissance descalculateurs et des nouveauxalgorithmes de calcul intensifpour la performance décision-nelle. Cela entraîne à la fois undéluge d’informations perti-

nentes et des nouveaux moyensde gérer ces données pour délé-guer aux machines des tâchesjusqu’ici réputées réservées àl’esprit humain.Cette industrie 4.0 semble fondéesur des bases conceptuellesmondiales telles que l’usineintelligente, l’interconnexiondes machines et des systèmes,notamment avec les consom-mateurs, grâce au cloud com-putinget à l’agilité numérique,en fonction des grandes régu-lations extérieures et intérieuresà l’usine, à l’Internet des objets,à la conception additive, dansle cadre de besoins, projets oucontraintes directes de l’envi-ronnement, du public et de cer-tains enjeux stratégiques.

LORSQUE HUMAINS ET ROBOTS «COLLABORENT»Aujourd’hui, la place de l’humaindans l’usine du futur fait l’objetde débats entre ceux qui veulents’en séparer et ceux qui veulentvaloriser son utilité et son inté-gration réussie avec les systèmes

techniques. La cobotique en estun pivot central. Cette notion4.0 est née du Salon de la tech-nologie industrielle de Hanovre

de 2011 ; elle est depuis consa-crée1pour décrire une « industriedu futur » elle-même progres-sivement structurée par desvagues transformant l’usine, lesproduits et la société. La figure1rend compte de telles vaguesd’évolutions des technologiesde l’information2, de l’étape 3.0vers l’Industrie 4.03.Dans ce contexte de progrès,l’intégration humain-machine

(IHS) est devenue un vrai sujetde préoccupation, notammentavec la place de l’humain faceaux robots. Jusqu’à récemment

simplement conçus pour sesubstituer à l’opérateur, ou agirdans des espaces de ségrégationstricte entre machines ethumains ainsi protégés, certainsrobots sont devenus de plus enplus sûrs, performants et convi-viaux. On a pu dès lors envisagerde faire cohabiter les opérateurset ces machines afin de colla-borer aux mêmes tâches, dansdes stratégies de partage de plusen plus efficaces.C’est dans cette philosophie decollaboration homme-robotque l’évolution des normes apermis d’étendre le conceptrelativement nouveau de cobo-tique. Le terme est un néolo-gisme, contraction de « robo-tique » et de « collaboration ».Pour les auteurs initiaux4, lescobots constituent une classede robots qui associent le mou-vement humain et le mouve-

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La révolution cybernétique a inauguré l’industrie 3.0,avec l’électronique, les télécommunications et les machines informatiques. Leur maturité permetd’envisager une industrie 4.0

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La cobotique pour l’industrie 4.0Les interactions entre hommes et robots sont de plus en plus au cœur despréoccupations du monde industriel. Particulièrement, le développement dela cobotique, la robotique collaborative, apparaît comme une voie d’optimi-

sation de la productivité et de réduction de certaines pénibilités physiques. Elle est unaspect central de l’industrie du futur.

Figure 1. Les révolutions des technologies de l’information de l’industrie 3.0 à l’industrie 4.0.Figure adaptée de Claverie et Fouillat (2010), d’après Nathan (2006).

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018

ment artificiel, démultiplientcertaines caractéristiques natu-relles avec des contraintes deforce et de fidélité selon desaptitudes programmables. Cescobots s’inscrivent de plus enplus dans une interaction conti-nue de type haptique, de posture,ou audiovisuelle pour une tâchedonnée dans laquelle les capa-cités de saisie, de manipulationou d’usinage de l’opérateur

humain sont amplifiées et fia-bilisées5. Le terme fait donc glo-balement référence à une « robo-tique coopérative », caractériséepar l’interaction réelle, directeou téléopérée, entre un opérateuret un système robotique plusou moins autonome, mais eninterrelation directe avec l’hu-main. Cette robotique collabo-rative est aujourd’hui plus largeque la simple robotique de pro-longement du geste ou du com-portement. Toujours conçuecomme une robotique d’aug-mentation, elle correspond néan-moins aujourd’hui et de façongénérique à l’utilisation de sys-tèmes de suppléance artificiels,mécaniques et sensori-moteurs,développés spécifiquement pourune tâche ou une relation don-née. Elle devient alors une formehybride, de robotique parallèle,permettant à la fois l’augmen-tation de la performance enforce, en vitesse ou en précision,et surtout la préservation de lasanté au travail en réduisant auminimum gestes répétitifs, posi-tions difficiles ou autres atteintesà la sécurité des personnes.Une ingénierie des systèmescomplexes émerge depuisquelques années de l’intégrationde nombreuses briques tech-nologiques issues de domainesvariés tels les sciences de l’in-formation, la physique, la chimie,

la biologie, l’ingénierie de lacognition, le big data et l’intel-ligence artificielle. C’est dans cette logique deconvergence6 que les cobotsprennent un statut particulier,notamment avec des machinesréellement performantes pourl’aide ou la substitution, revêtantun rôle de robots collaboratifs,ou même aujourd’hui de robots« compagnons ».

Vivre avec les robots pose unesérie de problèmes culturels,économiques, psychologiqueset relationnels, notamment avecles opérateurs. Le robot fait peur,car autonome, doté d’une intel-ligence artificielle. S’il peut sesubstituer à l’homme pour destâches définies, il peut aussi leremplacer auprès d’employeursou dans certaines relationshumaines, surtout lorsque l’as-pect interpersonnel peut êtrestandardisé. Dans ce contextecritique, le cobot est porteur dedifférences puisque, pseudo-robot, ses actions sont en pro-longement de celles de l’hommetout en valorisant son expertiseet son savoir-faire.

LES DOMAINESD’APPLICATIONOn peut citer plusieurs domainesconcrets d’application actuellede la cobotique : l’industrie deproduction ou de contrôle, ledomaine militaire et le secteur

médical, mais aussi l’industriede la communication, du jeuou du loisir. La cobotique est

aujourd’hui développée par degrands groupes industriels del’aéronautique, du transportterrestre ou naval, de l’agro -alimentaire ou du commerce

en ligne. Elle est mise en œuvredans des situations où l’opéra-teur humain est indispensable,mais confronté à des tâches dif-ficiles, pénibles, répétitives ouà très faible valeur ajoutée. Lecobot a la possibilité de s’adapteraux caractéristiques de l’opé-rateur comme à celles de latâche. C’est dans l’interactionentre ces trois pôles que seconstitue la classification desprojets de cobotisation de cer-taines majors industrielles7.L’activité de travail au sein d’uneusine cobotisée concerne à lafois la réalisation de la tâcheprescrite et la collaboration

homme-machine. Le systèmedoté de capacités de captation,d’action et d’autonomie, voire

de décision et d’enrichissement,contribue à la réalisation de latâche avec l’opérateur humain.Les boucles perception-actionde l’homme résultent de pro-

cessus cognitifs complexes, quine sont évidemment pas demême nature que les capacitéssensori-motrices du cobot. Lafigure 2en dresse une typologiedes systèmes cobotiques selonles relations directes ou indirectesentre les trois entités : tâche,opérateur, machine. On peutalors différencier selon une proxi-mité humain-cobot croissantedes systèmes de téléopération,de colocalisation collaborative,de comanipulation ou d’exo-manipulation.Les cobots rencontrent aujour -d’hui l’intérêt des entrepreneurs,mais aussi celui des employésou des usagers. Leur déploiementest envisagé pour maintenirl’emploi comme pour faciliterà l’opérateur les tâches les plusfatigantes ou dangereuses. Ilspermettent également d’intro-duire des machines contrôléesdans une complémentarité IHSdont on connaît dans certainscas la meilleure efficacité quecelle de la simple substitution

Une « robotique coopérative », caractérisée parl’interaction réelle, directe ou téléopérée, entre unopérateur et un système robotique plus ou moinsautonome, mais en interrelation directe avecl’humain.

Le cobot est porteur de différences puisque, pseudo-robot, ses actions sont en prolongement de celles de l’homme tout en valorisant son expertiseet son savoir-faire.

Les cobots rencontrent aujourd’hui l’intérêt desentrepreneurs, mais aussi celui des employés ou des usagers. Leur déploiement est envisagé pourmaintenir l’emploi comme pour faciliter à l’opérateurles tâches les plus fatigantes ou dangereuses.

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Figure 2. Typologie de quatre systèmes cobotiques, d’après Bitonneauet Moulières (2018).

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du travailleur par le robot. Ceconstat est aujour d’hui perçucomme central pour le déve-loppement de l’usine du futur,en laissant une place non négli-geable à la présence et à l’ex-pertise humaine. Elles sont à lafois un enjeu de compétitivitéet un domaine de généralisationen harmonie avec l’attente deconsommateurs attentifs à uneplace préservée de l’humaindans la production des produitset services.Ces évolutions font évidemmentémerger des problèmes éthiques.Ainsi, l’autonomie des cobotsaugmentant, ils seront amenésà prendre de plus en plus dedécisions, posant alors les ques-tions de la confiance, de la délé-gation et de la responsabilité.Quels cadres pratique, juridique,éthique peuvent être donnés àde telles capacités de représen-tation, de décision et d’actionpartagées ? La question de ladépendance au cobot, voire del’attachement de l’opérateur àun outil de plus en plus complexe,intelligent et convivial, réelcoéquipier au travail, ne serapas sans conséquence sur les

individus comme sur la société.De même, la transformation del’humain par la collaboration,tant en ce qui concerne la for-mation, l’expérience psycho -logique ou l’aptitude physique,engage la question de la dépen-dance et de la réversibilité. Unhumain « augmenté » souhai-tera-t-il se libérer d’un dispositiflui conférant de nouvelles capa-cités? Enfin, l’efficience colla-borative nécessite le recueil dedonnées personnelles des opé-rateurs, pour de meilleures adap-tation, performance, confort…L’exploitation de ces donnéesdans des programmes d’intelli-gence artificielle est probable-ment, dans une perspective deprotection, incompatible avecdes principes éthiques et régle-mentaires qu’il conviendra deveiller à protéger8. n

*BERNARD CLAVERIE estprofesseur des universités à l’Institutpolytechnique de Bordeaux, directeurde l’École nationale supérieure decognitique, chercheur au sein dugroupe « Cognitique » de l’IMS, UMR5218 (CNRS, université de Bordeaux,Bordeaux INP).

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1. Dorothée Kohler, Jean-Daniel Weisz, Industrie 4.0. Les défis de la transformation numérique du modèle industriel allemand, Paris, La Documentation française, Paris, 2016.

2. Bernard Claverie, Pascal Fouillat, « L’e�volution disciplinaire des sciences de l’information : des technologies à l’inge�nierie des usages », in Projectics,Proyectica, Projectique, no 6, 2010/3, p.79-106.

3. K.Nathan, « Bridging the gap between Research and Business in the ondemand era », EU IST Conference : From RFID to the Internet of Things. PervasiveNetworked Systems, Bruxelles (Belgique), 6-7 mars 2006.

4. Michael Peshkin, Edward Colgate, « Cobots », in Industrial Robot, vol. 26,no 5, p.335-341, 1999.

5. Michael Peshkin, J. Edward Colgate, Prasad Akella, WitayaWannasuphoprasit, « Cobots in material handling », in M. Cutkosky, R. Howe, K.Salisbury, M. Srinivasan (dir.), Human and Machine Haptics, MIT Press, Boston(Massachusetts), 2000.

6. On parle de « convergence NBIC » selon les prévisions du rapport de Roco etBainbridge :

– Bernard Claverie, « De la cybernétique aux NBIC : l’information et les machinesvers le dépassement humain », in Hermès, no 68, p. 95-101, CNRS Éditions,Paris, 2014.

– Mikhail C. Roco, William Bainbridge, Converging Technologies for ImprovingHuman Performance : Nanotechnology, Biotechnology, Information Technologyand Cognitive Science, Dordrecht (États-Unis), Kluwer Academic Publishers,2003.

7. David Bitonneau, Conception de systèmes cobotiques industriels. Approcherobotique avec prise en compte des facteurs humains, thèse de doctorat(sciences physiques et de l’ingénieur), université de Bordeaux, mai 2018.

Théo Moulières-Seban, Conception de systèmes cobotiques industriels –Approche cognitique – Application à la production pyrotechnique au seind’ArianeGroup, thèse de doctorat (sciences physiques et de l’ingénieur),université de Bordeaux, décembre 2017.

8. Comest (Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies), « Report of COMEST on robotics ethics », UNESCO, Paris, 2017.

Air-Cobot un robot mobile collaboratif capabled'inspecter un avion durant les opérations demaintenance. Il est présenté comme le premierrobot d'inspection visuelle des avions.

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L’humanité est responsable de la sixième crise d’extinction de la biodiversitéque connaît notre planète. Mais pourquoi devrions-nous protéger la biodiver-sité? Et surtout comment faire?

PAR ALAIN PAGANO*,

POURQUOI PROTÉGER LA NATURE?Tous les experts le disent, nousvivons la sixième crise d’extinc-tion de la biodiversité, avec sesbouleversements potentiels,imprévisibles et la disparitionde pans entiers du patrimoinevivant. À cela devrait succéderla naissance de nouvelles formesde vie, comme cela a été le caslors des cinq crises précédentes.Alors, jouons une minute le rôled’avocat du diable : pourquoidonc protéger la nature, la faune,la flore, les écosystèmes ? Laquestion s’est posée, se pose, àcertains devant des combatsincompris, à juste titre ou nond’ailleurs. Elle se pose plus for-

tement quand on oppose pro-tection de la nature à dévelop-pement humain. Qui n’a pastrouvé exagéré l’arrêt d’uneconstruction d’autoroute poursauver des scarabées pique-prune ? Qui n’a pas moqué le combat « romantique » deBrigitte Bardot pour sauver lesbébés phoques parce que c’esttrop mignon? La question étantpourquoi les bébés et pourquoiphoques seulement? Pourquoi

pas des espèces moins « sexy » :bébés araignées, moustiques,limaces, vers, serpents… ? Lecôté « fleur bleue » est moquéparce qu’il manque de cohé-rence, se fonde sur du senti-mentalisme et préfère parfoisles animaux à l’humain, commes’il fallait choisir !Mais bon, si on enlève l’inco-hérence, le sentimentalisme,l’opposition humain/autresespèces et qu’on préfère cohé-rence, rigueur scientifique,logique globale, je repose laquestion : pourquoi donc pro-téger la nature, la biodiversité,les écosystèmes?À cette question, il existe plu-sieurs types de réponses. Ellessont complémentaires et nonopposables :

De type rationnel : c’est pour lasurvie du vivant, y compris nous-mêmes. Argument qui se discutepeu, en réalité, au regard del’ampleur de certains boulever-sements écologiques, je pensenotamment au dérèglement cli-matique… dont les consé-quences sont encore difficilesà prédire ! Quand une espècedisparaît de la « chaîne alimen-taire » (aujourd’hui on préfèrele terme réseau, car il correspond

mieux à la complexité du vivant),des cascades d’extinction d’es-pèces sont possibles. Ne jouonspas aux apprentis sorciers ! Lasurvie de notre propre espèceest questionnée par ces boule-versements à l’origine desquelsnous sommes.De type philosophique : l’hu-main favorise des extinctionsd’espèces, il doit « réparer lesdégâts ».De type culturel : c’est pour sau-vegarder le patrimoine naturelau même titre qu’on peut s’in-téresser au patrimoine historique,culturel…On apprécie des pay-sages naturels, des rencontresfortuites avec des espèces sau-vages lors de nos ballades. C’estun argument un peu plus roman-tique. Mais il se respecte, commese respecte le fait de s’extasierdevant de vieux monuments ouune exposition d’art contem-porain.De type intéressé : la natureest profitable à l’homme.C’estun aspect qui mériterait déve-loppement. On trouve cettenotion dans le concept, très àla mode scientifique, de « ser-vices écosystémiques ».

CRISE D’EXTINCTION DE LA BIODIVERSITÉDans l’histoire de la vie, il y adonc déjà eu cinq grandes crisesd’extinction de la biodiversité,la plus connue étant celle qui aentraîné la disparition des dino-saures. Au cours de ces crises,jusqu’à 95 % des espèces ont

disparu. La plupart de ces crisesne peuvent avoir une causehumaine, puisque à l’époqueoù elles se sont produitesl’homme n’était pas encoreapparu sous sa forme Homosapiens. Je n’en dirai pas tantde la sixième grande crise d’ex-tinction de la biodiversité, celleque nous sommes en train devivre.Elle se manifeste déjà par untaux estimé d’extinction d’es-pèces très supérieur à celui dumoment de la disparition desdinosaures. Il y a des menacesd’extinctions préoccupantespour de nombreuses espèces(je cite quelques cas connuscomme oiseaux, amphibiens,

Sixième crise d’extinction : il faut sauver les bébés phoques… et les écosystèmes!

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n BIODIVERSITÉ

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Le côté « fleur bleue » est moqué parce qu’il manquede cohérence, se fonde sur du sentimentalisme et préfère parfois les animaux à l’humain, comme s’il fallait choisir !

Dans Doit-on être un écologisteatterré? Si le climat était un paradisfiscal, on l’aurait préservé ! AlainPagano propose une réflexion pour articuler approche scientifiqueavec démarche militante… et appelle à l’action concrète.

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Page 49: No 21 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 LA CHINEdata.over-blog-kiwi.com/2/57/84/49/20180923/ob_84f552...2018/09/23  · Jocelyne Porcher, Sylvestre Huet sur les énergies renouvelables,

abeilles, coraux…), et 40 % desespèces de mammifères pré-sentent des marques de déclinde leurs populations. Noussommes déjà dans l’urgence :il faut des actions, des solutions.Les causes de la disparition desespèces sont multiples; certainessont « naturelles », mais beau-coup sont liées à l’activitéhumaine telles que :– la destruction des habitatsnaturels, leur fragmentation.Ainsi, quand on coupe un massifforestier en deux pour y fairepasser une autoroute, empê-chant les migrations des animauxd’un côté à l’autre, on fragmentel’habitat ! Cela aboutit à unappauvrissement des échangesmigratoires, reproducteurs, et donc à une consanguinitéaccrue, une érosion qui préci -pite le déclin des populations.C’est considéré comme la cause majeure d’extinction desespèces ;– les espèces envahissantes.Quand une espèce est introduitehors de sa zone de distributionhabituelle et qu’elle se met àpulluler, elle peut nuire auxautres espèces de la région, pren-dre leur place et les pousser àl’extinction. Le cas de Caulerpataxifolia, l’« algue tueuse » deMéditerranée, est connu pour

avoir été fortement médiatisé,mais les exemples sont légion ;– la pollution. Les pesticides,par exemple, sont fortementsoupçonnés d’être impliquésdans le déclin des populationsd’abeilles. Mais on pourrait pren-dre d’autres exemples ;– l’apparition de nouvelles mala-dies. Par exemple, la chytridio-mycose, qui affecte les gre-nouilles et crapauds tropicaux,

fait des ravages : la quasi-totalitéde leurs populations a disparu.Cette maladie, récente, est dueà la présence d’un champignonpathogène, Batrachochytridiumdendrobatidis, qui pourrait êtreliée à des déplacements d’ani-maux à cause de l’homme et/oudu réchauffement climatique ;– les changements liés auréchauffement climatique sontde plus en plus invoqués dansla disparition de la biodiversité :mort de baobabs millénaires,blanchiment des coraux… Laliste risque malheureusementde s’allonger.

Je ne prétends pas être exhaus-tif quant aux causes d’extinc-tion, mais je veux montrer quel’humain, clairement, est engrande partie responsable decette crise.

COMMENT PROTÉGER LA BIODIVERSITÉ?D’abord, on ne le fait pas audoigt mouillé, car on risque defaire des erreurs, des bêtises.

On suit une méthodologiescientifique, la biologie de laconservation. Et il y a plusieursdirections :– la réparation d’écosystèmes(que j’ai déjà évoquée dans des articles précédents deProgressistes) ;– la mise en place de réservesnaturelles ;– l’aménagement de tunnels àfaune en dessous des autoroutesou les écoducs au-dessus desautoroutes pour « défragmen-ter » les habitats, et la remiseen état les routes migratricesdes animaux ;

– le développement de banquesde semences végétales pourpermettre des semis si la popu-lation de telle ou telle espèceest menacée ;– l’élevage en zoo et, dans cer-tains cas, la réintroduction enmilieu naturel ;– enfin, l’éducation, la sensi -bilisation à la protection de labiodiversité.Des retours d’expérience, notam-ment lors des congrès scienti-fiques internationaux de biologiede la conservation, montrentqu’il est possible de protégerdes espèces menacées de cesdiverses manières et qu’ilconvient de donner force à cesactions. Il n’y a pas de fatalité àleur déclin. Il faut se donner lesmoyens de changer notre impactsur l’environnement en chan-geant de type de société.Et il faut également agir en don-nant les moyens aux chercheurs,aux praticiens de la conservationde la biodiversité. La protectionde la biodiversité devrait êtreune grande cause nationale,pour la vie et pour notre bien-être sur cette planète. Il n’estpas trop tard pour agir. n

*ALAIN PAGANO est maître de conférences en écologie etmembre du Conseil national du PCF.

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Il y a des menaces d’extinctions préoccupantes pourde nombreuses espèces et 40 % des espèces demammifères présentent des marques de déclin deleurs populations.

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Page 50: No 21 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2018 LA CHINEdata.over-blog-kiwi.com/2/57/84/49/20180923/ob_84f552...2018/09/23  · Jocelyne Porcher, Sylvestre Huet sur les énergies renouvelables,

Bien que des organisations internationales comme l’Organisation de coopéra-tion et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation des Nationsunies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) tablent sur une stabilité des prix,

les spéculations sur les denrées alimentaires continueront à alimenter des désastreséconomiques, sociaux et écologiques. Des solutions existent pourtant.

PAR GÉRARD LE PUILL*,

BAISSE DES PRIX OU SPÉCULATION?Tandis qu’en cette année 2018la sécheresse compromet lesrécoltes dans plusieurs pays del’hémisphère nord et que certainspays exportateurs de l’hémi-sphère sud, dont l’Australie,connaissent une fin d’automnetrès sèche, le rapport annuel del’OCDE et de la FAO consacré

à l’évolution du prix des prin-cipales denrées alimentairessur dix ans vient de paraître.Intitulé « Perspectives 2018-2027», il promet au monde entierdes prix en légère baisse pourles dix prochaines années. Enattendant, la spéculation sur leblé a fait bondir son cours de25 % en quelques semaines. Etnul ne sait ce qu’il en sera dansun ou deux ans.Comme dans d’autres régionsdu monde, la pluie, la grêle, puisla sécheresse et la chaleur estivaleont mis à mal les agriculturesdes pays membres de l’Unioneuropéenne. D’est en ouest et

du nord au sud, la baisse desrécoltes céréalières et la trans-formation des prairies en pail-lassons vont avoir des consé-quences durables sur les volumesde production et sur le revenudes paysans. Au point que lesagriculteurs allemands ont, dèsla fin du mois de juillet, demandéà leur gouvernement de déclarerl’état d’urgence pour leur pro-fession avec un plan de finan-cement de 1 milliard d’euros.

Le constat fait en Allemagne estaussi valable pour la France etbeaucoup d’autres pays. De laSuède à l’Espagne, en passantpar l’Irlande et la Grande-Bretagne, la sécheresse a pro-voqué de sérieux dégâts. Il sepeut aussi que le risque de pénu-rie fasse flamber les cours desdenrées stockables au fur et àmesure que seront connus leschiffres définitifs concernant larécolte céréalière des pays del’hémisphère nord. Cette spé-culation a déjà commencé; ainsi,la tonne de blé tendre qui nevalait que 158 € rendue au portde Rouen au début du mois de

mai était montée à 205 € à lafin du mois de juillet. La questionest de savoir si cette spéculationsera temporaire ou prolongée.Le rapport « Perspectives 2018-2027 » sera-t-il ridiculisé dèsson année de parution? Cettemontée rapide du prix du blétendre est intervenue alors quel’OCDE et la FAO venaient derendre public ce rapport, quitable sur une stabilité globaledes prix agricoles pour les annéesà venir. Ce rapport, publié audébut de l’été, tente de donnerun éclairage aux décideurs poli-tiques et économiques de la pla-nète sur l’évolution des apportsde nourriture et des prix ali-mentaires pour dix ans.Consultable sur Internet depuisquelques semaines, « Perspec -tives 2018-2027 » indique enintroduction que « les projectionsont été établies avec l’aide d’ex-perts des pays et des produits,sur la base du modèle Aglink-Cosimo des marchés agricolesmondiaux mis au point parl’OCDE et la FAO. Ce modèle éco-nomique sert aussi à assurer lacohérence des projections de réfé-rence. Les projections reflètentà la fois la situation actuelle desmarchés et une série d’hypothèsesconcernant l’environnementmacroéconomique, les tendancesdémographiques et les politiquespubliques ». On cherche en vain

la moindre allusion aux aléasclimatiques, de plus en plusnombreux.

AUGMENTATION PRÉVUE DE LA CONSOMMATION DE VIANDE ET DE POISSONDès lors, les deux organismesnous certifient que « dans lesdix ans à venir, la croissance éco-nomique devrait atteindre 1,8 %par an dans les pays de l’OCDE».Il nous est ensuite dit qu’auniveau mondial « la consom-mation de viande et de poissondevrait augmenter de 15 % dansles dix prochaines années, tandisque la consommation par habi-

Les « experts » économiques de l’OCDEet la FAO ridiculisés par les spéculateurs ?

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n AGRICULTURE

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Comme dans d’autres régions du monde, la pluie, la grêle, puis la sécheresse et la chaleur estivale ont mis à mal les agricultures des pays membres de l’Union européenne.

Dernier ouvrage paru de GérardLe Puill : Réinventons l’économie dans un monde fini, Éditions du Croquant, mai 2018.

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tant ne progresserait que de 3 %».Du coup, la demande de grainpour la nourriture du bétail aug-menterait d’environ 18 %. Ils’agirait surtout de maïs, d’orge,de sorgho et de tourteaux protéiques. La consommationd’huile végétale passerait de 21à 23 kg par habitant sur cettepériode de dix ans.Voilà qui risque de se traduirepar beaucoup de déforestation,cette réduction du « piège à carbone » venant accélérer leréchauffement climatique. Maisle sujet n’est jamais évoqué dansles 80 pages du rapport, qui nousdit aussi que les pays en déve-loppement « contribueraientpour 84 % à la demande sup-plémentaire d’éthanol au coursdes dix prochaines années ».Ce rapport indique que « la pro-duction mondiale de soja resteradominée par les États-Unis et leBrésil […]. Les États-Unis et leBrésil demeureront les principauxproducteurs mondiaux de viande,moyennant une extension deleurs cheptels. La hausse de la

production anticipée est de 17 %pour le bœuf et le porc, de 16 %pour la volaille et de 9 % pourle mouton. Les produits animaux,tels que le lait et les œufs connaî-tront une croissance semblable »(p. 48), ajoutent les « experts »des deux organismes.

OCCULTATION DES CONSÉQUENCESÉCOLOGIQUES ET CLIMATIQUESDans cette analyse, les consé-quences écologiques et clima-tiques des choix économiquesimpliquant une accélération dela déforestation ne sont pasprises en compte. On note seu-lement que « la spécialisationdes régions s’intensifie». Est ainsireprise la vieille théorie concep-tualisée par David Ricardo audébut du XIXe siècle sur les avan-

tages comparatifs pour localiserles productions agricoles, lecommerce mondialisé devantensuite suffire pour que leconsommateur solvable mangeà sa faim. À leur manière, les

« experts » de l’OCDE et de laFAO reprennent ce refrain dansun monde peuplé de 7,5 milliardsd’humains, soit sept fois plusque du temps de Ricardo, alorsque beaucoup de terres agricolesont depuis perdu toute fertilitéet que d’autres ont été « man-gées » par l’urbanisation.Le rapport qui trace les pers-pectives entre 2018 et 2027 secontente de noter que « les dis-parités climatiques et géogra-phiques, notamment la dispo-nibilité en terres agricoles debonne qualité, déterminent lastructure de l’avantage compa-ratif dans la production de dif-férents produits agricoles ». Lespays disposant encore d’avan-tages comparatifs importantsdoivent, selon les rapporteurs,pouvoir répondre à la demandemondiale en toutes circons-

tances. Dès lors, les rapporteursaffirment que « les prix réels dela plupart des produits agricolesdevraient baisser » au cours desdix ans à venir. Le maïs, le blé,le riz, le soja, les huiles végétales,les tourteaux protéiques, le sucreblanc, la volaille, la viande por-cine, la viande bovine, la viandeovine, le beurre, la poudre delait écrémé, l’éthanol et le bio-diesel sont les produits pharespour lesquels les conjoncturistesde l’OCDE et de la FAO tracentune ligne régulière signifiantune légère baisse des prix entre2018 et 2027 sur les marchésmondiaux. Cette ligne est tou-tefois ornée d’une petite zonegrisée qui laisse entrevoir unehausse possible des prix, voire

une baisse plus forte pour cer-tains de ces produits.Depuis quatre ans, l’offre deproduits agricoles parmi les plusconsommés (blé, riz, maïs,viandes bovine, ovine, porcineet de volailles) a toujours dépassé

en volume la demande solvable.C’est également vrai pour lesproduits laitiers depuis la findes quotas européens en 2015,tandis que la fin des quotassucriers cette année voit le prixdu sucre baisser sensiblement.Mais rien ne prouve que cettesituation puisse se prolongerpendant encore dix ans.

DES CRIMINELS DE GUERRE ÉCONOMIQUE QUI S’IGNORENT « Il importe de noter que cetintervalle grisé [la petite zonegrisée évoquée plus haut] nerend pas compte de toutes lesincertitudes entourant les prixprojetés, mais seulement lesincertitudes liées aux variables

prises en compte dans l’analysestochastique », peut-on lire enpage 62 du rapport. Il nous estpar ailleurs précisé en page 60de ce même texte que « cetteanalyse stochastique simule lavariabilité des marchés agricoles

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Les conséquences écologiques et climatiques des choix économiques impliquant une accélérationde la déforestation ne sont pas prises en compte.

En dépit de toutes leurs simulations, de précédentsrapports de la FAO et l’OCDE, portant aussi sur dixans, n’avaient pas vu venir les émeutes de la faimprovoquées par la spéculation sur les denrées de base en 2007-2008 face au risque de pénuries.

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en réalisant 1 000 simulationsdifférentes pour des variablesentre autres macroécono-miques, telles que le prix dupétrole, la croissance écono-mique, le taux de change et leschocs de rendements ».En dépit de toutes leurs simu-lations, de précédents rapportsde la FAO et l’OCDE, portantaussi sur dix ans, n’avaient pasvu venir les émeutes de la faimprovoquées par la spéculationsur les denrées de base en 2007-2008 face au risque de pénuries.À la lecture de leur dernier rap-port, il apparaît que les expertsde ces deux organismes n’onttiré aucune leçon de ce qui s’estpassé voilà une bonne dizained’années. Que valent 1000 simu-lations différentes quand onoublie l’essentiel ?Mais il y a plus grave. La publi-cation des « Perspectives 2018-2027 » est intervenue trente mois

après la conférence de Paris surle climat et quelques semainesseulement avant la publicationannuelle du rapport de l’orga-nisation non gouvernementaleGlobal Footprint Network, lequelnous indique que cette annéele monde entier vit à crédit dèsle 1er août, dans la mesure où ila, du début de l’année à cettedate, consommé autant de res-sources que la planète peut enrenouveler sur douze mois. Entenant un raisonnement éco-nomique selon lequel l’offremondiale de denrées alimen-taires doit pouvoir répondre enpermanence à la demande sol-vable via le marché mondialisésoumis à la loi libérale des avan-tages comparatifs, les écono-mistes de l’OCDE et de la FAOmilitent pour une accélérationde la déforestation afin de cultivertoujours plus de terres, ce quiconduit à émettre de plus enplus de gaz à effet de serre pen-dant que les forêts et les prairies

capables de stocker du carbonene cessent de reculer en super-ficie. De fait, les auteurs de cerapport annuel produit parl’OCDE et la FAO sont devenusdes criminels de guerre écono-mique qui s’ignorent.

NON-LABOUR ET AGROFORESTERIE: DES SOLUTIONS D’AVENIR Les meilleurs agronomes du monde sont aujourd’hui d’accord pour considérer quel’agriculture doit développerd’urgence des pratiques agro-nomiques qui préservent etaméliorent la qualité des solsen augmentant la matière orga-nique qui permet de stocker le

carbone et de réduire les apportsd’intrants chimiques. En France,les pluies soutenues, orageusesou pas, de janvier et de la fin duprintemps sur les terres pentueset fraîchement labourées ont,

par ruissellement, fait descendredans les vallées des quantitésconsidérables de terre fertile.Dans notre pays, il suffit d’ailleursd’observer après labour les par-celles en pente pour voir la cou-leur de plus en plus claire de laterre retournée, signe de sonappauvrissement en matièreorganique que les céréaliers ten-tent de compenser par desapports massifs d’engrais azotéspour tenter de maintenir lesrendements. Les monoculturesde rente, comme le blé, le maïset le soja produits pour le marchémondial sur fond de concurrencemortifère, accélèrent la dégra-dation des sols.Pour que les agricultures par-ticipent au freinage du réchauf-fement global tout en assurantla nourriture des peuples, il fautretrouver de la proximité et desbonnes pratiques agronomiquesavec des rotations longues. Le

non-labour, pratiqué depuisplus d’un quart de siècle parcertains de nos paysans, faitpartie des solutions. Cette pra-tique réduit considérablementla perte de matière organique

imputable aux pluies et permetde faire proliférer les vers deterre, dont les galeries, qu’ilscreusent verticalement pourvenir consommer des débrisvégétaux en surface, favorisentla pénétration de l’eau de pluiedans le sol. L’agroforesterie,consistant à planter une cin-quantaine d’arbres par hectare,est reconnue comme une tech-nique d’avenir après des testsréalisés durant un quart de sièclepar l’Institut national de larecherche agronomique (INRA).Les mélanges de graminées etde légumineuses dans les prairesdonnent davantage de fourragestout en réduisant les apportsd’engrais.Les solutions sont nombreuseset supposent souvent de sortirprogressivement de la dépen-dance vis-à-vis de l’agrochimie.Il y a là une voie d’avenir possiblepour la nouvelle réforme de lapolitique agricole communedont l’Europe doit débattre pro-chainement pour une mise enœuvre à partir de 2021. Mais ildemeure également possibleque pas un seul ministre et pasun seul membre de la Com -mission européenne ne soitcapable de porter et de défendreune telle politique. Eux aussisont souvent aussi déconnectésdes réalités du terrain que les« experts » de l’OCDE et de laFAO. n

*GÉRARD LE PUILL est journaliste.

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Les monocultures de rente, comme le blé, le maïs et le soja produits pour le marché mondial sur fondde concurrence, accélèrent la dégradation des sols.

Pour que les agricultures participent au freinage du réchauffement global tout en assurant la nourriture des peuples, il faut retrouver de la proximité et des bonnes pratiquesagronomiques avec des rotations longues.

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PAR AMAR BELLAL*,

l y a des mots d’ordre, desslogans ou des expressionsqui ont au moins le mérite

d’attirer l’attention sur un pro-blème. C’est le cas du « jour dudépassement » de la Terre ; parde savants calculs on arrive àl’estimation qu’aux alentoursdu 1er août (pour cette année)nous avons consommé plus quece que notre planète est capablede régénérer en une année.L’image est forte et percutante1 :on vivrait à crédit à partir decette date. Et elle inquiète aussi,d’autant qu’elle est instrumen-talisée. En effet, le choix du voca-bulaire, qui fait écho aux crisesfinancières et aux dettes d’État,n’est pas un hasard, il appuieun peu plus sur cette hantisequi contribue à imposer danstoute l’Europe des politiques

de régressions sociales terribles,au service en réalité des banquestoutes-puissantes et des intérêtsde crédit exorbitants qu’ellesimposent aux peuples.Mais arrêtons-nous sur le sensde cette « vie à crédit de l’hu-manité » et occupons-nous vrai-ment du sens écologique qu’ily a derrière l’expression : c’estle sujet le plus intéressant au-delà des instrumentalisations.Il y a deux dynamiques qui sontà l’œuvre dans le développementqui a lieu un peu partout sur la planète.

CONSOMMATION ET PRESSION SUR LES RESSOURCESPremière dynamique : uneconsommation de plus en plusforte, et les pressions sur les res-sources naturelles qui s’ensui-vent. La cause étant, et nous

l’oublions souvent car nousvivons en Europe, la sortie dela pauvreté et l’entrée de cen-taines de millions de personnesdans les sociétés de typemoderne, de plus en plusurbaines, avec constructiond’infrastructures et équipements

pour permettre à ces nouveauxentrants de se loger, se nourrir,se déplacer, se soigner…Entendons-nous bien, il y acertes l’accroissement démo-graphique, mais aussi la sortiede la pauvreté de centaines demillions de personnes : la Chine,

dans une moindre mesure l’Inde,et l’Asie du Sud-Est en sont desexemples, une bonne partie del’Afrique aussi, géant démogra-phique de demain. Le rythmeactuel de développement estvraiment inédit dans l’histoirede l’humanité : au xxe siècle,

l’ordre de grandeur tournaitautour de la dizaine de millionsd’habitants, aujourd’hui il fautparler en centaines de millions!Voilà qui est vraiment nouveau.À cela s’ajoute incontestablementune part de surconsommationet de gaspillage inhérents ausystème capitaliste, qui n’attribuepas de façon optimale les moyenset les ressources. Faut-il le rap-peler ? le but du capitalisme cen’est pas la satisfaction desbesoins mais les profits, carac-térisant le temps court incom-patible avec d’autres calendriersplus longs, qui prennent encompte le bien-être de l’huma-nité et des critères plus globauxde développement (IDH etautres), même si ces profits sontréalisés en s’appuyant sur desbesoins réels (agriculture, santé,énergie, etc.), mais plus ou moinssuperflus sur certains aspectset avec des besoins nouveaux,souvent induits et renouvelés

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La cause étant, et nous l’oublions souvent car nous vivons en Europe, la sortie de la pauvreté et l’entrée de centaines de millions de personnesdans les sociétés de type moderne.

Mercredi 1er août 2018 a marqué symboliquement le jour où, d’après les calculsde l’ONG Global Footprint Network, l’humanité aurait consommé, depuis le débutde l’année, toutes les ressources que peut régénérer la Terre en douze mois. Une

remise en perspective est nécessaire qui tienne compte des dynamiques à l’œuvre.

Et si on dépassait le jour du dépassement?

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par la formidable propagandede la société de consommationet sa manifestation la plus visible :la publicité.Donc, pour résumer la premièredynamique : accroissement dela consommation de matièrespremières pour de bonnes rai-sons (sortie de la pauvreté d’unepartie de l’humanité), et aussipour de mauvaises raisons liéesau système actuel (inefficacitédu capitalisme gaspilleur de ressources).

UNE DÉFINITION DE LA LIMITEVARIANT SELON L’ÉPOQUESeconde dynamique, contraireà la précédente : la recherche etles inventions nouvelles quirebattent les cartes régulièrementdans l’histoire de l’humanitésur la définition de la « limite »de la Terre. Oui, les ressourcesde la planète sont limitées, orcette notion de limite dépendde l’époque où on se place etde l’état technologique et scien-tifique à un moment donné. Ily a trois siècles, la limite c’étaitle manque de bois ; et pour uneplanète n’excédant pas 700 mil-

lions d’êtres humains à l’époque,on s’inquiétait déjà du fait quela Terre soit trop peuplée etqu’on allait manquer de cetteressource (incontournable pourl’énergie et tout le reste de l’éco-nomie : la construction, la plu-part des produits manufacturés).Il y a un siècle et demi, c’étaitle charbon, et on s’alarmait ausside voir une planète dépasser le milliard d’habitants…Ces craintes ne sont donc pasnouvelles, et aujourd’hui celafait sourire. On se dit que lespenseurs se sont alarmés inu-tilement et n’ont pas vu venirles progrès qui allaient remplacerces ressources par d’autres (ous’y ajouter), et avec des techno-logies d’exploitation qui n’ont

plus rien à voir, des usages dif-férents, etc. L’agriculture offreun exemple intéressant : la meil-leure connaissance des sols, lamécanisation, l’utilisation d’en-grais ont permis de multiplierles rendements, avec en primeune sécurité alimentaire qui afait pratiquement disparaîtreles famines dans une planètesept fois plus peuplée qu’auXIXe siècle (techniquement, cellesqui perdurent sont dues à desguerres ou à un manque de déve-loppement). Ce qui n’est pascontradictoire avec une fuiteen avant dans l’usage de cestechnologies, perverties et uti-lisées de façon irraisonnée pourproduire toujours plus jusqu’àépuiser les sols (on revient à lapremière dynamique). Mais lestechniques sont bien là pourque l’humanité se dote d’uneagriculture raisonnée, une agri-culture « écologiquement inten-sive », permettant de nourrir de7 à 10 milliards d’êtres humains,comme aime à développerl’agronome Michel Griffon2.Pour résumer cette secondedynamique : la limite de la Terre

en 2018 ne sera pas celle de 2030,ou celle de 2050; elle sera d’unetout autre nature en fonctiondes progrès techniques réalisésentre-temps, des inventions,des découvertes qui nous ferontrepousser cette limite.

QUELLE DYNAMIQUEPRENDRA LE DESSUS?Je pense qu’en l’état actuel, c’estla première dynamique quidevrait prendre le pas sur l’autre.Dit autrement : on est vraimentface à un mur que le rythme duprogrès seul aura du mal à nousfaire franchir. Et cela à cause del’incapacité du capitalisme àintégrer dans un calendrier rai-sonné de développement unplan, une planification, une ges-

tion des ressources optimale enintégrant une logique d’éco -nomie circulaire et des mesuresd’efficacité énergétique notam-ment, qui seraient autre choseque dugreen washing. La causen’est donc pas l’accroissementde la population et la sortie dela pauvreté, complètement légi-time, d’une partie de l’humanité,ce qui est en soi une bonne nou-

velle (même s’il reste 1 milliardde personnes souffrant de lafaim… mais le chiffre reste stabledepuis des années alors que lapopulation mondiale croît).C’est en dépassant ce système,avec les technologies dont nousdisposons déjà, et les travauxde recherche et développementactuels, sans oublier la recherchefondamentale, avec des résultatsimprévisibles qui peuvent rebat-tre complètement les cartes,qu’on pourra résoudre la qua-drature du cercle : accroissementdémographique, développementdes pays du Sud, durabilité dansla consommation des ressourcesnaturelles et respect de l’envi-ronnement (notre cadre de vie).Il y a, on le voit, une conditionnécessaire qui est de dépasserle capitalisme, c’est-à-dire dedétourner sa formidable dyna-mique de création de richesse(Marx le reconnaissait lui-même), sa capacité à s’appuyersur la dynamique de progrèsscientifique et technique, pourles mettre au service d’une trans-formation profonde, qui ailledans le sens de l’intérêt généralet de l’émancipation, ce qui sup-pose une intervention citoyenneet des pouvoirs à tous les niveaux,dans les entreprises, les insti-tutions politiques, les lieux dedécisions financières, etc.Donc, quand on parle du « jourdu dépassement », il faut bienavoir ces deux dynamiques entête, et comprendre que c’est

une question avant tout poli-tique, un rapport de force àconstruire incluant les outilsdes progrès scientifiques et tech-niques. Autrement on risque defaire du Nicolas Hulot (il s’estprécipité sur le sujet en tournantune vidéo) ou, pis, du PierreRhabi, à savoir du constat impré-cis, culpabilisant, qui stériliseles énergies et aspirations, ren-

voyant à l’unique champ de l’ac-tion individuelle ou d’une méta-physique de l’Homme, un peudéplacée compte tenu des sujetsbien concrets et sérieux mettanten jeu les conditions de vie demilliards d’êtres humains. Et ceen omettant complètement laquestion des pouvoirs, des déci-sions politiques, et avec unentonnoir visant à faire passerdeux idées : « le développementça ne peut pas concerner toutela planète » et « il faut qu’unepartie de la population acceptede rester pauvre »… et par là à induire le sentiment diffusque chaque Français, chaqueEuropéen, serait trop riche etconsommerait trop. Les tenantsde la baisse des salaires et del’insécurité sociale ne voientpas cela d’un mauvais œil nonplus. n

* AMAR BELLAL est rédacteur en chef de Progressistes.

1. Ce qui permet, au-delà de la prisede conscience écologique, d’asseoirun peu plus la pression sur lespeuples. C’est tout cela qui expliquequ’elle a autant de succès à gauche,forcément (écologie, etc.), et à droiteaussi, évidemment pas pour lesmêmes raisons. (Un peu d’ailleurscomme le phénomène Pierre Rhabi,qui a séduit un arc politique large de la gauche à la droite, aujourd’huienfin discrédité.)

2. Michel Griffon, « Agriculture d’hier,d’aujourd’hui et de demain » et« L’agriculture au cœur de la questionécologique », in Progressistes no 8,avril-mai-juin 2015.

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La recherche et les inventions nouvelles qui rebattentles cartes régulièrement dans l’histoire de l’humanitésur la définition de la « limite » de la Terre.

C’est en dépassant ce système, avec les technologiesdont nous disposons déjà, et les travaux derecherche et développement actuels qu’on pourrarésoudre la quadrature du cercle.

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pour revenir finalement sur la causalité, mais surtout sur sa miseen œuvre pratique.La seconde partie (« Prévoir sans comprendre ») s’inscrit bien plusque la première dans l’actualité des big data et dans le combatrationaliste contre le discours abusif et fallacieux sur la fin de lascience en tant que telle et son remplacement par le traitementpar ordinateur d’énormes statistiques. L’auteur traite des questionstelles que «corrélation n’est pas causalité», les biais d’échantillonnage,l’échec évident et compréhensible de la traduction automatiqueou encore la différence entre les neurones (au sens biologique)et les circuits informatiques dits « neurones informatiques »,mettant en évidence leurs différences fonctionnelles et le caractèredes possibilités qu’offrent les uns et les autres, dissipant desamalgames injustifiés et absurdes.Un petit livre à lire en se laissant aller à une réflexion personnelle.n

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

Les Références de temps et d’espace. Un panoramaencyclopédique de leur histoire, présentet perspectivesCLAUDE BOUCHER (dir.)

avec le concours de PASCAL WILLISHermann, Paris, 2017, 476 p.

Les références servent à exprimer des coordonnées d’espace etde temps de la façon la plus efficace. L’ouvrage, coordonné parClaude Boucher, président du Bureau des longitudes, et dont lescontributeurs sont les meilleurs spécialistes français en la matière,offre un panorama de ces questions en les abordant sous l’anglehistorique, puis en en décrivant de manière très pédagogique lesconceptions contemporaines, avant d’envisager les perspectivesde leur évolution.La première partie présente ainsi les progrès historiques de la connais-sance de la figure du monde, des mouvements de la Terre et de sonorientation, de la mesure du temps et des premiers cataloguesd’étoiles. La création des premiers observatoires, puis les expéditionsastronomiques et géodésiques ainsi que les progrès des instrumentset des horloges font progressivement apparaître l’aplatissement dela Terre aux pôles ou l’irrégularité de la durée du jour.La deuxième partie aborde la science sur laquelle reposent lesnotions contemporaines sur les références, dont la relativité généraleforme le cadre théorique. Les horloges atomiques permettent desmesures de temps qui en valident les prédictions. Les échelles detemps sont réalisées en comparant plusieurs centaines de telleshorloges. La rotation de la Terre est précisément modélisée etobservée, et permet de lier le repère céleste, attaché aux quasarsdepuis la fin du xxe siècle, au repère terrestre, réalisé au niveau dumillimètre par les techniques de la géodésie spatiale.Les références contribuent à des applications scientifiques dehaute précision, comme les tests de physique fondamentale, lesuivi des sondes spatiales ou celui des satellites artificiels. Parmiceux-ci, les satellites d’altimétrie mesurent la hausse du niveaudes océans liée au changement climatique, tandis que les systèmesde navigation rendent des services quotidiens en fournissant uneposition en tout point de la Terre. n

JONATHAN CHENAL

Le Spectre d’AtacamaALAIN CONNES, DANYE CHÉREAU et JACQUES DIXMIEROdile Jacob, Paris, 221 p.Conseil de lecture? Coup de cœur? Est-ce bienla place ici ? Je veux simplement dire combienj’ai apprécié la lecture du livre.

Roman d’aventure, avec de fortes nuances de roman policier, deroman de science-fiction, et surtout ode vibrante à la science, àla recherche et aux chercheurs, aux mathématiques, à la musiqueà la physique et à l’astrophysique.On voyagera de l’anneau du CERN sous la frontière franco-suissejusqu’au désert d’Atacama et son observatoire de l’Alma, maisaussi, bien plus au sud du Chili, avec un suspens garanti. Tout entraversant quelques espaces de Hilbert, on peut s’interroger surle suspens de l’hypothèse de Riemann.L’accompagnement, chant vibrant à partir de l’œuvre d’OlivierMessiaen, et particulièrement du Quatuor pour la fin du temps,se joue en contrepoint avec une très discrète présence de l’œuvredu mathématicien Alexandre Grothendieck, mais pour nouslecteur, il s’agit du contenu philosophique, voire poétique, profond: les mathématiques aussi sont bien là, comme horizon deschercheurs et de leurs aventures, mais ne « perturbent » pas dutout la lecture, c’est juste une vibration, un spectre qui s’étendsur tout ce captivant roman.Cette lecture m’a incitée à lire le Théâtre quantique, roman desmêmes auteurs publié quatre ans auparavant et que je n’avais pas« osé » aborder à l’époque, mais l’ordre inverse de lecture sesupporte bien dans toutes les combinaisons de reconstructiondu temps. On approfondira presque facilement, et on retrouvera la mêmeverve et le même enthousiasme en écoutant quelques cours,destinés au grand public, d’Alain Connes sur Internet. Chacuntrouve ou pioche à son gré, à son rythme, selon ses capacités,comme dans ce roman étonnant.La musique, l’histoire des sciences, la recherche, tout contribueà rendre ce roman totalement passionnant.n

FRANÇOISE VAROUCHAS

Comprendre sans prévoir, prévoir sanscomprendre HUBERT KRIVINE, Cassini, Paris 2018, 136 p.

Ce nouveau livre fait partie de la série de publications d’HubertKrivine – bien connu du lectorat de Progressistes – traitant avecgrandes simplicité et pertinence des questions touchant à la naturede la connaissance scientifique, mises d’actualité par les avancéesde découvertes récentes, souvent très mal servies par une pressesuperficielle et tapageuse.La première partie (« Comprendre sans prévoir ») porte sur unedescription de la causalité. Le point central consiste à fairecomprendre que la connaissance des mécanismes en jeu dansun phénomène évolutif n’implique pas nécessairement la prévisibilitéindéfinie de son évolution. C’est le fameux chaos déterministe,que Krivine explique à l’aide de l’exemple du « billard de Sinaï »,

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Les sciences et les techniques au féminin

Madeleine Pelletier

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Née Anne Pelletier le 18 mai 1874 à Paris, celle qui prendra le prénom de Madeleine quelques années plus tard quitte l’école à douze ans, justeaprès son certificat d’études, ce qui ne l’empêchera pas d’obtenir son baccalauréat quelques années plus tard, en 1897. Ces années« buissonnières » – en fait des années de formation en autodidacte – sont l’occasion pour elle de se former politiquement au contact des milieuxaussi bien socialistes, anarchistes ou féministes et d’y faire la connaissance de Louise Michel.Malgré des conditions sociales et financières déplorables, elle entreprend des études médicales et devient successivement la première femme àpasser le concours de l’assistance médicale, en 1899, ainsi que la première diplômée en psychiatrie en France, en 1906. Sa pratique de la médecine est intimement liée à ses engagements politiques : elle réprouve ainsi les théories de Paul Pierre Broca concernant les rapports entrela taille du crâne et l’intelligence, cette théorie supposant l’infériorité intellectuelle de la femme; elle prend soin des plus pauvres en devenantmédecin de nuit.Tout au long de sa carrière, elle véhicule ses idées par une importante production écrite : la Femme en lutte pour ses droits (1908), l’Éducationféministe des filles (1914)… Elle prolonge ce travail de plume en écrivant dans le journal la Voix des femmes puis l’Ouvrière dans le cadre de sonengagement au sein du Parti communiste. Accusée d’avoir participé à l’avortement d’une fillette de treize ans violée par son frère, elle estcondamnée, mais en raison de son état de santé – elle était hémiplégique depuis 1937 – elle est enfermée à Sainte-Anne puis à Épinay-sur-Orge,où elle meurt d’un second accident vasculaire cérébral le 29 décembre 1939.

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