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Nelly Kaplan

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  • NELLY KAPLAN FS : Je voulais dabord dire quel point je suis heureux daccueillir Nelly Kaplan parmi nous. Il y a beaucoup de raisons au bonheur que jai de cette rencontre. Dabord et avant tout pour le parcours de Nelly Kaplan comme cinaste, je pense que cest une grande chance de lavoir parmi nous aujourdhui. La deuxime raison est que Nelly Kaplan a dautres activits que la ralisation de films, et notamment ses activits de femme crivain. Il est important de voir quel point il peut y avoir des apports artistiques multiples. Il y a des vases communicants qui peuvent exister entre les diffrentes approches. Votre parcours lui-mme est galement intressant, notamment comment vous tes venue en France et les rencontres que vous avez faites avec les grands crivains surralistes et avec Abel Gance bien sr. Est-ce quon peut parler du cinma comme dun art des rencontres ? On sintressera question des hasards objectifs qui tait au cur de lapproche surraliste et de comment on peut les provoquer. Pour toutes ces raisons nous avons beaucoup de chance de pouvoir dialoguer avec vous aujourdhui. Il existe galement une raison plus personnelle. Puisquon parle de hasard objectif, ma mre, qui travaillait la cinmathque royale de Belgique, me parlait de vous depuis que jtais enfant, de ce que vous tiez, et la premire fois que jai vu un de vos films, jtais dj impressionn par votre aura qui avait marqu ma propre mre lors de votre venue Bruxelles avec Abel Gance, en 1958. On va procder de manire trs classique et commencer par parcourir avec vous vos films et vos crations. Jespre aussi que les tudiants interviendront et poseront des questions afin que ce soit interactif. NK : Cest impratif ! On est l pour jouer au ping-pong. FS : Le dbut de votre histoire cest donc comment vous venez de Buenos Aires Paris. Il y a un ct trs romanesque dans votre vie et notamment dans ce voyage qui vous amne en France. NK : Heureusement quil y avait des bateaux ! FS : Et donc comment, en venant dAmrique du Sud, en parlant peu le franais NK : Pas du tout.

  • FS : Comment est-ce quon arrive en France sans connatre le franais ? Dans quel but et comment les choses se passent -t-elles concrtement ? Je pense notamment un point central qui est la cinmathque puisque je pense que lun de vos objectifs au dpart tait aussi lattrait de la cinphilie et de la cinmathque franaise. NK : Il y a un vers dArthur Rimbaud qui dit : On nest pas srieux quand on a 17 ans. Jen avais 18 et je ntais pas srieuse. Jai eu une enfance pas du tout martyre, une famille intellectuelle trs aimante, mais qui ne me comprenait pas trop. cette poque en Amrique du sud, une jeune fille qui souhaitait tre libre, sortir le soir comme elle voulait, voir qui elle voulait, ctait trs mal vu. Donc jai eu une adolescence pas malheureuse mais conflictuelle et quand jai eu ma majorit, jai dit mes parents : Je pars pour trois mois Paris pour apprendre le franais. Je savais que je ne reviendrais pas. Un peu comme Hernan Cortes, je brlais les navires pour tre sre de ne pas avoir la tentation de revenir parce que je me doutais que a ne serait pas facile. Javais cinquante dollars en poche et une folie totale dans la tte. Jai pris un bateau qui sappelait le Claude Bernard. Jai dbarqu au Havre, je ne connaissais personne et jtais terrorise. Je jouais les matamores mais vraiment je faisais pipi dans ma culotte. Je suis arrive Paris, je ne connaissais personne. Je navais dans ma poche quune lettre dintroduction de la cinmathque argentine vers la cinmathque franaise parce que jtais trs cinphile, donc je connaissais tous les gens de la cinmathque argentine. Je leur ai dit : Je vais Paris, est-ce que vous avez besoin dune correspondante ? Ils mont regard un peu bizarrement mais ils mont donn une lettre. Donc je dbarque au Havre, jarrive Paris. Je laisse mes bagages la gare, ctait la gare Saint-Lazare. Je marche dans Paris, je dcouvre la Seine. Il faisait un froid de loup, ctait en janvier 53. Et puis je marche, je marche, je traverse la Seine, jarrive rue de Seine, et l je trouve un petit htel, qui sappelait lhtel de Seine. Maintenant cest devenu trs chic mais lpoque ctait vraiment un petit bouiboui. Et comme Mimi Pinson, je loue une chambre au 6me tage. Et l je me dis : Quest-ce que je fais maintenant ? Jai encore mes cinquante dollars et jachte une radio. lpoque ce ntait pas les transistors que vous connaissez, ctait des radios lectriques. Je menferme dans cette chambre pendant quinze jours et jcoute la radio en permanence. Jachte un journal. lpoque il sappelait Combat, il nexiste plus maintenant. Jessaye de lire, de comprendre avec un dictionnaire, et je maperois au bout de quinze jours que je baragouine le franais. Alors, pari anodin, je prends un autobus et je pars la cinmathque franaise avec ma lettre dintroduction. lpoque ctait Henri Langlois qui tait le directeur de la cinmathque, il avait une femme trs extravagante qui

  • sappelait Mary Merson. Et je suis accueillie bras ouverts, on ma dit : Vous tes des ntres et je pouvais voir des films comme je voulais. lpoque la cinmathque tait situe avenue de Messine. Et l, je fais vraiment une orgie de cinma. Entre temps jtais compltement fauche, mes cinquante dollars staient vanouis, donc je me suis faite embaucher comme htesse daccueil terre dune socit daviation qui existe toujours qui sappelle Aerolineas Argentinas. Je dois aller deux fois par semaine au Bourget, accueillir les voyageurs qui arrivent dArgentine. Jtais paye des clopinettes mais a me permettait de payer lhtel. Puis au bout de deux mois jen ai marre et je me dis quil me faut un peu plus dargent donc je me fais embaucher Genve comme stnodactylo en espagnol. L, je gagne bien ma vie. Au bout de deux mois jen ai assez aussi, je rentre Paris. Il y avait souvent la cinmathque franaise des ftes, et il y a eu une fois une sorte dhommage Mlis. Jtais trs sauvage lpoque, je commenais parler franais, mais trs sauvage. Quand je suis arrive cette fte, je me suis mise dans un coin. Henri Langlois vient vers moi et me dit : Vous voyez ce monsieur qui est l ? Je vois un monsieur qui me sourit. Ctait un grand monsieur avec des cheveux blancs. Je lui rponds : Oui, daccord, mais qui est-il ? Il me dit : Cest Abel Gance. Je dis : Quoi ? Abel Gance ! La Roue, Napolon, Jaccuse, tous les films que javais vus la cinmathque argentine. Alors il nous prsente et Gance ma dit plus tard quil avait t stupfait de voir comme je lui parlais de ses films mieux que tous les gens qui taient l. Quinze jours plus tard - comme quoi il y a une bonne fe pour les sorcires - je reois un coup de fil de Gance me demandant si je voulais travailler avec lui. Cest comme demander un chat sil aime la crme fraiche, donc je lui ai dit bien sr. lpoque Gance tait compltement oubli. Pendant la guerre, il tait parti en Espagne et au retour ctait vraiment la traverse du dsert. Les gens pensaient : Quest-ce que cest ce monsieur qui prtend encore continuer faire des films ? lpoque il avait soixante-cinq ans, ce qui tait trs mal vu. Mais jai travaill avec lui et on a fait un programme : la polyvision. En 1926 Gance avait invent le grand cran mais avec une variante qui nexistait pas lpoque, cest--dire quil y avait trois crans cte cte projetant trois images diffrentes. On fait un programme avec des bouts de ficelles qui sappelle le Magirama. Il y avait un documentaire, on avait film une fte foraine et on lavait polyvis. Cest curieux parce que cest trs difficile expliquer la polyvision. Pensez la polyphonie. Dans la polyphonie vous avez un son et vous avez des sons qui arrivent de tous les cts. La polyvision cest la mme chose, vous avez un cran central et vous avez gauche et droite dautres crans o il se passe une chose diffrente, parce quon peut tout voir, ce nest pas vrai quon ne voit que face soi. On fait ce programme,

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  • qui passe au Studio 28, une petite salle Paris qui existe toujours. Ctait en dcembre 56, pendant une grve gnrale des transports. Cest pour vous dire que dans la salle, il y avait un chat pel et trois chiens. Le programme existe toujours mais ctait trs peu vu. Donc on abandonne FS : Mais donc la premire fois que vous allez sur un plateau de cinma avec Abel Gance cest? NK : Cest La Tour de Nesle. Ctait en 54, je trouve que cest un trs joli film. Gance tait un tout petit peu dolant, il aimait bien tre un peu martyre et il disait : Cest un film que je fais non pour vivre mais pour ne pas mourir. Je lui disais vous : dabord vous recommencez tourner en France et puis vous gagnez votre vie alors arrtez vos simagres, on le fait. Et donc avec La Tour de Nesle, cest la premire fois que je rentre sur un plateau en France. En Argentine jtais alle sur des plateaux, parce que javais une tante qui tait une grande chanteuse de blues et qui avait pous un scnariste. Donc javais dj regard des tournages mais trs peu. On me laissait entrer, jtais trs jeune. Dans La Tour de Nesle, je joue mme un petit rle dune accorte soubrette qui sauve la vie de Pierre Brasseur. La Tour de Nesle est tir dAlexandre Dumas, mais revu par Gance avec tout le dlire que cela comporte. Cest un film trs drle. Donc je joue un petit rle, et puis je vois comment on fait, comment on tourne. Ctait en 56, on prpare la polyvision FS : Je voudrais mattarder juste un moment l-dessus. Ce qui est intressant face des tudiants en cinma, cest de se demander comment de manire empirique on apprend ce quest le cinma. Dans votre cas, cest en observant Abel Gance travailler ? NK : Oui. Je me souviens, en 59, on tournait Austerlitz, jtais premire assistante et un jour jai eu comme une illumination. un moment donn, Gance se met engueuler un dcorateur qui avait fait une dcouverte stupide, une dcouverte qui navait pas de sens. Et tout dun coup jai compris que le cinma ctait le regard, quil y a une seule place pour la camra, une seule bonne place. Les autres, vous pouvez le faire, a sera approximatif. Et a, a dpend du regard, si vous navez pas le regard, changez de mtier. Vous regardez et vous savez que cest comme ca quil faut tourner et que ce nest pas 75 millimtres de lobjectif ni 50 etc. mais il faut lavoir. Ca ne sexplique pas, a ne sapprend pas, ou vous lavez, ou vous ne lavez pas. Je pense que je lavais, parce qu ce moment-l, devant lengueulade du dcorateur, je me suis dit : Mais il a

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  • raison, cest pas comme a, cest comme a ! Et jai compris que je comprenais. FS : Revenons la polyvision, cest un projet quon peut qualifier dexprimental, cest une exprimentation nouvelle. NK : Gance avait dj fait en 26 une exprimentation nouvelle avec son Napolon. FS : Et cest vous qui lavez stimul pour retourner ? NK : Oui, il me disait : Ah ! Maintenant lpoque Lpoque on sen fout ! On fonce et on voit ce qui arrive. Bon, on est arriv la tte contre le mur. Le film cause de la grve des transports marchait mal. Est-ce quil aurait bien march sans grve des transports ? Je nen sais rien. Surtout il ne faut pas pleurer, il faut toujours foncer. Au Studio 28, ctait un peu conflictuel. La mre du propritaire de la salle a commenc dire partout que le film ne marchait pas parce quil y avait dans le gnrique un nom tranger. Entre temps, jtais devenue trs amie avec Philippe Soupault, qui tait un des grands fondateurs du surralisme. Jai racont Philippe, un peu en riant, ce que disait cette mm. Il est devenu fou. Il est all au Studio 28 et comme il tait quand mme un gentleman, il na pas cass la gueule de la mre du propritaire, car il ne frappait pas les femmes, mais il a cass la gueule du propritaire et naturellement le lendemain, le propritaire a retir le programme de la salle. Voil comment le Magirama a vcu une courte vie ! Mais jai toujours les bobines, donc il existe. FS : Il faudrait absolument ressortir le Magirama, il faudrait trouver une manire de rorganiser une sance NK : Avec les techniques nouvelles, cest possible. Avant, on avait besoin de trois appareils de projection mais actuellement on peut mettre les trois images sur une seule pellicule. Avis aux amateurs, si vous connaissez des mcnes sublunaires qui veulent faire a, je suis tout fait dispose. Nass : Mais il y a des fondations qui soccupent de a. NK : Il y a des fondations. Jen ai parl, mais ctait comme sil pleuvait. Nass : Ca ne les intresse pas du tout ?

  • NK : Non. Vous savez, il y a une maladie infantile qui sappelle le jeunisme. Ce qui fait que quand je suis alle les voir on ma rpondu : Madame, vous tre une grande dame du cinma, laissez la place aux jeunes. Je me suis dit que peut-tre cest mieux quelquun qui nest pas idiot plutt quun jeune qui soit idiot, mme si les jeunes ne sont pas tous idiots non plus. Mais il faut insister, un jour peut-tre... Jai beaucoup essay, puis un moment donn jen ai eu un peu marre, je suis passe autre chose. FS : Parce quon est frustr nous comme spectateur potentiel de pas avoir pu voir NK : Ben jespre bien ! Jespre bien, frustrez-vous ! Essayez, donnez-moi un coup de main. Camille : Cest bizarre que la cinmathque ne veuille pas le diffuser. NK : Ils ont fait une installation une fois quand ils ont pass, il y a dj bien dix ans, le Napolon de Gance. On la pass en triptyque au thtre de la Bastille. Mais a demande une installation, a demande de se fatiguer et quelques fois on na pas envie de se fatiguer. Nass : Abel Gance tait un peu un fou de technique. Apparemment la fin de sa vie, dans les annes 80, il travaillait sur limage virtuelle. NK : Il sintressait limage virtuelle. Il avait un petit appareil, il ma montr une image virtuelle. Effectivement on voyait, comme hier soir jai vu au cinma Alice aux pays des merveilles, on voyait une image qui tait en 3D, mais je ne sais pas ce quest devenu cet appareil. Nass : Il tait novateur sur ce point-l. NK : Il y passait son temps. Ctait pour moi comme une sorte de personnage du 18me sicle perdu au 20me sicle. Il sintressait tout, il inventait tout, il tait trs fru dsotrisme, dalchimie, de techniques nouvelles. Il fallait inventer. Ce qui existait ne lintressait pas. Ce qui lintressait, cest ce quon pouvait crer. FS : Avant de parler de vos propres films, peut-tre un dernier mot sur votre collaboration avec Abel Gance, puisque vous avez t aussi assistante sur Austerlitz. En quoi consistait laccompagnement comme assistante dAbel Gance ? Est-ce que cest diffrent avec un autre

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  • cinaste ? Est-ce que la collaboration se passait aussi sur le plan artistique ? Ctait que lorganisation ? Ctait les deux ? NK : Ctait tout ! a commenait lcriture, on travaillait ensemble au scnario. Il tait exubrant, cest--dire que je minutais le scnario, on arrivait six heures. Je lui disais : Abel, cest pas possible. six heures on ny arrivera pas. Donc on coupait, on trafiquait pour que lhistoire reste plausible. Et quand on arrivait deux heures, on partait lassaut des producteurs. FS : Donc ctait suivre le projet depuis la premire pierre jusqu la construction de la cathdrale, la fin de la construction NK : Cathdrale de lumire comme il disait. FS : Et est-ce quil y avait des moments de dcouragement ? Est-ce quil y avait toujours cette obstination dont vous parliez ? NK : Moi jtais enrage, je lui disais on fonce, on fonce, on fonce. Lui, par moment, il tait dcourag. Mais il avait un syndrome trs mauvais, le syndrome du malheur et a, je vous en prie, ne pensez jamais que les choses sont foutues, que la fatalit sacharne. Parce qu un moment donn, on passe. Il y a toujours une brche, il y a toujours un endroit, une petite ligne Maginot par o on peut passer. FS : Je pense que vous avez parfaitement raison mais la dcharge dAbel Gance, il avait quand mme un statut trs particulier puisque ctait lun des pres fondateurs du cinma franais, reconnu dans toutes les grandes histoires du cinma et en mme temps il avait des difficults trouver des producteurs tout en ayant ce statut de tout grand cinaste. Ceci pouvait provoquer, psychologiquement on le comprend, cette sorte de sentiment de malheur. NK : Non, pourquoi ce sentiment de malheur ? Vous lavez en vous ou vous ne lavez pas et je nai jamais pens quil y avait une maldiction sur moi quand je me casse la figure. Je me dis que srement quelque part jai mal jou, donc jessaye autre chose. FS : Alors vous passez la ralisation en commenant par des courts mtrages documentaires. Il y a plusieurs questions qui se posent. La premire cest quest-ce qui vous amne la ralisation. Aprs, il y a la question du documentaire et la question du regard dont vous parliez. Est-ce que cest avoir le regard sur le sujet quon traite avant tout pour faire

  • un documentaire ? Il y a le rapport au surralisme, parce que certains de vos documentaires sont sur des peintres apprcis des surralistes et puis il y a le fait que vous commencez au moment o est clos deux ans prs la nouvelle vague. Donc comment a sest pass entre cinastes ? Comment les cinastes taient par rapport Abel Gance, par rapport vous quand vous avez commenc faire du cinma ? NK : Je me souviens que Truffaut tait trs enthousiaste propos de Gance. La Nouvelle Vague tait pour Gance, mais je ne pense pas quils considraient quil fallait me donner un coup de main, il fallait que je me dbrouille toute seule. Il y a un vers de Charles Cros qui dit :

    Je suis l'expuls des vieilles pagodes Ayant un peu ri pendant le Mystre; Les anciens ont dit : il fallait se taire Quand nous rcitions, solennels, nos odes.

    Je ne frquentais pas les pagodes. Jai toujours t un lectron libre et a, a ne leur plait pas. Il faut faire partie de secte, et comme jai horreur des sectes, a ne marchait pas trop. Mais je me suis dit : moi la libert et je serai toute seule. FS : Concrtement la libert, comment elle sacquiert ? Le premier film, comment il se fait ? NK : Jadorais Gustave Moreau, que javais dcouvert toute seule. Un jour, je me baladais rue de la Roche Foucault, jtais du ct de la Trinit, jai vu crit muse Gustave Moreau. Ctait bien avant ma rencontre avec les surralistes. Je ne le connaissais pas du tout, je suis rentre et jtais blouie. Vous connaissez le muse ? Il faut aller 14 rue de la Roche Foucault, Paris 9me. Cest un endroit o il a vcu. Ctait un peintre de la fin du 19me, compltement siphonn, vraiment trs fou, adorant tout ce qui tait baroque. Il y a des tableaux de lui magnifiques. Je suis rentre l-bas, ctait Alice au pays des merveilles. Je me suis dit quun jour, quand je ferai des films, je ferai un film sur lui. Je me ltais promise. Et puis un jour, alors que jtais assistante de Gance, en 61, je vais voir des producteurs qui faisaient des films qui se faisaient produire travers les ministres, et je leur dis que je veux faire un film sur Gustave Moreau. Ils ont demand au ministre des affaires trangres sil voulait le produire. Le ministre des affaires trangres, qui fait des films pour le prestige, pour les diffuser dans les ambassades ltranger, a dit oui et je me suis retrouve en train de tourner ce film sur Gustave Moreau. Il y a mme dans ce film la voix dAndr Breton. Cest un film auquel je croyais dur

  • comme fer. Jai pass quinze jours pratiquement enferme au muse pour le tourner mais jy avais pass dj des mois avant pour regarder tous les tableaux. Jai construit un canevas, un scnario, le film fonctionne par thmes, parce quil y a beaucoup de tableaux de Moreau sur Sapho mais il y en a aussi beaucoup sur Hlne de Troyes Il tait assez fru de mythologie, donc jai construit une histoire travers les leitmotivs de ses sujets pour trouver une cohrence. Vous ne pouvez pas tourner sans prparation, il faut raconter une histoire. Le film est trs bien accueilli et est slectionn au festival de Berlin. Par la suite, je fais un film sur un graveur trs tonnant qui sappelle Rodolphe Bresdin. Baudelaire ladorait. Baudelaire disait de lui faute de talent, il a du gnie. Ctait un personnage qui vivait dans la misre la plus totale. Il a inspir Petrus Borel, un crivain un peu symboliste, qui a crit un roman sur lui qui sappelle Chien Caillou. En tout cas, Bresdin mintresse. Je tourne donc un film sur lui et le film est slectionn au festival de Cannes. Puis, je tourne un court mtrage sur Gance, Abel Gance, hier et demain. Et je continue, tout a ctait en 63. En 59, jtais assistante pour Austerlitz et en 63 je tournais le film sur Gance. Ensuite jai fait beaucoup de courts mtrages dart. FS : Dont Le Regard Picasso. NK : Oui. Ma grande spcialit, cest de toujours avoir des problmes avec la censure. Pour arrondir un peu mes fins de mois, je faisais lpoque les actualits Path. Ca nexiste plus. Dans les salles de cinma, avant le film, on passait les actualits. Dans les actualits Path, il y avait une partie culturelle. On ma demand de faire un film sur Andr Masson. Je connaissais Andr Masson par lintermdiaire de Philippe Soupault. Je vais le voir et il me dit : Oui, a on le fait Nelly si a vous arrange, mais regardez mes dessins rotiques, vous navez pas envie de faire un film sur mes dessins rotiques ? Je vois des dessins rotiques vraiment enrags, un obsd sexuel total avec le talent fou dAndr Masson qui tait un magnifique dessinateur. Je fais ce film que jappelle la source la femme aime. Lui est ravi, je suis contente. On le prsente la censure, badaboum, interdiction totale. Je mtais engage moi-mme. Je lavais produit toute seule donc javais mis toutes mes conomies dans ce film. Pour moi, ctait la brzina. l poque il y avait un ministre de la culture qui sappelait Andr Malraux. Je vais voir Malraux, que je connaissais, je lui raconte ce qui marrive, je lui dis : Cest complment absurde, Masson vous lui commandez de faire le plafond de lOdon, et en mme temps, je fais un film sur lui et vos services me linterdisent. Alors un peu embt, il me dit avec sa manire de parler trs trange : coupez tout ce qui dpasse ! Avec les

  • phallus quil y a dans ce film, couper tout ce qui dpasse, ce ntait pas commode ! Je coupe quand mme les plus enrags, je le prsente la censure et on me laisse passer. Le film passe mutil dans les salles, puis les annes passant je le reprsente en entier. Maintenant il est tout public. Donc si un jour vous voulez le voir, vous verrez, vous apprendrez beaucoup de choses sur lanatomie. FS : On arrive donc au Regard Picasso qui va avoir le Lyon dor Venise, et qui est le dernier film documentaire que vous faites avant de passer La Fiance du pirate, qui est dailleurs un film qui va aussi avoir des problmes avec la censure. NK : Oui, il a risqu linterdiction totale. Ensuite ctait interdiction au moins de 18 ans, ensuite moins de 16 ans et maintenant cest tout public. Vous pouvez y aller. FS : Pour La Fiance du pirate, qui date de 69, comment se fait concrtement la production ? Comment est-ce que vous arrivez financer et faire que ce film puisse se concrtiser ? NK : Jai un associ dans la production, Claude Makovski. Cest aussi un cinaste, il a fait un film qui sappelle Il faut vivre dangereusement avec Claude Brasseur et Annie Girardot. Cest un film qui a trs bien march. un moment donn, on discute avec Claude, et je lui dis que jai envie de faire un film dont le leitmotiv serait : comment une sorcire parvint-elle brler les inquisiteurs ? FS : Aujourdhui NK : Oui, aujourdhui, une sorcire de nos jours. Il tait daccord pour produire le film mais nous navions aucune ide do trouver largent. Et l, il y a une anecdote trs curieuse. Le film que jai ralis sur Gustave Moreau tait trs russi et un jour, lors dune projection au muse des arts dcoratifs, un trs vieux monsieur sapproche de moi et me dit : Madame, je ne vous connais pas mais votre film sur Gustave Moreau est un chef duvre. Je possde un Gustave Moreau et je nai pas de descendance. Est-ce que je peux vous loffrir ? Jai rpondu oui videmment ! Il moffre une petite Salom au jardin trs jolie, qui nest pas pour moi le meilleur Moreau mais il y a un peu de Moreau l-dessus. Je suis ravie et je laccroche dans ma chambre. Et puis, je dis Claude Makovski quil faut faire La Fiance du pirate et que si on se casse la figure, je vendrai mon Moreau, on payera nos dettes et tout ira bien. Donc on fait La Fiance du pirate qui heureusement ne se casse pas la figure.

  • Un jour, je trouve mon Moreau un peu poussireux, je le fais nettoyer et je trouve que la signature nest pas du tout Moreau mais Ferdinand Humbert, inconnu au rgiment. Je regarde dans toutes les documentations et je trouve que Ferdinand Humbert est un peintre qui a fait les fresques du Panthon. On peut donc voir ses tableaux au Panthon. Et jai des sueurs froides ! Je me dis que si La Fiance du pirate navait pas march, je naurais pas pu vendre un Gustave Moreau parce que je navais pas de Gustave Moreau ! Mais comme La Fiance du pirate a bien march, tout va bien ! Nass : Quand vous tes alle voir la censure, ils vous ont dit quil fallait que lhrone du film meure la fin NK : Oui, ils mont dit quil fallait quelle meure et quelle soit punie la fin. Parce quen fin de compte, ce film raconte lhistoire dune pute qui sen va libre et riche. Non ! Ce nest pas possible ! Quand je suis alle au ministre de linformation, on ma dit que je navais qu changer la fin et quelle meure la fin. L je vois rouge, je saute au plafond et je dis vous voulez la guerre, vous aurez la guerre et je commence bluffer. Je lui dis que je connais tout Paris, que demain matin il sera Je ne connaissais pas tout Paris ! Et le type a un peu la frousse, il dit bon, bon, interdit au moins de 18 ans. Ca membtait aussi parce que je ne vois pas pourquoi quelquun qui a 17 ans ne peut pas voir La Fiance du Pirate. Mais jtais dj rassure et le film est sorti avec une interdiction au moins de 18 ans. Elle est passe aprs moins de 16 ans et maintenant le film est tout public. FS : Jaimerais quon sattarde sur votre collaboration avec Claude Makovski parce que cest une collaboration qui a commenc NK : Elle a commenc en 64. FS : Et qui va se poursuivre aprs La Fiance du pirate, avec beaucoup dautres films. NK : Avec tous les autres films. Jai mme produit et cocrit le scnario de son film. FS : On a dj fait un cycle de dbats sur le duo ralisateur producteur et jai envie davoir votre transmission sur le duo que vous avez form tous les deux. Comment on se rpartit les tches ? quel point cest important davoir une relation avec un producteur ?

  • NK : Ctait trs important parce quil comprenait ce que je voulais faire, il me laissait une libert totale. Simplement cest lui qui partait trouver les financements, ce qui ntait pas facile tous les jours. Pour La Fiance du pirate, on a sign des traites parce que personne ne voulait produire ce film. Quand on lavait prsent des producteurs, on nous lavait jet la figure en nous disant : Quest ce que cest cette soupe paysanne ?! Je sais quaprs ils se sont mordus les doigts mais jtais trs contente. Vous savez, je trouve que Nmsis est une trs bonne desse. FS : Le film a t un grand succs critique et public. NK : Je pense qu la fois la critique et le bouche--oreille ont russi au film. Le film passait dans quatre salles Paris lpoque dont lune qui sappelait le Marboeuf et qui nexiste plus. Je me souviens quil y avait un caf en face et que jallais trs souvent masseoir dans ce caf et voir les longues queues dattente qui arrivaient jusquaux Champs lyses et ctait vraiment la jouissance totale. FS : Alors la relation avec le producteur elle se fait toutes les tapes du projet depuis le scnario. Est-ce quil suit lcriture du scnario ? NK : Avec Claude, ctait toutes les tapes. Dailleurs pour La Fiance du pirate, jcrivais les scnes et je lui montrais. Souvent a lui plaisait, souvent il me disait que ce ntait pas assez bon, que je ntais pas la hauteur. Jtais folle de rage, je repartais travailler et vers la deuxime ou troisime fois ctait bon. FS : Donc il y avait un vrai change ? NK : Il y avait un vrai change, un change total. Jai fait un film qui sappelait Na qui avait t produit par un producteur qui sappelait Andr Gnovs. Il ma aussi donn carte blanche mais jai eu beaucoup de problmes avec la censure, le film a t interdit au moins de 18 ans. Je ne sais pas si maintenant il est toujours interdit au moins de 18 ans ou pas, je nai pas le contrle de ce film parce que je ne lai pas produit. Moi jaimais bien ce film, vous lavez vu ? FS : Oui, mais le DVD qui existe est amricain. ma connaissance, on peut le commander sur internet mais il ny a pas ddition franaise du DVD. NK : Vous tes sr ? Je crois quil y a un DVD qui nest pas de trs bonne qualit.

  • FS : On vrifiera. La question qui se pose aussi, cest votre relation avec Jean Chapot. On disait avant de venir ici, quil y avait ces trois personnes, vous et ces deux NK : Oui, on nous appelait les trois mousquetaires. FS : Donc comment se rpartissaient les tches entre vous et que faisait Jean Chapot dans vos projets ? NK : Jai connu Jean Chapot la SRF. La SRF cest la Socit des Ralisateurs de Films. Ctait une poque o ctait trs conflictuel entre les ralisateurs et les producteurs. On a beaucoup sympathis. Il avait fait un film qui sappelle La Voleuse avec Piccoli et Romi Schneider et puis un autre film Les Granges brles avec Signoret et Delon. FS : Il avait eu beaucoup de problmes avec Delon. NK : Terrible. Et avec Signoret aussi je crois. FS : Ils avaient voulu prendre le pouvoir sur le film. NK : Delon voulait prendre le pouvoir sur le film et Jean ne sest pas laiss faire donc ctait trs conflictuel. Donc jai rencontr Jean la SRF, on a sympathis. lpoque ctait trs difficile de faire des films, et on sest dit quon allait faire beaucoup de tlfilms mais en simposant une qualit cinma. Et puis on a crit le scnario de Na. FS : Quest-ce que vous appelez une qualit cinma pour un tlfilm ? Cest quoi ? Cest la question du regard justement qui se pose ? NK : Ce nest pas simplement le regard. Ce nest pas seulement la qualit cinma, il faut aussi savoir qu la tlvision, on ne peut pas passer tout le temps des chevaliers dans la plaine qui sont 150 mtres. Il faut bnficier du gros plan ou du plan moyen. Il y a une autre manire dcrire pour la tlvision que pour le cinma, car le cinma, mme sil y a encore des salles stupides qui ont des crans 4/3, cest quand mme le grand cran. Par contre les tranges lucarnes Il faut savoir que pour happer lattention du tlspectateur, il faut quand mme jouer un peu plus sur les gros plans, que le spectateur ne puisse pas se dire tiens jai envie daller prendre un coca, je reviens plus tard. Donc on a crit beaucoup de tlfilms qui ont trs bien march.

    Pedro Mota TavaresRealce

  • FS : Concrtement comment on passe dun projet lautre ? Comment on fait une fois quun film est termin ? Est-ce quil y a parfois une demande du producteur ou dune chane de tlvision ? Est-ce que cest vous systmatiquement qui venez avec un projet dont vous tes lorigine ? NK : Comme les tlfilms avaient trs bien march, on crivait autre chose et on venait le proposer. On a notamment eu une srie qui sappelait la srie des Honorin avec Galabru, qui a eu un succs fou. On a eu 15 millions de tlspectateurs quand dhabitude, on en a que 5 ou 6, ctait un vrai succs. Donc on nous a command une histoire, qui se passait dans la France des annes 30, dans la campagne. Il y avait Galabru et puis des vedettes quon invitait chaque fois. Cest comme a quon a eu une fois Line Renaud. On a eu des comdiens trs connus qui venaient, un peu comme on fait en Amrique dans les sries, ce quon appelle des comdiens guests . On en a fait quatre qui ont trs bien march et puis tout dun coup on a eu envie de changer donc on a fait dautres tlfilms. Comment on fait ? On crit et puis on va le proposer aux chanes et comme les tlfilms avaient bien march, en gnral on nous a dit oui. Jai mme fait un tlfilm qui sappelle Patte de velours pour Antenne 2, qui a trs bien march, qui est pass seulement une fois. Quand je leur ai demand pourquoi, et ils mont dit que sils repassaient des films, il fallait repayer les comdiens cause de certaines conventions collectives. Alors jai rachet le film, Patte de velours, qui maintenant est moi et jessaye de le passer de temps en temps dans des cycles sur mes films. FS : Alors, justement vous parlez des comdiens. Je pense que cest aussi une des spcificits de votre cinma, cest la trs grande qualit dans le choix des comdiens mais aussi, au niveau du scnario limportance des seconds rles. Il y a toujours des seconds rles importants et de trs bons comdiens dans les seconds rles. Est-ce que ds le dpart quand vous crivez vous pensez aux comdiens dont vous rvez ? Ou cest systmatiquement aprs que vous les choisissez ? NK : Non, cest aprs. Vous savez, il ne faut jamais tre esclave, et dire jcris a pour tartempion ou tartempionnette, parce quaprs sil vous dit non, vous tes compltement dsarm. Vous avez crit pour quelquun et puis ce nest pas a. Non, il faut crire et puis plier la ralit votre image, cest--dire trouver quel est le comdien ou la comdienne qui peut correspondre au rle. Nass : Comment avez-vous choisi Bernadette Lafont, cest venu trs tard ?

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  • NK : Non, pas du tout. Jai crit avec Claude Makovski La Fiance du pirate. Et puis jai organis un casting et jai vu chez moi une vingtaine de comdiennes. Parmi elles, il y avait Bernadette, qui lpoque avait t un peu oublie par rapport sa grande poque de tous les films quelle avait faits avant. Et il y a quelque chose dans son regard qui ma plu. Et puis jai senti aussi quelle voulait le faire. Mais jai fait des essais avec elle comme avec les autres comdiennes et puis il y avait quelque chose de plus incandescent dans ses essais elle. Cest comme a que je lai choisie. Nass : Justement dans le film vous insistez beaucoup sur son regard, il y a beaucoup dimages de gros plans sur son regard qui fixe constamment NK : Pas beaucoup mais il y en a 2 ou 3. Nass : Oui mais trois essentiels, le premier o on sent quelle a la rage et on sent la vengeance monter. NK : Voil, jy tenais beaucoup. Je lui ai dit : il faut que vous pensiez tout ce que vous dtestez, je veux le voir sur votre visage. Et a se voit. Nass : Et justement le dernier o elle brle tout. NK : Oui, mais l, quand elle sen va, cest autre chose. Quand elle fait tout brler, cest moins la haine que le travail accompli. Nass : Bien sr mais il y a un parallle avec les autres regards justement. Vous dpeignez un monde, javais limpression de voir un peu Affreux, sales et mchants. FS : Cest postrieur. Nass : Oui, bien sr, cest en 76, mais cest trs dur par rapport aux gens de la campagne. NK : Dans le film, il y a deux personnages qui sauvent lhumanit , qui sauvent lhomo sapiens ou la femme sapiens. Cest Bernadette et le montreur dimages, ce qui nest pas innocent non plus, je voulais montrer que le cinma tait quelque chose de magique. Et le reste, regardez autour de vous, il y a beaucoup daffreux, sales et mchants !

  • Nass : Bien sr, mais les campagnards de lpoque nauraient pas reu le mme film de la mme manire que les gens de la ville. NK : Il y a deux ans, on ma invite dans une ville de province prsenter le film, et pendant la projection, je sentais que la salle se gelait. Vous savez a se sent, vous entrez dans une salle, vous le sentez. Le mme film dun jour lautre, la salle est bonne ou elle est mauvaise et a vous le sentez. Je me suis dit la fin cest la cure. Et la fin, silence de glace, mme pas un applaudissement timide, rien. Et jtais seule en province. Je me suis dit quils allaient me tuer, quon allait me trouver transforme en compote. Et ctait dune hostilit terrifiante ! Je me suis dfendue parce quen gnral, je suis un animal mchant, quand on mattaque, je me dfends. Mais effectivement ctait trs mal reu. Par contre dautres fois, trs bien. Nass : Oui cest la vision que les urbains peuvent avoir, et elle est trs raliste en fin de compte. NK : Ce nest pas trs raliste. Je ne me considre pas trs raliste, parce que ces petits villages o il ny a que ce type dhabitants, ce nest pas raliste mais cest une sorte de condens de ce que je pense que pourrait tre lhumanit Cest pas la campagne, jaurais pu tourner a dans un HLM la ville, a aurait t une autre histoire mais les affreux, sales et mchants pouvaient tre l aussi. Cest quil me fallait concentrer la cupidit, la stupidit. Il fallait que ce soit dans un huis clos. Et partir de l, comment une sorcire brle les inquisiteurs. FS : Ce nest pas que la stupidit et la cupidit, cest aussi le rapport la femme, de la femme et de lhomme. NK : Evidemment. FS : Cest important, jaimerais bien quon en parle aussi de cela, parce que cest un des traits de votre dmarche, pas seulement dans les films, mais dans les livres aussi. NK : On me dit souvent que je suis fministe, mais non. Je ne suis pas misogyne, ce qui nest pas la mme chose. Nass : Justement, votre film sinscrit dans une poque qui allait vers ce quon appelle le courant fministe mais il est lgrement avant et du coup il a t rcupr par les fministes.

  • NK : Oui mais on ne prte quaux riches ! Et mme sil a t rcupr il restera toujours quelque chose sur la sauvagerie primaire. Nass : Oui mais beaucoup lont vu comme un film fministe alors que vous lavez pas crit dans cet tat desprit. NK : Mais cest pas misogyne, cest tout. Alors quand vous ntes pas misogyne, a veut dire que vous tes fministe ? Pourquoi jai fait cette mini-rserve ? Parce que je trouvais souvent chez les fministes pas une misogynie mais une misandrie, cest--dire une haine des hommes, et moi je trouve que cest des gens trs charmants les hommes, je les aime beaucoup. Je nai aucune raison de faire des films fministes contre les hommes. Dailleurs, dans mes films, les femmes ne sont pas trs bien vues non plus. Nass : Mais le mouvement fministe sest empar du film. Beaucoup de gens, si on leur demande un film fministe de cette poque, citeront le vtre alors que vous, vous ne lavez pas crit dans cet tat desprit. NK : Oui mais tant pis, a ne me gne pas. Intissar : Est-ce quil y a eu vraiment un courant fministe dans le cinma en France ? NK : Oui, il y en a un, le MLF. Il y a dix jours jtais invite montrer un film par le MLF, a cest trs bien pass, ctait au Forum des images. FS : Pour revenir la question des acteurs, vous voquiez tout lheure une indication que vous avez donne Bernadette Lafont en disant : Je veux voir dans ton regard tout ce que tu dtestes. Comment a se passe concrtement, est-ce que a change dun acteur lautre, dun film lautre ? Cest quoi la relation quon a comme metteur en scne, cest quoi la direction dacteur ? Cest aussi un thme quon a souvent abord, donc comment on dirige un acteur ? Est-ce que le terme diriger dailleurs est juste ? NK : Oui, je crois. Je crois parce que les comdiens peuvent tre trs intelligents mais un comdien a besoin que vous lui disiez ce que vous voulez de lui. Et si cest lui qui veut faire la mise en scne, cest la guerre. FS : Cest ce qui est arriv Jean Chapot.

  • NK : Cest ce qui est arriv Jean avec Les Granges brles. Le comdien principal voulait faire le film, il voulait tre calife la place du calife. Jean avait une apparence trs douce mais il pouvait avoir un trs sale caractre, enfin il avait du caractre. On dit souvent que les hommes ont du caractre et les femmes du mauvais caractre mais cest la mme chose. Donc a sest trs mal pass. FS : Dire un comdien ce quon attend de lui, cest quoi concrtement ? Cest lui parler du rle de manire gnrale ? NK : Dabord on crit un rle, ensuite on contacte des comdiens. Si un comdien vient en disant : Ah oui, jai bien aim mais je voudrais changer a, a et a , je dis : Merci, je vous rappellerai et joublie son numro de tlphone. Il faut que je sente quun dialogue est possible. Vous comprenez, si on passe six mois crire un scnario ce nest pas pour que quelquun arrive pour dire je veux changer a, a et a. Il faut quil lexplicite. Il peut avoir raison. Il peut me dire : coutez, cette phrase, telle quelle est crite, je ne la sens pas. Je dis : Pourquoi vous ne la sentez pas ? Et sil me dit quelque chose de logique, jessaye de la rcrire dune autre manire. Mais sil me dit : Je ne le sens pas parce que ce nest pas mon caractre , je rponds : Jen ai rien faire, vous allez la dire comme elle est. Je pense quun rle, a se travaille beaucoup, il faut beaucoup parler avec un comdien. Il faut lui expliquer, lui faire dire comment il voit le rle, savoir si on va sentendre ou pas. Il y a dabord un dialogue et cest aprs que le texte devient monologue. Nass : Comment avez-vous travaill avec les hommes dans La Fiance du pirate, comme Julien Guiomar par exemple ? NK : Trs bien. Julien tait parfait. Celui qui ma cass les pieds, ctait Michel Constantin. FS : Pourtant il est trs bien dans le film. NK : Il est parfait, mais coup de cravaches ! Parce quil lit le scnario, il laccepte, il le trouve formidable et bien crit, puis, pendant le tournage, il vient me voir. Jtais avec Bernadette, et il nous dit : Mesdames, tout compte fait, jai rflchi, le rle des femmes est la maison. Jai regard Bernadette et je lui dis : Mais Michel, vous avez sign un contrat, vous avez touch un chque consquent, quest-ce que vous me racontez ? Si a ne vous plait pas, remboursez-moi le chque et partez, vous, la maison. Et puis non, il discutaillait un peu mais a sest bien pass. Enfin a ne sest pas bien pass, mais a sest

  • pass. Il ny a que le rsultat qui compte. Vous savez, je reviens Gance qui est toujours un peu plaintif. Un jour il se fait engueuler par Blaise Cendrars. Blaise Cendrars avait t son assistant dans La Roue et dans le premier Jaccuse de 1919 et jai vu une lettre de Blaise Cendrars qui dit : Abel, on ne demande pas Promthe ltat de son foie mais du feu. Ce qui voulait dire arrte de pleurer et fabrique du feu. FS : Cest une belle formule. NK : Une belle formule oui. Camille : Vous dites que lacteur doit beaucoup travailler son rle mais est-ce que a vous est arriv de prendre un acteur parce quil semblait tre dj le rle quand vous le rencontriez, et que du coup, il ny avait pas forcment un travail NK : Il faut dabord quil me semble possible dtre le rle et par la suite il y a un travail. Parce que vous savez, un film a cote trs cher, chaque seconde cote une fortune, donc il faut sexpliquer avant. Si on commence sexpliquer pendant le tournage, vous allez labattoir. Camille : Quand on cre un film, on raconte une histoire. Est-ce que cest forcment fantasque ? Quelle est la part de rel ? FS : Cest vrai que dans la plupart de vos films, on est dans une sorte de ralisme magique, on ne sait pas si on est dans la ralit. Quand on parlait de La Fiance du pirate par exemple et quun tudiant disait que ctait un univers raliste, vous avez tout de suite rpondu non, ce nest pas raliste, cest un condens. NK : Oui, jaime bien tordre le cou la ralit, mais ce nest pas pour autant que je Jaime beaucoup le fantastique, jadore la science-fiction mais je nai jamais fait de films fantastiques. Jaimerais bien, un jour peut-tre. Mais je trouve que la ralit peut tre hostile donc mme si on ny arrive pas tout le temps, il faut essayer de la contraindre sadapter ce que vous voulez delle. Camille : Je me demandais quel regard vous posez du coup sur la ralit, quel message vous voulez faire passer travers vos films. NK : Vous savez ce que disait Proust Pour les messages, je madresse la poste donc pas de messages. Je veux raconter une histoire, une

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  • histoire qui est entre dans ma tte folle et dont je me dis quun jour peut-tre a vous amusera de la voir, cest tout ! Camille : Parce que paradoxalement vous venez un petit peu du ralisme. Abel Gance quand il fait Napolon cest un film historique mais NK : Oui, jadmirais Gance dans son ct visionnaire mais je nadhrais pas toujours sa vision lgrement christique du monde. Moi les sacrifices Moi je ne tends pas mon autre joue, je donne un coup de pied au cul. Nass : Dans La Fiance du pirate, vous multipliez les rfrences. Dabord avec la maison Tellier qui fait rfrence une nouvelle de Maupassant qui parlait de prostitution galement puis avec des rfrences LAnge bleu, Belle de jour de Buuel et La Comtesse aux pieds nus. NK : LAnge bleu je le mets ? Nass : En fait sur la camionnette il y a laffiche de LAnge bleu. NK : Ah bon ? Ce nest pas La Comtesse aux pieds nus et Belle de jour ? Nass : On voit La Comtesse aux pieds nus la premire fois quelle vient diffuser le film. Vous lavez sciemment mis dans le film. NK : Je lai mis sciemment dans le film dans la mesure o cest un peu elle la Comtesse aux pieds nus. Et la fin elle part pieds nus. Nass : Elle jette ses chaussures et elle part triomphante. NK : Il y a La Comtesse aux pieds nus. Mais il y a aussi un autre film de Marlne o elle jetait aussi ses chaussures, mais ce nest pas LAnge bleu. Nass : Cest possible mais en tout cas dans LAnge bleu y a aussi le rapport avec la dchirure car cest un homme qui perd toute crdibilit, du moins tout honneur, avec cette femme, Marlne Dietrich, en tombant sous son charme. NK : Oui, a cest le ct un peu misogyne de LAnge bleu. Nass : Donc vous multipliez les rfrences. Vous parlez mme de La Fiance du pirate dans La Fiance du pirate.

  • NK : Oui, le film passe la maison Tellier tel jour. Nass : Je me demandais juste si a avait dj t fait par dautres gens lpoque. NK : Je pense que tout a dj t fait depuis quarante sicles mais FS : Mais cela dit, quil y ait des rfrences dans le film, cest une vidence mais le film fonctionne aussi au-del des rfrences. On na pas besoin de connatre les rfrences en question pour NK : Non, mais vous savez, dans mes crits aussi jaime bien faire des citations comme a, cest un coucou au passage mais Celui qui le comprend et qui le voit le voit et les autres voient le film comme le film. FS : Alors jaimerais bien arriver un point qui peut tre plus douloureux, si vous en tes daccord. NK : Ae. FS : Cest que votre dernier film remonte 1991 si mes sources sont bonnes. NK : Plaisir damour, oui. FS : Voil. Vous nous disiez peut-tre un film fantastique un jour, je sais que vous avez un autre projet de film, et on serait tous souhaiter que vous fassiez un nouveau film. Donc la question qui se pose, cest pourquoi aucun film depuis 91 ? NK : Parce que jai essay, je nai pas trouv de financement. Je nai pas trouv. FS : Est-ce que vous sentez une volution du ct de la production, de la distribution entre La Fiance du pirate et aujourdhui dans le rle des producteurs, des chanes de tlvisions qui font que cest plus difficile ? Comment vous expliquez cela ? NK : Je lexplique que chaque fois que je proposais un film on ma dit non. FS : Donc vous avez plusieurs scnarios que vous avez crit que vous navez pas pu raliser ?

  • NK : Oui. De lun deux jai fait un roman. Puisque je ne peux pas le tourner, jai crit un roman. Il sappelle Cuisses de grenouille et il a trs bien march comme roman. Et le scnario est toujours l, un jour FS : Je pense que cette approche littraire est trs importante puisque vous avez beaucoup crit de livres, de nouvelles. Et est paru aussi il y a peu de temps une correspondance que vous avez eue avec Abel Gance, qui a t perdue en partie puisque cest uniquement les lettres de Gance qui subsistent. NK : Oui, mes lettres ont disparu. Qui les a dchires ? Moi je pense que cest du ct de la famille de Gance mais je ne sais pas. Javais aussi beaucoup de lettre avec Philippe Soupault. Jai les siennes et les miennes sont perdues. Comme quoi il y a encore des inquisiteurs ! Je regrette parce que a maurait amus de me relire 20, 30, 40 ans aprs. FS : On parlait des diteurs et des producteurs en venant ici. Et vous disiez, jespre ne pas vous trahir, quil y avait une grande inculture chez beaucoup de producteurs. NK : Oui, il y a beaucoup dinculture. Et puis il arrive des choses incroyables. Vous travaillez six mois au scnario, vingt fois sur le mtier vous mettez votre plume. Et puis vous arrivez chez un mec qui vous dit : Ecoutez, jai pas le temps de lire votre scnario, donnez moi le pitch. L, je vois rouge. Et la dernire fois, il y a un an et quelques, jai vu tellement rouge que je lui ai dit : Oui, cest lhistoire dun jeune homme qui souponne son oncle davoir tu son pre pour pouser sa mre et qui dcide de se venger et il ma dit : Mais votre histoire est compltement stupide ! Jai dit : Oui, cest le pitch de Hamlet. Il na pas aim. Je nai pas fait le film mais jtais trs contente. FS : Vous parliez de la SRF aussi tout lheure, je sais que vous tes aussi lie la SACD. NK : Oui, jai t longtemps administratrice. Maintenant jadministre le contrle du budget, je suis toujours la SACD. La SACD cest la Socit des Auteurs et Compositeurs Dramatiques. FS : Est-ce que cest important pour vous de participer ce milieu associatif ? NK : Oui.

  • FS : Et pour quelles raisons ? NK : Cest trs important. Cest trs important de connatre les problmes de vos camarades parce quils sont souvent les vtres, mais aussi dautres. Pour moi, cest une manire de se ressourcer, cest mon seul apport la ralit. De vouloir comprendre ce qui arrive. Je lis beaucoup les journaux, je regarde la tl, les nouvelles... Il faut savoir dans quel monde trange on se trouve et essayer de nager contre courant. De ne pas se laisser noyer. Nous maintiendrons. FS : Et quand vous voyez les dbats actuels, puisque vous continuez assister ces dbats, est-ce quil y a des points importants aujourdhui pour le cinma qui NK : Un des points importants cest que si vous navez pas une tl vous ne pouvez pas faire un film, que la tl a des dcideurs, quils lisent votre scnario et quils ne laiment pas ncessairement. Donc partir de l, il peut y avoir un barrage. Il faut avec ce projet aller voir une autre chane. un moment donn on passe. Je vous dis, il faut sobstiner, on passe. Camille : Comment se fait-il que vous nayez plus de soutien aujourdhui avec les films, les rencontres le prestige, laura que vous avez ? Ca parat quand mme tonnant quon ne vous fasse pas confiance. NK : Mais a na rien voir. Vous savez, vous faites un film et cest comme si vous navez rien fait quand vous allez prsenter lautre. Sauf si vous faites quatre millions de spectateurs sur Paris, bon a cest sr que vous navez pas de problmes. Mais si vous avez des films qui ont gentiment march, sans plus, cest comme si vous navez rien fait. Nass : Comme vous connaissiez bien Breton, vous pourriez nous parler de la vision quavaient les surralistes sur le cinma et sur le cinma lpoque o vous avez sorti La Fiance du pirate ? NK : lpoque o javais sorti La Fiance du pirate, Breton tait mort. Philippe Soupault avait beaucoup aim. Il est sorti de la projection en disant : Nelly, vous tes compltement folle ! Mais ctait un compliment pour lui. Nass : Mais quand Breton tait encore vivant, quelle tait leur vision sur le cinma ?

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  • NK : Ils aimaient le cinma. Breton aimait le cinma un peu surraliste, par exemple Peter Ibbetson. Peter Ibbetson est un film dHathaway qui raconte lhistoire de deux amants qui sont spars et qui ne peuvent se rejoindre quen rve. Alors vous pensez quil avait tout ce quil fallait pour plaire Breton ! FS : Est-ce quil aimait La Nuit fantastique par exemple de lHerbier? Cest un peu le mme principe que Peter Ibbetson. NK : Oui, cest le mme principe mais il ne ma jamais parl de La Nuit fantastique. Jai prsent Breton Gance, ils se sont bien estims. FS : Ils ne se connaissaient pas avant ? Cest vous qui avez permis la rencontre ? NK : Oui. Breton a crit un trs beau texte sur le Magirama. FS : Est-ce que vous pensez quon peut faire un parallle entre la notion de hasard objectif des surralistes, donc le fait que la rencontre puisse avoir lieu, et le cinma justement, qui est aussi un art des rencontres ? NK : Que grce au hasard objectif ils se rencontrent et que grce a quelque chose arrive, cest certain. Vous savez, peut-tre que si je navais pas eu lobstination financire de Makovski pour La Fiance du Pirate, je ny serais pas arrive. On a fini par avoir une avance sur recette qui tait de 40 000 francs lpoque, soit 400 000 francs anciens. Mais cest tout ce quon avait. Le reste ctaient des traites, des traites, des traites. Il ma pousse signer ces traites. Heureusement javais mon Gustave Moreau mais FS : Un vrai-faux Gustave Moreau. Jaimerais quon poursuive cette rencontre en voyant davantage vos films. Je sais quil y a un coffret DVD qui existe. NK : Oui, qui est sold sur Internet. Il est sorti il y a deux-trois ans et maintenant il est sold. Il y a presque tous mes films sauf Na, parce que comme je ne lavais pas produit, je nai pas pu linclure. Mais il y a La Fiance du pirate, Papa les ptits bateaux, Charles et Lucie, Plaisir damour et les deux documentaires que jai faits sur Gance : Abel Gance, hier et demain et Abel Gance et son Napolon. Il y a aussi le film de Claude, Il faut vire dangereusement.

  • FS : Comment est-ce que Gance avait ragi au premier documentaire que vous avez fait sur lui ? NK : Trs bien, a lui avait beaucoup plu. Nass : Et vous avez prsent vos films en Argentine ? NK : Non, mais je ny suis jamais retourne. Enfin si, je suis retourne en Argentine une fois en 59 au festival de Mar Del Plata. Mar Del Plata est une station balnaire au sud de Buenos Aires. Jtais alle l-bas pour prsenter le Magirama, la polyvision avec Gance. Et puis, je suis rentre Buenos aires, jai revu mes parents et je ntais pas laise, je ne me sentais pas bien, jtais devenue un peu parano. Je me disais quil allait y avoir un coup dtat militaire et que je ne pourrais plus repartir. Au bout de dix jours jai repris lavion. Vous savez, je suis partie parce que jtais un peu le mouton noir, alors revenir moins quon me nomme prsidente de la rpublique ou quelque chose comme a, je ne vois pas pourquoi jirai ! Nass : Par rapport votre cinma, comment a-t-il t accueilli en Argentine ? NK : lpoque ctait un colonel qui dirigeait la censure en Argentine et il a interdit La Fiance du Pirate. Son excuse tait que lhrone faisait lamour avec un bouc. Je cherche encore le moment o il y a lintroduction du bouc chez Bernadette, je nai pas trouv. Mais cest peut-tre une image que jai oublie de couper, je nen sais rien. Nass : Cest vrai que Bernadette a de laffection pour le bouc. NK : Dailleurs jai eu beaucoup de problmes avec ce comdien, avec le bouc, parce quil ne voulait pas aller o je voulais quil aille. Il tait trs capricieux. Et jai trouv une solution. Vous savez ce que jai fait ? Il fallait quil marche dans une direction donne, il ne voulait pas. Alors mon assistante tait dsespre, je lui ai dit : Apportez-moi une chvre ! On a mis la chvre l o je voulais et le bouc est all chercher la chvre. Nass : Vous pouvez nous raconter sil est vrai que Don Siegel sest inspir du titre anglais de La Fiance du pirate pour le titre de son film Dirty Harry ?

  • NK : Cest vrai. Jai une lettre de Don Siegel me disant quil a bien vu La Fiance du pirate. Le film sappelait en anglais Dirty Mary, Marie la sale, et cest a qui lui a donn lide de faire Dirty Harry. Jai la lettre. Et jai rencontr Don Siegel aprs, on est devenu trs ami. Ctait un type dlicieux, fou comme un lapin. FS : Peut-tre quon peut aussi revenir sur la question de la cinmathque et de la cinphilie. Parce ctait aussi un lieu de rencontre pour les surralistes. NK : Ils allaient beaucoup au cinma. FS : Est-ce que cest important, avant mme de faire des films, dtre cinphile ? NK : Oui, cest important. Chez moi ctait une passion. Je me souviens, quand javais 5-6 ans, je tranais mes parents voir des films dans les salles. Il y avait Buenos Aires une salle qui sappelait la Lorraine qui ne passait que des films franais. Dans cette salle, jtais trs jeune et jai vu un film qui mavait empche de dormir la nuit. Ctait le Jaccuse dAbel Gance de 38. Voil le hasard objectif et la destine, cest ce film l que jai polyvis dans le Magirama quinze ou vingt ans plus tard. Voil vous savez presque tout. FS : En tout cas on en sait assez pour avoir envie den savoir plus. Nass : Je voulais vous poser une dernire question, est-ce que vous vous voyez comme une muse pour Gance ? NK : Jai horreur du mot muse. Non, vous savez, ctait toujours une collaboration dune galit totale. Lui, il pouvait dire muse parce quil tait un peu perdu dans son 19me sicle mais non, ctait une galit totale. On parlait dgal gal, on crivait dgal gal. Il y avait un respect mutuel absolu. Nass : Je voulais dire par l que vous lui avez permis de retrouver un peu son statut de cinaste. NK : Oui, mais quand vous voyez quelquun au fond dun puits, et que vous voyez que vous avez suffisamment de force, vous lui donnez la main et puis vous le remontez. a vous donne une tendinite, mais vous le remontez. Mais je ntais pas une muse. Je lui redonnais lenvie de se battre, de se dire malgr mes pleurs je ne suis pas fini, je vais encore faire

  • des choses. Et cest comme a quon a fait le Magirama, Austerlitz et Cyrano et dArtagnan. Puis, je suis partie vers de nouvelles aventures et il ntait pas content. FS : Cest ce quon voit dans les correspondances dailleurs. NK : Oui, il ntait pas content. Javais envie de faire mes films moi. FS : On voit un trs grand respect dans les correspondances aussi. NK : Oui. Ctait une magnifique rencontre. Trs importante dans ma vie et peut-tre un peu dans la sienne. Camille : Je voudrais revenir sur votre difficult refaire des films. Est-ce que par hasard il ny a pas des gens qui ont eu envie en relisant des romans dadapter ou de raliser des scnarios que vous avez crits ? On ne vous a jamais propos a ? NK : Hlas, ce nest jamais arriv. Mais jaimerais bien ! FS : Un grand merci en tout cas dtre venu parmi nous aujourdhui. NK : Comme on dit dans les dessins anims, Thats all folks !