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DOSSIER N°50 DÉC. 2016 ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES Regard d’un grand témoin, Yannick Moreau

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D O S S I E R

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N°50DÉC.2016

ÉGALITÉ FEMMES-HOMMES

Regardd’un grand témoin,

Yannick Moreau

Revue bi-annuelle publiée par l’École Nationale Supérieure de Sécurité Sociale

27 rue des Docteurs CharcotCS 13132

42031 Saint-Étienne Cedex 2Tél : +33(0)4 77 81 15 15

www.en3s.fr

Directeur de la publication : Dominique Libault

Directeur général de l’EN3S

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

Comitéde rédaction

Président

Dominique LIBAULT Directeur de l’EN3S Vice-PrésidentduHautConseildufinancementdelaprotectionsociale

Membres (par ordre alphabétique)

Pierre ALBERTINI Directeur de la CPAM de Paris

Gilles ARZEL Directeur de la CPAM de Pau

Jean-Marc AUBERT Directeur Conseil et Services, IMS HEALTH

Jean-François CHADELAT Inspecteurgénéraldesaffairessociales,Directeurhonorairedufonds definancementCMU

Alain CHAILLAND ConseillerréférendaireàlaCourdescomptes

Julien DAMON ProfesseurassociéàSciences-Po,Conseillerscientifiquedel’EN3S

Marion DELSOL DirectricedulaboratoireIODE(UMRCNRS6262)

Benjamin FERRAS Inspecteurgénéraldesaffairessociales,IGAS

Philippe GEORGES Inspecteurgénéraldesaffairessocialeshonoraire

Jean-Louis HAURIE Directeur de la CAF de Paris

Gilles HUTEAU Professeur en Protection sociale à l’École des Hautes Études de Santé Publique(EHESP)

Albert LAUTMAN-VIDAL DirecteurdelaCARSATNord-Est

Gautier MAIGNE ChefdudépartementSociété,institutionsetpolitiquessociales, Francestratégie

Jérôme MINONZIO RédacteurenchefdelarevueInformationssociales,CNAF

Dominique POLTON Directricedelastratégie,desétudesetdesstatistiques,CNAMTS

Xavier PRÉTOT Conseiller à la Cour de cassation, ancien Professeur associé à l’UniversitéPanthéon-Assas(ParisII)

Vincent RAVOUX Directeur du réseau des CAF, CNAF

Philippe RENARD Directeurdel’URSSAFd’Ile-de-France

Diane ROMAN Professeurededroitpublicàl’universitéFrançoisRabelais(Tours)

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N°48 • octobre 2015

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Les opinions exprimées et les arguments employés dans les articles sont de la responsabilité des auteurs et ne représentent pas nécessairement ceux de leur employeur ou de l’EN3S, éditrice de la revue.

Sommaire

Édito Par Dominique LIBAULT, Directeur de l’EN3S

Grand témoin Yannick MOREAU, Présidente du comité de suivi des retraitesPar Dominique LIBAULT, Directeur de l’EN3Set Julien DAMON, Conseiller scientifique de l’EN3S

DOSSIER CENTRAL : EGALITÉ FEMMES-HOMMES

PARTIE A :ÉGALITÉDEGENREET PROTECTIONSOCIALE

Care et protection sociale Par Diane ROMAN, Professeure de droit public à l’université François Rabelais

Égalité femmes-hommes en matière de santé et de recours aux soins Par Dominique POLTON, Conseillère auprès du directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés

Les opinions des femmes et des hommes sur les politiques de protection sociale : des écarts qui dépendent de l’âge et de la catégorie professionnelle Par Adrien PAPUCHON, Responsable du baromètre d’opinion de la DREES, direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques

N°50DÉCEMBRE 2016

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L’intervention du Défenseur des droits en matière de protection sociale des femmes Par Vanessa LECONTE, Chef du pôle Protection sociale et solidarité du Défenseur des droits

L’égalité femmes-hommes dans les régimes de protection sociale complémentaire Par Vincent ROULET, Maître de conférences à l’université de Tours et avocat au sein du cabinet BRL Avocats

PARTIE B :FAMILLEETÉGALITÉFEMMES-HOMMES

La politique familiale et l’égalité femmes-hommes : les ambiguïtés du « libre choix » en matière de conciliation vie familiale et vie professionnelle Par Sandrine DAUPHIN, Responsable du département de l’animation de la recherche à la CNAF

Égalité entre les femmes et les hommes : le cas des aidants familiaux Par Floriane MAISONNASSE, Maître de conférences en droit privé à l’université Paul Valéry - Montpellier 3

Protection sociale et activité professionnelle des femmes en Allemagne : analyse des récentes mesures visant à promouvoir l’égalité entre les sexes Par Jeanne FAGNANI, CNRS, IRESet Brigitte LESTRADE, université de Cergy-Pontoise

PARTIE C :RETRAITEETÉGALITÉFEMMES-HOMMES

Retraite : une égalité femmes-hommes à mi-parcours ? Par Vincent POUBELLE, ancien directeur de la Direction Statistiques, Prospective et Recherche à la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse

Avantages familiaux de retraite : quelle(s) égalité(s) pour la retraite entre les femmes et les hommes Par Laure CAMAJI, maîtresse de conférence à l’IUT de Sceaux (université Paris-Sud)

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PARTIE D :ÉGALITÉPROFESSIONNELLEETPROTECTIONSOCIALE

Égalité femmes / hommes à la Sécurité sociale Par Carole BONVALOT, Directrice du développement et de l’accompagnement des ressources humaines à l’UCANSS

L’égalité femmes-hommes vue de l’École des dirigeants de la Sécurité sociale Par Christophe BEAUDOUIN, Directeur adjoint de l’EN3S

L’égalité femmes-hommes dans les métiers de dirigeants du régime général de la Sécurité sociale Par Emmanuelle LAFOUX, Directrice de la CPAM du Rhône

L’indispensable sensibilisation des acteurs aux mécanismes psychosociaux qui construisent les inégalités hommes/femmes Par Brigitte LALOUPE, pilote de projets à l’EN3S

BIBLIOGRAPHIE ET NOTES DE LECTUREBibliographie

Note de lecture : Par Julien DAMON, professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’EN3SLa spirale du déclassement de Louis CHAUVEL

Note de lecture : Par Julien DAMON, professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’EN3SLa grande évasion de Angus DEATON

Note de lecture : Par Julien DAMON, professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’EN3SThe Economics of Poverty. History, Measurement, and Policy de Martin RAVALLION

Note de lecture : Par Gilles HUTEAU, professeur en protection sociale à l’École des Hautes Études de Santé Publique (EHESP)Quelle(s) protection(s) sociale(s) demain ? Michel Borgetto, Anne-Sophie Ginon, Frédéric Guiomard (sous la direction de)

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ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

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ÉditoPar Dominique LIBAULT,Directeur de l’EN3S

Si le sujet égalité femmes-hommes est heureusement devenu un objet d’attention etd’investigationcontinudansledébatpublic,iln’estpassisouventquecelaabordésousl’angledelaprotectionsociale.

Etpourtant,parmileseffetsinduitsdudéveloppementdelaprotectionsociale,ilyadetouteévidencedesimpactsimportantssurcettequestiondel’égalitéfemmes/hommes,directementouindirectement.

La protection contre « l’incertitude du lendemain », pour reprendre l’expression de PierreLaroque, par le biais deprestationspermettant aux femmesde subvenir - plusoumoins -à leurs besoins et à ceux de leurs enfants, indépendamment du salaire du conjoint, a étéincontestablementunélémentcentraldel’émancipationdesfemmes.

Pensonsauxpensionsderetraitededroitdirect,auxprotectionsdelabranchefamilledestinéesauxfamillesmonoparentalesparexemple.

L’indifférencedudroitdesprotectionsfamilialesaustatutconjugalatrèsvraisemblablementétéunélémenttrèsfavorableàladiffusiondesmodèlesconjugauxnouveaux,quieux-mêmesontaccompagnél’émergenced’un«modèlefrançais»deconciliationvieprofessionnelleetviefamiliale,quicontinueàêtreobservéparbeaucoupdepaysétrangersenviantlaFrancedepermettreauxfemmestoutàlafoisdetravailleretd’avoirdesenfants.

Pourautant,toutcecinevapassansdébats:j’enciteraitrois,sansprétentiond’exhaustivité:Commentet jusqu’où laprotectionsocialedoitréparer les inégalitéspersistantesau

seindumondedutravail?Quel équilibre au sein des prestations familiales entre les prestations d’entretien

(allocations familiales)et lesmesuresd’accompagnementdes jeunesenfants (PAJE)etauseindecelles-cientrelesmesuressolvabilisantlesservicesdegarded’enfantetcelles « indemnisant » les femmes interrompant leur parcours professionnel pendantquelquesannées...aurisqued’êtreendifficultélorsduretoursurlemarchédel’emploi?

Faut-ilabandonnertotalementlemodèledesdroitsfamiliauxouconjugauxpourpasseràunsystèmedeprotectionsocialeentièrementfondésurdesdroitsindividuels,desappréciationsderevenus(pourlesprestations)individuelles?

Lesavantagesfamiliauxréservésauxfemmes,telsqu’ilsavaientétécréésparlaloiBoulin,ontétécensurésparlaCourdeCassation,sousl’inspirationdesjuridictionseuropéennes,alorsmêmequ’ilsjouaientetcontinuentàjouerunrôlecentraldanslalimitationdesinégalitésde

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retraite -flagrantes,maisentièrementduesaux inégalitésdesalaireetdecarrière-entrehommesetfemmes.

LaPUMAamarquéuneétapeimportanteavecl’abandondelanotiond’ayantdroitmajeur.Maislesdroitsdérivésgardentuneimportanceforteenretraite.

Enfin,onnesauraitabordercesquestionsde relationsentre laprotectionsocialeetl’égalitéentresexessansévoquerlaquestiondecetteégalitédanslescarrièresauseindumondedelasécuritésociale.Silaprotectionsocialeaconnudenombreuxministresfemmes,deSimoneVeilàMarisolTouraine,lenombrededirigeantsduservicepubliclui-mêmerestetrèsmajoritairementmasculin, en dépit de certains progrès récents à confirmer, situation quiinterpelletoutparticulièrementl’EN3S,l’UCANSSetleComitédescarrières.

YannickMOREAU

M.LIBAULTCesontlesliensentre,d’unepart,l’égalitéentreles femmeset les hommeset, d’autre part, laprotection sociale, qui constituent le thèmedu prochain numéro de Regards. Dans cetteperspective,ilnousasemblépertinentdevousdemanderàquelmomentdevotrecarrièrevousavez été confrontée à la question de l’égalitéentre les femmes et les hommes et quelleplace ce sujet a occupé dans votre activitéprofessionnelle.

MmeMOREAUPresque toutes les questions sociales fontapparaître l’importancedelavariablesexuelle,desdifférencesetdesinégalitésentrehommesetfemmes.

Jen’aidonccesséderencontrercettequestion,même si elle m’a occupée dans unemoindremesure dans mon activité au Conseil d’État.Cependant, lorsque ce sujet se présente à lajuridictionadministrative,ilpeutconduireàjugerdesquestionsfortimportantesenpratique.

Aumilieudesannées1970,alorsquej’étaisauConseild’État,j’aiétérapporteurd’ungroupedetravailprésidéparGérardCALOT,directeurdel’INED,chargéderemettreunrapportàl’Élyséesur la baisse de la fécondité en France. C’est du resteainsi que jemesuis familiariséeavec ladémographie,quinepeutignorerlesdifférencesentrelesfemmesetleshommesdanslafamille,lavieprofessionnelle,l’espérancedevie.

C’est au Commissariat général du plan quej’ai exercé une première activité extérieureau Conseil d’État. Je m’y suis occupée desquestions d’action sociale et de vieillissement.J’ai notamment été chargée de missionresponsabledugroupe«Prospectivepersonnesâgées », qui a produit en 1980 le rapport«Vieillirdemain».Touteslesétudesconsultéesmontraient que la situation des femmes et

Grand témoin

YannickMOREAU

Ancienne élève d’HECJF, de l’ENA et docteur en droit, Yannick Moreau a débuté sa carrière au Conseil d’État où elle a été présidente de la section sociale de 2006 à 2011. Elle a occupé des fonctions variées au service de l’État : d’abord chargée de mission au Commissariat général du Plan en 1975, elle est ensuite conseillère technique au secrétariat général de l’Élysée en 1981 puis directrice de cabinet du ministre de l’Éducation nationale en 1984 et secrétaire générale du ministère de la Défense en 1989. En 1992, elle devient directrice générale adjointe de la SNCF en charge des ressources humaines. Elle a été présidente du COR de 2000 à 2005.En 2013, elle a présidé la Commission pour l’avenir des retraites chargée de remettre un rapport au Premier ministre pour préparer la réforme de 2014. Depuis 2014, elle préside le comité de suivi des retraites.

Par Dominique LIBAULT, Directeur de l’EN3Set Julien DAMON, Conseiller scientifique de l’EN3S

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Regard d’un grand témoin

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N°49 • juin 2016

des hommes au moment de la retraite différait compte-tenudes déroulements de carrière différents, mais aussi en raisondesplacesdifférentesdans l’éducationdesenfants,desécartsd’espérancedevieetd’unrapportaveclaretraitequiétaitsansdoutemoinsambivalentpourlesfemmes.

M.LIBAULTJ’ai l’impression que la question de l’égalité entre les femmeset les hommes était moins prégnante au début de votre vieprofessionnellequ’aujourd’hui.

MmeMOREAUJ’appartiensàunegénérationintermédiaire.Ilétaitdéjàquestiond’égalité professionnelle mais c’est d’abord l’évolution desrôlesfamiliauxquiétaitendébat.Lesdeuxsujetsn’étaientpasséparableset,danslesillagedeSimonedeBEAUVOIR,lasociétés’interrogeaitsurcequ’estunefemme.Ilyavaitalorsundébatassezvifsurlesrôlesrespectifsdesfemmesetdeshommes.Lestermesdecedébatétaientdifférentsdecequ’ilssontaujourd’huimaisnombredefemmesontencoreunevieprofessionnelletrèsdifférentedecelledeshommesetbiendesinégalitésdemeurent.

Bref, les questions sociales auxquelles j’ai été confrontée onttoujoursététraverséesparl’interrogationsurlesdifférencesentreles femmes et les hommes et sur leurs conséquences à longterme.Lasociétéportaitd’ailleurs les tracesde ladépendancematérielle des femmes : iI suffit à cet égard de penser aux «vieilles femmes pauvres » dont Bertrand FRAGONARD parlaitsouvent en disant que personne ne s’intéressait à elles et quiétaientbeaucoupplusnombreusesquedenosjours.Beaucoupd’aspectsdelasituationétaientdoncparfaitementconnusmaisnous pensions que l’égalité professionnelle était en marche.Noussavionsbienqu’ilyauraitdesrésistancesetqu’autourdela question de l’éducation des enfants, les choses ne seraientpassimples.Maisnousn’avionspasanticipélaforcedecertainsstéréotypes, la complexité de la situation qui conduit à ce quel’égalitédediplômesoitloindetoutrésoudreetquel’évolutiondessituationsfamilialessefasse,enpratique,souventaudétrimentdesfemmes.

M.LIBAULTEnFrance, les femmesde ces générations ont pensé qu’ellespouvaient parvenir à l’égalité professionnelle sans renoncer àleurviefamiliale,cequin’estpaslecasdanslespaysvoisins.EnAllemagne,ilétaitévidentquelesfemmesdevaientchoisir.

Grand témoin

Yannick MOREAU

Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

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ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

MmeMOREAULe débat sur ce choix a existé en France, notammentsurleplandémographique.Notrepays a été très soucieux, en raison de sonhistoire, de maintenir une fécondité assezhaute et s’est longuement interrogé surles moyens de lutter contre la baisse de lanatalité.

Dans les années 70, parvenir au début desannées 2000 à une fécondité de deux enfants par femme, cequi correspondà la situationactuelle,étaitplutôtunehypothèseconsidéréecommeoptimiste.

Certains démographes pensaient qu’il étaitpossible d’atteindre ce résultat sans queles femmes aient à interrompre leur vieprofessionnelle. Ils estimaient même qu’ilétait préférable qu’elles puissent travaillerparcequ’ellesaccepteraientalorsd’avoirdesenfants. En revanche, ils affirmaient que, silesfemmesdevaientchoisirentreviefamilialeetvieprofessionnelle,ellesopteraientpourlaseconde solution et réduiraient leur nombred’enfants. Ce point de vue optimiste, quirelevaitd’uncertainpari,s’estrévéléexactetlapolitiquefamilialea,engénéral,cherchéàfavoriserlaconciliationdelaviefamilialeetdelavieprofessionnelle.C’estdurestedanslespaysoù l’on favorise cette conciliationentrelaviefamilialeetlavieprofessionnellequelanatalitéestlaplusélevée.

M.LIBAULTPensez-vous que la protection sociale ajoué un rôle important pour faire progresserl’égalité entre les femmes et les hommes ?Quels instruments vous semblent avoir étéessentielsàcetégard?

MmeMOREAULa politique familiale française, construitenotamment sur l’affirmation selon laquelleil est possible de concilier la vie familiale etlavieprofessionnelle,a jouéunrôlemajeur.

Je pense notamment auxaidesaccordéespourlagardedesenfantsetaurôledel’écolematernelle.

Il ne fautpasoubliernonplusquenotrepolitique familiale est indifférente au statutdes enfants : elle ne tient pas compte, parexemple,dufaitquelesenfantssontnésd’uncouplemariéounon.Cetteacceptationn’adurestepassoulevélemoindredébat,peut-êtreparceque lesnaissanceshorsmariageont,longtemps, étéminoritaires. En tout état decause,ilestacceptéparlasociétéenFranced’avoirdesenfantsavantd’êtremariésetdecontinuer à travailler en ayant des enfants.Ceci n’est le cas ni en Italie (par exemple)ni enAllemagne, où il convient d’être établiprofessionnellement avant de disposer d’unlogement puis de se marier, puis d’avoirdes enfants. Et en Allemagne, il n’est pasacceptéquelesmèresd’enfantdemoinsd’uncertain âge (3, 4, 6 ans…) continuent uneactivité professionnelle Tous ces obstaclesconstituent un frein à la natalité. L’âge desmères à la naissance du premier enfant areculé progressivement en France mais leretardaété,jusqu’ici,rattrapé.

Ilne faudraitpasconclureà l’inexistencedetoutdébatdansnotrepayssurlaconceptiondesprestations familiales. Il existe, eneffet,un courant qui défend la présence desmères de famille à la maison, comme entémoignel’existencedel’allocationparentaled’éducation (APE). Les tenants de cette idée considèrent qu’il vaut mieux encourager lesfemmesàresteràlamaisonplutôtquedelesinciter à occuper des emplois sous-qualifiésetmal rémunéréset quec’est, enoutre, unmoyendeluttercontrelechômage.

M.LIBAULTCedébatn’estpasclos.Cependant,cesontlesmesuresvisantà favoriser laconciliationdelaviefamilialeetlavieprofessionnellequisesontdéveloppéesrécemment.

Regard d’un grand témoin

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MmeMOREAUOui. On peut d’ailleurs remarquer que les discussions sur lapolitique familialesontà la foisdesdiscussionsdespécialistesetdessujetspolitiquementdélicats.Pendantlongtemps,cecin’apasétégênantmaiscen’estpluslecasdésormais.Jepenseenparticulierà lamodulationdesallocationsfamilialesenfonctiondes revenus, décidée récemment pour réaliser des économiessur lesprestationsfamiliales.Cettesolutionacertes l’avantaged’être facile à expliquer mais elle n’est, à mon avis, pas lameilleure.Jeconsidèrequ’ilauraitétéplusheureuxd’opterpourunmontantuniquequelquesoitlerevenuavecunefiscalisationquiauraitpermisdegarderuncaractèreuniverselàunepartiedesallocationsfamiliales.

Globalement,jecroislapolitiquefamilialeabeaucoupcontribuéàl’égalitéentrelesfemmesetleshommes.

M.LIBAULTPassons maintenant à la retraite. Vous avez participé à lapréparationde la réformede1983,qui a fait passer l’âgede laretraitede65à60ans.

A posteriori,ilmesemblequelaréformeaplutôtbénéficiédansunpremiertempsauxhommes.

MmeMOREAUCetteréformeesttrèsmarquéesurleplanhistorique.Enpremierlieu, l’abaissement de l’âge de la retraite constituait une trèsanciennerevendicationdelagaucheetiln’étaitguèrepossibledes’yopposer,voiredeproposerdesinflexionscommel’afaitBernardBRUNHESquiestimaitsouhaitablesdesmodulationsenfonctiondeladuréedecotisationetnonunsimpleabaissementdel’âge.L’abaissementdel’âgedelaretraiteaétéessentiellementmotivéparl’inégalitédel’espérancedevieselonlaprofessionexercée.La retraite à 60 ans s’est en pratique, par ailleurs, substituéeauxdispositionssurlapénibilitéquiconcernaientdescatégoriesasseznombreusesdesalariésetsurlagarantiederessourcesà75%,quibénéficiaitàdenombreuxsalariéschômeursâgésdeplusde60ans,trèscoûteusepourlacollectivité.Ensecondlieu,lorsquel’abaissementà60ansdel’âgedelaretraiteaétédécidé,personnen’étaitconscientdel’ampleurdesgainsd’espérancedeviequenousallionsconnaîtreetlesprojectionsdémographiquesétaientfondéessurl’hypothèsed’unestabilitédecetteespérancede vie.

Pour les décideurs politiques, comme pour l’opposition, laquestion des femmes a été secondaire dans cette réforme.

Grand témoin

Yannick MOREAU

Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

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ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

Je suis d’accord avec Dominique Libaultpour dire que les femmes ont été moinsbien traitées que les hommes du fait del’introduction d’une condition de durée de cotisation de 37,5 annuités pour avoir letaux plein, durée facilement atteinte par laplupartdeshommesmaispasparbeaucoupde femmes. Cette exigence de durée decotisationaétéintroduitepourlimiter lecoûtdelaréforme,maiselleestpasséeinaperçue.Demême, la réformede 2010, qui a relevéprogressivement de 60 à 62 ans l’âge légaldedépartà la retraite, cequi touche tout lemonde,aportéde65à67ansl’âgeàpartirduquelnes’appliqueplusdedécote lorsqueladuréedecotisationn’estpasatteinte,cequitouchesurtoutdesfemmesetlesapénalisées.Etcelan’aétépresquepasremarqué.Legainfinancierdecettemesuren’estd’ailleurspaspublié,demêmequel’analysedescatégoriesdepersonnestouchées.

M. DAMONComment expliquer l’absence de réactionsalors que, en matière de politique familiale,tout changement de barème, aussi minimesoit-il,faitl’objetdeprotestations?

MmeMOREAUParce que le lobby familial est faible enmatière de retraites. Lesmilieux attachés àlapolitiquefamilialedéfendentpluslafamilleque les femmes. Les problèmes relatifs àl’égalitéentrelesfemmesetleshommessontlargement encore sous-estimés s’agissantdes retraites. Un petit indice le prouve : lacomposition du Conseil d’orientation desretraites(COR).LorsqueleCORaétécréé,personne ne s’est inquiété du nombre defemmes qui y siégeaient. C’est lorsque j’aiétabli le rapport sur l’avenir des retraites en2013 qu’une association fémininistem’a faitremarquerleurtrèsfaibleprésence.Depuislacompositionaévoluédanslebonsens.

Deux raisons principales expliquent laréflexion insuffisante sur les questions de

prise en compte de lap rob lémat ique femmes/hommespourlesretraites.

Lapremièreest laplus longueduréedeviedesfemmes,quiparaît,enquelquesorte, compenser les inégalités de revenuspendantlaretraite.Maisceraisonnementestcontestableetonpeutd’ailleurssedemandersi cette durée de vie plus longue est unavantage.Eneffet,siriennevaut lavie, lesfemmes sont confrontées au risque de malvieillir (puisque les écarts d’espérance devieenbonnesantéentre leshommeset lesfemmes sont beaucoup plus faibles que lesécartsd’espérancedevie)toutendisposantde faibles revenus.

Lasecondeexplicationdel’insuffisantepriseen compte de la problématique femmes/hommespourlesretraitesrésidedanslefaitquetoutcequialieupendantlacarrièreadesconséquencessurlaretraite30ou40ansplustard.Ilestenpratiquedifficilevoireimpossiblede compenser par des mesures relevantde la législation sur les retraites toutes lesdifférences de carrière entre les femmes etleshommes.Lespensionsderéversion,quijouent plus pour les femmes que pour leshommes, constituent l’un des mécanismesd’égalisation le plus important, mais leursuppressionàtermen’estpasexclue.

La compensation des inégalités entre lesfemmes et les hommes au moment dela retraite est compliquée si les parcoursprofessionnels sont trop dissemblables. Denombreusesmesuresontcependantdéjàétéprises :outre lapensionde réversion, il yal’assurance vieillesse des parents au foyer(AVPF)etlamajorationdesdroitsautitredelamaternité. M.LIBAULTAgir sur les conditions de travail prenddu temps et ne résout pas la totalité duproblème.Parailleurs,lesavantagessexués

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ontétécondamnésparlesjuridictionseuropéennespuisparlesjuridictionsnationalesaunomprécisémentduprinciped’égalité.Lespouvoirspublicsontdoncimaginédessolutionspourlemoinsétranges.Commentanalysez-vouscettedifficulté?

MmeMOREAUIl faut faire un peu d’histoire comparée. En matière d’égalitépolitique et de parité, la France a longtemps été en retard parrapport à d’autres pays européens, en particulier par rapportauxpays scandinaves. Imaginez-vousque lesFrançaisesn’ontobtenuledroitdevotedansnotrepaysqu’en1945!

Malgré des évolutions, notre pays reste mal placé en ce quiconcernelaparticipationdesfemmesàlaviepolitique.

Par ailleurs, la France a longtemps privilégié la protection desfemmesalorsquel’Europedonnaitlaprioritéàlaprogressiondel’égalitédetraitement.C’estseulementàlasuitededécisionsdesjuridictionseuropéennesquelaFranceaintégrél’idéequel’égalitéentrelesfemmesetleshommesdevaits’appliquerdanslesdeuxsensetqu’iln’étaitpasdel’intérêtdesfemmesquepersistentdesinégalitésdeprotectionsocialeauxdépensdeshommes,saufsicelaétaitliéàl’éducationdesenfants.Ainsi,parexemple,certainsrégimes de retraite n’accordaient pas les mêmes droits auxfemmesetauxhommespourlespensionsderéversion.Depuisl’arrêtGRIESMARrenduparlaCourdejusticedescommunautéseuropéennes,lespensionsderéversionont,danslerégimedelafonctionpublique,cesséd’êtreréservéesauxfemmes.

C’estdoncsous lacontraintedu jugeeuropéenque lesnormesfrançaisesontévolué.Maislejugeeuropéenestallétroploin,àmonavis,eninterdisantquecertainsavantagesliésàl’éducationdes enfants (les majorations familiales) soient réservés auxfemmes.Ceciestcontestablecarlesfemmesrestentengénéraldésavantagéesdans leur déroulement de carrière par le tempsplusgrandqu’ellesconsacrentà l’éducationdesenfantsetquelesinconvénientsquienrésultentdoiventêtrecorrigés.Dureste,l’avocatedujugeGRIESMARétaitelle-mêmegênéedecontribueràsupprimerdesmesuresfavorablesauxfemmesquiétaienttoutàfaitjustifiées.

C’est pour cette raison que la France a adopté un systèmebaroquemaisastucieuxdepossibilitépour lecouplededécideravantque l’enfantaitatteint l’âgede7ansque lebénéficedesmajorationsserapartagéentre lesdeuxparents.Maisàdéfaut,cebénéficerevientàlafemmeet,enpratique,c’estlafemmequicontinueàenbénéficier.

Grand témoin

Yannick MOREAU

Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

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ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

Dans le contexte nouveau, la France s’est caractérisée - et continue à se caractériser - parsonretarddanslaréflexionsurlapriseencomptedel’évolutiondelasituationconcrètedes femmesetdeshommes,notammentaumomentdelaretraite.Lastricteapplicationdudroit européen risque, en effet, d’engendrerpourlesfemmesdesinconvénientsmêmesicesdernierssontplusoumoinscompensésparl’améliorationdesparcoursprofessionnels.

M.LIBAULTS’agissant de la retraite, si la connaissancea indubitablement progressé, ne pensez-vous pas que les études d’impact desréformes pourraient être améliorées ? Lesconséquences par genre ne pourraient-ellespasêtreidentifiéesdemanièresystématiqueparexemple?

MmeMOREAUDe nombreux progrès restent, en effet, àaccomplir en matière d’études d’impact :celles-ci sont parfois insuffisantes dans leurqualitéouleursincérité.Celaestparfoisdûàunmanquededonnéesdisponiblesmaispasenmatière de retraites.En ce qui concernela réformede2010,parexemple, l’impactàmoyentermesur lechômagedurelèvementprogressif(àraisondequatremoisparan)del’âgelégaldedépartà laretraitede60à62ansn’apasétéanalysédansl’étuded’impact.Demême,leseffetspourleshommesetpourles femmes desmesures prises enmatièrede retraite sont, en effet, peu analysées etjetrouvelasuggestiondeDominiqueLibaulttrèsintéressante.

M.LIBAULTPassonsàl’assurancemaladie.Laprotectionuniverselle (PUMA), mise en place le 1er

janvier 2016, a supprimé le statut d’ayantdroit pour les personnes âgées d’au moins18 ans. Le droit à l’assurance maladie, quiétait traditionnellement familial, a ainsi ététransforméendroit individuel.Cette réformevousparaît-elleimportantedanslaperspective

de l ’égal i té ent re les femmesetleshommes?Defaçon générale, que pensez-vous de l’individualisation des droits enmatièredeprotectionsociale?

MmeMOREAUUntelchangementmesembleaprioripositifmais j’éprouve quelques difficultés à cernercette question sur laquelle je manque derecul.

M.LIBAULTIls’agitavanttoutd’unequestiondeprincipe,aveclatransformationd’undroitdérivéenundroit direct.

MmeMOREAUIndépendammentdelaquestiondeprincipe,quiasonimportance,ilestimportantdesavoirsilaréformefacilitelasituationdesassurés.

M.LIBAULTOui, car il existait encore des ruptures dedroit,notammentenraisondeschangementsderégimeetce,malgrélaloisurlacouverturemaladieuniversellequiprohibaitexplicitementcesruptures.

MmeMOREAUC’est donc, de ce point de vue, une bonnechose.

S’agissantde la retraite, il importede traiterlerapprochementdesdroitsfamiliauxetdespensionsderéversion. Ilnes’agitpasd’uneprioritépolitiquepour leshommespolitiquesmais il existe actuellement des inégalitésincompréhensibles entre les régimes quirésultentdesévolutionssuccessivesetquinereposentpasni surun fondement théoriquenisurunattachementparticulierdesassurésaux règles de leur régime. Ceci brouille lacompréhension du système des retraites etcréeunsentimentd’injustice.

Au-delà, c’est sur l’existence même de la

Regard d’un grand témoin

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pensionderéversionqu’ilfauts’interrogerdèslorsquebeaucoupde jeunes ne se marient pas et n’auront pas de pension deréversion en premier lieu. Si la pension de réversion estmaintenue,cequidans l’étatactueldema réflexionseraitunebonnechose,quelmodèleunifiéconserver?

M.LIBAULTSelon vous, l’imbrication des droits personnels et des droitsfamiliauxenmatièrederetraite,quisemanifesteparlapensionde réversion et qui se complique du fait de la diversité desrégimes,constituedoncunequestionprioritaire.

MmeMOREAUIl convient de traiter cette questionmême si elle paraît moinsimportante que celle de l’équilibre financier des régimes deretraiteoudesinégalitésentrelesrégimesderetraite.Ilconvientde la traiter car lesFrançaisdoiventavoirdes régimesdont lefonctionnement est compréhensible et dont la diversité, si elleest maintenue, obéit à une certaine logique. Les différencesentredroitsfamiliauxselonlesrégimessontd’ailleursparmilesplusmalcomprises.Certes,beaucoupaété faitenmatièrederetraite, en particulier des réformes difficiles à assumer sur leplanpolitique,maiscettequestiondoitmaintenantêtreparmilesquestionsprioritaires.

M. DAMONEtl’emploi?

MmeMOREAUJesouhaitetoutd’abordparlerdel’éducationquiauneimportancemajeure car la France n’est pas en avance sur ce point. Or,l’école doit faire en sorte que les filles soient conscientes quetous lesmétiers leur sont ouverts. C’est la condition sine quanon pour que les femmes aient l’opportunité d’effectuer descarrières intéressantes. Cette question est fondamentale. Ilestmalheureusement apparu après l’épisode dumariage pourtousqu’ilétaitimpossibledelafaireévoluerdansl’immédiat,laquestiondesstéréotypesàl’écoledevenantquasimenttabou.

M.LIBAULTLaquestionn’estpassimple:mêmedanslespaysscandinaves,larépartitiondesmétiersesttrèssexuée.

MmeMOREAUIl importequelesfemmespuissentchoisiretquel’éventaildespossibilitéssoitaussilargequepossible.

Grand témoin

Yannick MOREAU

Interview réalisée par Dominique LIBAULTet Julien DAMON

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Il me semble par ailleurs que les jeunesgénérationssous-estimentcertainsproblèmes,et que les femmes se « sacrifient » encorebeaucoup.

On pourrait réfléchir comme l’ont fait lesnotairesdanslecadredeleurcongrèsannuelen2014 , à ceque le contrat peut apporterpour régler des problèmes qui apparaissentà la jonction de la vie familiale et de la vieprofessionnelle.Ilmesemblequelesjeunescouples pourraient être plus éclairés sur lefait que, même à leur génération, l’égalitén’estpasautomatiqueetqu’ilspourraientêtreintéresséspardesdispositionscontractuellesintégréesàceteffetaucontratdemariageoudePACSouexistantmêmesanscesupport.Cen’estquel’unedesvoiespossibles,maisje crois que les conditionsnécessairespourobtenir l’égalité entre les femmes et leshommes sont sous-estimées par les jeunesgénérations et, plus généralement, par lasociété.

M. DAMONEn pratique, à quelles dispositions contrac-tuellessongez-vous?

MmeMOREAUJe pense en particulier à des dispositionsrelatives aux droits sur le capital qui estconstitué par le couple, lorsqu’il s’agitde professions libérales artisanales oucommerciales ou à des droits à retraite :lorsque ces professions sont exercées encollaborationfamiliale,lesfemmesrestentmalprotégéesdupointdevueducapital etdesdroits à retraite. Ces dispositions pourraientêtreintégréesdanslecontratdemariageouêtrerassembléesdansuncontratspécifique.Celaestd’autantplusnécessairequel’actuelstatut du conjoint collaborateur n’assure qu’uneprotectionsocialefaible.Or,lenombrede femmes d’artisans, de commerçants, dechefsd’entreprise,etc.,quisontconcernées,estimportant.

Plus généralement quelleque soit la catégorie socio-professionnelle, lorsque le couple n’est pas marié et qu’il ya un partage inégal de l’éducationdes enfants, il pourrait y avoir partagede certains droits à pension. En effet,lorsque la femme ne reprend pas d’activitéprofessionnelle ou reprend une activitéréduite, ou travaille seulement à tempspartiel,sesdroitspropressont limitésetsonavenir financier est assombri s’il n’y a pasde pension de réversion. L’augmentationdu nombre des séparations et des nonmariages est inquiétante sur ce que seral’avenirpourcertaines femmesd’autantplusque celles-ci continuent à avoir de moinsbonsdéroulementsdecarrièreetàfaireplusd’effortsqueleshommespourlafamillesansquecesdernierssoienttoujourscomplètementcompensés.Certes,lerégimegénéralprévoitencoredesmajorationsdeduréed’assurancegénéreuses mais il n’en va pas ainsi dansle régime des fonctionnaires et rien necompense les inégalités de déroulement decarrières’iln’yapasdepensionderéversion.

La question des droits familiaux doit doncêtreexaminéedefaçonprioritaire. Il importedeprendreconsciencede la faiblessede laréflexionsurl’avenirdesjeunesgénérations.Ilmesembleenparticulierquelesconséquencesdes évolutions familiales (diminution desmariages et augmentation des séparationsdes couples) sur lesdroitsà la retraite sontun réel sujet de société actuellement sous-estiméparlesresponsablespolitiquesetparles jeunes.

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1Dossier central :

ÉGALITÉ FEMMES/HOMMES

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ÉGALITÉDEGENRE ETPROTECTIONSOCIALE

A

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Careetprotectionsociale

Par Diane ROMAN, professeure de droit public à l’université François Rabelais (Tours)

Diane Roman est docteure en droit et agrégée de droit public. Professeure à l’Université François-Rabelais (Tours), elle a été nommée à l’Institut Universitaire de France en 2011. Ses recherches portent sur le droit sanitaire et social, avec un angle privilégiant les droits fondamentaux et l’égalité de genre.

Le concept de care est encore assez peu présent dans les débats politiques français et,lorsqu’ilapparaît,ilsuscitesouventl’incompréhension:entémoignentlesréactionsconfusesetméfiantesauprojetlancéen2010parMartineAUBRYpourune«sociétédubien-être»1. Unedesraisonsdecetteréticencevientpeut-êtredeladifficultéàtraduireletermeanglaisdecare,quisignifieaussibien«veillersur»,«porterattentionà»et«prendresoinde».Aussibienprestationmatérielle («aide»)etattentionmorale («sollicitude»), lanotiondecareestcomplexeetaété l’objetdenombreux travauxuniversitairesauseindessciencessociales.Elleestparticulièrementprésentedanslesécritsseréclamantdel’analyseféministe,dontelleest largement issue2,quivisentà repenser les théoriesducontratsocial3 et de la justice sociale4.Danscetteperspectivelarge,lecareestdéfinicommel’ensembledesactivitésgénériques effectuées pourmaintenir, perpétuer et réparer lemonde, « de sorte que nouspuissionsyvivreaussibienquepossible5».

S’attachant àmettre en lumière les liens d’interdépendance humaine en se fondant sur lacommune vulnérabilité de l’humanité6 et la nécessité de protection permettant d’assurerl’autonomiedespersonnes,lecadrethéoriqueducaremetenavantuneéthiquederesponsabilitéet de souci des autres7.C’esttoucherdudoigtlarichesseconceptuelledelanotionetl’intérêtdesonutilisationdanslechampdelaprotectionsociale,fondéesurlesnotionsdesolidaritéetdejusticesociales.Ilfautpourtantconcéderquelanotionn’estaucunementutiliséeendroitfrançaisdelaprotectionsociale,toutentierfondésurcellesderisqueetdebesoin8. Pourtant, malgréceconstat,lesthéoriesducareconstituentunoutild’analyseintéressant,développéicisousdeuxangles:d’unepart,lafaçondontlaprotectionsocialeproduitducare(«Lecare parlaprotectionsociale»)etd’autrepart,lafaçondontlaprotectionsocialeprendenchargele care(«Lecaredanslaprotectionsociale»).

1V.surlaquestion,v.J.-M.Chahsiche,«Del’éthiqueducareàlasociétédusoin:lapolitisationducareauPartisocialiste»,Raisons politiques 4/2014,n°56,p.87-104.

2 C.Gilligan,Une voix différente, pour une éthique du care,FlammarionChampsessais,réed.2008.3 C.Pateman,Le contrat sexuel,LaDécouverte,coll.«Textesàl’appui»,2010.4 N. Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale : reconnaissance et redistribution,LaDécouverte,coll.«Poche»,2011;M.Nussbaum,

Capabilités, comment créer les conditions d’un monde plus juste ?,Flammarion,2011.5 J.Tronto, Un monde vulnérable, Pour une politique du care,LaDécouverte,2009.6 M.Fineman,The Autonomy Myth, A Theory Of Dependency, The New Press, 2005.7 P.Molinier,S.LaugieretP.Paperman,Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité,Payot,2009.8 J.Tronto,Le risque ou le care,Paris,PUF,2012,p.33-34.

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I. Le careparlaprotectionsocialeParodiantM. Jourdain, on serait tenté de s’exclamer que, sans le savoir, il y alongtempsquelasécuritésocialefaitducare à la fois un de ses objectifs (I.1) et un de ses outils (I.2).

I.1/ L’objectif de la protection sociale et le care « La protection sociale constitue […] un phénomène caractérisé par l’apparitionpuis le développement […] d’institutions visant à assurer à des individuset desgroupesfamiliauxunesécuritématériellegrâceàl’accèsàdesbiensetservicesconsidérés commevitaux»9.Plusparticulièrement, l’article L. 111-1du codedela sécurité sociale énumère un certain nombre de risques et de charges contrelesquels la sécurité socialeentendprotéger lespersonnes (maladie,parentalité,vieillesse, accidents du travail et maladie professionnelles). Parallèlement, lecodedel’actionsocialedétailledifférentesmesuresetprestationsensoutienauxfamilles, aux personnes dépendantes ou handicapées ou tournées vers l’actioncontrel’exclusionsociale.Enfin,pourdesraisonshistoriques,laprotectioncontrelerisquedepertederevenuprofessionnelestdéfinieparuncadrejuridiqueséparé,celuidel’assurancechômage.

Ilesttentant,faceàlacomplexitéetlasingularitédesrèglesprévalantdanscesdifférentschamps,devoirdansledroitdelaprotectionsocialeunmagmaderèglessans logiqued’ensemble, hormis celle générale de solidarité sociale10. Pourtant, derrièrel’apparentehétérogénéitédesrègles,unelectureunifiéepeutêtretentée,à partir de certains écrits liant care et justice sociale. Ce sont notamment lesécritsdeMarthaNUSSBAUMquioffrentune tellepossibilité,dans leureffortdedéveloppementd’uneanthropologiefondéesurladignitédelaviehumaine.Silaviehumaineestcaractériséeparsadépendanceetsavulnérabilité,lareconnaissancedesadignitéimpliquedeprotégersonautonomie.

Reprenant le concept de capabilités, forgé par Amartya SEN, M. NUSSBAUMsoulignequel’autonomienepeutêtreassuréequeparl’égalitédes«capabilitésde base».Lenéologismedecapabilitésdésigneainsilespossibilitésquis’offrentàl’individud’atteindreunétatoud’accompliruneaction,c’est-à-direlapossibilitéd’exercer concrètement des libertés, des plus concrètes (manger, se soigner)aux plus complexes (être heureux, participer à une société démocratique). M. NUSSBAUM dresse une liste de capabilités fondamentales inhérentes à lapossibilitédemenerune«bonnevie»,parmilesquellescelledevivreuneexistencequi soitd’unedurée«normale»,d’avoirunebonnesanté (incluant l’accèsà la

9 J.JDupeyroux,M.BorgettoetR.Lafore,Droit de la sécurité sociale, Précis Dalloz, 18e éd., 2015, (§2).10V.encesensM.BorgettoetR.Lafore,Droit de l’aide et de l’action sociale,LGDJ,9e éd.,2015,pp.44-48.

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nourritureetàun logement),depouvoir sedéplacer librementetde faireusagede ses facultés intellectuelles, d’entretenir des relations avec les autres…11. Dans ce cadre, M. NUSSBAUM réintègre les théories du care, en soulignant le caractèreindispensabledu travail decare, qu’il soit fourni dans le cadre familial ouapportépar lacollectivité :«lecarerenvoieàunensembledepratiquesetd’attitudessanslesquellesaucunedes capabilités humaines centrales ne peuvent être acquises ni exercées : les soins qu’ilrecouvrentpermettentlavie,lasanté,l’intégritéphysique;lesoutienémotionneletl’attentionqu’ilscommandentrendentpossiblesledéveloppementetl’usagedessens,del’imaginationetdelapensée;ilssontenfinessentielsaurespectdesoi-même»12. La vulnérabilité étant une chosecommune,lecareestuneaffairecommune,quiconcernel’ensembledelasociétéetnonquelquesfiguresmarginalesidentifiées(lemalade,ledépendant,l’exclu).

Onmesurel’intérêtd’unetelleanalysepour(re)penserlaprotectionsocialeissuedumodèlefrançais solidariste. L’autonomie qu’il assure aux bénéficiaires de prestations sociales etassuréssociauxparlaprotectioncontrecertainsrisquesetlasatisfactiondecertainsbesoins,l’égalitéetl’universalitéquilesous-tendent13toutcommeladémocratiesocialequilefonde,sontautantdecaractéristiquesd’unmodèledanslequellesthéoriciennesducarepourraientseretrouver.Àconditiontoutefoisqueladémarchequicaractériselesorganesdeprotectionsociale,loind’êtreempreintedepaternalismeoudetraduireuncontrôlesocialdeladéviance,aitrecoursàcertainsoutils-outilsqu’ilconvientmaintenantd’analyser.

I.2/ Les outils de la protection sociale et le care Les théories du carereposentsurunconstat:lesindividussecaractérisentparleurvulnérabilité,qui constitue une caractéristique commune de l’ensemble des êtres humains. Chacun naitvulnérableetdépendantdesoinsprodiguésparautrui,etchacunpeutdevenirvulnérable,enraisondel’âge,delasantéoudesaccidentsdelavie.

Pourrépondreauxbesoinssuscitésparcettevulnérabilité,uneorganisationsocialejustedoitvisernonpas l’assujettissementet l’infantilisationdespersonnes,mais leurautonomisation(empowerment)enrenforçantleurcapacitéàfairedeschoixéclairésetpersonnels.OndoitnotammentàJoanTRONTOd’avoirmis l’accent sur lespratiquespermettant la réalisationd’unprojetpolitiquedémocratiquefondésur lecare14.Toutparticulièrement, troisoutilssontmobilisés:l’information,l’accompagnementetlaparticipationdesbénéficiairesducare. Or, ils sontdésormaistoustroiscentrauxdansl’actiondesorganismesdeprotectionsociale15.

11 M.Nussbaum,précit.12 M.Garrau,A.LeGoff,Care, justice et dépendance,Puf,coll.Philosophie,2010,p.138.13 M.Borgetto,«Universalitéetdroitdelaprotectionsociale»,inG.KoublietO.Jouanjan(dir.),Objets et sujets universels, Presses

deStrasbourg,2008,pp.13ets.14 J.Tronto,Un monde vulnérable,précit.p.211.15 Surcepoint,nousnouspermettonsderenvoyerànotrearticle,«La«responsabilisation»del’individu:queléquilibreentredroitset

devoirs?»,inM.Borgetto,A.-S.GinonetF.Guiomard,Quelle(s) protection(s) sociale(s) demain ?,Dalloz2016,spé.p.249ets.,oùnousdévelopponslesanalysesexposéesici.

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L’information,d’abord:elleestomniprésenteendroitdelaprotectionsociale,oùdenombreusesdispositionsconsacrentl’informationdesbénéficiairessociauxàdesfins d’autonomisationdespersonnes.Danslechampdel’assurancemaladie,c’estparexemplel’éducationthérapeutique,(art.L.1161-1CSP)quiluidonnepour«objectifde rendre le patient plus autonome en facilitant son adhésion aux traitementsprescritsetenaméliorantsaqualitédevie».

Cetteinformationdesbénéficiairesàdesfinsderenforcementdeleurautonomiesedéclineendehorsdu champde la santé : ainsi, uneobligationd’informationest reconnuepar les textesauprofit desbénéficiairesdeprestations sociales16, cesderniersétant,selonlajurisprudence,créanciersd’undroitàuneinformationindividuelle et adaptée à leur situation familiale propre concernant la nature etl’étendue de leurs droits17. Plus encore, l’orientation et le conseil offerts par lesorganismeschargésduversementdesprestationssocialessontprésentéscommeunoutilpertinentpourluttercontrelephénomènede«non-recoursauxdroits18».Différentes procédures dites « d’accès aux droits » sont expérimentées par lesorganismessociaux,comme le«rendez-vousdesdroits» instauré, au sein des caissesd’allocationsfamiliales,«dansl’objectifderendreaccessiblel’information,d’être pro-actif, d’accompagner les démarches des allocataires à faible niveaud’autonomieadministrative19».L’informationestainsiprésentéecommeunélémentconstitutifde l’aideà l’autonomisationdesbénéficiairesdeprestationssociales :plusqu’unsimplepalliatifdelacomplexitédessituationsadministratives,elleviseàpermettreunaccèsaudroitquelaseuleproclamationthéorique,danslestexteslégislatifsetréglementaires,nesatisfaitpas.Maisl’informationseulenesuffitpas:elledoitsouventêtredoubléed’unaccompagnement.

L’accompagnementconstitueunsecondconceptparticulièrementdéveloppédansl’analyse féministe ducare, à travers l’idée « d’accompagnement bienveillant ».Il fait désormais l’objet d’une large consécration juridique, au point que certainss’interrogent sur l’existence d’un droit subjectif à l’accompagnement20 ou sur la transformation de l’État-providence en un « État accompagnant21 ». Dans lechampdel’indemnisationduchômage,lanotiond’accompagnementestdevenueomniprésente22 : ainsi, le Projet personnalisé d’accès à l’emploi, qui guide lesrelationsentrePôleemploiet lechômeur,aétéconçucommepermettant«desactions d’accompagnementversl’emploi»;demême,«lebénéficiairedurevenudesolidaritéactiveadroitàunaccompagnementsocialetprofessionneladaptéàsesbesoinsetorganiséparunréférentunique»(art.L.262-27CASF).Cesobligations

16V.parex.,pourlescaissesd’allocationsfamiliales:art.L.583-1CSS;pourPôleemploi:art.L.5312-1C.trav.17 Civ. 2e,4nov.2010,n°09-17.149.18«Lenon-recoursauxdroits»,dossierRDSS2012,n°4,p.601s;W.VanOorschot,A.Math,«Laquestiondu

non-recoursauxprestationssociales»,Recherches et Prévisions 1996,n°43,p.5;P.Warin,«Qu’est-cequelenon-recoursauxdroitssociaux?»,LaViedesidées.fr,1er juin 2010.

19Caissenationaled’allocationsfamiliales,circ.n°2014-018,30avr.2014.20F.Petit,«Peut-ondiredudroitàl’accompagnementqu’ilestundroitsubjectif?»,JCP S2014,n°24,p.8-12.21S.Guérin,De l’État-providence à l’État accompagnant, Michalon, 2010.22V.dossier«L’accompagnemententredroitetpratique»,RDSS2012.973s.;E.Videcoq,«Lechômeurenrupture

deprotections:desvoiesetdesmoyensd’activerlesdroitsdesprivésdel’emploi»,RDSS2014.650s.

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imposées par les textes aux services publics sont théoriquement susceptiblesd’ouvrirdroitàdesactionsenjusticeencasdemanquement23.Cetaccompagnementdesusagersest, làencore,àmettreen lienavec l’objectifassignéauxservicespublicsde renforcer l’autonomiedesusagersvulnérables24.Lesuccèsrencontrépar la formuledel’accompagnement a conduit à sa dissémination, notamment dans le champ du handicap25 ;desappelssont lancéspourque l’accompagnementsoitdéclinésurd’autres terrains,commeceluidulogementetdela luttecontrel’exclusionsociale26.Ilsedéveloppeégalementdanslechampmédical:ainsi,l’articleL.1161-3duCodedelasantépubliqueprévoitque«lesactionsd’accompagnementfontpartiedel’éducationthérapeutique.Ellesontpourobjetd’apporteruneassistanceetunsoutienauxmalades,ouàleurentourage,danslapriseenchargedelamaladie».

Plusrécemment,laloin°2016-41du26janvier2016demodernisationdenotresystèmedesantécomporteunchapitresignificativementintitulé«Mieuxinformer,mieuxaccompagnerlesusagersdansleurparcoursdesanté».L’accompagnementdesmaladeschroniques,dontlecadreavaitétédessinédansunrapportrédigéparC.SaoutàlademandedelaministredesAffaires sociales et de la Santé27,permet«pourlapremièrefoisenFrancedereconnaîtrelesvaleursetlesprincipesdel’empowermentpourleurfaireuneplacedanslesystèmedesantéfrançaisdansuneévolutionquivoitchacunvouloirmieuxmaîtrisersavie,mêmequandelleestaffectéeparunevulnérabilitéensanté28».Serattachantdefaçonsignificativeauconceptde«capacitation»etauxtravauxdeJ.TRONTOsurlecare,lerapportSAOUTsoulignelanécessitéque,aprèslechampdelaluttecontrel’exclusionsocialeoul’intégrationduhandicap,ledomainedelasantéconstituelenouveauterraindel’accompagnement.

Ce faisant, la généralisation de l’accompagnement enmatière sociale facilite un troisièmeobjectif, celui de participation. Le concept de participation est central dans les théories ducare,quiinsistentsurl’autonomisationverslaquelledoiventtendrelesactionssociales.Ilnes’agit pas ici de renvoyer à la responsabilité individuelle,mais de soutenir un phénomènedeparticipationdémocratique,dansunesociétéinclusive.Ledroitàlaparticipation,danscecontexte,estsouventprésentécommeunevoiederenouvellementdespolitiquessociales29 et commeunmoyenderenforcementdel’autonomiedesbénéficiairesdeprestationssociales,puisqu’ilpermetdelesassocieràlaformationdelanormequileurestappliquée30.

Làencore, les textesoffrentdenombreuxexemples,commenotammentceuxrégissant lesconseils de vie sociale,mis enœuvre par la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 au sein desétablissements médicaux et médico-sociaux ou dans celle n° 2002-303 du 4 mars 2002,23CE,ord.,4oct.2012,Pôleemploi,req.n°362948,L.Camaji,Dr.ouvrier2013,n°775;M.Grévy,«Ledroitàl’emploiauprismedu

référé-libertéadministratif»,RDT2013.33(rejetenappelpourdéfautd’urgence).24V.encesenslaliaisonexplicitefaiteparl’articleL.116-1CASF.25Laloin°2016-41du26janv.2016demodernisationdenotresystèmedesantéprévoitqueleplanpersonnalisédecompensation

duhandicappeutcomprendre«unpland’accompagnementglobal»,qu’elledéfinit(Art.89delaloi,mod.l’art.L.114-1-1CASF).26V.encesens,l’appeldelaFnarslorsdes2esassisespourl’accèsaulogementdespersonnessansabri:«LaFnarsdemandede

nouveauun«droitàl’accompagnementsocial»,ASH29janv.2016,p.14.27 C. Saout, Cap Santé ! Rapport en vue du cahier des charges des expérimentations des projets d’accompagnement à l’autonomie

prévues par le projet de loi de modernisation de notre système de santé,rapportremisle20juill.2015.28Ibid.,p.8.29D.Berg-Schlosser,«Pauvretéetdémocratie :Chancesetconflits»,Tendancesde lacohésionsociale2012,n°25,Éditionsdu

Conseildel’Europe,p.233.30L’étymologieduterme«autonomie»renvoielittéralementàlanormequel’onsedonneàsoi-même.

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instituant une « démocratie sanitaire »31. Plus récemment, la loi du 26 janvier2016prévoitquelesagencesrégionalesdesanté«favorisentdesactionstendantà rendre les publics ciblesacteurs de leur propre santé. Elles visent, dans une démarchederesponsabilisation,àpermettrel’appropriationdesoutilsdepréventionet d’éducation à la santé32 ».Lanotiondeparticipationestégalementutiliséeàproposdesdemandeursd’emploi,avecplusoumoinsdesuccès33.

L’étudecroiséedecesdifférentsdispositifsaboutitàunconstatetuneinterrogation.Leconstatd’abord :si laprotectionsocialenesefondepasexplicitementsur leconceptdecare,sonorganisation,sesprincipesetsesméthodespeuventlargementêtre analysés à l’aune de la littérature que les théories du care ont suscitée. L’interrogationensuite:silaprotectionsocialepeutainsiêtreluecommerépondantà un objectif de care,seposealorslaquestionsymétriquedesavoircommentlesactivitéstypiquesducaresontreconnuesetprisesenchargeparcelle-ci.

II. Le caredanslaprotectionsocialeUne des caractéristiques majeures du care, pensé comme activité de soin etde sollicitude, est de peser sur les femmes, notamment au sein de la sphèredomestique. Or, les pratiques de care n’ont pas été exclues, loin s’en faut, duchampdesquestionspolitiquesrelativesàlaprotectionsociale.Lechoixfrançaisapendantétélongtempsdereconnaîtreindirectementlerôlesocialducare exercé parlesfemmesviadesdispositifsfamilialisés(II.1).Unetendancerécentedifférentes’affirme,fondéesurlarecherched’uneuniversalisationdesdroitssociaux(II.2).

II.1/ La familialisation des droits : la reconnaissance indirecte du care Laquestiondelareconnaissancedutravaildomestiqueestunsujetbienconnude l’analyse féministe, qui n’a cessé de souligner le rôle des femmes dans letravailducare.Traditionnellementdévolusaux femmes, les tâchesménagèreset les soinsauxenfants, auxpersonnesâgéesouhandicapées sont exercéessansmêmequelequalificatifde«travail»leursoitreconnu : invisible, le travail domestiquen’estnirémunéré,nichiffré.Pourtant,savaleurmonétairesesitueraitauxalentoursde33%duPIB34.Ainsirenduesymboliquementetfinancièrementinvisible,l’activitédesfemmesaétéconfinéeàlasphèreprivée:lecouple«M.Gagne-PainetMmeAuFoyer»aconstitué longtemps lemodèledominantet,lorsqu’ilestremplacé,c’estauprofitdeceluide«M.Gagne-PainetMmeGagne-Miettes» 35 : lorsquelesfemmestravaillent,leurrémunérationsalarialeestplusfaiblequecelledeshommesmaisleurimplicationdanslestâchesdomestiques

31D.Cristol,«Ledroitàlaparticipationdanslesloisdes2janvieret4mars2002»,RDSS 2012. 453 s.32CSP,art.L.1431-2,2,k,mod.parart.158deL.n°2016-41du26janv.2016.33Art.L.5411-9Codedutravail;art.L.115-2etL.262-39CASF.34D.Roy,«Letravaildomestique:60milliardsd’heuresen2010»,INSEE Première,n°1423,nov.2012.35 V., M. Maruani (dir.), Travail et genre dans le monde,Ladécouverte,2013etspéc.H.Périvier,«DemadameAu-

FoyeràmadameGagne-Miettes.Étatsocialenmutationdansuneperspectivefranco-états-unienne»,p.309ets.

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toujours supérieure. Or, cette inégale reconnaissance des fonctions socialesexercéesparlesfemmesetleshommesaboutitàdesdiscriminationsmultiples.CepointaétésoulignéparleComitépourl’éliminationdesdiscriminationscontrelesfemmes(CEDEF)danssarecommandationgénéralede1991«Travailménagernonrémunéré»,danslaquellelecomitéonusienaffirmeque«letravailnonrémunéréconstitueuneformed’exploitation des femmes contraire à laConvention »36. Plus récemment, la rapporteusespéciale des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains37 a analysé letravail domestiquenon rémunérécommeunequestion relevantdesdroits fondamentaux.Mettantl’accentsurlasituationdesfemmesaufoyer,laRapporteusespécialemontrequel’inégale répartition des responsabilités domestique constitue un obstacle considérable àl’exercice des libertés des femmes et à l’égalité des sexes38. La carence des États dans la reconnaissanceet lefinancementdesbesoinsauxquels le travail domestiquepourvoit,ainsiquel’absencederéglementationdesconditionsdetravaildesfemmes,contribuentàaccentuer les inégalitésdegenre.Ce faisant, lesÉtatsméconnaissent lesobligationsquileur incombentau titredu respect dudroit international desdroits de l’Homme.Ainsi, lusconjointement, la recommandationgénéralede 1991et le rapportde 2013permettentdemettrel’accentsurdeuxidéesfortes:d’unepart,leconstatdemultiplesatteintesauxdroitsfondamentaux résultantde lanon-reconnaissancedu travaildomestiquenon rémunéréetd’autrepart,l’accentmissurlesobligationsqueledroitinternationaldesdroitsdel’HommefaitpesersurlesÉtats.

EnFrance,lareconnaissanced’unstatutsocialpourles«care providers »n’apasétéaucœurdesdébatssurlaprotectionsociale;cecinesignifiepaspourautantquel’enjeusoitméconnu.Certes,laquestiondusalairematernelaconstituéunterraind’affrontementidéologique,l’extrêmedroiteyétantfavorable,envertud’uneconceptiontraditionnelledefamillequ’ilconviendraitdepromouvoir39,tandisquelagaucheetlesmouvementsféministess’ysontopposés,aunomdeladéfensedel’émancipationdesfemmes:eneffet,unetellemesurerisqueraitderenforcerlesinégalitésdegenredansl’accèsautravailetl’assignationdesfemmesàlasphèredomestique.Lamesuren’ajamaisétéadoptéeenFrance,sicen’estsouslaformedel’allocationdesalaireuniquecrééeà laLibération40.En revanche, laconsécrationdedroitssociauxauprofitdesdonneurs (donneuses) de careaprisd’autresformes41.Lapremièreétapeaconsisté,en1976,enlacréationd’uneallocationparentisolé,destinéeauxmèrescélibataires42;lespèresétaientthéoriquementéligiblesmaisl’allocationa,dufaitdelaréalitésociale,étéquasiexclusivementversée auxmères, tout comme c’est encore le cas pour le RSAmajoré à destination desfamillesmonoparentales.Lesdébatsparlementairessontalorsparticulièrementrévélateurs:lacommissionsénatorialeaffirmealorsavoir«bienentenduadmiscommeprémicesledroit

36Comitépourl’éliminationdesdiscriminationsàl’égarddesfemmes,recommandationgénéralen°16,1991,§4.37Rapportrelatifautravailnonrémunéré,etnotammentauxliensentretravaildomestiqueetdroitsdesfemmes,2013,A/68/293.38Rapportprécité,A/68/293,§6.39Depuis1981,différentespropositionsdeloiontétéprésentéesencesens:aucunen’aétéexaminéeparleParlement.40L’allocationdesalaireunique,crééeen1941etconservéeàlaLibération,étaitverséeauxménagesdontl’épousen’exerçaitaucune

activitéprofessionnelle.Elleaétésuppriméeen1978aunomde l’objectifdeneutralitéà l’égarddutravail féminin :v.J.Martin,«Politiquefamilialeettravaildesmèresdefamille:perspectivehistorique1942-1982»,Population1998,vol.53,p.1119-1153.

41v.parex.M.-T.Letablier,«LetravailcentrésurautruietsaconceptualisationenEurope»,Travail, genre et sociétés2/2001n°6,p.19-41.

42L’examendesdébatsparlementairemontrequeleprojetdeloiinitialprésentéparlegouvernementen1976consacraitune«allocationdesmères».C’estunamendementsénatorialquiaélargilebénéficedel’APIauxpèrescélibataires.

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absoludelafemmeautravail,maisaconsidéréque,dansl’étatprésentdenotresociété, lafonctiondemèredefamille lui imposedeschargesspécifiques.(...) ilseraitdoncsouhaitablequesoitmisenplaceunvéritablestatutsocialdelamèredefamille,permettantàlamèred’exercerunlibrechoixentretravailetvieaufoyer.Lareconnaissancedecestatutimpliquequ’unevaleuréconomiquesoitdonnéeauxtâchesdomestiques»43. Àl’époque,l’ensembledesparlementairesdelamajoritédonnaientactede l’évolutionsociologiqueen faveurdu travaildes femmesmaisdéclaraient vouloir le concilier avec ce qu’ils considéraient comme le caractèreirremplaçabledelaprésencematernelle.CommelerésumaitalorsMichelDebré,«onnepeutpas,aunomduféminisme,nierlamaternité»44…

Parallèlement,desdispositifssupplémentairesontétésuccessivementaménagésdansunsensdereconnaissancedustatutsocialdudonneur(ouplutôt,danslesfaits, de la donneuse) de care :ilenvaainsiducongéparentald’éducationpourlesparentsd’unenfantdemoinsdetroisans,remodeléparlaloin°2014-873du4 août201445;delareconnaissancedesaidantsfamiliauxdésormaisrémunérésautitred’undesélémentsdelaprestationdecompensationduhandicap46;ou,plusrécemment,del’institutionduprocheaidantpourlespersonnesâgéesdépendantes47.

Enfin, la remise à plat du statut des assistants maternels48, dans un sens de professionnalisation, nedoit pasêtreoccultée.Pourtant, l’ajoutdecesdifférentesdispositionss’estfaitsansprisedeconscience,dansledébatpolitique,decequ’ilsparticipent d’unemême logique. La construction du care, par unÉtat providencelongtempsaveugleàladimensionsexuéedesdispositifsqu’ilaménagecommeauxconséquences, pour les femmes, de ces dispositifs en termes d’accès aux droitssociauxetauxservices,demeurelargementimpenséedelaprotectionsociale.C’estunconstat identiquequipeutêtrefaitàtravers l’étuded’unevoieplusrécemmentsuivie, celle de l’universalisation des droits sociaux.

II.2/ L’universalisation des droits : vers la reconnaissance d’un droit au care ? À sa création, la sécurité sociale a été construite sur un modèle familialiste,reposant sur une « convention de genre »49 : à « Monsieur Gagne-Pain »,l’ouverturededroitssociauxpropresdécoulantdesonactivitéprofessionnelle;

43Rapportd’A.Bohl,faitaunomdelacommissiondesaffairessocialesduSénat(n°250,14avril1976).44JODébatsAN,p.3198,19mai1976.45Defaçonsignificative,laloin°77-505du17mai1977relativeaux«assistantesmaternelles»,quiafaitdel’ancienne

activitédenourriceuneprofessionréglementée,employaitleféminin.Laloin°2005-706du27juin2005relativeauxassistantsmaternelsetauxassistantsfamiliauxemploieunmasculin pluriel quiseveutneutre,mêmesi,danslesfaits,laprofessionrestetrèsféminine:selonl’INSEE,lesfemmesreprésentent99,2%desassistantsmaternels(INSEE,Fichesthématiques«Travail,emploi»-Regardssurlaparité-InseeRéférences-édition2012).

46Art.L245-12etR.245-7CASF,v.F.Maisonnasse«Égalitéentrelesfemmesetleshommes:lecasdesaidantsfamiliaux»,articleci-dessous.

47 Art. L. 113-1-3 CASF.48 Art. L1225-48 C. trav.49Selon l’expression de M.-Th. Letablier, « Régimes d’État-providence et conventions de genre en Europe »,

Informations sociales,151,2009,p.102.

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à«MadameAuFoyer», lestatutd’ayantdroit, reposantsur lareconnaissanceimplicitemaisnonrémunéréedesonactivitédomestique.Cetteconstruction,progrèssocialindéniablepourl’époque,aétéremiseencauseparlamontéedusalariatdesfemmes,quileurpermetd’acquérirdesdroitssociauxpropres,bienquesouventdansdesconditionsmoinsavantageuses:ainsi,l’inégalaccèsdesfemmesauxpensionsderetraiteestunphénomène largementconstaté50.EnFrance, l’écartparsexedans lemontantdespensionsderetraiteestdel’ordrede40%51.

Troisélémentsprincipauxjouentendéfaveurdesfemmesdanslaconstitutiond’uneretraited’unniveauéquivalentàceluideshommes:leurtauxd’activitéprofessionnelleinférieuràceluideshommes(l’arrivéed’enfantspesantsurlaseuleactivitédesfemmes),leurfortrecoursautempspartiel(directementliéauxresponsabilitésfamiliales)etleurrémunérationinférieureàcelledeshommes.Or,untelconstataboutitàundilemme,soulignéparH. Périvier,«lesretraitesetlespensionsderéversionillustrentlatensionentreincitationetprotection:nepastenircomptedansl’acquisitiondesdroitsàlaretraitedufaitquelesfemmesréalisentencorel’essentieldestâchesdomestiquesetfamilialesconduiraitàunappauvrissementrelatifdesfemmes retraitées ;maiscompenser les inégalités issuesde ladivisionsexuéedu travailcontribueàl’entreteniretentérineuneinégalitédefait»52.Cettehésitationestnotammentaucœurdudébatjuridiquequiaopposélaconceptioneuropéenneetformelledel’égalitéentrelesfemmesetleshommesàcellefrançaise,seréclamantd’uneégalitématérielle53.

Poursortirdecedilemmeetassurerl’égalitédesfemmesetdeshommes,unedesperspectivesdésormaismise en avant est celle de l’universalisation des droits sociaux et, partant, deleur individualisation.Unexemple récentet très révélateurestoffert par la créationde laProtectionuniversellemaladie(PUMA)parlaloidefinancementdelasécuritésocialepour2016.Souscouvertdetechnicité,lacréationdecedispositiffaitplusquesimplifierl’accèsauxdroitssociaux:elleapporteunchangementmajeuràl’architecturedelasécuritésocialeenparachevant l’universalisationdesdroitssociauxenmatièred’assurancemaladie54. En effet, la loi inverse leprincipedesubsidiarité selon lequel l’affiliationà la sécuritésocialeestundroitdérivédutravail, l’assurén’ayantdroitàlacouverturemaladieuniversellequesubsidiairement,enl’absenced’unautrecritèred’affiliation.

Aveccetteréforme,c’estdésormaisunerésidencestableourégulièresurleterritoirequiouvredroitàl’affiliationàlasécuritésociale55.Cefaisant,laloiavocationàsupprimerprogressivementlestatutd’ayant-droit,dontonsaitqu’ils’appliqueprincipalementauxfemmes.Enpermettant50ONUFemmes,«Protégerlasécuritédurevenudesfemmesâgées.Versdessystèmesderetraitequitiennentcomptedel’égalité

dessexes»,Documentdepolitiquegénéralen°3,2015.51Toutefois,lapriseencomptedesavantagesaccessoires,delaréversionetduminimumvieillesse,réduitlesécartsdepensionentre

leshommesetlesfemmes.Aufinal,lesfemmesperçoiventunepensioninférieurede26%.V.Ch.Collin,Retraites:lesfemmesperçoiventunepensioninférieurede26%àcelledeshommesen2012»,Études et Résultats,n°904,Drees,Janvier2015.

52H.Périvier,«UnelecturegenréedelaSécuritésociale,soixante-dixansaprèssafondation:quelbilanpourl’égalitédesfemmesetdeshommes?»,Informations sociales2015/3(n°189),p.107-114.

53CJUE,17juillet2014,épouxLéone,C-173/13;CE,ass.,27mars2015,M.Quintanel,req.n°372426;pouruneanalysed’ensemble,v.A.Zarka,«Leretourdugenredansledroitdespensionsdelafonctionpubliqueoulesvicissitudesd’unstéréotypebienintentionné»,inS.Hennette-Vauchez,M.PichardetD.Roman,La loi et le genre, études critiques de droit français,éd.duCNRS,2014,pp.429ets.

54D.Tabuteau,«Laprotectionuniversellemaladie(PUMA):unetransfigurationlégislativedel’assurancemaladie»,RDSS2015,p.1058.

55Art.L.111-2-2etL.160-1CSS,issusdel’art.59LFSSpour2016.

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uneautonomisationdelagestiondesdroits,lamesurepermettralaconfidentialitédecertainesdonnéesdesanté(etnotammentcellesconcernantlacontraceptionet l’interruption de grossesse). Mais surtout, en assurant une continuité de lacouverture sociale, quels que soient les changements de situation personnelle(mariage,séparationouveuvage),laPUMAreconnaitundroitpropre,déconnectédutravail,àtoutindividudeplusdeseizeansrésidantrégulièrementenFrance.Mêmesiletermen’apasétéemployédansledébat,l’individualisationdel’accèsàl’assurancemaladieaboutitàlareconnaissanced’unecitoyennetésociale.S’agit-il d’unpremierpasversune«nouvellegénérationdedroits sociaux», visantà« refonder lesystèmedeprotectionsociale»,comme l’appellentde leursvœuxB. Gazier,B. Palier et H. Périvierdansunouvragestimulant56?Silaréponseestpositive, d’autres étapes importantes restent encore à franchir pour que le care soitreconnuendroitdelaprotectionsociale: laquestionnotammentdelapriseen charge de la dépendance (question centrale dans les théories féministes ducare)autitred’unnouveaurisquesembleindéfinimentrepoussée;elleconstitueraitpourtantuneétapeessentielledel’universalisationdelasécuritésociale57.

Detellesévolutionsmarqueraientcertainementunparachèvementdelaprotectionsociale,quis’ordonneraitainsiautourunelogiquededroitsfondamentaux58 et de citoyennetésociale.Danscettelogique,lesdroitssociaux,à l’instar des droits civils oupolitiques,severraientreconnaîtreunelogiquededroitssubjectifsetuniversels,indépendammentde l’appartenanceàdifférentscollectifs (l’entreprise, la famille)etdesclassificationssociales(commelesalariatoulegenre).Etellepourraitainsiouvrir la voie vers la consécration d’un droit au care, reconnu à chacun en raison de lacommunevulnérabilitédelaconditionhumaine.D’autrespays,dontlemodèlesocialestsouvent loué,enoffrent l’exemple.Ainsienva-t-ildumodèlesuédois,danslequellesdroitsindividuels,attachésàlapersonne,visentàassurerlebien-êtred’unindividu-citoyenautonome,quellesquesoientsesressources.«Danscecadre, toutepersonnedépendante,quellequesoit l’origineou lanaturedecettedépendance,adroit àêtreaidéepar lesautoritéspubliquesdans le respectdesonautonomie,desonintégritéetdesadignité[…].Ledroitaucare est donc ici intégrédanslaconceptiondelacitoyennetéetconcernesesdeuxvolets:ledroitde recevoir et le droit de donner (care receiver et care giver)»59.

56B.Gazier,B.PalieretH.Périvier,Refonder le système de protection sociale, pour une nouvelle génération de droits sociaux, Presses de sciencesPo, 2014.

57M.Borgetto,«Lasécuritésocialeàl’épreuveduprinciped’universalité»,RDSS2016,pp.11ets.,spé.p.19-2058v.L.Camaji,La personne et la protection sociale, recherche sur la nature des droits des bénéficiaires de prestations

sociales, Dalloz, 2008.59A.-M.Daune-Richard,«Focus-Droit(s)aucareetarticulationdestempsdevieenSuède.»,Informations sociales

1/2013(n°175),p.100-103.

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Égalitéfemmes-hommesenmatièredesantéetde recours aux soinsPar Dominique POLTON, Conseillère auprès du directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés

Dominique POLTON, économiste, est Conseillère auprès du Directeur général de la CNAMTS depuis 2014, après avoir été Directrice de la stratégie des études et des statistiques pendant 8 ans au sein du même organisme. Elle fut également Directrice de l’IRDES pendant huit ans. Elle est l’auteure, en 2014, de « la santé pour tous ? » aux éditions La documentation française, ouvrage primé par le prix EN3S 2015 dans la catégorie « pédagogie ».

La couverture quasi-universelle, dans la plupart des pays développés, par des systèmesd’assurance maladie n’a pas empêché, on le sait, le maintien et parfois l’accroissementd’inégalitésdesantéetd’accèsauxsoinsentredifférentescatégoriesdepopulation,notammenten fonction de leur situation sociale ou de leur niveau d’éducation. Cette préoccupationconcernant lapersistanced’inégalitéssociales importantes,mêmesielleaétéplus tardiveenFrancequedansd’autrespays,occupeuneplacecroissantedans ledébatpublic ;cesinégalitéssontdocumentées,desréflexionssedéveloppentsurleursdéterminantsetsurleslevierspourlesréduire.

Lesinégalitésdegenresontenrevanchemoinssouventabordéesetmoinsdocumentées.Cecivientsansdoutedufaitquesidansdenombreuxsecteurs(éducation,salaire,responsabilitésprofessionnelles ou politiques, violences subies…) les femmes sont dans une situationdéfavorable,ellessemblentàl’inverse,enpremièreapproche,jouird’unavantagecomparatifévident enmatière de santé, puisque leur espérance de vie est plus élevée que celle deshommes,avecplusdesixansd’écarten2015pourlaFrance.Néanmoinscecin’expliquepastotalementlefaibledéveloppementdesrecherchesintégrantdesperspectivesdegenredansnotrepays,carcelles-cisontbeaucoupplusdéveloppéesdanslespaysanglo-américainseteuropéensoùcesécartsdelongévitéexistentégalement.

Audemeurant,l’espérancedevienerésumepasàelleseulel’étatdesanté,etsilesfemmesviventpluslongtempsqueleshommes,ellessedéclarentenplusmauvaisesantéetviventavecplusdemaladies,d’incapacitésetdesituationsdedépendance.Ceparadoxeaujourd’huibienmisenévidenceàl’échelleinternationaleseradéveloppédansunepremièrepartie.

On s’attachera ensuite à analyser les différences en termesde recours aux soins, avec làencoreunconstatnuancé:globalementlesfemmesapparaissentplussoucieusesdeleursantéetconsultentplusfréquemment,sanspourautantavoirdesdépensesdesoinsglobalementsupérieures. Lorsque l’on analyse des pathologies particulières, on constate des inégalitésdanslesdeuxsens,souventliéesaufaitqueladétectionetlapriseenchargedesmaladies

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sontinfluencéespardesstéréotypesdegenrequipeuventinduiredesdifférencesdetraitement.

I- Les femmes vivent plus longtemps, mais passent cesannéessupplémentairesenmauvaisesantéEn 2015, l’espérance de vie à la naissance est de 85,0 ans pour les femmes,de 78,9anspour leshommes,soitunécartde6,1ans.À60ans, ilestencorede 4,4 ans : une femme peut espérer vivre 27,3 ans enmoyenne, un homme22,9ans.Denombreuxfacteursexpliquentcetavantageféminin,parmi lesquelsdesdifférencesbiologiques,maisaussidescomportementsplus favorablesà lasanté(tabagisme,alcoolisme,conduitesàrisque)etdesemploismoinsexposés,dumoinsentermesdepénibilitéphysique.

Cetécart d’espérancedevie, particulièrement importantenFrance (mêmesi lasituationfavorabledesfemmess’observedanslaplupartdespays),s’estcreuséjusquedanslesannées1990oùilaatteint8,3ans.Latendances’estrenverséedepuis, sous l’influencenotammentdesévolutionsdecomportements,avecdesattitudesplusfavorablesà lasantéchez leshommesetà l’inverseunediffusionchezlesfemmesdecomportementsàrisquejusque-làplutôtmasculins.Ainsiparexemple,siletabagismequotidienestrestépresquestablechezleshommesentre2005et2010 (unpeusupérieurà30%), ilaaugmentéde troispointschez lesfemmes(23%à26%)1.Defait,lestauxdedécèsparcancerdupoumon2 ont été multipliéspar2,5entrenteanschezlesfemmes,par3,3pourlesmoinsde65ans(+105%entre1990et2005)alorsqu’ilsontdiminuédanslemêmetempschezleshommes.

Paradoxalement,alorsqu’ellesontdemeilleursrésultatsentermesdemortalité,lesfemmessedéclarentdanslesenquêtesenmoinsbonnesantéqueleshommesàâgeégal.Au-delàd’uneattentionplusgrandequipeutêtreportéeparlesfemmesàleursproblèmesdesanté,ceparadoxes’expliquequandonanalysedemanièreplusdétailléelespathologiesetincapacitésfonctionnellesdéclarées:eneffetleshommesdéclarentdavantagedemaladieset troublesassociésàun risquevitalimportant,etlesfemmesplusdemaladiesetdesymptômesassociésàunfaiblerisquevital. 3

L’analysedelafréquencedesmaladiesàpartirdesdonnéesdel’assurancemaladie4 le confirme. Pour toutes les tranches d’âge, les maladies cardiovasculaires, le

1Source:Baromètresanté2010deSantépubliqueFrance.2Tauxstandardisés.Tumeurmalignedularynx,delatrachée,desbronchesetdupoumon.SourceINSERM-CEPI-DC.3FourcadeN.LasantédesfemmesenFrance.Étudesetrésultatsn°834,mars2013.4LespathologiespeuventêtrerepéréesparlesdiagnosticshospitalierscodésdanslePMSI,parlesdiagnosticscodés

parlesmédecinsconseilencasd’exonérationduticketmodérateurpouraffectiondelongueduréeoupard’autresévènements traceurs (médicaments,…). Pour plus d’information, voir http://www.ameli.fr/l-assurance-maladie/statistiques-et-publications/etudes-en-sante-publique/cartographie-des-pathologies-et-des-depenses/index.php.

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diabète, lescancers, lesmaladiesrespiratoireschroniques, lesmaladiesdufoieetdupancréas,l’insuffisancerénalechroniqueterminale5sontbeaucoupplusfréquenteschezleshommes.Parexemple,entre65et75ans,25%deshommesontunemaladiecardiovasculaire,21%ontundiabète,contre10%et13%respectivementpourlesfemmes (Graphique 1).Globalement,lestauxstandardisésparâge6sontpresquedeuxfoisplusélevéspourlesmaladiescardiovasculairesetl’insuffisancerénalechroniqueterminale;ilssontsupérieurdesdeuxtierspourlesmaladiesdufoieetdupancréasetdemoitiépourlediabète (Tableau 1).

Graphique 1 - Fréquence de certaines pathologies prises en charge par le système de soins selon l’âge, pour les hommes et les femmes - 2014

Source :Cartographiedespathologies-DonnéesSNIIRAM-PMSI,traitementsCNAMTS.

Tableau 1 - Taux de prévalence standardisés sur l’âge de certaines pathologies

Hommes Femmes Écarthommes/femmes(en%)

Maladies cardioneurovasculaires 8,9% 4,6% 94%

Diabète 6,5% 4,4 % 48%

Cancers 4,9% 4,2 % 16%

Maladiesrespiratoireschroniques 5,7 % 4,9 % 18 %

Maladiesdufoieoudupancréas 1,1 % 0,7 % 66%

Insuffisancerénalechroniqueterminale 0,18 % 0,09 % 89%

Source:Cartographiedespathologies-DonnéesSNIIRAM-PMSI,traitementsCNAMTS Note :Lastandardisationesteffectuéesurlastructured’âgedelapopulationtotale

Néanmoinscertainesaffectionsquiengagentmoinslepronosticvitalsontplusfréquenteschezlesfemmes.C’est lecasparexemplede l’anxiétéetde ladépression:d’après leBaromètre

5L’insuffisancerénalechroniqueterminalenefigurepassur legraphiqueparâgecomptetenudesprévalencestrèsfaiblesmais letableauquisuitindiquelesécartsdeprévalencemoyenneentrehommesetfemmes.

6C’est-à-direcalculéssurunestructured’âgeidentiquepourleshommesetlesfemmes,ceciafindetenircomptedufaitquelesfemmessontbeaucoupplusnombreusesauxâgesélevés;lastandardisationesteffectuéesurlastructured’âgedelapopulationtotale.

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santé2010desantépubliqueFrance,10%desfemmesde15à75ansontconnuunépisodedépressifcaractériséaucoursdesdouzederniersmois,contre6%deshommes.Commeonl’avuci-dessuschezleshommespourd’autresaffections,onretrouvecettesurmorbidité lorsquel’onanalyselestroublesdesantémentaleprisenchargepar lesystèmedesoins (Graphique 2) : lespathologiespsychiatriquessontglobalementmoinsfréquenteschez lesfemmesdansunepremièrepartiedelavie,mais lesontplusàpartirde55ans.Les troublesde l’humeur (dépressionessentiellement) sont plus fréquents à tout âge, et globalement leur prévalenceest supérieure de 50 % à structure d’âge identique. Même si l’on tient compted’unphénomèneprobabledesous-déclarationchez leshommes, leconstatd’unevulnérabilitéparticulièreauxtroublesdépressifsdemeure,enlienpossiblementavecdesconditionséconomiquesetsocialesplusprécaires.

Graphique 2 - Fréquence de pathologies psychiatriques prises en charge par le système de soins selon l’âge, pour les hommes et les femmes - 2014

Source :Cartographiedespathologies-DonnéesSNIIRAM-PMSI,traitementsCNAMTS.

C’estlecaségalementdemaladiesinflammatoiresostéo-articulaires,tellesquelapolyarthriterhumatoïde,quitouchelesfemmesdeuxfoisetdemieplusfréquemmentqueleshommes,àstructured’âgecomparable.Ellessontplusatteinteségalementparlesmaladiesneurologiquesetdégénératives,etnotammentparlesdémences,aux âges élevés où la prévalence de cesmaladies augmente nettement : ainsiaprès75anselleestde11%chezlesfemmes,7%chezleshommes (Graphique 3).Ils’agiticiuniquementdemaladiestraitéesparlesystèmedesoins,maiscesconstatssontcorroborésparlesétudesépidémiologiques.7

7Ministèredelasanté-DREES-LasantédesfemmesenFrance.LaDocumentationfrançaise-Paris2009-FicheNancy-UniversitéEA4003,écoledesantépublique-Facultédemédecinepourlapolyarthriterhumatoïde-FicheInVSpourlamaladied’Alzheimer.

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Graphique 3 - Fréquence des maladies neurologiques ou dégénératives et des maladies inflammatoires chroniques prises en charge selon l’âge, pour les hommes et les femmes - 2014

Source :Cartographiedespathologies-DonnéesSNIIRAM-PMSI,traitementsCNAMTS.

Delamêmemanière,silesfemmessontmoinssouventexposéesàdesconditionsdetravailpéniblesphysiquement(50%desfemmesenemploideplusde50ansonteuaucoursdeleurvieprofessionnelleunepériodedetravaildenuit,ourépétitif,ouphysiquementexigeant,ouexposéàdesproduitsnocifs, contre63%deshommes8), elles sontplus fréquemmentexposées à des risques psychosociaux, notamment au stress résultant de la combinaisond’unefortedemandepsychologiqueetd’unefaiblelatitudedécisionnelle(28%desfemmesversus 20%deshommes)9,ouàdesagressionsverbalesouphysiques.Certainesétudesfontégalementétatd’unevulnérabilitéparticulièreauxtroublesmusculo-squelettiques,dontlaprévalenceestélevéepourcertainsmétiersnécessitantdesgestesrépétitifsetpeuqualifiés.

Enfinlesfemmessubissentdesviolencesdansuneproportiontrèssupérieureauxhommes,et notammentdes violences sexuelles ; 11%déclarent avoir subi desattouchements, desrapportssexuelsforcésetdestentativesderapportsforcés,contre3%pourleshommes,avecunimpactsurlasantétantpsychologique(uncinquièmeréalisentaumoinsunetentativedesuicide)quephysique(lamoitiédesfemmesayantsubidesviolences,physiquesousexuellesdelapartdeleurconjointfontétatdeblessures).

8BahuM.,MermilliodC.,VolkoffS.Conditionsdetravailpéniblesaucoursdelavieprofessionnelleetétatdesantéaprès50ans.In:L’étatdesantédelapopulationenFrance-Suividesobjectifsannexésàlaloidesantépublique-Rapport2011.

9«D’aprèslemodèledetensionautravaildeKarasek,lerisquedepathologieautravailsedéfinit,pourlesalarié,commelacombinaisond’unefortedemandepsychologiqueetd’unefaiblelatitudedécisionnelle,c’est-à-direunefortechargedetravail(quantité,intensité,complexité),sanspossibilitéd’utiliseroudedéveloppersescompétencesetsansmargedemanoeuvre.»Extraitde:Ministèredelasanté-DREES-LasantédesfemmesenFrance.LaDocumentationfrançaise-Paris2009.

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Au-delàdoncdel’espérancedeviequileurconfèreunavantageindéniable,lasantédesfemmesprésenteuntableauplusnuancé,avecunefréquenceplusimportantedepathologiesquisontsourced’incapacitésetd’altérationdelaqualitédevie.Etde fait, l’écartentre leshommeset les femmess’amenuisequandonconsidèrenonpasl’espérancedevieglobale,maisl’espérancedevieenbonnesanté,c’est-à-dire sans limitation d’activité ou sans incapacitémajeure. En France, d’aprèsles résultats des dernières enquêtes européennes, il n’est plus que de 0,8 ansà la naissance, de 0,3 ansà 65ans (contre 6,5 anset 4,3 ans respectivementpourl’espérancedevietotale).Lesmêmesconstatspeuventêtrefaitsàl’échelleeuropéenne,avecseulement0,4ansd’écartd’espérancedevieenbonnesanté(Tableau 2).

Tableau 2 - Espérance de vie et espérance de vie sans incapacité, à la naissance et à 65 ans - 2014

Espérancedevie Espérancedeviesansincapacité

À la naissance À65ans À la naissance À65ans

H F Écart H F Écart H F Écart H F Écart

France 79,5 86 6,5 19,7 24 4,3 63,4 64,2 0,8 10,4 10,7 0,3

UE28 78,1 83,6 5,5 18,2 21,6 3,4 61,4 61,8 0,4 8,6 8,6 0

Source : Eurostat.

Récemment, on a constaté un accroissement inattendu du nombre d’annéespassées en situation d’incapacité chez les 50-65 ans, plus prononcé chez lesfemmes. Ces générations (qui, pour les femmes, correspondent aux premièresgénérationsmassivementprésentessurlemarchédutravailsalarié)pourraientdoncêtreplusaffectéespardespathologiesconduisantàdeslimitationsfonctionnellesetàdesincapacités.10

II-Protectioncontrelerisquemaladieetaccèsauxsoins:desinégalitésdanslesdeuxsensEntermesdeprotectioncontrelerisquemaladie,lesfemmesétaienten2012unpeuplusnombreusesqueleshommesàbénéficierd’unecouverturecomplémentaire,maisplusfréquemmentacquiseviauncontratindividuel(56%versus 50 %) ou la CMU-C,etmoinssouventpardescontratscollectifs(32%versus 37 % - Tableau 3).Cecipeutêtredûàuneffetdestructuredémographique,lescontratsindividuelsétantlarègleauxâgesplusélevésoùlesfemmessontplusnombreuses.

10CamboisE, BlachierA,Robine JM.Aging and health in France : an unexpected expansion of disability inmid-adulthoodoverrecentyears.EuropeanJournalofPublicHealth2013Aug;23(4):575-81.

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Tableau 3 - Situation par rapport à la complémentaire santé et la nature du contrat (collectif, individuel, CMU-C) en 2012

Oui

Non IndéterminéTOTAL oui

Aumoins1 contrat collectif

Individuel uniquement

CMU-C Indéterminé

Homme 93,5 36,9 50,2 5,7 0,8 5,8 0,6

Femme 95,2 32,3 55,7 6,5 0,6 4,3 0,5

Source : EnquêteESPS-IRDES.

Le renoncement aux soins est, d’après l’enquête « Statistiques sur les ressources et lesconditionsdevie-SRCV»réaliséeparl’Insee11,supérieurchezleshommespourlessoinsmédicaux(4%versus 3,3%)etéquivalentpour lessoinsdentaires(6,5%).Cependantsil’onneconsidèreque lesrenoncementspourraisonfinancière(horsraisonsdemanquedetemps, d’éloignement,…), il est plus élevé chez les femmes.Ceci est convergent avec lesrésultatsde l’enquête«Santésoinsetprotectionsociale»de l’IRDES(avecdesordresdegrandeurdetauxderenoncementbeaucoupplusélevés,maislesquestionnementsdanslesdeuxenquêtesnesontpascomparables):

Tableau 4 - Taux de renoncement aux soins pour raisons financières - 2012

Hommes Femmes

Soins dentaires 16,1 19,2

Lunettes,verres,montureoulentilles 7,9 11,6

Consultationdemédecin 4,1 6,7

Autressoinsetexamens 3,5 5,6

Aumoinsundesitemsprécédents 22,0 29,0

Source : Enquêtesurlasantéetlaprotectionsociale-IRDES.

Làencore,uneanalysecomplémentaireseraitnécessairepourvoirsilesécartsentrelessexesperdurentlorsquel’onprendencomptelesdifférencesdesituationssocialesetderevenus,quisontdetrèsfortsdéterminantsdurenoncementauxsoins(pourmémoire:13%à37%selonlesquintilesderevenu).

En matière d’utilisation du système de soins, les femmes ont, de nombreuses donnéesd’enquêtelemontrent,unrecoursplusfréquentaumédecin,généralistecommespécialiste:laproportiondefemmesayantuneconsultationdansl’annéeestplusélevéeetlenombremoyende consultations aussi12.

11Quiestlapartiefrançaised’uneenquêteeuropéennecoordonnéeparEurostat,l’EU-Silc(«EuropeanUnionStatisticsonIncomeandLivingConditions»).

12MontautA.Santéetrecoursauxsoinsdesfemmesetdeshommes.Premiersrésultatsdel’enquêteHandicap-Santé2008.ÉtudesetrésultatsN°717-février2010.DREES.

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Celanesignifiepaspourautantqueleursdépensesdesoinssontsystématiquementsupérieures. Au contraire, à l’exception des tranches d’âge correspondant àla maternité, les dépenses totales13 sont supérieures pour les hommes à âgecomparable.Cesontsurtout lesdépensesd’hospitalisationquifont ladifférence,et ceci est sans doute à mettre en rapport avec la fréquence plus élevée demaladiesquigénèrentdessoinshospitaliers(maladiescardiovasculaires,cancers,insuffisancerénalechroniqueterminale,…);pourlessoinsdeville,lesdépensesmoyennes par personne sont légèrement supérieures pour les hommes, maisl’écartestfaible.Lesensdecesécartspeutvarierselonlespostes:lesdépensesde médicaments sont plus élevées chez les hommes ; c’est l’inverse pour lessoinsdegénéralistes,lessoinsdespécialistes,saufauxâgeslesplusélevés(onretrouveentermesdedépensesleconstatd’unrecoursplusfréquent)oulessoinsdemasso-kinésithérapie (Graphique 4).

Graphique 4 - Dépenses moyennes par personne selon l’âge - 2012

13Ils’agitdesdépensesremboursables.

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Source : SNIIRAM-PMSIetrépertoirenationalinter-régimesdesbénéficiaires-traitementsCNAMTSetauteur.

Cependant,lesinégalitésvis-à-visdurecoursauxsoinspeuventdifficilementêtreappréciéessurlabaseduseulconstatdedifférencesdeconsommationmédicale:eneffetcesdifférencesnepeuventêtreinterprétéesqu’auregarddesbesoinsdesoins.Or,onavuprécédemmentquelespathologiesquitouchentplusparticulièrementleshommesoulesfemmesnesontpaslesmêmes(àtitred’exemple,lesfemmessontplussouventatteintesdedépressionet,defait,ellesconsomment80%deplusd’antidépresseursque leshommes,àâgeégal).L’analysedoitdoncêtremenéeenabordantdesproblèmesdesantéspécifiques,cequiexclutunregardexhaustif.

Lesquelquesexemplesci-dessousmontrentquelesinégalitéspeuventjouerdanslesdeuxsens.

Ainsi,danslediabète,unedescomplicationslesplusgravespeutconduireàuneamputation(9000pourleseulrégimegénéralen2014)ouàuneplaiedupiednécessitantunehospitalisation(22000personnes).Cescomplicationstrèsgraves,tantentermesdesurvie(26%dedécèsdouzemoisaprèsuneamputation)qu’en termesdequalitédevie,seconcentrentvers leshommes,quireprésentent69%despersonnesamputéesen2008,73%en2014.Or,onvoitqueceux-cisontmoinsnombreuxquelesfemmesàrecourirauxsoinspodologiques(quiontété inscritsauremboursement ilyaquelquesannéespour lespatientsdiabétiquesrepéréscommeàrisque),alorsqueleurrisqueestplusélevé14.

14Source:Rapportchargesetproduitspourl’année2017.Téléchargeableàl’adressesuivante: http://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/cnamts_rapport_charges_produits_2017.pdf

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Delamêmemanière,parmilespersonnesayantsouffertd’unépisodedépressifen2010,seulslamoitiédeshommesavaienteurecoursàunprofessionneldesanté,unestructuredesoinouàunepsychothérapie,alorsquec’étaitlecaspourdeuxtiers des femmes.Si le recours aux soins pour causededépression s’améliorenettemententre2005et2010,cetteaméliorationestplusmarquéepourlesfemmes(Tableau 5).

Tableau 5 - Personnes ayant souffert d’un épisode dépressif caractérisé dans l’année sans recours à un professionnel de santé, à un organisme ni à une psychothérapie (en pourcentage).

Pas de recours à un professionnel de santé,

à une structure de soin, ni à une psychothérapie

idem + pas de recours aux médicaments psychotropes

2005 2010 2005 2010

Ensemble 63 39 45 32

Sexe

Hommes 67 49 53 39

Femmes 61 33 41 28

Source : Baromètressanté2005et2010,INPES.15

Àl’inverse,denombreuxtravauxmontrentquelesmaladiescardio-vasculaireschezlesfemmes(quisontenfortecroissance,notammentdufaitdel’évolutiondesmodesde vie et des comportements), sont souvent sous-diagnostiquées et moins bientraitées.UnrécentBulletinépidémiologiquehebdomadairesouligneainsi«une prise en charge moins bonne que les hommes : dépistage plus tardif ou incomplet, délai dans l’appel du 15…; insuffisance de prescription des traitements médicamenteux ; procédures de revascularisation plus complexes liées à la constitution même de leurs artères ; recours peu fréquent à la réadaptation après l’accident.»16Ilnes’agitpasd’uneproblématiquespécifiquementfrançaise:leconstatestfaitinternationalement17, notammentpourl’infarctusdumyocarde,d’unedifficultéàdétecterlessymptômes,plus souvent atypiques, de délais de prise en charge plus longs, d’une moindreprobabilitéd’êtreadresséàunspécialisteetd’avoirdesexplorations(coronarographie,angiographie),d’unemoindrefréquencedeprescriptiond’aspirineetdetraitementscontre le cholestérol.

15BeckF.,GuignardR.LadépressionenFrance(2005-2010):prévalence,recoursausoinetsentimentd’informationdelapopulation.Lasantédel’hommen°421-septembre-octobre2012.

16Mounier-VehierC.Éditorial. Santé cardiovasculaire des femmes : il fautœuvrer ensemble pour une préventionféminineindividualisée.BullEpidémiolHebd.2016;(7-8):98-9http://www.invs.sante.fr/beh/2016/7-8/2016_7-8_0.html

17WilkinsD.etal._TheGenderandAccesstoHealthServicesStudy.FinalReport.DepartmentofHealt2008.

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Ceci renvoie évidemment aux stéréotypes que véhicule le système de soins.L’infarctus du myocarde reste vu comme maladie masculine, caractéristique deshommes d’âge moyen stressés au travail, fumeurs, sédentaires et avec un peud’embonpoint.Cesstéréotypescontribuentàlatendanceàunsous-diagnosticetàunsous-traitementchezlesfemmes.Cen’estquerécemmentquedesrecherchesontétédéveloppéespourmieuxcomprendrelamaladieàlafoischezlesfemmesetchezleshommes.

Ces stéréotypes de genre fonctionnent d’ailleurs dans les deux sens.Unenote duComitéd’éthiquedel’INSERMpubliéeen2014pointeparexemplelefaitque« l’exemple en miroir de l’infarctus du myocarde est celui de l’ostéoporose qui est restée sous-diagnostiquée chez les hommes. Jusqu’en 1990, l’ostéoporose était « féminine » car associée à la ménopause et aux traitements hormonaux de substitution. Depuis, la mise en cause de ces traitements dans la prévention de l’ostéoporose chez les femmes a conduit à reconsidérer la pathologie et à établir des scores de densité osseuse pour les hommes au même titre que ceux définis pour les femmes ».

L’expression de la souffrance psychique est également variable selon le genre.AuxÉtats-Unis,unerechercherécenteaconcluque,si l’onestimait la fréquencede ladépressionenrajoutant,auxsymptômestraditionnellementretenus,d’autressymptômes(agressivité,prisederisque,…)quipourraientreleverd’uneexpressionplusfréquentechezleshommes,pourquiadmettreunetristesseouunefaiblesseémotionnelleestvucommesocialementinacceptable,alorslaprévalenceseraitéquivalentechezleshommesetchezlesfemmes18.

Dans tous les exemplesprécédents, on voit lamarquedes représentations sociales sur lerapportàlamaladie,l’expressiondessymptômesetlerecoursauxsoinsdespatients,etenretoursur lesattitudesetpratiquesdesprofessionnels.Ellespeuvent se traduiredansdesinégalitésdansladétectionetlapriseencharge,quipeuventtoucheraussibienlesfemmesqueleshommesselonlescas.

Enconclusion:l’importanced’undéveloppementdesrecherchessurlegenreLes recherchessur les inégalitéssocialesdesantésesontdéveloppéesenFrancedepuisune dizaine d’années, sur l’état de santé des différents groupes sociaux et l’évolution desécartsdansletemps,surl’accèsetlerenoncementauxsoins,etycomprissurlecaractèresocialementdifférenciédesréponsesdusystèmedesoinsetdespratiquesdesprofessionnels.

Enrevanche,contrairementauxpaysanglo-américainseteuropéens,ladimensiondugenreest souventnégligéedansnotrepaysdanslarechercheensantépublique.Cesrecherchesdoiventêtredéveloppées, carnombred’exemples - telsqueceuxcitésplushaut -montrentque lescodessociauxsetraduisent,au-delàdesdifférencesbiologiques,pardesreprésentationsdelamaladie,desexpressionsdessymptômes,desattitudesvis-à-visdelapréventionetsoins,desstéréotypesprofessionnelsquiconstruisentdesinégalitésentreleshommesetlesfemmes.18MartinLisaA,HaroldW.Neighbors,DerekM.Griffith(2013).«TheExperienceofSymptomsofDepressioninMenvsWomen,Analysis

oftheNationalComorbiditySurveyReplication»,JAMAPsychiatry,publishedonlineAugust28,2013.

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Lesopinionsdesfemmesetdeshommessurlespolitiquesdeprotectionsociale:desécartsquidépendentdel’âgeetdelacatégorieprofessionnelle1

Par Adrien PAPUCHON, Responsable du baromètre d’opinion de la DREES, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques

Adrien Papuchon est Responsable du Baromètre d’opinion de la DREES. Docteur en sociologie de Sciences Po Paris, il est l’auteur d’une thèse intitulée « Les transferts intergénérationnels des parents à leurs descendants en Europe : La solidarité comme mécanisme de (re)production des inégalités » et travaille actuellement sur la perception des inégalités et des politiques de protection sociale.

Enraisondespositionsdifférentesquelesfemmesetleshommesoccupentdanslasociétéentermesdeformation,deprofession,derevenuetdetempsconsacréautravaildomestique,ilsbénéficientdefaçondifférentedusystèmedeprotectionsociale(GauthieretHeinen,2003;Périvier,2015).Demultiplesmanières,cederniercontribueàlaconstructiondesrelationsdegenre,uneproblématiquequiémergedanslestravauxdesociologieetdesciencespolitiquesàpartirdumilieudesannées1990(Orloff,1993;McLaughlinetGlendinning,1996…).Pourtant,rares sont les travaux - notamment de langue française - consacrés spécifiquement auxdivergencesd’opinionsurlesystèmedeprotectionsocialeentrelesfemmesetleshommesquepourraitsuscitercettearticulationentrepolitiquessocialesetrapportsdegenre.

L’appréciationportéesurlefonctionnementdusystèmedeprotectionsociale,sursesobjectifsprioritairesetsesperspectivesd’évolutionvarienéanmoinsselonlesexedesindividus.UnepremièreétudebaséesurlesdonnéesduBaromètred’opiniondelaDREES(encadré)montraitparexemplequ’en2014lesfemmessouhaitaientplussouventquedavantagedemoyensysoientconsacrés.Ellesétaientaussiplussouventopposéesqueleshommesauxrestrictionsàl’accèsauxprestationssocialesenparticulierauxretraitesetauxallocationschômage-etplusfavorablesàcequelesoutienàlaconciliationentrevieprivéeetprofessionnelleconstituelaprioritédelapolitiquefamiliale(Papuchon,2016).

Ilnes’agitcependantpasd’enconclurequelesfemmesseraientparessenceplussensiblesausortdesplusdéfavorisésetparconséquentplusfavorablesaudéveloppementdespolitiquessociales.Cesdifférencesd’opinionentrelesfemmesetleshommesnesonteneffetuniformesniaucoursdelavie,niauseindelahiérarchiesociale:ellesculminentaucoursdespremièresphasesde lavieadulteetparmi lesgénérations lesplusâgées,etsontd’intensitévariableselonlacatégoriesocioprofessionnelle.1Je remercievivementFannyMikoletLauraCastellquiont,par leurssuggestionset leurs remarques,grandementcontribuéà la

rédaction de cette étude.

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L’objectifduprésentarticleconsistedoncàapprofondircespremiersrésultatstirésduBaromètre d’opinion de laDREES de 2014, en y intégrant les questions de politiquefamilialeetsurtoutenrevenantdefaçonplusdétailléesurlaconstructionde ces divergences genrées. Pour cela, seront examinés successivement : lesreprésentations du système de protection sociale dans son ensemble (I), lescritèresd’accèsprivilégiéspourdifférents typesdeprestationssociales (II),puisl’appréciationdel’interventionpubliquedanslesdomainesquiaffectentlarépartitiondesactivitésdomestiquesetfamilialesentrelesfemmesetleshommes(III).

I-Unsystèmedeprotectionsocialejugéinsuffisantparlesfemmesaudébutdeleurvieactive,enparticulierchezlescatégoriespopulairesLesfemmessontsystématiquementplusdisposéesqueleshommesàestimerqueles garanties apportées par le système de protection sociale sont insuffisantes.Ellessontaussimoinsfavorablesauxrestrictionsquipourraientlesaffecter.Cettedivergence se vérifie aussi bien au niveau de la quantité d’aide publique reçuepersonnellement que de l’appréciation du niveau de protection assuré par lesystème ou du degré d’intervention de l’État enmatière économique et sociale(figure 1 et tableau 1).

Lesfemmessontaussinombreusesàdemanderunélargissementdel’interventionpublique qu’à juger nécessaires des mesures de restriction (environ une surquatre).Cetéquilibreàl’échelledel’ensembledelapopulationfémininemasquenéanmoinsdesvariationsnotablesenfonctiondel’âgedelapersonneinterrogée.Celles-cisignaleraientdesétapesde laviedesfemmesoù lebesoindesoutienpublicestparticulièrementsensible.

Entre 18 et 29 ans, 28 % des femmes souhaitent une intervention publiqueaccrue tandis que 18 % d’entre elles expriment un avis contraire. La situations’inversechezlesquarantenairesetlescinquantenaires.Enfin,lesdeuxpositionss’équilibrent durablement chez les femmesdeplusde60 ans : elles sont aussi nombreusesàdénonceruninterventionnismeexcessifouinsuffisantdel’Étatenmatièreéconomiqueetsociale.Quantauxhommes,ilssontplusnombreuxàjugerexcessivel’interventiondel’Étatdèslatrentaineetpourtouteslesclassesd’âgesuivantes.

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Figure 1 : L’intervention de l’État en matière économique et sociale

Autre réponse possible:«Cequ’ilfaut».Champ : PersonnesrésidantenFrancemétropolitaine,âgéesde18ansouplus.Source : Baromètred’opinionDREES,2014-2015.

L’ampleurdesdifférencesdegenreconcernant l’appréciationdudegrédeprotectionassuréen général par la sécurité sociale dépend également de la catégorie socioprofessionnelle,qui impliqueun investissement scolaire, des revenus, des carrières et des risques sociauxdifférents (tableau 1) : les femmesouvrièresetemployéessontplusnombreusesque leurshomologuesmasculinsàdénoncerunniveaudeprotection insuffisant (32%contre24%).L’écartestrelativementmoindrechezlescadresetprofessionsintermédiaires(18%chezlesfemmeset14%chezleshommes2).

Tableau 1 : Le niveau de protection sociale garanti par la Sécurité sociale

Système:niveaudeprotectioninsuffisant

Femmes Hommes

18-29ans 29% 20 %

30-39ans 25 % 14 %

40-49ans 26% 22 %

50-59ans 28 % 24 %

60-69ans 25 % 19%

70 ans et + 26% 22 %

Ouvriers-employésCadres-professionsintermédiaires

32 % 18 %

24 % 14 %

Ensemble 27 % 20 %

Question posée :«Diriez-vousquelesaffirmationssuivantess’appliquentausystèmedeSécuritésocialefrançaisoupas?NotresystèmedeSécuritésocialefournitunniveaudeprotectionsuffisant»;cetableauagrègelesréponses«plutôtpasd’accord»et«pasdutoutd’accord».Champ:PersonnesrésidantenFrancemétropolitaine,âgéesde18ansouplus;catégoriesocioprofessionnelle:actifsenemploi.Source:Baromètred’opinionDREES,2014-2015.

2Laproportiond’enquêtésquiconsidèreinsuffisantleniveaudeprotectionsocialetombemêmeà9%parmilescadresetprofessionsintermédiairesmasculinsde30à39ans.

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Tableau 2 : Le niveau d’aide publique reçue, compte tenu de la situation personnelle et du montant des impôts acquittés

Besoindeplusd’aidepublique Aidepubliquereçuesuffisante

Femmes Hommes Femmes Hommes

18-29ans 52 % 42 % 38 % 51 %

30-39ans 52 % 48 % 43 % 46%

40-49ans 48 % 43 % 47 % 49%

50-59ans 46% 41 % 46% 51 %

60-69ans 36% 29% 54 % 59%

70 ans et + 38 % 25 % 51 % 61%

Ouvriers-employés

Cadres-professionsintermédiaires

57 %

37 %

50 %

26%

39%

55 %

44 %

63 %

Ensemble 46 % 37 % 46 % 53 %

Autre modalité de réponse possible:«Nonconcerné»(modalitécachée,nonproposéeexplicitementauxenquêtés).Champ :PersonnesrésidantenFrancemétropolitaine,âgéesde18ansouplus ;catégoriesocioprofessionnelle :actifsenemploi.Source:Baromètred’opinionDREES,2012-2014(questionposéeuniquementlesannéespaires).

Lesdisparitésentrelessexessemblentplusaigüeschezlesplusjeunesàproposdu besoin personnel d’aide publique3 et de l’appréciation du niveau de protectionsocialeassuréparl’ensembledusystème : la différence entre laproportiondefemmesetd’hommesconsidérantquecetteprotectionest insuffisanteculmineauseindesclassesd’âgelesplusjeunes(9à11 pointsdepourcentage)(tableau 1). D’ailleurs, leshommesquidéclarentrecevoirpersonnellementassezdesoutienpublicsont,saufentre30et39 ans,plusnombreuxqueceuxquisouhaiteraientêtreaidésdavantage.Cetteconfigurationnes’observechezlesfemmesqu’au-delàde60 ans.

Cesvariationsmontrentbienquelesnuancesobservéesentrelesprisesdepositiondes femmes et des hommes doivent être rapportées à leur position dans leurparcoursdevie.Ellesdoiventaussil’êtreàleurcatégoriesocioprofessionnelle:cettefois-ci,c’estparmilescadresetprofessionsintermédiairesqueladifférenceentrelaproportiondesfemmesetcellesdeshommesquidemandentunsupplémentde soutienpublicestlaplusimportante,bienquecettedemandedemeurebienmoinsfréquentequechez leurshomologuesdugroupedesouvriersetdesemployés.Eneffet,aumoinsunouvrieretemployésurdeux -hommescomme femmes -estimentqu’ilsdevraientêtreaidésdavantage (tableau 2).Aucoursdelapremièrepartiedeleurvied’adulte(entre18et39ans),lesfemmesexprimentdoncunedemandeaccrued’interventionpubliqueetdeprotectionsociale.Ils’agitprécisémentd’unepériodedelavieoùl’arrivéedesenfantsprovoqueuneforte augmentation du temps consacré à la vie familiale pour les femmes, avecdesrépercussionsimportantessurleursactivitésprofessionnelles(PailhéetSolaz,

3Danslecasdel’évaluationduniveaud’aidepubliquereçue,lesdivergencesd’opinionentrelessexessontégalementimportanteschezlesplusâgés.

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2010).C’estainsiparmilescadresetprofessionsintermédiairesquelesfemmessedistinguentleplusdeleurshomologuesmasculins,avecunmanquedesoutienpublicnettementplusaffirméchezelles,mêmes’il resteen-deçàdeceluiexprimédans lesmilieuxpopulaires.Latensionentreviefamilialeetcarrièreprofessionnellesembleplusvivechezlesclassesmoyennesetsupérieures,dufaitdel’investissementpersonnelrequisetd’unaccèspotentiellementrestreintàdespostesàtempspartiel4.Bienquelerecoursaumarchépour la réalisation de certaines tâches domestiques et familiales leur soit financièrementfacilité,ilneparaîtpasrépondretotalementauxdifficultésrencontrées.Labarrièremonétairejoueenrevancheplusfortementpourlesfemmesetleshommesdesmilieuxpopulairesdontlamajoritésesentinsuffisammentaidéeparlespouvoirspublics.

II-La retraiteet l’accèsauxprestationssociales :desdivergencesd’opinionfocaliséesendébutdevieactiveetchezlesplusde60ansII.1/ Des écarts particulièrement marqués à propos de l’accès à la retraiteSilasituationsocialeparticulièredesfemmesaboutitàuneperceptiondusystèmedeprotectionsociale sensiblementdifférentede celle deshommes,elle devrait également semanifesterdanslafaçondontlesunesetlesautresappréhendentlamiseenœuvreetlesobjectifsdespolitiquesdeprotectionsociale.Parexemple,uneplusforteinterdépendanceduniveaudesprestations reçues avec les cotisations versées pénalise davantage les femmes, en raisonde trajectoiresprofessionnellesplussouventdiscontinuesou interrompuesetdesmultiplesinégalités rencontréessur lemarchéde l’emploi (salaires inférieursà travailetqualificationidentiques, etc.).Au contraire, l’accès aux prestations sans distinction de catégorie socialeoudestatutprofessionnelpeutêtrevucommeplusavantageuxpourellescommepourtousceuxqui,sansfairepartiedelafractionlapluspauvredelapopulation,présententunrisquesupérieurdenepasparveniràdisposerd’unniveaudecotisationssuffisant.

Effectivement,lesfemmessouscriventmoinssouventqueleshommesàl’idéederestreindrelesprestationssocialesauxseulscotisants.Cecontrasteestparticulièrementnetdanslecasdesretraites,undomainedanslequellestrajectoiresprofessionnellesplusdéfavorablesdesfemmesconduisentàdefortesinégalités : lesmontantsmoyensdespensionsdeshommesétaientainsisupérieursde34%àcellesdesfemmesen2013(1 715pourleshommescontre1 284 €brutsparmoispourlesfemmes5).

Si,dansl’ensemble,lesfemmesseprononcentalorsplussouventqueleshommesenfaveurd’une couverture sociale universelle - «accessibleàtoussansdistinction»-,etmoinspoursarestriction aux seuls cotisants6,cesdivergencesentrelessexessontlocaliséesàdeuxpériodesspécifiquesducycledevie :à lanaissancedesenfantsetpendant lesannéesquisuivent,ainsi qu’aumoment de la retraite (figure 2). Parmi les trentenaires, les femmes favorables4Lepassageàtempspartielresteunemodalitémajeurede«conciliation»dutravailfamilialavecl’activitéprofessionnelle,surtoutdans

lesfamillesàunoudeuxenfants(Ulrich,2009).5Montantscorrespondantsàl’avantageprincipaldedroitdirect,dedroitdérivéetàlamajorationpourtroisenfantsbruts(Drees,2015,

p.46).6Ladernièrealternativeprésentéeauxenquêtésproposeden’accordercesprestationsqu’auxpersonneslesplusendifficulté(«ceux

quinepeuventpasoun’ontpaslesmoyensdes’ensortirseuls»).

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à l’universalité sont nettement majoritaires, ce qui traduit vraisemblablementl’appréhensiondenepasparveniràunecarrièrecomplète.Après60 ans,lenombredefemmesquichoisissent l’optionuniversalistediminue,maismoinsrapidementqueceluideshommes:plusdelamoitiéd’entreellesyrestentfavorables,alorsqu’àcetâgeleshommesseprononcentmajoritairementpourunrenforcementdulienentrecontributionetprestation.Cettedernièreopinionsembled’ailleurscontinueràprogresserchez leshommesau-delàde70 ans,alorsqu’ellestagnechez lesfemmes,signeprobabled’uneprisedeconsciencedel’impactdel’applicationduprincipecontributifsurleniveaudelapensionverséepourlescarrièresincomplèteset à bas salaires.

Figure 2 : Les retraites devraient-elles bénéficier uniquement aux cotisants, aux plus modestes ou à tous sans distinction ?

Autre modalité de réponse proposée :«Uniquementàceuxquinepeuventpasoun’ontpaslesmoyensdes’ensortirseuls».Champ:PersonnesrésidantenFrancemétropolitaine,âgéesde18ansouplus.Source :Baromètred’opinionDREES,2014-2015.

II.2/ Des opinions moins clivées pour le risque maladie, mais des différences notables chez les trentenaires et les plus de 70 ansLesopinionsémisesparlesfemmesetparleshommesàproposdel’accèsauxprestationsdel’assurancemaladieouauxallocationsfamilialesvarientégalementenfonctiondeleurâgeoudeleurcatégoriesocioprofessionnelle,quoiquedefaçonmoinsprononcée.Lesécartsdegenrelesplusimportantssesituentauxmêmesâgesquedanslecasdesretraites:lesjeunesadultesd’abord-enparticulierlestrentenaires -pourcequiestdesallocations familiales,et lesplusâgésensuite

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(pourlesdeuxtypesdeprestations).

Entre les deux premières tranches d’âge étudiées, le soutien à l’universalité del’assurance maladieaugmentechezlesfemmescommechezleshommes7,tandisquelapropositiondeciblerlespluspauvresrecule,surtoutparmilesjeuneshommeschezquiellerecueilledansunpremiertempsunsoutiensignificatif(15%des18-29ans)(figure 3)8. Àpartirde laquarantaine, le soutienà l’universalité reste largementmajoritairemais lenombredepartisansduprincipecontributifaugmente.Cettehausses’interromptentre60et69anschezlesfemmes,tandisqu’elles’accélèrechezleshommes.

Concernant les allocations familiales, les disparités d’opinion entre hommes et femmessont trèsmarquées selon la classe d’âge : ces dernières sont nettementmoins favorablesàunerestrictionauxseulscotisantsentre30et39ans,puisàpartirde70ans.Attribuerlesprestationsuniquementauxpluspauvresestenrevancheuneopinionpluspopulairedanslecasdesallocationsfamilialesquepourlesautres,quelquesoitlesexe:cetteoptionestrepriseparunepersonnesurtrois,contreunepersonnesurhuitdanslecasdesallocationschômage,etmoinsdeunesurdixpourlaretraiteoulacouverturemaladie.

Figure 3 : L’assurance maladie devrait-elle bénéficier uniquement aux cotisants, aux plus modestes ou à tous sans distinction ?

Champ:PersonnesrésidantenFrancemétropolitaine,âgéesde18ansouplus.Source:Baromètred’opinionDREES,2014-2015.

Dupointdevuede lapositionsocioprofessionnelle, lescadresetprofessions intermédiairesprennentplussouventpositionpourunaccès«sansdistinctiondecatégorie»auxprestationsmaladie,retraite,etauxallocationsfamiliales,quelquesoitlegenre.Enconséquence,onvoitémerger deuxpôles, constituéspar les femmesdes catégoriesmoyenneset supérieureset

7Encequiconcerneleshommes,cettevariationrestetoutefoisinférieureàlamarged’erreur.8Lesdeuxtiersdesjeuneshommesquioptentpourcetteréponsesontauchômage,enCDDouenintérim.

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par les hommes des catégories populaires : les femmes cadres et professionsintermédiairessedistinguentnettementdesouvriersetemployésmasculinsàproposdescritèresd’accèsauxprestationssociales9(assurancemaladieuniverselle:81%et70% respectivement ; retraitesuniverselles : 60%contre 52% ;allocationsfamilialesuniverselles:47%contre42%;allocationschômageuniverselles:42%contre36%).

Cesdifférencesd’opinion,qu’ellesportentsurlesystèmedeSécuritésocialedanssonensembleousurlescritèresd’accèsàlacouvertureassuréeparsesdiversesbranches, reflètent sans doute la pression accrue qui s’exerce sur les femmeslorsque se cumulent travail rémunéré et augmentation des tâches domestiquesliéesàlasurvenuedesenfants,lesécartsplusfortsparmiles30-39ansqueles18-29anss’expliquantparlefaitquelestrentenairessontplussouventmèresetenemploiqueleurscadettes.Ellesmettentenévidenceégalement un besoin d’aide publiqueexpriméplusfortementdanslescatégoriespopulaires(enemploi),quisedoubled’unecraintepourlapérennitédusystèmedeprotectionsocialequiconduitunnombrecroissantdepersonnesàs’exprimerenfaveurd’une restriction de ses bénéficesàsesseulscotisants(Grislain-LetrémyetPapuchon,2017).

III-Lacontradictionentreviesprofessionnelleetfamiliale:pour les femmes, un problème insuffisamment pris encompteparlespouvoirspublicsLorsqu’elle touche la répartition des activités familiales entre les femmes et leshommes,lapolitiquefamilialesuscitedesopinionspluscontrastéesencoreselonle sexe de la personne interrogée. Elle peut influer de bien des manières surcettedivisiondutravail:prestationsmonétaires(incitationsfinancièresàlagarded’enfant),dispositionsréglementaires(congésparentauxdontladuréedépenddusexe)(PailhéetSolaz,2006)…10

Silarépartitiondestâchesprofessionnellesetdomestiquesdansl’emploidutempsdesfemmesetdeshommess’estrapprochéeaucoursdesdernièresdécennies,c’estbiendavantagegrâceàlahaussedutempsquelesfemmesconsacrentautravailrémunéréquegrâceàl’augmentationdutempsdetravaildomestiquedes9Enrevanche,lescadresetPIestimantplussouventquelesouvriersetemployésquel’Étatesttropinterventionniste

ouconsacre tropderessourcesà laprotectionsociale, leclivageprincipalquantà l’appréciationdusystèmedesécurité sociale en général oppose plutôt les hommes des classesmoyennes et supérieures aux ouvrières etauxemployées.L’analysedecequiapparaitcommeuneincohérencedesopinionsdescatégoriesmoyennesetsupérieuresentre la revendicationd’unÉtatmoins interventionnisteetdépensieretd’uneprotectionsocialeplusuniverselledépassemalheureusementlecadredecetarticle.

10L’effetdecetypedemesurepeutdifférersuivantlecontextedanslequelellesedéploieetlacatégoriesocialeàlaquelleelles’applique.Descongésparentauxdelongueduréepour lesfemmes,dansunesituationdepénurieoudefaiblequalitédesautresmodalitésd’accueil,pourraientinciterlesménagesendessousd’uncertainseuilderevenuàconfierauxfemmeslapriseenchargedujeuneenfant.Ilestvraique,dansuntelcontexte,descongésparentauxdecourteduréepousseraientprobablementcesfemmesàseretirerformellementdumarchédutravail.Uneréformeappliquéeàpartirde2015enFranceviseàinciteràlaprisepartagéeducongéparental(Prestationpartagéed’éducationdel’enfant-PreParE),enconditionnantl’octroideladernièrepériodedelaPreParEàlapriseducongéparles deux parents.

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hommes (Ricroch, 2012). Les difficultés posées par ces changements poussentsans doute les femmes à réclamer que l’aide aux familles monoparentales et àla conciliation des vies familiale et professionnelle devienne la priorité de la politiquefamiliale(tableaux 3 et 4).

Chezleshommes,l’aideaulogementdesfamillesetlesoutienàlanatalitésontplussouventdésignéscommelesobjectifsàfixerenpriorité(32%et8%,respectivement,contre29%et4%chezlesfemmes).Siladernièreoptionproposée-rapprocherlesniveauxdevie-estégalementtrèslégèrementplusfréquentechezleshommes(10%contre8%),c’estplutôtsararetéquiattirel’attention:toutcommel’objectifnataliste,laréductiondesécartsdeniveaude vie entre les familles avec et sans enfant est repoussée loin derrière les problèmesdecontradictionsentrevieprofessionnelleetviefamiliale,lesproblèmesdelogementoumêmelesdifficultésd’insertiondesjeunesadultes.

Tableau 3 : Quel devrait être l’objectif prioritaire de la politique familiale ?

Conciliationviefamiliale-vieprofessionnelle

Autonomiedesjeunesadultes

Femmes Hommes Femmes Hommes

18-29ans 36% 25 % 16% 27 %

30-39ans 48 % 32 % 12 % 14 %

40-49ans 44 % 34 % 17 % 15 %

50-59ans 41 % 31 % 19% 20 %

60-69ans 42 % 31 % 17 % 15 %

70 ans et + 32 % 31 % 21 % 16%

Ouvriers-employés

Cadres-professionsintermédiaires

41 %

51 %

28 %

36%

17 %

12 %

18 %

16%

Ensemble 41 % 31 % 17 % 18 %

Autres modalités de réponse proposées :«Soutenirlanatalité»/«Rapprocherlesniveauxdeviedesfamillesavecenfantsdesfamillessansenfant»/«Permettreauxfamillesdemieuxseloger».Champ:PersonnesrésidantenFrancemétropolitaine,âgéesde18ansouplus;catégoriesocioprofessionnelle:actifsenemploi.Source:Baromètred’opinionDREES,2014-2015.

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Tableau 4 : Quelles familles devraient être aidées en priorité ?

Famillesnombreuses Couplesbiactifsavecjeune(s) enfant(s)

Famillesmonoparentales

Revenuslesplusmodestes

Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes

18-29ans 9% 11 % 11 % 13 % 32 % 25 % 37 % 35 %

30-39ans 10 % 14 % 13 % 14 % 28 % 25 % 40 % 40 %

40-49ans 7 % 11 % 9% 14 % 25 % 21 % 46% 41 %

50-59ans 6% 10 % 8 % 11 % 23 % 16% 48 % 47 %

60-69ans 8 % 9% 11 % 9% 20 % 17 % 46% 53 %

70 ans et + 11 % 11 % 9% 13 % 22 % 14 % 44 % 48 %

Ouvriers - employés

Cadres - professionsintermédiaires

7 %

3 %

7 %

5 %

13 %

14 %

14 %

16%

24 %

27 %

18 %

18 %

45 %

42 %

41 %

46%

Ensemble 9 % 10 % 10 % 12 % 25 % 20 % 43 % 44 %

Autres modalités de réponse proposées:«Lesfamillesquiontdesenfantsdeplusde20ansencoreàcharge»/«Lesjeunesparentsdèslepremierenfant».Champ :PersonnesrésidantenFrancemétropolitaine,âgéesde18ansouplus ;catégoriesocioprofessionnelle :actifsenemploi.Source :Baromètred’opinionDREES,2012-2014(questionposéeuniquementlesannéespaires).

La sensibilitéauxproblèmesposéspar la conciliationentreactivités familialeetprofessionnelleestsurtout fortechez lescatégoriesmoyennesetsupérieuresetchezlesfemmesd’âgeactif,avecunpicentre30et39ans(tableau 3)11. C’est aussi danscettetranched’âgequel’écartmaximalentrefemmesethommesestatteintconcernant l’appréciationde laduréeducongématernité :avant40ans, lapartdeshommesconsidérant lecongématernitétropcourtest inférieurde18pointsàcelledesfemmes(tableau 5).Lesfemmescadresetprofessionsintermédiairessont,quantàelles,bienplussouventfavorablesàl’allongementducongépaternitéqueleurscollèguesmasculinsetquelescatégoriespopulaires.Maisleshommesouvriersetemployéssedistinguentparunsoutienbienplusappuyéà l’idéedelerendreobligatoire,témoignantainsique,pourcettecatégoriesociale,uneplusfaible implication des hommes dans la prise en charge des enfants peut aussis’expliquerenpartieparladifficultéàfairevaloircetypededroit.

11Lesjeuneshommes,quantàeux,seprononcentbienplussouventquelamoyennepourquelaprioritédelapolitiquefamilialesoitplacéesurl’autonomiedesjeunes,aupointquecetteréponseobtienneunscorecomparableàceluidel’aideàlaconciliationentreviefamilialeetvieprofessionnelle.

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Tableau 5 : Les congés parentaux et l’aménagement du temps de travail

Lescongésmaternitésonttropcourts

Ilfautallongerladuréedescongéspaternité

Ilfautrendrelecongépaternitéobligatoire

L’aménagementdutempsdetravaildoitplusconcernerlesfemmes

Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes

18-29ans 44 % 26% 64% 53 % 30 % 31 % 34 % 31 %

30-39ans 51 % 33 % 53 % 46% 29% 30 % 38 % 34 %

40-49ans 37 % 27 % 30 % 28 % 23 % 32 % 36% 37 %

50-59ans 29% 25 % 26% 23 % 23 % 23 % 38 % 41 %

60-69ans 24 % 17 % 20 % 12 % 25 % 22 % 41 % 49%

70 ans et + 20 % 14 % 10 % 6% 24 % 13 % 54 % 64%

Ouvriers-employés

Cadres-professionsintermédiaires

35 %

37 %

25 %

21 %

37 %

49%

37 %

36%

25 %

26%

35 %

26%

38 %

26%

38 %

26%

Ensemble 30 % 24 % 36 % 28 % 26 % 25 % 39 % 42 %

Champ:PersonnesrésidantenFrancemétropolitaine,âgéesde18ansouplus;catégoriesocioprofessionnelle:actifsenemploi.Source :Baromètred’opinionDREES,2012-2014(questionsposéesuniquementlesannéespaires).

Lesfemmes,àl’âgedelaretraite,semblentmoinssensiblesauxproblématiquesdeconciliationentreviesprofessionnelleetfamiliale:chezles70ansetplus,ellesnesontpasplusnombreusesque les hommes à proposer cet objectif pour définir la priorité de la politique familiale(tableau 3).Parailleurs,quelquesoitlesexe,lesplusâgéssontbienmoinsnombreuxquelesautresàconsidérerquelescongésmaternitésonttropcourts,etsouhaitentaucontrairebienplussouventlaréductionducongépaternité,ens’opposant,deplusenpluschezleshommesâgés,àcequ’ildevienneobligatoire(tableau 5).Laproportiondeceuxquipensentque lesaménagementsdetempsdetravaildoiventconcernerdavantagelesfemmesqueleshommesaugmenteaussitrèsnettementavecl’âge,pouratteindre,chezles70ansetplus,54%desfemmeset64%deshommes.

L’explicationprobable de ces résultats reposeà la fois sur des raisonsgénérationnelles etliéesaucycledevie:nonseulementlesproblèmesposésparlaparentalités’éloignentdansletemps,maisl’adhésionauxstéréotypesdegenreetàladivisionsexuéedutravailapparaîtaussinettementplusélevéeauseindesgénérationslesplusâgées.L’analysedetroisenquêtesrécentesabordantlesreprésentationsdesrôlessociauxrespectifsdesfemmesetdeshommesmontre eneffet que le soutienà la division sexuéedu travail est nettement plus importantchezles70ansetplus-voireparmilesplusde60ansengénéral-etenparticulierchezleshommes, les catégories justement lesmoins convaincues de la nécessité de l’interventionpubliquedanscedomaine(Papuchon,2017).

* * *

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Enmatièredeprotectionsociale,lesdifférencesd’opinionentrefemmesethommesdépendentdoncdeleurpositiondanslecycledevie,danslahiérarchiesocialeoudelagénérationàlaquelleilsappartiennent.

Globalement, entre 30-39 ans et après 60 ans, les femmes se prononcent ainsiplussouventque leshommesen faveurd’unecouverturesocialeplusétendueets’opposentplusfréquemmentàuneréductionduchampdel’interventionpublique(I).Ellesrepoussentdavantagequeleshommesleprinciped’unplusgrandciblagedesprestationssociales,surtouts’ils’agitd’enrapprocherleniveauoud’enconditionnerl’éligibilitéaumontantdescotisationseffectivementversées(II).À latrentaineetaudébutdeleurvieadulte,ellessontaussiplussensiblesauxdifficultésposéesparl’interactionentrelessphèresfamilialesetprofessionnelles(III),cequirenvoiedirectementaupoidsengendréparl’inégalerépartitiondanslecoupledesactivitésdomestiquesetfamiliales.Lescontraintesquidécoulentdecettedivisionsexuéedutravailetdel’augmentationdestâchesfamilialesàl’arrivéedesenfantsmettentenévidenceunâgedelavieoùundéficitdesoutienpublicsefaitparticulièrementsentirchezlesfemmes.Socialiséesàunedivisiondutravailentrelessexesplustraditionnelle,lesgénérationslesplusanciennessontcependantmoinsenclinesàvoirl’Étatintervenirdanslarépartitiondestâchesentrelesfemmesetleshommes.

La catégorie sociale, même envisagée simplement au travers de la dichotomiecadres-professions intermédiaires/ouvriers-employés, influe aussi sur lesdivergencesd’opinionentrefemmesethommesendéterminantlescirconstancesmatériellesdanslesquellesellesseformentainsiquelestrajectoiresdanslesquellesse projettent les individus. Les femmes des catégories populaires - comme leshommes-réclamentdavantagedesoutiende lapartdespouvoirspublics,maisc’estaussiplussouvent lecasdesfemmescadresetprofessions intermédiairescomparéesà leurshomologuesmasculins.Auseindescatégoriesmoyennesetsupérieures,lesdifférencesentrefemmesethommesquantausouhaitd’uneplusgrande intervention publique dans le domaine de la conciliation entre activitésfamiliale et professionnelle sont d’ailleurs particulièrement importantes. Parmilesouvriersetemployés,cesontà l’inverse leshommesquisontplusnombreuxque leurscollègues femmesàconsidérerque lecongépaternitédevraitdevenirobligatoire. Les hommes des catégories populaires pourraient éprouver desdifficultésàfairevaloirleurdroitencedomaine,cequicontribueraitàfreinerleurinvestissementdanslasphèrefamilialeà la naissance de leurs enfants.

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Encadré1-Donnéesmobilisées

Le Baromètre d’opinion de la DREESLeBaromètred’opiniondelaDREESestuneenquêtedesuividel’opinionsurlasanté,lesinégalitésetlaprotectionsociale.CommandéeparlaDREEStouslesansdepuis2000(saufen2003),elleestréaliséeparl’institutBVAdepuis2004,aprèsl’avoirétéparl’IFOPde2000à2002.Depuis2014,desthèmessontapprofondisuneannéesurdeux:parexemple,la politique familiale les annéespaires et la protection sociale les années impaires.Afind’obtenirdeseffectifssuffisantspourl’analysedesréponsesenfonctiondusexeetdelaclassed’âgeoudelapositionsocialedesrépondants,lesrésultatsdesvagues2014-2015ontétéutiliséeslorsquec’étaitpossible,2013et2015lecaséchéant.

La constitution de l’échantillonLacollectedesdonnéesdonnelieuchaqueannéeàenviron3 000 entretiens en face-à-face (4 000pour les vaguesantérieuresà2014). L’échantillon, représentatif de la populationâgéede18 ansouplushabitantenFrancemétropolitaine,estconstruitselonlaméthodedesquotas(parsexe,âge,professiondelapersonnederéférence),aprèsstratificationparrégionetcatégoried’agglomération.

Quelques précautions d’interprétation des enquêtes d’opinion Les réponsesàuneenquêted’opinion sont sensiblesà la formulationdesquestionsouà leur placedans le questionnaire.Elles permettent néanmoins des comparaisonsdansle tempsetentrecatégoriesdepopulation,maisdesdifférences trop faiblespeuventnerefléterquedes imperfectionsdemesure,enparticulier lorsque lesanalysesportentsurdescatégoriestrèsminoritairesdanslapopulation.Saufindicationcontraire,lesdifférencescitéesdanslecorpsdecetteétudesontsignificativesauseuilde90 %.

BibliographieDrees, « Les retraites et les retraités - Edition 2015 »,Collectionétudesetstatistiques,2015.

Gautier A. et J. Heinen (dir.), « Le sexe des politiques sociales »,Paris,Côté-femmes,2003.

Grislain-Letrémy C. et A. Papuchon, « La diminution du soutien aux transferts universels en France : les conceptions du système de protection sociale ébranlées par la crise de 2008 ? », Revuefrançaisedesaffairessociales,àparaître.

McLaughlin E. et C. Glendinning, « Paying for Care in Europe: Is There a Feminist Approach? » in Hantrais L. et S. P. Mangen, (dir.), « Family Policy and the Welfare of Women », Loughborough,UniversityofLoughborough,1996.

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Orloff A. S., « Gender and the Social Rights of Citizenship: The Comparative Analysis of Gender Relations and Welfare States »,AmericanSociologicalReview,vol.58,n°3,1993.

Pailhé A. et A. Solaz, « Vie professionnelle et naissance : la charge de la conciliation repose essentiellement sur les femmes »,PopulationetSociétés,n°426,2006.

Pailhé A. et A. Solaz, « Concilier, organiser, renoncer : quel genre d’arrangements ? », Travail,genreetsociétés n°24vol.2,2010.

Papuchon A., « Davantage de moyens et un modèle plus solidaire », Cahiers de santépubliqueetdeprotectionsociale,n°20,2016.

Papuchon A., « Rôles sociaux des femmes et des hommes : la persistance des stéréotypes de genre »,Femmesethommes-Regardssur l’égalité - InseeRéférence,àparaître(2017).

Périvier H., « Une lecture genrée de la Sécurité sociale, soixante-dix ans après sa fondation : quel bilan pour légalité des femmes et des hommes ? »,Informationssociales, n°189,vol.3,2015.

Ricroch L., « En 25 ans, moins de tâches domestiques pour les femmes, l’écart de situation avec les hommes se réduit »,Femmesethommes-Regardssurlaparité - InseeRéférences-édition2012,2012.

Ulrich V., « Logiques d’emploi à temps partiel et trajectoires professionnelles des femmes » inPailhéA.etA.Solaz(dir.),«Entrefamilleettravail,desarrangementsdecouplesauxpratiquesdesemployeurs»,Paris,LaDécouverte,2009.

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L’interventionduDéfenseurdesdroitsenmatièredeprotectionsocialedesfemmesPar Vanessa LECONTE, Cheffe du pôle Protection sociale et solidarité du Défenseur des droits

Titulaire d’un troisième cycle juridique, Vanessa LECONTE a été nommée responsable du département réglementation nationale de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) en 2001. Elle est détachée depuis 2014 au sein du Défenseur des droits en charge du pôle Protection sociale et solidarité.

LeDéfenseurdesdroitsestuneautoritéindépendantederangconstitutionnel,consacréeparla loiorganiquen° 2011-333du29mars2011.Ilestchargédeveilleraurespectdesdroitset libertés dans les relations avec les autorités et services de l’État,del’intérêtsupérieurdesdroitsde l’enfantetdeveillerau respectde ladéontologiepar lespersonnesexerçantdesactivitésdesécuritésurleterritoiredelaRépublique.IlestenfinchargédeluttercontrelesdiscriminationsprohibéesparlaloiouparunengagementinternationalrégulièrementratifiéouapprouvéparlaFrance.

L’institutioncompte230 agentset450déléguésbénévolesrépartissurl’ensembleduterritoire.Sasaisineestgratuite.

LescompétencesduDéfenseurdesdroitssedéclinentautourdedeuxmissions,laprotectiondesdroitspar le traitementdesréclamations individuelles,et lapromotionde l’égalitéetdel’accèsauxdroits.Àcetitre,l’institutionconcourtnotammentàl’évolutiondudroitenformulantdesavissurlesprojetsetpropositionsdeloiquirelèventdesacompétence,despropositionsderéformesetenrédigeantdesrapportsthématiques.

La question de la non-discrimination à l’égard des femmes est au cœur de l’activité duDéfenseurdesdroits.IlesteneffetpourlaFrancel’organismechargédepromouvoirl’égalitédetraitementprévuparlesdirectiveseuropéennesenmatièredeluttecontrelesdiscriminations,enparticulierliéesausexe.

Lescritèresdediscrimination interditspar la loi,quesontnotamment lagrossesse, lesexeetlasituationdefamille,constituentletroisièmemotifdesaisineduDéfenseurdesdroitsenmatièredediscriminations,soit13,6 % sur un total de 4 846saisinesen2015.Lesdécisionsdel’institutionsurlesujetsontrégulièrementportéesàl’examenduCollègeconsacréàlaluttecontre lesdiscriminations,et font l’objetd’échangesavec lesmembresde lasociétécivile,notamment,danslecadred’uncomitéd’entente«Égalitéfemmes-hommes».

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Malgré le renforcement récent des politiques publiques et la multiplication desactions menées, les inégalités et les discriminations qui touchent les femmesdemeurentimportantes.Lamobilisationpourdéfendrelesdroitsdesfemmesrestedonc d’actualité.

Danslechampdelaprotectionsociale(quiconstitue40%desmotifsderéclamationsreçues pas l’Institution), leDéfenseur des droits agit pour rétablir les droits desfemmesquandceux-cisontméconnus(I).Ilapporteégalementsonexpertiseenvuedepromouvoirl’égalitéfemmes/hommes(II).

I-Agir pour rétablir les droits des femmes enmatière deprotectionsocialeI-1/ Des interventions décisives dans le cadre de réclamations individuellesDanslecadredesréclamationsdontilestsaisi,leDéfenseurdesdroitspeutprocéderàunemédiation,unerecommandationindividuelleougénérale,unepropositionderéformeoudesobservationsdevant lestribunaux.Sesobservationssontsuiviesàplusde60%.LorsqueleDéfenseurdesdroitsestimequelaréclamationquiluiestsoumiseestsusceptiblederévéleruneatteinteàundroit,sesmédiationssontréussiesàplusde80%.

Enapplicationdel’article 4delaloiorganiqueprécitée,leDéfenseurdesdroitsestchargédedéfendrelesdroitsetlibertésdesusagers[…]desétablissementspublicsetdesorganismesinvestisd’unemissiondeservicepublic(telslesorganismesdeprotectionsociale).

C’estdanscecontextequeleDéfenseurdesdroitsanotammenteuàconnaîtredesdifficultésdefemmesàbénéficierdeleurdroitàindemnitésjournalières(IJ)danslecadredeleurcongédematernité.

a-Séjouràl’étrangeretindemnitésjournalièresmaternité

LeDéfenseurdesdroitsaainsiétésaisideplusieursréclamationsdefemmessevoyant notifier des indusd’IJmaternitéaumotif que cesdernièresont séjournéà l’étranger auprès de leur famille pendant une partie de leur congé maternitépostnatal.

Considérantque lescaissesprimairesd’assurancemaladie (CPAM)concernéesopéraientunelectureerronéedelalégislationapplicable,leDéfenseurdesdroitsadécidéd’intervenirdanslesréclamationsquiluiontététransmises.

Illustration (dossiern°12-008885)MadameX,denationalitéfrançaise,aaccouchédesontroisièmeenfantle1er avril 2010.

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Du29janvierau17août2010,elleabénéficiéducongédematernitéde26 semaines,accordéauxmèresdetroisenfants.Lorsdelapériodederepospostnatal,enjuilletetaoût2010,l’intéresséeaséjournéenTunisieafindeprésenterl’enfantàsabelle-famille.

Enseptembre2011,laCPAMluiademandéderembourserlasommede2 001,46 € au titre desindemnitésjournalièresdematernitéserviesdu3 juillet au 17 août2010,enseprévalantde l’article L. 332-3 du code de la sécurité sociale (CSS).

L’examendece litigearévéléunedifficultésérieuse, tantdans l’applicationquiest faiteduprincipedeterritorialitéqu’auregarddudroitdeladiscrimination.

Enpremier lieu, l’interprétation faite par l’organismede l’article L. 332-3CSS, apparaissaitinappropriéeaucasd’espèce.Eneffet, il ressortdu texteprécitéque :«sous réservedesconventionsetdes règlements internationauxetde l’articleL.766-1, lorsque lessoinssontdispenséshorsdeFranceauxassurésetàleursayantsdroit,lesprestationscorrespondantesdesassurancesmaladieetmaterniténesontpasservies».

Sileversement,voirelemaintiend’indemnitésjournalièresdemaladie,peutêtreremisencauselorsd’uncontrôledumédecinconseil,leservicedesprestationsenespècesdematernitéest,lui,déterminé,defaçonpréétablieetrésulteexclusivementdesarticlesL.331-3etL. 331-4 du CSS.

Ainsi, lors de son congé, la mère bénéficie, pour une période prédéfinie, d’un revenu desubstitution, dont le droit lui est ouvert notamment en considération d’une duréeminimaled’immatriculation et d’activité antérieure. L’assurée n’est, en revanche, soumise à aucuncontrôle particulier. En effet, hormis les visites prénatales et celle de suivi postnatal, lesaffiliéesnesontpassoumisesàunequelconqueobligationdesoinsetdisposent,commeellesl’entendent,delapériodedereposmiseàleurdisposition.

Eneffet,au-delàdelapériodederécupérationphysiologique,lecongédematernitéestdestinéà permettre l’établissement du lienmère-enfant et, plus largement, à favoriser l’accueil dunouveau-nédanssa famille.En l’espèce,MadameXadoncpu légitimementenvisagerdeprésentersonfilsàsesbeaux-parentsenTunisie.Audemeurant,ilapparaîtquel’applicationstricte du principe de territorialité est sujette à caution, dès lors qu’aucun soin n’était plusprodiguéàMadameX.

Parailleurs,unetelleapplication,indifférenciée,del’articleL.332-3CSStantauxassuréssetrouvantencongésdemaladiequ’auxfemmeslorsdelapériodedematernité,pourraitêtreconsidéréecommeayantuncaractèrediscriminatoire,denatureàlésercertainesassurées,selonleursoriginesetsituationspersonnelles.

En effet, l’article 14de laConventioneuropéennedesdroitsde l’homme(CEDH)prohibe toutediscriminationdanslecadredesdroitsreconnusparlaConvention.

L’article 1er du Protocolen°1delaCEDHdisposeque:«Toutepersonnephysiqueoumoralea

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droitaurespectdesesbiens.Nulnepeutêtreprivédesapropriétéquepourcaused’utilitépubliqueetdanslesconditionsprévuesparlaloietlesprincipesgénérauxdudroitinternational[...]».

Leprincipedenon-discriminationconcernantlebénéficedesprestationssocialesaétédégagéparlajurisprudencedelaCourencombinantlesdeuxdispositionsprécitées.Ainsi,lesprestationssociales,notammentcellesdenaturecontributive,constituentdesdroitspatrimoniauxausensdel’article1erduprotocolen°1.

SelonunejurisprudenceconstantedelaCEDH,ladiscriminationconsisteàtraiterdemanièredifférentedespersonnesplacéesdansdessituationscomparables.Or,ilestmanifestequ’uneaffiliéedurégimegénéraldessalariés,résidantettravaillantenFrancesetrouvedansunesituationcomparableauxautresassurées,etquelerevenudesubstitutionserviluiestmanifestementnécessairepoursubvenirauxbesoins de sa famille. En conséquence, seules des considérations impérieusespourraient justifier une inégalité de traitement et son exclusion du bénéfice desindemnitésjournalières.

Or,ilapparaîtquelerefusopposéauseulmotifquel’intéresséeatemporairementquitté le territoire national, de surcroît pour visiter ses beaux-parents d’origineétrangère, excède les limitations, raisonnables et objectives, nécessaires aucontrôleduversementdesditesprestations.

Parailleurs,laCoureuropéenneaestiméqu’àdéfautdereposersurune«justificationobjective et raisonnable », pouvait être considérée comme discriminatoire « unepolitiqueouunemesuregénéralequiavaitdeseffetspréjudiciablesdisproportionnéssur un groupe de personnes, mêmes si elle ne visait pas spécifiquement cegroupe»1.

Enl’espèce,l’applicationduprincipedeterritorialité,telqu’énoncéàl’articleL.332-3 CSS,constitueunemesureapparemmentneutre,quiportepréjudice,pourtant,engrandemajorité,auxfemmesdontl’origine,voirelasituationdefamille,manifesteunlienparticulieravecunpaystiers.Sonapplicationpeut,desurcroîtetenl’espèce,caractériseruneatteinteàlavieprivéeetfamilialedesassurées,dontledroitestégalementgarantiparlaCEDH.

Enconsidérationdel’ensembledeceséléments,ilapparaissaitquelerefusopposéau seul motif que l’intéressée avait temporairement quitté le territoire nationalexcédait les limitations, raisonnables et objectives, nécessaires au contrôle duversementdesditesprestations.

LeDéfenseurdesdroitsadèslorsdemandéàl’organismedereconsidérerfavorablementlasituationdeMadameXetdeluiaccorderuneremisetotaledel’indunotifié.

1NotammentGCORSUSetautrescontreCroatie,16mars2010.

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Enparallèledecetteintervention,leDéfenseurdesdroitsaégalementfaitpartdesapositionàlaDirectiondelasécuritésocialequi,dansuncourrierendatedu10 février 2016,apartagésonanalyseenprécisantque« les obligations de contrôles relatives aux indemnités journalières maladie (…) n’ont pas vocation à s’appliquer s’agissant d’un congé maternité ».

Enconséquence,elleaestiméqueleprincipedeterritorialitédel’assurancemaladien’avaitpasvocationàs’appliqueràuncongématernitéetquel’assuréedevaitconserverlebénéficedesesindemnitésjournalièresmaternitépourlapériodeconcernéeparsonséjouràl’étranger.

Suiteàl’interventionduDéfenseurdesdroits,MadameXaobtenulerétablissementdesesdroitsàIJmaternité.

Pour autant, il est important de noter que la situation n’est pas réglée, certaines CPAMmaintenantleurpositionderefusdepaiementdesIJmaternitédansdetelleshypothèses.LeDéfenseurdesdroits,danscecontexte,continued’intervenirdansleslitigesindividuelsquiluisontsoumisetdevraitprochainementprendreunedécisionafinquecesdifficultésprennentfin.

b-Congéparentald’éducationetindemnitésjournalièresmaternité

Les réclamations reçues par le Défenseur des droits lui ont également permis d’identifierque lessituationsd’articulationentre IJmaternitéetcongéparentald’éducationétaientmalappréhendéesparlesorganismesdesécuritésociale.

Le Défenseur des droits a ainsi été saisi suiteàdes refusdeversementd’IJau titrede lamaternitéfaisantsuiteàuncongéparentald’éducation(dossiersn°14-008903et14-004373).

Eneffet,alorsquelesassuréesconcernéesbénéficiaientdececongéàlasuited’unepremièrenaissance,cesdernièresontétédenouveauenceintes.

Ellesontaussitôtinforméleursemployeursqu’ellesmettaientfinaucongéparentald’éducationen vue de bénéficier des dispositions relatives au congématernité, ce dernier étant censédébuter dès six semaines avant la date présumée de l’accouchement. Leurs employeursrespectifsontacceptécettemodificationdutermeducongéparental.

Danslemêmetemps,lesassuréesontdéclaréleurgrossesseàlaCPAMafindepercevoirlesprestationsenespècesliéesàlamaternité.Toutefois,lesassuréessesontheurtéesàunrefusdeversementd’IJpourlesmotifssuivants:

certaines CPAM rejetaient la demande d’indemnités journalières considérant quel’assuréeauraitdû reprendresonactivité,aumoinsun jour,à l’issuedesoncongéparentald’éducationavantdebasculerencongématernité;

certaines CPAM rejetaient quant à elles la demande d’indemnités journalièresconsidérantquel’assuréenepouvaitmettrefinàsoncongéparentalendehorsdescaslimitativementprévusàl’articleL.1225-52ducodedutravail(CT).

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Il est apparuauDéfenseur desdroits que les caisses s’étaient appuyées sur uneinstruction diffusée par la caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS - LeDidacticiel-InfosCPEdu6mai2013).

Or, celle-ci semblait reposer sur une lecture erronée des textes, et avait pourconséquence,denierledroitsupérieurdetoutefemmeàbénéficierdesesdroitsàcongématernité.

Eneffet,enpremierlieu,l’argumentselonlequellasalariéenepeutpasécourtersoncongéparentald’éducationcontrevientauxdispositionsducodedutravailrelativesauditdispositifetprévuesauxarticlesL.1225-47etsuivants,etenparticulier,àl’article L. 1225-52.

Ce dernier prévoit limitativement les situations dans lesquelles la salariée peutreprendresonactivitéinitialeavantletermeducongéparentald’éducation,sansquesonemployeurpuisse luiopposerun refus :« En cas de décès de l’enfant ou de diminution importante des ressources du foyer ». L’employeurquirefuseraitleretourdelasalariée,danscesdeuxsituations,engageraitsaresponsabilité.Ilconvientd’insistersurlefaitquecetarticlenevisequelescasderepriseanticipéedutravailparlasalariéequel’employeurnepeutrefuser.

Cetarticleneprévoitnullementquelafinducongéparentald’éducationnepuisseêtremodifiéequedansdeuxhypothèses,contrairementàcequiétaitindiquédansl’instruction de la CNAMTS.

Decetteanalyse,ilapparaîtqueletermeducongéparentald’éducationpeutêtremodifié et anticipé sur la base d’éléments légitimes, dès lors que la salariée aobtenul’accorddesonemployeur.

En second lieu, les organismes d’assurance maladie sont tenus de tirer lesconséquences de la modification des dates du congé parental et de fixer, enconséquence,ledébutducongédematernitésixsemainesavantladateprévuepour l’accouchement, telqueprévuà l’articleL.1225-17CT,etce,sansquedenouvellesexigencessoientposées.

Le Défenseur des droits a rappelé en effet que le dispositif du congé parentald’éducationétaitundispositifcontractuel.Àl’occasiondelanaissanced’unenfant,lessalariéesontlapossibilitédesolliciterl’octroid’uncongéparentald’éducation,conformémentà l’articleL.1225-47CT.Lesmodalitésdececongésont fixées,d’un commun accord, entre l’employeur et la salariée. Cela concerne ainsi ladéterminationdesdatesdedébutetdefindecelui-ci.

Euégardaucaractère impératifdesdispositionsde l’articleL.1225-17CT liéesaudroitaucongématernité, l’employeurnepeuts’opposerà lademanded’une

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salariéequisollicitelafindesoncongéparentald’éducationenvuedebénéficierdesoncongématernité.

Ilestànoterquecettesupérioritéducongématernitéestreconnueparledroitcommunautaire.

Elles’illustrenotamment,àtraversl’article 33delaChartedesdroitsfondamentauxdel’UnioneuropéenneetlaDirectiven° 92/85duConseildu19 octobre1992concernantlamiseenœuvredemesuresvisantàpromouvoir l’améliorationde lasécuritéetde lasantédes travailleusesenceintes, accouchées ou allaitantes au travail.

CeprincipetrouveaussiéchodanslajurisprudencedelaCourdejusticedel’unioneuropéenne(CJUE).

Eneffet,laCJUEaconsacréledroitdetoutesalariéesetrouvantenceinteencoursdesoncongéparentald’éducationàobtenirl’interruptiondecedernierpourpouvoirbénéficierd’uncongématernitéetdesprestationssocialesqui s’yattachent2 .Plus récemment, laCJUEarappeléque lesemployeursnepouvaientpasdavantagerefuseràunesalariéeenceinte ledroitd’interrompresoncongéparentald’éducationpourbénéficierd’uncongématernité3 .

Enconsidérationdeceséléments,riennes’opposaitdoncàcequ’unesalariéesolliciteunemodificationdutermedesoncongéparentald’éducationenvuedebénéficierdesdispositionsspécifiquesliéesàsanouvellegrossesse.

Concernantledroitàdesindemnitésdematernité,l’articleL.1225-17CTreconnaîtledroitàtoutesalariéedebénéficierd’uncongématernité,quicommencesixsemainesavantladateprésuméedel’accouchement.

L’articulationdesdispositifsducongéparentald’éducationetducongématernitéestprévueà l’article L. 161-9alinéa2CSSquiprécisequ’« en cas de non-reprise du travail à l’issue du congé parental d’éducation, en raison […] d’une nouvelle maternité, les personnes retrouvent leurs droits aux prestations en nature et en espèces du régime antérieur au congé parental d’éducation dont elles relevaient ».

Par conséquent, si uneassuréene reprendpas son travail à l’issuedu congéparental enraisond’unenouvellegrossesse,lesdroitsàprestationsenespècessontouvertssurlabasedes droits antérieurs au congé parental.Ainsi l’assurée peut basculer dans le dispositif del’indemnisationdelamaternitéaussitôtsoncongéparentald’éducationterminé.

Unepositioncontrairecontreviendraitauxdispositionsdéjàévoquéesrelativesaucaractèreimpératif du congématernité et priverait les assurées de l’accès à ce droit inhérent à leurétat.Or,danslesespècesiciétudiées,ilressortquel’argumentairejuridiquetelqu’issudesinstructions nationales, et relayé par les CPAM, n’était pas conforme à l’esprit des textesrégissantlecongéparentaletlecongématernité.

2CJUEarrêtdu20septembre2007affaireC-116-06.3CJUEarrêtdu13février2014affairesC-512-11etC-513-11.

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Enréponseàl’argumentairedéveloppéparleDéfenseurdesdroits,lesorganismesontréexaminéleurpositionetouvertdroitauxindemnitésjournalièresauxassuréesdèsladatedefindeleurcongéparental.L’instructiondelaCNAMTSaparailleursétémodifiéeenréglantlessituationspourl’avenir(Instructiondu20mars2015).

I-2/ Le dossier particulier des « Matermittentes »En2010,laHALDEaétésaisieparlecollectif«lesMatermittentes»,regroupantdesartistes,ouvrièresettechniciennesduspectacle(intermittentes),de33réclamationsrelatives à l’impact de leur congé dematernité sur l’accès auxmécanismes deprotectionsociale.

Lesréclamantesestimentquelesconditionsd’indemnisationducongédematernitéfixéesparlecodedelasécuritésocialenetiennentpascomptedesparticularitésdeleurstatutprofessionnel.Enoutre, l’absenced’indemnisationducongématernitéemporte des conséquences sur l’ouverture postérieure de droits à l’assurancechômage.

Pardécisionn° MLD-2012-39du13 mars2012,leDéfenseurdesdroitsaconsidéréquelasituationdanslaquellesontplacéeslesintermittentesduspectacledurantetàl’issuedeleurcongédematernitéconstitueunediscriminationfondéesurl’étatdegrossessetantauregarddudroitinternequedudroitcommunautaire,européenet international.

Enconséquence,leDéfenseurdesdroitsarecommandé: àlaCaissenationaledel’assurancemaladiedestravailleurssalariés(CNAMTS): •d’unepart,d’engagerune réflexionpermettantunemeilleurepriseen

compte des spécificités des activités des intermittentes du spectaclepourl’ouverturedesdroitsàl’indemnisationducongédematernitétellequ’elleestprévueàl’articleR.313-7CSS;

•d’autre part, de rappeler auxCPAMqu’il doit être fait applicationdesdispositionsdesarticlesL.161-8etL.311-5CSS(relativesaumaintiendedroit),lorsquecessalariéesneréunissentpaslesconditionsprévuesàl’articleR.313-7CSS.

àl’UNEDIC,d’assurerlapriseencompteducongédematernité,entoutehypothèse, lors de l’ouverture des droits à l’allocation d’aide au retour àl’emploietdanslecalculdusalairederéférenceàl’issueducongématernité;

auMinistre du travail, de l’emploi et de la santé, d’engager une réflexionenlienaveclespartenairessociauxafind’assurerl’indemnisationducongédematernitédesintermittentesduspectacleetlemaintiendeleursdroitsàl’allocationd’aideauretouràl’emploiàl’issueducongédematernité.

Concernant l’indemnisation du congé de maternité, les recommandationsformuléesàl’attentiondelaCNAMTSontdonnélieuàlapublicationd’unecirculaireN° DSS/2A/2013/163du16 avril2013émanantduMinistèredesaffairessociales

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etdelasantérelativeaurégimejuridiqueapplicableauxpersonnesexerçantuneprofessiondiscontinuepourl’accèsauxprestationsenespècesserviesautitredelamaladieetdelamaternité.Cependant,ilestconstatéquedesréclamationsrelativesaurefusd’indemnisationducongédematernitéopposéàdesintermittentesduspectacleontcontinuéàêtreadresséesauDéfenseurdesdroitsaprèslapublicationdecettecirculaire.

En outre, la recommandation invitant l’organisme à engager une réflexion permettant unemeilleurepriseencomptedesspécificitésdesactivitésdesintermittentesduspectaclepourl’ouverturedesdroitsàl’indemnisationducongédematernitétellequ’elleestprévueàl’articleR. 313-7CSSn’apasétésuivied’effet.

S’agissantdesconséquencesducongédematernitésurlesdroitspostérieursauxallocationschômage, par courrier en date du 20 juin 2012, l’UNEDIC a indiqué avoir transmis larecommandation du Défenseur des droits aux partenaires sociaux, seuls compétents pourdécider d’entreprendre une négociation et de modifier, le cas échéant, la règlementationd’assurancechômage.

Pourautant,laconventiond’assurancechômageendatedu14 mai2014,applicableàcompterdu 1erjuillet2014,n’apasmodifiélesrèglesdepriseencompteducongédematernitédanslecadreducalculdesdroitsauxallocationschômage.

Enfin,s’agissantde larecommandationadresséeauMinistredutravail,de l’emploietde lasanté,àcejour,forceestdeconstaterqueleDéfenseurdesdroitsn’apasétéinformédessuitesquiluiontétéréservées.

Dans ce contexte, un courrier a été adressé le 30 juillet 2014 àMonsieurJean-PatrickGILLE,danslecadredesamissiondemédiationdansleconflitdesintermittentsduspectacle,afindel’alerterconcernantcettesituation.LesMinistresconcernésetl’UNEDIContànouveauétésollicitésàcettemêmedatesansquecesnouvellesinterventionssoientsuiviesd’effet.

Pourautant,leDéfenseurdesdroitspoursuitsonactions’agissantd’unsujetquiméritetouteson attention.

II- Une expertise à l’appui de la promotion de l’égalité femmes/hommesL’institution déploie également une action de promotion de l’égalité femmes-hommeset del’accèsauxdroitsàtraverslaréalisationd’études,l’élaborationd’outils,lasensibilisationdespotentielles victimes et auteurs de discrimination et enfin, à travers la rédaction d’avis, depropositionsderéformeetderapports.

Ilanotammentdécidéd’agirenproposantdesévolutionstextuellespermettantderéduirelesinégalitésenmatièrederetraite,quecesoitsur lechampduparcoursprofessionnelousurceluidelalégislationretraiteelle-même.

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I-1/ Agir sur le parcours professionnel afin de réduire les inégalités en matière de retraiteLeConseil d’orientationdes retraites (COR)a constatédans son rapport publiéen2008,desécartssignificatifsentre les femmeset leshommesenmatièrederetraite.En2004parexemple,lesfemmesretraitéesde60 ansetpluspercevaientuneretraiteenmoyenneéquivalenteà62 %decelleperçueparleshommes.

Lesfemmespartiesàlaretraiteontvalidéenmoyenne20 trimestresdemoinsqueleshommesmalgrélesmajorationsdeduréed’assurancepourenfant; seules 44 % d’entreellesontunecarrièrecomplètecontre86 %deshommes.Enfin,lesfemmespartentà la retraiteenmoyenneplus tardivementque leshommes, respectivement61,5 anscontre60,1anspourlagénération1938.

Cesfortesdisparitésrésultentpourbeaucoupdesinégalitésprofessionnellesetdesdiscriminationsquelesfemmessubissentenamonttoutaulongdeleurcarrière.Ainsi,letauxd’emploidesfemmess’établiten2008à60,3 %pour69,4 %pourleshommes.30,2 %desfemmesoccupentunemploiàtempspartielpour5,7 % des hommes.Seules17,4 %desfemmesoccupentdespostesd’encadrementdanslesentreprisesdusecteurprivéalorsqu’ellesreprésentent47 %del’ensembledelapopulationactive.

Enfin,s’ajoutentàcesécartslesconséquencespourlesfemmesdelamaternitésurleurdéroulementdecarrièreet leurrémunérationainsiquelesimpactsdelarépartition des responsabilités enmatière degarded’enfants (selon l’INSEE lesfemmesassument80 %dunoyaudurdestâchesdomestiques)etdegardedespersonnesdépendantes.

Agirsurl’égalitéprofessionnelleentrefemmesethommes,c’estdoncagirsurlesdroitsdesfemmesàlaretraite.

LeDéfenseurdesdroits,depuissacréationen2011,aformuléuncertainnombrede recommandations et propositions de réformes dans le domaine de l’égalitéfemmes/hommes.Certainesd’entreellessonticireprisesdemanièresynthétique.

Recommandations du Défenseur des droits dans le domaine législatif

Dans la continuité des travaux de la HALDE, le Défenseur des droits a eu à traiter denombreuxdossiersdansledomainedel’emploi,faisantétatdedifficultésvécuespardesfemmesenlienavecleurgrossesseetleurmaternité.

La loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmeset leshommesestnotammentlefruitderecommandationsprécédemmentportéesparleDéfenseur des droits : laprotectiondescollaboratriceslibéralescontrelaruptureducontratpendant

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la grossesse et au retour de congé de maternité, qui a facilité l’accès etl’effectivitédesrecours(Réf.:décisionMLD2015-264du25novembre2015);

larelativeprécisiondesobligationsdespartenairessociauxconcernantlarévisiondesclassificationsprofessionnelles,quiadonnélieuàunemobilisationdespartenairessociauxsousl’égideduConseilsupérieurdel’égalitéprofessionnelle,

la mise enœuvre d’un rapport sur une harmonisation des conditions d’ouverture etd’indemnisation des droits aux différents types de congés existants, ainsi que sur laportabilitédecesdroitsetlecadredeleurmiseenœuvre4.

Concernant la loin°2016-1088du8 août2016relativeautravail,àlamodernisationdudialoguesocial et à la sécurisation des parcours professionnels, leDéfenseur des droits a proposé d’inscrireexpressémentdansletextel’interdictionfaiteàl’employeurd’adopterdesmesurespréparatoiresaulicenciementpendantlapériodedeprotectionpostnatale.Cettepropositionaétésuivied’effetpuisquelapérioded’interdictiondulicenciementpourlesmèresrevenantdecongématernitéaétéallongéedequatreàdixsemaines.CettedispositionpermetàlaFrancederendreexpliciteslesmodalitésdeprotectiondesfemmesenceintesetdesfemmesayantaccouchécontre lesdiscriminations,decodifier la jurisprudencefrançaiseeteuropéenneetderespectersesengagementsinternationauxenmatièredeluttecontrelesdiscriminationsàl’égarddesfemmes5.

Recommandations concernant la suppression du rapport de situation comparée dans loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi

Enmai2015,dansuncourrierauMinistredel’emploisurlesdispositionsduprojetdeloirelatifaudialoguesocialetàl’emploi,leDéfenseurdesdroitsavaitdemandéquesoitrevul’article13duprojetdeloiquiluiparaissaitalleràl’encontredel’objectifd’effectivitéduprinciped’égalitéentre les femmes et les hommes. Cet article supprimait le rapport de situation comparée(RSC),outilcrucialpourmesurer lesévolutionsde l’égalitéréelleentre femmesethommesdans l’entreprise,et leremplaçaitparunesimple informationencomitéd’entrepriseàpartird’une base de données unique aux contours flous. Le Défenseur a depuis noté certainesaméliorationsdudispositifmaisdemeurevigilants’agissantdelamiseenœuvredelaloi6.

Inégalités salariales

Defaçongénérale,leDéfenseurapuconstaterquelesentreprisesquis’acquittentdeleursobligationsenmatièrederattrapagedesinégalitéssalarialessontrares.

Enlamatière,leDéfenseurdesdroitsaréuniungroupedetravailinterdisciplinairequiaproduitun«Guide pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine » à destinationdespartenairessociauxetexpertsen ressourceshumaines. Il yproposeuneméthodologiepourremettreàplatlesméthodesetlescritèresd’évaluationutilisésetrevaloriserlesemploisàprédominanceféminine.Cetteméthodesefondesurleprincipeinscritendroit

4Avisn°14-07du2juin2014,relatifauprojetdeloin°71pourl’égalitéréelleentrelesfemmesetleshommes.5Avisn°16-05du24février2016etCourrierdu18avril2016àlaMinistredutravail,del’emploi,delaformationprofessionnellesetdu

dialoguesocial.6Courrierdu11mai2015auMinistredutravail.

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français et dans les normes internationales « un salaire égal pour un travail devaleurégale»(cf.art.3221-2CT)etpointelesrisquesdediscriminationindirecteauseindesclassificationsexistantes.

La loi n° 2014-873du4août 2014pour l’égalité réelle entre les femmeset leshommesexigedesorganisationsdebranchequ’ellesremettentàlaCommissionnationale de la négociation collective et au Conseil supérieur de l’égalitéprofessionnelle entre les femmes et les hommes un « rapport sur la révision des catégories professionnelles et des classifications, portant sur l’analyse des négociations réalisées et sur les bonnes pratiques »(art.5).

LeDéfenseurdesdroits estimeque l’absencede touteobligationdepériodicitéfragiliselaportéedecedispositif.Aufinal,forceestdeconstaterquel’évaluationdesclassificationsprogressedifficilementetquelesbiaissexistesperdurentdonc,participantainsiaumaintiendesinégalitéssalarialesquifrappentlesfemmesenFrance.

Recommandations en matière de discriminations dans l’emploi liées à la grossesse, à la maternité et la parentalité

Le 7e baromètre annuel du Défenseur des droits/OIT sur la perception desdiscriminations dans l’emploi par les salariés et agents publics (janvier 2014) arelevéqueplusdutiersdesactifsdéclarequelefaitd’avoirdesenfantscontribueàralentir,voireàstopperlacarrièred’unefemme.Enoutre,8%desréclamationsreçuesenmatièredediscriminationsparleDéfenseurdesdroitsconcernentdesdifficultés rencontrées par les salariées en raison de leur état de grossesse oude leur maternité : licenciements ou ruptures conventionnelles immédiatementimposées à l’issue du congé maternité, occupation pérennisée du poste de lasalariéeparsonremplaçantaucoursdesoncongé,suppressioninjustifiéedesonposteà la faveurd’uneréorganisation, rétrogradation, isolementetharcèlement,sontautantdesituationsinacceptablesquelasociéténepeutlaisserprospérer.

LeDéfenseurdesdroitsconsidèreégalementqu’uneréelleégalitéprofessionnelleavecleshommesentermesd’évolutiondecarrièrenepourraêtreatteintequeparuneextensiondesdroitsafférentsà laparentalitédes femmesetdeshommes.L’égalitéprofessionnellenepourraêtrerempliequeparlaconsécrationd’undroitétenduetobligatoireaucongédepaternitépourcréerlesconditionsd’unimpactpartagédelaparentalitésurl’emploietpourassurerunmeilleurpartagedestâchesparentales,encoremajoritairementassuréesparlesfemmes7.

I-2/ Agir sur la législation retraiteS’il n’est pas du seul ressort du système des retraites de corriger toutes lesinégalités, il lui revient de ne pas les aggraver et de garantir l’égalité entre les

7AvisduDéfenseurdesdroitsn°16-05du24février2016.

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femmesetleshommes.Pourcela,lesystèmederetraitedoitprendreencompte,s’agissantdesfemmes,lesparamètresmajeursquilespénalisent.

Par décision du 5 juillet2010,laHALDEs’étaitsaisied’officedelaquestiondesinégalitésdegenreenmatièrederetraite.Elleavaitsouhaitéquesoientexaminéescertainespropositions,sousl’égidedel’expertiseetduchiffrageduConseild’orientationdesretraites.Certainesdecespropositionssonttoujoursd’actualité.

Droits sociaux des salariés à temps partiel

80%dessalariésetagentsàtempspartielsontdesfemmes.Letempspartiel impliqueunsalairepartielpuisune retraitepartielle.Dans lesillagede ladélibérationdu13 septembre2010de laHALDE, leDéfenseurdesdroitssoutient leprinciped’une«surcotisation» des tempspartiels,aveclapossibilitépourlespersonnesconcernéesdecotisersurlabased’untempscomplet,aveclaparticipationdel’employeur8.

Or,leDéfenseurdesdroitsconstatequecettepossibilitéouverteparl’articleL.241.3.1CSSresteenpratiquepeurépanduedufaitdel’impactfinancierdumécanismeetdufréquentrefusopposéparlesemployeurs.Gouvernementetpartenairessociauxdoiventengageruneréflexionafinderendrecettepossibilitéeffective.

Prise en compte des 100 meilleurs trimestres et non des 25 meilleures années pour le calcul de la pension

Àl’occasiondesdébatsrelatifsàl’adoptiondelaloin° 2014-40 du 20 janvier2014garantissantl’avenir et l’équité du systèmede retraites, leDéfenseur des droits avait recommandéquesoientprisencompteles100meilleurstrimestresdanslecalculdesdroitsàlaretraite,etnonles25meilleuresannéesafind’améliorer laprotectionsocialedes femmes,quibénéficientaujourd’hui de retraites bien inférieuresàcellesdeshommes9.

L’importancedutempspartielsubiparlesfemmesetdescontratsàduréedéterminée,expliquentlafaiblessedelarémunérationqu’ellespeuventfairevaloirsuruneannéecomplète.Lapriseencomptepourladéterminationdumontantdelapensiondumeilleurtrimestrepermettraitdenepasaggraveraumomentdelaretraite,leseffetsdelaprécaritéqu’ellesontdéjàconnustoutaulongdeleuractivité.

Les droits conjugaux et familiaux

EnFrance, lesécartsentre les femmeset leshommesenmatièrede retraiteseraientplusimportantssionneprenaitencomptequelesdroitspropresetnonlesdroitsdérivés,telsquelespensionsderéversion,quireprésentent15%dumontantdeleurspensions.

8Courrierdatédu27septembre2013àlaMinistredesAffairesSocialesetdelaSanté,danslecadredudébatsur leprojetdeloi«Retraite».Lapropositionaégalementétéévoquéelorsd’uneauditiondevantlaDélégationauxdroitsdesfemmesduSénatle10octobre 2013.

9Courrierdu27septembre2013àlaMinistredesAffairessocialesetdelaSantédanslecadredesdébatsrelatifsàlaloigarantissantl’aveniretlajusticedusystèmederetraitesetAuditionparlaDélégationauxdroitsdesfemmesduSénatdu10octobre2013.

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Desactionscompensatricespourraientdoncêtreenvisagées: Ouvrir le droit au versement de la pension de réversion au partenaire

pacsésurvivant.Avec ledéveloppementdesunionsparPacsdont95%concernentdescoupleshétérosexuels,etauregarddeladiminutiondesunions parmariage, si les pensions de réversion restent subordonnéesàuneconditionexclusivedemariage, lesécartsentre lesfemmeset leshommesrisquentdesecreuser.

Maintenir à 65 ans l’âge de départ à la retraite à taux plein pour lespersonnesayantprisuncongéparentaloupoursoinsapportésàunenfantouunparentmalade.

LeDéfenseurdesdroitssouhaitequesoientmieuxprisesencompte,aumomentdudépartàlaretraite,lesinterruptionsd’activitéliéesauxresponsabilitésentantqu’enfantet/ouparentquipèsent,danslesfaits,davantagesurlesfemmes.

L’article 20delaloiportantréformedesretraitesdu9 novembre2010ainstaurédesdispositifsdérogatoiresaureportdel’âgedutauxplein.Ilaainsiprévulapossibilitédebénéficierd’une retraiteà tauxpleinà l’âgede65anspour lesassurésayantinterrompuleuractivitéprofessionnelleenraisondeleurqualitéd’aidantfamilial.Maiscettedisposition,neconcernequ’unchamprestreintdebénéficiaires(pasdepriseencomptedesaidantsfamiliauxàtempspartielnotamment).

Dans ce contexte, le Défenseur des droits réaffirme la nécessité d’une réflexionapprofondieconcernantunemeilleurepriseencomptedecesinterruptionsd’activité.

ConclusionEntantquegarantdesdroitsetlibertés,leDéfenseurdesdroitsconstitueunacteuràpartentièrede lamobilisationnécessaireà laprotectionetà lapromotiondesdroitsdesfemmes.

Desréflexionsnouvellesémergentdéjà,telles: l’impactdelanon-priseencomptedel’assurancevieillessedesparentsau

foyer (AVPF)dans l’ouverturedudroità retraiteanticipéecarrière longuedesfemmes;

la reconnaissancedurôledesaidants familiaux(quisontmajoritairementdesfemmes),etlanécessitédeleurréserverunvéritablestatutsocialafinnotammentd’éviterquelesystèmeactuelnepèsedefaçondisproportionnéesurcesderniersquecesoitenmatièredecarrièreoudedroitssociaux.

En protection sociale, ses interventions lors du traitement des réclamationsindividuellesoudans lecadredesonactivité« réforme» représententunepartimportantedesonactivitéquotidienneetdeproximité.LeDéfenseurdesdroitsdemeuredèslorsactifetattentifsurcesujetmajeurdansuncontextesocialparticulièrementdifficile.

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L’égalitéfemmes-hommesdanslesrégimesdeprotectionsocialecomplémentairePar Vincent ROULET, Maître de conférences à l’Université de Tours

Vincent Roulet est responsable du Master 2 Juriste d’Entreprise - Relations de travail de l’Université de Tours et avocat au sein du cabinet BRL Avocats.

L’apparence est sauve. La loi est forte ; elle est claire. L’égalité entre les sexes préside àl’organisation des garanties complémentaires dont profitent les salariés. Le contentieuxn’existe pas !Mais pour qui ne se tient pasà l’apparenceet doutemêmedesdogmes, letableaun’est pas si léché.Cette égalité-là n’est peut-être pas l’horizon indépassable de lapolitiquesociale ;àbiendeségards, la loidu19mai18741 réjouitdavantagequecelledu9mai20012.Peut-êtremême,parleslumièresqu’elleattire,l’égalitéfemmes-hommesplonge-t-elledansl’ombred’autresinégalitésgéographiques,culturelles,financières,sociales,bref…declasses.Saconsistanceest douteuse. Lesuns la voient dedroit ; lesautres l’espèrentde fait.Lespremiersnesupportentpas l’énoncéambigu,peu importantsoneffetutile ; lesseconds ne rechignent pas au compromis, pourvu que la fin soit justement poursuivie3. D’aucunsscrutent l’organisation internedu régime :ceux-làquiperçoiventsont-ilsceuxquicontribuèrent?D’autres,mêlant impôtetassurance,espèrentnon l’égalitéelle-mêmemaislatendanceàl’égalitéau-delàdurégimegrâceàlaredistributionparlerégime;ilsappellentcela solidarité4. La discorde s’aggrave encore lorsque, comme en l’espèce, sont en causedesrisqueshumainsetsociaux.Lescadresetlesnoncadres,lesgensdunordetceuxquiviennentdusud, les femmeset leshommessontdesgroupesauxcaractéristiquespropresauregardde lamaladieoude lamort,de l’emploioude larémunération.Quefairedecesréalitésstatistiques?Etquefairedutemps?Unmêmerégimederetraitecouvreensemblelajeunefemme,brillante,grassementrémunérée,promiseàunavenirprofessionnelsanslimite,quin’attendninesouhaitedel’hommeaucunsecours,etlagrand-mère,fidèleauxprincipesdesesaïeules,quin’ajamaiseupourseuleactivitéquedeservir,aufoyerouàl’atelier,sontravailleur d’époux et d’élever leurs enfants. L’une crée elle-même ses droits à la retraite ;l’autreabienbesoin, l’heuresonnée,depuiserdans lesdroitsdesamoitié lesmoyensdesa subsistance. L’accomplissement de sa finalité sociale exige du régime qu’il se plie à ladiversitédessituations,qu’ilépousel’émancipationdel’uneetladépendancedel’autre.Être

1Art.7,al.2:«Les filles et les femmes ne peuvent être admises dans [les] travaux»souterrainsdesmines,minièresetcarrières.2Laquellesupprimadéfinitivementl’interdictiondutravaildenuitpourlesfemmes.3Illustrececonflit,insolubledemanièresatisfaisante-saufàvouloirletrancherauregardd’autresvaleursquel’égalité,enl’espèce,

l’utilitésocialedelaprestation-,laquestiondel’utilisationdestablesdemortalitédifférenciéesparsexe,aujourd’huibannies(CJCE,22décembre1993,Neath,aff.C-152/91;CJCE,28septembre1994,Coloroll Pension Trustees Ltd.,aff.C-2000/91;CJUE,1ermars2011, Test-Achats ASBLaff.C-236/09).

4A.Supiot,La solidarité civile et ses ennemis, in Mélanges en l’honneur de J.-P. Laborde,Dalloz,2015,p.481.

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pour l’égaliténesuffitpasàs’accorderavecsonvoisinqui, luiaussi,estpour…Énoncées les banalités d’usage, il est très douteux que l’égalité elle-mêmerenfermeunidéal,traductibledanslesfaitsparl’actiondelarègle,etcommunémentadmissibleparbeaucoup,sicen’estpartous.Delààpenserquel’égalitén’estriend’autrequecequeconsidèrecommetelleceluiquidisposedupouvoir,iln’yaqu’unpas.

Pasquiestfranchisansréserve,maisdignement.Cen’estfaireinsulteàpersonne,c’estpeut-êtremêmerehausserlafonctionpolitique,queprétendrequeceluiquil’occupe, loin d’être soumis à unmot vague, a le devoir de doter celui-ci de lasubstanceutileàlapaixsocialeetàlasatisfaction(sousleurcontrôle)deceuxquil’ontportéàcettefonction.L’honneurestplussaufencorelorsque,letempspassant,lasubstancedumotestdéclinée-dépassée-pourservir,entoutecohérence,desambitionsplusgrandes,dontledroit,dureste,s’estdéjàsaisi,tantôtbruyamment,tantôtdiscrètement.LaCourdejusticedel’Unioneuropéenneserefusaàbrûlerles régimes de protection sociale d’entreprise au prétexte que ceux-ci s’étaient,un temps,affranchisdesexigencesde l’égalitéetnedisposaientpas,alors,desressourcespourcompenserleslibertésprises:«des considérations impérieuses de sécurité juridique s’opposent à ce que des situations juridiques qui ont épuisé leurs effets dans le passé soient remises en cause, alors que, dans un tel cas, l’équilibre financier de nombre de régimes de pensions conventionnellement exclus risquerait d’ être rétroactivement bouleversé»5.Siinégalitaire(auregarddessexes)qu’ilsoit,lerégimeesttoujoursutileàl’égalité(sociale);surtout,sonexistenceestnécessaireàl’évitementdelamisère.Parfois,lescompromissionssenichentdanslesdétails.Deprimeabord,lapriseenchargedesfraisengendrésparlamaternitéest un facteur d’égalité des droits de la femmeet de l’homme.Au regard de latechniquedel’assurance,lamaternitéestassimilableàune«maladie»(attentionauxmots!):ellen’estjamaissûre(aléa),elleengendredesfrais(prestationsennature)etaffecte les revenus (prestationsenespèces).Maisest-elle seulementcela?Soulignantque laprohibitionde ladiscriminationne faitpasobstacleauxmesuresdepriseenchargedelamaternité,lelégislateurtrahitledoutequil’étreint,quecesmesuressoient-intellectuellement?juridiquement?-constitutivesd’unediscrimination assise sur le sexe6. D’ailleurs, s’il impose le principe de la priseen charge, il n’en régit pas lequantum.Unebonne, ou unemédiocre, prise encharge,témoignentdelabienveillance,oud’uneindifférencefeutrée,àl’égarddelamaternité:l’idée«nataliste»n’est(nedevraitêtre)jamaistrèséloignée.L’égalité,in fine, n’est jamais parfaitement neutre ; elle est une fin,mais tantôt supporte,tantôtseplieàd’autresfins.

5CJCE,17mai1990,aff.C-262/88,Barber.6V.p.ex.:C.trav.,art.L.1242-3oùlelégislateurestimenécessairedepréciserqueneconstituepasunediscrimination

illicite ladispositiond’uneconventioncollectiveprenantenconsidérationlesexedessalariés lorsquecetteclauseapourobjet« laprotectionde lagrossesseetde lamaternité».L’alinéa1er de l’articleL.913-1duCodede lasécuritésociale,construitsurlemêmemodèleetapplicableauxrégimesdeprotectionsocialecomplémentaireprévoitqu’«aucunedispositioncomportantunediscriminationfondéesurlesexenepeutêtreinséréeàpeinedenullitédanslesconventions,accordsoudécisionsunilatérales»insituantlesrégimes,puispréciseimmédiatementque«l’alinéaprécédentnefaitpasobstacleauxdispositionsrelativesàlaprotectiondelafemmeàraisondelamaternité».

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Làrésidesarichesse.L’intérêthumain,politiqueetjuridiquedel’égalitéfemmes-hommes ne s’épuise pas dans sa proclamation bruyante. C’est en bas, dans lesdétailsdesamiseenœuvre,danslescontradictionssocialesqu’ellerévèlepuisdansl’énergiedéployéepourdépassercesdernièresqueleslogansemueenprincipedel’actionpublique et privée. À cet égard, les régimes de protection sociale complémentaires sontexemplaires.Leursoumissionàl’article119duTraitédeRome7,aumilieudesannées1980,priva les femmesdes raresmesures favorables dont elles bénéficiaient dans lemondedutravail(notammentauseindesrégimesderetraitedebaseetcomplémentaire:majorationsetbonifications,âgesdedépartenretraiteavancés…).L’égalitéde droitproduisitdecurieuxeffetsentermesd’égalité de fait.Trenteannéesplustard, la luttecontre lesdiscriminationsachangédeparadigme.Ilnes’agitplusd’agirausommetdelahiérarchiedesnormes,maisdanssesbas-fonds: lacirculaireaavantageusementremplacé letraité. Ilnes’agitplusdepenser les inégalités en termesde sexe,mais en termesd’emplois (ou de situations dansl’emploi).L’efficacitéestsanscommunemesure,ycompris-etsurtout-auprofitdesfemmes.

Telle fut l’histoire de l’égalité femmes-hommes dans les régimes de protection socialecomplémentaires. Fermement affirmée (I), elle ne s’est départie de sonambiguïté (II) pours’accompliretconcourirauxautreségalitésqu’aujouroùlelégislateur-l’administration-s’estengagédanssondépassement(III).

I-L’affirmationDelaqualificationjuridiquedesrégimesdeprotectionsocialecomplémentaires,devaitdépendreuntempslapuissancedeleursoumissionauprinciped’égalitédetraitemententrelesfemmeset leshommes.LaCourdeJusticedescommunautéseuropéennes jugeaitencoreque lesrégimeslégauxdesécuritésocialeéchappaientauprinciped’égalitédesrémunérationsposéàl’article119duTraité8quoiqu’ilsentrassentdanslechampdeladirectiven° 79-7du1978.Mais,avantmêmequel’article119étendesonempriseàcesrégimesétatiques9, la directive n° 86-378du24juillet1986s’assignapourmissiondemettreenœuvreleprincipedel’égalitéde traitement dans les régimes professionnels de sécurité sociale. L’ambition était claire ;lesmoyensde la satisfairebeaucoupmoins.Quoique s’attachant à identifier lesdomainesderisquedediscrimination(éligibilitéaurégimeetconditionsdesortiedecelui-ci,modalitésd’acquisitiondedroitencasdesuspensionducontratdetravail,déterminationdumontantdespensions)10,ladirectiveautorisaitdesubstantiellesdérogationsauprinciped’égalité11. La Cour deJusticerappelaàl’ordrelelégislateurcommunautaire(etlesentreprisesquis’yfiaient):«à la différence des prestations servies par les régimes légaux nationaux de sécurité sociale, les pensions versées par les régimes conventionnellement exclus constituent bien des avantages

7Devenuart.157TFUE.8CJCE,25mai1971,aff.C-80/70,Defrenne c./ Etat Belge:«unepensionderetraiteinstituéedanslecadred’unrégimelégalde

sécuritésocialeneconstituepasunavantagepayéindirectementparl’employeurautravailleurenraisondel’emploidecedernier,ausensdel’article119,alinéa2».

9CJCE,29novembre2001,aff.C-366/99,Griesmar (RJS2/02,p.114,chron.F.Kessler)oùlaCourdeJusticefixedesconditions(quin’ensontpasv.P.Morvan, Droit de la protection sociale d’entreprise,n°978)àl’extensionauxrégimeslégauxdesécuritésocialedesdispositionsdel’article119duTraité.

10Art.6.11Idem.

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payés par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier et que, par conséquent, elles relèvent du champ d’application de l’article 119 du traité ». Il importaitpeuqu’enl’espèceleslibertésprisesparlerégimederetraitecontracted-out12 fussentprévuespar ladirective; l’article 119duTraitéestd’effetdirect.Duprincipe ainsi posé, les conséquences devaient être fructueuses. Son emprises’étenditàtouslesrégimesdeprotectionsocialecomplémentaire; l’organisationjuridique,pourvuque l’employeurcontribuâtaufinancementétait indifférente13. Il régitnonseulement lesconditionsdéterminant lemontantde laprestationmaisencorecellesdel’affiliationaurégime14.

Cequi,ailleurs,provoquatremblements,effleuraàpeinelaFrance.Paraccidentplusqueparvertu,elleétaitbonneélève15.Son législateurn’eutdoncguèrededifficultéàérigerennormelapratique.Illefitavecunetelleconvictionquelapro-clamationviraaubégayement.Lesrégimescomplémentairesdeprotectionsocialesont instituésdans lesentreprisesaumoyend’actes juridiques relevantdudroitdu travail16,lesquelsobéissentauxarticlesL. 1132-1 et L. 3221-2 du Code du tra-vail.L’auteurde lanorme(employeur,organisationssyndicales)s’avise-t-ilqu’enraison de son objet, celle-ci échappe aux dispositions de droit commun ? Il estramenéàlaraison:«Aucune disposition comportant une discrimination fondée sur le sexe ne peut être insérée, à peine de nullité (…)»dansl’édictiondesrégimescomplémentaires17.L’assureurjoue-t-il letentateur?Lelégislateurpenseaussiàlui18!Lapédagogieestl’artdelarépétition;laleçonfutapprise.Lejugen’estjamaissaisietl’administrationsociale,toujoursprompteàchasserlesdiscriminationspourfaire«sauter»lesexonérationsdechargessociales,n’a,danssatrèsnombreusedoctrine,pasmêmeévoquél’égalitéfemmes-hommes19.

12L’Étatanglaisimposeleprincipedel’adhésionàunrégimederetraitecomplémentairemaislaisselesassuréschoisirentreuneadhésionau régimecomplémentaire«public»ouà l’undes régimesprivés (dits«contracted-out»)censésoffrirdesgarantieséquivalentes.

13CJCE,17mai1990,préc.;CJCE,28septembre1994,aff.C-128/93,Fisscher;CJCE,24octobre1996,aff.C-435/93,Dietz.Larègleétaitidentiquequelerégimesoitgéréeninterne(l’employeurpayelui-mêmelesprestations),parl’intermédiaired’unorganismeassureurouceluid’untrust.

14CJCE,13mai1986,aff.C-170/84,Bilka;CJCE,28septembre1994,préc.:«ledroitàl’affiliationàunrégimedepensionprofessionnelentredanslechampd’applicationdel’article119duTraitéetrelèvedoncdel’interdictiondediscrimination».

15Lesrégimesderetraitesupplémentaireétaientsensiblementplusraresetmoinsimportantsquedansd’autresÉtats.Cefurent,pourl’essentiel,lesrégimesspéciauxdesécuritésocialequiaccusèrentlecoup:v.p.ex.:CJCE,29novembre2001,aff.C-366/99,Griesmar,RJS2/02,chr.F. Kessler (préc.),puisCE,29juillet2002,Griesmar,Dr.soc.2002,1131,chr.X.Prétot

16C.séc.soc.,art.L.911-1.17L’articleL.913-1duCodedelasécuritésocialeconnutcependantquelquesdifficultés.Danssarédactionoriginelle,

il contenaitunalinéa troisièmedisposantque lepremieralinéa«ne s’appliqu[ait] pas aux dispositions relatives à la fixation de l’âge de la retraite et aux conditions d’attribution des pensions de réversion».Ladispositionétaitévidemmentprotectricedesfemmes.Ellefutnéanmoinssupprimée,àeffetdu17mai1990(Ord.n°2001-178du22février2001),datedeprononcédel’arrêtBarber.

18Loin°2008-496du27mai2008,art.8,créantunarticleL.112-1-1auseinduCodedelamutualitéetunarticleL.931-3-2,disposant,chacunque«aucune différence en matière de cotisations et de prestations ne peut être fondée sur le sexe».Dansleursrédactionsoriginelles,cestextestoléraient toutefois lapratiquedestablesdemortalitédifférenciées,pratiquecensuréeparlaCourdeJusticedel’Unioneuropéenne,puiseffacéeparlelégislateur(Loin°2013-672du26juillet2013,art.79).

19V.,p.ex.:DSS/SD5B/2013/344du25septembre2013.

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Rien d’étonnant à cela. Les régimes de protection sociale complémentaire sontdegrossesmachines.Leurorganisationestextrêmement rationnelle, leur finance-mentadaptable:autantquelanormenouvellen’estpasrétroactive,ilsl’absorbentsanspeine.Cettegouvernancefroide,parlesnombres,aquelquemérite.Elleplacelespartici-pantsàl’abridesdiscriminationsordinaires,cellesquinaissentdeladécisionindividuelleoudela«marged’appréciation»dontdisposeceluiqui,danslarelationdetravail,décidedel’oc-troideteloutelavantage.L’assureurd’unecollectivitédesalariésn’appréciepasletravaildel’assuré,ninejugesoncomportement,sarelationàl’entreprise,ousonphysiqueplusoumoinsavenant.S’ildiscrimine,c’estenmasse,demanièremanifeste,parcequ’uneclauseexpresseducontratl’yinvite:orlesmœurscommelanormen’invitaientpasàdesigrossièrespratiques,et l’expérience,àproposd’autrescritèresdediscrimination, révèlequecelle-cin’est leplussouventninécessaire,niprofitable20.Exceptionfaitedesmesureshistoriquementfavorablesauxfemmes-socialementacceptées-ilétaitpeuprobablequeladiscriminations’étalâtdanslesnormescollectivesinstituantlesgaranties,oulesrapportscontractuelsliantlesentreprisesaux assureurs.

Elleexistaitcependant.Maisilfallaitleverlatête,porterloinleregard,au-delàdeces«mesu-rettes»instituéesaucréditdesfemmes.Ladiscriminationétaitlà-bas,àlasource.Ilnepouvaitenallerdifféremmentàproposderégimess’inscrivantdanslatraditionbismarckienne;l’His-toirelescommandait.Lesrégimescomplémentairessont«professionnels»:leurbénéficeestdépendantd’unstatutdansl’emploi;lesrégimessontassurantiels,l’ampleurdesprestationsqu’ilsserventestdépendantedescotisations,lesquellessontassises,surlarémunération.Ilestbienfaciledeprédirequeladiscriminationestindirecteetqu’elleestlaconséquenced’unediscriminationpréexistantedansl’emploi.LaFranced’ailleurs,etàtrèsfaibledose,neconnutjudiciairementquecesespèces-làdediscriminations,etc’estàproposdesrégimesdeprotec-tionsocialecomplémentairequelaCourdecassationdonnavieàladiscriminationindirecteauregarddusexe21.

Ilétaitdès lorsdifficiled’évoquer l’égalité femmes-hommessanstraiterde lasituationdans(ethors) l’emploi.L’uneamenaitàpenserà l’autre.Etdavantage, ilétaitgênantdepenserspécifiquementl’égalitéfemmes-hommescariln’étaitpascertainquelesfemmesfussentlacatégoriedetravailleurslaplusdiscriminée.Enraisondesmesuresdiscriminatoiresétabliesàleurprofit,enraisonaussideleurespérancedevie,ellestrouvaientquelquescompensationsetespoirs(peut-êtrelimités,maisréels),tandisqu’au-devantdel’ouvrieroudutravailleurpré-cairenes’ouvraitaucuneperspectiveréjouissante.L’ambiguïtéétaitlà.

20Àtitred’exemple,lesassureursnefontqu’exceptionnellementusagedelafacultéqueleurlaisselaloidesoumettrelessalariésàunquestionnairevoireunexamendesanté.Lecoûtdecesenquêtesprécontractuellesleurparaîtprohibitifauregarddugainqu’ilstireraientdecesupplémentd’informations.

21L’AGIRC,sansapporterdejustificationpertinente,refusaitd’admettreaubénéficedurégimecertainesfonctionstrèsmajoritairementoccupéespardesfemmes.LaCourdecassationyvit,aprèsquelqueshésitations,unediscriminationindirecte(Soc.,6juin2012,n°10-21.489,JCPG,2012,908,noteM.Mercat-Bruns;Dr.Rural2012,comm.11,commentaireT.Tauran;JCPS2012,1375,notePh.Rozec,V.Manigot).Quelquesjoursplustard,elledéclinaitlasolutionàunrégimesupplémentairederetraite(Soc.,3juillet2012,n°10-23.013,JCPS2012,1490,noteJ.-Ph.Tricoit).

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II.L’ambiguïtéL’âmedebonnevolonté-cellequinecraintpasd’examiner froidement lesfaits,nideresterdubitativesurlesconclusionsàentirer-n’auraitguèredemalàs’enconvaincre.

Qu’elleexamineuninstantlesortd’uncouplehétérosexuel,mariésouslerégimedelacommunautédebiensdontl’unions’achèveparledécèsdel’undesesmembresaprèsquechacund’euxaliquidésaproprepensionderetraite22. À s’en tenir aux règles régissant les régimes complémentaires (ARRCO etAGIRC), le survivantbénéficie d’une pension de réversion complémentaire23. Première observation :l’égalité dans l’emploi existe… pourvu que l’AGIRC, régime des cadres,s’autofinance.Deuxièmeobservation :à l’égardde l’égalité femmes-hommes, larègleelle-mêmeestneutremaisladifférenciationindirecteestflagrantetantl’écartd’espérancedevieentrelesfemmesetleshommesestimportante24.Cequiconduità une première conclusion, énonçable de façon volontairement provoquante25 : la retraite de la femme-bourgeoise est payée par l’homme-ouvrier26. En dehors du droit régissant le régime complémentaire de retraite27, le conjoint survivant recueillelamoitiédelacommunautéetunquartdupatrimoinedudéfunt.Uniqueobservation:cesrèglessontd’autantplussensiblesquelepatrimoinedude cujus est important28.Uniqueconclusion:quoiqu’apparemmentneutres,ellesprofitent,encore, à la femme aisée plus qu’à la femme ouvrière ou,a fortiori à l’hommeouvrier.Laperspectivechangequelquepeucependantsil’œilestportésurlafaçondontsesontconstituéslesdroitsdespartiesenprésence.L’hommeacertesplusgagné,iladoncpluscontribuéàlarichessecommune…mais,parhypothèse,cettedifférenceestlefruitd’unediscriminationdansl’emploidontilaprofité.Premièreobservation:laréversionauneffet«compensateur»entrelessexes.Deuxièmeobservation : cette compensation joue davantage chez les cadres. Troisièmeobservation : à mesure que se réduisent les écarts de rémunération entre lessexes,l’effetcompensateurs’atténueetlaréversions’apprêteàdevenirelle-même

22Quoiqu’envoiededisparition,cetidéal-typeaencoreaujourd’huiuneconsistancecertaine.23Danslesrégimessupplémentaires,laproposition,aujourdelaliquidationdelaretraite,d’une«option»réversion

estobligatoire.Letitulairedelapensionestlibredechoisirouderefuserl’option(cequiaunimpactsensiblesurlarentequelui-mêmeperçoit)maislestermesdel’option(bénéficiairedelaréversion)sontimposésparlaloi(C.séc.soc.,art.L.912-4).

24Ceàquoiilfautajouterque,trèsmajoritairement,l’épouxestplusâgéquel’épouse.25Comp.néanmoinsJ.-J. DuPeyroux,1945-1995,Quellesolidarité?,Dr.soc.1995,713.26L’observationdépasseleseulcadredelaprotectionsocialed’entreprise,etlaseuleépoqueactuelle:àproposdes

régimesmatrimoniauxetdudroitdessuccessions,ilapuêtreécrit,en1904:«les femmes de la bourgeoisie sont, dans une certaine mesure, les enfants gâtés de la loi moderne. Le contraste est frappant et un peu douloureux si l’on compare leur sort à celui des femmes des classes non possédantes, puisque celles-ci, dépourvues de toute espérance successorale, attendent encore les dispositions protectrices (…) qui doivent leur assurer au moins la sauvegarde de leur salaire»(A.Colin, Le droit des successions dans le Code civil, in Livre du centenaire,rééd.Dalloz,2004,p.295).

27Lestransfertsdevaleursaumomentdudécèsrésultantdudroitdesrégimesmatrimoniauxetdudroitdessuccessionsdoiventêtreprisencomptepourapprécierlaréalitédessituationsrespectivesdesépouxauregarddelaprotectioncontrelerisquevieillesse.Lafamilleestencorelepremierlieud’exercicedelasolidarité(lelégislateur«impose»cettesolidarité),etledroitdesrégimescomplémentairess’estaussiinspirédudroitcivil:parexemple,l’articleL.912-4duCodedelasécuritésociale,etnotammentsonalinéa2,estclairementunetransposition,dansledroitdelaprotectionsocialecomplémentaire,desrèglesrégissantlacommunautéréduiteauxacquêts.

28Icinéanmoins,l’ouvrier(l’employé)nepayepaspourlecadre.

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discriminatoire.Uniqueconclusion:lamesurediscriminatoireaujourd’hui- ou non discriminatoirehier -peutchangerdenatureparlepassagedutemps.Or,lesrégimesdeprotectionsocialed’entreprisecouvrentdesrisquessurdespériodestrès longues(cinquanteannéessouvent)etcouvrentdespersonnesd’âges- doncdemœurs - divers.

De l’exemple, certes soigneusement choisi, il est permis de déduire que la premièredesinégalitésn’estpascelleassisesurlesexe,maisbiencelleassisesurlanaturedel’emploi.LaCourdecassation,siprompteàluttercontrelapremière,justifiesanspeine-etsansrire-laseconde:«enraisondesparticularitésdesrégimesdeprévoyancecouvrantlesrisquesmaladie, incapacité, invalidité, décès et retraite (…) l’égalité de traitement ne s’appliquequ’entrelessalariésrelevantd’unemêmecatégorieprofessionnelle»29.Nulneprétendquel’égalité femme-hommeestun leurrebourgeoisdestinéàdistraire l’attentiondes inégalitésentre«catégoriesprofessionnelles»,maischacundoitconvenirqu’ilyacommeunedistorsiondifficilementjustifiableparl’égalité.L’ouvriern’estpasmoinsmaladequelafemme;iln’apasmoinsbesoinqu’elledesapensionderetraite.Dureste,ledépassementdecettedistorsionn’étaitpasimpossible.

III.LedépassementDèslorsqu’ilétaitétabliqueladiscriminationfemmes-hommesrésultaitdel’inégalitéexistantdansl’emploietquel’inégalitédansl’emploiaffectaitégalementd’autres«groupes»sociauxqueceuxdéterminésparl’appartenancedesexe,iln’yavaitplusguèrededifficultéàconstruireunepolitiqueglobaled’égalité(dontl’égalitéfemmes-hommesauraitétél’initiatriceetseraitlabénéficiaire).Cettepolitiquefut-estencore-menée,demaindemaître.Elletientendeuxmots:généralisationetuniformisationdesgarantiescomplémentaires.Ellesetientsurdeuxjambes:circulairesetURSSAF.Depuis200330,avecuneconstancequidéfielesalternancespolitiques,l’administrationn’eutdecessed’inciter-deforcer-lesentreprisesàfermerleursrégimesdeprotectionsocialecomplémentaireélitistes31,pouren«ouvrir»denouveauxauprofitd’unensembletoujourspluslargedesalariés.Cesnouveauxrégimesseulsbénéficientdesexonérationsdechargessocialesetd’impôtdonttousprofitaientjusqu’alors.

Cemouvementd’«égalisation»de laprotectionsocialecomplémentairerésulteclairementdel’actionquasi-exclusivedel’administration.Certes,lespartenairessociauxapportèrentdespierressignificativesà l’édifice : ils initièrent laportabilitédesgarantieset lagénéralisationde la complémentaire santé32.Mais le législateur, lui, se fit pour lemoins discret : depuis2003, il n’aprocédéqu’àde très légers (quoiqu’utiles)ajustementsde l’articleL. 242-1 du Code de la sécurité sociale33. Ses rares interventions plus marquées34 furent provoquées

29Soc.,13mars2013,n°11-20.490ets.(entreautres).Qu’ilsoitclairquel’affirmation«en raison des particularités techniques...»estfausse.Rien,techniquement,n’imposecettesolutionéminemmentpolitique,dontilfauttrèssérieusementsedemandersiellesurvivraàlafusiondesrégimesARRCOetAGIRC.

30Loin°2003-771portantréformedesretraitesdu21juillet2003.31P.ex.:findesexonérationsdechargessocialesdontbénéficiaientlesrégimes«cadresdirigeants»(D.n°2012-25du9janvier2012,

Circ.DSS/SD5B/2013/344du25septembre2013).32 Ani des 11 janvier 2008 et 11 janvier 2013.33Articlequiprévoitleprinciped’assujettissementàchargessocialesdelarémunérationetfixelesconditionsd’exonérationdecharges

sociales,notammentàproposdescontributionspatronalesfinançantlesrégimesdeprotectionsocialecomplémentaire.34C.séc.soc.,art.L.911-7,L.911-7-1,L.911-8etL.912-1.

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par l’administration35, les partenaires sociaux36, ou le Conseil constitutionnel37. L’administrationaucontraire, futomniprésente38,agissant tantôtparcirculaires39, tantôtpardécrets40.Ellefixauncaptoujoursplusprécis41:lerégimedoit«bénéficier de façon générale et impersonnelle à l’ensemble du personnel salarié ou à certaines catégories objectives de personnel»42.Elleidentifialesrécifsàéviter:« l’accès au bénéfice du régime ne peut reposer sur des critères relatifs à la durée du travail [ou] à la nature du contrat de travail (…)»43.Elleproposalesmoyensdeparvenirà bon port en édictant une doctrine technique du droit de la protection socialecomplémentaire44.

L’objetdelapolitiqued’égalisationestdesplusméritants.Lemérite,enpremierlieu,delajustessedel’analyse:l’inégalitéauregarddelaprotectionsocialed’entrepriserésultetoujoursd’uneinégalitédansl’emploi.Agirautrementquesurl’égalisationdesemplois,à l’auned’unautrecritèredediscrimination-sexemaisaussiâge,origineethniqueougéographique45-laissesubsisterlesdiscriminationsnontraitées(saufàmultiplierlesactions)et,surtout,nepermetpasdesolderlesdiscriminations«parricochets»,cellesquirésultentdeladiscriminationpréalabledansl’emploi.Lemérite,ensecondlieu,del’ampleur.Lestravailleurs«précaires»,auseindesquelslesfemmessontlesplusreprésentées46,furentlespremiersbénéficiaires.Ils’estagid’assurerleuraccèseffectifauxrégimescomplémentaireseneffaçantlesobstaclesdedroit(anéantissementdesdifférencesassisessurlanatureducontratdetravailou la durée de travail47,cantonnementpuisdisparitiondesconditionsd’ancienneté48, généralisationdesgaranties fraisdesanté49) et de fait (autorisation de l’aide au financementdesgarantiespourlessalariésàtempspartiel50,versementsanté51), puisleurmaintiendansl’assurancecollective(portabilitédesdroitsàcouverture52).

35V.p.ex.:s.Blondeau, v. Roulet,Généralisation des garanties frais de santé : la création de la règle de droit par la rumeur,SSL2015,n°1683,p.2,puisC.séc.soc.,art.L.911-7,II.

36C.séc.soc.,art.L.911-7,L.911-8etL.912-1.37C.séc.soc.,art.L.912-1.38Cequi,ensoi,peuttoutefoisêtredébattud’autantquecemoded’actionemportedesdifficultésjuridiquesimportantes,

notammentlafaiblesseetlaprécaritédelanorme.39Pourneciterquelesplusimportantes:Circ.DSS/5B/2005/396du25août2005;Circ.DSS/5B/2009/32du30janvier

2009;Circ.DSS/SD5B/2013/344du25septembre2013.40Not.décretn°2012-25du9janvier2012&décretn°2015-1883du30décembre2015.41V.aujourd’hui,C.séc.soc.,art.R.242-1-1ets.42Circ.DSS/5B/2005/396,préc.43Idem;v.aujourd’hui,C.séc.soc.,art.R.242-1-1.44Parmi les thèmes qu’elle contribua à éclairer (et quoique les avis divergent parfois sur l’interprétation de

l’administration):lesconditionsdevaliditéduréférendum,leseffetsdutransfertd’entreprise,laportéedel’article11delaloin°89-1009.

45Exceptionfaiteducritèretenantàl’étatdesantéqui,lui,aététraitédepuislongtempsdemanièretrèsefficace(loin°89-1009du31décembre1989,art.2et3)endépitdetrèslégersdoutes(E.Geslot,TPE employant travailleurs handicapés cherche assureur pour gérer ses couvertures prévoyance,SSL2014,1656)àlasuitedeladisparitiondesclausesdedésignation.

46Insee,enquêteemploi2014:6,7%dessalariéshommessontenCDDcontre10,7%desfemmes;7,8%deshommessontàtempspartielcontre30,8%desfemmes.

47 En dernier lieu, C. séc. soc., art. R.242-1-1.48 C.séc.soc.,art.R.242-1-2;L.911-7.49C.séc.soc.,art.L.911-7.50 C.séc.soc.,art.R.242-1-4.51 C.séc.,soc.,art.L.911-1.52 C. séc. soc., art. L.911-8.

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L’égalité s’imposa encore aux travailleurs installés dans l’emploi. En frappantdurement,parlesarmessocialesetfiscales,lesavantagesoctroyésauxsalariéslesplushautplacésdanslahiérarchiedel’entreprise(etlagrillederémunération),l’administrationencouragelaréaffectationdesressourcesauxautressalariés.Ladistinctiondemeure;elleestmoins«sélective»:lerégimederetraiteofferthieraux«cadresdirigeants»(deshommesvraisemblablement) profite aujourd’hui aux cadres (toujours des hommes, mais moins53).

Enfin, l’arme dont s’est dotée l’administration est efficace. Chacun sait les difficultés querencontrentlesvictimesdediscriminationàfairereconnaîtreleursituation.Elless’aggraventencoreauseindesrégimesdeprotectionsocialed’entreprise.Lesvictimesn’ontpastoujourslaculturetechniquenécessaire(lefonctionnementdesrégimesestcomplexe:ilfautparfoisuneexpertisecertainepourensaisirl’effetdiscriminatoire54)nil’émancipationculturellesuffisante(lasituationdiscriminanteestacceptéede tout temps :parexemple, l’absenced’équivalentde l’article7de laconventionAGIRCdans lerégimeARRCO)pourapprécier leursituation.Enchargeantuncorps«intéressé»etformé,l’URSSAF,depunir,parleredressement, lesdispositionsdiscriminantesouinégalitaires,l’États’assuredelamiseenœuvrerapidedecesinvectivesdanslesentreprises.

Ilyafortàparierque,aujour-proche-oùserapleinementdéployéecettepolitique,lasituationdesfemmesauregarddesrégimesdeprotectionsocialecomplémentaireaurasensiblementévolué.Biend’avantage-etbienplusfavorablement-entouscasqu’aulendemaindelamiseàl’écartpartielledeladirectivedu24juillet1986auprétextedel’article119duTraité.

53Insee,enquêteemploi2014:lesfemmesreprésentent40,3%descadres.54Laquestiondestablesdemortalitéestunexemple.

FAMILLESETÉGALITÉ

FEMMES-HOMMES

B

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Lapolitiquefamilialeetl’égalitéfemmes-hommes:lesambiguïtésdu«librechoix»enmatièredeconciliationviefamilialeetvieprofessionnellePar Sandrine DAUPHIN, Responsable du département de l’animation de la recherche à la CNAF

Docteure en sciences politiques, Sandrine Dauphin est responsable du département de l’animation de la recherche à la CNAF. Elle a été adjointe au chef de la Mission Recherche (MiRe) du ministère des Affaires sociales de 2003 à 2007 et chargée de mission Recherche au Service des droits des femmes et de l’égalité de 2000 à 2002. Elle a publié : L’État et les droits des femmes : des institutions au service de l’égalité ? Aux presses universitaires de Rennes en 2010, Towards Parity Democracy: Women’s Political Representation in Fifth Republic France (avec Jocelyne Praud), University of British Columbia Press, 2010 et Femmes-hommes : penser l’égalité (avec Réjane Sénac), La Documentation française, 2012.

Lerôledelapolitiquefamilialenevisepasseulementàcompenserlecoûtdel’enfantmaisàaiderlesfamillesàconcilierviefamilialeetvieprofessionnelle.Àcetitre,lapolitiquefamilialefrançaiseestprésentéecommeunmodèledeconciliationviefamilialeetvieprofessionnelleavec un fort taux d’emploi des femmesà temps plein (59%en 2015) ainsi qu’un taux deféconditéautourdedeuxenfantspar femmeparmi lesplusélevésenEurope.En2015,unrapportd’informationdeladélégationauxdroitsdesfemmesetàl’égalitédeschancesentreleshommesetlesfemmesduSénatportesurlesmodesd’accueildesjeunesenfantscommeenjeudel’égalitéentrelesfemmesetleshommes.Cerapportplaidepourledéveloppementdel’offred’accueil,enparticuliercollectivequilimiteraitainsil’impactdel’arrivéed’unenfantsurlessituationsd’emploidesfemmes.

Le«modèle»françaisestpourtantlefruitd’unehistoireplutôthostileautravaildesfemmesetfortementimprégnédenatalisme.Ainsi,ledécret-loidu12 novembre1938créelesallocationsfamiliales progressives selon le nombre d’enfants, et la prime pour lamère au foyer.Avecl’ordonnancede1945quicréélaSécuritésociale,lesystèmeseconstruitautourdutravailleuretdesafamille(épouseetenfantssontdesayantsdroits)etpromeut lafamillenombreuse(allocationsuniversellesàpartirdudeuxièmeenfant,quotientfamilialquimodulelesimpôtsenfonctiondunombred’enfantsàcharge).Danslespremierstempsdelapolitiquefamiliale,maternitéetparticipationaumarchédutravailsontperçuscommeincompatibles.Laprimepourlamèreaufoyerestremplacéedès1941parl’Allocationdesalaireunique(ASU).Plutôtqu’unsalairefamilial,cetteallocationinstauréeen1938,reprisedansleCodedelafamilleen1946,resteemblématiquedudoubleancragefamilialisteetnatalistedusystèmefrançais(LetablieretDauphin,2016).Danslesannées1950,cetteallocationpourdeuxenfantséquivautausalaired’uneouvrière,favorisantainsileretraitdesmèresdumarchédutravail(Martin,1998).

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L’entréemassivedesfemmesdanslesalariatdèslesannées1960,desurcroîtàtempsplein,conduitlapolitiquefamilialeà s’adapterauxtransformationssocialesetsociétales et à s’engagerrésolumentsurlavoiedelaconciliationviefamilialeetvieprofessionnelle.Lagrandemutationdesannées1970-80estlaprisedeconsciencepar l’État que l’emploi des femmes n’est pas incompatible avec lamaternité etqu’il convientdès lorsdeprendreencharge les jeunesenfants.Dès1972,uneallocationdefraisdegardeestcrééepourlesménagesmodestesdontlafemmetravailleet l’allocationdesalaireuniqueestsuppriméeen1978.Lecomplémentfamilialestréaménagéen1982dansunsensfavorableauxménagesbi-actifsetauxmèresisoléesactivesetlescrèchessedéveloppent,avecl’appuidescaissesd’allocations familiales à partir de 1983. Le développement de l’offre d’accueilcollectif et individuel, la volonté de diversifier l’offre, l’ouverture aux entreprises,etc.illustrentparticulièrementcettevolontéréaffirméedemaintenirlaconciliation,termeutilisédans ledébatpublic,comme l’undesaxescentrauxde lapolitiquefamiliale,tantdesgouvernementsdegauchequededroite(Fagnani,2011).

Depuis lafindesannées1970, lapolitique familiales’estainsi structuréesur lesoutienà laconciliationqui reposesurunréférentielde« librechoix»1 (êtreenemploiet/ougardersesenfants)quis’articuleautourdedeuxprincipauxdispositifs:desstructuresd’accueilpourlesenfantsde0-3ansetl’écolematernellepourles3-6ans;uncongéparentallong(troisans)assortisouscertainesconditionsd’uneallocationpourleparentquigardesonenfantàdomicile.Or,ceréférentieldelibrechoixnedemeurepassansambiguïtés:enpremierlieuauregardd’unepolitiqued’accueildesjeunesenfantsquipeutconduireàcreuserdesinégalitéségalemententrefemmes;ensecondlieuparcequel’allocationassociéeaucongéparental,parsaduréeetsonfinancement,ades répercussionsdurablessur le rapportàl’emploidesbénéficiaires.

I-Conciliationettravaildesfemmes:unelogiqued’accèsauxmodesd’accueilnonuniverselleAujourd’hui,lesfemmessontmassivementenemploi(prèsde70%d’entreelles)ety restent lorsqu’ellesontdesenfants.L’incidencede lamaternitésur l’activitéprofessionnelle desmères est visible à partir du deuxièmeenfant et s’accroîtà partirdutroisième.Eneffet, letauxd’emploidesmèresdiminueaveclenombretotald’enfantsmineursàcharge,surtoutsil’undesenfantsestenbasâge.Alorsque71%desfemmesencoupleavecunseulenfant,âgédemoinsdetroisans,sont en emploi, elles ne sont plus que 37% lorsqu’elles sontmères de famillenombreuse(troisenfantsouplus)avecaumoinsunenfantdemoinsdetroisans(ONPE, 2016). Par ailleurs, la proportion de femmes travaillant à temps partielstagnedepuisunequinzained’annéesautourde30 %, à un niveau bien inférieur àceluidel’AllemagneouduRoyaume-Uni(LetablieretDauphin,2016).Letempspartielestnéanmoinsplusfréquent lorsquelafamilleestcomposéedeplusieurs1Letermede«librechoix»n’estcependantpasutiliséavantlesannées1990et2000.

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enfants:en2015,23%desmèresenemploi(soit20%desmèresactives)quivivent en couple avec un seul enfant demoins de trois ans sont à temps partiel,contreunesurdeux(45%parmilesactives)lorsqu’ellesonttroisenfantsouplus(dontaumoinsunâgédemoinsdetroisans).

I.1/ Politique familiale et droits des femmes : une construction historique par des référentiels en opposition L’attentionportéeàlaconciliationadébutédanslesannées1970alorsquelescouplesbiactifsdevenaientplusnombreuxquelescouplescomposésd’unseulactif.Maiscen’estpastantdans un objectif d’égalité des sexes que dans celui dumaintien du taux de fécondité quelaconciliationaétépromue.Eneffet, l’objectifn’etaitpasseulementd’aider lesparentsquiontdesenfantsmaisbiend’encouragerceuxquin’enontpasàenavoiretderapprocherlenombred’enfantssouhaitésdunombred’enfantsréels.L’analysedesdébatsparlementairessur la politique familialemontre qu’elle est systématiquement présentée avec pour objectifpremierd’aiderlesfamillesàavoirlenombred’enfantsqu’ellesveulent(ChauffautetLévêque2012),révélantainsilapersistancedesprincipes familialisteetnataliste.Eneffet,l’idéeselonlaquelleunécartexisteraitentrelenombred’enfantssouhaitéetlenombred’enfantseffectifentretient l’idéologienataliste.Lajustificationdemesuresdeconciliationestainsiprésentéecommeuneréponseaux«intentionsdefécondité»desfamilles(Dauphin,2015).

La politique de conciliation vie familiale et vie professionnelle a néanmoins intégré desobjectifsd’égalitédessexesdefaçonrécente.Leschampsdecompétences,familleetdroitsdesfemmes,sontlongtempsrestésassezhermétiquesl’unàl’autre.Lapolitiquefamilialeetlapolitiqued’égalitédessexes (portée institutionnellementpar lesdroitsdes femmes)sontsouvent restés opposés. Historiquement, les droits des femmes deviennent objet politiqueaumilieudesannées1970avecpourobjectifprincipal laplacedes femmessur lemarchédutravail,censéeleurassurerl’autonomieéconomiquenécessaireàl’émancipation.Depuisplusieursdécennies,l’actionpubliqueestainsicentréesurl’égalitéprofessionnelle,etàpartirdesannées1990égalementsurlesviolencesconjugales(Dauphin,2010).Laconciliationentrelavieprofessionnelleetlaviefamilialen’apasétépriseencompteparlesinstitutionsdesdroitsdesfemmesavantledébutdesannées2000.AnneRevillard(2016)aidentifiétroispériodesdans lepositionnementdes institutionsdesdroitsdes femmesvis-à-visdecettequestion : ladéfensede la libertédechoisirentreactivitéprofessionnelleetéducationdesenfantsaufoyerdanslesannées1960-1970;ladéfensedel’égalitéprofessionnellesansréférenceauxdifficultésdeconciliationentretravailetviefamilialedanslesannées1980et1990;ladéfensedelaconciliationcommemoyendel’égalitéprofessionnelledepuisledébutdesannées2000.

C’estjustementaudébutdesannées2000quelespolitiquesfamilialesmettentl’accentsurlesresponsabilitésparentalesetlestempssociaux,laconciliationétantalorsclairementouverteauxdeuxparents(ChauffautetLévêque2012).Sanspourautantseréclamerdel’égalitédessexes,l’activationdespolitiquessocialesetlesmesuresvisantàencouragerlespèresdansleursfonctionsparentalessontdesélémentsexplicatifs.Lacréationd’uncongépaternitéen2002(avecuneduréemodestededixjours)parlaministredelaFamille,SégolèneRoyal,aclairementétévouluecommeuneinflexionversunobjectifd’égalitédanslapolitiquefamiliale

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parunemesureenpremierlieusymbolique.

Cerapprochemententrelesobjectifsvisésparlapolitiquefamilialeetlespolitiquesd’égalité autour de la conciliation vie professionnelle et vie familiale ne renvoienéanmoins pas à lamême rhétorique. Il est intéressant de constater que deuxtermesdifférentssontutilisés :«conciliation»ducôté familleet«articulation»ducôtédroitsdesfemmes.Lestermesnesontpasneutrescommel’asoulignéledébatdanslemilieuacadémiquequiaeulieuàlafindesannées1990surl’usagedu termede«conciliation».L’usagedece termeaétévivementcritiquéparceque,d’unepart, ilmettaitenavant l’idéedeconflitentre lessphèrespubliqueetprivée(onconciliedescontraires)et,d’autrepart,illaissaitsupposeruneidéede«libre-choix»pourlesmèresentrematernitéettravail,sansprendreencomptelescontraintessocialesquipèsentsur leschoix,etplusparticulièrementsur lesfemmes (Junter-Loiseau 1999). Le terme proposé au début des années 2000estceluid’«articulation»quidonneuneégale importanceauxdeuxsphères,etsupprimeainsil’idéedeconflitetdehiérarchieentrelessphères.Dèslorsceterme«d’articulation»estmieuxàmêmederenvoyeràuneperspectived’égalitéentrehommesetfemmespuisqu’ilnes’agitplusdeprivilégierunesphèreaudétrimentde l’autre.

Même si l’articulation vie professionnelle-vie familiale est devenue un axe de lapolitiqued’égalitédessexes,peud’interventionsdesdroitsdes femmesdans lechampde la familleonteu lieu jusqu’àunepériode très récente.La réformeducongéparentalquicréélaPreParE(prestationpartagéed’éducationdel’enfant),présentéeparlaministredesdroitsdesfemmesdanslecadredelaloidu4août2014«pourl’égalitéréelleentrelesfemmesetleshommes»,n’apasétéinscritedansuneloisurlapolitiquefamiliale,cequiestunepremière.Lefaitquelesdroitsdesfemmesetlafamillesoientregroupésdepuisledernierremaniementministérielauseind’unmêmeministèren’estpasnouveau2maisc’étaitgénéralementdansuncontexteplutôtconservateuràl’égarddesfemmesetdeleurrôle.C’estlapremièrefois qu’une ministre s’affichant comme féministe détient le double portefeuille,ce qui peut contribuer à faciliter le rapprochement des référentiels et éviter descontradictionsdanslesobjectifsdepolitiquepublique.

I.2/ Un « libre choix » qui produit aussi des inégalités entre femmesLecontextefrançaisestplusgénéreuxquelamoyenneeuropéennecarunenfantde moins de trois ans sur deux bénéficie d’un accueil formel3. Toutefois, les enfantsrestentmajoritairementgardésparleursparentsetlerecoursauxmodesd’accueilestdoncinférieuràl’offre.Selonl’enquêteModes de garde et d’accueil des jeunes enfantsde laDREES, réalisée en 2013,aucoursde lasemaine,dulundiauvendredi,de8heuresà19heures,61%desenfantsdemoinsde3ans

2LeministèredeMoniquePelletieren1979regroupaitlafamilleetlaconditionféminine,ColetteCodaccionien1993avaitunministèredelaSolidaritéentrelesgénérationsquiregroupaitégalementlesdeuxportefeuilles.

3Untiersdesenfantsestl’objectiffixéparleConseildel’Europe.

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sontgardés lamajeurepartiedu tempsparunde leursparents (leplussouventlamère).Quand lesdeuxparents travaillentà tempsplein, lamajoritédesenfantssont confiés à un tiers. En dehors des parents, l’accueil chez un(e) assistant(e)maternel(le)agréé(e)constituelemodedegardeàtitreprincipal leplusfréquent(19%).Vientensuitel’accueilenétablissementsd’accueildujeuneenfant(EAJE)quiconcerne13%desjeunesenfants;3%desenfantssontprisenchargelamajeurepartiedutempsparleursgrands-parentsouunautremembredelafamille.Enfin,l’écoleestlemoded’accueilprincipalde3%desmoinsde3ans(ONPE,2016).

Uneétuderéaliséeparl’INEDàpartirdel’enquête«FamillesetLogement»del’INSEEamontréquecesontlescaractéristiquesdelamèrequijouent,plusquecellesdupère,notammententermesdediplômeetd’emploi,commeprincipaldéterminantdel’utilisationdemodesd’accueilformels (Le Bouteillec et al., 2014). Les mères sans diplôme ont significativement moinsrecoursàlacrèchecommemoded’accueil.Cen’estpasseulementl’activitédesmèresquiestuneconditionnécessairepourprétendreàuneplacemaisleurrapportàl’emploi,carconstatestfaitdansl’étudequelesmèresauchômagesontsurreprésentéesparmilesparentsayantdesenfantsenEAJE.

Par ailleurs, l’accès aux modes d’accueil semble déterminé par l’origine sociale, ce quiquestionneleprinciped’égalité.Eneffet,leniveaudeviedesfamillesfréquentantlesEAJEestenmoyennede20%plusélevéqueceluidesfamillesayantunenfantdemoinsde3ans(LeBouteillecetal.,2014).Pluslesparentssontdanslestranchesderevenuslesplusfaiblesetplusilsgardenteux-mêmesleursenfants.Ainsi,d’aprèsl’enquêteModes de garde et d’accueil des jeunes enfants de 0 à 3 ansdelaDREES,91 %desjeunesenfantsdesfamilleslesmoinsaisés4 sont principalement gardés par leurs parents, contre 31 %des enfants des familleslesplusaisées5.Lesenfantsdesfamillesmonoparentalesreprésentent,quantàeux,àpeuprès9-10 %desenfantsaccueillisencrèches.Lesraisonsdumoindrerecoursdesfamillesdéfavoriséessontliéesaucoût,notammentl’avanceàeffectuerdanslecasd’uneassistant(e)maternel(le).Selonl’enquêteModes de garde et d’accueil des jeunes enfants de 0 à 3 ans de laDREES,danstouslescas,l’accueil individuelestplusélevé.Ainsi, lereste-à-chargedesfamillespourlagardeaprèsdéductiondesallocationsd’impôtsestde195 eurosparmoispourle recoursàuneassistantematernelle,soit1,40europarheure,contre153 eurospourunEAJEsoit1,20europarheure.

La question de l’articulation vie familiale et vie professionnelle interroge de fait aussi lesinégalitésentre femmes,entrecellesquipeuvent faireappelàunmoded’accueiletenontlesmoyensfinanciers,et lesautresquiontde faibles ressourcessocialesetéconomiques.Lesinégalitéssocialescontribuentàcreuserlesinégalitésdegenreencréantdessituationsde«librechoix»différentesselonlesfemmes.Lecoûtdumoded’accueilauregarddesbasrevenusdecertainesfamillesetdeleursconditionsd’emploipeuventlesdésinciteràyrecourir.Cesdernièresvont,dèslors,avoirplutôtrecoursaucongéparental.

4 1erquintilederevenussoit1350€oumoinsparmois.5 5equintilesoit2150€ etplusparmois.

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II-L’impactducongéparentalsurl’emploidesmèresL’inégalitéentre femmesfaceau« librechoix»estparticulièrementéclairéeparl’usage du congéparental. La durée longuede trois ans6 témoigne à la fois del’importanceaccordéeauxparents(mères)danslessoinsetl’éducation des jeunes enfants,etdelapartpriseparl’Étatdanscetteresponsabilité.LaFranceest,enoutre, le seul payseuropéenoù l’allocationdépenddu rangde l’enfant.Elle nes’adresse qu’aux parents déjà en emploi et il est faiblement compensépar uneallocationdontlemontantéquivautà undemi-smic.Environlamoitiédesfemmesayant droit à un congé parental fait valoir ses droits, les autres reprennent leuractivitéprofessionnelleautermeducongédematernité.Cetteincidencevarieselonlescatégoriessociales : cesontsurtout lesmèresavec lessalairesmoyensoufaiblesqui interrompent leuractivitéavec l’arrivéedesenfantspour la reprendreéventuellement à temps partiel après l’entrée des enfants à l’école maternelle(LetablieretDauphin,2016).

II.1/ Un congé objet de débats depuis sa créationLecongéparental,enFrance,n’acesséd’offrirmatièreàdébat.Ledroitaucongéparentalaété inscrit dans lecodedu travail dès1976,mais il estassorti d’uneallocationforfaitaireauxparentsquiinterrompentleuractivitédepuis1985aveclacréationdel’Allocationparentaled’éducation(APE).Lesconditionsd’accèsàl’APEétaientladuréed’activitéprofessionnelleantérieureàlanaissancedel’enfantetlerangdel’enfant.À sa création, elle étaitverséeàcelui/celledesparentsd’unenfant derangtroisetplusquis’arrêtaitdetravaillerpours’occuperdel’enfantjusqu’àsascolarisationàl’écolematernelle.Lacréationdecetteprestationadonnélieuàdescontestations,émanantnotammentdumilieuféministeetàunvifdébatauseindelamajoritésocialistedel’époque(JensonetSineau1995).Cettecontestationreposaitsurl’idéequel’allocationverséepourcompenser(partiellement)lapertedesalaireétaitun«salairematernel»déguisévisantà retirer,même temporairement, lesfemmesdumarchédutravail.Samiseenplacepeuttoutefoisêtreaussiinterprétée comme une volonté d’aider les familles nombreuses qui sont plus durementfrappéesparlapauvreté,notammentenpériodedecriseéconomique(Commailleet al. 2004).

Parlasuite,chaqueréformedecetteprestationaalimentélesdébatssurl’impactdecetteallocationsurl’emploietlacarrièredesfemmesetce,d’autantplusqueles différentes réformes ont toujours été faites en temps de crise économique(Dauphin,2015).En1985, lacréationde l’allocationparentalea lieuaumomentdutournantdelarigueurlorsquelegouvernementchercheégalementàrésorberlechômage.Lecongéestfortementcritiquécommeunevariabled’ajustementauchômagequipermetderetirer-mêmetemporairement-desfemmesdumarchéde

6EnAllemagne,lecongéestde148semaines:douzemoisducongédoiventêtreprisavantlepremieranniversairedel’enfant,etlerestepeutêtreprisjusqu’auhuitièmeanniversairedel’enfant.AuRoyaume-Uniilestde13semaines,c’est-à-direladuréeminimumprévueparladirectiveeuropéenne.

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l’emploialorsquesedéveloppeparallèlementunepolitiqueincitantautempspartielquivasurtoutconcernerlesfemmes.En1994,unenouvelleréformedel’allocationparentaled’éducationouvrel’accèsàl’allocationauxparentsd’enfantsderangdeuxetnonplusseulementauxparentsd’enfantsderangtrois,conduisantàaugmenterlenombrepotentielde femmesse retirantdumarchéde l’emploi.Ànouveau, cette réforme intervientpendant une période de fort taux de chômage, associée au développement de politiquesd’emploiàtempspartiel.

En2004, laprestationd’accueil du jeuneenfant (PAJE)vient remplacer l’APEencréant lecomplémentdelibrechoixd’activité(CLCA).Unchangementprogressifdeparadigmes’opèreenouvrant lapossibilitéd’uncongéparentalà tempspartiel.Lemaintiensur lemarchédel’emploi est désormais l’objectif visé.Pourquoi ce changement?Sansdouteparcequedenombreusesétudes(Cf.entreautresAfsa1996;BonnetetLabbé1999;AlgavaetBressé2005)montraientladifficultépourlesfemmesdereprendreleuremploiaprèsuneinterruption,maiségalementparcequelamontéedelaprécaritéetdelapauvreté,notammentdesenfants,sontdevenuesdespréoccupationspolitiques.LacréationduCLCAestexplicitementjustifiéeparleconstatdeladifficultépourlesmèresdereprendreleuremploiaprèsuneinterruptiond’activitévial’APEetdel’effettrappeàchômageinduit(Dauphin,2015).Aussi,depuis2004,avec lamiseenplacede laPrestationd’accueil du jeuneenfant (PAJE),deuxdispositionstraduisent le souci du législateur de ne pas éloigner durablement des jeunes femmes dumarchéde l’emploi : d’une part, en valorisant financièrement le complément de libre choixd’activité(CLCA)finançantlaréductionplutôtquel’arrêtd’activitéetd’autrepart,enresserrantlesconditionsd’activitéantérieuresnécessairespourlebénéficedelaprestationassociéeàl’arrêtd’activité.Parailleurs,en2006,lacréationduComplémentoptionnellibrechoixd’activité(COLCA)dont lebénéficeestdeduréeréduiteparrapportauCLCAs’inscritdanslamêmelogiqued’inciterlesparentsànepass’éloignerdurablementdumarchédel’emploi(LetablieretDauphin,2016).Cen’estpastantdansunobjectifd’égalitéquedeluttecontrelaprécaritéetlapauvretéquecetteréformes’inscrit.

Ladernièreréformeducongéparentaldatede2014.Cettedernièreviseàinciterlesparentsàpartagercecongéeninstaurantuneprestationpartagéed’éducationdel’enfant(PrePare). Pour percevoirlaprestation,ilfautinterrompretotalementoupartiellementsonactivitéprofessionnelled’uneduréemaximaledesixmoispourunpremierenfantetdetroisanspourdeuxenfants,maisdanscecasleparentdel’autresexe(danslapratique,lepère)doitavoirprisaumoinsunan.S’inspirantdedispositifsexistantdansd’autrespayseuropéens (Allemagne,Suède,Finlande…),l’idéeestd’agirsurlescomportementsetdepromouvoirunpartagepluséquilibrédelapriseenchargedesenfantsauseindescouplesetdonc,d’impliquerlespères,puisquelecongén’estpastransférabled’unparentàl’autre.Toutefois,lefaiblemontantfinancierdecetteprestation,quin’apasétérevu,enfaituneréformedifficilementincitativevis-à-visdespèresetinterrogedeslogiquespluséconomiques(Périvier,2013).

Endépitdeschangementsdedénominationdel’allocation,celle-ciresteuneprestationdelapolitiquefamilialequiconfortesonstatutd’allocation(forfaitaire)audétrimentd’uneréférenceausalaireetàl’activitéprofessionnelle.Larémunérationresteainsiconsubstantielleàlafamille

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plutôtqu’autravail,cequinecontribuepasàlarendrepluséquitableentrelesdeuxmembresducouple(LetablieretDauphin,2016).

II.2/ Des effets à moyen et long terme sur l’emploi des femmesLes travauxmontrant l’impact du congé parental sur l’emploi des femmes sontnombreux.Ilssoulignentcommentcecongélongcontribueàcreuserlesinégalitésentre les femmes et les hommes, en termes de carrière professionnelle, derémunérationetde retraites.Lecongéparentalestsurtoutprispardes femmesfaiblementdiplôméesquioccupentdesemploispeuqualifiésetpeurémunérés.Untiersdesmèresdedeuxenfantsactivesayantdemandél’APEétaientauchômageindemnisé(Afsa,1996).Lesmèresquiyontrecourssontcellesquiontlessalaireslesplusbas,ou lesconditionsdetravail lespluscontraignantesauregardde laparentalité.Laréformede1994quiouvrel’APEauxparentsdèsledeuxièmeenfantaétéparticulièrementcommentée.Eneffet, letauxd’activitédesmèresdedeuxenfants,quiaugmentaitrégulièrementdepuisplusieursannéespouratteindre68 % en1994,achutéde24 pointsenl’espaced’unanpours’établirà44%endécembre1995. L’impact de cette réformeaporté non seulement sur le tauxglobal,maisaussietsurtoutsur lesconditionsd’emploidesfemmes.LaurentLequien(2012)amontré,parexemple,l’impactsurlessalairesd’uneinterruptiondecarrièreavecl’APE:uneannéed’interruptiondecarrièrediminuelesalairejournalierdanslesannéesquisuivent leretourà l’emploi.L’impactapuaussiportersur lastabilitéou laprécaritédesstatuts, la fréquenceet laduréedu tempspartiel, lesécartssalariauxinstantanésetsurl’ensembledelacarrière(Elbaum2010).

Autotal,danslamesureoùlecongéparentals’inscritdansunprocessusdechoixprofessionnelsetfamiliaux(mêmesiceux-cisontcontraintsetpastoujourschoisis),ilentretient,voirerenforce,ladivisionsexuéedestâchesauseinducouple.UneétuderéaliséepourlaCNAFsurl’insertionprofessionnelledesfemmesencongéparental lemontre clairement (Brunet et Kertudo, 2010). Lesmères interrogéesdans le cadre de l’étude ont une sociabilité recentrée autour des enfants et de la sphèredomestique.Lecongéchangeainsilarépartitiondestâchesdanslecouple.Ilplaceces femmesdansunesituationambivalenteen leuroffrant lapossibilitéd’êtrerémunéréespouruneactivitéquin’estpasconsidéréecommeuntravailetquilesenjointàfaireenpermanencelapreuvedelalégitimitédeleursituation.Lasituationd’inactivitéadesrépercussionsdanstouslescassurlesreprésentationsdesbénéficiaires,leurconceptiondeleurancienemploietpluslargementdutravail.Ellejoueainsiunrôleimportantdansleretour(oulenon-retour)decesfemmesàl’emploi.

Cecidit,lenombredefemmesrecourantaucongéparentalàtauxpleinn’acesséde baisser même s’il demeure majoritaire. Entre 2006 et 2014, le nombre debénéficiairesduCLCAàtempspleinabaisséde16,1%tandisquelesbénéficiairesd’un CLCA associé à une activité professionnelle comprise entre 50 et 80 % d’un temps complet sont en progression régulière (ONPE, 2016). Le profil des

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bénéficiairesduCLCAàtauxréduitn’estpastoutàfaitlemêmequeceluiàtauxplein.Cesontdescatégoriessocialesmoyennesetsupérieuresquichoisissent letauxpartieletdonc,passentàtempspartieldansleuremploi.Eneffet,lecongéparentalà tauxpleinestplutôtprispar lescatégoriesdéfavorisées, les femmesavecde faiblesniveauxdediplômesetdansdesemplois faiblementrémunérés.Lecongéparentalà tauxpartielestdavantageutiliséparlescatégoriesmoyennes.Sicetteréformede2004ducongéparentalpermetainsidemaintenirlesfemmessurlemarchédutravaillorsqu’ilestprisàtauxpartiel,lespremierstravauxévaluatifsmontrentqu’ellessemblentnéanmoinsresteràtempspartielaprèslasortiedudispositif(BoyeretNicolas,2012)contribuantàcreuserdesinégalitésentrelesparcoursprofessionnelsdesfemmesetdeshommes.

II.3/ Vers un meilleur équilibre avec les pères ?L’inégalerépartitiondestâchesdomestiquesetparentalesdemeureetpeineàévoluer.Selonl’INSEE,en2010,lesfemmesconsacrentencoretroisfoisplusdetempsqueleshommesàleuractivitédeparent (46minutesconsacréesauxsoinsauxenfantsenmoyennepar jourpour les femmes contre 16minutes pour les hommes) et elles assurent 80% des tâchesdomestiques.Cependant,l’implicationdespèresauprèsdeleursenfantstendàaugmenter.LetravaildeCaroleBrugueillesetPascalSebille(2009)s’estattachéàidentifierlesdéterminantsdelaparticipationpaternelleauxtâchesparentales: lespèressemobilisentdavantages’ilsontunenfantunique,ilsmodulentleurparticipationselonlesexeetsedésengagentvolontierslorsquelesenfantssontplusâgésetautonomes.

LespèresrecourantauCLCAdemeurenttrèsminoritaires :fin2015,ilsreprésententseulement4,2 %des bénéficiaires soit 19 150 pères. Ces derniers recourent, en outre, davantage àun CLCA à taux réduit et dans des proportions quasi identiques auxmères avec un tauxcomprisentre51et80%d’untempscomplet(respectivement41%despèresbénéficiaireset38%desmèresbénéficiaires)etavecuntauxinférieurouégalà50%d’untempscomplet(respectivement6%et8%).Plusd’unquartdespèresbénéficiairespartagentcetteprestationavecleurconjointe(ONPE,2016).L’effetdelaréformePreParEestpourl’instantdifficilementévaluableauboutd’unepremièreannéed’application.Néanmoins,laproportiondespèresauseindesbénéficiairesaurang1n’acesséd’augmenter,passantde2,5 %desbénéficiairesen2014à5,1%en2015.L’arrivéed’unpremierenfantsembleainsiconduireàuneparticipationplusimportantedespères.

Enoutre,lesrecherchessurlespèresencongéparentalmontrentqueleurprofilestparticulierettraduitunrapportàl’emploiplusdistancié(Boyer,2013)sansromprepourautantaveclemodèleprescriptifdetravailmasculin.Auregarddecequ’ilsconsidèrentacceptablesàl’égarddelanormedel’engagementdeshommesautravail,ilsjustifientleuraménagementdutempsdetravailmoinsdansunelogiquede«conciliation»quede«flexibilité». Ilsévoquentlefaitd’être insérésdansunensembledeflexibilité formelle, comme laRTTou la variabilitédeshorairesenvigueurdansleur entreprise,cequileurpermetdenepasfairereconnaîtreleurorganisationtemporelledutravailaunomdelaparentalité.Ainsilacontraintedurecoursautempspartieln’apparaîtpasdanslesentretiens.Tousleshommesinterrogésdéclarentavoirchoisi leur tempsde travail. Il nes’agit doncpouraucund’entreeux«d’emploipartiel » à

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l’initiativedel’employeur,mais«d’emploiàtempsréduit» à l’initiative du salarié, souslaformeleplussouventd’unejournéenontravailléelemercredi(Boyer,2013).

Parailleurs,l’analysecomparéedesrevenusd’activitémoyensentrelespèresetlesmèresbénéficiairesmontreque lesalairemoyendeshommesestsupérieuràceluidesfemmesetceci,quelquesoitletauxduCLCA.Cettedifférenceentreles hommes et les femmes est particulièrementmarquée chez les bénéficiairesduCLCAàtauxplein(3800eurosd’écartauniveaudesrevenusannuels).Lespèresbénéficiairesde laprestationàtauxpartielontunrevenud’activitémoyen(22 100 euros) finalement plus proche (1 500 euros d’écart) de celui de leurs homologuesféminins(20 600 euros).

Le«librechoix»n’estpasdumêmeordrepourlesfemmesetleshommes.Auxfemmes,le«librechoix»derester en emploi ou pastandisquepourleshommes,ilconsistefinalementàchoisirdes’occuper ou pas de leur(s) enfant(s).

ConclusionLaconciliationviefamilialeetvieprofessionnelleestfondéesurletravailrémunérédesfemmescompatible aveclemaintiendeleurrôlesocialàveiller sur l’éducation etlessoinsdesenfants.Orientéeprincipalementverslesfemmescettepolitiquebaséesurle«libre-choix»créeimplicitementdeuxcatégoriessociales:lesfemmesdes catégories moyennes et supérieures qui vont utiliser les modes d’accueilet préserver leur place dans l’emploi ; les femmes des classes socialesmoinsfavoriséesetenpartiemoyennesquivontsuspendredurablement leuractivitéàpleintempsousemettreàtempspartielvialecongéparental.Enoutre,lapolitiquedeconciliationpeineàfavoriser l’égalitédessexesenencourageantnotammentplusactivementleshommesdanslaviefamiliale.

Promouvoir l’égalité des femmes et des hommes conduit sans doute à mieuxarticulerpolitique familialeetpolitiquede l’emploicequipeut fairesensdans ledéveloppementdelogiquesd’activationmaiségalementd’aspirationsàunmeilleuréquilibrede l’ensembledessalariés (OPE,2016).L’articulationestégalementàpenserauseinde lapolitique familialecar l’impactdesenfantssur le rapportàl’emploidesfemmesperdurenonseulementaprèslapetiteenfance.Aussi,c’estbienunepolitiquefamilialeglobalequimériteraitégalementd’êtrerepensée.

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Égalitéentrelesfemmesetleshommes:lecasdesaidantsfamiliauxPar Floriane MAISONNASSE, Maître de conférences en droit privé à l’Université Paul Valéry - Montpellier 3

Floriane MAISONNASSE est docteure en droit et Maître de conférences en droit privé à l’Université Paul Valéry - Montpellier 3. Ses recherches portent sur la prise en charge des vulnérabilités et l’articulation des solidarités familiales et collectives en la matière.

Ladépendancedespersonnesâgéesestuneaffairedefemmes.Qu’onseledise!Ellessonteneffetdoublementconcernées:majoritairementdépendantesetprincipalespourvoyeusesd’aide1.Lesfemmessont,davantagequeleshommes,touchéesparcephénomène,enraisonnotamment d’une espérance de vie plus longue. Elles ont également plus de difficultés àfinancerleurdépendance,auregarddelaconstructiondelaprotectionsocialesurunmodèlefondésur legenre2.Sicette inégalitédegenre tendàsedissiper,particulièrementgrâceàl’individualisation des droits sociaux3, tel n’est pas le cas de celle qui affecte l’aide fourniepar lesmembres de la famille.En2008, sur 4,3millions d’aidants familiaux, près de deuxtiersd’entreeuxétaientdes femmes4.Elles représentent jusqu’à74%desaidants lorsquela perted’autonomiede la personne s’aggraveoudevient psychiqueet que les soins sontplus contraignants5. Dans ces conditions, les politiques sociales de prise en charge de ladépendanceetdesoutienauxaidantsnepeuventfairel’économied’uneréflexionenmatièred’égalitéentrelessexes.

L’adaptationdelasociétéauvieillissementestdevenue«unimpératifnationaletuneprioritéde l’ensemble des politiques publiques de la Nation »6, après avoir été présentée comme1 M. Dubois, Genre et dépendance, Rapp.AN,n°3920,2011.2H.Périvier,«UnelecturegenréedelaSécuritésociale,soixante-dixansaprèssafondation:quelbilanpourl’égalitédesfemmeset

deshommes?»,Informations sociales 2015/3(n°189),p.107-114.3VoirD.Roman,«Lecareetlaprotectionsociale»,ci-dessus.4Lespourcentagesvarientselonlesétudes.Drees,«Enquêteshandicap-santéenménagesordinaires(HSM)etauprèsdesaidants

(HSA)»,2008-2009etN.Soullier,«L’implicationde l’entourageetdesprofessionnelsauprèsdespersonnesâgéesàdomicile»,ÉtudesetRésultats,n°771,août2011:«Lesfemmesreprésentent54%desaidantsinformelsauprèsdespersonnesâgées».Pourd’autres études:Hautconseildelafamille,La place des familles dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, 16juin2011,spéc.p.16:«62%desaidantsdepersonnespercevantl’APAsontdesfemmes».PourunerépartitionplusprécisevoirS.Renaut,«L’aidebénévoleauprèsdespersonnesâgées» in I.SaynetL.-H.Choquet,Obligation alimentaire et solidarités familiales,LGDJ,2000:«-pourleshommesâgés,lesoutienvientprincipalementdeleursconjointes(43%)etdeleursfilles(34%),beaucoupmoinsdeleursfils(12%);autotall’aideétaitféminineà86%;-pourlesfemmesâgées,plusnombreuses,lesoutienvientprincipalementdeleurfille(47%),puisdeleurfils(23%)etendernierlieudeleurconjoint(14%);autotall’aideétaitféminineà59%».Auniveaueuropéen,voirCentred’AnalyseStratégique,Les défis de l’accompagnement du grand âge,Ladocumentationfrançaise,2011,spéc.p.137:«Lesdeuxtiersde l’aideapportéepar lafamillesontcependantassuréspar lesfemmes,qu’ellessoientconjointes,fillesoubelles-filles.Cesontellesquijouentlerôled’aidantprincipal.»,égalementF.Colombo,Besoin d’aide ? La prestation de services et le financement de la dépendance,Rapp.OCDE,2011.

5 M. Dubois, Genre et dépendance, préc.,spéc.p.20.6Loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, article 1. Voir É. Collin, « La loi

portantadaptationdelasociétéauvieillissementdelapopulation:uneprisedeconscienceéquivoque»,JCP A,2Mai2016,2120:L’expression« impératif national»est fort, il n’avait étéutilisé, jusque là,quedans le cadrede la lutte contre lapauvretéet lesexclusions.Pourunaperçud’ensembledelaréformevoirH.Rihal,«Laloirelativeàl’adaptationdelasociétéauvieillissement»,

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un«défi»7,conduitecommeun«chantier»8etjustifiéeàgrandrenfortdechiffres9. Parlaloidu28décembre2015,lelégislateuresquisseundroitgérontologique10 en réalisantuneapprocheglobaleduvieillissement,auquel ilassocieétroitement ladépendance.Celle-ciestdonclargementconstruitecommeunrisquecorrélatifdel’âgeetcloisonnéeparlespolitiquessocialesdelavieillesse.Onpeutdéplorer,àcetégard,uneapprochecatégorielle,séparantainsidépendanceethandicap, aux dépensdelaconstructiond’unenotionjuridiqueautonomeetd’untraitementglobaldeladépendance,qu’ellesoit issuedel’âgeoud’unhandicap11.Ladépendanceestdoncstrictementdéfiniedanslecadredespolitiquessocialesdelavieillessecommeétant«l’étatdelapersonnequi,nonobstantlessoinsqu’elleestsusceptiblederecevoir,abesoind’êtreaidéepourl’accomplissementdesactesessentielsdelavieourequiertunesurveillancerégulière»12.L’objectifaffichéestdésormaisdegarantirle«bienvieillir»oule«vieilliractif»,parlapréventionoul’accompagnementdecequel’onappelledésormaislaperted’autonomie.Àcettefin,lelégislateurnemanquepasderappelerl’importancedessolidaritésdeproximitéàtraverslafiguredel’aidantfamilial.

Laloisurl’adaptationdelasociétéauvieillissementplacel’aidantfamilial,appelédésormais proche aidant, au cœur du nouveau dispositif législatif propre auvieillissement. La définition retenue à cette occasion est différente13, mais plusétenduequecellequiavaitpuêtreadoptée,jusquelà,danslechamprestreintdelaprestationdecompensationduhandicap14. Le Code de l’action sociale et des AJDA2016p.851quiévoqueàproposdecetarticleun«neutronlégislatif»;A.Denizot,«Vieillissementdela

population-Protection juridiquedesmajeurs-Droitaurépit.Loin°2015-1776du28décembre2015relativeàl’adaptationdelasociétéauvieillissement»,RTD civ.2016p.196;B.BartheletetE.Mallet,«Accompagnementduvieillissement:lesprincipalesmesurescontenuesdanslaloidu28décembre2015»,JCP N2016.act.n°100et101;Dossier,«Vieillissementdelapopulation:lepointsurlaréforme»,AJ Fam.2016,p.90ets.

7 CESE, La dépendance des personnes âgées,Rapp.2011,spéc.p.4.8Lacréationd’uncinquièmerisqueétaitinscriteauprogrammeduPrésidentSarkozy.Quatregroupesdetravailrendent

un rapporten2011 (Sociétéet vieillissement -Perspectivesdémographiqueset financièresde ladépendance -Accueiletaccompagnementdespersonnesâgées-Stratégiepourlacouverturedeladépendancedespersonnesâgées). La réforme est finalement reportée, pour être finalement abandonnée en raison de l’impact de la crisefinancièresurlesfinancespubliques.SouslaprésidenceHollande,laréflexionserapoursuivieetunprojetdeloiprésentédevantl’AssembléeNationalele3juin2014.Ilestadoptéle28décembre2015.

9Insee,«Projectionsdepopulationàl’horizon2060.Untiersdelapopulationâgédeplusde60ans»,n°1320,octobre2010:«En2060,23,6millionsdepersonnesseraientainsiâgéesde60ansouplus,soitunehaussede80%en53ans.L’augmentationestlaplusfortepourlesplusâgés:lenombredepersonnesde75ansoupluspasseraitde5,2millionsen2007à11,9millionsen2060;celuides85ansetplusde1,3à5,4millions».VoirégalementM.Duée,C.Rebillard,«Ladépendancedespersonnesâgées:uneprojectionen2040»,Données sociales : La société française-Édition2006.

10S.Ferré-André,«Introductionaudroitgérontologique»,Defrénois2008,p.121.11Centred’analysestratégique,Les défis de l’accompagnement du grand âge,préc.,spéc.p.27surlescritiquesde

lanotiondedépendance.12Loin°97-60du24janvier1997tendant,dansl’attenteduvotedelaloiinstituantuneprestationd’autonomiepourles

personnesâgéesdépendantes,àmieuxrépondreauxbesoinsdespersonnesâgéesparl’institutiond’uneprestationspécifiquedépendance,article2.

13Cettedifférencededéfinition renforce l’approche catégorielle de ladépendance-vieillesseet de ladépendance-handicap.

14Loi du11 février 2005pour l’égalitédesdroitset des chances, laparticipationet la citoyennetédespersonneshandicapées : L’articleR.245-7duCASFdonneunedéfinitionjuridiquedel’aidantfamilial,seulementdanslecadredelaPCH:«Estconsidérécommeunaidantfamilial,pourl’applicationdel’articleL.245-12,leconjoint,leconcubin,lapersonneaveclaquellelebénéficiaireaconcluunPactecivildesolidarité,l’ascendantouledescendantoulecollatéraljusqu’auquatrièmedegrédubénéficiaire,oul’ascendant,ledescendantoulecollatéraljusqu’auquatrièmedegré inclusde l’autremembredu couplequi apporte l’aidehumainedéfinieenapplicationdesdispositionsde

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familles fait duprocheaidant la conditionnécessairede l’accompagnementdespersonnesâgéesenenglobantdésormaisleconjoint,lepartenaireayantconcluunpactecivildesolidaritéouleconcubin,unparentouunalliésanslimitationdedegré,maiségalementlesprochessansliendeparenté.Lanaturedel’aidefournieestégalementprécisée, puisqu’il doit s’agir d’une « aide régulière et fréquente, à titre non professionneldestinéeàaccomplirtoutoupartiedesactesoudesactivitésdelaviequotidienne»15. Son rôleestprimordial,parcequ’ilautorise lemaintienàdomicilede lapersonneâgéeenperted’autonomie. Or, cette solution présente le mérite de répondre à la fois aux attentes despersonnesâgées16etd’êtremoinscoûteusepourlacollectivitéenretardantlapriseenchargeinstitutionnelle.

Lesoutienmatérielet/ouaffectifprodiguéparleprocheaidantestlongtempsrestécantonnéàlasphèredomestique,excludetoutereconnaissanceentermesd’utilitésociale.Lesactivitésdesoinetdesollicitude,désignéespar lanotiondecare17,et largementassuméespar lesfemmessont longtempsrestéesinvisiblesetdénuéesdevaleur.Or, lachargeressentieparlesaidants(es)familiaux(iales)s’avèretrèslourde.Ellepèsesurlasantéphysiqueetmoraledesaidants,sur leurqualitédevie tantpersonnelle,queprofessionnelle18.Afindesoulagerleur tâche, lesdivers travauxsur ladépendance insistentdésormaissur la reconnaissancedu travail domestique et sur le soutien nécessaire aux aidants familiaux, devenus relais etchevillesouvrièresdelacollectivitéauseindelafamille19. Poursuivant cet objectif, la loi sur l’adaptationde lasociétéauvieillissemententendcréer«desdroitspourceuxquiontdesdevoirs»20.Ils’agiteneffetdevaloriseretdereconnaîtreletravaildel’aidantfamilialpourrendrepubliccequiressortaitjusqu’alorsduprivé.L’attentionprincipaleportéesurl’aidésedéplacealors progressivement vers l’aidant, qui acquiert un statut social. Les femmes, principalespourvoyeusesd’aide,bénéficientin fine de cette valorisation du care. Il est toutefois révélateur quelestravauxpréparatoiresdelaloinepensentpaslareconnaissanceduprocheaidantà traversleprismedel’égalitédegenre.Tellequeconçue,lapolitiquedesoutienauxaidantss’avèreimposéeparlaprotectiondel’aidéetnonparcelledel’aidante.Laméconnaissancedesinégalitésdegenredanslapriseenchargedeladépendancelaisseraitalorslaplaceà unepolitiqueconservatricepeupropiceàl’émancipationdesfemmesetàl’égalitédessexes.

l’articleL245-3duprésentCodeetquin’estpassalariépourcetteaide».VoirG.Rousset,«Focus-Lerôledesaidantsfamiliaux,uneréponseàlavulnérabilitéreconnueetencouragéeparledroit»,Informations sociales2015/2(n°188),p.96-98.

15Loin°2015-1776du28décembre2015relativeàl’adaptationdelasociétéauvieillissement,insérantunnouvelarticleL.113-1-3auCodedel’actionsocialeetdesfamilles.

16Courdescomptes,Le maintien à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie. Une organisation à améliorer, des aides à mieux cibler,Rapp.juillet2016,spéc.p.22:Cesenquêtesmontrentqu’unconsensustrèsnetsedégageenfaveurdumaintienàdomicile.90%desFrançaisexprimentunepréférencepourcemodedepriseencharge,cequinelesdifférenciepas,dureste,deleursvoisinseuropéens».

17D.Roman,«Lecareetlaprotectionsociale»,préc.VoirégalementF.Brugère,L’éthique du care,PUF,2e éd.,2014;P.PapermanetS.Laugier,Le souci des autres. Éthiqueetpolitiqueducare, éd. De l’EHESS, 2011.

18N.Soullier,«Aiderunprocheâgéàdomicile:lachargeressentie»,préc.F.Weber,S.GojardetA.Gramain(sousdir.)Charges de famille. Dépendances et parenté dans la France contemporaine,2003,Paris,LaDécouverte;B.LeBihanetC.Martin,«Travailleretprendresoind’unparentâgédépendant»,Travail, genre et sociétés,2006/2,n°16.

19Centred’analysestratégique,Les défis de l’accompagnement du grand âge, préc.,spéc.p.135;Hautconseildelafamille,La place des familles dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, préc.,spéc.p.44ets.A.MoreletO.Veber,Société et vieillissement,Rapp.remisaugouvernement,2011,spéc.,p.64;F.Colombo,Besoin d’aide ? La prestation de services et le financement de la dépendance,préc.,spéc.20ets.

20A.-L.Fabas-Serlooten«Vieillissementdelapopulation: lepointsur laréforme»-Adaptationdelasociétéauvieillissement,unnouveauregardsurlaperted’autonomie,AJ Fam. 2016.90.

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Autrementdit,l’impensédel’inégalitédegenrepeutconduirelareconnaissancedel’aidantfamilial(I)à une instrumentalisationdel’aidantefamiliale(II).

I-Lareconnaissancedel’aidantfamilialLaloisurl’adaptationdelasociétéauvieillissement,danslalignéededispositionséparses concernant le handicap, attribue une valeur au travail domestique enaméliorantlesconditionséconomiques(I.1)etlesconditionsdetravaildel’aidantfamilial(II.2).

I.1/L’améliorationdesconditionséconomiquesdel’aidantfamilialDans un premier temps, la reconnaissance des aidants familiaux s’est réaliséeparleurpriseencompteprogressiveauseindesdispositifssociauxàdestinationdes personnes dépendantes ou handicapées. Dans ces conditions, l’allocationpersonnaliséed’autonomie,destinéeàcompenserlebesoind’aidedelapersonneâgée dépendante, permet, lorsqu’elle est servie à domicile, de financer un pland’aide élaboréparuneéquipemédico-sociale21.Cepland’aideprévoit,notamment,l’emploidesalariéoudeserviced’aideàdomicile.C’estprécisémentdanslecadredeceplanquelelégislateurautorise«lebénéficiairedel’allocationpersonnaliséed’autonomie[à]employerunouplusieursmembresdesafamille,àl’exceptiondesonconjointoudesonconcubinoude lapersonneavec laquelle ilaconcluunpacte civil de solidarité »22. L’aidant familial n’est pas rémunérédirectement parla collectivité23,maispar l’entremisede lapersonnedépendantequi l’emploieetqui est la seule destinataire de la prestation sociale. En pratique, cettemesuren’est pas généralisée dès lors qu’en 2011, « 8 % seulement des bénéficiairesdel’APArémunèrentunaidantfamilial»24.Danslamêmeveine, laprestationdecompensationduhandicapverséeàl’adultehandicapédemoinsdesoixanteanspermetdefinancerunbesoind’aideshumainesoutechniques25,lorsquel’état de la personnenécessitel’aideeffectived’unetiercepersonnepourlesactesessentielsde l’existence ou requiert une surveillance régulière26. Dans ces conditions, l’allocataire « peut employer un ou plusieursmembres de sa famille, y comprisson conjoint, son concubin ou la personneavecqui elle a conclu unpacte civilde solidarité »27. Qu’il s’agisse de l’allocation personnalisée d’autonomie ou dela prestation de compensation du handicap, la rémunération de l’aidant familialtraduitainsiunevalorisationpécuniairedutravaildomestique.Le«prendresoin»quittealorslasphèrestrictementprivéepourpénétrerlechamppublic. Toutefois,

21CASF,art.L.232-3.Surlarevalorisationdel’APAdanslecadredelaloisurl’adaptationdelasociétéauvieillissementvoir:P.Berthet,«Vieillissementdelapopulation:lepointsurlaréforme»-L’APAaprèslaloid’adaptationdelasociétéauvieillissement...unverreàmoitiévide»,AJ Fam.2016p.100.

22 CASF, art. L. 232-7.23Contrairementàcertainespratiquesétrangères:Pourunaperçudesprestationsverséesàl’étrangervoirF.Colombo,

Besoin d’aide ? La prestation de services et le financement de la dépendance, préc.,spéc.p.160ets.24 A. Morel et O. Veber, Société et vieillissement, préc.,spéc.,p.69.25 CASF art. L. 245-3.26CASFart.L.245-4.27 CASF art. L. 245-12.

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le traitement catégoriel de la dépendance et du handicap conduit à exclure larémunérationduconjoint,partenaireouconcubindelapersonnedépendante,tandisqu’elleestpossibledanslecadreduhandicap.Cetteévictionestdenatureàdésavantagerprincipalement lescompagnes,dans lamesureoùcesontellesquisontmajoritairementenpositiond’aiderleursépoux,partenaireouconcubin,comptetenudel’espérancevieplusimportantechezlesfemmes28.Lavalorisationdutravaildomestiqueetlesoutienauxaidantesfamilialesatteintdoncses limitesenmatièredevieillesseseulement : cellede lasolidaritéconjugaledevantresterdel’ordredunaturel,doncdugratuit.

L’amélioration des conditions économiques des aidants familiaux s’est réalisée, dans unsecondtemps,grâceàl’attributiondedroitssociauxquantàlaretraite.Ainsilaloin°2014-40du20janvier2014garantissantl’aveniretlajusticedusystèmederetraitesainstauré,pourlecalculde laretraite,unemajorationdeduréed’assuranceà l’assurésocialassumant,aufoyerfamilial,lapriseenchargepermanented’unadultehandicapédansdesconditionsfixéespar décret29. L’aidant familial bénéficie ainsi d’unemajorationd’un trimestre par périodedetrentemoisdepriseencharge.Silaloiviselapriseencharged’unepersonnehandicapée,unecirculaireaeu l’occasiondepréciserque ledispositif était égalementouvert à l’aidantfamiliald’unepersonneâgéedépendante30.Lorsquel’aidantfamilialn’exerceaucuneactivitéprofessionnelle, et par conséquent ne cotise pas, il est gratuitement affilié à l’assurancevieillessedesparentsaufoyer lorsqu’ilassume,aufoyer familial, lacharged’unepersonneadultehandicapée31.Cesdispositionsreconnaissentlesrépercussionsdutravaildomestiquesurlestrajectoiresprofessionnellesetsontdoncdenatureàcompenserlesinterruptionsoususpensionsdecarrièressubiesparlesaidant(e)sfamiliaux(ales).

I.2/L’améliorationdesconditionsdetravaildel’aidantfamilialLareconnaissancedel’aidantfamilialimposeégalementd’améliorersesconditionsdetravailtantprofessionnelquedomestique.

Surleplandutravailprofessionneld’abord,ilfautgarderàl’espritquelesaidantsfamiliauxsontbiensouventensituationd’emploi.Certainsmécanismespermettentausalarié,quiassumelapriseencharged’unepersonnedépendante,deconcilierviepersonnelleetvieprofessionnelleenaménageant le tempsde travail ou leshoraires du salarié.Ainsi, le congéde solidaritéfamilialeetlecongédesoutienfamilial,devenucongéprocheaidantaugrédeloid’adaptationde lasociétéauvieillissement32,permettentdesuspendre le tempsde travailprofessionnelauprofitdutempsdetravaildomestique.Lecongédesolidaritéfamiliales’adresseà«tout salariédontunascendant,undescendant,un frère,unesœurouunepersonnepartageantlemêmedomicilesouffred’unepathologiemettanten jeu lepronosticvitalouestenphase

28Hautconseildelafamille,La place des familles dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, préc.,spéc.p.16.29CSS,art.L.351-4-2.30CirculairedelaCaissenationaled’assurance-vieillesse(CNAV)n°2015-56du19novembre2015.31 CSS, art. L. 381-1.32Drees,«Enquêteshandicap-santéenménagesordinaires(HSM)etauprèsdesaidants(HSA)», préc. : Selonl’étudemenéeparla

Dreessurl’aidevueparlesaidantsinformelsauprèsdespersonnesâgées,«unaidantinformelsurquatre(26%)aidantaumoinsunepersonneâgéeetoccupantunemploiconnaîtl’existenced’aumoinsundestroisdispositifssanssoldepermettantdefaciliterlerôledesaidants:22%connaissentlecongédesoutienfamilial,12%lecongédesolidaritéfamiliale».

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avancéeou terminaled’uneaffectiongraveet incurable»33, tandisque lecongéprocheaidantpermetausalariédesoutenir«sonconjoint,concubin,partenaire,ascendant,descendant,l’enfantdontilalacharge,lecollatéraljusqu’auquatrièmedegré,oul’ascendant,descendantoucollatéraljusqu’auquatrièmedegrédesonconjoint,concubinoupartenaire,dèslorsquecettepersonneprésenteunhandicapouuneperted’autonomied’uneparticulièregravité»34.Autrementdit,lecongédesolidarité familialepermetausalariéd’accompagnerunepersonneenfindevie,alorsquelecongéprocheaidants’analysedavantagecommeunesuspensionducontratpermettantausalariédeprendreenchargetemporairementunepersonnehandicapée ou dépendante. Renforcés par la loi sur l’adaptation de la sociétéau vieillissement35, et inscrits dans le domaine de l’ordre public à la suite de laloi relative au travail, à lamodernisation du dialogue social et à la sécurisationdesparcours professionnels, le congéde solidarité familiale et le congéprocheaidantsontassouplispours’adapterauplusprèsdescontraintesrencontréesparl’aidantfamilial36etprésententdesgarantiespermettantausalariéderetrouversonemploiouunemploisimilaireassortid’unerémunérationaumoinséquivalente.Ladurée, lesconditionsderenouvellement,defractionnementoudeconversionentempspartielsont laisséesà lanégociationcollectived’entreprise37. À défaut de conventionoud’accordscollectifsd’entrepriseousubsidiairementdebranche, leCodedutravailprévoitque laduréemaximaledechacundescongésnepourraexcéder troismois, tandis que les divers délais de prévenance seront fixés pardécret38.Sansremettreencauseladuréedutravail,ilestencoreloisibleausalariéde demander un aménagement de ses horaires. L’aménagement individualiséestdedroitpour lesaidantsfamiliauxdespersonneshandicapéesdemanièreàfaciliter l’accompagnementdelapersonnehandicapée39.Onpeutregretter,àcetégard,qu’unedispositionsimilairenesoitpasreprisepourlecomptedesaidantsdepersonnesâgéesdépendantes.

Sur leplandu travaildomestiqueensuite, la loisur l’adaptationde lasociétéauvieillissementamélioreconsidérablementlesortdel’aidantfamilialenenfaisantunacteuràpartentièreprisencomptedanslepland’aide.L’équipemédico-socialedoitdésormais«évaluerlasituationetlesbesoinsdesprochesaidants»40afindesoutenircesderniersdansleurmission.L’objectifestainsidesoutenirlesaidantspouréviter lessituationsd’épuisementphysiqueetpsychique.Lelégislateurmet

33CodedutravailL.3142-6.34CodedutravailL.3142-16.35L’ancien dispositif de congé de soutien familial a été considéré comme trop « rigide et restrictif, notamment

dansleRapportdelacommissionmixteparitairepourl’adoptionduprojetdeloisurl’adaptationdelasociétéauvieillissement,enraisonduchampd’applicationtroprestreint,dudélaideprévenancetroplongetdel’impossibilitédefractionnerlecongé.Désormaislecongéprocheaidantouvertàtoutepersonnejustifiantd’unand’anciennetépeutêtrefractionnéoutransforméàtempspartiel,sousréservedel’employeur.

36Lescongéspeuventainsi,avecl’accorddel’employeurêtrefractionnésouconvertisentempspartielCodedutravail,art.3142-8et3142-20.Ledélaideprévenancedel’employeurpeutêtreraccourcieencasd’urgenceCodedutravail,art.3142-7etart.L.3142-19.

37Codedutravail,articleL.3142-26.38 Code du travail, article L.3142-27.39Codedutravail,articleL.3121-49.40CASF,art.L.232-6.

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ainsienplacedessolutionsderépitpourallégerlachargedel’aidantfamilial41. En casd’absencetemporaireduprocheaidant,lepland’aidepourraainsisolvabiliserunrenforcementduserviced’aideàdomicilesupplémentaireouunaccueildejouroudenuitdansunestructured’hébergementtemporaire.Lefinancementdecedroitaurépitpourra dépasser lemontant du plafond autorisé pour les plans d’aide42. Le législateurmetégalementàl’étudelamiseenplaced’expérimentationsderelaisàdomicileassurésparunseulprofessionnelpendantplusieurs joursconsécutifs,sur lemodèledu«baluchonnage»québécois43.Cedispositifpermettraitdedépasserlesrésistancespsychologiquesdeprochesaidantsréticentsàmultiplierlesintervenantsauprèsdelapersonnedépendanteoud’envisagerun hébergement temporaire. Ces structures permettant le répit des proches aidants sontattenduesdepuislongtempsetdoiventêtresaluéescar«améliorerlasituationdesaidants,c’estégalementprévenirlaperted’autonomiedeceuxquiaidentlesplusâgés»44.

La reconnaissance d’un statut pour l’aidant familial bénéficie en définitive aux femmes,principalespourvoyeusesd’aide.Letravaildomestiquequitteprogressivementlasphèreprivéepouracquérirunevaleursociale,cequijustifiel’améliorationdesconditionséconomiquesetdesconditionsdetravaildeceluiqui«prendsoin».Maisl’inégalitédegenrerestelargementimpenséeet lesmécanismesmisenplacerelativementaveuglesà larépartitionsexuéedutravail:s’ilsbénéficientàtous,servent-ilsnécessairementlesintérêtsdechacune?

II-L’instrumentalisationdel’aidantefamilialeLesoutiendesaidantsfamiliauxet lavalorisationducare,dansuncontexteoùlesfemmeset les hommes n’ont pas lemême accès à l’indépendance économique, risquent toutefoisd’assignerl’aidantefamilialeàlasphèredomestique(II.1)etdeluidonnerl’illusiond’unlibrechoixdansl’organisationdesontempsdetravailpersonneletprofessionnel(II.2).

II.1/L’assignationàlasphèredomestiqueL’instaurationd’unsalairefilialdanslecadredel’allocationpersonnaliséed’autonomieoud’unsalaire familialpour laprestationdecompensationduhandicapn’apasprovoqué lemêmedébatqueceluisuscitéparlesalairematernel.L’idéed’unsalairematernelaétérejetéeparcequ’elleconfortelesstéréotypesdegenreetassignelafemmeàlasphèredomestique.Riende tel en apparence pour le salaire filial, disposition neutre qui s’adresse tant aux aidants

41 CESE, La dépendance des personnes âgées, rapp. préc.,spéc.p.17:«prévenirl’épuisementphysiqueetpsychiquedesaidantsen développant une palette diversifiée de structures de répit accessibles géographiquement et financièrement en les intégrantaupland’aidede l’APA (gardes itinérantesde jouroudenuit,hébergement temporaire,accueildenuit,etc.)».CAS, Les défis de l’accompagnement du grand âge, rapp. préc, spéc.p.122-123 :Onobservedans laplupartdespaysdes formulesde répitproposéesauxaidantsfamiliaux.Elles«renvoientàunepriseenchargetemporairedelapersonneâgée(unouplusieursjours),enétablissement(structuresd’accueilditesdejour)ouàdomicile(nombreusesformulessouventsurlemodèledubaluchonnagequébécoisavecunintervenantextérieurquiassureàdomicileunesurveillancejouretnuit)»;Hautconseildelafamille,La place des familles dans la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, préc.spéc.p.51ets.etp.122ets.;Drees,«Aiderunprocheâgéàdomicile:lachargeressentie»,préc.,n°799:«92%desaidantsquiressententunechargelourdeetnepeuventseménagerdestempsderépitdéclarentqu’ilsenauraientbesoin».

42CASF,art.L.232-3-2.Lesupplémentd’aidepourraitainsiatteindre500eurosparan.Lelégislateurprévoitégalementdessolutionsderépitd’urgencepourfairefaceàl’hospitalisationduprocheaidant,voirCASFart.L.232-3-3.

43Voirlerapportannexéàlaloidu28décembre2015surl’adaptationdelasociétéauvieillissement.44 M. Pinville, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au

vieillissement,Rapp.AN,17juillet2014,spéc.p.49.

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qu’auxaidantes.Pourtant, lorsque l’allocationpersonnaliséed’autonomiepermetderétribuerunaidantfamilial, ils’agit«dans88%descasd’unefemme»45. La salarisation des aidantes familiales risque donc de renforcer les discriminationscroiséesenaccentuantlesinégalitésdegenreauseindelafamille,maiségalementlesinégalitéséconomiquesentrelesdifférentsgroupessociauxfamiliaux.

Dans un premier temps, les inégalités économiques tenant à l’infériorité dessituationsprofessionnellesetdesniveauxdesalairedesfemmesrendentlecoûtdurenoncementàl’emploimoinspréjudiciablepourlesfemmesquepourleshommes46. Auseinducoupleoudesfratries,onobservedecefaituneplusfortepropensionde femmes à bénéficier de ce salaire.Cette inégalité de genre se double dansun second tempsd’une inégalité économique, parceque cedispositif s’adressegénéralementàdesmilieuxsociauxdont lesrevenussont lesplusfaibles.Danscesgroupesfamiliaux,lesalairefilialrenforcefinalement«l’assignationausoutiendomestiquedes femmesdans lesmilieuxsociauxoù ils’avère indispensabledefairesoi-mêmeetplusdifficiledefairefaire»47, tandisquedans lesmilieuxplusaisés,ledispositifdel’allocationpersonnaliséed’autonomiepermetuneplusgrandeexternalisationverslesservicesd’aideàdomicile.Endéfinitive,cedispositifsocialvisant à solvabiliser les besoins de l’aidant entraîne, par un jeu d’effet pervers,l’isolementde l’aidante familialedont laqualificationprofessionnelleest souventpeureconnueetvivantdansunmilieuàfaiblerevenu.Lesalaireainsiversé,s’ilalemérited’améliorerlaconditionéconomiquedel’aidantefamilialeparrapportàlafournitured’untravailgratuit,restetoutdemêmetrèsinférieuràlavalorisationd’untravailprofessionnel.Cetenfermementdanslerôledesoutienfamilialaboutitprogressivement à dégrader l’employabilité des femmes concernées et à leséloignerunpeuplusdelasphèreprofessionnelleauprofitd’uneréassignationàlasphèredomestique.

II.2/L’illusiondulibrechoixLaconciliationde lavieprofessionnelleetde lavie familialeauprofitde l’aidantfamilial d’une personne âgée vise à offrir à ce dernier le choix d’assumer sesresponsabilités familiales tout en préservant son emploi. Les dispositifs mis enplace s’adressent aussi bienaux femmesqu’auxhommes. Il n’endemeurepasmoinsqu’onpeuts’interrogersurleurcapacitéàpermettreunemeilleurerépartitiondelacharged’aidantentrehommesetfemmes.

S’agissant des congés, Il faut d’abord rappeler qu’ils ne sont pas rémunérés.Lasuspensionducontratde travail s’accompagnedoncd’unesuspensionde la45 A. Morel et O. Veber, Société et vieillissement, Rapp. préc.,spéc.,p.69.46G.Cresson,«Lesfemmessurtout:rapportssociauxdesexeetsolidaritévis-à-visdespersonnesdépendantes»,

inF.LeBorgne-UguenetM.Rebourg(sousdir.),L’entraide familiale : régulations juridiques et sociales,PUR,2012,p.303,spéc.p.308.

47S.Pennec,«L’institutionnalisationdusalairefilial.Àtraverslaprestationspécifiquedépendanceetl’aidepersonnaliséed’autonomie»,Gérontologie et société,2003,n°104,p.213.VoirégalementS.Pennec,«Lessolidaritéspratiquesdusoinaugrandâge:entreinégalitésfamilialesetprécariatprofessionnel»,inF.LeBorgne-UguenetM.Rebourg(sous dir.), préc.,p.255.

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rémunération, sans revenude remplacement.Dans ces conditions, le libre choixdesprochesaidantssembleillusoireetrisquedesefaireaudétrimentdesfemmes,compte tenu de l’infériorité de leurs revenus et des représentations sociales48. Leur neutralitéauregarddelarépartitionsexuéedutravaildomestiqueestcriantesionlacompareauxdispositifsdelapetiteenfance,misenplaceparlaloidu4août2014relativeàl’égalitéréelleentrelesfemmesetleshommes,pourfavoriserunmeilleurpartagedesresponsabilitésparentales.Enmatièredecongépermettantdeprendresoind’unparenthandicapéouâgé,l’enjeudelarépartitionsexuéedutravaildomestiquerestelargementimpensé.Ilestvraiquede telsmécanismesrestentplusdifficilesàimaginer,carilnes’agitpasseulementd’opérerunmeilleurpartagedesactivitésdecareauseinducouple,maispluslargementauseindesfratries,voireentregénérations.

Delamêmemanière,siledroitaurépitestdenatureàallégerlachargesupportéeparl’aidantefamiliale,iln’estpascertainquecemécanismesoitdavantageapteàencouragerleshommesàassumerle«prendresoin»despersonnesdépendantes.Ledroitaurépitpermeteneffetl’externalisation temporaire des activités de care. Or, l’externalisation des responsabilitésfamilialesneconduitpasà la répartitionégalitairedu travaildomestique.Bienaucontraire,ilconforteunedivisionsexuéedestâchesfamiliales.Danslafamille, lapossibilitépouruneaidantefamilialed’allégersonfardeauenconfiantmomentanémentlachargedelapersonnedépendanteàuntiersprofessionnelduserviceàdomicilenepermetpasdesensibiliser lesautrespourvoyeursd’aidepotentiels.Bienaucontraire,ilyalàmatièreàlesdéchargerd’unéventuelrôlederelaioud’appoint.Endehorsdelafamille,l’externalisationdutravaildomestiques’effectue auprès du secteur professionnel d’aide à domicile, lui-même essentiellementféminin49.Ladéfamilialisationducarenegarantitpasuneégalitéentrehommesetfemmesdanslapriseenchargedeladépendance.Ellerépercutesurd’autresfemmes,salariéesdusecteuràdomicilelesoutienmatérieletl’accompagnementdelaperted’autonomie50.Cephénomèneadéjàpuêtreobservédanslesecteurdelapetiteenfance,danslequelledéveloppementdesservicespublics,quiautorisecertesunecertaineémancipationdesfemmes,nesuffitpasàluiseulàgarantirunerépartitionégalitairedesresponsabilitésparentales.

En définitive, la reconnaissance et la valorisation de l’aidant familial témoignent de l’utilitésociale des activités de care et de leur accession à la conscience sociale. En revanche, si les dispositifsdécritsnesedoublentpasd’unsecondobjectif,celuidel’égalitéentrelessexes,lesoutienauxaidantsrisquederemettreencausel’émancipationdesfemmesetlarépartitionégalitairedestâchesfamiliales.

48A.Gardin,«Tempsdetravailettempsfamilial:versunearticulationdestemps»,Recherches et prévisions 2003,n°73,p.35.49M.Dubois,Genre et dépendance, préc.,spéc.p.23.50B. Le Bihan et B. DaRoit, « La prise en charge des personnes âgées dépendantes en France et en Italie. Familialisation ou

défamilialisationduCare?»,Lien social et politiques,2009,n°62.

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ProtectionsocialeetactivitéprofessionnelledesfemmesenAllemagne:analysedesrécentesmesuresvisantàpromouvoirl’égalitéentrelessexesPar Jeanne FAGNANI, CNRS, IRES et Brigitte LESTRADE, Université de Cergy-Pontoise

Jeanne Fagnani est directrice de recherche au CNRS et chercheur associé à l’IRES. Parmi ses thèmes de recherche, on peut citer les politiques familiales (transferts financiers, équipements et services) en France et en Allemagne, les mesures en faveur de l’articulation vie professionnelle/vie privée,…Elle a participé à la direction et la co-écriture de l’ouvrage « Environnement et inégalités sociales », paru en septembre 2015 aux éditions « la documentation française ».

Brigitte Lestrade est professeure émérite de civilisation allemande contemporaine à l’Université de Cergy-Pontoise. Ses activités de recherche portent sur les aspects économiques, sociologiques et culturels de l’Allemagne de nos jours, plus particulièrement de l’évolution du monde du travail.

Connupouravoirpromujusqu’àlafindeladécennie1990lemodèlede«l’hommeprincipalpourvoyeurdesressourcesduménage»(«male breadwinner model»),lapolitiquefamilialeallemandeapeuàpeupris sesdistancesaveccemodèleenvigueurdans lesLänderdel’ex-RFA1depuislafindelaSecondeguerremondiale.D’importantesréformesdanslechampde la protection sociale ont ainsi contribué à la hausse du taux d’activité des femmes, enparticulierdeceluidesmères.Nousnousproposonsicid’analysercesréformesetleurimpactsurlesmodalitésdeparticipationdesfemmesaumarchédutravailauprismedelaquestiondel’égalitéentrelessexesenAllemagne.

Après une présentation des réformes introduites ces dernières années, en particulier desdispositifsmisenplacedans ledomainede lapolitique familialeen faveurd’unemeilleurearticulation de la vie familiale et professionnelle, l’accent seramis sur l’évolution des tauxd’emploi des femmes et sur lesmodalités de leur participation à la vie économique. Pourconclure,unbrefbilandesavancéesauregarddelaquestiondel’égalitéentrelessexessurlemarchédutravailseradressé.

1AlorsquelaRDAavaitinscritledroitetl’obligationdetravailpourtousdanslaConstitution,créantde factol’égalitéjuridiqueentrehommesetfemmes.

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Les dispositifs visant à faciliter l’articulation travail/familledesparents:unoutilauservicedelapromotiondel’égalitéentre les sexesLes modes d’accueil du jeune enfant : un développement important mais encore insuffisantDans les Länder de l’ex-République Fédérale d’Allemagne, les femmes furentlongtempsencouragéesàseretirerdumarchédutravailàlasuited’unenaissanceetàseconsacrerexclusivementàl’éducationdujeuneenfantjusqu’àcequ’ilaitl’âgedefréquenter,leplussouventàmi-temps,leKindergarten, entre trois ans et sixans.Toutefois lavenueaupouvoir,en1998,delacoalitiongouvernementale«rouge-verte»(Partisocial-démocrate-SPD-etlesVerts),dirigéeparleChancelierGerhard Schröder, inaugura une période de remise en cause de certains desfondementsdelapolitiquefamilialeetd’adoptionprogressivederéformesdansledomainedesaidesàla«conciliationtravail/famille».

Cecis’esttraduitparuneaugmentationdel’ensembledesdépensesenfaveurdesfamilles2, de 2,3 %duPIBen1991à3,2 %en20093alorsquedurantcettepériodelaproportiond’enfantsâgésde0à18ansdanslapopulationdiminuait(de20,2%à17,8%).Endépitde l’adoption,en2009,d’unenouvelle règled’orbudgétaire(Chagny,2010),quis’estnotammentappliquéeàdescommunesdéjàendifficultéfinancière,lesecteurdelapetiteenfanceabénéficiéd’unehausseimportantedesonfinancementpublic :entre2005et2012, lebudgetdescrèches -cofinancépresqueàpartségalesparlescommunesetl’Étatfédéral-estpasséde10,8à18,4milliardsd’euros(Kahmann,2014).

Depuis1994,grâceàplusieurslois(Fagnani,2012),enAllemagnedel’Ouest,laproportiond’enfantsdemoinsde3ansaccueillisdanslescrèches-leplussouventàmi-temps-estpasséede2,2 % à 28,2 % en 2015 (tableau 1). Dans les nouveaux Länder, celle-ci reste nettement plus élevée du fait de l’héritage des politiquesmenées par l’ex-République démocratique allemande (RDA) qui obligeaient lesmères(voirnote 1)àêtreprésentessur lemarchédutravail.Toutefois,endépitdelaloide2013quiobligelesautoritéslocalesàoffriràchaqueenfantdemoinsdetroisansuneplacedansunmoded’accueilsubventionné,lapénuriedanscedomainereprésenteencoreunfreinà la(ré)insertiondesfemmessur lemarchédu travail.

2ContrairementàlaFrance,lesménagesontmaintenantlechoixentrel’impositionconjointe(quipermetdebénéficierduquotientconjugal)etl’impositionséparéedesrevenus.

3Source:Eurostat-SESPROS.

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Tableau 1. % d’enfants de moins de trois ans pris en charge par une structure d’accueil collectif ou par une assistante maternelle subventionnée en Allemagne : évolution 1994-2015

1994 2015Allemagne 6,3 32,9AnciensLänder 2,2 28,2*NouveauxLänder 41,3 51,9

*SansBerlin.Source : Statistisches Bundesamt, Destatis,2016.

Lacomplexitédesrelationsinstitutionnellesentrel’Étatfédéral,lesLänderetlescommunes,lesréticencesdecertainescollectivitéslocalesàfinancerlacréationdenouveauxéquipementsdansuncontextederestrictionsbudgétaires,l’influencepersistantedesnormesquirégissentl’éducationdesjeunesenfantsetlepoidsdupassérestentdesobstaclesconsidérables.Parailleurs, la pénurie de personnel qualifié dans ce secteur ainsi que la rareté des espacesdisponiblesenmilieuurbainfreinentlacréationdenouvellesstructures.Lecheminquimèneà la réalisationd’unepolitiqued’accueilde lapetiteenfancedegrandeampleur restedoncdifficile,bienquelasituations’amélioreprogressivement.

Concernant lesenfantsâgésde troisàsixans, lasituationestplussatisfaisante :après laréunification, suite aux négociations et aux polémiques provoquées par la question de lalégislation sur l’avortement et à son application fort restrictive enAllemagne de l’Ouest, etgrâceàunedécisionde laCour constitutionnelle fédérale, legouvernementd’HelmutKohldut introduire -à titredecompensation -des réformesconcernant l’accueil desenfantsdecettetranched’âgedanslesjardinsd’enfants(Kindergarten).Laloide1996obligeaainsilescollectivités localesàoffriruneplaceà toutenfantdecetâgedansun jardind’enfants, lesLänderétanttenusd’accorderdessubventionsauxcommunespourleurpermettred’accomplircettetâche.D’abordreportéedufaitdesdifficultésbudgétairesinvoquéesparlesmunicipalités,la loide1996permet,depuis1999,à tous lesenfantsâgésde3à6ansd’êtreaccueillis -souventàmi-temps, maisdefaçoncroissanteàtempscomplet-dansdesjardinsd’enfants4.Cettepolitiqueengagéesurlavoiedesréformes,atteignitsonpointd’orgueavecl’adoptiond’unnouveaucongéparentalen2007,l’Elterngeld.

L’adoption d’un congé parental plus court et mieux rémunéré : un grand pas vers plus d’égalité entre les sexesCetteréforme(inspiréeducongéparentalenvigueurenSuède)estemblématiqueduchangementdeparadigmed’unepolitiquefamilialequi tourne ledosaumodèletraditionnelde lamèreaufoyer.Ellecorrespondaitavanttoutauxattentesdesemployeurs,confrontésàunepénuriede

4Lesresponsabilitésdanscedomainesont,eneffet,départagéesentrel’Étatetlescollectivitéslocalesselonlaloiconstitutionnelle(fondementdusystèmepolitique) : lepremierdéfinit lesorientationsmais laisseauxsecondes laresponsabilitéd’enassumer lesconséquences.Àceteffet, lacommunedoitaussicollaboreravec lesorganismesprivés,desassociationssansbut lucratifet lesÉglisesquigèrentdenombreuxétablissements.

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personnel qualifié. Ceux-ci ont vigoureusement soutenu la Ministre de la famille,Ursula von der Leyen (Fagnani, 2012), face aux critiques desmembres les plusconservateursdelaCDUetdel’églisecatholique.Cetteréformevisait,enparticulier,àencouragerlesfemmeslesplusdiplôméesàreprendrerapidementleuremploiàlafindelapérioded’unand’octroidelaprestation.Auparavant, le parent (en réalité, la mère) pouvait interrompre son activitéprofessionnelle pendant trois ans à la suite d’une naissancemais ne percevaitqu’unemodeste prestation forfaitaire (environ 300 euros). Le nouveau dispositifconsiste à accorder une prestation de substitution (Elterngeld) correspondantà67%duderniersalairenet (plafonnéeà1800eurosnetsparmois),pendantun an, au parent qui cesse de travailler. Une incitation à la prise d’une partieducongé(aumoinsdeuxmois)par lepèreaété introduitesous la formed’uneaugmentation de la durée de rémunération totale accordée aux parents, soit14moisencasdepartageentrelesdeuxparents.Pouréviterdepénaliserlesbassalaires(inférieursà1000eurosnetsparmois),letauxderemplacementdeleursrevenusprofessionnelsestaugmenté5.Unminimumde300eurosestaccordéauxparentsquinetravaillaientpasavantlanaissance,soitunmontantéquivalentauxprestationsverséesparlerégimed’assurancechômage.

Pourpermettreauxbénéficiairesdenepas rompre tout lienavec lemarchédutravail, laprestationestcumulableavecuneactivitéprofessionnelled’uneduréemaximumde30heuresparsemaine(danscecas,l’allocationestréduiteenfonctiondu nombre d’heures travaillées). En conséquence, les femmes sont incitées àtravailleràtempspleinavant lanaissancedel’enfantpourminimiser lapertederevenu professionnel lors du congé parental. Le parent concerné peut, commeauparavant,bénéficierd’uncongéparentald’uneduréede troisans (Elternzeit), quigarantit le retourà l’emploi.Cecongépeut toutefoisêtre fractionné jusqu’auhuitièmeanniversairede l’enfant.Ledispositifde l’Elterngeldestflexibleetpeutdonner lieu à différents arrangements entre les conjoints. Les parents peuvent,parexemple,partagerletempsdurantlequelilsperçoiventlaprestation:soitenmêmetemps(laduréetotaledechacunestalorsdeseptmois),soitàlasuitel’unde l’autre.

Cetteréformepoursuivaitégalementunobjectifdepromotiondel’égalitéentrelessexes et, dans ce domaine, de petits pas dans la bonne direction ont été faits.Bienque lespèresrestentminoritairesparmi lesbénéficiaires,onapuobserveruneaugmentationsignificative-parrapportaudispositifantérieur-dunombredeceuxquienontbénéficié:concernantlesnaissancesquionteulieuen2010,plusd’unquart(25,3%)despèresontrecouruàcedispositifentrejanvier2012etmars20126.Parmieux,lestroisquartsdurantunepériodededeuxmoiset6,5 % durant uneannéeentière(maisc’étaitlecasdeneufsurdixdesfemmesbénéficiaires).

5Parexemple,leparentquigagnait700eurosnetsparmoisperçoit82%desonsalaireantérieur,aulieude67%.6Source :StatistischesBundesamt,2012.

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Enrevanche,leseffetsdecettenouvelleprestationsurlescomportementsd’activitédesmèresàl’issuedecedispositifsesontavérésambivalents:leurtauxd’emploiacertesaugmentémaisprincipalementgrâceàlahaussedurecoursauxemploisàtempspartiel(Giraud,Lechevalier,2013).

Tableau 2 : Taux d’emploi des femmes ayant un enfant âgé de 2 à 3 ans en Allemagne : évolution 2006-2011

%àpleintemps

%àtempspartiel

Mini jobs Tauxd’emploi

2006 11 19 13 42

2011 15 27 12 54

Source :BMFSF(2014).

Parailleurs,leclivageentrelesplusdiplômées,quitravaillentàtempspleinetfontcarrière,etcellesquinedisposentquedefaiblesqualificationsprofessionnellessembles’êtrecreusé:seuleslespremièrespeuventpallierauxlacunesdespolitiquesd’accueildujeuneenfantettravailleràtempscomplettoutenbénéficiantdedéductionsfiscaleslorsqu’unefamilleemploieunepersonnepours’occuperdeleurenfant.

Il est vrai que les normes éducatives traditionnelles influencent toujours les modalités departicipationdesfemmesaumarchédutravailetleurdécisiond’avoirounonunenfant.Lesfemmeselles-mêmes restent fort réticentesà l’idéequ’unenfantpuisseêtreaccueilli toutela journéedansunéquipementcollectif.Unerécenteenquête7montrequemême parmi les jeunes couples qui ont un enfant âgé de moins de 6 ans,66%considèrentpréférablequelamèred’unjeuneenfanttravailleàtempspartiel,mêmesielleaunmétierintéressant,et16%seulementestimentqu’elledevraittravailleràtempsplein,cequiestrévélateurdespuissantesinjonctionsquipèsentencoresurlesmèresdejeunesenfants.En2008,62%despersonnesâgéesentre18et40ansenAllemagnede l’Ouestapprouvaient l’affirmationselon laquelle«Unenfantestsusceptibledesouffrirsisamèretravaille»contre41%enFrance.

La place des femmes sur le marché de l’emploi : une visibilité croissante mais des fragilités qui subsistentLetauxd’emploienAllemagneacecideparticulier,comparéàceluidelaplupartdespayseuropéensetnotammentlaFrance,qu’ils’estaccrucesdernièresannées,endépitdelacriseéconomique,atteignant72,9 %pour les femmeset82,5 %pour leshommes8. Concernant le tauxd’emploi, lesAllemandesoccupentactuellement la5epositiondans l’UE(laFrance,la 14e), justederrière lespaysscandinaves.Aprèsune interruptionbrutaleà l’Est,dans les

7 Source:InstitutfürDemoskopied’Allensbach.8LestauxcorrespondantspourlaFranceen2014sontde67,5%pourlesfemmeset75,5%pourleshommes(travailleursde15

à 64 ans), http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=CMPFPS03138. Les différences entre la France et l’Allemagnes’expliquentaumoinsenpartieparl’écartquiexisteentrel’âgeréglementaired’accèsàlaretraitedanslesdeuxpays,quiestdeplusdetroisansactuellement.

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nouveauxLänder,àlasuitedel’unification,laparticipationdesfemmesàl’emplois’estrégulièrementaccrue,sansimpactnotabledelaconjoncture.Mêmeen2009,auplusfortdelacrise,avecunreculduPIBde-4,7 %,l’emploidesfemmesn’aguèrediminué.EnAllemagne,commeenFrance,letauxdechômagedesfemmesest inférieuràceluideshommes(Allemagne : femmes4,6 %,hommes :5,3 %, France:femmes10 %,hommes10,5 %, source INSEE).

Si le taux d’emploi des femmes atteint un niveau record - elles constituent en2013, 46,3 %de l’ensemble des actifs, non loin de l’égalité -, l’analyse de leurparticipation, en termes de nombre d’heures de travail, donne une image biendifférente : le nombre de femmes actives a augmenté, mais pas le volume detravaileffectué.En2013,leurnombred’heurestravailléesatteignaitenmoyenne30,1heuresparsemaine,alorsqueceluideshommesétaitde39,5heures.Enréalité,laparticipationdesfemmesàl’emploicorrespondàpeineà40 %dunombred’heures travaillées.Cettedifférenceestessentiellementdueau travail à tempspartiel.Laproportiondesactivesquitravaillentàtempspartiels’estrégulièrementaccrue;passantde36 %en2000à46 %en2012.Depuiselleneprogresseplusguère,peut-êtreenraisondesmesuresprisesparlegouvernementenmatièredepolitiquefamiliale.

EnfaitlereculdesactivitésindustriellesenAllemagne,bienquemoinsprononcéqu’en France, et l’essor concomitant du secteur des services ont favorisé ledéveloppement du travail rémunéré des femmes,mais essentiellement à tempspartiel.Ellesreprésententunpeuplusde lamoitiédesactifsdans l’hôtellerie, lecommerceetlesassurances,lesdeuxtiersdansledomainedel’enseignementetdelaformationetlestroisquartsdanslesecteurdelasantéetdusocial(Brenke,2015).Danscelui desservicesauxparticuliers, ellesdétiennent laquasi-totalitédesemplois,bienqu’onconstateunlégerrééquilibrageenfaveurdeshommes9. La surreprésentation des femmes dans le domaine des services s’accompagned’uneprésencemassivedanslesdiversesvariantesdel’emploiatypique,tellesqueletravailàtempspartieldéjàcité,maisaussilesCDD,l’intérimetlesminijobs10. Lesemploisàtempspartielsontplébiscitésparlesfemmes,majoritairementdesmères,quireprésentent78%desactifsàtempsréduit,carilsleurpermettentdelesconcilieravecleurschargesfamiliales11.

9Les hommes commencent à investir un domaine d’activité traditionnellement réservé aux femmes, en raisonnotammentduniveaudesalaire,plusélevéchezlesparticuliersqueceuxversésparlesentreprisesdenettoiement.L’introduction du salaireminimumde8,50 euros au 1er janvier 2015n’a pas d’impact sur ce début de transfertd’activitéversleshommes,carlesrémunérationshorairesdesfemmes(ouhommes)deménageassujettiesauxassurancessocialessesituentau-dessusdecemontant.

10 Les minijobs,uneformedetravailàtempstrèspartielnonsoumisàcotisationssocialesetaurégimefiscaltrèsfavorable,sontpratiquésparenviron12%desactifs,dont63%defemmes.7sur10n’ontqu’unminijobpourtouteactivitéprofessionnelle,d’aprèsl’Agencefédéraledutravail.

11Lesdeuxtiersdesmèresdefamillestravaillentàtempspartielcontre6%seulementdespères.Parmilesmères,seules14%estimentqu’ils’agitd’unchoixpardéfaut,alorsquec’estlecaspour24%deshommesquisontplussensiblesauxinconvénientsdutravailàtempspartiel,telsquelafaiblessedesrémunérationsetdoncdesretraitesetl’absencedeperspectivesdepromotion.(SebastianBechmannetal.,2013).

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Des efforts de rattrapage en matière d’égalité de salaire et de carrièreSi,enmatièredechômage,lasituationdesfemmesallemandesestenviable,teln’estpaslecasenmatièredesalairesetderémunérations.D’aprèsDestatis,l’Agencefédéraledestatistique,l’écartentrelessalaireshorairesdeshommesetdesfemmesneseréduitpas.En2014, ilétaitenmoyennede22 %, inchangédepuisdixans12. Toutefois, une différence considérableexisteentre l’estet l’ouestdupays :dans lesnouveauxLänder, ledifférentieln’estquede9%,alorsqu’ilatteint23%danslesanciensLänder13.Ladifférencemoyennede 22 %désignel’écartnoncorrigé.Ilnetientpascomptedelaformation,del’ancienneté,dusecteurd’activitéoudupositionnementhiérarchique.Parmi lescausesduGender Pay Gap noncorrigé,onpeutciterlesdifférencesentrelesprofessionsetlesdomainesd’activitéchoisisparleshommesetlesfemmes,lesexigencesdifférentesconcernantleniveaudequalificationetde responsabilité,sansoublier lamoindreanciennetéet levolumede travail inférieurenmoyenne.D’après l’enquêtesur lastructuredes rémunérations (Verdienststrukturerhebung) conduitetouslesquatreansparDestatis,cescausesexpliqueraientlesdeuxtiersdel’écart.Letiersrestant,quicorrespondauGender Pay Gapcorrigé,estde7 %,touslesparamètresétantégauxparailleurs14.

Afin de lutter contre l’écart corrigé des salaires qui perdure, le gouvernement allemand aannoncéparlavoixdesaMinistredelaFamille,ManuelaSchwesig,savolontédefairevoteruneloipermettantuneplusgrandetransparencedessalairesauseindesentreprises.Lancéeen2015,cetteinitiativedevrapermettreauxsalariés,nonpasdeconnaîtrelarémunérationdechaquecollègueindividuellement,maisdevérifiersileursalaireestcomparableàceuxd’ungroupedecollèguesayantdesactivitésanalogues.Ceprojetn’ayantpasencoreabouti,onneconnaîtpaslepérimètredesentreprisesconcernéesparcettemesure.Uneautreinitiativedelagrandecoalition,exigéeparlessociaux-démocrateslorsdelaformationdugouvernement,a déjà donné des résultats tangibles. Il s’agit de l’introduction du salaire minimum au1erjanvier2015.SelonDestatis,ilyavaitenAllemagne5,5 millionsd’emploisen2014dontlarémunérationétaitinférieureausalaireminimumhorairede8,50 euros.Puisquelesfemmesreprésentaient61,7 %dessalariésfaiblementrémunérés,ellesontparticulièrementbénéficiéde cette revalorisation15.

12Larémunérationhorairebrutemoyennedeshommesétaitde20,20eurosen2014etcelledesfemmesde15,83euros(Destatis,PressemitteilungNr.099du16.3.2015).D’aprèsleGlobal Gender Gapreportde2015duWorldEconomicForum,l’Allemagnesesitueenmatièred’égalitédessalairesàla11e place(France:15e). http://reports.weforum.org/global-gender-gap-report-2015/rankings/

13Si l’écart resteconsidérable, lemouvementde rapprochementexiste : ledifférentielde rémunérations’estaccrude3%à l’est,alorsqu’ilareculéd’unpointàl’ouest.LadétériorationdelasituationdanslesnouveauxLänders’expliqueparlesaugmentationsdesalaireimportantesobtenuesdanslesecteurindustriel(+11,8%entre2009et2013comparéà+6,7%danslesservices),oùlamain-d’œuvremasculinedomine.

14Endépitdel’énormeécartentreleGender Pay Gapnon-corrigéestetouest,l’écartderémunérationcorrigésesitueàunniveaucomparable:9%pourlesnouveauxLänderet7%pourlesanciens.L’égalitéduGender Pay Gapcorrigéetnon-corrigédanslesnouveauxLändermontrequelesfemmesdanscesrégionsontconservé,plusde25ansaprèsl’unification,uncomportementvis-à-visdutravailetdel’emploiquicorrespondàcetteégalitédetraitementvoulueparl’ancienrégimedelaRDA.

15Dèsle1.1.2015,4 millionsdecesemplois-environ10 %dutotaldesemploisenAllemagne-bénéficiaientdelaprotectiondelaloietvoyaientleurrémunérationaugmenterdeplusd’uneurodel’heure,lesalairehorairebrutavantcettemesureétantàpeinesupérieurà7euros.Cesontessentiellementlessecteursducommercededétailetdelagastronomie,oùiln’yaguèredeconventionscollectives,quiprofitentdecettemesure.Les1,5 millionsd’emploisrestantconcernentlesexceptionsàl’obligationdusalaireminimumquesontlesapprentis,lesstagiairesetlessalariésdemoinsde18 ans.

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Silegouvernementpeutdifficilementagirpourassurerauxfemmesdesperspectivesdecarrièreàégalitéavec leshommesdans toutes lesentreprisesprivées,où lasituation est loin d’être satisfaisante16, il prend des mesures, sous l’impulsionde l’Europe, afin d’accroître leur présence dans les conseils d’administration.Après des semaines de discussions acerbes au sein de la grande coalition, legouvernementaimposédèsle1erjanvier2016unquotade30 %defemmesdansles conseils d’administration de 108 entreprises cotées en bourse. 3 500 autres grandesentreprisessontdansl’obligationdesefixerelles-mêmesdesobjectifsdeféminisationdesconseilsd’administration,desdirectoiresetdesniveauxélevésdemanagement.Parcesdécisions,l’Allemagnes’inscritdansunmouvement,amorcéenNorvège,qui semanifestedansbonnombredepayseuropéens,notammentenFranceetenEspagne.Lesentreprises,obligéesdes’yconformer,soulignenttoutefoislesgrandesdifficultésàtrouverdescandidatesquicorrespondentaucahierdes charges en termes d’aptitude et d’expérience. Elles craignent que, commeenFrance, lesquelquesraresdirigeantessoientcooptéespartouteslesgrandessociétés,etellesnemanquentpasde rappeler l’échecdecertainesd’entreellesdansdesgrandessociétésenAllemagne,tellesqueSiemensouEon.

ConclusionLes réformes relatives au marché du travail, le développement massif desinfrastructures d’accueil de la petite enfance et lamise en place d’un nouveaudispositif de congé parental ont incontestablement œuvré en faveur del’émancipationéconomiquedes femmes toutenoffrantauxpères lapossibilitéd’uneparticipationplusimportanteauxtâchesdomestiquesetfamiliales.

Letauxd’emploidesmèresaaugmentédemanièresignificativecequireprésenteuneavancéenotableparrapportàlasituationantérieure.Néanmoins,leurrecoursmassif au travail à temps partiel risque de perpétuer ou même d’aggraver lesdiscriminationssexuellessurlemarchédutravailetlesécartsdesalaire,déjàplusmarquésenAllemagnequ’enFrance.

Cescaractéristiquesvontdepairavecledéveloppementd’unepolitiqued’accueilde la petite enfance encore lacunaire. Les équipements collectifs fonctionnentmajoritairement àmi-temps, ce qui constitue une entrave à l’amélioration de lasituationdesfemmes-surtoutdesmoinsqualifiées-surlemarchédutravail,bienqu’uneaméliorationsedessinedepuisquelquesannées.Lesobstaclessubsistentmême lorsque les enfants sont scolarisés, du fait des horaires d’ouverture desécoles. En effet, la majorité des établissements primaires et secondaires nefonctionnent encore que de huit heures à midi ou treize heures. L’organisationd’activitéssportivesoudeloisirspourlesjeunesl’après-midiresteàl’initiativedespouvoirslocauxoud’associationsprivées.16Ilyapeud’étudesconcernantlaprésencedefemmescadresdanslesentreprises,maisonestimequ’ellessont

plusnombreusesàl’estqu’àl’ouest,davantagereprésentéesausecondniveaudemanagementqu’aupremier,etqu’ellessontauxcommandes,plussouventqueleshommes,enraisond’unhéritagefamilial.

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DepuislafindelaSecondeGuerremondiale,etplusencoredepuisl’unificationdesdeux Étatsallemands,lasituationdesfemmesaconsidérablementévolué.Grâceàunniveaude formationscolaireet universitaireenhausseconstante, les femmesontinvesti des pans entiers des activités professionnelles, notamment dans le secteur desservices,ycomprisledroitetlamédecine,oùlesjeunesfemmesreprésententdésormaisplusdelamoitiédesprofessionnels.Enfinsilaréussitedesfemmesestindéniabledanscertainsdomaines,d’autresaspects laissentencoreàdésirerpouratteindre l’égalitéentre lesdeuxsexes.Rémunérations inférieures, carrières souvent interrompues etmoins valorisantes, lecheminestencorelongpourquelesfemmesdansleurensembleéchappentcomplètementauxschémasquileslientenprioritéaudomainefamilial.

RéférencesBechmann Sebastian, Vera Dahms Vera, Tschersich Nikolai, Frei Marek, Leber Ute, Schwengler Barbara. 2013. « Beschäftigungsmuster von Männern und Frauen IAB-Forschungsbericht » 14/2013.

Brenke Karl. 2015. « Wachsende Bedeutung der Frauen auf dem Arbeitsmarkt, DIW-Wochenbericht »,5/2015.

Bundesministerium für Familie, Senioren, Frauen und Jugend (BMFSFJ). 2014. « Gesamtevaluation der Ehe- und familienbezogenen Massnahmen und Leistungen in Deutschland »,RapportdePrognospourleMinistère,Berlin.

Chagny Odile. 2010.Allemagne.« De l’équilibrisme dans la restriction budgétaire, Chronique internationale de l’IRES »,n°127,pp.84-97.

Destatis. 2012. « Kindertagesbetreuung in Deutschland 2012 », Statistisches Bundesamt,Wiesbaden.

Fagnani Jeanne. 2012. « Recent Reforms in Childcare and Family Policies in France and Germany: What Was at Stake? Children and Youth Services Review »,Vol.34,n°3,pp.509-516.http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0190740911003768

Giraud Olivier. Lechevalier Arnaud. 2013. « Les femmes au coeur de l’éclatement de la norme d’emploi en Allemagne », Travail, genre et sociétés,n°30,pp.189-194.

Kahmann Marcus. 2014. « Allemagne, un faible impact de la crise sur les ajustements des services publics »,Chroniqueinternationaledel’IRES,n°148,pp.151-179.

Lestrade Brigitte. 2016.« Le travail des femmes - l’Allemagne à la traîne ? L’Allemagne entre rayonnement et retenue » (HansStark,DominiqueHerbet,HélèneMiard-Delacroix,dir.),pressesuniversitairesduSeptentrion,2016.

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RETRAITEETÉGALITÉ

FEMMES-HOMMES

C

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Retraite:uneégalitéfemmes-hommesàmi-parcours?Par Vincent POUBELLE, ancien directeur de la Direction Statistiques, Prospective et Recherche de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse

Rapports,bilans,étudesréaliséssurlesretraitesmettentrégulièrementenavantleniveauinférieurdelapensiondesfemmesparrapportàcelledeshommes.Ainsi,en2014,«lesfemmesperçoiventunmontantderetraitededroitdirectnetinférieurde39,3%àlapensiondeshommes,contre45,4%en2004»,selonlaDREES.Lapensiondedroitdirecteestattribuéeencontrepartiedel’activité

professionnelle,doncengrandepartiedescotisationsverséesàcetitre.Elledépenddetroisfacteurs:laduréed’assurancevalidée,leniveaudessalairesetrevenusprofessionnelsdelacarrièreetenfinlaréglementationenvigueuraumomentdelavalorisationdesdroitsàretraite.

Ilestcourammentadmisetdémontréquecetteinégalitéprovientmajoritairementdecellesurlesrémunérationsprofessionnellessurlesquellessontfondéeslescotisations(donclavaleurdutrimestredanslecasderégimesderetraitedebase),maisaussil’attributiondespointspourlesrégimescomplémentaires.

L’autreparamètre,laduréed’assurance,asensiblementaugmentépourlesnouvellesretraitéesdecesdernièresannées,grâceàl’entréeconséquentedesfemmessurlemarchédutravaildes générations d’après-guerre. À terme, cette durée seraitmêmeenmesure d’égaler, enmoyenne,celledeshommes,voiredeladépasser.

La réforme de 2003, avec le principe de la production régulière d’une information, permetaux assurés, de disposer d’un bilan de ses droits à retraite dans les différents régimes :durée d’assurance accumulée et estimation indicative dumontant de leurs pensions.Maisles réformes intervenues depuis 2003 ont introduit des nuances dans les types de duréesvalidées.C’est lecaspour l’attributiondesdépartsanticipésou ledispositif de lapénibilité(réforme2010).L’unitédedécompte,letrimestre,estsimple,maisd’apparenceseulement.Eneffet,malgrécesprogrèsentermesd’informationetdepédagogie,ellerecèleunecomplexitérendantsacompréhensionparlesassurésparfoispeuaisée.

Ilexisteeneffetauminimumunequinzainedemanièresdevalidercestrimestres(voirencadré).Elles répondent bien évidemment à ces situations et besoins particuliers, lorsque l’assurérencontredes«aléas»delavie,maladie,chômage,parexemple,ous’ilsouhaitebénéficierd’unemesurespécifique,commeundépartanticipé.Maiscesnaturesdetrimestressontleplussouvent«ciblées»danslebutd’endéfinirleplusprécisémentpossiblelecontour,entermesdémographiquesetfinanciers.

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Les parcours professionnels, familiaux, individuels sont sans nul doute moinsrectilignesqu’auparavantetlesrèglesévoluentpourrépondreàceschangements.Plus la carrière d’un assuré est heurtée, que ce soit en termes d’arrêts et dereprisesd’emploi,depériodesdemaladie,oumêmedevariationsdesalaires,plusilseradélicatd’arriverà«avoirsestrimestres»etpluslaconstitutiondeladuréed’assuranceferaappelàcesmultiplespossibilités.

Les parcours des femmes, en particulier dans leur activité professionnelle,sont nettement plus hétérogènes et heurtés que celles des hommes, avec desconséquencessurladéterminationdesdroitsàretraite.Desmesuresspécifiques,parexemplepourcellesquionteudesenfants,permettentenpartiedecomblerlesabsencesd’activitéprofessionnelle,doncdecotisationsdirectespar l’emploi.Laquestionsur l’effetdecesdispositifsestrégulièrementposée,enparticulieràl’occasiondesréformesrégulièrementopéréesenFrance.

Leprocessusdevalidationdestrimestresaucoursdelacarrièredesassurésdurégimegénéralestdécritdanscetarticle,permettantdevoirdansquellemesurel’égalité entre femmes et hommes, qui n’est pas encore atteinte pour la duréed’assurance,pourraitsevérifieràl’avenir,etàquellesconditions.

I-Desparcoursdifférents,desconditionsdedépartinégales675000personnesontprisleurretraiteen2013aurégimegénéral.CesnouveauxretraitésdelaCNAVsontconstituésà51%d’assurésdits«mono-pensionnés»,n’ayantrelevéqueduseulrégimegénéral,etde49%de«poly-pensionnés».Lesfemmessontà58%mono-pensionnés(vs44%chezleshommes).

Tableau 1 : Flux de nouveaux pensionnés de 2013 au Régime général

Femmes Hommes Total

Mono-pensionnés 201 870 58 % 141 318 44 % 343 188 51 %

Poly-pensionnés 148 332 42 % 183339 56% 331671 49%

Ensemble 350 202 100 % 324657 100 % 674859 100 %

Source : CNAV. Champ:Fluxexhaustifdedroitpropre2013,liquidationavantle1er janvier 2015.

Uneexploitationstatistiquefinedescarrièresdesassurésmono-pensionnésauseindurégimegénéralestpourl’instantplusaiséequepourcellesdespoly-pensionnés.C’estpourquoidanscettepartie,lechampserestreintauxseulsmono-pensionnés1.

Cetterestrictiondechampinduitunesurreprésentationdesfemmes,ainsiquedecertainsmotifsdedépart(retraiteanticipée)2.1Ils’agitd’uneexploitationexhaustivedufluxdemono-pensionnésde2013,àsavoireffectifde343000etnond’un

échantillon.ElleaétéréaliséeparMélinaRAMOS-GORAND(DirectionStatistiques,prospectiveetrecherche,CNAV).2Uneexploitationaétéréaliséesurlespoly-pensionnésayantcotiséplusde50trimestresaurégimegénéral.Lapart

destrimestresvalidésparl’emploiestsupérieureàcelledesmono-pensionnés(90%vs85%).L’importancedespériodesassimiléesetdel’assurancevieillessedesparentsaufoyer(AVPF)diminueenconséquence:maladiemoinsde1%,chômage6%,AVPF2%,lesautrestrimestres(périodesmilitaireouinvalidité)représententégalement2%.

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

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Parmi cette population de mono-pensionnés, la durée moyenne d’assurance desfemmesayantliquidéleurpensionen2013estinférieurede13trimestresàcelledeshommes.Lesassurés,enfonctiondeleursituationaumomentdeleurpassageàlaretraite(âge,duréed’assuranceacquise,choixindividuel,etc.)etdelaréglementationenvigueur,optentpouruntypedeliquidationdonné.

Ainsi, les personnes qui n’ont pu valider une durée suffisante soit, peuvent attendre l’âgeoùellesobtiennentautomatiquementletaux«plein»(typedeliquidationnommé«Âge»),c’est-à-diresansdécote,soitellesliquidentleurpensionavant(maisaprèsl’âge«légal»)enconcédantunabattement,danslerégimedebase(décote),maisaussidansleoulesrégimescomplémentaires.Untiersdesfemmesnouvellementretraitéesen2013sontdanscesdeuxcas,contre12%chezleshommes.

L’observation de ces catégories permet de décomposer et d’analyser plus précisément cetécartde13trimestres.Iltientplusdansladifférencederépartitionpartypededépartquedanslesécartsdeduréedanschacunedescatégories.Eneffet, lessimplesmoyennesdeduréeseloncestypesdedépartvontde1à2.

Lesfemmesnesontque15sur100àavoirbénéficiéd’undépartenretraiteanticipée,contre38%chezleshommes.Cedispositif,ouvertdepuis2004,estconçupourlespersonnesayantcommencéàtravaillerjeunes(avant16,17ou20ans)etlongtemps(avecdesconditions deduréedecotisationparl’emploietdevalidationvariantselonlescas).Defait,lesfemmesaccèdentnettementàcedroit.

Parailleurs,26%d’entreellessontpartiesautitredel’âge(départà65anspourlagénération1948),contre9%chezleshommes.Enfin,8%desfemmesvoientleurpensionaffectéed’unedécote,contre3,4%chezleshommes.

Tableau 2 : Durée d’assurance par type de liquidation

Durée d’assurance totale Partdansleflux2013

Typedeliquidation Femmes Hommes Femmes Hommes

Âge 89 91 25,6% 8,7 %

Inapte,ex-invalide 143 144 17,1 % 14,4 %

Avec décote 113 124 7,9% 3,4 %

Dispositifliéautravail 181 171 0,8 % 3,3 %

Durée 181 171 33,2 % 32,2 %

Retraiteanticipée 183 172 15,4 % 38,0 %

Ensemble 146 159 100,0 % 100,0 %

Source : CNAV. Champ :Fluxexhaustifsdemono-pensionnésdedroitpropre2013.Lacatégorie«Dispositifliéautravail»comprendlesdépartspourpénibilitéetamiante.Lecture :Enmoyenne,lesfemmesayantliquidéleurdroitàretraiteautitredel’âgeontuneduréed’assurancede89trimestres.

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Graphique 1 : Répartition des nouveaux pensionnés de 2013 au régime général par type de liquidation

Source : CNAV. Champ : Fluxdemono-pensionnésdedroitproprede2013.

Lesrapprochementseffectuésicireposentsurdesmoyennes.Or,ladispersiondeladuréed’assuranceesttrèsvariableselonlestypesdeliquidation:faibledanslecasdesdépartsanticipés,àl’inverseesttrèsfortepourlacatégorie«âge»pourleshommescommepourlesfemmes,cettepopulationregroupantdesparcourstrèsdifférents.Ilenestdemêmepourunemêmesituation:l’écartdeduréed’assurancereste(etrestera)importantentrelesmèresetlespèresdetroisenfantsetplus.

Ce premier constat chiffré illustre l’effet direct des différences de parcoursprofessionnel,individueletfamilialsurladuréed’assuranceetparlàmême,surl’âgededépartetlapension.Maisavantdedécrypterlachronologiedecestrajectoires,deuxdispositifs spécifiquesdoiventêtredécrits,ayantunpoidsnonnégligeabledanslaconvergenceentrehommesetfemmessurleparamètre«durée».

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Âge

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Dispositif lié au

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II- Majoration de durée d’assurance et assurance vieillesse des parents au foyer, un même objectif : compenser lesinterruptionspourl’éducationdesenfantsII-1/ Majoration de durée d’assurance pour enfants (MDA) : 18 trimestres en moyenneCette MDA3estattribuéeautitredelamaternité(4trimestres),del’éducation(4trimestres)oudel’adoption(4trimestres)parenfant.Elles’ajouteàladuréed’assuranceaurégimegénéraletbénéficieessentiellementauxmères:90%desfemmesvalidentàcetitre,contre0,4%deshommes.

Lesfemmespartiesautitredel’âgeetdeladuréeontenmoyennerespectivement2,4et2,3enfants,contre1,5pourcellesayantliquidéautitredelaretraiteanticipée.Pourcesdernières,lapartdelaMDAdansladuréetotaleestde7%,alorsquepourlesfemmesayantliquidéleurretraiteautitredel’âgeelleestde21%etcellesavecdécotede18%.

La réformede2010a instauréun systèmedepartageoptionnel, entre lamèreet le père,des4trimestresdelaMDAautitredel’éducationdesenfants.Lesparentsdoiventdéclarerdansles4ansdel’enfants’ilyapartage.Encasdenonréponse,les4trimestresautitredel’éducationrestentaffectésàlamère.IlestencoretroptôtpoursavoirsicettemesureamèneraunebaissedelaMDAchezlesfemmes,puisqueseulssontconcernéslesenfantsnésàpartirde 2010.

II-2/ L’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) : 53 % des femmes bénéficiairesL’AVPF,crééeen1972,«permetàtoutepersonnequin’apasd’activitéprofessionnelle,quil’interrompt ou la réduit pour élever ses enfants, de continuer à se constituer des droits àretraiteaurégimegénéral,sousréservequesesressourcessoientinférieuresàunplafond».

Elleestégalementattribuéeàdesparentsd’enfantsgravementmaladesouhandicapés(oudepersonness’occupantd’unprochedanslamêmesituation)via desprestationsserviesparlescaissesd’allocationsfamiliales.

Lenombredecotisantsàl’AVPFaaugmentéjusqu’aumilieudesannées1980,avantdesestabiliseràdeuxmillionsparan.Les retraitésduflux2013ayantacquisdes trimestresparl’AVPFl’ontfaitpourl’essentieldelafindesannées1970àlafindesannées1980,soitenpleinemontéeencharge.

L’AVPFconcerneessentiellementlesmères,lenombredepèresinterrompantleuractivitépouréleverlesenfantsétantminime.Ainsi,53%desfemmesduchampétudiéontvalidéaucoursdeleurcarrièreaumoinsuntrimestred’AVPF,contre5%chezleshommes.

3Elleaétéinstituéeaurégimegénéralen1972parlaloiBOULINdu31décembre1971,àcemomentauprofitdesseulesmèresdefamille.

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Ellecontribuechezlesfemmesdufluxétudiépour13%àladuréevalidée(soit18trimestres),contre0,2%chezleshommes.

Lesfemmesayantliquidéavecunedécotesontcellesdontlapartdel’AVPFdansla durée totale est la plus élevée : 23% de la durée validée, avant celles descatégories«âge»et«Inapte-ex-invalide»,17%.

Parailleurs,40%desfemmespartiesautitredel’âgeet37%decellespartiesautitredeladuréeperçoiventunebonificationde10%appliquéeaumontantdeleurpensionaurégimegénéralayanteutroisenfantsouplus,contre10%decellesayant liquidéenretraiteanticipée.Ilestànoterqu’elleestattribuéeàlamèreetau père : elle est donc proportionnelle à la pension de droit propre de chacun,accroissantl’écartenvaleurabsoluedelapensionentrehommesetfemmes.

III-DelapremièrecotisationàlaliquidationdesdroitsIII-1/ Une durée d’assurance compositeLa durée d’assurance comprend, d’une part, des trimestres acquis au cours delacarrière : cotisationsau titrede l’emploi, de l’AVPFetdepériodesassimilées(PA) à des trimestres d’assurance, principalement. D’autre part, des trimestressont attribués lors de la liquidation, essentiellement ces majorations de duréed’assurance pour enfants qui, elles, ne sont pas affectées à des années civilesdéterminées.Laduréevalidéepar les femmesmono-pensionnéesaucoursde lacarrièreestenmoyennede128 trimestres, inférieurede30 trimestresàcelledeshommes.Ladifférencen’est«plusque»de13trimestresunefoisajoutéeslesmajorations.

LesdonnéesdecarrièredelaCNAVpermettentd’étudierfinementlestrajectoiresindividuelles4.

Lescomposantesdeladuréeaccumuléeaucoursdelacarrièredonnentunpremieraperçudescontrastes.Ainsi,chez les femmes, lapartdes trimestresvenantdel’emploiestde15pointsinférieureàcelledeshommes.Pourlesassuréspartisautitredel’âge,lapartduchômageestinférieurechezlesfemmes(7%contre13%),lespériodesassimiléeschômageétantconditionnéesàdespériodesdecotisationspréalables,moinsfréquentespourcesdernières.

4Letype«dispositifliéautravail»(pénibilitéetamiante)neserapasdéveloppédanslasuitedel’article.

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

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Tableau 3 : Contribution de l’emploi, de l’AVPF et des périodes assimilées (en %)

Typedeliquidationetsexe

Part de l’emploien %

Part des indemn.journ. maladie

en %

Part du chômage

Part de l’AVPF en %

«Autre»en %

Durée au cours

de la carrière,

en trimestres

Majorat°de durée d’assur.

en trimestres

Durée d’assur.

totale, en trimestres

Femmes«Age» 70,4 0,6 7,1 21,7 0,3 69,7 18,9 88,6

Hommes«Age» 85,2 0,5 12,5 0,7 1,1 90,6 0,0 90,7

Femmes«Inaptes,ex-invalides»

59,2 3,3 8,1 19,7 9,8 124,5 18,6 143,0

Hommes«Inaptes,ex-invalides»

74,9 3,0 9,4 0,6 12,1 143,6 0,0 143,7

Femmes«Décote» 63,9 0,6 6,4 29,0 0,0 91,9 20,6 112,5

Hommes«Décote» 90,3 0,2 7,9 0,7 0,9 123,7 0,0 123,7

Femmes«Durée» 82,6 0,7 7,2 9,4 0,1 163,3 18,0 181,4

Hommes«Durée» 93,1 0,3 5,8 0,0 0,8 170,7 0,0 170,7

Femmes«retraite anticipée»

98,5 0,2 1,0 0,2 0,0 171,3 11,9 183,2

Hommes«retraite anticipée»

98,4 0,2 0,9 0,0 0,5 172,1 0,0 172,2

Femmestotal 76,5 1,0 6,3 14,4 1,8 128,3 17,6 145,9

Hommestotal 91,7 0,7 5,0 0,2 2,4 158,8 0,0 158,8

Source : CNAV.Champ :Fluxdemono-pensionnésdedroitpropre2013.Lecture:70,4%des70trimestresacquisencoursdecarrièreparlesfemmespartisautitredel’âgecorrespondentàdestrimestresd’emploi.Lacontributionàladuréed’assuranceretientl’ordresuivant:emploi,puismaladie,chômage,invalidité,AVPF,autresreports.

III-2/ Chronologie des carrières : des trajectoires individuelles contrastéesLeschronogrammessuivantsontétéélaborésaveclesdonnéesdecarrièresenregistréesàlaCNAV,contenantpourchaqueassurélachroniqueannuellesdesvalidations.Lachronologied’acquisitiondesduréesd’assuranceillustréeainsipermetlescomparaisonsdesparcours.

Les départs anticipés

Lescarrièresdesfemmesetdeshommesayantliquidéleursdroitsautitredelaretraiteanticipéesontrelativementsimilaires,lesconditionsdeduréecotiséeparl’emploiétantrestrictives:peud’absencesdevalidationau-delàde18ans,validationparl’emploiélevée(defait,98,5%).

Laprincipaledifférenceentrefemmesethommestientdanslesannéesaucoursdesquelleslesassuréesvalidentautitredel’emploietdelamaladie.Cespériodes,principalemententre20et35ans,sontliéesàlamaternité.Pendantcettepériodeellesvalidentnéanmoins80%destrimestresparl’emploi(lesabsencespourmaternitésontleplussouventdemoinsd’un

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Autre Invalidité Invalidité et autre Maladie Emploi et maladie

AVPF chômage Emploi et chômage Emploi

Autre Invalidité Invalidité et autre Maladie Emploi et maladie

AVPF chômage Emploi et chômage Emploi

anouàchevalentredeuxannées,permettantainsi lavalidationde4 trimestresparl’emploi).Leshommespartisautitredelaretraiteanticipéevalidentpourlaquasi-totalitéd’entreeuxdestrimestrestouslesans,essentiellementparleuremploi,àpartirde20ansetjusqu’à58ansenviron.

Lessituationsautresquel’emploicroissentaprès55ans,maissansjamaisdépasser25%desassurés. Ils’agit leplussouventdepériodesde travailalternantavecduchômageoudelamaladie.

Femmes Hommes

Source : CNAV.Champ:Départsanticipés-Fluxdemono-pensionnésdedroitpropre2013.

Les départs avec une durée d’assurance suffisanteQuelquesoitl’âge,unepartiedesfemmesdecettecatégorie,toujourssupérieureà2%,nevalideaucuntrimestre,mêmesilapartdel’emploiestélevée.Différencesensibleavec leshommes,entre25et40ans,15%des femmesenmoyennevalidentdes trimestresuniquementau titrede l’AVPF,compensantenpartie lesmomentsoùlesfemmesquittentleuremploipourl’éducationdesenfants.

Ondistinguedeux«pics»devalidationparl’emploi:entre20et22ans,puisentre42et55ans.Touslesans,aucoursdecesdeuxtranchesd’âge,aumoins70%desassuréesvalidentautitredel’emploiuniquement.Entre22et42ans,ladiminutionautitredel’emploiestenlienaveclamaternitéetl’éducationdesenfants.Eneffet,enconsidérantensemblel’emploi,combinéounonavecdestrimestresdemaladie,etl’AVPF,lapartdel’effectifdéfinieststable,supérieureà80%,le«creux»entre20et40ansdisparaissant.

Leshommesayant liquidé leursdroitsau titrede laduréeonten revanchedesparcours relativement proches de ceux des départs anticipés : l’emploi est lasituation dominante et les absences de validation sont rares après 25 ans. Lesassurésdecesgénérationsonteu20ansavantlespremièrescriseséconomiquesmaisontsuividesétudespluslongues.L’entréedanslemondedutravailestplus

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tardivequepourlesdépartsanticipés:illeurfautattendre25ansenvironpourqueplusde95%del’effectifvalideaumoinsuntrimestretouslesans.

Femmes Hommes

Source : CNAV.Champ:Départsavecuneduréed’assurancesuffisante-Fluxdemono-pensionnésdedroitpropre2013.

Les départs au titre de l’« âge »Lacarrièredesfemmesayantliquidéleurretraiteautitredel’âge(65anspourleflux2013,67àterme)sedistinguedetouteslesautres,fémininesoumasculines.L’emploiestnettementplusfaible,puisqu’àunâgedonné,aumaximum55%d’entreellesontvalidéuntrimestreàcetitre.Lesnon-validationssonttrèsfréquentes:aumoinslamoitiédel’effectif,saufentre19et22ans.Ellessontde65%à45ans,soitprèsde20ansavantlaliquidationdelapension,etde70%à60ans.Lespériodesassimiléesnepermettentpasdestabiliserlapartdefemmesvalidantaumoinsuntrimestrechaqueannée,àl’inversedeshommesdecettecatégorie:dès30ans,lepourcentagedefemmesnevalidantpasdetrimestreestinférieurde20pointsàceluideshommesdecettecatégorie.

Pour leshommes, lesdébutsdecarrièresontplus lentsquepourceuxpartisau titrede ladurée, oumême que les femmes parties au titre de l’âge. Le nombre de nés à l’étranger,importantdanscettecatégorie,quiontgénéralementpeuvalidéautitredelaretraitedansleurpaysd’origine,influeenmoyennesurledébutdecarrière.

Lenombreimportantd’annéessansaucunevalidationestégalementélevé.C’està26ansquelapartdeshommesayantvalidéuniquementdestrimestresd’emploiestmaximale,àsavoirlamoitié.Ellebaisseàpartirde27ans(inférieureà40%dès38ans,prochedutiersàpartirde46ans),compenséepardespériodesassimilées,enparticulierautitreduchômage.Ainsi,àmesurequel’âgeavance,lesvalidationsrestenttoujoursprochesde50%,tauxtrèssupérieuràceluidesfemmes.

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Femmes Hommes

Source : CNAV.Champ:Départsautitredel’âge-Fluxdemono-pensionnésdedroitpropre2013.

Les départs avec décote sur la pensionPour les femmesparties avec décote, la part de l’emploi est supérieure à celleconstatée chez celles parties au titre de l’âge.Mais les périodes assimilées necompensentpas labaissesensiblede l’emploisetraduit,après40ans,paruneaugmentation des périodes sans validation. En revanche, la présence d’AVPFestlaplusimportante,plusduquartdel’effectifentre30et39ans.L’absencedevalidationestnettementplusélevéequeceluideshommeset celadès24ans,allantde18%à30ansjusqu’à75%à59ans,soitunécartde20à30points.

Leshommesayant liquidéavecdécotesecaractérisentparunpicd’emploiplustardif:ilfautattendre25anspourque70%del’effectifvalideautitredel’emploiuniquement,contre21pourleshommespartisautitredeladurée.Contrairementauxautreshommes,l’absencedevalidationestcroissanteàpartirde30ans.

Femmes Hommes

Source : CNAV. Champ :Départsavecdécote-Fluxdemono-pensionnésdedroitpropre2013.

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Autre Invalidité Invalidité et autre Maladie Emploi et maladie

AVPF chômage Emploi et chômage Emploi

Autre Invalidité Invalidité et autre Maladie Emploi et maladie

AVPF chômage Emploi et chômage Emploi

Autre Invalidité Invalidité et autre Maladie Emploi et maladie

AVPF chômage Emploi et chômage Emploi

Autre Invalidité Invalidité et autre Maladie Emploi et maladie

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Les départs au titre de la catégorie « inapte, ex-invalide »Lesfemmesayantliquidéaumotifdelacatégorieinapte/ex-invalideontunparcoursrelativement comparables à celui des hommes, à l’exception de l’importance de l’AVPFentre20et40ans.Commepourlestypes«durée»,«âge»ou«catégorie»,lesvalidationspar l’emploiaugmententaucoursdelaquarantaine.Lespériodesassimiléespermettentdecompenser ladiminutiondesvalidationsdetrimestrespar l’emploi.Lapartde l’invaliditéde10%à49ans,passeà30%etplusàpartirde57ans.

Leshommespartisautitredecettecatégorieontdesparcoursprofessionnelsmarquésparunediminution rapidedespériodesvalidéespar l’emploi :de70%de l’effectifà30ans,à37%à50ansetseulement5%à60ans.L’invaliditégénèreégalementdespériodesassimilées(61%del’effectifcarrière),quistabilisentainsilesabsencesdevalidation(inférieuresà25%del’effectifquelquesoitl’âge).

IV-Etpourlesgénérationsfuturesvenantàlaretraite?Pourcefluxdemono-pensionnésdurégimegénéralde2013,l’écartentrehommesetfemmesdeduréetotaled’assuranceestde13trimestres,malgrél’apportsubstantieldedeuxdispositifs,l’AVPFetlaMDA,compensantdemanièreefficacemaispartielle,lesinterruptionsdecarrièrepour l’éducationdesenfants.A l’heureactuelle, lenombredebénéficiairesdecotisationsàl’AVPFestprèsde2millions,essentiellementdesfemmes,dontledépartenretraitesesitueramajoritairementdansplusde25ans.Àl’évidencel’apportdetelsdispositifs,àladiminutiondesinégalitésentrefemmesethommesenmatièrederetraite,resteratrèsélevéetsurunelonguepériodeencore.Qu’ensera-t-ileneffetpourlesgénérationsultérieures?

IV-1/ Les durées d’assurance des cotisants actuelsL’exploitationdel’ÉchantillonInter-régimesdeCotisants(EIC)de2009parlaDREES,alimentédesdonnéesdecarrièresdesrégimesderetraite,produit,pargénérationsetâge,lesduréesd’assurancecumuléesentrelapremièrevalidationetl’année2009.

Lecumuldes trimestresvalidésà l’âgede trenteansaaugmentéde lagénération1942àlagénération1950,puisadiminuéàpartirdelagénération1954.L’obligationdelascolaritéjusqu’à16ansàpartirdelagénération1953,l’allongementdesétudes,enparticulieràpartirdelagénération1960,ontcontribuéàcettebaisse.Lasituationéconomiquedumomentoùlesjeunesentrentsurlemarchédutravailestégalementimportant.Elleacontribuéàlabaissedelavalidationdeduréepourlesgénérationsnéesàpartirdelafindesannées1950,aveclamontéeduchômagedelafindesannées1970.Maisàl’inverse,siàlarecherchedupremieremploi la conjoncture estmeilleure, les chances de pouvoir cotiser pour la retraite le sontégalement,commepourlagénération1978,quiaconnul’embellieéconomiquedelafindesannées1990.

L’écart de durée entre hommes et femmes s’est en effet fortement réduit : ainsi, pour lagénération1978,iln’estqued’untrimestre,aprèsavoirétédeneuftrimestrespourlagénération

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1942,conséquence,enparticulier,de laparticipationcroissantedes femmesaumarchédutravail.

Mais il estprobablequ’une référencestatique, cellede l’âgede30ans, soit enpartiebiaiséeparundéportdespremièresinterruptionsd’activitéprofessionnelledes femmes, qui ont leur premier enfant nettement plus tardivement que leursaînées.En1967,91%desfemmesquionteuleurpremierenfantavaient30ansoumoins,alorsqu’en2010ellesnesontplusque70%.

Ensuite,selonl’EICde2009,«entre31et50ans,c’est-à-direenmilieudecarrière,laduréed’assurancevalidéeparleshommesestrestéestableaufildesgénérations,autourde67trimestresenmoyenne.Elleacrûpourlesfemmes,toutenrestantinférieureàladuréevalidéeparleshommes:61,1trimestresenmoyennepourlesfemmesnéesen1958,contre52,7trimestrespourcellesnéesen1942».Enfin,entre51et59ans(néesentre1950et1958),lesfemmesvalident3à4trimestresdemoinsqueleshommes.

Ainsi, l’augmentation sensible de l’activité professionnelle des femmesa permisunrapprochementsensibledelamoyennedeladuréed’assurance,maisd’autresphénomènesjouentensensinverse,commel’entréedanslavieactiveplustardive,avecl’allongementdeladuréedesétudes,laconjonctureéconomiqueaumomentdudébutdecarrière(etaprès),etenfinlesréformesdesretraitesdontlatendanceestàl’augmentationdeladuréed’assurancerequise.

IV-2/ Et en projection ?Depuis la création du Conseil d’Orientation des retraites en 2000, les outils desimulation et de projection sur les retraites se sont nettement améliorés, afind’éclairerlespouvoirspublicsetlesrégimessurl’avenirdusystèmederetraite,tantsurleplandémographiquequefinancier.Lemodèledemicro-simulation«Prisme»delaCNAVpermetentreautresdefourniruneprojectiondelongterme,danslechamp du régime général, de la durée d’assurance, en simulant les parties decarrièresetlesconditionsdedépartenretraiteàvenir.

LaprojectiondelongtermeréaliséepourlaCommissiondescomptesdelasécuritésocialedeseptembre2015 reposesurdeshypothèsesen termesd’emploi,quel’onpeutconsidérercommefavorables,etsuruneréglementationconstante(maisintégrantleseffetsdesréformesantérieures:reculdesbornesd’âges,allongementde la durée d’assurance, etc.).De cette projection (mais ici mono et poly-pensionnés compris), il ressortprincipalementquel’écartentreladuréemoyenned’assurancevalidéeencoursdecarrièredeshommesetdesfemmescontinueraitdeseréduirefortementaufildesgénérationspassantde30trimestresàlafaveurdeshommespourlagénération1945à18pourlagénération1980(horsMDA).AveclaMDA,cetécartpasserait

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de 14 à 4 trimestres. Pour les générations 1945 à 1960 la convergence tientessentiellementàl’améliorationdescarrièresféminines,puis,àpartirdesgénérationssuivantes,«labaissedeladuréevalidéeà30ansseraitplusmarquéepourleshommes,davantagetouchésparladégradationdelaconjonctureéconomique,quelesfemmes».

DemêmequelaMDA,l’instaurationdel’AVPFen1972(etsonélargissementen1985)auneffetimportant:laduréed’assurancevalidéeà40ansdevraitmoinsreculerpourlesfemmesquepourleshommesentrelesgénérations1965et1975.

Graphique 2 : Écart entre le nombre moyen de trimestres validés à chaque âge par les femmes et par les hommes d’une même génération

Source:CNAV-ProjectionréaliséeaveclemodèlePRISMEpourlerapportdesComptesdelasécuritésociale(Septembre2015).Mode de lecture:Pourlagénération1950etàl’âgede40ans,laduréed’assurancedesfemmesestinférieurede13trimestresàcelledeshommes.

ConclusionSi cette projection, avec ses hypothèses, se vérifie, la convergence de la duréemoyenned’assurance des femmes aura ainsi pris plusieurs dizaines d’années et ne commencera àdevenirréalitéquelorsquelesgénérations1965-1970arriverontà l’âgedelaretraite.Cetteévolutionpositiveestàmettreaucréditdel’entréedesfemmesdanslavieprofessionnelle.Parailleurs, lesdeuxprincipauxdispositifs, l’AVPFet laMDA,continuerontdejouerunrôleamortisseurimportant,pourlesfemmesquiontdesenfantsetenparticuliercellesavecdescarrièrescourtesouavecinterruptions.

Lesréformesantérieuresontpoureffetd’allongerladuréed’assurancerequise.L’entréedanslavieactiveeststructurellementplus tardiveet l’économien’assurepas,pour l’instant,des

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Liquidation, hors MDA

Liquidation y c MDA

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carrièrescontinues.Celaentraîneramécaniquementplusdepensionsavecdécoteoudedépartsplustardifspourévitercetabattement.Celatoucherad’ailleurslesfemmescommeleshommes.

Maisleniveauinégaldesrémunérationsprofessionnellesrestelefacteurmajeurà l’origine de la différence de pension entre femmes et hommes. Cet écart desalairesnesembleplusseréduiredepuisunevingtained’années,aprèscedébutderapprochementpourtantencourageantaprès1968.Simpleexemple,aurégimegénéral,lecalculdusalaireannuelmoyenestfondésurles25meilleurssalairesannuels:mêmeaprèsunalignementimmédiatettotaldessalairesdesfemmesàceuxdeshommes,bienévidemmentpurementthéorique,celuisurleniveaudespensionsmettraitplusieursdizainesd’annéesàseconcrétiser.

Ilenestdemêmepourladuréed’assurance.Lesévolutionsjuridiquessurlamanièredevaliderdestrimestresnesontsouventvisibles,pourlesassurés,qu’aumomentfatidiquedelavalorisationdesdroitsàretraite,soitvingtoutrenteansplustard.

D’autres réformes ou refontes de dispositifs de retraite verront le jour. Pourprolonger cette convergence entre femmes et hommes, au moins sur la duréed’assurance,ellesdevrontauminimumêtreconçuesdemanièredifférenciée,selonles situationset lesparcours.Cepeutêtreauprixd’une réglementation restantcomplexe. Car il est toujours illusoire de vouloir restituer le parcours d’une vie,devantconcilierviefamiliale,professionnelle,personnelleenunesimpleunitédecompte,indifférenciée,letrimestre…

La durée d’assurance (présentation simplifiée)Àquoisert-elle?

1) « À avoir ses trimestres », selon l’expression commune.Elle correspond à la durée d’assurance cumulée chaque année dans tous lesrégimesdebase,aprèséventuelécrêtement4trimestreslesannéesoùlecumuldépasse ce niveau, puis totalisation sur l’ensemble de la carrière. Elle sert àdéterminerletauxdeliquidation.

Si la durée d’assurance tous régimes atteint celle requise par génération pourobtenir le « tauxplein », aucunedécoten’est appliquée.Dans le cas contraire,elleestfonctiondunombredetrimestresmanquantoudeladifférenced’âgeentreceluidudépartetceluioùletauxpleinestacquisautomatiquement(67anspourlagénération1955).

Àl’inverse,unesurcoteestappliquée(parlerégimedebase)àpartirdumomentoùl’assuréaatteintcetteduréeminimumaprèsl’«âgelégal»(62ansàpartirde

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lagénération1955)ets’ilacontinuéàtravailleraprès.Cetteréférenceau«tauxplein»estutiliséeparcertainsrégimescomplémentaires(AGIRC-ARRCO,IRCANTEC,etc.)pourintroduireunéventuelabattement.

2) À fixer le montant de la retraite du régime, selon ses propres règles.Chaquerégimecumulelenombredetrimestresquel’assuréyavalidéspuislemultiplieparle«prix»dutrimestre(salaireannuelmoyenpourlerégimegénéral,indicedessixderniersmoispourlafonctionpublique,parexemple)pourvaloriserlapension,aprèsavoirappliquéletauxdeliquidation(intégrantuneéventuelledécote)puisceluid’unesurcote.Desmajorationspeuventêtreopérées(présenced’enfants,minimumcontributif,etc.).

Commentcetteduréeest-ellecalculée,dequoiest-ellecomposée?

1)Deduréecotiséeàpartirdusalaireourevenud’activitéPour les régimesdebasedu régimegénéral,du régimesalariéagricoleetduRégimesocialdesindépendants,c’estlaréférenceàunmontantdesalairefixé,plusexactementunmontantdecotisation,correspondantà150heuresdeSMIC(pourlapension)quipermetdevalideruntrimestre.Ainsiunassurédontlesalaireestauminimumd’unmontantdesalairede600heuresdeSMICvalidera4trimestresdeduréed’assurancecetteannée-làautitredel’emploi5.Pourlestitulairesdelafonctionpublique,elleestmesuréeenvraiedurée,àsavoirennombrede jourscalendaires,et ramenéeen trimestresou fractionde trimestre.Ellepeutêtreensuiteproratiséeselonladuréedetravailencasdetempspartielpourlecalculdumontantdelapension.

2)D’autresduréesàpartir •del’Allocationvieillessedesparentsaufoyer(AVPF),cotisationsverséesparlabranche

Famille, • de cotisations volontaires, •de«rachats»detrimestresparlesassurés(Versementpourlaretraite),dispositifde

laréforme2003.Entre2004et2015,ilaétéutiliséseulement43 900fois,lapartdesfemmesneconstituantque13 % des acheteurs.

•de«périodesassimilées»(àdestrimestres)autitredelamaladie,d’unaccidentdutravail, du chômage indemnisé (et, dans certains cas, non indemnisé), au titre de lamaternité,duservicemilitaire,de l’invalidité. Ils’agit leplussouventdedécomptesàpartirdespériodesindemnisées.

Parailleurs,certainesduréescotiséesfont l’objetdedistinctions,parexempleautitrede lapénibilité,duréetravailléeavantuncertainâge,duréetotalecotiséeparl’emploi,etc.

5Ces600heurescorrespondentà37%dutempsdetravaillégalde35heures,avecunsalaireauSMIC.Unsalaireplusélevémaisavecunnombred’heuresinférieurà600heuresdetravailpermetdevaliderégalement4trimestres.Laréférenceantérieureàlaréforme2014 était de 800 heures de SMIC.

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BibliographieBONNET C. et HOURRIEZ J-M. « Inégalités entre hommes et femmes au moment de la retraite en France », « Femmes et Hommes, Regards sur la parité », INSEE, 2012.

Conseil d’Orientations des retraites. « La prise en compte pour la retraite des périodes d’interruption d’emploi involontaire » 12e rapportduCOR,pp.105-121,2013.

Conseil d’Orientations des retraites. « Retraites, droits familiaux et conjugaux », 6eRapportduCOR,2008.

Direction de la sécurité sociale. « Les Comptes de la sécurité sociale - Juin 2015 »,L’assurancevieillessedesparentsaufoyer,pp136-139,2015.

Direction de la sécurité sociale. « Les Comptes de la sécurité sociale - septembre 2015 », « Les durées d’assurance validées par les actifs pour leur retraite au régime général »,pp136-139,2015.

DREES. « Les retraités et les retraites »Édition2016-PanoramadelaDREES,2016.

INSEE. « INSEE Première »N°1419,2012-« Un premier enfant à 28 ans », INSEE, 2012.

PAILHÉ A., SOLAZ A. « Durée et conditions de retour à l’emploi des mères après une naissance », « Retraite et Société »,2012/2(n° 63).

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Avantagesfamiliauxderetraite:quelle(s)égalité(s)pourlaretraiteentrelesfemmesetleshommes?Par Laure CAMAJI, maîtresse de conférence à l’IUT de Sceaux (Université Paris-Sud)

Laure Camaji est maîtresse de conférences à l’IUT de Sceaux (Université Paris-Sud). Elle est spécialisée en droit social. Ses travaux de recherches portent sur le droit de la protection sociale. Elle s’intéresse particulièrement aux droits et obligations des assurés sociaux au prisme des notions de service public, de solidarité, de genre et de droits fondamentaux.

Lesinégalitésderetraiteentrelesfemmesetleshommessontcriantes.En2014,lesfemmesdisposentd’uneretraite inférieurede39,3 %àcellesdeshommeset lemontantmoyendeleurpensionestde1 007euros.Cettesituationn’estpasignoréeparlelégislateur.Delonguedate,lesretraitesdesfemmesontétéamélioréesparl’attributiond’avantagesspécifiques, en considérationde leursqualitésdemèresetd’épouses.Cesavantages familiauxdemeurentdescomposantes importantesde laretraitedesfemmes.Encoreaujourd’hui, ilscomplètentleurspensionsdemanièresignificative.Ainsi,lorsquel’onajoutelamajorationdepensionpourenfantetlaréversion,laretraitemoyennedesfemmesaugmentetangiblement.En2014,elleétait de 25,2 %inférieureàcelledeshommesen20141.

Si lesavantages liésà la situationd’épouseont étéétendusauxépouxou supprimés, lesdroits liés aux enfants (qu’ils soient liés à la naissance, à l’adoption, à l’éducation ou auxsoinsmatériels)demeurentengrandepartieaccordésauxmèresenFrance.Le législateurfrançaisarécemmentfaitlechoixdelesmaintenirdemanièredirecte-àtitretransitoire-etdemanièreindirecte-pardiversprocédés-danslaplupartdesrégimesderetraite.D’unpointdevuejuridique,laCJUEcondamnedepuislesannées2000lefaitderéserverdesavantagesfamiliauxauxfemmes,surlefondementdeladiscriminationdirecteetindirecteenraisondusexe.Cettepositionn’esttoutefoispasunanimementpartagée.Outrelefaitquelelégislateurfrançaismaintientlechoixinverse,leshautesjuridictionsfrançaisesetlaCoureuropéennedesdroitsdel’hommecontinuentdelesvaliderenécartanttouteatteinteauxprincipesd’égalitéetdenon-discrimination.Cettedivergencedesolutionsjudiciairestémoignedudilemmepolitiqueaucœurde la retraitedes femmes.Favoriser les femmesen tantquemères,n’est-cepasfaire perdurer ces assignations sociales ? Mais maintenir ces avantages n’est-il pas pourautantlégitime,dèslorsqu’ilsaugmententlaretraitedesfemmespénaliséespardescarrièresprofessionnellesmoinscomplètesquecellesdeshommes,etqu’ilscompensentlesindéniablesinégalitéssocialesdegenreenmatièredecharged’enfants?Traduiten termes juridiques,cedilemmepeut s’exprimer ainsi : faut-il affirmer l’égalité formelle entre les femmeset leshommesenmatièredeprotectionsociale(ettoutparticulièremententrelesmèresetlespères),

1Encomptantlesavantagesfamiliauxderetraite,lemontantmoyendelaretraitedesfemmesestde1297eurosen2014.Elleestalorsinférieurede25,2%àcelledeshommes(Drees,Les retraités et les retraites. Edition 2016,coll.Étudesetstatistiques).VoirC.Bac,V.Poubelle,«Lesavantages,oudroitsfamiliaux,enmatièrederetraiteaurégimegénéral»,RDSS2009.1024.

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etainsigommerlesstéréotypesdegenreenpariantsurl’évolutiondelasociétépourparvenir à l’égalité réelle ? Ou bien faut-il compenser les inégalités factuelles quidésavantagentlesfemmesetlesmèrespardesprestationssocialesspécifiques,aurisquedefigerdanslaloilesdifférencesactuellesdesrôlessociauxentrelesfemmeset les hommes ?2 Ces tensions animent la société et les mouvements féministeseux-mêmes3. Sur le plan juridique, les principes d’égalité et de non-discriminationn’imposentévidemmentpasdesolutionunivoque.Eneffet,ilsseprêtentàdemultiplesconceptionsdel’égalitéetdeladiscrimination.Ilsdoiventégalementcomposeravecl’objectifpolitiquedesolidaritéau fondementde toutsystèmedeprotectionsociale.LessolutionsdivergentesretenuesàproposdesavantagesfamiliauxderetraiteparlaCJUEd’unepart(I),etparleshautesjuridictionsfrançaisesetlaCoureuropéennedesdroitsdel’hommed’autrepart(II),illustrentl’enchevêtrementdecesproblématiques.

I-LapositiondelaCJUEDèslesannées2000,laCJUEcondamneàplusieursrepriseslesavantagesfamiliauxderetraiteque laFranceréserveaux femmesdemanièredirecteou indirecte.Auxtermesd’analysessansconcessions,elleconclutàlaviolationduprinciped’égalitédesrémunérationsentrelesfemmesetleshommes(art.119TraitéCEE,devenuart.157TFUE).D’unpointdevuetechnique,elleretientuneconceptionformelledel’égalitéentrelesfemmesetleshommes.Toutefois,au-delàdecetteinterprétationduprinciped’égalité,sapositionestcertainementsous-tendueparune logiquemarchande.Eneffet, laCourdeJusticenes’attachepasà l’objectif desolidaritéquepoursuit toutsystèmedeprotectionsociale;bienaucontraire,elleconçoitlespensionsderetraitecommeunélémentderémunérationdestravailleursquisetrouventenconcurrencesurunmarchédutravail.

I.1/ La technique de l’égalité formelle des femmes et des hommes en matière d’avantage familial de retraiteDansplusieursaffaires,laCJUEinvalidelechoixdelaFrancedeprendreencompte,dans le calcul de la retraite, le fait que les femmes assument davantage que leshommeslachargedesenfantsaucoursdeleurvie.Ellecondamnelefaitderéserverauxmères,demanièredirecteouindirecte,lesavantagesfamiliauxderetraite.Pourparveniràcettesolution,laCourdeJusticerecherchesilesfemmesetleshommessontdansunesituationcomparableauregarddecesavantagesfamiliaux.Ellerépondpositivementàcettequestionensoulignantqu’ellesou ilsontuneégalevocationàexercerlafonctionparentale.Elleexamineensuitesiunobjectiflégitimeestsusceptibledejustifierdesmesuresspécifiquesauxfemmes.ElleécartelesobjectifsavancésparleGouvernementfrançaisetconclutàlaviolationduprinciped’égalité.

2A.Zarca,«Leretourdugenredansledroitdespensionsdelafonctionpubliqueoulesvicissitudesd’unstéréotypebienintentionné»,inS.Hennette-Vauchez,D.Roman,M.Pichard(dir),La loi et le genre. Études critiques du droit français,CNRSEditions,2014.

3NancyFraser,«Marchandisation,protectionsocialeetémancipation.Lesambivalencesduféminismedanslacriseducapitalisme»,Revue de l’OFCE,2010,3,n°114.

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Dansl’affairequiadonnélieuàl’arrêtfondateurdecettejurisprudence(ladécisionGriesmardu29novembre20014),l’avantageestexpressémentréservéauxmères:ils’agitd’unebonificationd’assuranced’unanparenfantdontbénéficiaient,àl’époque,lesfemmesaffiliéesaurégimederetraitedesfonctionnairescivilsetmilitaires.Leshommessontdoncdiscriminésdemanièredirecteenraisondeleursexe.LaCJUEtranched’abordlaquestionde l’objetde l’avantage.Cette interrogationétaitpréalableetdéterminante,cardecelle-ci dépendait la détermination d’une différencede traitement.À cette époque, les avissontpartagés:s’agit-ild’unavantageliéàlamaternitéouàl’éducationdesenfants?LaCJUEexaminelesmodalitésd’attributiondel’avantageetconclutqu’ilestaccordéenconsidérationde la charge d’éducation des enfants. Elle relève ensuite que les femmes et les hommessont pareillement susceptibles d’assumer l’éducation d’un enfant et d’être exposés à desdésavantagesprofessionnels5.Dèslors,lefaitderéserverl’avantageauxfemmesestconstitutifd’unedifférencedetraitementenraisondusexe.Cettedécisionaétésaluéeàl’époque6. En effet,elleaouvertlavoieàl’abandond’unstéréotypedegenreetàunereconsidérationdel’ensembledesavantagesfamiliauxderetraite: lamaternitéet l’éducationdesenfantssontdeuxchosesdifférentesetl’éducationdesenfantsestsusceptibled’êtreassuméepard’autrespersonnesque lamère. LaCJUEpoursuit son raisonnement. Lamesureétant constitutived’unediscriminationdirecte,puisquel’avantageestexplicitementattribuéenraisondusexe,ladifférencede traitementn’estsusceptibled’être justifiéequepardesmoyensdedéfensespécifiquesetlimités.Danscetteaffaire,laCourdeJusticeretientl’applicabilitédel’article6,paragraphe3,del’accordsurlapolitiquesociale.Cetarticlepermettaitàl’époqueauxÉtatsmembresdemainteniroud’adopterdesmesuresprévoyantdesavantagesspécifiques,destinésàfaciliterl’exerciced’uneactivitéprofessionnelleparlesfemmes,ouàpréveniroucompenserdesdésavantagesdansleurcarrièreprofessionnelle.LaCourdeJusticeexaminelesmodalitésd’attributiondel’avantagefamilialderetraiteetconclutqu’iln’estpasenmesured’atteindrecebut.Ellesouligneque«lesmesuresnationalescouvertespar[l’article6paragraphe3del’accordsurlapolitiquesociale]doivent,entoutétatdecause,contribueràaiderlesfemmesàmenerleurvieprofessionnellesurunpiedd’égalitéavecleshommes».Or,labonificationd’assurance d’un an par enfant « n’apparaît pas comme étant de nature à compenser lesdésavantagesauxquelssontexposéeslescarrièresdesfonctionnairesfémininsenaidantcesfemmesdansleurvieprofessionnelle.Aucontraire,elleseborneàaccorderauxfonctionnairesfémininsayantlaqualitédemèreunebonificationd’anciennetéaumomentdeleurdépartàla retraite,sansporter remèdeauxproblèmesqu’ilspeuvent rencontrerdurant leurcarrièreprofessionnelle».End’autres termes, l’avantage familialde retraiten’ayantpasvocationàtransformerlesinégalitésprofessionnellesmaissimplementàenprendreacteaumomentdelaretraite,lefaitdeleréserverauxfemmesnepoursuitpasl’objectiflégitimerecherché.

4 CJCE,29nov.2001,Griesmar,aff.366/99,Rec.I-9383,Dr. Soc.2002p.178,noteM.-T.Lanquetin.5Delamêmefaçon,lorsqu’estenjeuledroitàuncongéparentald’untravailleur,laCJUEetlaCEDHs’accordentpourdirequeles

femmesetleshommessontdansunesituationcomparable:CJUE,30septembre2010,C-104/09,Pedro Manuel Roca Alvarez c. SesaStratEspana ETT SA., JCP S2010,n°45p.36,noteFabricePicod;RJS2011.103,obs.J.-Ph.Lhernould ;CEDH,7octobre2010,Konstantin Markin c. Russie,30078/06.

6VoirparexemplelesobservationsdeMarie-ThérèseLanquetin,Dr. Soc.2002p.178.

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LaCJUEadopteunepositionsimilaireenmatièredediscriminationindirecteenraisondusexe,dansunarrêtLeone, rendu le 17 juillet 20147.Cetarrêtconcernelemêmeavantagefamilialderetraitequedansl’affaireGriesmar: ils’agitdelabonificationd’assuranced’unanpourenfantélevédontbénéficient les fonctionnairescivilsetmilitaires pour le calcul de leur retraite. Toutefois, lesmodalités d’attribution sontdifférentes.Alorsqu’àl’époquedel’affaire Griesmar, laloifrançaisen’enaccordaitle bénéfice qu’aux femmes, il est au moment de l’affaire Leone attribué autant aux femmes qu’aux hommes. Il est alors conditionné à une interruption d’activitéminimalededeuxmoisdans lecadred’uncongé liéà lamaternitéou l’éducationd’un enfant8.Cetteconditionestmiseencausesurlefondementdeladiscriminationindirecteenraisondusexe.LaCourenexamine lesdeuxconditions.Enpremierlieu,cettediscriminationestreconnue«lorsquel’applicationd’unemesurenationale,bienqueformuléedefaçonneutre,désavantageenfaitunnombrebeaucoupplusélevédetravailleursd’unsexeparrapportàl’autre».Telestlecasdelabonificationd’assurance : ses conditionsd’attribution sont formellement neutresau regarddusexe,maisellesconcernentenréalitémassivementlesfemmesettrèsfaiblementleshommes.Eneffet, lesfemmesobtiennentcetavantagederetraitedemanièreautomatiqueaveclecongématernité,contrairementauxhommesquidoiventavoirprisuncongéparental,lequelauncaractèrefacultatifetn’estpasrémunéré.LaCourexamineensuitelasecondecondition.Lamesuren’impliquepasnécessairementlaviolationduprincipedenon-discrimination.Elleestcompatibleavecceprincipe«àlaconditionqueladifférencedetraitemententrelesdeuxcatégoriesdetravailleursqu’elleengendresoitjustifiéepardesfacteursobjectifsétrangersàtoutediscriminationfondéesurlesexe»;«telestenparticulierlecassilesmoyenschoisisrépondentàunbutlégitimedepolitiquesociale,sontaptesàatteindrel’objectifpoursuiviparlaréglementationencauseetsontnécessairesàceteffet».LeGouvernementfrançaisinvoquelesoucidecompenserlesdésavantagessubisparlestravailleursfémininsetmasculinsayantinterrompuleurcarrièredurantuncertainlapsdetempspourseconsacreràl’éducationdeleursenfants.LaCJUEconcèdequ’ils’agitd’unobjectiflégitime de politique sociale. Toutefois, elle entreprend d’étudier très précisémenttouslesaspectsdudispositif.Autermed’uneanalysesansconcession,elleconclutque levéritableobjectifduGouvernement françaisestprobablementdecontinueràprivilégier lesmèressuiteà l’arrêtGriesmar. Elle est donc encline à conclure à la violation du principe de non-discrimination. Elle laisse toutefois à la juridictionnationale le soin d’en décider en dernier lieu.7CJUE,17juill.2014,Leone c. Garde des Sceaux et CNARCL,C-173/13,AJDA2014.1519; ibid.2295,chron.E.

Broussy,H.CassagnabèreetC.Gänser;RDSS2014.1073,noteC.Boutayeb.8Suite à la condamnationde laCJUEdans l’arrêtGriesmar, l’État français a étendu le bénéficede cet avantage

familialde retraiteà tout fonctionnaire indépendammentdesonsexe.Cependant,uneconditionaégalementétéintroduite : l’avantageest conditionnéàune interruptionde carrièreminimalededeuxmois (Codedespensionscivilesetmilitaires,art.L12).Cetavantageestd’ailleurs transitoire,puisqu’ilneconcerneque lesenfantsnésouadoptésavantunecertainedate.Envertudel’article15dudécretn°2003-1306,unebonificationd’anciennetéfixéeàquatretrimestresestaccordée,envueducalculdumontantdelapension,àtoutfonctionnaire,pourchacundesesenfantsnésouadoptésavantle1erjanvier2004,ouprisenchargeavantcettedateetélevésdurantneufannées,àlaconditionqueleditfonctionnairepuissejustifierd’uneinterruptiond’activitéd’uneduréecontinueaumoinségaleàdeuxmoisintervenuedanslecadred’uncongédematernité,d’uncongépouradoption,d’uncongéparentaloud’uncongédeprésenceparentaleoud’unedisponibilitépouréleverunenfantdemoinsdehuitans.Laconditiond’interruption d’activité a été aménagéepar undécret de2010 : il existe désormais une condition alternative deréductiond’activité(CPCM,art.R.13).

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Enconclusion, laCJUEretientuneconception formellede l’égalitédes femmesetdeshommes : le choixque laCJUE refuseau législateur françaisest celui dereconnaitre dans la loi lesmèrescommeleparenta priori«privilégié».Cettesolutiontraduitcertainementuneacceptiondel’égalitéentrefemmesethommessuivantlaquelleilconvientdesupprimerlesstéréotypesdegenrevéhiculésparlalégislationafindeparvenirà l’égalitéréelle9.Toutefois, tellen’estsansdoutepaslaseuleexplication.LapositiondelaCJUEmériteaussid’êtrelueauprismedelalogiquemarchandequianimelaplupartdesesjurisprudences.

II.2/ La logique marchande au soutien de la position de la CJUE Cette logique marchande apparaît dans la manière dont la Cour de Justice appréhendel’avantagefamilialderetraite.Pour laCour, ilnes’agitpastantd’undispositifdeprotectionsocialequed’unélémentderémunérationdestravailleurs.

Eneffet,onpeutreleverlefondementjuridiqueencause:ils’agitdel’égalitéderémunérationsentrelesfemmesetleshommes(art.119TraitéCEE,devenuart.157TFUE).Sansdiscuterles raisonsduchoixdece fondementdansces lignes10, onpeut remarquerqu’il oriente leraisonnementdelaCour.Ilexpliquesansdoutel’analysesansconcessionquefait laCJUEdes objectifs légitimes susceptibles de justifier les différences de traitement, directes ouindirectes,enmatièred’avantagefamilialderetraite.D’unemanièregénérale,lesdifférencesderémunérationssupportentpeude justifications,dès lorsque l’égalitédessalairesestunprincipe organisateur de lamobilité des travailleurs et de la concurrence sur lemarchédutravail.Ainsi,lorsqueleGouvernementfrançaissesituesurleterraindelacompensationdesinégalitésprofessionnellesqu’engendrelacharged’enfantsentrelesfemmesetleshommes(cf. affaire Griesmar),laCourdeJusticevérifiedemanièrescrupuleusequelamesureestbienapteàpermettre la réductiondeces inégalitéspendant lacarrièreprofessionnelle.LorsquelaFranceavancequ’il s’agitdecompenser labaissedepensionde retraite induitepar lesinterruptionsprofessionnellesliéesàl’éducationdesenfants(cf. affaire Leone),laCourtraquelaréalitédecesinterruptionsetdelabaissedepension.End’autrestermes,lebénéficiairedelamesureétantletravailleuretnonl’assurésocialpourlaCJUE,lesdifférencesdetraitementsont beaucoupmoins susceptibles d’être justifiées par un objectif de solidarité que par unobjectifderéductiondesinégalitésprofessionnelles.

LeshautesjuridictionsfrançaisesetlaCourEDHnesemontrentpasaussiregardantes.Unedesraisonsquel’onpeutavancerestqu’ellesconçoiventl’avantagefamilialderetraitecommeunemesuredeprotectionsociale.ContrairementàlaCJUE,ellesprennentencomptelefaitquecetavantageviseàaugmenterlaretraitedesfemmes.

9VoirlescontributionsrassembléesdansS.Hennette-Vauchez,D.Roman,M.Pichard(dir),La loi et le genre. Études critiques du droit français,CNRSÉditions,2014.

10VoirlesobservationsdeM.-T.Lanquetin,préc.

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II. La position des hautes juridictions françaises et de laCour EDHÀ la suite de l’arrêtGriesmar de la CJUE, le législateur français a ouvert auxhommes les bonifications d’assurance pour enfants. Toutefois, dans certainsrégimesderetraite,ilaposéuneconditiond’interruptiond’activitéqui,enpratique,continued’avantagerlesfemmes11.Dansd’autresrégimesderetraite,ilamaintenucertaines dispositions sexospécifiques en faveur des mères à titre transitoire12. Cettetransitions’inscritsurunelongueduréepuisqu’elleconcernelesenfantsnésouadoptésavantle1erjanvier2010.ÀladifférencedelaCJUE,laCoureuropéennedesdroitsdel’hommeetleshautesjuridictionsfrançaises(c’est-à-direleConseild’État,laCourdecassation,ainsiqueleConseilconstitutionneldansceslignes)admettent expressément que les femmes puissent être favorisées en matièred’avantagefamilialderetraite.Cefaisant,ellesprivilégientunetechniqued’égalitématérielleentrelesfemmesetleshommesenmatièrederetraite.Leursdécisionssemblentsous-tenduespardeuxconsidérations trèsdifférentes l’unede l’autre : d’unepart,l’objectifpoursuivipartoutsystèmedeprotectionsocialed’assureruneretraitedécenteàtous,notammentauxfemmes,etd’autrepart,lapréservationde l’assignationsocialedelamère.

II.1/ La technique de l’égalité matérielle des femmes et des hommes en matière de retraiteSaisies à propos des avantages familiaux de retraite, les hautes juridictionsfrançaises admettent que les femmes puissent être favorisées dans certainescirconstances.Ellesjustifientdesdiscriminationsdirectesetindirectesenraisondusexe,enaccueillantl’argumentdelacompensationdesinégalitésquelesfemmesontsubiaucoursdeleurcarrièreprofessionnelledufaitdel’éducationdesenfants.Elles soulignent également que ces différences de traitement ont un caractèretransitoire:ellesontvocationàdisparaîtreàmesurequelarépartitiondelachargedesenfantsentrelesfemmesetleshommess’équilibredanslasociété.

Cesdeuxargumentsserapprochentd’uneconceptionmatérielledel’égalitéentre

11C’estnotammentlecasdanslerégimedespensionsderetraitedesfonctionnairescivilsetdesmilitaires(CPCM,art.L.12etR.13,voirnoten°8ci-dessus).Cettebonificationauncaractèretransitoire:ellenevautquepourlesenfantsnésouadoptésavantle1erjanvier2004.Pourlesenfantsnésouadoptésàpartirdecettedate,elleestremplacéeparunebonificationd’assurancededeuxtrimestrespourlesfemmesautitredel’accouchement,etparlapriseencomptedanslecalculdelapensiondetouslesfonctionnairesetmilitairesdespériodesd’interruptionouderéductiond’activitépouréleverunenfant.

12C’estlecasdanslerégimegénéral(quiconcernelessalariésdedroitprivé)etdanslerégimesocialdesindépendants,pourlesartisansetlescommerçants.L’article65,IXdelaloin°2009-1646du24décembre2009prévoitquepourlesenfantsnésouadoptésavantle1erjanvier2010,lamajorationdeduréed’assurancepouréducationprévueàl’articleL.351-4ducodedelasécuritésocialeestattribuéeàlamère,saufsilepèreapportelapreuvequ’ilaélevéseullesenfantspendantuneouplusieursannéesaucoursdeleursquatrepremièresannées.Laprocédurerendd’ailleursenpratiqueimpossiblecebénéfice,puisqu’ilestexigédupèred’enavoirfaitlademandedansl’annéedepublicationdelaloi.Seultempérament:pourlesenfantsnésàpartirdu1erjanvier2006,lepèrepeutenfairelademandedanslesquatrepremièresannéesetsixmoisdel’enfant.Ilestcertainquecetélémentprocéduralestdéterminantetempêchelespèresdepouvoirvéritablementyprétendre(d’autantplusquelacaissederetraiten’apasl’obligationd’informerlesparentsdecettepossibilité;voirCiv.2e,16fév.2012,n°11-10646,Dr. Ouvrier2012.611etnosobservations).

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lesfemmesetleshommes.L’objectifpoursuiviétantquetouslesassuréssociauxbénéficient d’une retraite d’un même niveau, il paraît nécessaire d’octroyer desavantages complémentaires aux femmes ayant eu des enfants. La charge qui leurincombelesempêched’accéderàdescarrièresprofessionnellessemblablesàcellesdeshommesetlespénalisedanslaconstitutiondeleursdroitsàlaretraite.Leshautesjuridictionsfrançaisescontinuentd’adoptercetteposition,endépitdesdécisionscontrairesdelaCJUE.

Ainsi,enmatièredediscriminationdirecte,lajurisprudencefrançaiseapeuévolué.SilaCourde cassation et le Conseil d’Étatontinvalidélesavantagesfamiliauxderetraiteréservésauxfemmessuiteàl’arrêtGriesmar renduparlaCJUE13,ellescontinuentdevaliderleslégislationspostérieuresquimaintiennent lesdifférencesde traitementà titre transitoire.En témoignentdesarrêtsde2013delaCourdecassation14,quireprennentmotpourmotuneargumentationretenueparleConseilconstitutionnelen200315.LaCourdecassationadmetsansnuanceslajustificationdeladiscriminationdirecte.Ellefaitréférenceaux«inégalitésdefaitdontlesfemmesontjusqu’àprésentétél’objet»,sanspréciserlesquellesnirenforcersonargumentationpardespreuvesstatistiquesoudesétudes.Ellesouligneaussilecaractèretransitoiredecettemesure,sanspréciserque la transitionsera très longuepuisqu’elleconcernera lesretraitesliquidéesdanslesquarante(voiredanslescinquante)prochainesannées.

Lechoixdel’égalitématérielleapparaîtaussienmatièredediscriminationindirectedepuisunarrêt récentduConseild’État,concernant lesavantages familiauxde retraitesoumisàuneconditiond’interruptiond’activité.Jusqu’àl’arrêtLeonedelaCJUE,lesjuridictionsfrançaisesn’examinaientpasladiscriminationindirecteetvalidaientcettecondition16. Elles s’en tenaient à une conception formelle de l’égalité, ce qui avait l’avantage de les exempter d’examinerlesfinalitésdeceslégislations.Toutefois,suiteàl’arrêtLeonedelaCJUE,leConseild’Étatentreprendd’argumenterdavantagesaposition.Iladmetladifférencedetraitementetexposel’objectifquijustifieladiscriminationindirecte,dansunarrêtQuintanel rendu en 201517. Le choix de l’égalitématérielle, qui guidecertainement ces législations,estainsi affirmé.LeConseild’Étatprendlesoind’étayerlesinégalitésdepensionssubiesparlesfemmesfonctionnairesetmilitairesayanteudesenfantsà l’aidededonnéesstatistiques.Lacompensationdecesinégalitésconstitueselonluiunobjectiflégitimejustifiantladifférencedetraitement.IlrépondégalementàlaCJUEensoulignantque«cettebonificationn’apaspourobjetetnepouvaitavoir pour effet deprévenir les inégalités socialesdont ont été l’objet les femmesmaisdeleurapporter,dansunemesure jugéepossible,parunavantagede retraiteassimiléàune13CE,29juillet2002,Griesmar, Dr. Soc.2002p.1131,noteX.Prétot;CE, 7ess-sect.,7juin2006,n°280126,Bernard c/ Sté Gaz de

France, JCP S,2août2006,n°1650,obs.J.Cavallini;Civ. 2e, 19 février 2009, n° 07-20668, Bull. Civ. II n° 53, RJS 2009,n°5p.400; Dr. Soc. 2009.574,noteX.Prétot ; Droit de la famille,2009,n°5p.37,noteC.Bidaud-Garon;JCP S 2009,n°20p.37,noteT.Tauran;RDSS 2009,n°2p.38,noteM.Badel.D’autresdécisionssontcitéesdansL.Camaji,«L’argumentdeladiscriminationindirecteenraisondusexeconfrontéàlaretraitedesfemmes»,préc.

14 Civ. 2e,18avril2013,n°12-28033etCiv.2e, 7 nov. 2013, M. X... c/ CARSAT Centre-Ouest,n°12-28033;D.2013.2648;JCP E 2014 n°13p.46,obs.F.Chopin;RDSS2014.189,obs.T.Tauran; Dr. Soc.2014.188,noteJ.-P.Lhernould.

15CC,décisionn°2003-483DCdu14août2003,Loi portant réforme des retraites, àproposdelabonificationd’assurance,maintenueàl’avantageexclusifdesmèresdanslerégimegénéralparlaloide2003portantréformedesretraites.

16CC,décisionn°2003-483DCdu14août2003,préc.;CE29déc.2004,D’Amato et Frette(deuxesp.),n°265097,n°265846,RDSS 2005.633,concl.C.Devys;Civ.2e,12juillet2012,n°10-24661, FS-P+B+R,M. L. c/ Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires (CRPCEN), RJS 11/12 n° 902 ; JCP S 2012 n° 46 p.32, obs. J. Daniel.

17CommelesouligneGhislaineAlberton,leConseild’Étatexploitepleinementlamarged’appréciationquelaisselaCJUEauxjuridictionsnationales;CEAss27mars2015M.Quintanel,req.n°372426;D.2015.807,obs.G.Poissonnier;JCPG2015.675,obs.F.Tesson;AJDA2015p.176,noteG.Alberton:«L’artdeconcilierdéférencecommunautaireetrésistancenationale».

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rémunération différée au sens de l’article 157 du Traité sur le fonctionnementde l’Union européenne, une compensation partielle et forfaitaire des retards etpréjudicesdecarrièremanifestesquilesontpénalisées».

QuantàlaCoureuropéennedesdroitsdel’homme,elleretientaussiuneconceptionmatérielledel’égalitéentrelesfemmesetleshommesenmatièrederetraite,tantpourdescasdediscriminationdirectequepourdescasdediscriminationindirecte.Ellesemontrecompréhensivefaceauxlégislationsquicompensentlesinégalitésdefaitsubiesparlesfemmesenmatièrederetraite.Eneffet,elleconsidèrequel’égalité réelle entre les femmes et les hommes peut nécessiter des évolutionsprogressives de la législation et ainsi se construire dans le temps afin de tenircompteducontextehistoriqueetdesévolutionssociales.Ainsi, elleaffirmequen’estpasdiscriminatoireunelégislationquivise«àcorrigerledésavantagedont[souffrent] les femmes, tant que ne [sont] pas intervenus de changements auxplanssocialetéconomiqueayantfaitdisparaîtrecesinégalités»18.Cettepositions’articuleavecunegrandemargedemanœuvreaccordéeauxÉtatsetaveclapriseencomptedesenjeuxd’unsystèmedeprotectionsociale:laCourreconnait«uneample latitude[…]à l’État pour prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale », « puisqu’un tel système repose sur un équilibre subtil et que ses éventuelles modifications peuvent avoir d’importantes répercussions pour l’économie du pays »19.

Àl’examendecesarguments,ilapparaîtquelespositionsdesjuridictionsfrançaisesetdelaCourEDHsontsous-tenduesparlapriseencomptedesenjeuxd’unsystèmedeprotectionsociale.Ellesnesontpeut-êtrepasnonplusexemptesd’unautresouci:celui de préserverl’assignationsocialedelamère.

II.2/ Une position sous-tendue par les enjeux d’un système de protection sociale et par la préservation de l’assignation sociale de la mère Les objectifs politiques véhiculés à travers les avantages familiaux de retraiteont évolué avec le temps.Ainsi en France, en 1924, les avantages qui étaientété accordésaux femmes fonctionnaires (bonificationd’anciennetépour chaqueenfant et départ anticipéà la retraite aprèsquinzeannéesde servicespour lesmèresdetroisenfants)étaientlefruitd’unepolitiquedepromotiondelamèreaufoyer.Si lecontexteéconomique,socialetpolitiqueachangé, les femmesétantaujourd’hui incitées à travailler20, lapromotiondu rôle social de lamèren’apasdisparu. Ces dernières demeurent encore en grande partie responsables del’éducationdesenfants.Lefaitque le législateur françaiscontinued’attribuer lesavantages familiauxderetraiteaux femmesen témoigne.Ledroit leur reconnait18 CEDH, Stec et autres c. Royaume-Uni (déc.)[GC],Reqn° 65731/01et65900/01,§§61-66;CEDH,5e Sect. 17 février

2011, Andrle c. République Tchèque,Req.n°6268/08,§§55et60.19 Ibid.20Surl’injonctiondetravaillerfaiteauxfemmesdèslesannées1980,voirnotammentH.Périvier,«Travaillezoumariez-

vous!LarégulationsexuéedelapauvretéenFranceetauxÉtats-Unis»,Travail, genre et sociétés,2012/2p.28.

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encoreune telle responsabilité.Cettemesure légale joueainsiundouble rôle,àla foisdecompensationde lachargeassuméeetenmême tempsd’assignationàcette charge.Néanmoins, les avantages familiaux de retraite ne peuvent sans doutepasêtreinterprétéssousceseulangle.Lesdébatspolitiquesdesquinzedernièresannéesontmontréquecesavantagessontégalement,voiresurtout,considérésaujourd’huicommeunmoyend’augmenter la retraitedes femmes. Il s’agitdecompenser la répartition inégalede lachargede l’éducationdesenfantsentre les femmeset leshommes.Mais l’objectifvasansdoutebienau-delà.Parcebiais, lelégislateurentendvraisemblablementapporteruneréponseplusglobaleauxproblèmesd’inégalitédesretraitesentrelesfemmesetleshommes,lesquelsneseréduisentpourtantpasàlarépartitionéconomiqueetsocialedelachargedel’éducationdesenfants.Lerecoursàcesavantagesaccessoirespouraugmenter laretraitedesfemmesvéhiculeainsideuxenjeuxmajeursd’unsystèmedeprotectionsociale:assurerauxpersonnesuneprotectioncontrelesrisquesdel’existence-vialagarantied’uneretraitedécenteenl’occurrence-etorganisercetteprotectionparlamiseenœuvred’unesolidarité- via la réduction de l’impact des inégalités de carrières professionnelles entre femmes ethommesaumomentdelaretraite.

Cesmultiplesdimensions logéesaucœurdesavantages familiauxde retraite traduisent lecompromis sur lequel repose le systèmedeprotection sociale français dupoint de vuedugenre. En effet, ce système est généralement analysé comme un compromis entre deuxconventionsdegenredesÉtats-providence:laconvention«maternaliste/familialiste»(danslaquellelesdroitssontattachésàlafamilleetoùlamèreassumel’éducationdesenfants)etlaconvention«social-démocrate»(danslaquelledesdroitspropressontpromusetoùlesdeuxparentsprennentenchargel’éducationdesenfants)21. Àcetégard,les décisions des juridictions françaisesnesurprennentpas:ellesexprimentprécisémentcesdeuxconventionsdegenre.Lacomparaisondedeuxdécisionsde2013delaCourdecassationestéloquente.Lorsqu’ils’agitdestatuersurune législationquiaccordedesavantagesderetraite liésà l’éducationdesenfantsexclusivementàlamère,lesconsidérantainsicommedes«droitspropres»,laCourdecassationconclutàladiscriminationdirecteetétendcebénéficeaupère22. Les deux parentsayantuneégalevocationàcetteresponsabilité,lelégislateurnepeutpasconsidérera priorilamèrecommeseuleenchargedel’éducation.Enrevanche,lorsquecetavantagedoitêtreattribuéàl’undesdeuxparentsoupartagéentrelesdeuxparents,etquelelégislateurl’attribue in fineàlamèreplutôtqu’aupère(àtitretransitoireouencasdedéfautdechoixdesparents),laCourdecassationconclutàunediscriminationdirectelégitimementjustifiée.Ellevalidelechoixdelamèreenraisondelacompensationdesinégalitésdefaitdontlesfemmesfontl’objetenmatièred’éducationdesenfants23,cettebonificationétantplutôtconçuecommeundroitattachéàl’éducationdel’enfantàpartagerentrelesparents.

21A.Fouquet,A.Gauvin,M.-T.Letablier,«Descontratssociauxentrelessexesdifférentsselonlespaysdel’Unioneuropéenne»,in Conseild’analyseéconomique, Egalité entre les femmes et les hommes : aspects économiques,LaDocumentationfrançaise,1999,p.105;etM.-T.Letablier,«Régimesd’État-providenceetconventionsdegenreenEurope»,Informations sociales, 151, janvier-février2009,p.102.VoiraussiL.Camaji,«Protectionsociale»,inS.Hennette-Vauchez,M.Pichard,D.Roman(dir.),Genre et Droit. Ressources pédagogiques,Dalloz,coll.Méthodesdudroit,2016.

22 Civ. 2e,23mai2013,n°12-18418.23 Civ. 2e, 18 avril 2013 et Civ. 2e,7nov.2013,n°12-28033,préc.

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Conclusion Enconclusiondecetteétude,ilfautsoulignerquelarépartitioninégaledelachargedesenfantsentrelesfemmesetleshommesn’estpasleseulfacteurquipèsesurlaretraitedesfemmes.Lesfemmescumulentlessituationsdéfavorablesauregarddumode de calcul des retraites en France. Elles sont davantage affectées parlesinterruptionsd’activitéprofessionnellemaiségalementparletempspartiel,lesemploispeuqualifiésoupeuvalorisésentermesdecarrièreetdesalaire,etellessontmoinsbienrémunéréesqueleshommesàtravailégal.Concevoiruneréductiondecesinégalitésprofessionnellesentrelesfemmesetleshommesaumomentdelaretraiten’estdoncpasillégitime.Toutefois,avantagerlesfemmesauseulmotifdeleursexeestimpensable,politiquementetjuridiquement,carl’interprétationdesprincipesd’égalitéetdenon-discriminations’opposentaujourd’huisanséquivoqueàcettesolution.Audemeurant,cettemesureneseraitcertainementpasefficacenilogique,carelleneferaitquecontrebalancerleseffetsdumodèlesurlequelreposelesystèmedeprotectionsocialelui-même.Eneffet,lesystèmederetraitefrançais,commed’autressystèmesdeprotectionsocialenationaux,estfondésurunmodèlede carrière continue, ascendante et bien rémunérée, c’est-à-dire sur unmodèlemasculin de carrière. Si cemodèle pénalise les femmes, il pénalise égalementdeplusenplusleshommes,quineparviennentplusaujourd’huiàle réaliser. En somme,levéritableproblèmedel’égalitédesretraitesentrefemmesethommesrésidetrèscertainementdanslechoixdecemodèledutravailleursurlequelsontdeplusenplusfondéslessystèmesdeprotectionsociale.Lesystèmefrançaisestinfluencéencelaparladoxaeuropéenneetl’idéologienéo-libéraledominante.Ilestpeuprobablequelesseulsprincipesd’égalitéetdenon-discriminationsoientsuffisantsetpertinentspourtransformercemodèle.

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ÉGALITÉ

PROFESSIONNELLE

ETPROTECTIONSOCIALE

D

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L’égalitéfemmes/hommesàlaSécuritésocialePar Carole BONVALOT, Directrice du développement et de l’accompagnement des ressources humaines à l’UCANSS

Carole BONVALOT est Directrice du développement et de l’accompagnement des ressources humaines à l’UCANSS depuis juillet 2014.Elle a précédemment exercé différentes fonctions à la CPAM des Bouches-du-Rhône.

Dansuncontextenationaloù les femmesconnaissentun tauxd’activitéplus faibleque leshommes, lerégimegénéraldeSécuritésocialesedistingueparunesur-représentationdesfemmesdansseseffectifs.

Auseindenotreinstitution,plusdetroissalariéssurquatresontdesfemmes,cequinousplaceparexempletrèsloindevantlesecteurprivé(44%)oulafonctionpublique,où61%desagentssontdes femmes.Auseindecettedernière,seule la fonctionpubliquehospitalièreconnait,avec77%depersonnelféminin,desproportionssimilairesauxnôtres.

Cetauxdeféminisationdel’institutionaugmenteparailleursencontinusurles30dernièresannées:de74,1%en1985(annéedutauxleplusbas),ils’établitaujourd’huià77,8%,niveauleplushaut.

Lesalariédurégimegénéralestdonc trèsmajoritairementunesalariée,etdeplusenplusdanslamesureoù,proportionnellement,lesfemmessontdavantagereprésentées dans nos recrutementsexternes(prèsde80%desCDIen2015).Pasétonnantlorsqu’onsaitqu’onpeutpasserdesjournéesentièresenjury,danslescaisses,sansvoirlemoindrecandidatmasculin…defait,en2015,plusde4800femmesontétérecrutéesencontratàduréeindéterminée,pourunpeuplusde1200hommesseulement.

I-Lepaysageinstitutionnel:inégalementreprésentéesdanslesmétierset les niveaux, les femmes bénéficient pour autant d’une politiqued’égalitéportéeparl’employeurD’unefaçongénérale,commentcaractériserles115000femmessalariéesdurégimegénéraldeSécuritésocialeencontratàduréeindéterminée?

Répartiesdans344organismes,ces salariées : sontplusjeunesqueleurscollèguesmasculins,deprèsd’unanenmoyenne1; ontuneanciennetémoyenneinstitutionnelleplusélevéequeleshommes(19,1ans,

1 Soit45,2anscontre46,1anspourleshommes

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soit prèsde6moisdeplus), et encoreplusélevéeau seind’unmêmeorganisme2.

Une représentation inégale selon les métiers et le niveau hiérarchiqueLesfemmessontsur-représentéesdanslesmétiersaucœurdel’activitédurégimegénéral:gestionnaireconseil,conseilleroffresdeservices,gestionnairemaîtrisedesrisques,ouencorechargéd’interventionsociale.

Larecherched’unmeilleuréquilibreimpliqueraitderecruterdavantaged’hommessurcesmétiers.

Maiscommentlesattirer,alorsmêmeque,dèslascolarité,lesfilièresquialimententnosmétierssonttrèsféminisées?

O2,leaderdesservicesàlapersonneetquipeineaumoinstoutautantquenousàrecruterdeshommes,acréédanscetobjectiflesitewww.homme-de-ménage.fr,résolumentengagécontrelesidéesreçuesetquinemanquepasd’humour...maisavec des résultats toutefoisencoremarginauxquantauvolumedecandidaturesreçues.Est-ceungadget,oudevrait-onaller jusqu’àcréerunsite«homme-de-sécu»àcôtédeceluidesmétiers?Changerlesreprésentationsn’estentoutcasnisimple,nirapide.Uneambitiondecettenatureinciteraitàinvestirdanslesannéesà venir dans de nouvelles actions de communication volontaires et innovantes,venantencomplémentdespolitiquesplustraditionnellesexistantes.

A contrario,etalorsmêmequ’ellesreprésententprèsde78%denoseffectifs,lesfemmessont largementminoritairesdanscertainescatégoriesprofessionnelles :elles représententmoinsde30%des informaticiensetdes ingénieurs-conseils.S’agissantdesagentsdedirection,leconstatdoitêtrenuancé,puisqu’entre2010et2015, leurtauxdeféminisationaaugmentédeplusde5 points,pours’éleveraujourd’huià47,7%.Cettetendanceaurééquilibrageestpartagéedanslesautrescatégories,àl’exceptiondesinformaticiens.S’agissantdessous-représentations,onpeutdoncobjectivementconstaterque,progressivement,lasituationsecorrigedans l’institution.

Partantdumêmeconstatdedéséquilibre,certainesentreprisessesontengagéesdans une politique affichée de promotion d’une plus grandemixité desmétiers,y compris au travers d’actions qui peuvent parfois prêter à discussion avec lespartenaires sociaux. Chez Carrefour, en cas d’évolution interne (sous réserved’avoirlescompétencesrequises),l’entreprisesefixepourobjectifderetenirunecandidaturemasculine làoù leposteest largement féminiséetunecandidaturefémininelàoùleposteestmajoritairementoccupépardeshommes.Dansnotreinstitution,lanégociationrécenten’apasretenucetypededispositif,maiscertainsaccordslocauxleprévoient.

215,3ans,soit1andeplusqueleshommes

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

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Dans la continuité logique d’une répartition inégale selon les métiers, le tauxinstitutionneldeféminisationvarieenfonctionduniveaudequalification.Lesfemmesoccupent83,9%despostesd’employésdeniveaux1à4contre60,9%despostesdecadresdeniveaux8et9,et47,7%despostesd’agentsdedirection.Ainsi,lapartdesfemmesdansl’effectifdiminueavecleniveauhiérarchique.CequinesignifiepaspourautantquelesfemmesneprogressentpasdansnotreInstitution.

Une relative égalité dans l’accès aux postes de manager, même s’il semble plus tardifAucoursdelapériode2010-2015,5,2%dessalariésnonmanagersontaccédéàunpostedemanager-etparmieuxdenombreusesfemmes.

Encomparantlestauxd’accèsauxpostesdemanagerpourlessalariésàtempscomplet,lesécartspargenresontrelativementfaibles.

S’ilssontplutôtendéfaveurdesfemmespourlesniveauxlesplusbas3,enrevanche,pourlesniveauxplusélevés,lestauxd’accèssontsupérieurspourlesfemmes4.

Parailleurs, les femmessontenmoyenneunpeuplusâgéesque leshommes lorsqu’ellesaccèdentàunpostedemanagerdanslamajoritédescatégoriesprofessionnelles.Pourlesniveaux1à4,ellessontâgéesenmoyennede38,3anscontre36,2anspourleshommes.Unehypothèseseraitquelesfemmesdiffèrent,danslesoucid’équilibrerviefamilialeetvieprofessionnelle,leurpremièrecandidatureàunpostedemanagement.

Un recours choisi au temps partiel Avecuntauxde17,2%,laproportiondesalariéstravaillantàtempspartieldansl’institutionresteàunniveauélevéen2015,toutenenregistrantunreculde0,8pointdepuis2010.Defaçonconstante,cessalariésàtempspartielsontdansleurimmensemajoritédesfemmes,à94,1%en2015.

Auniveaunational, lerecoursplusfréquentpar lesfemmesautempspartielestégalementconstaté…mais pas toujours choisi par les intéressées, alors que le temps partielmis enœuvreàl’initiativedusalariédemeurelarègleauseindurégimegénéraldeSécurité sociale, conformémentauprotocoled’accorddu20juillet1976.Ainsi,sil’onseréfèreàl’année2011,letempspartielest«subi»pour1salariésur3danslesecteurprivéetpublicfrançais,contremoinsd’1salariésur10danslerégimegénéral5.

Nossalariéesbénéficientdoncdelapossibilitéd’aménagerleurstempsdevieenfonctiondeleursituationpersonnelleoudeleursaspirations.

3Parexemple,3,8%desfemmesnonmanagersdeniveaux1et4ontaccédéàunpostedemanager,contre4,5 %deshommesdemêmesniveaux.

417,8%pourlescadresfemmesdeniveaux6et7contre12,1%pourleurshomologuesmasculins.5ParmieuxfigurentlesmédecinsdesUgecam,quiengénéralcomplètentcetempspartielpard’autresvacations.

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La rémunération : une situation plus favorable que le secteur privé, avec des écarts liés pour l’essentiel à des effets de structureEn2015, tousniveauxdequalificationconfondus, larémunérationmoyennedesfemmesauseindurégimegénéralestinférieurede15%àcelledeshommes.Lasituationinstitutionnelleestlereflet,maisdansunemoindremesure,desécartsquiexistentdanslesentreprisesfrançaisestoussecteursconfondus.

Source : Chiffres-clésédition2016«Versl’égalitéréelleentrelesfemmesetleshommes»MinistèredesFamilles,del’EnfanceetdesDroitsdesfemmes».

L’écartdesalaireauseindurégimegénérals’expliqueengrandepartiepardeseffetsditsdestructure,àsavoirlanaturedespostesoccupésetlescaractéristiquespersonnellesdessalariéstellesquelesdiplômes(14%deshommesprésentsdansl’institutionontunniveaudeformationBac+5,contreseulement6%desfemmes),l’expérienceprofessionnelleetl’âge.

Nousl’avonsévoquéplushaut,lesfemmessontsur-représentéesdanslesfonctionsd’employésetsontproportionnellementmoinsnombreusesdanslesfonctionslesplusrémunérées(informaticiens,ingénieurs-conseils,agentsdedirection,praticiensconseils…).Cetterépartitioninfluedirectementsurlarémunérationmoyenne.

Auglobal,82%desécartssalariauxobservésentre leshommeset les femmesen2015sontexpliquéspardeseffetsdestructure.3,3pointsd’écartdesalairemoyennesontpasexpliquésparlescaractéristiquesdessalariésobservablessurlabasedesdonnéesdepaie,soitquecetécartserapporteàdescaractéristiquesindividuelles non observables, soit qu’il renvoie à des éléments de parcoursprofessionnelnécessitantuneanalysedynamique.

ÉCARTS DE SALAIRES NETS MENSUELS PRIVÉ ET PUBLIC PAR SEXE ET PAR SECTEUR EN 2012

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

153

Cette proportion d’écart non expliqué par les caractéristiques individuellesobservablesresteplusélevéechezlescadres,pourlesquelsmoinsdelamoitiédesécartssontexpliqués-sachanttoutefoisquelesécartsdesalairepourcettecatégorie,soit14,3%,sontbienmoinsimportantsquedansd’autressecteursprofessionnels(21%danslesecteurprivé).

L’analysedesniveauxderémunérationposeparailleurslaquestiondespolitiquessalariales:sur cesujet,onconstateque legenren’estpasun facteurdiscriminantauseindu régimegénéral.

Des politiques salariales équilibrées, malgré un effet du temps partiel sur les parcours professionnelsS’agissantdespasdecompétence,onpeutreleverchaqueannéeunequasiparfaiteégalitéd’accèsentrehommesetfemmes.

S’agissantdesparcoursprofessionnels,lecomparatifpargenrerestreintauxsalariésàtempscompletmontreque lesécartssont faibles,etpas forcémentendéfaveurdes femmes.Parexemple,5,7%descadresfemmesdeniveaux8et9ontbénéficiéd’unparcoursprofessionnelen2015contre5,3%deleurshomologueshommes.

Enrevanche, laproportiondebénéficiairesd’unparcoursprofessionnelparmi lessalariésàtempspartielestinférieureàcelledel’ensembledessalariés.Unehypothèseseraitquelessalariésàtempspartielpostulentmoinssurdespostesdeniveausupérieur.

Plusquelegenre,letempsdetravailapparaîtdonccommelevéritablefacteurdedifférenciationentre salariés en termes d’évolution professionnelle. Les femmes représentant 94 % dessalariésàtempspartiel,ellessontleplusconcernéesparcettedifférenciation.

Trèsforttauxdeféminisation,représentationencoreinégaledanslesmétiersetlesniveaux,recourschoisiautempspartiel,faiblesécartsréelsderémunération…:nécessairement,nospolitiquesdoiventtenircomptedecescaractéristiquesdebranche.Àtitred’exemple,Engie,qui recrutemoinsde15%de femmeschaqueannée,n’aurapas lamêmepolitiqueque lerégimegénéralquienrecrute78%.Celapeutsembleruneévidence,maisiln’estpasinutiledelerappeler.

Cettedonnéedebasevients’ajouteràunautreélémentdecontexte,bienpluscontraignant:laloi,quinebadinepasaveclesujetdel’égalitéfemme/homme.

II- Le thème de l’égalité dans les négociations : le cadre législatifcontraignantetlasituationinstitutionnellenefacilitentpasnécessairementl’innovation L’égalité entre les femmeset les hommes s’inscrit dans la législation française dès 1946 :

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«laLoigarantitàlafemme,danstouslesdomaines,des droits égauxàceuxdel’homme».

Leprinciped’égalitéderémunérationpourunmêmetravailouuntravaildevaleurégaleest poséedans la loi du22décembre1972.Puisen1983, c’est la «LoiRoudy » qui instaure le principe de non-discrimination fondée sur le sexe dansl’ensembledesélémentsdelarelationdetravail.Elleintroduitégalementl’obligationd’établirunrapportdesituationcomparéesurlesconditionsgénéralesd’emploietdeformationdesfemmesetdeshommesdansl’entreprise.

En2001, l’obligationdenégocier sur l’égalitéprofessionnelledans lesbranchesetlesentreprisesestactéedanslaloirelativeàl’égalitéprofessionnelleentrelesfemmes et les hommes, dite « LoiGénisson ». Pourmieux garantir lamise enœuvredel’obligationdenégociersurl’égalité,undispositifdesanctionfinancièreestintégrédanslaloidu9novembre2010portantréformedesretraites.Lasanctions’appliqueàcompterdu1erjanvier2012auxentreprisesde50salariésetplusquinesontpascouvertesparunaccordou,àdéfaut,unpland’actionrelatifàl’égalitéprofessionnelle.

Progressivement,lecorpusjuridiques’estdoncétoffé,pournepasdireresserré.Dansnotreinstitution,cethèmedenégociationseconcrétiseauniveaunationaletlocal.

Une négociation de branche favorisant la qualité de vie au travailHistoriquement construite surdesdispositifs spécifiquement conçusendirectiondes femmes, la politique « égalité femmes-hommes » du régime général suit aujourd’hui une tendance observéedanslesentreprises,àsavoirfaciliterl’équilibredesvies:vieprofessionnelleetviepersonnelle.Encesens,ellepromeutdesoutilsàdestinationdusalariéetduparent,quelquesoitsonsexe,danslecadred’unepolitiquegénéraledequalitédevieautravail.

C’estlesensdel’accordrécemmentconclu6aveclesfédérationssyndicalesCFDTetCFTC,quiprévoitnotamment : la mise en œuvre par les organismes d’un droit à la déconnexion du

salarié7favorisantunemeilleureconciliationentrevieprofessionnelleetviepersonnelle;

unemeilleurepriseencomptedelaconciliationentrevieprofessionnelleetviepersonnelledanslespratiquesmanagériales;

desmesuresspécifiquespourfaciliterl’organisationdelagardedesenfantsen cas de départ en formation (par exemple, un délai de prévenancesuffisant);

6Accorddu28juin2016relatifàlapromotiondeladiversitéetdel’égalitédeschances.7La loi du8août2016 relativeau travail, à lamodernisationdudialoguesocial et à la sécurisationdesparcours

professionnels introduit par ailleurs, à compter du 1er janvier 2017, une obligation de négocier sur le droit à ladéconnexion.

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

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un accompagnement des solidarités familiales (aide aux aidants, don dejoursderepos);

l’assimilationàunepériodede travaileffectifpour lecalculde l’anciennetédepériodesdecongéssanssoldepourmotifd’engagementhumanitaireoucaritatif,jusqu’à12mois.

Cesmesuresviennentencomplémentdedispositionsconventionnellestellesquelapriseenchargedescotisationsretraitedesalariéstravaillantàtempspartiel,ouencorel’adaptationdesmodalitésdecalculdel’indemnitédedépartàlaretraite(lespériodesdetravailàtempspartiel,souscertainesconditions,n’entraînentpasdeproratisationdel’indemnité).

Situer l’égalité dans le sujet plus vaste de la QVT ne signifie pas qu’il faut pour autant l’absorber. L’enjeuestdoncbiend’élargirlechampsansoublierquel’égalitéresteunobjetdetravailàpartentière,quipeutimpliquerdesréflexionscibléesendirectiondesfemmes.

L’accord de branche récemment conclu prévoit à ce titre l’expérimentation d’actionsd’accompagnementoudementoratpermettantd’encourageret soutenir spécifiquement lescandidaturesdefemmesauxemploisdemanagement.Certainsdirontqueleshommesontcemêmetypedebesoins…sansdouteavecraison,maisonpeutaussiconsidérerquesexuerlementoringet l’expérimenterendirectiondes femmesestparfois, commechezPSA,unepremièreétapeversundispositifmixtebénéficiant à tous.

Au-delàdel’accordnégociéauniveaunational,chaqueorganismedeplusde50salariésdoitannuellementengagerunenégociationavec lespartenairessociauxsur lapromotionde ladiversitéetde l’égalitédeschances.Cettedisposition,déjàprévuepar l’accorddu21mars2011, a été reconduite par le protocole du 28 juin 2016 qui élargit l’obligation annuelle denégociersurl’égalitéentreleshommesetlesfemmesàl’ensembledesthèmesentrantdanslecadredelaresponsabilitésocialedel’entreprise.Enl’absenced’accord,l’employeurdoitétablirunpland’actiondestinéàassurerl’égalitéprofessionnelleentrelesfemmesetleshommes.Concrétisercesobligationsn’estpastoujoursaiséauniveaulocal. Des négociations locales en essor depuis 2012, qui peinent souvent à respecter les obligations en vigueur et à innoverL’actionlocales’inscritdansuncadrelégaletconventionnelcontraint.

Cetenvironnementnormépèsesur les2968organismesdeplusde50salariésquidoiventnégocier,souspeinedesanctionfinancièredepuisle1er janvier 2012.

Deuxsortesdedifficultéssontgénéralementrencontréesdanscetypedenégociations9.

8Donnéeau31/12/2015.9Pourmémoire,lesnégociationsdoivents’appuyersurlecontenudelabasededonnéeséconomiquesetsociales,etplusparticulièrement

surl’analysedétailléedelasituationrespectivedesfemmesetdeshommespourchacunedescatégoriesprofessionnellesetdansdenombreuxdomaines(embauche,formation,promotionprofessionnelle,conditionsdetravail,rémunérationeffective,articulationentrel’activitéprofessionnelleetlaviepersonnelle…),avecunzoomsurl’analysedesécartsdesalairesetdedéroulementdecarrièreetl’évolutiondestauxdepromotionrespectifsparmétiers.

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Lapremièredifficultéestderespecter lesdispositionsenvigueur.Eneffetetdefaçonrécurrente,desavisdéfavorablesduComexetdesrefusd’agrémentdelaDirectiondelaSécuritésocialesontprononcéssurdesaccordsrelatifsàl’égalitéprofessionnelleentre les femmeset leshommes. Il est vrai que les règleset lalégislationontétéconçuesauregarddelasituationdumarchédutravailfrançais,cequipeutdonnerl’impressiond’unformalismeinsistantetexcessifaumomentdeleurtranspositiondansnotreenvironnementinstitutionnel.Pourautant,lerespectdestextesestincontournable,etl’accompagnementdel’Ucanssviseàlefaciliter,autraversdesonoffredeconseilsouparlamiseàdispositiond’outils.

Lasecondedifficultéestdeparvenirà innover en lamatière,dans l’absolumaisaussid’unenégociationsurl’autre.Enlamatière,onpeutreleverquelemanqued’inspirationdel’employeurestsouventpartagéparlesorganisationssyndicales.

C’estenréponseàcesdifficultésquecertainsaccords,conformesauxattentesdulégislateur,bienrédigésetporteursdebonnespratiques,ontétéidentifiéspar le Comitéexécutifafindelespartagerauseindelabrancheprofessionnelle.Ilssontdésormaismisàdispositiondesemployeursvialesitedel’Ucanss10.

Voici quelques exemples d’actions issus des accords locaux soumis à l’avisdu Comex au cours de ces dernières années, mises en place au sein de nosorganismesetquiseretrouventpourunelargepartdansd’autresenvironnementsprofessionnels,tantpublicsqueprivés:

privilégier, à compétences et qualifications comparables, l’embauched’hommesoudefemmessurlesmétiersaudéséquilibreimportant;

accroîtrelepourcentagedefemmesauseindel’encadrementenfavorisantladétectiondepotentielsetencréantunvivier;

luttercontrelesstéréotypes,dèslarédactiondesvacancesdepostes; favoriserlerecoursautempspartiel,notammentpourleshommes(l’égalité

devantbiensûrêtreentendue,mêmesionl’oublieparfois,danslesdeuxsens);

adopter une charte des temps dans l’organisme (exemple : éviter lesréunionstardivesetlemercredi);

réduire l’écart du nombremoyen d’heures de formation pour le plan deformation;

prendreencharge,sur justificatif, leséventuelsfraisdegardeencasdeformation.

Cesexemplesdémontrentquemalgrélesdifficultésrencontréesetlarécurrencedusujet,lanégociationlocalenes’interditpasd’innover.

Notonsenfin,latransmissionauComitéexécutifdel’Ucanssde17plansd’action

10Enmodeconnecté.

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surunepériodeallantdu1erseptembre2014au31juillet2016.Laréalisationdeplansd’actions,àdéfautd’accordsembledoncraredansuneinstitutionquifavoriseledialoguesociallocal,maisceconstatdoitêtrenuancéparlapossibleméconnaissance,parlesorganismes,delaprocédured’agrémentdesplansd’actionsqui,rappelons-le,datedu 1erseptembre2014.

ConclusionConcluresurlesujetdel’égalitéfemmes-hommesn’estpassimple.Au-delàdeschiffresoudestaux,qu’enretenir?

Sil’onobservelapolitiquedel’employeur(quin’emportepas,nesoyonspasnaïfsnonplus,un alignement de l’ensemble des comportements individuels dans l’Institution), le Régimegénéralestloind’êtreunmauvaiseélèvesurlesujet,notammentauregardd’autresbranchesprofessionnellesouentreprises.C’estuneforce,maiscelapeutégalements’avérerêtreunefaiblesseenrendantl’améliorationpluscompliquée,renvoyantàdesdiagnosticsplusfins,desanalysesplusnuancées,despolitiquesplussubtiles.

Àcetitre,letempspartielchoisiestunbonexemple:vraifacilitateurdelaconciliationentrelesviesetdoncvecteurd’égalité,ilestgénéralementvécucommeunélémentdesatisfactionparnossalariées…maispeutaussiêtreperçucommeunobstaclelorsqu’ils’agitdeprendredenouvellesresponsabilités,cequidoitêtrecombattu.Parailleursetpourallerplusloin,est-onsûrd’uneégalitéréellesurl’entréedansledispositif?End’autrestermes,peut-oncertifierquenousnesouffronspasd’unereprésentationcollectivestéréotypée,quiferaitquecertainshommeshésitentàdemanderuntempspartielalorsmêmequ’ilsenontlesouhait?Cefreinn’est-t-ilpasrévélateurd’unregardpéjoratifsurlesfemmesàtempspartiel?

Cen’estpasnotrecléd’entréehistoriquesur lesujet,mais,on levoit,chaqueoutildenospolitiquesRHpourraitêtrerepensédanscetteperspectived’égalitéglobale.

Enallantauboutduraisonnement,faciliterletempspartielaussibienpourleshommesquepourlesfemmesetdanstouslesniveauxdelahiérarchiepourraitpeut-êtrefaciliterl’égalitéetlepartagedestâchesauseindunoyaufamilial,etparricochetledéveloppementprofessionneldesfemmes.Maisjem’égareetc’estsansdouteuntoutautresujet…

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L’égalitéfemmes-hommesvuedel’École des dirigeantsdelaSécuritésocialePar Christophe BEAUDOUIN, Directeur adjoint de l’EN3S

Christophe BEAUDOUIN est directeur adjoint de l’EN3S depuis 2014, en charge des relations institutionnelles et de la performance.Il exerçait auparavant et ce, depuis 2009, les fonctions de directeur de la CAF de la Haute-Loire.

Aucoursdecesdernièresannées, l’objectifd’égalité femmes /hommesdans les fonctionsdedirigeantaprislaformed’unediscriminationpositivedanscertainesbranchesdurégimegénéral1avecl’obligationfaiteauxdirecteursdecaissesnationalesdedésigneraumoins40 % defemmesauxemploisdedirectricesetd’agentscomptablesàl’occasiond’unrenouvellementdeposte.Forceestdereconnaîtrequeducheminaétéparcouru.Ledernierrapportducomitédescarrièresl’illustreàpointnommé :en2015,lesfemmesontreprésentérespectivement66 % desnominationsd’agentscomptableset52 %desdésignationsdedirecteursd’organismes2.

Pointdepassageobligépouraccéderàdes fonctionsd’agentdedirection, l’EN3Spréparelevivierdelaressourcedirigeanteetcontribueàsonrenouvellement.Depuissacréationen1960, plus de 3 400 élèves sont passés par la formation initiale qu’elle dispense à l’issued’unesélectionsurconcours(externeetinterne).Decefait,l’EN3S,commetouteautreécoledeservicepublic,estnaturellement interpelléepar laquestionde laparité,quirejointd’unecertainemanièreetpluslargementcelledeladiversité.Laréflexioncoupléeàl’analysedespromotionsd’anciensélèvesfaitémergerquatrequestions:

L’égalitéfemmes/hommesexiste-t-elleounondèsl’entréedel’école? Sioui,est-ellepréfiguratriced’uneparitédanslesparcoursprofessionnelsfuturs? L’EN3Sest-elleattentivepourelle-mêmeàlaquestiondelaparité? Enfin, la parité dans les jurys peut-elle préserver des stéréotypes à l’égard des

candidats?

I-UneauthentiqueféminisationduvivierdelaressourcedirigeanteEncinquanteans,laproportiondefemmesdanslespromotionsd’élèvesdelaformationinitialeestpasséede11,8 % (5epromotionentréele1erjanvier1966)à52,63%(55epromotion,entréele 1erjanvier2016).Lepointd’inflexionsesitueen2000.La39epromotionesteneffetlapremièreàprésenteruntauxdefemmeslauréateslégèrementsupérieurà50%.Depuis,laproportiondefemmesestrestée,àdetrèsraresexceptions,supérieureà55%etlereculobservéen

1Objectifsinscritsdanslesconventionsd’objectifsetdegestiondelaCNAMTSetdelaCNAF.2Rapportducomitédescarrières2015-UCANSS,septembre2016.

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2016surladernièrepromotionnedoitpasmasquerlatendancegénérale.

Tableau 1 : Évolution du taux de féminisation des promotions sur 50 ans

Annéepromotion 1966(5e)

1976(15e)

1986(25e)

1996(35e)

2006(45e)

2016(55e)

Proportiondefemmesauseindespromotions

11,8 % 25,8 % 42,85 % 43 % 56,34% 52,63%

Laféminisationdespromotionsparticipedelacroissancerégulièredunombredecandidates.Quand on étudie les quinze dernières années, on constate que lesfemmessontsystématiquementplusnombreusesàprésenterleconcoursd’entrée.Si laproportiondecandidatesexternes tire lamoyennevers lehaut, le tauxdecandidatesinternesestprochedes50%aucoursdelapériodeetdépassemêmeles55%surlesquatredernièresannées.

Tableau 2 : Nombre de femmes candidates aux concours d’entrée de l’EN3S

40,00%

45,00%

50,00%

55,00%

60,00%

65,00%

70,00%

Concours Externe :

Concours interne :

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 201640,00%

45,00%

50,00%

55,00%

60,00%

65,00%

40,00%

45,00%

50,00%

55,00%

60,00%

65,00%

70,00%

Concours Externe :

Concours interne :

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 201640,00%

45,00%

50,00%

55,00%

60,00%

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Tableau 3 : Proportion de femmes au sein des promotions de la formation initiale EN3S

Encomparantlespromotionsdel’EN3Saveccellesdel’ÉcoledesHautesÉtudesenSantéPubliqueenchargedelaformationdesdirecteursd’hôpital(ex-ENSPdevenueEHESP),onobserve,pourlesdeuxécoles,uneprogressionsubstantielleetparallèledelaféminisationdeleursélèves.

« La première classe de l’ex-ENSP de 1961 est composée exclusivement d’hommes, avant que 23 % de femmes ne rejoignent les rangs de la 17e promotion (1978), puis 38 % en 1998, la parité ́parfaiteétantobtenueen2009»3.Seuledifférenceapparenteentrelesdeuxécoles:laparitéauseindeslauréatsaétéatteinteneufansplustôtàl’EN3S(2000).

Les similitudes entre les deux écoles ne sont pas en soi surprenantes car elles partagentunmêmepublicdecandidatsauseindescentresdepréparation.La féminisationde leurspromotions est concomitante à l’augmentation constante du nombre d’étudiantes dans lesuniversités:«En France, les filles représentent 57 % des étudiants à l’université en 2013-2014 contre 43 % en 1960-1961»4.

Unrapportd’informationparlementairedemars2016surlaformationcontinueetlagestiondescarrièresdanslahautefonctionpublique5arelevéque«la parité ́semblaitloind’être acquise au sein des grandes Écoles de la fonction publique».Certes,lesauteursdurapportsesontavant tout intéressésàdeuxécolesde l’excellencede la fonctionpublique, l’ENAet l’École Polytechnique. Ils constatent que « l’intérêt porté par les femmes au concours externe de l’ENA augmente significativement puisqu’elles en représentent 42,31 % des candidats, chiffre stable depuis 2012. En revanche, ils notent « une forte déperdition au moment des résultats d’admission».Pour2015,« le concours externe n’est féminise ́qu’à25,58% et le troisième

3Rapportde2012-L’égalitéHommesFemmeschezlesdirecteursd’hôpital-Associationdesdirecteursd’Hôpital.4LesinégalitésentrelesfemmesetleshommesenFrance-3mars2015-Observatoiredesinégalités.5Rapportd’informationenconclusiondestravauxdelaMissiond’évaluationetdecontrôle(MEC)(1)surlaformationcontinueetla

gestiondescarrièresdanslahautefonctionpublique(MM.JeanLAUNAYetMichelZUMKELLERDéputés)-mars2016.

40,00%

45,00%

50,00%

55,00%

60,00%

65,00%

70,00%

Concours Externe :

Concours interne :

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 201640,00%

45,00%

50,00%

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60,00%

65,00%

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concours qu’à 22,22 %, soit strictement les mêmes résultats qu’en 2014. Seul le concours interne présente des résultats encourageants car le taux de féminisation atteint 51,35 %».Lesdonnéesdel’ENAsontnéanmoinsbeaucoupplusfavorablesqu’à l’ÉcolePolytechniqueoù« le taux de féminisation n’est que de 18 %»,cequiestàpeineinférieuràsesdeuxprincipalesconcurrentes,MinesParisTechetl’Écolenationaledespontsetchaussées,quiaffichentuntauxde20 %.

Lecontrasteavec lesécolesd’ingénieursn’est làaussiguèresurprenant car leprofil des élèves de l’EN3S comme de l’EHESP ressortit aux choix antérieursd’orientation :«Les filles représentent plus de 75 % des étudiants en lettres et sciences humaines, mais 25 % dans le domaine des sciences fondamentales qui mènent aux carrières les plus prestigieuses et les plus rémunératrices. Déjà au lycée, les filles sont moins nombreuses en série scientifique. Les modes de vie, l’éducation ou le fonctionnement du système éducatif expliquent ces choix d’orientation différenciés».6

II-L’inégalitéensortieetdansl’accèsàunpremierposted’agentdedirectionLeprocessusdeféminisationdespromotionsestensoiporteurd’uneféminisationdelafonctiondedirigeantmaisforceestdereconnaîtrequel’égalitédansl’accèsà l’EN3S n’est pas synonyme d’égalité dans les parcours. La féminisation despromotionsaaugmentéplusvitequecelledesparcours.

L’analysedesparcoursdesanciensélèvessur lesquinzedernièresannéesmetenexergueplusieurstendances.Sanssurprise,lesanciensélèvesinternes,qu’ilssoienthommeoufemme,accèdentplusviteàunpremierposted’agentdedirection.Autreconstat:tendanciellement,lesfemmes,qu’ellessoientancienélèveinterneouexterne,décrochentmoinsvitequeleurshomologueshommesunpremierposted’agentdedirection.Surlesquinzedernièrespromotions,seulesquatre(sortiesen1999,2005,2006et2009)présententuntauxdeprimoaccessiondesfemmesàunefonctiond’agentdedirectionlégèrementsupérieurouégalàceluideshommes.Celaétant, lorsqu’ilyaégalité,ellesesituequasimentà lamoyennebassedeshommes.

6LesinégalitésentrelesfemmesetleshommesenFrance-3mars2015-Observatoiredesinégalités.

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

163

Tableau 4 : Taux d’anciens élèves nommés agent de direction trois ans après leur sortie de l’EN3S

Cetteapprocheglobalemérited’êtrenuancéepardeuxévolutionsrécentes,constatéesdanslestroisansquisuiventlasortiedel’écoledesélèves :surlesquatredernièrespromotions,lesanciensélèvesexternesfemmessemontrentplusrapidesqueleurshomologuesmasculinspour accéder à un premier poste d’agent de direction.Cette évolution sera à vérifier dansla durée mais elle rompt avec une tendance historique inverse. A contrario, les anciens élèvesinternesfemmes«décrochent»etl’écartavecleurshomologuesmasculinssecreusesignificativement.Unesituationdontilfaudraaussivérifierlapersistanceounondansletemps.

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013Femme 30,0% 17,9% 28,1% 39,3% 25,7% 28,6% 37,5% 39,1% 36,0% 28,2% 32,4% 33,3% 25,7% 12,5% 42,3%

Homme 27,6% 42,4%!37,8% 72,0% 37,1% 50,0% 29,6% 38,7% 40,0% 67,7% 28,1% 43,5% 42,9% 34,6% 64,9%

0,0%

10,0%

20,0%

30,0%

40,0%

50,0%

60,0%

70,0%

80,0%

Taux d’anciens élèves nommés agents de direc�on trois ansaprès leur sor�e

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013Femme 21,1% 6,7% 5,9% 36,4% 11,8% 0,0% 14,3% 20,8% 14,8% 12,0% 13,0% 21,1% 5,9% 7,7% 58,7%

Homme 16,7% 33,3% 21,1% 62,5% 16,7% 40,0% 28,6% 33,3% 16,7% 40,0% 8,3% 18,2% 7,1% 0,0% 36,2%

0,0%

10,0%

20,0%

30,0%

40,0%

50,0%

60,0%

70,0%

Année de sor�e

Taux d’anciens élèves externes nommés agents de direc�ontrois ans après leur sor�e

164

N°50 • décembre 2016

Tableaux 5 et 6 : taux d’anciens élèves externes et internes nommés agents de direction trois ans après leur sortie de l’EN3S

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013Femme 30,0% 17,9% 28,1% 39,3% 25,7% 28,6% 37,5% 39,1% 36,0% 28,2% 32,4% 33,3% 25,7% 12,5% 42,3%

Homme 27,6% 42,4%!37,8% 72,0% 37,1% 50,0% 29,6% 38,7% 40,0% 67,7% 28,1% 43,5% 42,9% 34,6% 64,9%

0,0%

10,0%

20,0%

30,0%

40,0%

50,0%

60,0%

70,0%

80,0%

Taux d’anciens élèves nommés agents de direc�on trois ansaprès leur sor�e

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013Femme 21,1% 6,7% 5,9% 36,4% 11,8% 0,0% 14,3% 20,8% 14,8% 12,0% 13,0% 21,1% 5,9% 7,7% 58,7%

Homme 16,7% 33,3% 21,1% 62,5% 16,7% 40,0% 28,6% 33,3% 16,7% 40,0% 8,3% 18,2% 7,1% 0,0% 36,2%

0,0%

10,0%

20,0%

30,0%

40,0%

50,0%

60,0%

70,0%

Année de sor�e

Taux d’anciens élèves externes nommés agents de direc�ontrois ans après leur sor�e

0,0%

10,0%

20,0%

30,0%

40,0%

50,0%

60,0%

70,0%

80,0%

90,0%

100,0%

Taux d’anciens élèves internes nommés agents de direc�ontrois ans après leur sor�e

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013Femme 45,5% 33,3% 53,3% 41,2% 38,9% 50,0% 55,6% 59,1% 60,9% 57,1% 64,3% 45,0% 44,4% 50,0% 26,2%

Homme 45,5% 53,3%!55,6% 76,5% 58,8% 55,6% 30,0% 43,8% 55,6% 81,0% 40,0% 66,7% 78,6% 64,3% 92,2%Année de sor�e

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

165

Latrajectoired’accèsàunpremierposted’agentdedirectionàsixansn’estguèredifférente.Lesécartsconstatésàtroisanssemaintiennentousecreusent.Iln’estpas improbable que six ans après la sortie de l’école les enjeux de conciliation vieprofessionnelle/viefamilialeserévèlentpluscomplexes.

Tableau 7 : Taux d’anciens élèves nommés agent de direction six ans après leur sortie de l’EN3S

Quandonaffinel’analyse,ons’aperçoitqu’enréalitél’inégalitédanslesparcoursseformedèslasortiedel’EN3S.Pours’enpersuader,ilconvientdesereporterauxniveauxconventionnelsauxquelssontembauchés lesélèvesaumomentde leuraffectation.L’analysedesniveauxd’embauchedepuis2004estsansappel.Lephénomènedel’escalierglissantestpleinementactif:lesquatreélèvessortissurunniveau6sontexclusivementdesfemmesetcesdernièressontmoinsnombreusesaufuretàmesurequeleniveaud’embaucheaugmente.

50,0%

55,0%

60,0%

65,0%

70,0%

75,0%

80,0%

85,0%

90,0%

95,0%

100,0%

Taux d’anciens élèves nommés agents de direc�onsix ans après leur sor�e

100,0%

65,5% 59,2%40,2%

34,5% 40,8%59,8%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

6 7 8 9

Niveau

Femmes Hommes Propor�on Femmes élèves

1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010Femme 58,8% 73,3% 62,1% 75,0% 69,0% 63,9% 66,7% 66,7% 63,2% 72,5% 80,9% 64,0% 66,7% 64,9% 74,2%

Homme 86,2% 72,0%!72,0% 73,3% 83,3% 83,8% 85,7% 80,6% 86,5% 74,3% 80,6% 76,7% 96,8% 62,5% 82,6%Année de sor�e

166

N°50 • décembre 2016

Tableau 8 : Répartition Femme / Homme des élèves en sortie de scolarité par niveau d’affectation de 2004 à 2014

L’écoledoit sansdoute s’interroger sur son rôle aumoment de l’affectationdesélèves mais cette inégalité participe prioritairement de la responsabilité desorganismesquirecrutentunancienélèveetdeleurspratiquesenmatièred’égalitéfemme/homme.

III-Quelleparitéàl’EN3S?Aufuretàmesurequelaféminisationdespromotionss’estdéveloppéeetaffirmée,l’Écoleaintégrédavantagel’exigencedeparitédanssonfonctionnement.

Alors qu’en 2000, le nombre de femmes dans la 39e promotion dépassait pourla première fois celui des hommes, la direction de l’école était exclusivementmasculine. Seize ans plus tard, la parité est pratiquement atteinte au sein ducomitédedirectionqui,surseptmembres,comptetroisfemmes(ladirectricedel’administration générale, la directrice de la formation initiale et la directrice desrelationsinternationalesetdel’IHEPS).Celaétant,ilestvraiquel’EN3Sn’ajamaiseudefemmesauxpostesdedirecteuroudedirecteuradjoint.

Parallèlement,conformémentauxdispositionsdelaloidu12 mars2012etdudécretdu 10 octobre2013applicablesauxjurysdesconcoursdesfonctionspubliques,lejuryplénierduconcoursd’entréeestcomposéd’aumoins40 %defemmesdepuis2014(soitquatrefemmessuruntotalde10).Cettedispositionmarqueunprogrèsparrapportauxannéespasséesoùletauxdeféminisationdujuryplénierétaitplusprochedes30 %. L’Écoleentendviserdésormaisl’égalitépoursesjurysmêmesi

50,0%

55,0%

60,0%

65,0%

70,0%

75,0%

80,0%

85,0%

90,0%

95,0%

100,0%

Taux d’anciens élèves nommés agents de direc�onsix ans après leur sor�e

100,0%

65,5% 59,2%40,2%

34,5% 40,8%59,8%

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

6 7 8 9

Niveau

Femmes Hommes Propor�on Femmes élèves

1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010Femme 58,8% 73,3% 62,1% 75,0% 69,0% 63,9% 66,7% 66,7% 63,2% 72,5% 80,9% 64,0% 66,7% 64,9% 74,2%

Homme 86,2% 72,0%!72,0% 73,3% 83,3% 83,8% 85,7% 80,6% 86,5% 74,3% 80,6% 76,7% 96,8% 62,5% 82,6%Année de sor�e

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

167

lamoindreproportiondefemmesdirectrices,coupléeauxéquilibresinter-régimes,rendlatâcheplusardue.

Le conseil d’administration de l’EN3S comprend plus d’hommes que de femmes maissacompositiondépenddirectementdes représentantsdescaissesnationalesquiysiègent(directeursdescaissesnationalesetprésidentsdesconseilsd’administrationdesdifférentesbranches et régimes de Sécurité sociale). La parité n’est appliquée que pour les quatremembresnommésesqualité(personnesqualifiées)pararrêtéduministredesaffairessocialeset de la santé.

L’EN3S n’a pas de corps professoral attitré et elle fait appel chaque année à environ 900intervenants(professionnelsdesorganismes,universitaires,consultants...).L’égalitédanscedomaineestplusdifficilementaccessiblemêmesil’écoleyestattentiveetprogresse.

En2014,lesfemmesreprésentaient40,6 % des intervenants contre 37 % en 2012 et réalisaient 31 % des heures d’interventions7.

IV-Uneréflexionexploratoire: laparitédanslesjuryspréserve-t-elledesstéréotypesàl’égarddescandidats?Par-delàleschiffresetquotas,l’Écoles’estrécemmentinterrogéesurlesreprésentationsquelesmembresdujurysefontd’unfuturcadredirigeantetquipourraientorienterlesquestionsposéesauxcandidats.Laréflexion,àcestadeempirique,sebasesurl’analysequelecabinetMETODamenésurles657anciensélèves(dela42e à la 54epromotion)qui,depuisdixans,seprêtentauxtestsdepersonnalité(SOSIE)enentréedescolarité.L’outilSOSIEtrèsrépandudansledomainedesressourceshumainesévaluelestraitsdepersonnalitéautourdeneufitems.Lacomparaisondesrésultatssurdixpromotionslaisseapparaîtredesdifférencesnotablessurcinqd’entreeux : l’ascendance, lastabilitéémotionnelle, ledynamisme, lapersévéranceetl’acceptationdesautres.Pourchaque item, les individussontplacés,selon leursréponses,suruneéchellede0à10.Lecaractèresignificatifdesécartsrepéréssurunéchantillondeprèsde700personnesne cède rienauhasardd’autant que le positionnement de chaqueélèveprocèdedesapropreévaluationàtraverslesquestionsduSOSIE.C’estpourquoi,l’unedeshypothèsesavancéespourexpliquerdetellesdifférencesestcelled’unquestionnementparlesmembresdujuryquiseraitàlafoisdifférentselonquelecandidatestunhommeouunefemmeetdépendantdereprésentationsmentalesstéréotypées : on attendrait ainsi d’une candidatefemmeplusdedynamismequedesonhomologuemasculin(sur-représentationdesélèvesfemmessurlesniveaux6à10active,tonicité,puissancedetravail..); a contrario, on attendraitdescandidatshommesdavantagedemaîtrisedesoi(sur-représentationdesélèveshommessurlesniveaux6à10contrôledesesémotions,résistanceaustress...),unsurcroîtd’ascendance(sur-représentationdesélèveshommessurlesclasses6à10confianceensoi,pouvoirdepersuasion,affirmation)etd’empathie(confiancedanslesautres,toléranceetacceptationdelacritique)alorsqu’ilsembleraitplus«normaletnaturel»quelescandidatesfemmessemettentmoinsenavant(sur-représentationdesélèvesfemmessurlesclassesde7StéphanieAUVERGNE,statisticienneàl’EN3S-étudesurlesintervenantsàl’Écolede2012à2014-septembre2015.

168

N°50 • décembre 2016

0à4de l’itemascendance),semontrentplusméfiantes(sur-représentationdesélèvesfemmessurlesclassesde0à4del’itemacceptationdesautres)etsoientplussensibles(sur-représentationdesfemmessurlesclassesde0à4del’itemstabilitéémotionnelle).

Tableau 9 : Tests Sosie - Positionnement comparé femme / homme sur les neufs traits de personnalités (moyenne sur les échelles de 0 à 10) - Données établies par le Cabinet METOD

Lesdifférencesdepositionnementnesous-tendentaucuneappréciationdevaleuretneremettentpasencauselaqualitédeslauréats.Ellesouvrentsimplementledébatdeladiversitéavecunequestiondefond :leregardportésurlescandidatsaux concours d’entréeobéirait-il pour partie à des stéréotypeset la parité dansle jury plénier est-elle unmoyen de s’en préserver ? À ce stade, il est difficiled’attribuer les écarts calculés sur dix promotions à la seule sur-représentationdeshommesdanslejuryplénierdesannéesantérieurescarcommel’indiquaitlerapportsurlesfemmesdanslesmétiersdedirigeantsétabliparl’associationdesdirecteurs de caisses d’assurancemaladie en 2014, « les femmes portent plus fortement les stéréotypes que les hommes »8.Plusqu’unmeilleuréquilibreentrehommeetfemmeauseindesjurysdontilestprématuréd’enapprécierleseffets,lesujet centralestbienceluide lasensibilisationetde la formationde tous lesmembresd’unmêmejury.L’analyseproposéesurlabasedesrésultatsduSOSIEestexploratoiremaiselleestapparuesuffisammentstimulanteetplausiblepourêtre partagée et ne pas être reléguée au rang de simple conjecture.Restera àl’approfondirdanslesannéesàvenir.

8Rapportsurlesfemmesdanslesmétiersdedirigeants-Associationdesdirecteursdecaissesd’assurancemaladie2014,Page45.

5,27 5,41 4,72

4,20 4,11

5,37

4,54 5,30

4,30 4,42 4,91

5,23 4,85 4,72 4,64

4,21

Homme Femme

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

169

L’égalitéfemmes-hommesdanslesmétiersdedirigeantsdurégimegénéraldelaSécuritésocialePar Emmanuelle LAFOUX, Directrice de la CPAM du Rhône

Emmanuelle LAFOUX est actuellement Directrice de la CPAM du Rhône. Elle a dirigé les CPAM des Vosges et de Moselle. Sa carrière l’a aussi amenée à travailler à la CNAMTS et dans des hôpitaux privés et publics.Elle est ancienne élève de Sciences Po Paris et de l’EN3S.

Onpeutêtrefrappéparledéséquilibrepersistantdanslesorganismesdesécuritésocialeentreunepopulationsalariée féminiséeàprèsde80 %,etdesdirectionsd’organismesconfiéesaujourd’huipourlesdeux-tiersàdeshommes.

Or, la sous-représentationdes femmesdans lesmétiersdedirigeantsd’organismesestunphénomèneétonnammentpeucommentéetanalysé.

Cettequestionestcependantd’importancecarelleinterrogenotrecapacitécollectiveàmettreenœuvreleprincipeconstitutionneld’égalitéfemmes/hommesauseinmêmedesorganismesdesécuritésociale.Elleaunversantrelevantdelapolitiquegénéraledel’institutionautitredela «responsabilitésociétaledel’employeur»maiségalementunecomposanteplusstrictementjuridiqueautraversdelaquestiondeladiscriminationdesfemmes.

Loindeconcernerlesseulesfemmescadressupérieures,elleavaleurexemplairequantàlaplacedonnéeauxfemmespourl’ensembled’unepopulationsalariéelargementféminiséequipeuts’interrogeràjustetitresurlesdifficultésrencontréesdansnotreinstitutiondanslamiseenœuvred’uneégalitéréelle.

Cesconstatationsm’ontamenéeàproposeren2013danslecadredel’ADCAM(AssociationdesDirecteursdeCaissesd’Assurancemaladie)untravailsurlaplacedesfemmesdanslesmétiersdedirigeants.

Ilaconduitàlapublicationd’unrapportrédigécollectivement1, assorti de 30 propositions,publiéetprésentéauCOMEXdel’UCANSS.Sesconstatsrestentaujourd’huilargementvalables.Leprésentarticlemetàjourcertainesdonnéesdecetteétudeetrendcomptedestendanceslesplusrécentes2,enintroduisantundébutd’analyseparbranche.

1Assurancemaladie, les femmesdans lesmétiers de dirigeants, état des lieux et propositions, février 2014,Emmanuelle Lafoux,CatherinePelletier,ClaudineQueric,Marie-CécileSaulais,SarahVidecoq-Aubert.

2Jeremerciel’UCANSSquiabienvoulumecommuniquerdeschiffresrelatifsàl’année2015nonencorepubliésaumomentoùj’écriscet article.

170

N°50 • décembre 2016

I-Ya-t-ilunplafonddeverreàlasécuritésociale?Onparlede«plafonddeverre»pourcaractériserladifficultédesfemmes,fondéesur des freins le plus souvent implicites,à accéder à des postes de dirigeants,et singulièrement aux postes les plus élevés des entreprises et organisations(Directeursgénéraux,membresdeCOMEX).

I.1/ L’escalier glissantLedéséquilibreconstatéentrelareprésentationdesfemmesetdeshommesdanslespostesdedirigeantsdesorganismesdesécuritésocialeseconjugue,etprendenpartie sa source, dansunphénomènemoins visiblequenousavonsappelél’«escalierglissant»:àchaqueniveauhiérarchiqueon«perd»desfemmes,lephénomèneculminantaveclespostesdedirecteurs.Lapartdesfemmesdécroîteneffettrèsrégulièrementaufuretàmesurequeleniveaud’emplois’élèvedanslaclassification.Cetteperteprogressivecontribueaudépeuplementdesfemmesdanslesniveauxhiérarchiqueslesplusélevés.

Les proportions hommes-femmes selon les niveaux d’emploi au sein du régime général

Source:Rapportsurl’emploi,UCANSS,novembre2015,p.42.

Au seindesmétiersd’agentsdedirection, la proportionde femmesdiminuedenouveauavecleniveauderesponsabilitésexercées.

84% 79% 67% 61%

46%

16% 21% 33% 39%

54%

0%

20%

40%

60%

80%

100%

N 1 à 4 N 5A et 5B N 6 et 7 N 8 et 9 Agents de direction

Hommes

Femmes

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

171

Proportion d’agents féminins par fonction

* Autres:directeurdélégué,chargédemission.Source:Rapportd’activité2014-Section«AgentsdeDirection»,Comitédescarrièresdel’UCANSS,novembre2015,p.47.

Enfin, la proportion de femmes directrices diminue avec l’augmentation de la taille del’organisme:

Proportion de femmes directrices selon la catégorie de l’organisme

Source :Rapportd’activité2014-Section«AgentsdeDirection»,Comitédescarrièresdel’UCANSS,novembre2015,p.46.

Il n’y a enfin, à ce jour, aucune femme directrice de Caisse Nationale au sein du régimegénéral.S’ilyaeuunefoisparlepasséunefemmedirectricedelaCNAFetunedirectricedel’UCANSS,celan’ajamaisétélecasdansl’AssuranceMaladie,danslerecouvrementetdansla branche retraite.

50,9% 46,6% 41,6%

27,9%

14,3%

0,0%

20,0%

40,0%

60,0%

40,6%

31,1%

21,9%

5,0%

25,0% 27,9%

0,0%

10,0%

20,0%

30,0%

40,0%

50,0%

D C B A Sans catégorie

TOTAL

172

N°50 • décembre 2016

Leschiffreslesplusrécents,nonencorepubliés,montrentuneévolutionfavorableentrelesannées2014et2015:lesfemmesreprésentent33%desdirecteursenplaceau31/12/2015,46%desagentscomptableset51%desautresagentsdedirection.

I.2/ Processus de nomination : des facteurs de rééquilibrage bien présents, un point d’inflexion en 2015 ?Des facteurs de rééquilibrage bien présents…

Concernant leprocessusdenomination, levivier restemajoritairementmasculinpourlesclassesD1(34,2 %defemmes)etD3(38,4 %),ilestaujourd’huiparitairepourlaclasseD2(50,4%).Ilexistedoncunvivierimportantpourlaclassedontrelèvelaquasi-totalitédespostesdedirecteurs(classeD2).

La proportion de femmes parmi les candidats aux postes de directeurs croîtd’ailleursrégulièrementetrapidement.

Répartition hommes / femmes des candidats aux postes de directeur

Source :Rapportd’activité2014-Section«AgentsdeDirection»,Comitédescarrièresde l’UCANSS,novembre2015,p.58.

Contrairementàuneidéeparfoisvéhiculée,onneconstatepasd’autocensuredesfemmesdanscescandidatures.Lesfemmesinscritessurleslistesd’aptitudesdedirecteursontlamêmepropensionàcandidaterqueleshommes(26,6 %pourlesfemmes,27,7 %pourleshommesen2014)etce,depuisplusieursannées.

27,8% 33,5%

37,3% 37,0% 40,8%

0,0%

20,0%

40,0%

60,0%

80,0%

2010 2011 2012 2013 2014

Femmes

Hommes

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

173

Taux de candidatures par genre de 2010 à 2014

Proportiond’inscritsenD1,D2,D3,IF1faisant acte de candidature

Femmes Hommes

2010 17,7 % 22,9%2011 23,7 % 24,9%2012 27,8 % 25,4 %2013 22,9% 23,1 %2014 26,6% 27,7 %

Source:Rapportd’activité2014-Section«AgentsdeDirection»,Comitédescarrièresdel’UCANSS,novembre2015,p.24.

Enfin,lespostesdedirecteursontconnuaucoursdescinqdernièresannéesunrenouvellementimportant:entre2010et2014,letauxderenouvellementdespostesdedirecteursestdeprèsde 80 %toutesclassesd’organismesconfondues,avecunrenouvellementplusimportantdanslesorganismesdeplusgrandetaille(catégoriesAetB).

Répartition des postes vacants par catégorie

OrganismescatégorisésduRG

2010 2011 2012 2013 2014

Postes vacants

Taux renouv.

Postes vacants

Taux renouv.

Postes vacants

Taux renouv.

Postes vacants

Taux renouv.

Postes vacants

Taux renouv.

A 2 8,0 % 3 14,3 % 6 25,0 % 4 18,2 % 7 35,0 %

B 29 23,0 % 8 7,1 % 21 16,8% 29 27,1 % 22 21,6%

C 11 11,3 % 14 15,9% 11 12,5 % 9 12,9% 11 17,2 %

D 11 7,1 % 15 11,9% 11 9,9% 13 15,5 % 13 18,1 %

Périmètre:OrganismescatégorisésdurégimegénéralrelevantdupérimètreCDC(CPAM,CAF,URSSAF,CARSAT,CRAM,UGECAM,CGSS,CCSS,CMAF).Source:Rapportd’activité2014-Section«AgentsdeDirection»,Comitédescarrièresdel’UCANSS,novembre2015,p.18.

Certainesconditionsimportantessontdoncprésentes,ousesontmisesprogressivementenplace,aucoursdescinqdernièresannées,pourrattraperleretardconstatéendéfaveurdesfemmes.

174

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Des nominations de femmes en nombre insuffisant pour inverser la tendance

Répartition par genre des candidats nommés aux postes de directeur

Source :Rapportd’activité2014-Section«AgentsdeDirection»,Comitédescarrièresde l’UCANSS,novembre2015,p.63.

Surlemoyenterme,lapartdesfemmesnomméesrestetropfaiblepourmodifierlesproportionsconstatéesàcejour.

Cependant, l’année 2015 marque un point d’inflexion important puisque, pour lapremièrefois,oncompteunemajoritédefemmesdanslesdirecteursnouvellementnommés(56%defemmes).Cerésultatportesurunnombrededésignationsmoinsimportantcependantquelesannéesprécédentes(34en2015,56en2014,55en2013)3.C’estunindicateurdontilfaudradoncpoursuivrel’observationdansladurée.

Quandilssontcandidats, leshommeset lesfemmesont-ils lesmêmeschancesd’êtrenommés?Dansladurée,onconstateunediscriminationpositiveenfaveurdeshommes.

Taux de nomination des candidats par genre

Femmes Hommes Ecartenpoints2010 27,0 % 37,5 % 10,52011 22,2 % 21,5 % - 0,72012 19,1% 33,0 % 13,92013 28,1 % 33,9% 5,82014 25,0 % 31,0 % 6

Source :Rapportd’activité2014-Section«AgentsdeDirection»,Comitédescarrièresde l’UCANSS,novembre2015,p.29.

3ChiffresUCANSS.

21,7%

34,3%

25,5% 32,7% 35,7%

78,3%

65,7%

74,5%

67,3% 65,3%

0,0%

20,0%

40,0%

60,0%

80,0%

2010 2011 2012 2013 2014

Femmes

Hommes

ECOLE DES DIRIGEANTSDE LA PROTECTION SOCIALE

175

Autotalen2014,unecandidaturedefemmeàunpostededirecteuravait14 % de chanced’aboutir,contre20%pourunecandidatured’homme.

Cettetendances’inverselàencoredemanièretrèssignificativeen2015,annéeoùletauxdenominationdesfemmescandidatesatteint27,5%contre16%pourleshommes.

Une situation contrastée selon les branches

La placedesfemmesdirigeantesestdifférenteselonlesbranches.Laretraiteetlamaladieontunplusfortpotentield’«autresagentsdedirection»femmes(56,5%et55%defemmes)quelafamille(49,8%)etlerecouvrement(43,7%).Lapartdesfemmesdirectricesestenrevancheplusimportantedanslesbranchesretraiteetfamille(35,7%et35,6%),puisdanslabranchemaladie(33,3%)lerecouvrementvenantendernièreposition(23,1%).

La politique de nomination de dirigeantes sur la période 2013-2015 est égalementcontrastéeselonlesbranches:pourlaretraite,entre2013et2015,55%defemmesontéténommées.Surlamêmepériode,laproportionestde45%danslabranchefamille,42%danslabranchemaladie,maisseulement18%danslerecouvrement.

0

0,1

0,2

0,3

0,4

0,5

0,6

Total Directeurs Agents comptables Autres ADD

Maladie*

Famille

Recouvrement

Retraite

176

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I.3/ Les hommes en moyenne mieux payés que les femmes4

Lesdifférencessalarialesdéjàconstatéesen2013perdurent.

Ainsi, la rémunérationbrutemoyennedesdirecteursestsupérieureen2015de8,9%àcelledesdirectrices.Ladifférenceestde4,9%chez lesautresagentsdedirectionet de8%sur l’ensembledesagentsdedirection,En revanche, larémunérationmoyennedesfemmesagentscomptablesestsupérieurede2%àcelledeshommes.

Ceschiffresbrutsnécessitentuneanalysepluspousséeparcatégoriesd’emploisetd’organismequejenesuispasenmesurederéalisermaisquidevraitintéresserl’ensembledespartiesconcernées.

Enconclusion,onconstateque: La parité femme-homme n’est pas assurée aujourd’hui dans les postes

dedirigeantsetonesta fortiori loind’une représentationconformeà lasociologiedesorganismes.

Lesévolutionsdemoyentermenesontpasdenatureàinverserlatendance,mais l’année 2015 pourrait marquer un point d’inflexion important : ilconvientdoncdepoursuivrelesobservationsdansletemps.

II-Quellessontlescausesdecettesituation?Tous les acteurs impliqués dans les processus qui conduisent à cette situations’étonnent des résultats présentés ci-dessus. Quelle en sont les causes ?Naturellement, il n’existe pas de partie prenante qui affirmerait ou mêmesouhaiteraitmenerunepolitiquediscriminantevis-à-visdesfemmes.Aucontraire,touslesacteursexprimentleurattachementauprinciped’égalitéfemme-homme.Les processus de désignation sont transparents, gouvernés par des textesréglementairesetuneconventioncollectivequifixeenoutrelesrèglesd’évolutionprofessionnelle et salariale de la même manière pour les femmes et pour leshommes.Ilfautdoncchercherducôtédesfreinsimplicitesàl’accèsdesfemmesaux fonctions dirigeantes. Ils sont nombreux et aujourd’hui relativement biendocumentésdansd’autresuniversprofessionnelsquelenôtre.J’enretiendraipourmapartdeux,quitiennentauxreprésentationsenvigueursurlesfemmesetàlachargedetravailsupportéeparlesfemmesendehorsdelasphèreprofessionnellequitrouvent,onleverra,às’appliquerdansnotreinstitutioncommeailleurs.

4SourceUCANNS.

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II-1/ Une stéréotypie largement partagée qui associe plus difficilement les caractéristiques et comportements dits féminins au comportement attendu des dirigeants crée un terrain défavorable aux femmesJe ne développerai pas ce point très bien décrit par Brigitte LALOUPE dans son ouvrage« pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes ? »5. Elle montre qu’unestéréotypielargementpartagéeassocieplusdifficilementlescaractéristiquesetcomportementsditsfémininsaucomportementattendudesdirigeants.

Jemecontenteraideconstaterque leseffetsdecesreprésentationssont ressentispar lesfemmescommeparleshommes,autraversdecertainsdesrésultatsduquestionnaireréaliséparlegroupedetravaildel’ADCAMcitéenintroductiondecetarticle6.

Ainsi,parmilesagentsdedirectionayantréponduauquestionnaire,unemajoritédefemmesconsidèrequelefaitd’êtreunefemmen’estpasunatoutquifacilitelapratiqueprofessionnelleauquotidien(59 %)alorsque75 %deshommesconsidèrentqu’êtreunhommeenestun.Deplus,61 %desfemmespensentqu’êtreunefemmepeutêtreparfoisunhandicapetquec’estunélémentdedifficultédanscertainessituations,contre17 %pourleshommesconcernantleurpropresituation.

II-2/ La difficulté pour les femmes de concilier une carrière professionnelle avec la charge de travail liée à la vie de familleSi l’on considère la question du travail dans sa globalité (travail salarié et non salarié), onconstaterégulièrementquelachargedetravailnonrémunéréliéeàlaviefamilialequipèsesurlesfemmesestbeaucoupplusélevéequecellequipèsesurleshommes.C’estprobablementundéterminantessentieldelamoindrepossibilitédesfemmesdes’investirdanslesdifférentesétapesdeleurvieprofessionnelle.

Toutes lesétudesréaliséessurcesujetmontrentque les femmessubissentunerépartitiontrèsinégaledutravaildomestique7etd’autantplusinégalequelenombred’enfantscroît8. Par ailleurs, l’investissementdeshommesdans le travaildomestiquenes’accroîtpasaufildesannées.

Ces dynamiques sont également à l’œuvre chez les agents de direction des organismesd’Assurancemaladieinterrogés.

Parmilesrépondantsauquestionnairecitéci-dessus,12 %defemmesonteurecoursàun

5« Pourquoi les femmes gagnent-ellesmoins que les hommes ? Lesmécanismes psychosociaux du plafond de verre », BrigitteLALOUPE,éd.Pearson,2011.

6Questionnaireréaliséennov.-déc.2013auprèsdesagentsdedirectiondel’AssuranceMaladie,ADCAM:228réponsesdont174exploitables,41%desrépondantsétaientdeshommes.

7«Depuis11ans,moinsdetâchesménagères,plusd’internet»,LaylaRicroch,BenoîtRoumier,INSEE,nov.2011.8«Commentseprennentlesdécisionsauseindescouples?»,RégisBigot,SandraHoibian,Politiquessocialesetfamilialesn°119,

mars2015.

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tempspartielaucoursdeleurcarrièreet9 %àuncongéparental,contre3et0 % d’hommes.

Lapartdesfemmesvivantencoupleprenantenchargeplusde40 % des tâches ménagères est plus importante que celle des hommes (60 % contre 23 %). Seulement 32 % des femmes agents de direction contre 81 % des hommesdéclarentqueleurconjointprendenchargeplusde40 %destâchesménagères.L’aideexterne,lorsqu’elleexiste,représentemoinsde20 %delachargeliéeauxtâchesménagères,quecesoitpourleshommesoupourlesfemmes.

75 %desagentsdedirectiondéclarentquelepostequ’ilsoccupentleurapporteégalement de l’épanouissement sur le plan personnel,mais ce chiffre baisse à68 %chezlesfemmescontre85 %chezleshommes.

29 %desfemmeset32 %deshommesdéclarentavoirdéjàdûrenonceràunecandidature.Pourlesfemmes,c’està89 %pourdesraisonspersonnelles,pourleshommesà30 %.

Onpeutrapportercettedifficultéàconciliervieprofessionnelleetviefamilialeaufaitque87 %desagentsdedirectionhommesdéclarentêtreencouplecontre76% desfemmes.Parailleurs,60 %desfemmesparticipentàdesgroupesdetravailnationauxcontre66 %d’hommes,leshommesparticipantà75 %àplusdedeuxgroupescontre49%pourlesfemmes.

Enconclusion,jerelèveraisquesouslesapparencesd’unconsensusconcernantlesujetdel’égalitéfemmes-hommes,ilestàcraindrequ’iln’yaitpasd’accordréelentrelesfemmesetleshommessurl’utilitédefaireévoluerlasituationactuelle.Lesfemmessontbeaucoupplusnombreusesàestimersouhaitablelaprogressiondunombredefemmessurcertainspostes.Latrèsgrandemajoritédeshommessesatisfaitdelasituationactuelle,àl’exceptiondesfonctionsdedirectricespourlesquelles un homme sur deux estime utile de faire progresser le nombre defemmes,unhommesurdeuxacontrarioestimantquec’estinutile.

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Réponse « oui » à la question « Pensez-vous qu’il serait utile de faire progresser le nombre de femmes sur les postes suivants ? »

Source:Enquêteréaliséeauprèsdesagentsdedirectiondel’AssuranceMaladie,ADCAM,nov.-déc.2013.

L’ensembledesélémentsprésentésdanscetarticlemontrequ’ilseraitsouhaitabledepoursuivrelesobservationsetlesanalysesprésentéesdansuncadreinstitutionneletdansladurée.Onnotequ’unevigilanceestnécessairequantaurisquedediscriminationdesfemmes.Untravailde prise de conscience sur les représentations de genre est indispensable, singulièrementauprèsdesdirigeants.Unevigilancequantàl’équilibredevieglobaldesfemmesestégalementsouhaitable,danslesorganismesdesécuritésocialemaisaussiau-delà.

35%

58% 46%

82%

19% 26% 31%

51%

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Femmes

Hommes

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L’indispensablesensibilisationdesacteursauxmécanismespsychosociauxquiconstruisentlesinégalitéshommes/femmesPar Brigitte LALOUPE, pilote de projets à l’EN3S

Brigitte LALOUPE, directrice de l’URSSAF de l’YONNE jusqu’en 2009, depuis coach et pilote de projets MOOC et e-learning pour l’EN3S. Auteure de « Pourquoi les femmes gagnent-elles moins que les hommes ? » (Pearson, 2011) et d’un webdoc « L’école du genre », 2016.http://www.ecoledugenre.com/

La répartition des femmes et des hommes travaillant dans l’institution Sécurité sociale, enFrance, est tout à fait similaire à celle que l’on observe dans l’ensemble des secteurséconomiquesenFrance,politiquesousociétaux:syndicats,associationsetc.

La Sécurité sociale présente cependant la particularité supplémentaire d’un recrutementmassivementfémininauxemploisdetechniciens,quiaboutità85%defemmesauxpremiersniveauxdeclassification.Cen’est certespasunchoix, tous lesdirecteursd’organismes lesavent : il n’y a quasiment pas d’hommes candidats à ces postes. Il serait probablementintéressantdesepenchersurlesraisonsd’untelconstatetimagineràcôtédescampagnesvisantàencouragerlesfemmesàs’engagerdansdenouvellesfilières,d’autrescampagnesquirendraientattractivescesmétiersadministratifspourleshommes.

Pourlereste,commepartoutailleurs,dèsquel’ons’élèvedanslahiérarchie,pluslespostesdeviennentdécisionnairesetmoins les femmesysontprésentes.Auniveaudesdirecteursd’organismes,lesfemmesnesontguèreplusde20%.

Cettecourbedeprogressionselonlesniveauxhiérarchiquesprendlaformed’unescalier.Unescalier glissant pour les femmes, puisqu’à chaquemarche, elles sontmoinsnombreuses.C’estquel’expression«plafonddeverre»,désormaiscourammentusitée,n’estpaslaplusadaptée.Plutôtqu’unobstacleauquelseheurteraientlesfemmesàpartird’uncertainniveau,c’esttoutaulongduparcoursqu’ellesseraréfientprogressivement.

Cephénomèneestdésormaisbienconnu. Ila fait l’objetdemultiplesétudesuniversitairesquidécriventcesinégalités,lafaçondontellesseconstruisentet,moinssouvent,proposentdes remèdes. Pour changer quelque chose, ce qui est une volonté officiellement prônéepar l’État et l’institution, puisque les conventions d’objectifs et de gestions des différentesbranchescomportentdesobjectifsenlamatière,ilconvient,bienentendudemettreenœuvredes politiques offensives, visant à veiller à la façon dont sont attribuées les promotions etdécidéeslesnominations,visantàcomparerlessalairesettraquerlesécartsinjustifiés.Mais

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l’expériencemontre que cela n’est pas suffisant.Rappelons que des années etune accumulation de lois n’ont pas suffi à amener plus de 27% de femmes àl’AssembléeNationaleet23%auSénatetce,malgréleurdurcissementaufildesmandatures(paritédescandidats,puisparitéimposéedesexécutifs,précisionsurl’établissementdes listesdevantobligatoirementalterner lescandidatsdesdeuxsexes).

Pourcomprendre,ilfautremontertrèsenamontetobservercequisepasseauxniveauxpsychologiqueetsociologique.

Iln’yaaucunevolontédequiquecesoit,depénaliserlesfemmesetdeprivilégierleshommesetilyadésormaissuffisammentlongtempsquedesfemmesoccupentdespostesdedirectionpourqueleurscompétencesnesoientplusmisesendoute.Etdepuisletempsquelespromotionsdel’EN3Ssontparitaires,lacourbeauraitdûsensiblementserétablir.

Laréalitéestqueleshommesetlesfemmesnedisposentnidesmêmesarmes,nidesmêmesatouts,dansunmilieuconcurentielcommel’estceluidel’entreprise.Etcelapouruneraisonsimpleàcomprendre:ilsnesontpassocialisésdelamêmefaçon,n’apprennentpaslesmêmeschosesetnesontpasregardésexactementdelamêmefaçon.

Les enfants apprennent dès la naissance et même avant, à se comporterdifféremmentselonleursexe.Ilsn’estpasseulementquestiondevêtementsbleusouroses,lafaçondontonleurparle,dontonlesencourageàtelleoutelleactivité,

Évolution du pourcentage de féminisation selon le niveau hiérarchique

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183

les jeux qui leur sont proposés et de façon générale, tout ce qu’ils voient de lasociété,quecesoitàlamaison,àl’école,danslarue,àlatélévisionetc.,toutleurapprendcequ’est,socialement,unhommeouunefemme.

Unexemple,maisilyenauraitmille:

Des chercheurs1 ontproposéàdesenfantsdeonzemoisdedescendreun toboggandontl’inclinaison peut être réglée. Ils ont vérifié auparavant qu’il n’existe aucune différencesignificativedesperformancesselonlesexe,enmoyennelesbébésfillesetlesbébésgarçonsobtiennentlesmêmes.

Ilsontdemandéàdesmèresd’évaluerlapentelaplusraidequepourraitdescendreleurenfantsansaideetsanstomber.Ilsleurontaussidemandéd’évaluerlapentelaplusraidequeleurbébé allait tenter de descendre.

Lesmèresdesgarçonsavaientàpeuprèsbienévaluéleurscapacitésd’explorations,cellesdesfilleslesavaientsous-estiméesde11%.

Àl’inverse, lesmèresdesfillesavaientàpeuprèsbienestiméleurscapacitésdedescentealorsquecellesdesgarçonslesavaientsur-estiméesde13%.

Danslavraievie,celasignifiequel’ons’attendàplusdetéméritéetplusdecapacitésmotricesdelapartdespetitsgarçonsetqu’ilsserontincitésàprendreplusderisquesalorsquel’onretiendra les filles, qui n’auront donc pas les mêmes occasions de tester leurs limites etdeviendrontmoinshabilesdanscetyped’activités.

Danscetteexpérience, lesmèresontété influencéesparunpréjugéquiveutque lesfillessoientmoinscasse-couetmoinsaptesàl’escalade.C’estcequis’appelleuneprophétieauto-réalisatricepuisqu’ellesvontamenerlaréalitéàseconformeràleurcroyance.

Les mêmes mécanismes pourraient être décrits dans tous les domaines. Lorsque lesenseignants,celaaétédémontré,pensentquelesfillessontmoinsdouéesquelesgarçonsdans les matières scientifiques ou que, lorsqu’elles réussissent, c’est davantage grâce àleurtravail.Alorsquelesréussitesdesgarçonssontattribuéesàleurgénie, ilsancrentdesmodalitésd’estimedesoiquinesontpaslesmêmesetgénèrentplusoumoinsd’appétencepourcertainesmatières.

Arrivésdans la vieprofessionnelle, cesschémas,déjàparfaitement installéssontamplifiésparlefaitquelaprésence,sommetouterécentedesfemmesdansdetrèsnombreuxmétiers,yparaitmoins«naturelle».L’imagequeconstruitnotrecerveau lorsquenousparlonsd’un«manager»oud’un«directeur»restemasculine,ilestdoncplusfacilepourunhommed’yparaîtreconforme.

1 JournalofExperimentalChildPsychology77,304-316(2000)-http:/www.idealibrary.comonGenderBiasinMother’sExpectationsaboutInfantCrowling.EmilyR.Mondschein,KarenE.AdolphandCatherineS.Tamis-LeMonda.

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Des formations pour prendre consciencePour lutter contre ces schémas,profondémentenracinés, il convient enpremierlieu d’en prendre conscience.Ce qui peut être fait à l’occasion des formations,spécifiquement destinées aux femmes cadres, mises en œuvre par de trèsnombreusesentreprises2.Dansl’institution,ellesontétéproposéesparl’UCANSSdès 2009, reprises par l’EN3S depuis 2013 et jusqu’à cette année. En tout, 76femmesenontbénéficié,dont14directrices.

Iln’estpasanodindesoulignerqu’uneformationmixte,sur lethème«Travaillerenmixité»aétéproposéeparl’EN3Sen2015.Ils’agissaitderéunirunnombreégal d’hommes et de femmes afin d’échanger sur ces thèmes et de découvrircomment l’autresexevoyait lemondedu travail.Elleacompté…ZÉRO inscritsmasculins.Cequitendraitquandmêmeàprouverqueleshommes,malgrétouteslesdéclarationsofficielles,nesesententguèreconcernésparuneproblématiquequin’estpaspénalisantepoureux,aucontraire.

L’objetdetellesformationsest,biensûr,defaireconnaitrelasituationenFranceet dans l’institution, ce dont les personnes qui s’inscrivent sont généralementinformées,maissansavoirtoujoursconsciencedelasituationréelleàlaSécuritésociale, ou dans leur branche.

Le partage d’expérienceLesecondobjectifdecesjournéesestdepartagerlesexpériencesdesparticipantes.Partagesquifonthabituellementapparaitrequebeaucoupdeproblématiquesquisemblentindividuelles,etsonttraitéescommetelles,sontenréalitécollectives.

Le premier sujet, celui que toutes les jeunes femmes évoquent, est celui desmaternitésetde laconciliationvieprivée/vieprofessionnelle.Celaresteunsujetd’intérêtpourlesplusâgées,maisévidemmentmoinscrucial.Ellesonteuàgérer,ouenvisagentunarrêtmaternitéquidureplusieursmoisetn’estpassansincidencesurleurengagementprofessionnel.Lesquestionsquireviennentsonttoujourslesmêmeset tournentautourde laprogrammationdesmaternités,sachantqu’iln’ya évidemment jamais de bonmoment : c’est toujours trop tôt parce qu’on vientdeprendreunposte,pas lemomentparcequ’ons’est impliquéedansunprojetqui nous tient à cœur, ou trop tard parce qu’on envisage de changer de poste.Sanscompterquelorsqueladécisiond’avoirunenfantestpriselecalendriern’estpasmaîtrisable.Mais iln’yapasdans leurs inquiétudesquedesconsidérationsobjectives.Elles s’inquiètent également, et peutêtreplusencore,de la réactiondeleurhiérarchie.Ellescraignentqueleurloyauté(ellesn’avaientpasditqu’ellesenvisageaientunegrossesse)ouleurmotivationsoientmisesendoute.

2C’estlecasdetouteslesentreprisesduCAC40.Onpeutciteràtitred’exempleleprogrammeEVEquiréunitdansunemêmedémarchedesentreprisesaussidiversesqueDanone, L’Oréal,Orange,legroupeCaissedesDépôts,SNCF,CréditAgricoleetKPMG.http://www.eveprogramme.com/

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Leurappréhensionn’estsouventpasfondée.Onpeutpenserqu’en2016lagrandemajoritédesdirecteursseréjouissentsincèrementdel’annonced’unematernité.Ilseraitutilequ’ilslefassentmieuxsavoir.

Unautresujetdefortetensionestceluideshorairesjournaliers.Lesfemmescadresetagentsdedirectionontintégrélesnombreuxdéplacementsqu’exigelefonctionnementréticulairedel’institution,maisellesvoudraientdavantagedelatitudeauquotidienetcritiquentleshorairesextensiblesqu’ellesn’estimentpastoujoursjustifiés.Quis’estoccupédejeunesenfantssaitqu’ilestdeuxmomentscritiquesdanslajournée:lamiseenroutedumatinetleretouràlamaisonenfindejournée.Deuxmomentsextrêmementchargéspendantlesquelsilfauttoutenchainer:trajets,courses,repas,récupérationdesenfantsàlacrècheouàl’école,toilette,surveillancedesdevoirs,câlins,coucheretc…Etmêmesilespèresd’aujourd’huis’impliquentbiendavantagedanscestâchesqueceuxdesgénérationsprécédentes,onsaitquelesmèrescontinuentd’assumer65%destachesparentales3.Ellesneseplaignentpasdelafatigueoudelasurchargemaiss’interrogentsurlafaçond’aborderl’idéequ’ellesnesouhaitentpasresteraprèsunecertaineheure.Carsilaplupartdesrèglementsintérieursprévoientquelesréunionsnesetiennentpasaprès16Hilsemblequedansdenombreuxorganismes,celaneconcernepaslesagentsdedirection.Quiontpourtantaussiunevieprivée.Nuldoutequelesjeunespères,quin’osentencoremoinsfairedesdemandesencesensenbénéficieraientégalement.

Parmi les thèmesabordésde façonsrécurrentesfigureégalementenbonneplaceceluiduressentidesfemmesdansdesassembléesoùellesrestentencorefréquemmentminoritaires,voire trèsminoritaires. Elles sont aguerriesmais en parler ensemble permet de se rendrecompte combien s’y imposer exige d’efforts. Cela semble anodin mais c’est une énergieinutilementdépensée.Pasfaciledesesentirtoutàfaitàl’aise,détendue,sûredesoialorsquel’onn’apasforcémentlamêmevision,nilesmêmescentresd’intérêtquelamajoritédescollègues.Pendantlacoupedumondedefootballparexemple.

Il est utile, enfin, de partager des anecdotes. Tous ces moments dont Brigitte GRÉSYnous dit que, sous des apparences légères, à travers quelques remarques déplacées oucondescendante,onpeutpisterlesexismequiblesseourendprudente.Cesontparexemplelescomplimentssursoncharmeousonsourire,àquivoudraitplutôtentendrequ’elleaétéconvaincante, les blagues sexistes,mêmesi cela ne semblepas vraiment fréquent, oùuncollèguemasculinquiareprisuneidéeenréunionetaétémieuxentendu.

Le fonctionnement des stéréotypesLetroisièmeobjectifestd’analyser lefonctionnementdesstéréotypeset leur impactsur lescarrièresdesfemmes,dedécrypterlesmécanismescréateursd’inégalitésetsurtoutlafaçondontlesfemmesadaptentleursproprescomportements,àleurdétriment.

Ons’attend,parexemple,àcequelesfemmesmontrentdavantaged’empathiemaisqu’encontrepartieellessoientplusémotives,qu’ellessoientplustravailleusesmaismoinsbrillantes,tout aussi compétentes mais moins ambitieuses. Et l’on voit tout de suite que dans uneperspectivedecarrière,cespréjugésnejouentpasenleurfaveur.3«Donnéesdétailléesdel’enquêteEmploidutemps2009-2010»,INSEERésultats,n°130Société,juin2012.

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Dans les métiers qui nous concernent, les inquiétudes les plus fréquemmentexpriméesconcernent lacapacitédes femmesàpouvoirs’imposerd’unepart,etàpouvoir résisterd’autrepartàde fortespressions.Ont-elles lesépaulesassezlarges?Lescaractéristiquesphysiqueselles-mêmesaccentuentceseffets;lataille,lacarrureaidentàenimposer,lagravitédelavoixaussi.Àlamoindreanicroche,elles sont alors cataloguées, au choix comme trop fragiles, trop émotives ou aucontrairecommetroprigides.Cequel’onpourraitnommer«effetTatcher».Êtrepremierministred’ungrandpays,dansunesituationéconomiquedifficileexigeunepersonnalitéforteetrésistante,cequ’étaitMargaretTatcher.Pourl’Histoireellereste« laDamede fer»maisonapuvoir lorsdesondécèsdesdéchainementsdehainerarementobservésenversunepersonnalitépolitiquedémocrateetqu’onpeutattribuergrandementaufaitqu’elleaittransgressélesnormesrelativesàsongenre.

Par le passé, les premières générations de directrices d’organismes ont étésélectionnées pour leur force de caractère, leur capacité à faire front en toutescirconstancesetàimposerleurpointdevue,cequiapuleurêtrereprochécommede l’autoritarisme.C’est que tout autre comportement amenait automatiquementunesuspicionde fragilitéet les femmesauxprofilsmoinsaffirmésn’ontpasétépromues,nimêmeincitéesàbriguerdetelspostes.

Et comme, dans lemême temps, on reconnait volontiers que les femmes sonttravailleuses,moinsbrillantesmaispersévérantes,ellessonttoutàfaitbienpourdes fonctions d’adjointes, d’assistantes, d’attachées. Celles qui prépareront lesdossiers,déblaierontleterrainmaislaisserontlesautresdécider.

Defaçongénérale,ilesttoujoursdavantagedemandéàunepopulationminoritaireet/ou dominée, de donner davantage de preuves de ses capacités. C’estparticulièrementlecaspourlesfemmes.OnconnaitlemotfameuxdeFrançoiseGIROUDquidisaitquel’égalitéseraitatteintelejouroùdesfemmesincompétentesseraientnomméesàdespostes importants.Cen’est pasqu’uneboutade.Pourles mêmes fonctions, les femmes sont statistiquement plus diplômées que leshommes.Lerapportdel’ADCAMde2014confirmequec’estlecaspourlesélèvesde l’EN3S4.

Danslemêmeordred’idée,onpeutégalementnoterquecequefontlesfemmesparaittoujoursmoinsimportant.Cequiexplique,enpartie,lefaitquelesmétiersféminins soientmoins bien rémunérés. BOURDIEU l’a résumé en écrivant5 que«toutcequefont lesfemmesestaffectéd’uncoefficientnégatif».Celaestvraidefaçongénérale,maisc’estégalementvraidanschaquesituationparticulière.Ilestplusdifficilepourunefemmedefairereconnaitrecequ’ellefait,oudit,commeayantdelavaleur.

4Assurancemaladie.Lesfemmesdanslesmétiersdedirigeants.RapportdugroupedetravailADCAMfévrier2014.5PierreBOURDIEU,Ladominationmasculine,Seuil1998.

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Un condensé de tous ces phénomènes peut être observé lors d’une activité quioccupe énormément du temps desmanagers : les réunions.De très nombreusesétudesmontrentque les femmesyparlentmoins.Spontanément,ellesgardentmoinslongtempslaparoleetquandonleurdemandequ’elleenestlaraison,ellesenévoquentplusieurs:ellesneveulentpasfaireperdredetempsaugroupe,ellesnevoientpasl’intérêtderépéterquelquechosequiauraitdéjàétédit,ellesnesontpassûresd’êtreécoutéesjusqu’aubout.Detoutefaçon,lesmêmesétudesprouventqu’onleurcoupeplusfréquemmentetplusfacilementlaparole.C’estdoncunexerciceintéressant,etutile,qued’observersespropresprisesdeparolesenréunion,d’êtreconscientedecequis’yjoueetd’admettrequelesréunionsnesontpasquedes lieuxd’élaborationdeprocessus.Ellesontbeaucoupd’autresenjeux,notammentdereprésentations,deréputations,deconfrontationettouteslesrèglesdujeunesontpasouvertementénoncées.

Il existe enfin un mécanisme psychologique, normal et compréhensible d’un point de vueévolutionniste,quinousfaitressentirplusd’affinitésavecdespersonnesquipartagentcertainsdenoscaractéristiques;onlesaitbien«quiseressemble,s’assemble».Or,lesnominationssontgénéralementfaitesparleshommes.Rappelonsquedepuis1945,iln’yaeuqu’uneseulefois,unefemmedirectriced’unecaissenationale.Leshommesonttendanceàprojeterplusfacilementsurd’autreshommesdesqualitésqu’ilsestimenteux-mêmesposséderetdoncàparrainerd’autreshommes.

Detoutcela,ilressortquetoutchangementnepeutquepasserparuneprisedeconsciencedecesmécanismes,notammentdelapartdesfemmesquilesonttellementbienintégrésqu’ellessontlespremièresàlesactionner.Cen’estcependantpasaussifacilequ’iln’yparaitcarsortirdescadreshabituelsactionneautomatiquementdesmécanismesdecontrôlevisantàremettrelesimpétrantesàleurplace.Mécanismessouventbaséssurlamoquerieetledénigrement.Les femmes sont donc confrontésà ceque l’onappelle en socio-psychologie desdoublesinjonctions:pourêtrelégitimedanscertainesfonctions,ilfautparexempledémontrerquel’onadel’autorité;maistoutefemmequidémontredel’autoritéestvitequalifiéed’autoritaire.Iln’existepasderecettemiraclepoursortirdecesdilemmes,maislesreconnaitrepermetaumoinsdenepasserendreresponsabledenosdifficultés.

Des formations pour réfléchir à ses propres comportementsCompte-tenudetoutcela,iln’estpassurprenantdeconstaterquelesfemmesressententunfortdéficitdusentimentdelégitimité.L’étapesuivanteconsistedoncàs’intéresserauxlimitesques’imposent,inconsciemment,lesfemmes,etàlesdépasser.

ChristianBAUDELOTetRogerESTABLETavaientétéfrappésà l’occasiond’uneétudesurlescollégienset lycéensde lamoindreconfianceensoidesfillesalorsque lesgarçonssesurestimaientplutôt6.C’estlarésultantelogiquedetoutcequivientd’êtreénoncé.Ilneparaitpasnaturelauxfemmesd’êtrelà,puisqu’ellesnecorrespondentpasaumodèleattendudèsque l’onsortdesactivitésayantunrapportbiologiqueavec le féminin, lessoinsaux jeunes

6BAUDELOTC,ESTABLETR,LeMonde,8septembre2009.

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enfantsétantl’unedesraresoùlesfemmessesententpluscompétentesqueleshommes.

Elles se sentent donc, beaucoup plus que les hommes, obligées de faire leurspreuves, parce que la société le leur demande. Mais aussi parce qu’elles ontbesoinqu’onreconnaisseleursméritesetqu’enconséquence,onlesencourage.Uneattitudeconnuesousletermede«syndromedelabonneélève».Quiexisteaussi,biensûr,chezleshommesmaisbeaucoupmoinsfréquemment.Ils’agitdebienfaire,derendreledossierleplusparfaitpossible,etd’attendreunebonnenote.Or,noussavonsquelefaire-savoiresttoutaussiimportantquelesavoir-faire.

On peut compléter cette observation avec des recherches universitaires quidémontrentque,si leshommesontplustendanceàsurestimer leursréalisations,ils le font encore davantage en public, alors que c’est l’inverse qui se produitpour les femmes.Oncomprend facilementenquoicelaestpréjudiciabledans lavieprofessionnelle.Les femmesdoutent toujoursplusde leur légitimitéàbriguerun nouveau poste, une nouvelle fonction et, comme elles fontmoins étalage deleurs réussites, on les y incitemoins.C’est notamment vrai dans lesmétiers demanagement, et c’est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup moins decandidaturesfémininessontenregistréespourlespostesdedirecteurs.

Il appartientdoncaux femmesde réévaluer leurpropreestimepour l’ameneraumêmeniveauquecelledeleurscollègues,etconcurrents,danslacourseauxpostesetpromotions.Celaimpliqueégalementqu’ellesprennentdavantagederisques,carc’estunfaitquelesfemmesprennentmoinsderisques:cequiestunebonnechosequandilestquestiondeconserversonintégritéphysique-ellesontbeaucoupmoinsd’accidents-maisserévèleplutôtunfreindanslagestiond’unecarrière.

Viennent ensuite les nombreuses peurs qui paralysent les femmes. Elles saventqu’ellesnedoiventpasparaitretropautoritaires,tropsûred’elles,tropambitieuses…etlacritiqueultime«pasféminine»pourcellesquivoudraientfairecommeleurscollèguesmasculins.

Des qualités normalement valorisées et recherchées chez les hommesmais quiapparaissentcommemalvenuesouexagéréeschezdesfemmes.

C’est le cas par exemple de la colère, qui, à condition bien sûr de rester dansdes limitessocialementacceptables,est,chezunhommeunsigned’autorité,dequelqu’unquisaitremettresesinterlocuteursenplaceencasdenécessité.Chezune femme, elle est perçue comme un signe d’arrogance, de perte de contrôleémotionnel.C’estlecasdel’ambitionquidevientvitechezunefemme«pourquielleseprend».Illeurappartientalorsdenaviguerentrelepasassez,quilesfaitparaitrefadesetfragilesetletropquilesrendsuspectesd’êtrearrogantesoucaractérielles.

Pasfacile!

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Dansunautreregistre,l’avancéeenâgeneprocurepaslesmêmesbénéficesauxunsetauxautres.Pourleshommeselleestsignedematuritéetd’expérienceetsetrouvecorréléeaveclacroissancedeleurstatutsocial.Pourlesfemmes,ellepeutsignerledébutde la relégation.C’estparticulièrementvisibleenpolitique.Ayantquitté lechampdelaséductionetduparaître,plutôtquedelesconsidérerpourcequ’ellessont,c’est-à-diredespersonnesausummumdeleurscompétences,onlestrouvefacilement«acariâtres»ou«rigides».

Il est d’autres aspects que l’on pourrait considérer sous un angle positif, mais qui ne sontgénéralementpasreconnuscommetels.Lavisionqu’ontdelaviehommesetfemmesdifférentenplusieurspoints.Ilsneconçoiventpaslaréussitedelamêmefaçon.Enfants,ilsn’ontpaspratiqué lesmêmes jeux,ni reçu lesmêmesmodèles.Àeux lesaventureset l’actionsur lemonde,quitteàprendredesrisques,àelleslesoucideleurapparenceetl’attentionauxautres.Leurmissionàeuxestdesubvenirauxbesoinsde leur familleenmenant tous lescombatséventuellementnécessaires,leurmissionàellesestdecréeruncadredeviechaleureuxpourtous.Decefait,lesenquêtesmontrentquelesfemmesontuneconceptionplusétenduedelaréussite.Elleconcernelaviedanssaglobalitéetestmoinsexclusivementcentréesurlaréussiteprofessionnelle.Enconséquence,ellesacceptentplusfacilementderenonceràunemissionouunepromotionsiellescraignentquelesincidencessoienttropimportantespourleurvieprivéeet,toutparticulièrement,pourleurfamille.

Parailleurs,ellessesontbeaucoupmoinsentrainéesà lacompétitionet y trouventensuitebeaucoupmoinsd’intérêt.L’observationpardessociologuesdescoursderécréationamontréquelesjeuxtraditionnelsdesfillessontrarementdesjeuxdeconfrontationsdirectes.Sauteràlacordel’uneaprèsl’autreetdécréterquiestlagagnanteestbienuneformedecompétition,maisbeaucoupmoinsengageante,physiquementetmoralement,qu’enleverleballondespiedsdesonadversairevoir,qu’unebagarre.Deplus,ellesconserventunesortedeculpabilitéàgagnervis-à-visdesconcurrentesetontpeurdeblesserouperdreleurscamaradesdejeux.Lavictoiredoit se faire la plus gentille possible. Les filles en gardent l’illusion de pouvoir gagner sansenleverquelquechoseàl’autre,cequiestévidemmentuneerreurdansunmondepyramidaloùlesplacesseraréfientàmesurequel’onmonte.

Enfin,etc’estunpeu larésultanteultimedetoutcequivientd’êtrevu,elles investissentdefaçonbienmoindredanslesréseaux.Or,onconnaitl’importancedeceux-ci.D’unepart,parcequ’ellesontmoinsdetempsàyconsacrer.D’autrepart,parcequelesréseauxprofessionnelsne lesontguèreaccueillisàbrasouvert,c’est lemoinsque l’onpuissedire.Etcertainsontouvertementrechignésàdevenirmixtes.Depuisquelqueannées,lesréseauxdefemmessesontmultipliés avec l’idée qu’il fallait, d’une part, inciter les femmesà s’y investir et d’autrepart,quecesréseauxpourraient jouer,commelesautresréseauxtraditionnels,desrôlesdepromoteurs,cequin’estpascertainetenfin,qu’ilyavaitunintérêtàseréunirentrefemmespourpartagerdesexpériencessimilaires.

Parmi ces réseaux, citons tout particulièrement Grandes Écoles au Féminin, qui réunit lesassociationsd’anciensélèvesdedixgrandesécoles:CentraleParis,ENA,ÉcoledesPontsParisTech,ESCPEurope,ESSEC,HEC,INSEAD,MinesParisTech,PolytechniqueetSciences

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PoParis. Ilorganisedemultiplesréunions,produitdesétudeset faitdu lobbyingauprèsdesemployeursousurleweb.Onpeutregretterquel’EN3Sn’enfassepaspartiemaistouteslestentativesdecréerunréseaufémininauseindel’institution,etilyenaeuplusieurs,ontrapidementavorté.

Lemieuxneserait-ilpasquecesréseauxdeviennentinutiles?

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Managementde laprotectionsociale

Interview de Michel Bauer par Pierre Ramon-Baldié

3BIBLIOGRAPHIE ETNOTES DE LECTURE

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Bibliographie

L’ensemble des références des nouveautés du centre de documentation :livres,nouveauxrapportsenligne,articlessélectionnésparlesdocumentalistes,estconsultableenlignesurleportaildocumentairedel’école.

Lalistedestravauxdesélèvesetstagiairesestdisponibleégalementsurleportaildocumentaire.

Protection socialeAprès l’État-providence : les hommes politiques ont volé votre avenir... vous pouvez le reprendre/TomPalmer-Nice :Libre-échange(Éditionsdu),2016.-355p.-T316975ISBN :979-10-93166-15-5

Certification des comptes du régime général de sécurité sociale : exercice 2015/CourdesComptes.-Paris:LaDocumentationfrançaise,2016.-141p.ISBN :978-2-11-145138-4

Code de la sécurité sociale 2016/Anne-SophieGinon,FrédéricGuiomard-Paris : Dalloz, 2016-3128p.ISBN :978-2-247-15971-0

Contribution au rapport au Parlement sur les aides fiscales et sociales à l’acquisition d’une complémentaire santé / Anne Bruant-Bisson, Marie Daude, France. Inspectiongénéraledesaffairessociales-Paris :IGAS,2016–179p.

Économie des retraites /AnneLavigne-Paris :laDécouverte,impr.2013,cop.2013-1vol.(126p.)ISBN:978-2-7071-5109-4

Évaluation de la COG 2012-2015 du Régime Social des Indépendants (RSI) : Tome 1 rapport définitif/AnneBruant-Bisson,AnneloreCoury,MarieDaude,Louis-CharlesViossat,FRANCE.Inspectiongénéraledesaffairessociales-Paris :Inspectiongénéraledesaffairessociales,2016-127p.,annexes

Évaluation de la COG 2012-2015 du Régime Social des Indépendants (RSI) : Tome 2 annexes / Anne Bruant-Bisson, Annelore Coury, Marie Daude, Louis-Charles Viossat,FRANCE.Inspectiongénéraledesaffairessociales-Paris :Inspectiongénéraledesaffairessociales,2016-394p.

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La protection sociale /GillesNezosi - Paris : laDocumentation française,DL2016,cop.2016-1vol.(239p.)ISBN :978-2-11-009305-9

La Sécurité Sociale : luttes d’hier, mensonges d’aujourd’hui et défis de demain/MichelEtcheverry-Orthez :Gascogne(Éditions),2016ISBN:978-2-36666-085-2

Quelle(s) protection(s) sociale(s) pour demain?/SouslaDir.MichelBorgetto,Anne-SophieGinon,FrédéricGuiomard-Paris :Dalloz-Sirey,2016.-385p.ISBN :978-2-247-16087-7

Quelle sera la protection sociale des Français en 2025 ? : Nouveaux enjeux, nouveaux défis/MarcNabeth,sousladirection-2016 :L’Harmattan,2016-253p.ISBN :978-2-343-08317-9

Sécurité sociale française : un [bien] commun à préserver ? /GaëlDrillon - Allemagne:Éditionsuniversitaireseuropéennes,2016-54p.ISBN :978-3-639-52701-8

SantépubliqueCode de la santé publique / [France], annotations de jurisprudence et de bibliographie par Jean-Paul Markus,... Danièle Cristol,… et Jérôme Peigné,…coordinationéditorialeparSuzanneSprungard,…-Paris :Dalloz,DL2016,cop.2016-1vol.(LXXXI-3427-54p.)ISBN :978-2-247-15980-2

Droit européen de la santé / NathalieDeGrove-Valdeyron,… - Paris : LGDJ-Lextensoéditions,DL2013,cop.2013-1vol.(209p.)ISBN:978-2-275-03669-4

La loi santé 2016 : analyse, commentaires, critiques / Jean-MarieClément.-Bordeaux:LEHédition,2016-158p.ISBN :978-2-84874-638-8

La loi santé : regards sur la modernisation de notre système de santé/AnneLaude,DidierTabuteau(dir.)-Rennes : Presses de l’École des hautes études en santépublique,2016,cop.2016-1vol.(478p.)ISBN :978-2-8109-0510-2

La médecine générale, une spécialité d’avenir / Daniel Coutant, FrançoisTuffreau-Rennes :EHESP,2016-160p.ISBN :978-2-8109-0440-2

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Le racket des laboratoires pharmaceutiques : et comment s’en sortir/MichèleRivasi,SergeRader,Marie-OdileBertella-Geffroy-Paris : Les Petits Matins, 2015 - 231p.ISBN :978-2-36383-191-0

Les inégalités sociales et la santé : enjeux juridiques, médicaux et éthiques/[colloqueorganiséparl’IIREB,30-31mars2015],sousladirectiondeChristianHervé,MichèleStanton-Jean,Marie-FranceMamzer...[etal.]-Paris :Dalloz,2015,cop.2015-1vol.(VII-274p.)ISBN :978-2-247-13749-7

Quelle politique de santé pour demain ?/LaurentDegos-LePommier,2016-V116974ISBN :978-2-7465-1121-7

Santé mondiale : enjeu stratégique et jeux diplomatiques/DominiqueKerouedan,JosephBrunet-Jailly.-SciencesPo(LesPressesde),2016-481p.ISBN :978-2-7246-1870-9

Sauvons notre système de santé et d’assurance maladie : un enjeu de société/Pierre-HenriBréchat,préf.deDidierTabuteau,-Rennes :EHESP,2016-215p.ISBN :978-2-8109-0437-2

Structurer les parcours de soins et de santé : politiques, méthodes et outils pour la mise en œuvre de la loi Santé/MouradAissou,Jean-PierreDanos,AlexiaJolivet-Bordeaux : LEH édition,2016ISBN :978-2-84874-621-0

Trop soigner rend malade / Jean-Pierre Thierry, Claude Rambaud. - Paris:Albin Michel(Éditions),2016-292p.ISBN :978-2-226-32496-2

Politiquessocialesetdel’emploiComprendre les politiques sociales / ValérieLöchen-Paris :Dunod,2016-458p.ISBN :978-2-10-074284-4

Crise économique, santé et inégalités sociales de santé/HCSP-Paris :DocumentationFrançaise(La),2016-104p.-U116971ISBN :978-2-11-145052-3

Économie sociale : la solidarité au défi de l’efficacité/ThierryJeantet,FrançoisHollande,préface-Paris :DocumentationFrançaise(La),2016ISBN :330-3-331-95418-7

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Einstein avait raison, il faut réduire le temps de travail /PierreLarrouturou,DominiqueMéda.-Ivry-sur-Seine : Les Éditionsdel’Atelier,2016-253p.ISBN :978-2-7082-4470-2

Environnement et inégalités sociales /Sous ladir.FloranAugagneur,JeanneFagnani-Paris :DocumentationFrançaise(La),2015-343p.ISBN :978-2-11-010110-5

État socio-sanitaire des personnes âgées immigrées/MohamedElMoubaraki,Émile-HenriRiard-Paris :L’Harmattan,2016-403p.ISBN :978-2-343-08441-1

La grande évasion : santé, richesse et origine des inégalités/AngusDeaton-Paris :PUF,2016-382p.ISBN :978-2-13-073686-8

Parcours de familles : l’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles / sous la direction deArnaudRégnier-Loilier, préface deAnneH.Gauthier-Paris : INED éditions,DL2016,cop.2016-1vol.(428p.)ISBN :978-2-7332-8005-8

Politiques sociales/PascalPenaud-Paris :Dalloz-Sirey,2016-1179p.ISBN :978-2-247-16252-9

Réduire la pauvreté : un défi à notre portée /DenisClerc,MichelDollé -LesPetitsMatins,2016ISBN :978-2-36383-211-5

Refonder les solidarités : les associations au cœur de la protection sociale/RobertLafore-Paris :Dunod,2016-303p.ISBN :978-2-10-074724-5

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Notes de lectureNote de lecture : par Julien DAMON, professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’EN3S.

La spirale du déclassement de Louis CHAUVEL

Louis CHAUVEL, La spirale du déclassement. Essai sur la société des illusions, Paris, Le Seuil, 2016, 16 €.

Les classesmoyennesnesontpashypocondriaques,caraffectéespardegraveschangements.Le tableauproposépar lesociologueLouisCHAUVEL n’est pas reluisant : salaires stagnants, diplômesdévalorisés,inégalitésamplifiées,classesmoyenneseffritées,fosségénérationnelélargi.FracturesocialeetfracturegénérationnellessenourrissentetserenforcentpourproduirecequeCHAUVELbaptisela « spirale du déclassement ». Homme de chiffres, l’auteur saitmanier lessériesstatistiqueset comparaisons internationales (queles spécialistes pourront retrouver sur son site louischauvel.org).Lettré,ilaimeciterFreud,Spinoza,BorgemaisaussiClintEastwood

oulestravauxsurlaRomeantique.Danscetessaiinforméetdécapant,ilreprendetapprofonditsesthèmesetsesméthodes,quiluiavaientpermis,ilyadéjàvingtans,demettreenévidence,le«destindesgénérations»etl’ampleurdelafracturegénérationnelleetdusacrificefrançaisdelajeunesse.Attachéàlarigueur,ilaimerevenirsurlesidéesuniversitairesreçues,réglerdescomptesetrompredeslancesavecsescollègues.Lestenantsdudéconstructionnismeetdelaconstructionsociale(aboutissantau«déclassementmêmedelanotionderéalité»)enprennentpour leurs grades. Les experts qui relativisent l’ampleur du déclassement également. PourCHAUVEL,lesinégalitésfrançaisessontsubstantiellesetmêmeexceptionnelles.Sisurleregistreduniveaudeviel’égalitésembleprévaloiretresterstable,surceluidupatrimoinelesinégalitéssontgrandissanteset«abyssales»,«sidérales»,«vertigineuses».Ilyabienuneclassemoyenne,déstabilisée,autourdu revenumoyen.Mais ladonnéemoyennen’aaucun intérêtenmatièrepatrimoniale,tantladispersionestélevée.Dansunesociétéquivoitreprendre,avecforce,lerôledupatrimoine,lesjeunessontparticulièrementdéfavorisés.Cequiétaitentrevuilyaquelquesdécenniess’observenettementaujourd’huiannonçantdeslendemainsdouloureux.Faceàunetendancededéclassementglobal,avecl’affirmationdesclassesmoyennesdespaysémergents,CHAUVELinviteàunchangementcompletd’orientation,espèreleretourd’uneconsciencedeclasse et souhaite l’autonomie de la jeunesse. Ilmontre que classes sociales et générationsconstituentdesmaillonsessentielspoursaisirlesréalitéssocioéconomiquescontemporainesetlesmouvementssociauxà l’œuvre.Peuoptimistesur lesconditionsd’un redressement,avecun personnel politique et intellectuel périmé, c’est la perspective de l’effondrement et de ladésagrégationquiseprofile.Lesdiagnostics,prisesdepositionetprisesdebecdecetteétudesurlesstructuresetlastratificationsocialecontemporainesnemanquentpasdepiquant.L’étude,soulignant en particulier les difficultés accrues des jeunes générations, fera date. Et, commeCHAUVELs’yattend,controverse.

Julien Damon

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Note de lecture : par Julien DAMON, professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’EN3S.

La grande évasion de Angus DEATON

Angus DEATON, La grande évasion. Santé, richesse et origine des inégalités, PUF, 2016, 383 pages, 24 €.

LeprixNobelAngusDEATONproposeungrand livred’économie.Profondeurhistoriqueetsouciméticuleuxde la donnée permettent de mieux saisir santé,croissance et pauvreté. Tout en chargeant l’aide audéveloppement.AngusDEATONveut«conterl’histoiredu bien-être humain ». Il tire le titre de son ouvragedufilm«Lagrandeévasion».SteveMcQueenetsescomparsess’yéchappaientd’unstalag.PourDEATON,le monde, qui ne s’est jamais aussi bien porté, voit

descentainesdemillionsdepersonneséchapperàlapauvretéetàlafaim.Mais,commedanslefilm,certainsn’arriventpasàs’extrairedeleursdifficultés.D’autressontrattrapés.Enunmot,sitoutvaglobalementmieux,toutn’estpasrose.Loindelà.L’humanitéconnaîtsa«grandeévasion»,avecsesgagnantsetsesperdants,ceux qui sont encore prisonniers de la pauvreté et de la mauvaise santé. De1981à2008,alorsquelapopulationdespayspauvresaugmentaitde2milliardsd’individus,750millionsdepersonnessontsortiesde lapauvretéextrême.Alorsque40%delapopulationmondialevivaitavecuneéquivalencedemoinsdeundollarparjour,cetauxestpasséà14%.Lesdeuxgéantsdémographiquesindienetchinois,devenusdesgéantséconomiques,comptentpourunelargepartdanscette«évasion».L’Afriquesub-saharienneresteàl’écartdecesprogrèsspectaculaires.DEATON, analysant les diverses dimensions du bien-être, insiste sur le niveaudeviematérielet lasanté,deuxcomposantesprincipalesduprogrèshumain. Ils’intéresse aux entrelacs du progrès et de l’inégalité. Les inégalités, comme laforcedans«Laguerredesétoiles»,ontuncôtéobscur lorsqu’ellesasphyxientle progrès, généralement par accaparation d’une élite prédatrice. Elles ont leurcôtépositiflorsqu’ellesencouragentleprogrès.Allantdelarévolutionnéolithiqueà la révolution numérique, DEATON synthétise les avancéesmédicales commelesredoutablesdébatssur laqualitédesseuilsdepauvreté.Faceàlapauvreté,134milliardsdedollarsd’aidedespaysriches,en2011,représententunpeumoinsdeundollarparjourenpouvoird’achatpourlespauvresdespayspauvres.Surlepapier,lefluxd’aideseraitsuffisants’ilétaitversédirectementauxintéressés,pourlessortirstatistiquementdelapauvreté.Or,cen’estpaslecasetcelanesauraitl’être.Laluttecontrelapauvreténerelèvepasdelaplomberie.L’aideestsouventdétournéedansdessystèmescorrompusquienviventtotalement(l’aideextérieurereprésenterait le quart des dépenses gouvernementales auKenya, lamoitié en

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Zambie).SelonDEATON,quisemontreparailleursréservésurlagénéralisationdesexpérimentationscontrôlées,l’aidefinancièrepeutsapercequiestessentiel:desinstituonsefficaces.L’aidemédicale,elle,passeparlescanauxdusavoir.«Lameilleurefaçond’aiderlespauvresdelaplanèteestdeneplusleurapporteruneaidemassive»,écritDEATON,nourrissantdespolémiquesouvertesavecOXFAMouBillGATES.L’auteurdéclarefaireconfiance,nonpasaveuglémentàlacroissance,maisraisonnablementdanslascienceetlesinstitutions.Plusquelerevenu,cesontlesconnaissancesquiaméliorentlebien-être.Ilressortunouvrageempreintdeconsidérationsphilosophiquessurcequifaitqu’unevievautd’êtrevécue.Lerésultat,entoutcas,c’estunlivrequivauttrèslargementd’êtrelu.

Julien Damon

Note de lecture : par Julien DAMON, professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’EN3S.

The Economics of Poverty. History, Measurement, and Policy de Martin RAVALLION

Martin RAVALLION, The Economics of Poverty. History, Measurement, and Policy, Cornell University Press, 2016, 736 pages.

L’économisteMartinRAVALLIONaexercéunquartdesiècleàlaBanquemondiale,dont lamissionestd’«œuvrerpourunmondesans pauvreté ». Il y a contribué de façon décisive à la créationdesseuilsdepauvretéinternationaux.Leplusconnu,souslenomde « seuil à 1 dollar par jour », se situemaintenant à 1,9 dollarenparitédepouvoird’achat.Estpauvreunepersonnequinepeutconsommerplusquecequequelqu’unauxÉtats-Unispeutacheteravec1,9dollar.Lacommunautéinternationalefaitdel’éliminationdel’extrêmepauvreté,àceseuil,sonpremierobjectif.Lesprogrès

sont spectaculaires. Si environ 1milliard d’individus vivent aujourd’hui dans cette extrêmepauvreté,onestime,rétrospectivement,qu’àpeuprèslemêmenombredepersonnesétaientdanscettesituation ilyadeuxsiècles.Laproportion,parrapportà lapopulationmondiale,estainsipasséedeplusde80%àmoinsde20%.Lessuccèscontrelapauvretéabsolue,nourrisrécemmentparladynamiqueéconomiqueasiatique,contrastentavecl’augmentationdelapauvretérelative(celle-ciétantfonctiondel’évolutiondesniveauxdevie).Engros, lapauvreté globale s’effondre,mais les inégalités nationales augmentent. RAVALLION jongledidactiquement avec les chiffres. Décortiquant les dimensions relativement absolues (ledénuementtotal)etabsolumentrelatives(lesniveauxdeviesecomparentdansletempsetdansl’espace)delapauvreté,ilsoulignequecesont,autotal,plusde2,5milliardsd’individusquiviventsousceseuil internationalousousunseuilnationalcaractéristiquedupaysdans

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lequelilssetrouvent.Pondérantencorelesbonschiffres,RAVALLIONsignaleque97%delapopulationdespaysendéveloppementvivaienten1990sousleseuildepauvretéaméricain(àenviron13dollarsparjour),93%en2010.Deuxpériodessesingularisentdansl’histoiredelapauvreté,lafindu18esiècleetlesannées1960et1970.Googlepermetd’ailleursderepérerdeuxpicsdanslesoccurrencesduterme«pauvreté»danstousleslivrespubliésdepuis1700.Justifiéecommenaturelle,avantlesLumières,lapauvreté,n’étaitthèmed’actionpubliquequepourcontrôlerlespauvres.Elleseconçoitensuitecommelégitimementtraitableetpotentiellementéliminable.Rappelons-nousdela«déclarationdeguerreinconditionnellecontrelapauvreté»duPrésidentJohnsonen1964.Lapauvretén’apasétévaincue,maisellen’estplusvuecommeunenécessitédudéveloppement.Sonéradicationestérigéeenambitiondudéveloppement.Si le texte, rédigépour accompagner uncours,nesedévorepascommeunroman,iln’endemeurepasmoinscaptivant.Et l’auteur invite ses lecteurs à picorer, en fonction de leurs intérêts et niveauxdespécialisation,dans les10chapitreset127encadrésdecettesommesur lapauvreté,quipeutaussiselirecommeuntraitédescienceéconomiqueappliquée.Surleslimitesetdéfaillancesrespectivesdumarchéetdelacharité,surl’intérêtdenepasraisonneruniquemententermesd’utilitésmaisaussidecapacités.

Julien Damon

Note de lecture : par Gilles HUTEAU, Professeur en Protection sociale à l’École des Hautes Études de Santé Publique (EHESP).

Quelle(s) protection(s) sociale(s) demain ? Michel Borgetto, Anne-Sophie Ginon, Frédéric Guiomard (sous la direction de)

Michel BORGETTO, Anne-Sophie GINON, Frédéric GUIOMARD (sous la direction de), Quelle(s) protection(s) sociale(s) demain ?, Dalloz, coll. « Thèmes & Commentaires », 2016, 385 pages, 55 €.

Sans aucun doute le souvenir du 70e anniversaire de la sécurité sociale reste-t-il encore présent dansles esprits, ne serait-ce qu’en raison des diversesmanifestationsauxquelles iladonné lieu.Uned’entreelles a eu un écho tout particulier dans le mondeacadémique : il s’agit du colloque intitulé « Quelle(s)protection(s)sociale(s)demain?»quis’estdérouléà

l’universitéParisIIPanthéon-Sorbonneles8et9octobre2015.Unanplustard,

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lesactesdecelui-civiennentdeprendrelaformed’unouvragetoutencontinuantd’ignorerdefaçonsurprenantel’expression«sécuritésociale»auprofitdecellede«protectionsociale».Maispeut-êtrefaut-ilplutôts’enréjouir?Ilesteneffetsouventréducteuraujourd’huideseréférerauseulprismede lasécuritésocialepourenvisagerla couverture des risqueset des besoins sociaux.Sous l’effet des évolutions de ces vingtdernièresannées,lasécuritésocialedemeurecerteslapierreangulairedelaprotectionsocialemaiselleappelledeplusenplusuneconfrontationavecl’aideetl’actionsociales,laprotectioncomplémentaire ou même les fonds d’indemnisation sociale. L’approche qui sous-tend laconstructiondecelivreinvitedèslorsàsouscrireàl’expressiondeprotectionsociale.Commel’indiquentlescodirecteursdel’ouvrage«lesévolutionssociales,lesmutationsdessolidaritéset lamontéedespréoccupationséconomiqueset gestionnaires conduisent à s’interrogeràla fois sur les logiques, les principes, les techniques et les régulations qui sous-tendent etirriguentcesystème».Structuréesautourdequatregrandesparties reprenantchacunedeces interrogations, les 22 contributions de cetteœuvre collective se révèlent d’une granderichessed’autantplusquedesenseignants-chercheursétrangersyontprêtéleurplume.Laplupartdesgrandsdébatsqui traversentaujourd’hui lechampde laprotectionsocialesontdéveloppés.Onpeutciteràtitred’exemplesparmitantd’autres, lescontributionsd’Anne-SophieGinon«L’assurancemaladie :quelleplacepour lemarché?»,deDianeRoman«Laresponsabilisationde l’individu :queléquilibreentredroitsetdevoirs?»etdeRobertLafore,«Ajusterouréinventerlaprotectionsociale:laplacedel’individu».Ilrestenéanmoinspossibled’émettrequelquesregretscommel’absencedecontributionsurlamondialisationetlaprotectionsociale,ouencore,surlesmutationsdesorganismesdesécuritésocialeàl’heuredubigdata .Maiscenesont làquedespointsmineursauregardduplaisirqueprocure lalecturedecelivreabsolumentremarquable.

Gilles Huteau

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L’égalité entre les femmes et les hommes s’est progressivement affirmée en tant qu’objectif des politiques publiques, des politiques de protection sociale en particulier. Les inégalités se situent autant dans le monde professionnel que dans celui des protections et garanties organisées par la protection sociale. Celle-ci, avant d’être féministe, est très féminisée. Traiter de l’égalité femmes/hommes (l’ordre alphabétique compte) en protection sociale c’est l’aborder aussi dans les organismes. Des activités de care aux régimes complémentaires en passant par la prise en compte des aspects contemporains de la famille, le souci d’égalité ne s’incarne pas avec la même intensité dans les différents systèmes de protection sociale. Pour le mesurer, il faut analyser des instruments variés et des réformes emblématiques, déjà passées ou bien souhaitées. Cette préoccupation et cette ambition d’égalité traversent les débats contemporains sur le modèle social en général, sur l’assurance maladie et les retraites en particulier, mais aussi pour ce qui ressort de l’organisation et du management de la sécurité sociale.

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