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A LI B I S Polar, Noir & Mystère Au sommaire : 145 Camera oscura (XXXII) Christian Sauvé 159 L’Académie du crime Norbert Spehner 165 Encore dans la mire André Jacques Simon Roy Norbert Spehner L E VOLET EN LIGNE Gratuit N ˚ 32 L’ A NTHOLOGIE PERMANENTE DU POLAR

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ALIBISPPoollaarr,, NNooiirr && MMyyssttèèrree

Au sommaire :145 Camera oscura (XXXII)

Christian Sauvé

159 L’Académie du crimeNorbert Spehner

165 Encore dans la mireAndré JacquesSimon RoyNorbert Spehner

LE VOLET EN LIGNE

GGrraattuuiittN˚ 32 L’ANTHOLOGIE PERMANENTE DU POLAR

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Alibis est une revue publiée quatre fois par année par Les Publications delittérature policière inc.

Ces pages sont offertes gratuitement. Elles constituent le Supplément enligne du numéro 32 de la revue Alibis.

Toute reproduction – à l’exclusion d’une impression unique en vue de joindrece supplément au numéro 32 de la revue Alibis – est strictement interdite àmoins d’entente spécifique avec les auteurs et la rédaction.

Les collaborateurs sont responsables de leurs opinions qui ne reflètent pasnécessairement celles de la rédaction.

Date de mise en ligne : octobre 2009

© Alibis et les auteurs

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Camera oscura(XXXII)

C’est un trimestre de contrastes qui attendait l’amateur decinéma à suspense à l’été 2009. Entre les films d’action fantai-sistes et les quasi-documentaires d’un suspense insupportable,entre les éditoriaux acérés et les adaptations comiques de faitsvécus, entre les thrillers pure-laine et les aventures se déroulanten milieux exotiques, la variété ne pouvait être qu’au rendez-vous.Pour vous laisser guider à travers ces choix, faites confiance àCamera oscura.

Accrocs à l’adrénalineLe film d’action est unique au cinéma (parle-t-on souvent de

« romans d’action »?) et il s’agit d’une expérience poussée à unniveau surprenant de sophistication tant les poncifs du genre ap-paraissent maintenant incontournables. Pour un non connaisseur,cette sophistication peut être difficile à comprendre. La successionabsurde de poursuites, de fusillades et de trahisons qui est pré-sentée dans un film d’action typique aurait de quoi transformern’importe quelle personne ordinaire en loque terrifiée. Le hérosqui survit à une succession de périls mortels avec un sourire encoin expose donc son haut degré de pathologie suicidaire plutôtque son invincibilité. Tout cela sans compter les nombreusesentorses à la réalité auxquelles doivent sacrifier les cinéastess’ils veulent satisfaire les attentes des audiences sans cesse plusblasées.

L’aboutissement de tels compromis entre vérité et spectaclefait en sorte que des films comme G. I. Joe : The Rise of Cobra[G. I. Joe: Le Réveil du cobra] échappent à la réalité et semblentde plus en plus artificiels. Structures géopolitiques, lois de lanature et gros bon sens y sont tout à tour ignorés : il s’agit avanttout d’une fantaisie mettant en vedette armes futuristes et effets

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spéciaux. Qu’attendre de plus d’une adaptation de jouets destinésaux jeunes adolescents quand Transformers a bel et bien donnéle ton?

La prémisse a aumoins le mérite de ne pascamoufler ses intentions :alors qu’un cartel criminelaux armes hypersophis-tiquées subtilise des nano-bots capables de réduireune ville en poussière, une organisation tout aussi secrète recruteet s’organise pour éradiquer la menace grandissante. Réalisationde Stephen Sommers (qui ne cesse de péricliter depuis TheMummy et Van Helsing), G. I. Joe présente de l’action sansviolence, se transformant presque en un manège pour plus oumoins jeunes hommes n’ayant jamais perdu l’envie de crier« Pow Pow! ».

Par moments, G. I. Joe atteint ses objectifs : la meilleure sé-quence du film est sans aucun doute une poursuite effrénée à traversune Prague-imitant-Paris menacée par des nano-machines affamées,mettant en vedette des gros camions, un train, des exosquelettessuper-chargés et un hélijet. Le rythme est un peu trop frénétiquepour pouvoir souligner les moments les plus impressionnants, maisle tout est tourné de manière assez sentie, avec quelques longsplans qui permettent au spectateur d’apprécier les héros qui sepoursuivent (en autant qu’il ignore certains effets spéciaux pourle moins imparfaits.)

Quel dommage que le reste du film ne s’élève pas à la hauteurde cette séquence. Entre les bavardages pseudo-romantiques

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Photo : Paramount Pictures

Photo : Paramount Pictures

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navrants et la finale générique dont l’intérêt s’estompe au fil deson défilement, G. I. Joe incarne trop bien le blockbuster d’actiontypique contemporain: quelques bons moments dans un ensemblequi ne tient tout simplement pas debout, même avec des attentesmodestes !

Par contre, quel agréable contraste quand The Hurt Locker[Démineur] côtoie G. I. Joe dans un même cinéma. Car là où lefilm de Sommers est une caricature sans conséquence, le retourau grand écran de Kathryn Bigelow se fait à l’intérieur d’un filmde guerre exceptionnel, qui est aussi une étude psychologique desaccrocs à l’adrénaline et une expérience magistrale de suspenseau cinéma.

Le ton est donné dès les premières images quand une équipede soldats américains stationnés à Bagdad s’affaire autour d’unengin explosif. Ce sont des démineurs et leur travail consiste àdésamorcer des machines conçues pour tuer. Malgré l’emploi detechnologies avancées, une mort dramatique attend leur chefd’unité. Celui qui vient le remplacer n’a rien de calme ou rassurant:William James (Jeremy Renner, brillant) est un vétéran de laguerre en Afghanistan et il ne s’anime que lorsqu’il baigne dansle danger. Et plus Bagdad devient dangereuse, plus James prenddes risques inutiles, selon les deux hommes sous ses ordres, quis’inquiètent pour leur propre survie.

Un résumé de l’in-trigue ne peut qu’effleu-rer la demi-douzained’épisodes intenses quiforment l’essentiel dece thriller extrêmementréaliste. Délibérémenttourné avec caméra àl’épaule, presque sous laforme d’un documen-taire, The Hurt Lockern’a aucune difficulté àconvaincre de sa vrai-semblance même quandles épisodes de plus enplus traumatisants s’ac-cumulent, car au coursdu film, on en vient à

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Photos : First Light

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comprendre pourquoi James agit comme il le fait, après avoircru au départ qu’il était l’homme le plus dangereux sur la planète.Ses expériences, qui dépassent tout ce que ses camarades pour-raient tolérer, l’ont transformé en un homme incapable de vivresans être entouré par la constante tension d’une zone de guerre.

Triomphe de la réalisation à petit budget, The Hurt Lockera de quoi surprendre, et il plaira même à ceux qui ont vu beaucoupde films de guerre. Conçu sans intention politique mais avec unsouci du détail ambitieux, c’est certainement un des meilleursfilms sur l’invasion irakienne à avoir été tourné, et un mélangeadmirable de cinéma d’action et de drame plus profond. Lesquelques fautes du film, dont une deuxième moitié qui tire enlongueur, sont loin d’annuler ses qualités, à savoir que les soldatsne sont pas des jouets et que les plus héroïques d’entre eux nesont pas nécessairement les plus sains d’esprit. De quoi faireréfléchir lorsque se multiplient les explosions spectaculaires augrand écran.

Latitudes criminellesLe film à suspense a l’avantage de nous faire oublier nos vies

ordinaires, voire notre petit quotidien, et il peut même carrémentnous dépayser, comme le font les deux prochains films qui nousamènent très, très loin des lieux habituellement fréquentés parles lecteurs d’Alibis.

Ou peut-être pas : un des attraits de Whiteout [Enfer blanc],c’est de voir Hollywood aborder un environnement où neige,vent et glace dominent le paysage. Or, même les hivers canadiensles plus hostiles (durant lesquels on a tourné les plans extérieursde Whiteout) ont de la difficulté à rivaliser avec l’intensitéhivernale de l’Antarctique.

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Photo : Warner Bros

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C’est là qu’on trouve l’agente Carrie Stetko, qui a quitté lesÉtats-Unis – à la suite d’un traumatisme – pour se ressourcerdans un environnement où elle n’aura rien de plus compliqué àtraiter que des vols mineurs et des batailles d’alcooliques.Pourtant, quelques jours avant la fin des activités diurnes ducontinent, voici qu’elle doit composer avec un meurtre, un tueurdéterminé à couvrir ses traces et un avion-cargo russe enfouisous la glace. Alors que le continent se vide du personnel non-essentiel, parviendra-t-elle à survivre non seulement au tueur,mais à l’environnement qui les entoure?

Si Whiteout montre un peu d’originalité, c’est en raison del’environnement dans lequel se déroule son intrigue convenue.En plus des conditions météorologiques épouvantables quiexpliquent le titre du film, l’Antarctique isole, mutile et tue sapart de personnages, et la difficulté d’y vivre se reflète dans lequotidien des personnages : gageons que vous avez rarement vuune policière prendre aussi souvent des avions de brousse pourmener une enquête. Ceci dit, le film (adapté de la bande dessinéede Greg Rucka) manque de rigueur dans les détails et l’on sour-cillera, lorsque l’action se déplace à l’intérieur, de ne pas voir dejoues rosées ou blanchies par le froid, de cheveux tapés par lestuques, de locaux mal chauffés, de traces de neige fondue pouraccompagner les pas des personnages…

Ce qui est quand même un cran au-dessus du scénario, inca-pable de susciter l’intérêt. Whiteout est linéaire au point d’êtreprévisible : le nombre réduit de personnages fait en sorte qu’ilest élémentaire de deviner l’identité des forces agissant contreStetko. De plus, la réalisation assez ordinaire de Dominic Senane fait rien pour rehausser le film. Par moments, elle devientmême une embûche de plus : pendant les deux combats qui se

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Photo : Warner Bros

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déroulent au cœur d’une tempête de neige hurlante, il devientdifficile d’identifier les participants – encore plus de savoir qui al’avantage. Bref, à l’exception des éléments du décor, il y a bienpeu dans Whiteout à se mettre sous la dent.

L’approche prise par A Perfect Getaway [Un paradisd’enfer] n’est pas parfaite, mais elle a au moins l’avantage de nepas se reposer essentiellement sur les paysages. Car pour ce quiest de livrer un film divertissant, le film du scénariste/réalisateurDavid Twohy rencontre les attentes. Dès le départ, tous les élé-ments fonctionnent de belle façon : la caméra s’attarde juste assezlongtemps sur les décors hawaïens, puis sur le jeune couple venuy passer sa lune de miel. Alors que ceux-ci rencontrent un couplede vacanciers inquiétants, puis apprennent qu’un meurtre sordidea été commis pas très loin, leur idée d’aller passer un peu de tempssur une plage isolée ne parait plus aussi attrayante, surtout lors-qu’ils font la rencontre d’un deuxième couple étrange.

Twohy a fait cinq ans de pur-gatoire après l’échec retentissantde ses Chronicles of Riddick,mais auparavant, les films PitchBlack et Below, même s’ils avaientété sous-appréciés, avaient révéléses talents de cinéaste à suspense.Après les excès grandiloquents deRiddick, le voila de retour dans unfilm à budget réduit où il montreune efficacité maximale. Le film nes’emballe pas avant la toute fin,mais l’évolution de l’intrigue estsatisfaisante avec quelques inter-ludes insolites qui sont conçus pourn’être pleinement compris qu’auretournement final. Les jeunesacteurs en tête d’affiche semblent bien s’amuser, et les scènes àsuspense sont tournées avec savoir-faire. De plus, Twohy se paiequelques pointes de métafiction quand ses personnages discutentde techniques de scénarisation. D’un point de vue technique, APerfect Getaway réussit à plaire là où tant de thrillers ne réussissentmême pas à laisser une bonne impression.

Mais en tant que thriller conçu pour les férus du genre, ceteffort de Twohy appartient à la sous-catégorie des films à suspense

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construits autour d’un retournement particulièrement retors (commeBasic et Identity). Et puisque l’audience se fait finalement bernerpar des quasi-mensonges, sa réaction au moment du retournementrisque de faire passer au second plan les qualités du film. Sansrien éventer, il y a une différence entre être astucieux et toutsimplement tricher, et A Perfect Getaway s’approche péril-leusement de la deuxième option. Twohy joue avec des acquiscinématographiques familiers – tels l’attachement naturel desspectateurs aux protagonistes de l’intrigue – ou le montage desscènes – en les terminant avant le dévoilement d’informationscruciales, par exemple. Le résultat a beau sembler habile, consi-déré d’un certain angle, il donne l’impression désagréable d’avoirété trahi. Le film n’est donc pas entièrement honnête et cettesournoiserie finit par laisser un goût amer malgré un résultatsomme toute assez positif.

Ceci dit, le cinéphile qui a le choix entre Whiteout et A PerfectGetaway ne devrait pas hésiter à s’envoler pour Hawaii : si lerésultat final peut paraître frustrant, ce film demeure plus intéressantque le thriller antarctique, qui n’a aucune intensité.

De moins en moins drôle… ou l’inverseSuffisamment d’exemples existent pour nous rassurer : la

comédie n’est pas incompatible avec le suspense. Mais le dosagedes deux émotions nécessite du doigté. Les enjeux sérieux surlesquels se basent les thrillers ne résistent pas toujours aux ins-tincts subversifs de la comédie ; de même, la comédie peut écopersingulièrement si l’inquiétude provoquée par le suspense s’avèrejustifiée. Cet été, c’est àce délicat exercice d’hy-bridation que se sont at-taqués Rian Johnson etSteven Soderbergh. Lesrésultats sont instructifs.

C’est sans douteThe Brothers Bloom[Les Frères Bloom]qui, en tant que tentativepartielle de déconstruirele film d’arnaque en mettant en évidence les similitudes entrel’arnaque en tant que telle et l’art de raconter des histoires, s’avèrele moins bien réussi des deux films.

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Photo : Endgame

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Les premières minutes sont impeccables et l’on y apprendl’essentiel sur les étranges frères autour desquels tourne l’intrigue.Arnaqueurs depuis l’enfance, ils ne sont pas des partenaires égauxdans leurs entreprises criminelles: Bloom, le rêveur romantique, estcondamné à trahir les gens qu’il rencontre, alors que Stephen, lecerveau du duo, a com-pris depuis longtempsque les meilleures ar-naques doivent satisfairetout le monde – incluantles victimes. Quand dé-bute le film, Bloom ena assez de sa vie de cri-minel et veut tirer sa ré-vérence et Stephen leconvainc de tenter un dernier coup – la séduction d’une richehéritière qui semble avoir plus d’argent que de jugeote. Évi-demment, les apparences seront trompeuses.

Le charme de The Brothers Bloom s’effiloche dès que l’in-trigue démarre. Après la première demi-heure déjantée, on adroit à trente minutes bien inégales, puis à un dernier acte quitient à tout prix à donner une leçon aux personnages qui survivent.Or, l’effet n’est pas sans rappeler les tragicomédies de WesAnderson, à savoir que le spectateur, lui, ressort peu satisfait. Leproblème, c’est que The Brothers Bloom a l’ambition d’êtreplus qu’une simple comédie, et que, en conséquence, le film, aprèsun départ correct, s’enfonce dans la tragédie – une des dernièresscènes montre un protagoniste qui fond en larmes dans les brasd’un autre !

L’approche de Soderbergh dans The Informant! [L’Infiltré!]est bien différente. À première vue, ce film est l’adaptation del’incroyable vie de Mark Whitacre qui, au milieu des années 90,devint un délateur pour le FBI dans une histoire de manipulationdes prix de produits biochimiques. Les techniques naturalistesde Soderbergh ancrent le film dans la moche réalité du Midwestaméricain où travaille Whitacre : entre les champs de maïs et lesbureaux éclairés aux fluorescents, Decatur (Illinois) n’a rien debien séduisant. Whitacre semble, lui aussi, tout aussi terne : bio-chimiste révolté par les agissements de son employeur, il apparaîtdépassé par les demandes des agents du FBI qui s’occupent deson cas. Alors que s’amorce le film, des indices nous permettent

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Photo : Endgame

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cependant de se douter que ce ne sera pas un drame de délationordinaire, comme les éléments incongrus de la trame sonore –les monologues insipides de Whitacre (Matt Damon, méconnais-sable) –, la réalisation qui traîne en longueur…

Quand débute le deuxième acte du film, on comprend queWhitacre a non seulement des prétentions démesurées (« Appelle-moi agent 014… parce que je suis deux fois plus intelligent que007 »), mais que son manque d’instinct met constamment l’en-quête en danger : il raconte ses enregistrements secrets, regardedans les caméras cachées, annonce sa collaboration à des as-sociés… Quand les agents du FBI réussissent enfin à déposerdes accusations, on soupire de soulagement. Mais le bal ne faitque commencer.

Whitacre dévoile des secrets que même ses avocats sontétonnés d’apprendre… et alors que cette autre, autre facette de sapersonnalité se révèle au grand jour, on commence à comprendrepourquoi l’informateur se retrouvera éventuellement en prisonpour une longue sentence. Chemin faisant, le film devient deplus en plus ridicule, démolissant les mensonges de Whitacrealors que celui-ci multiplie les absurdités. Si les rires sont raresau début du film, ilsdeviennent de plus enplus fournis vers la fin.En racontant cette his-toire, Soderberg se paiesubtilement une satiredes mêmes thèmesabordés dans sonpropre Erin Brokovich,et finit par prouver quepersonne n’est parfait,et encore moins les in-formateurs.

Adapté de l’excep-tionnel livre documen-taire de Kurt Eichenwald,The Informant ! con-serve une bonne partiedes faits vécus tout enfaisant de Whitacre unpersonnage plus ridicule

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Photos : Warner Bros

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qu’en réalité. Le « véritable » Whitacre n’était pas un tel bouffonmême s’il souffrait probablement de déséquilibres psychologiques.Ses critiques les plus acharnés s’entendent pour dire qu’il neméritait pas une sentence aussi sévère.

Notons que le rythme des événements se fait beaucoup plussaccadé durant le dernier acte du film, les lents progrès initiauxlaissant place à une série de révélations sans répit. Ceci étant dit,les amateurs du livre seront surpris de voir des scènes reconstituéesavec une fidélité remarquable, jusque dans des détails qui n’ontaucun impact sur le déroulement de l’intrigue.

Le film de Soderbergh est beaucoup plus un divertissementqu’un documentaire. S’il n’y a pas de quoi en faire un plat, TheInformant ! est néanmoins un film inusité qui laissera un bongoût dans la bouche de l’audience – celui du rire. Ce qui, TheBrothers Bloom à l’appui, se révèle toujours une meilleure dé-cision que de laisser les spectateurs au bord des larmes, de la furieou de l’apathie.

Ploutocratie : une histoire incomplètePeu de chose semble associer le plus récent documentaire de

Michael Moore, Capitalism: A Love Story [Capitalisme: Unehistoire d’amour] et notre chronique de cinéma polar. Aprèstout, Moore livre avec ce film sa mixture habituelle d’éditorialismepopuliste, de bouffonnerie cabotine, de témoignages déchirantset de matériels d’archive surprenants. Si Camera oscura a déjàtraité de Bowling for Columbine et Fahrenheit 9/11 en raison deleur emphase sur les armes à feu et la violence menée par l’État,Sicko est passé sous silence : que dire de plus sur la noirceur dusystème de santé américain?

Mais là où Capitalism devient plus intéressant, c’est dans sadescription d’un ennemi bien réel : la capture du système politiqueaméricain par les intérêts des grandes institutions financières.Inutile de chercher bien loin de véritables ennemis lorsque s’an-nonce la ploutocratie des ultra-riches. Quand les banques dictentles lois, que les corporations prennent des polices d’assurancesur la vie de leurs employés et que les services policiers se fontla matraque du transfert des richesses, la réalité dépasse encynisme la fiction. Le film semble verser naturellement dans lesthéories de complot quand il examine la façon dont les banquesont dicté au gouvernement américain les termes de l’injection

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massive de capitaux pour les secourir de la faillite à la fin 2008 :et si, murmure sombrement une des sources de Moore, tout ceciavait été prémédité?

C’est cependant durant de tels moments que Capitalisms’avère le moins crédible, la simplification nécessaire à la pré-sentation de ces enjeux touffus au grand écran se combinant auxdésirs d’une audience convaincue d’avance de croire en l’existenced’un complot destiné à confier le pouvoir aux plus-riches-que-riches. Moore, entre un humour souvent facile et la manipulationémotionnelle de son audience par des témoignages déchirants,finit par ne pas insister sur les mécanismes subtils qui font ensorte qu’un système démocratique capturé par des intérêts capi-talistes est mû par les faiblesses de tous les acteurs impliqués. Iln’insiste pas non plus sur les rationalisations élaborées de ceuxqui défendent l’illusion de la mobilité sociale aux dépens deleurs propres intérêts. Il désigne des coupables sans reconnaîtreque tous sont complices.

Éparpillé et plus provocateur qu’analytique, Capitalism: ALove Story est un apport remarquable au discours politiqueaméricain (qui semble pathologiquement incapable de discuterdes failles systémiques d’un marché libre), mais il ne réussit pasà livrer une thèse aussi convaincante que celles développéesdans les films précédents de Moore. Pour une attaque plus soutenuede l’amoralité du capitalisme, on ira plutôt (re)voir du côté deThe Corporation…

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À la bonne adressePremier roman de Patrick

Senécal, 5150, rue des Ormesest le deuxième de ses livres àêtre porté au grand écran. Aprèsle succès autant critique quepopulaire de Sur le Seuil, ilsemblait inévitable de voird’autres romans de Senécaladapté au cinéma – on attendd’ailleurs Les Sept Jours dutalion d’ici quelques mois.

Les lecteurs de Cameraoscura peuvent présumer quece chroniqueur ne sera pas,malgré ses meilleurs efforts,entièrement détaché en ce quiconcerne le travail de Senécal,un écrivain qui figurait au sommaire du premier numéro d’Alibiset dont ce deuxième film fait l’objet d’un dossier spécial ailleurssur ce site. Cela étant, d’autres critiques du film confirment cer-taines de mes impressions : cette deuxième collaboration entreSenécal et le réalisateur Éric Tessier a su produire à nouveau uneœuvre de suspense efficace et maîtrisée.

C’est un bête accident de vélo qui amène Yannick Bérubé, lejeune protagoniste du film (Marc-André Grondin) à rencontrer lafamille Beaulieu. Mais il ne s’agit pas d’une famille comme lesautres : alors que Yannick entre dans leur maison pour panser sesblessures, il entend, puis découvre, un prisonnier agonisant dansune pièce transformée en cellule au deuxième étage de la maison.Avant même de s’enrendre compte, Yannickest à son tour enfermédans la pièce. LesBeaulieu ont de terriblessecrets…

Comme une bonnepartie des thrillers psy-chologiques qui s’arti-culent sur les captivités

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Photo : Cirrus Communications

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prolongées, la première heure de 5150, rue des Ormes a parfoisde quoi frustrer : alors que le film établit et renforce sa prémisse,les spectateurs habitués à l’héroïsme au grand écran verrontquantité d’occasions pour Yannick de sortir du piège dans lequelil est enfermé. Mais ce n’est pas un film d’action, et Yannick, quin’est qu’un jeune adulte ordinaire, ne s’échappera pas.

Alors que le film avance, deux choses deviennent évidentes :les secrets de la famille Beaulieu apparaissent de plus en plusgrotesques, et Tessier a choisi des acteurs capables de faire croireen ce qui se passe à l’écran. Norman D’Amour, en patriarchemeurtrier, a le rôle le plus difficile : sans sa performance impec-cable, le film aurait pu s’écrouler. Ailleurs au générique, SoniaVachon et Mylène St-Sauveur rehaussent l’impact du film touten donnant vie à des personnages sensiblement différents de ceuxconnus des lecteurs de l’œuvre d’origine.

Comparé au roman, le film 5150, rue des Ormes s’avèreraisonnablement fidèle : certains détails ont été ajoutés pour res-serrer l’intrigue et l’amener de 1991 à aujourd’hui. Des élémentsde la conclusion ont été modifiés, mais sans altérer le sentimentd’interruption d’une finale qui ne remet définitivement pas tout àl’ordre. Les amateurs de toute l’œuvre Senécal relèveront avecun certain plaisir les indices menant droit à Aliss.

Si le film ne s’avère pas tout à fait sans fautes (les spectateursles plus tatillons passeront des commentaires sur la durée de vie

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des piles de l’appareil vidéo de Yannick, sur la longueur de sabarbe au fil de sa captivité, sur certains risques pris par les Beaulieumeurtriers ou sur la passivité du protagoniste…), il n’en demeurepas moins un film à suspense troublant, qui réussit à recréer uneambiance d’horreur profonde au cœur même d’une banlieueordinaire. Et s’il n’est plus nécessaire de dire que les films d’icise comparent généralement bien à ce qui se fait ailleurs, des succèscomme 5150, rue des Ormes seront toujours les bienvenus.

Bientôt à l’afficheL’an 2009 s’achèvera, comme à l’habitude, par l’arrivée en

salle de films souvent plus audacieux que ceux à l’affiche dans lescinéplex pendant la saison estivale. Ce qui ne veut pas dire quetout s’annonce intéressant : on défie ceux qui ont vu les bandes-annonces de Ninja Assassin et The Stepfather de nous dire enquoi ces films pourront échapper aux clichés. L’arrivée des suitesplus ou moins attendues Saw VI et Boondock Saints II ne pro-posera pas non plus d’innovations radicales. Par contre, des filmssemblent prometteurs: Law Abiding Citizen et Armored donnentau moins l’espoir de films à suspense bien ficelés, alors que laréinvention de Sherlock Holmes selon les codes du blockbustera de quoi intriguer. Mais si l’on doit parier sur les surprises, ilsera peut-être sage de porter attention aux hybrides : FantasticMr. Fox adapte une fable criminelle pour enfants en animationimage-par-image, alors que The Men Who Stare at Goatsadapte – sous forme de comédie ! – un essai documentaire quis’intéressait aux recherches occultes menées par l’armée améri-caine.

En attendant de voir ce qui surprendra et ce qui ne laisseraaucun souvenir, bon cinéma!

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� Christian Sauvé est informaticien et travaille dans la région d’Ottawa. Sa fascination pour le cinémaet son penchant pour la discussion lui fournissent tous les outils nécessaires pour la rédaction decette chronique. Son site personnel se trouve au http://www.christian-sauve.com/.

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L’Académie du crime

NORBERT SPEHNER

LITTÉRATURE

BELLET, AlainÉcrire un roman policier et se faire publierParis, Eyrolles (Les Ateliers d’écriture), 2009, 135 pages.

CRAIG-ODDERS, Renée & Jacy COLLINS (eds)Crime Scene Spain: Essays on Post-Franco Crime FictionJefferson (NC), McFarland, 2009, 216 pages.

DREW, Bernard A.100 Most Popular Thriller and Suspense Authors (Biogra-phical Sketches and Bibliographies)Wesport (Conn.), Libraries Unlimited (Popular Authors Series),2009, 480 pages.

GABERT, Jean-ManuelFantômas : le magicien du crimeParis, La Belle Gabrielle (La légende de Montmartre), 2009,131 pages.

GOODMAN, Robin TruthPolicing Narratives and the State of TerrorAlbany, State University of New York Press, 2009, 208 pages.

GORRARA, Claire (ed.)French Crime FictionCardiff, University of Wales Press, 2009, x, 141 pages.

Quoi de neuf à propos du roman et du film policiers ? Cette rubrique,qui se veut le pendant « non-fiction » de celle que vous trouvez dans levolet papier d’Alibis, « Le Crime en vitrine », vous propose un choixd’études internationales sur divers aspects du récit et du film policier.

La bibliographie est divisée en trois parties : les études littéraires, quiportent donc sur la littérature policière proprement dite, les essais surdes auteurs spécifiques et les essais qui traitent du cinéma ou de latélévision.

Note importante : afin d’éviter les dédoublements, les études et les essaisqui, jusqu’à maintenant, étaient recueillis et ajoutés aux dossiers biblio-graphiques disponibles sur le site Internet, sont désormais répertoriésuniquement dans cette rubrique.

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L’ACADÉMIE DU CRIME

HARDWICK, LouiseNew Approaches to Crime in French Literature, Cultureand FilmNew York, et al., Peter Lang (Modern French Identities), 2009,237 pages.

JAMES, P. D.Talking About Detective FictionOxford, The Bodleian Library, 2009, 144 pages.

JOHNSON, KevinThe Dark Page II : Books That Inspired American FilmNoir (1950-1965)New Castle (DE), Oak Knoll Press, 2009, 272 pages. Préfacede Guy Maddin.

JOHNSON, Tom, et al.The Phantom Detective CompanionScotts Valley (CA), CreateSpace, 2009, 416 pages.

KAJENBRINK, Marieke & Kate M. QUINN (eds.),Investigating Identities. Questions of Identity in Contem-porary International Crime FictionAmsterdam & New York, Rodopi (Textet – Studies in Com-parative Literature, 56), 2009, xi, 348 pages.

KORD, SusanneMurderesses in German Writings, 1720-1860 : Heroinesof the HorrorNew York, Cambridge University Press, 2009, 276 pages.

LAVERGNE, Elsa deLa Naissance du roman policier français. Du SecondEmpire à la Première Guerre mondialeParis, Classiques Garnier (Études de littérature des XXe etXXIe siècles), 2009, 413 pages.

McDONALD, Craig (ed.)Rogue Males: Conversations & Confrontations about TheWriting LifeMadison (WI), Bleak House Books, 2009, 320 pages.Recueil d’entrevues avec seize écrivains parmi lesquelsElmore Leonard, Ken Bruen, James Ellroy, Lee Child, MaxAllan Collins…

MENGEL, BradSerial Vigilantes of Paperback Fiction (An Encyclopediafrom Able Team to Z-Com)Jefferson (NC), McFarland, 2009, 233 pages.

PENZLER, Otto (ed.)The Lineup; The World’s Greatest Crime Writers Tell theInside Story of their Great DetectivesNew York, Little Brown, 2009, 416 pages.

PIETTE, AdamThe Literary Cold War, 1945-Vietnam: Sacrificial Logicand Paranoid PlotlinesEdinburgh, Edinburgh University Press, 2009, 272 pages.

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ROLLS, Alistair (ed.)Mostly French: French (in) Detective FictionNew York, et al., Peter Lang (Modern French Identities), 2009,204 pages.

ROLLS, Alistair & Deborah WALKERFrench and American Noir : Dark CrossingsNew York, Palgrave Macmillan, 2009, 208 pages.

SARROT, Jean-Christophe & Laurent BROCHELe Roman policier historique: histoire et polar, récit d’unerencontreParis, Nouveau Monde (Histoire), 2009, 300 pages.

SOLER, Nieves PascualMurder by Cookbook: A Critical Study of Female CulinaryDetective StoriesLewiston (NY), Edwin Mellen Press, 2009, 212 pages.

XANTHOS, NicolasDe l’empreinte au récit. Destin de l’indice et de l’actiondans le roman policierQuébec, Nota Bene, 2009, 379 pages.

A PROPOS DES AUTEURS

ASSOULINE, PierreAutodictionnaire SimenonParis, Omnibus, 2009, 864 pages.

BISHOP, DavidThe Complete Inspecteur MorseLondon, Reynolds & Hearn, 2009, 276 pages. Nouvelle édi-tion révisée et augmentée.

CROWDER, David A.Sherlock Holmes for DummiesHoboken (NJ), For Dummies, 2009, 384 pages.

Sherlock Holmes pour les nuls.

HACK, RichardDuchess of Death: The Unauthorized Biography of AgathaChristieSan Francisco, Phoenix Books, 2009, 284 pages.

HAMMETT, JoDashiell Hammett, mon pèreParis, Rivages (Rivages/Noir), 2009, 190 pages.

Réédition de Album de famille : Dashiell Hammett, 2002.

JONES, JuliaThe Adventures of Margery AllinghamChelmsford Essex (UK), Golden Duck, 2009, xxxiv, 430 pages.Préface de Nicci Gerard.

Réédition de Margery Allingham: a Biography, 1991.

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L’ACADÉMIE DU CRIME

LEROY, ArmelleSur les traces d’Agatha Christie (L’Encyclopédie de lareine du crime)Paris, Hors Collection, 2009, 144 pages.Largement illustré de documents originaux.

MARICOURT, ThierryDaeninckx par DaeninckxParis, Le Cherche midi (Autoportraits imprévus), 2009, 250pages.

NEVINS, Francis M. (ed.)The Anthony Boucher Chronicles : Reviews and Com-mentary, 1942-1947Vancleave (MS), Ramble House, 2009, 472 pages.

RIGGS, RansomThe Sherlock Holmes Handbook : The Methods andMysteries of the World’s Greatest DetectivePhiladelphia (PA), Quirk Books, 2009, 244 pages.

SMITH, DanSherlock Holmes : A Reader’s CompanionLondon, Aurum Press, 2009, 224 pages.

THOMASSIN, ÉtienneMillénium décryptéParis, City, 2009, 220 pages.

THOMSON, Brian LindsayGraham Greene and the Politics of Popular Fiction and FilmNew York, Palgrave Macmillan, 2009, 248 pages.

WEBER, John E.Under the Darkling Sky : Chrono-Geographic OdysseyThrough the Holmesian CanonShelburne (Ont.), Battered Silicon Dispatch Box, 2009, 400pages.

WEST, NigelHistorical Dictionary of Ian Fleming’s James BondLanham (MD), The Scarecrow Press, 2009, 272 pages.

CINÉMA & TÉLÉVISION

ASIMOW, Michael (ed.)Lawyers in Your Living Room! Law on TelevisionChicago, American bar Association, 2009, 432 pages.

BALLINGER, AlexandreLe Rough Guide du film noirParis, Tournon (Rough Guides), 2009, 310 pages.

BOURGET, Jean-LoupFritz Lang, Lady KillerParis, Presses Universitaires de France (Perspectives critiques),2009, 304 pages.

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BOYD, Susan C.Hooked : Drug War Films in Britain, Canada and theUnited StatesToronto, University of Toronto Press, 2009, 224 pages.

BROOK, VincentDriven to Darkness : Jewish Emigre Directors and theRise of Film NoirNew Brunswick (NJ), Rutgers University Press, 2009, 256pages.

BYERS, Michele & Val Marie JOHNSON (eds.)The CSI Effect : Television, Crime and GovernanceLanham (MD), Lexington Books, 2009, 294 pages.

COLLECTIF (Radio Times)Radio Times 100 Greatest Film ThrillersLondon (UK), Radio Times, 2009, 224 pages.

CONNERS, Barry et Philip KleinCharlie Chan’s Chance : The Screenplay for the LostCharlie Chan FilmRockville (MD), Wildside Press, 2009, 114 pages.

COX, JimMr Keen, Tracer of Lost Persons : A Complete History andEpisode Log of Radio’s Most Durable DetectiveJefferson (NC), McFarland, 2009, 374 pages.

DAWN, Randy & Susan GREENThe Law & Order : Special Victims Unit Unofficial Com-panionDallas (TX), BenBella Books, 2009, 416 pages. Préface deDick Wolf, créateur de la série.

DK PUBLISHINGThe James Bond EncyclopediaNew York, DK Adult, 2009, 336 pages.

FAY, Jennifer & Justus NIELANDFilm Noir : Hard-Boiled Modernity and the Cultures ofGlobalizationNew York, Routledge (Routledge Film Guidebooks), 2009,256 pages.

FLORY, DanPhilosophy, Black Film, Film NoirPittsburgh, Pennsylvania State University Press, 2009, 368pages.

GROSSMAN, JulieRethinking the Femme Fatale in Film Noir : Ready forHer Close-UpNew York, Palgrave Macmillan, 2009, 208 pages.

HANNSBERRY, Karen BurroughsFemme Noire : Bad Girls of FilmJefferson (NC), McFarland, 2009, 643 pages.Réédition de 1998.

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L’ACADÉMIE DU CRIME

LEWIS, JonThe GodfatherLondon, British Film Institute (BFI Film Classics), 2009, 96pages.

MANN, DaveBritain’s First TV/Film Crime Series and the Industriali-sation of its Film Industry, 1946-1964Lewiston (NY), The Edwin Mellen Press, 2009, 309 pages.Préface d’Andrew Spicer.

MILLER, Seton I.Charlie Chan’s Courage : The Screenplay for the LostCharlie Chan FilmRockville (MD), Wildside Press, 2009, 114 pages.

MOINE, Raphaëlle, Brigitte ROLLET & Geneviève SEL-LIER (dirs.)Policiers et criminels : un genre populaire européen surgrand et petit écransParis, et al., L’Harmattan, 2008, 323 pages.

OELER, KarlaA Grammar of Violence : Violent Scenes and Film FormChicago, The University of Chicago Press, 2009, 284 pages.

PHILLIPS, AlastairRififiLondon, I. B. Tauris (French Film Guide), 2009, 136 pages.

POLLOCK, Griselda & Victoria ANDERSON (eds.)Bluebeard’s Legacy : Death and Secrets from Bartok toHitchcockLondon, et al., I. B. Tauris, xxx, 258 pages.

PRINCE, StephenFirestorm: American Film in the Age of TerrorismNew York, Columbia University Press, 2009, 400 pages.

RUBLE, RaymondRound Up the Usual Suspects : Criminal Investigation inLaw and Order, Cold Case and CSIWestport (Conn.), Praeger, 2009, xxxi, 159 pages.

SCHAPIRO, Steve & Paul DUNCANThe Godfather Family AlbumNew York, Berlin, et al., Taschen, 2009, 444 pages.

SCHNEIDER, Steven Jay100 Gangster Movies You Must See Before You DieHauppauge (NY), Barron’s Educational Series, 2009, 416pages.

STOKES, MelvynGildaLondon, British Film Institute, 2009, 96 pages.

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Attention, chef-d’œuvre !

La seule et unique raison pour laquelle jeme suis décidé à lire Vendetta, c’est parce quece roman a été écrit par l’écrivain anglais R. J.Ellory dont j’ai déjà louangé le remarquableSeul le silence (Sonatine), une histoire de tueuren série peu banale et chargée d’émotion. Engénéral, je néglige les histoires où il est questionde la mafia, mais cette fois, par curiosité, j’aifait une exception afin de vérifier si Ellory allaitune fois de plus réussir à m’entraîner dans uneintrigue de qualité. Dire que je n’ai pas été déçuest un euphémisme car en termes de qualitéVendetta se situe un cran au-dessus du récitprécédent.

C’est une histoire envoûtante, absolumentpassionnante, presque entièrement basée surun témoignage, celui d’un tueur de la mafia quivient confesser ses crimes au FBI dans des cir-

constances pour le moins étranges et étonnantes.Ernesto Perez a enlevé la fille du gouverneur dela Louisiane après avoir massacré son garde ducorps. Puis il se livre aux autorités et demandeà s’entretenir avec Ray Hartmann, un obscurfonctionnaire qui travaille à Washington dansune unité de lutte contre le crime organisé. Siles autorités acceptent sa demande, il leur per-mettra de retrouver la jeune fille. Commencealors un récit hallucinant, extrêmement violentpar endroits, dans lequel Perez raconte l’histoirede sa vie au service des grandes familles ma-fieuses d’origine italienne. Une vraie tranched’histoire, bien saignante, où s’agitent des per-sonnalités célèbres comme John Kennedy,Marylin Monroe, Fidel Castro ou Jimmy Hoffa,dont le meurtre est raconté avec un luxe dedétails. Chaque chapitre raconte un nouvel épi-sode pittoresque et sanglant de la carrière dePerez, alors que de petits chapitres intercalaires

ENCOREDANS LA MIRE

de

André Jacques, Simon Royet Norbert Spehner

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déjà, avec en tête La Trilogie berlinoise, dePhilip Kerr (ainsi que les deux volumes suivantsde la série), Vendetta, une formidable histoirede vengeance, fait partie de mon best of del’année. Une petite précision : même si lesintrigues de ses romans se déroulent aux États-Unis, Roger Jon Ellory est un auteur britannique(il est né à Birmimgham en 1965). On parleraun jour plus longuement de ces « crimes enterre étrangère », de ces auteurs qui situentleurs intrigues dans d’autres pays. Mais pour lemoment, comme le disait si bien Kipling, « Ceciest une autre histoire ! » (NS)VendettaR. J. ElloryParis, Sonatine, 2009, 652 pages.

Le retour de Dave Robicheaux

La remarque est là quelque part, faite parDave Robicheaux qui dit à peu près ceci : « Siquelqu’un croit qu’il peut accéder à une positionde pouvoir et de richesse en Louisiane et celasans négocier avec le diable, il ne connaît pro-bablement rien au diable et encore moins à laLouisiane ». Voilà qui résume assez bien la philo-sophie de James Lee Burke dans L’Emblèmedes croisés, quatorzième roman de la série desaventures de son détective fétiche, plus tour-menté que jamais, notamment par ses problèmesde boisson.

Deux récits se télescopent dans ce polar quiest un des meilleurs de la série. À la suite de laconfession d’un ancien condisciple d’universitésur son lit de mort, Robicheaux se remémoreune jeune femme qui a marqué sa jeunesse etcelle de Jimmie, son demi-frère. Dans les annéescinquante, ils avaient rencontré Ida Durbin surune plage de Galveston, au Texas. Elle était

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nous montrent les réactions des policiers chargésde l’affaire, ainsi que celles de ce mystérieuxHartmann devenu à son corps défendant le con-fesseur du tueur.

En plus de l’aspect historique, tout à faitpassionnant et instructif, Ellory entretient unsuspense angoissant avec une série de questionssous-jacentes qui s’imposent au lecteur au furet à mesure qu’il progresse dans l’intrigue.Pourquoi cette confession ? Pourquoi avoir choisiHartmann, une épave alcoolique avec de gravesproblèmes conjugaux ? Qu’est-il réellement ad-venu de la fille enlevée ? Est-elle toujours envie ? Quand arrive le dénouement, spectacu-laire, imprévisible et carrément génial, on restebouche bée devant le talent et l’imagination decet auteur qui vient de nous servir un menuriche et varié : des prémisses intrigantes, unesacrée leçon d’histoire, une tension dramatiqueinsidieuse, bien dosée, un personnage extra-ordinaire, complexe, inoubliable, et quelquessurprises, jamais artificielles, qui respectent lavraisemblance !

L’année 2009 n’est pas encore terminée etpeut encore réserver de bonnes surprises mais

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ravissante et Jimmie en était tombé amoureux,ignorant qu’elle travaillait dans un bordel de lamafia. Puis elle avait disparu, sans laisser detraces. Ayant repris du service dans la police,Robicheaux, persuadé qu’Ida a été assassinée,décide de rouvrir le dossier, ce qui ne fait pasl’affaire de tout le monde. On lui fait com-prendre, parfois brutalement, qu’il est dangereuxde poser des questions sur cette affaire et il seheurte au puissant Val Chalons, rejeton d’uneriche et influente famille de Louisiane, famillequi a fricoté avec la mafia locale et trempédans toutes sortes d’histoires sordides.

Alors que Robicheaux accumule les ennuiset les menaces, un tueur en série s’en prend àdes jeunes femmes de la Nouvelle Orléans, qu’iltue de manière atroce. Laissons parler l’éditeurqui, une fois n’est pas coutume, a parfaitementraison d’écrire ceci : « L’Emblème du croisé estun livre riche, ambigu et ensorcelant, une pureémanation de la terre de Louisiane ». Dans ceroman, James Lee Burke a su trouver le parfaitéquilibre entre un suspense soutenu, une actioncontinue et ces petites touches descriptives, par-faitement intégrées au récit qui lui donnent toutesa saveur et sa petite tonalité exotique typique

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des romans de cette série. En prime, nous avonsdroit à une petite intrigue romantique puisqueDave Robicheaux se trouve une nouvelle com-pagne.

Pour ceux que ça intéresse, il est possiblede voir Dave « Belle mèche » Robicheaux surgrand écran (disponible en DVD), dans la peaude Tommy Lee Jones (j’ai toujours imaginéRobicheaux avec les traits de cet acteur !) dansune adaptation de Dans la brume électrique avecles morts confédérés par Bertrand Tavernier. (NS)L’Emblème du croiséJames Lee BurkeParis, Rivages (Thriller), 2009, 364 pages.

Une bonne main mais un jeu dangereux

Quand un auteur a la célébrité d’un LawrenceBlock, les éditeurs ont tendance à fouiller sesfonds de tiroirs. Parfois, ils y dénichent une perlerare et oubliée ; parfois, des textes sans intérêtqui pourraient bénéficier de la notoriété de leurauteur. Heureux au jeu appartient au premiergroupe. Ce court roman a d’abord été publié en1964 sous le titre The Sexual Shuffle et sous lepseudonyme de Sheldon Lord. Jusqu’à main-tenant, le roman n’avait jamais été traduit enfrançais.

L’intrigue est simple. William Maynard, untricheur professionnel, quitte Chicago où il s’estfait joyeusement amocher à cause d’une arnaquequi a mal tourné. En route vers New York, il s’ar-rête dans une petite ville pour se faire arrangerquelques dents branlantes. Puis le dentiste l’en-traîne à une partie de cartes chez un de sesamis, le riche avocat Murray Rogers. Maynardle Magicien profite de l’occasion pour se refaireet empoche près d’une centaine de dollars.N’oublions pas que nous sommes en 1960 et

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tiste lui présente une belle veuve. Disponible,intelligente et attrayante. Nouvelle flamme.

Dès lors, tout s’effondre et c’est le dérapage.Maynard le Magicien se retrouve tiraillé entrela passion névrotique de Joyce et l’attrait d’unevie rangée. Et peu à peu, tout déraille et celuiqui se voulait arroseur se retrouve dans la positionde l’arrosé.

Lawrence Block nous livre dans Heureux aujeu une petite intrigue simple et efficace. Lespersonnages nous paraîtraient aujourd’hui unpeu éculés, presque caricaturaux. Le joueur à ladérive qui carbure au Cutty Sark et qui s’empêtredans des arnaques minables. La femme fatalequi entraîne le héros (ou l’antihéros) dans lesabîmes du Mal. On plonge ici dans l’atmosphèreenfumée des vieux films de série B tournés ennoir et blanc. Le rôle de Maynard pourrait trèsbien être tenu à l’écran par Humphrey Bogartou James Cagney. On retrouve aussi dans ceroman le style direct, sec et épuré des grandsclassiques du roman noir américain : RaymondChandler, Dashiell Hammett… L’influence iciest évidente. Un pur délice pour les amateurs.

Bref, un petit roman de moins de deux centspages qui se lit avec un immense plaisir et quinous ramène aux racines du roman noir. Commequoi, certains fonds de tiroirs méritent de revoirla lumière du jour. (AJ)Heureux au jeuLawrence BlockParis, Seuil (Policiers), 2009, 189 pages.

Nuits torrides à Bangkok

Dans la culture thaï, les fantômes existent !Ils font partie de la vie et n’hésitent pas à com-mercer, même sexuellement, avec les vivants.

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que la bière se vendait alors dix cents dans lesbars et les tavernes. Cent dollars, c’est unesomme.

Tout va donc pour le mieux. Maynard s’ins-talle dans un hôtel minable et continue sa petitevie de tricheur prudent. Il perd un peu, gagneun peu, reperd et, de temps en temps, empocheune grosse cagnotte. Et puis un soir, Joyce, lajeune, blonde et jolie épouse de l’avocat Rogersse présente à sa chambre d’hôtel et se jettedans ses bras. S’ensuit une nuit sulfureuse.Mais la belle est malheureuse et voudrait se dé-barrasser de son ennuyeux mari. De plus, elleavoue à Maynard qu’elle l’a vu tricher lors dela première soirée de cartes. Elle le tient doncdoublement à sa merci : par la passion et par lechantage. Le Magicien concoctera donc un planpour faire inculper le mari.

Au début, tout va bien. Le plan se déroulecomme prévu. Mais c’est sans compter surquelques imprévisibles. D’abord, il y a tous cesnouveaux amis qui voudraient bien que Maynards’installe dans la ville et y fasse son nid. Rogerslui trouve même un emploi très bien rémunérédans une maison de placements. Et puis le den-

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extrêmes, il doit faire face à l’un des person-nages les plus puissants de la ville. Cela déplaîtà son supérieur immédiat, le colonel Vikorn, unflic corrompu jusqu’à la moelle qui veut en pro-fiter pour faire chanter le type en question. Cefaisant, il joue avec le feu mais de toute manière,Sonchaï ne se laisse pas intimider.

On parle souvent d’exotisme quand l’intrigued’un polar se déroule en terre étrangère. Avocatde formation, John Burdett a d’abord travaillé àHong Kong avant de se fixer définitivement enAsie. Il nous propose un regard de l’intérieursur la Thaïlande contemporaine et, à traversJitpleecheep, il nous met en contact direct avecla culture et la sensibilité thaï. À travers lesexcellents romans de cette série à ne pas man-quer, il offre une plongée dans la Thaïlanded’aujourd’hui très loin des clichés occidentauxsur les sociétés orientales. Chaque roman est unmélange bien dosé d’intrigue policière et d’étudede mœurs, avec en prime une touche d’ironie(Sonchaï est très politiquement incorrect) et desensualité très agréable. Ce sont des polars d’at-mosphère totalement dépaysants, très instructifs.Dans celui-ci, par exemple, on apprend ce qu’estle « jeu de l’éléphant », une manière assezbrutale et lourdement efficace d’exécuter uncondamné en se servant de pachydermes ama-teurs de ballons (farcis aux condamnés!). Un trucdiantrement sadique, redoutablement efficace,que j’aimerais voir pratiquer avec volupté surcertains financiers retors… Bref, je recommandefortement la lecture de ces romans ! (NS)Bangkok PsychoJohn BurdettParis, Presses de la Cité (Sang d’encre), 2009,343 pages.

C’est ainsi que l’inspecteur Sonchaï Jitpleecheepreçoit des visites érotiques nocturnes de Damrong,une prostituée qu’il a aimée jusqu’à l’obsessionquatre ans plus tôt et qui continue de le hanterpar-delà la mort. Car Damrong a été assassinéeet Sonchaï a pu visionner le snuff movie de sonexécution. Pour que la belle Damrong repose enpaix et le laisse enfin tranquille, Sonchaï doitmettre la main sur son assassin. C’est là le fil del’intrigue de Bangkok Psycho, troisième voletdes aventures de l’inspecteur Jitpleecheep,affecté au 8e District, le quartier chaud deBangkok. Sonchaï est un flic atypique, tenancierde bordel à ses heures, qui a la particularitéd’être honnête. Ses amis disent de lui qu’il estun saint. En tout cas, il semble être le seul flicde toute la Thaïlande à ne pas succomber à lacorruption, un sport national qui recrute deschampions toutes catégories.

Bouddhiste pratiquant, Sonchaï est un sage.C’est aussi un flic compétent, perspicace et d’uneténacité à toute épreuve. Quand son enquête lemène à un club privé de Bangkok dont lesmembres font tout pour satisfaire leurs fantasmes

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Amnésie fatale !

Je te vois est le titre français de The CrimeWriter, le premier polar traduit (mais pas sonpremier livre publié) de Gregg Hurwitz, un écrivainaméricain qui, après des études de littérature àHarvard puis à Oxford, s’est lancé dans l’écriture.Il est scénariste pour la bande dessinée, le cinémaet la télévision, ce qui se remarque dans la struc-ture rythmée du roman et dans l’écriture qui nes’encombre pas de fioritures ou de descriptionsinutiles. Je te vois est un de ces best-sellers àl’américaine qui n’a d’autre ambition que denous distraire avec une histoire bien ficelée.

Dans ce récit à suspense, le personnageprincipal Drew Danner est un auteur de romanspoliciers qui se réveille un jour à l’hôpital sansaucun souvenir d’avoir été retrouvé inconscientà côté du cadavre de son ex-fiancée tuée àcoups de couteau. Alors que tout l’accable, ilignore s’il est coupable ou non, car il souffred’amnésie suite à l’ablation d’une petite tumeurau cerveau. Ayant été acquitté pour cause deproblèmes mentaux, Danner décide de faire lalumière sur les événements tragiques qui ontconduit à son arrestation. Il veut savoir s’il est

oui ou non coupable du meurtre de son ex ! Dujour au lendemain, l’écrivain de polar se retrouveen quelque sorte dans la peau d’un de ses per-sonnages et se met à explorer les nombreuxrecoins de son existence. Les choses se com-pliquent quand il est impliqué dans une deuxièmeaffaire de meurtre dont on veut lui attribuer laresponsabilité. Il lui faudra de l’aide pour setirer d’affaire.

Riche en rebondissements et en tensiondramatique, ce roman traite d’un sujet souventabordé dans le polar ou dans le roman d’es-pionnage contemporains : un personnage principalamnésique accusé de meurtre ou impliqué dansun complot. Les meilleurs exemples sont sansdoute Bone, de George Chesbro, qui a des pré-misses un peu semblables (un clochard amné-sique retrouvé sur les lieux d’un crime, couvertdu sang de la victime et brandissant un fémurhumain !) ou La Mémoire dans la peau du(presque) défunt Robert Ludlum.

Je te vois est un produit de série issu del’usine à best-sellers, avec ce qu’il faut de situa-tions tordues, de rebondissements, de faussespistes pour titiller l’imagination du lecteur, touten endormant son sens critique. Le coupable estévidemment insoupçonnable, tout comme sesmotifs. Mais une fois le pot aux roses découvert,on se surprend à songer à rebours que bien deséléments de ce récit ne servent finalement qu’ànous manipuler, histoire de maintenir un peuartificiellement un suspense qui doit s’étirer surplus de trois cents pages. Bref, Je te vois est unthriller distrayant, sans plus, avec une idée dedépart prometteuse, mais qui a déjà été mieuxtraitée ailleurs. (NS)Je te voisGregg HurwitzParis, Presses de la Cité (Sang noir), 2009, 358pages.

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Maria Goretti, héroïne de polar…

Il faut un sacré culot et peut-être une certainedose d’inconscience pour écrire un polar ayantpour thème l’histoire de Maria Goretti, sainte etmartyre, assassinée en juillet 1902 après avoirrefusé de céder aux avances de son agresseur.Béatifiée le 27 avril 1947, « celle qui a ditnon » fut ensuite canonisée le 24 juin 1950 etdéclarée sainte et martyre ! Cette histoire ôcombien tragique est à la base de Je compte lesmorts de Geneviève Lefebvre, réalisatrice, tra-ductrice, auteur et scénariste chevronnée qui aabondamment écrit pour la télévision et dont leblogue Chroniques blondes est, paraît-il, trèsfréquenté. Je compte les morts est son premierpolar.

C’est l’histoire un peu fantasque d’AntoineGravel, un scénariste fauché et déprimé, qui vitavec un cochon mélomane (il adore MoniqueLeyrac), son seul confident. Maggy Sullivan,une productrice de film, lui demande de scéna-riser l’histoire de Maria Goretti, d’en faire une

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version moderne, actualisée. Une offre que lemalheureux ne peut refuser. Au même moment,un tueur en série s’en prend à de très jeunes fillesdans le quartier de Griffintown, là où MaggySullivan désire tourner le film. Bien malgré lui,Antoine Gravel est plongé dans une histoire sor-dide, impliquant des personnalités mafieusesredoutables, une affaire dans laquelle sa pro-ductrice joue un rôle déterminant.

Dans l’ensemble, le récit est assez distrayant.Geneviève Lefebvre a du « métier », elle saittirer habilement les ficelles d’une intrigue. Mesréserves concernent quelques points de détail.Comme c’est souvent le cas avec les auteurs depolar débutants, ils ne sont pas toujours très aufait des techniques policières. La manière dontse fait l’identification de Patrick Boyle, dans lespremières pages, n’est pas très crédible et tientdu deus ex machina. Tout comme il est impos-sible de déterminer à l’œil le calibre de la ballequi a percé un crâne qui a séjourné dans la natureet que l’on retrouve après plusieurs années. Parailleurs, moins de vulgarité scatologique n’auraitpas nui non plus. Il y a une fâcheuse tendancechez certains écrivains (sans parler de soi-disanthumoristes) à abuser des matières grasses. Dansles premières pages, notamment, on y pataugeallégrement, physiquement et linguistiquement.Quant au dénouement, il ne m’a pas entièrementconvaincu et risque de frustrer nombre de lecteurs.Pour être satisfaisante, une histoire de vengeancedoit se terminer de manière décisive et convain-cante, le méchant doit en prendre plein la gueule,alors qu’ici ça frise un peu le pétard mouillé.Dommage…

Et puisqu’on pinaille, selon des sources ca-tholiques bien informées, Maria Goretti est mortele lendemain de son agression et non pas « enayant agonisé pendant des jours avant de rendrel’âme. » Et l’arme du crime est un poinçon ou un

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prendra au fil de l’enquête, en sait plus qu’ellene devrait sur les agissements parfois cruels desfactions terroristes. Parallèlement à cette tumul-tueuse relation père-fille, une autre se dessine,celle, mystérieuse, qui unit et sépare à la foisl’influent Zinnourov et sa fille Anna, de qui tom-bera amoureux le docteur Spethmann, celui-làmême qui la traite professionnellement. RonanBennett arrive à greffer à une intrigue déjà denseune structure œdipienne qui donne à l’œuvreune consistance accrue.

Nous sommes donc à Saint-Pétersbourg, enmars 1914. Le journaliste Goulko vient d’êtreassassiné, peu de temps avant que ne s’ouvreun tournoi d’échecs de très haut niveau qui attireles meilleurs joueurs au monde. Alors qu’on faitappel aux services du psychanalyste Spethmannafin qu’il vienne en aide au grand joueur Ro-zental (juif polonais) dont le génie ne semblepas le préserver de sombrer dans une dépressionnerveuse, la police menée par un certain Lychevsoupçonne le docteur et sa fille Catherine decacher certaines informations sur l’identité d’unterroriste complotant dans le but de renverserle régime tsariste. À travers les strates riches

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couteau (les versions varient) et non pas unefourche. Mais je pinaille… Spehner, expert enmariagorettisme? Sainte Mère, on aura tout vu!(NS)Je compte les mortsGeneviève LefebvreMontréal, Libre Expression (Expression noire),2009, 319 pages.

Le grand échiquier russe

Dans la foulée des événements du Dimancherouge qui avaient marqué le 22 janvier 1905la révolution russe, l’action du roman Mat sesitue quelques années plus tard, tout juste avantle déclenchement de la Grande Guerre. Méticu-leusement présenté, le fascinant contexte socio-politique de la Russie révolutionnaire est icidavantage qu’une toile de fond instructive sesuperposant à une intrigue savamment ciselée,elle devient en soi le sujet autour duquel toutvient s’articuler. Espionnage, manipulation, com-plots terroristes et agents doubles constituentles points d’intérêt de cette peinture remarquablede l’intelligentsia russe du début du siècle. DansMat, si tout le monde a quelque chose à cacher,c’est que les circonstances sociopolitiques forcentà la duplicité et à la stratégie secrète les per-sonnages qui doivent manœuvrer finemententre les intérêts personnels et ceux de la cause.

Bien que Ronan Bennett parvienne avecéloquence à saisir le climat d’effervescence dela Russie des années 1910, il excelle surtout àfaire vivre un personnage profond et complexe,Otto Spethmann. Cet éminent psychanalystejuif n’arrivera guère, malgré toute sa volonté, àse tenir loin de cette agitation politique. Depuisla mort de sa femme, il consacre son existenceà son travail et à sa fille Catherine, qui, on l’ap-

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des intrigues multiples que nous offre le romanMat, Ronan Bennett met en évidence ce fondd’antisémitisme latent ou avoué qui caractérisaitla société de l’époque. C’est bien connu, le racismene doit pas être écarté comme composante desprincipaux enjeux sociopolitiques de l’époque.

On présente dans Mat le travail de psycha-nalyste de manière analogue à celui de policier :tant le docteur que l’inspecteur doivent ainsimettre au jour ce qui est occulté, à la différenceque le premier doit dévoiler une inhibitioninconsciente tandis que le second, lui, doitcontourner la difficulté que pose une volonté dedissimulation.

Les épisodes qui font avancer l’intrigue sontponctués de mouvements d’une partie d’échecsentre Spethmann et son « ami » Kopelzon,qui, s’ils laisseront perplexes ou indifférents lesmoins férus, rappelleront à ceux qui ont l’œil lapartie de King-Sokolv lors du Championnat suissepar équipe il y a une dizaine d’années.

Mat est l’aboutissement d’une recherchecolossale. Des sujets aussi variés que la psycha-nalyse, les échecs, l’activisme bolchevique, lapolice secrète de l’Okhrana, la question juive et

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polonaise y trouvent leur point de convergence,faisant de ce roman érudit l’œuvre d’un écrivainde grand raffinement et d’une culture intimidante.Ronan Bennett, en dépeignant l’âme russe sanscomplaisance et avec ce souci de rigueur queseuls ont les passionnés, arrive à auréoler sonrécit d’une admiration pour les grands idéaux deceux qui ont façonné cette nation qu’il aime detoute évidence respectueusement.

Comme dans le roman de Bennett, la me-nace terroriste nous guette. Une certaine formede paranoïa s’est par conséquent emparée denos services de sécurité nationaux. La lecture deMat trouve certainement un écho significatif ànotre époque agitée. (SR)MatRonan BennettParis, Sonatine, 2009, 299 pages.

Meurtres et sexe pour tuer le temps

Si un jour vous lisez Abandon sans scrupule deStuart Woods (traduction de Reckless Abandon),peut-être aurez-vous la gentillesse de m’expliquerle sens profondément ésotérique de ce titre dé-bile qui n’a strictement rien à voir avec l’histoireque j’ai lue ! Il y a peut-être (sûrement) undeuxième ou troisième degré qui m’échappe,mais bon, il faut vivre avec son quotient intel-lectuel et pour le moment, le mien ne comprendpas grand-chose à cet « abandon sans scrupule »!

Or donc, Stuart Woods qui écrit surtout desthrillers d’action fort distrayants, réunit ici deuxde ses personnages de série : Holly Barker, chefde la police d’Orchid Beach (Floride), bagarreuse,obstinée et bombe sexuelle, et l’ex-flic devenuavocat Stone Barrington, beau gosse, beau parleuret détonateur de bombes sexuelles tous formats.Holly (qui a déjà croisé Barrington dans une autre

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sement entre les cuisses accueillantes d’une Hollytoujours prête, y compris quand ils sont prisonniersdans une cave en attendant leur exécution auxmains de truands de la mafia. Une dernièrebaise avant l’enfer ! (Tiens, ça aurait mieux con-venu comme titre que ce ridicule abandon !)

Des cadavres en pagaille, des courses-pour-suites, un rythme endiablé, des dialogues quipercutent et des personnages (de bandes dessi-nées) fort sympathiques (même s’ils sont peucrédibles) sont les principaux ingrédients de cepolar sans prétention et sans message philoso-phique, idéal pour une triste soirée d’automne.(NS)Abandon sans scrupuleStuart WoodsParis, L’Archipel, 2009, 327 pages.

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aventure) débarque à New York dans le butd’arrêter Trini Rodriguez, un mafieux dont elle ajuré la perte et qu’elle a déjà failli tuer. Mais Trinibénéficie de la protection du FBI. Malgré sescrimes atroces, pour le moment, c’est un intou-chable. À partir de là, l’auteur nous entraîne dansune série d’épisodes aussi rocambolesques qu’in-vraisemblables, l’intrigue partant dans tous lessens avec intervention de la mafia, de la CIA, duFBI, de la police de New York, un détour obligépar la Floride et j’en passe et des meilleurs. Il y aquelques scènes de sexe torrides (mais jamaisvulgaires), Holly étant plutôt une chaude de lapine (bon, fallait bien la faire…), avec un StoneBarrington qui ne sait plus à quel sein se vouer etdont on se demande s’il mourra aux mains desnombreux tueurs lancés à ses trousses ou d’épui-