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Forte de 5 années passées à rencontrer et interviewer les meilleurs experts sur la laïcité et les religions, à explorer les enjeux éducatifs, je me lance avec enthousiasme. LaïCités est conçue comme un outil de compréhension et de décryptage de l’actualité des faits religieux. Je fais le pari d’une information sélectionnée, rigoureuse et dépassionnée. À mon sens, cette approche laïque et factuelle rend possible l’ouverture d’un dialogue apaisé et constructif sur ces sujets, notamment avec des jeunes. Je tiens aussi à proposer des pistes pour agir, en faisant connaître les nombreuses initiatives concrètes qui améliorent le vivre-ensemble. L’objectif est ambitieux : mettre l’information au service d’une meilleure pédagogie de la laïcité. Au programme Votre lettre numérique mensuelle se compose de 12 pages. Vous y trouverez chaque mois : une sélection des actualités les plus utiles, un mini-dossier approfondi, une initiative, un zoom sur une pratique venue de l’étranger, un rite ou un mot expliqué, des ressources pédagogiques et un texte du passé qui entre en résonnance avec l’actualité. Dans ce premier numéro, nous décryptons pour vous l’épineux sujet des signes religieux. On en parle sans cesse, mais comment les définir, comment les comprendre, que dit le droit à leur sujet ? Dans la rubrique Entretien, Florine Leplâtre et Paul Guillibert, professeurs du secondaire et membre du Cercle des enseignant.e.s laïques, expliquent leur Petit manuel pour une laïcité apaisée. Ils y détaillent des situations rencontrées sur le terrain, leurs réponses, et leur vision pédagogique. À lire dans In situ : un acteur de théâtre, Ismaël Habia, raconte ses interventions dans un lycée du Havre après le choc Charlie Hebdo. Des séances d’improvisation ont permis de libérer la parole des élèves et de nourrir un débat de fond. Si ce numéro vous a plu, n’hésitez pas à le transférer et à en parler autour de vous. Vous pouvez aussi vous abonner sur le site www.laicites.info et recevoir ainsi chaque mois, dans votre boîte mail, la lettre LaïCités. Bonne lecture ! Louise Gamichon Chers lecteurs, chères lectrices Je suis heureuse de vous présenter LaïCités, lettre mensuelle sur les faits religieux et la laïcité. Ce projet éditorial ne doit rien au hasard. Je me permets de vous en raconter l’histoire. Depuis bientôt 5 ans, on a pu me lire dans différents médias. À l’époque où j’ai commencé à travailler sur ces sujets, chez Fait-religieux.com, les religions et la laïcité n’occupaient pas plus de quelques lignes dans les grands quotidiens nationaux, essentiellement à la rubrique « International ». Depuis 2015, clairement, il n’est plus possible de faire l’impasse sur ces thématiques hautement sensibles. L’actualité en déborde, mais le traitement médiatique qui leur est accordé est bien plus souvent indexé sur les drames et les inquiétudes que sur le concret des situations. Au mois de janvier de cette année-là, j’ai senti tout le poids de ma carte de presse. Pur produit de l’école publique, j’ai été meurtrie de voir les établissements scolaires sous le feu des projecteurs parce que des élèves n’avaient pas respecté la minute de silence en hommage aux dessinateurs de Charlie Hebdo. Peu après, une amie institutrice (passablement en colère) m’a demandé « et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » J’ai commencé par m’inscrire à la réserve citoyenne, pensant que mes connaissances pourraient s’avérer utiles. Dans le même temps, le site Fait-religieux.com était sur le point de lancer une publication avec Le Monde des Religions : une lettre professionnelle à destination des enseignants. J’y ai vu l’occasion d’œuvrer pour l’École, une institution qui m’est chère au point que j’ai envisagé un temps de la rejoindre. En 2009, j’ai présenté le Capes avant d’être happée par le journalisme. Fait-religieux.com a depuis déposé le bilan, mais j’ai eu la chance d’être recrutée par Le Monde des Religions pour y rédiger la lettre Laïcité & Religions à destination des professeurs. Au bout d’un an, en juin 2016, la publication a cessé. De mon côté, j’étais toujours convaincue de l’utilité cette lettre d’information. J’ai donc décidé, chers lecteurs, chères lectrices, de faire vivre ce projet qui me tient à cœur. Il s’agit d’un engagement personnel et citoyen qui ne se pérennisera que s’il rencontre ses lecteurs et ses abonnés. Quel est le projet ? Qui sommes-nous ? 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Page 1: laicites.info N... · 2018. 12. 4. · Ils y détaillent des situations rencontrées sur le terrain, leurs réponses, et leur vision pédagogique. À lire dans In situ : un acteur

Forte de 5 années passées à rencontrer et interviewer les meilleurs experts sur la laïcité et les religions, à explorer les enjeux éducatifs, je me lance avec enthousiasme. LaïCités est conçue comme un outil de compréhension et de décryptage de l’actualité des faits religieux. Je fais le pari d’une information sélectionnée, rigoureuse et dépassionnée. À mon sens, cette approche laïque et factuelle rend possible l’ouverture d’un dialogue apaisé et constructif sur ces sujets, notamment avec des jeunes. Je tiens aussi à proposer des pistes pour agir, en faisant connaître les nombreuses initiatives concrètes qui améliorent le vivre-ensemble. L’objectif est ambitieux : mettre l’information au service d’une meilleure pédagogie de la laïcité.

Au programme

Votre lettre numérique mensuelle se compose de 12 pages. Vous y trouverez chaque mois : une sélection des actualités

les plus utiles, un mini-dossier approfondi, une initiative, un zoom sur une pratique venue de l’étranger, un rite ou un mot expliqué, des ressources pédagogiques et un texte du passé qui entre en résonnance avec l’actualité.

Dans ce premier numéro, nous décryptons pour vous l’épineux sujet des signes religieux. On en parle sans cesse, mais comment les définir, comment les comprendre, que dit le droit à leur sujet ?

Dans la rubrique Entretien, Florine Leplâtre et Paul Guillibert, professeurs du secondaire et membre du Cercle des enseignant.e.s laïques, expliquent leur Petit manuel pour une laïcité apaisée. Ils y détaillent des situations rencontrées sur le terrain, leurs réponses, et leur vision pédagogique.

À lire dans In situ : un acteur de théâtre, Ismaël Habia, raconte ses interventions dans un lycée du Havre après le choc Charlie Hebdo. Des séances d’improvisation ont permis de libérer la parole des élèves et de nourrir un débat de fond.

Si ce numéro vous a plu, n’hésitez pas à le transférer et à en parler autour de vous. Vous pouvez aussi vous abonner sur le site www.laicites.info et recevoir ainsi chaque mois, dans votre boîte mail, la lettre LaïCités.

Bonne lecture !

Louise Gamichon

Chers lecteurs, chères lectrices

Je suis heureuse de vous présenter LaïCités, lettre mensuelle sur les faits religieux et la laïcité.

Ce projet éditorial ne doit rien au hasard. Je me permets de vous en raconter l’histoire.

Depuis bientôt 5 ans, on a pu me lire dans différents médias. À l’époque où j’ai commencé à travailler sur ces sujets, chez Fait-religieux.com, les religions et la laïcité n’occupaient pas plus de quelques lignes dans les grands quotidiens nationaux, essentiellement à la rubrique « International ».

Depuis 2015, clairement, il n’est plus possible de faire l’impasse sur ces thématiques hautement sensibles. L’actualité en déborde, mais le traitement médiatique qui leur est accordé est bien plus souvent indexé sur les drames et les inquiétudes que sur le concret des situations.

Au mois de janvier de cette année-là, j’ai senti tout le poids de ma carte de presse. Pur produit de l’école publique, j’ai été meurtrie de voir les établissements scolaires sous le feu des projecteurs parce que des élèves n’avaient pas respecté la minute de silence en hommage aux dessinateurs de Charlie Hebdo. Peu après, une amie institutrice (passablement en colère) m’a demandé « et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? » J’ai commencé par m’inscrire à la réserve citoyenne, pensant que mes connaissances pourraient s’avérer utiles. Dans le même temps, le site Fait-religieux.com était sur le point de lancer une publication avec Le Monde des Religions : une lettre professionnelle à destination des enseignants. J’y ai vu l’occasion d’œuvrer pour l’École, une institution qui m’est chère au point que j’ai envisagé un temps de la rejoindre. En 2009, j’ai présenté le Capes avant d’être happée par le journalisme.

Fait-religieux.com a depuis déposé le bilan, mais j’ai eu la chance d’être recrutée par Le Monde des Religions pour y rédiger la lettre Laïcité & Religions à destination des professeurs. Au bout d’un an, en juin 2016, la publication a cessé. De mon côté, j’étais toujours convaincue de l’utilité cette lettre d’information.

J’ai donc décidé, chers lecteurs, chères lectrices, de faire vivre ce projet qui me tient à cœur. Il s’agit d’un engagement personnel et citoyen qui ne se pérennisera que s’il rencontre ses lecteurs et ses abonnés.

Quel est le projet ?

Qui sommes-nous ?

OctObre 2016

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No1

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ÉDITO

LA LETTRE PÉDAGOGIQUE DES FAITS RELIGIEUX ET DE LA LAÏCITÉ

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LaïCités N°1 Tous droits réservés, hors usage pédagogique

Page 2: laicites.info N... · 2018. 12. 4. · Ils y détaillent des situations rencontrées sur le terrain, leurs réponses, et leur vision pédagogique. À lire dans In situ : un acteur

La Fondation pour l’islam, qu’est-ce que c’est ?

Depuis les attentats du 14 juillet, à Nice, le gouvernement a accéléré la mise en place de la Fondation pour l’islam de France qui sera co-présidée par Jean-Pierre Chevènement et entrera en fonction en octobre prochain.

Cette Fondation n’est pas complètement nouvelle. Elle est l’héritière de la Fondation des œuvres de l’islam de France (FOIF), créée en mai 2005, afin de favoriser une meilleure transparence financière lors de la construction de mosquées et donc d’éviter de faire appel à des fonds venus de l’étranger. À l’époque, cette structure avait été dotée d’un million d’euros. Des dissensions internes l’ont empêchée de devenir opérationnelle. Or, le débat sur le financement des lieux de culte musulmans ressurgit régulièrement, notamment après les attentats. Aussi, le projet de cette Fondation a été remis sur les rails, le calendrier a été avancé par le gouvernement. De son côté, le Sénat a lancé une « Mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte » peu après les attentats du 13 novembre dans le même objectif.

La Fondation pour l’islam de France sera composée de deux organismes : l’un culturel, composé de représentants de l’État, du président du Conseil français du culte musulman (CFCM, principal interlocuteur de l’État) et de personnalités qualifiées, chargé de soutenir les projets et d’assurer la formation universitaire profane des imams ; l’autre cultuel, dirigé par des musulmans, qui s’occupera de la formation théologique des religieux musulmans et sera chargé de « centraliser l’ensemble des financements nationaux pour la construction des mosquées » selon le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.

La nomination de Jean-Pierre Chevènement, ex-ministre de l’intérieur, à la tête de la nouvelle Fondation n’a pas toujours été bien reçue. Ce dernier avait appelé les musulmans « à la discrétion » dans l’espace public fin août, alors que les polémiques sur l’interdiction du burkini faisaient rage. De nombreux internautes avaient alors tourné en dérision son conseil.

Lire le rapport du SénatLire l’interview de Bernard Cazeneuve expliquant le fonctionnement de la Fondation

SOMMAIREACTUALITÉS

L’ENTRETIEN« On ne peut pas ramener tous les problèmes de l’école à la laïcité » Deux enseignants parlent de laïcité en pratique, à partir de leur expérience de terrain....................................................................p 4

ACTUALITÉ DÉCRYPTÉELes signes religieux..............................................p 5

Trois idées reçues sur les signes religieux...........................................p 7

VU D’AILLEURSRécente séparation des Églises et de l’État au Luxembourg......................................................p 8

LES OUTILSComprendre la laïcité en quatre minutes Des fiches sur les faits religieux...................p 9

IN SITULibérer la parole des élèves par le théâtre d’improvisation...................p 10

MATIÈRE À PENSERQuand les députés voulaient interdire la soutane..........................................p 11

LE MOT, LE RITEYom Kippour.........................................................p 12

Les shorts de la discordeDepuis quelque mois, des affaires d’agressions « vestimentaires »

pour motif religieux se multiplient. La dernière en date a eu lieu à Toulon début septembre, où deux femmes ont subi les foudres de passants parce qu’elles auraient été vêtues de shorts, des tenues jugées trop légères par ces hommes. Si la polémique a rapidement enflé, il s’est ensuite avéré que ces femmes portaient des tenues de sport et que les agresseurs souhaitaient provoquer les conjoints des joggeuses.

Les Décodeurs du Monde appellent à la prudence face à ces informations non vérifiées, virales sur les réseaux sociaux. Elles sont souvent démenties quelques heures plus tard. Les Décodeurs reviennent ainsi sur 6 agressions « vestimentaires » qui n’avaient pas de motif religieux : depuis le supposé burkini qui a mis le feu aux poudres en Corse, à Sisco, en août dernier, jusqu’à une femme prise à partie par des Charentais pour avoir bronzé en monokini. Si ces agressions ne sont pas motivées par des pratiques religieuses rigoristes, la plupart sont, en revanche, clairement sexistes.

Un concours sur la Constitution

Le Conseil constitutionnel et le ministère de l’Éducation nationale organisent un concours intitulé « Découvrons la Constitution » à destination des classes de CM1, CM2 et 6e. Si la Constitution du 4 octobre 1958 reste au centre de cette opération, il est possible de réaliser des travaux en classe sur la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 ou encore de traiter des principes fondamentaux comme la liberté de conscience, la liberté d’enseignement ou encore le droit local d’Alsace-Moselle.

Les travaux, qui peuvent prendre la forme d’un essai, d’un film ou d’œuvres d’art, peuvent être envoyés jusqu’au 20 janvier 2017. Ce concours sera ouvert aux collégiens de la 5e à la 3e l’année prochaine.

Modalités de participation et calendrier.

Lorsque Le texte est souLigné, vous pouvez cLiquer

ACTUALITÉS

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Que retenir de ce sondage ?

Environ 5,6% de la population se déclare musulmane, soit un peu plus de 3,3 millions de personnes.

●● Les musulmans constituent un groupe jeune. Leur moyenne d’âge est de 35,8 ans, contre 53 pour les chrétiens et 43 pour ceux qui se déclarent « sans religion ».

●● 7,5% des répondants sont des convertis, 15% sont en situation de « “sortie” de la religion musulmane – ou de désaffiliation ». L’islam est majoritairement transmis par filiation (les deux parents sont musulmans).

●● 75% ont la nationalité française (24% par acquisition). Un quart (26%) des interrogés de cette enquête étaient de nationalité étrangère, majoritairement des pays du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Turquie. Une proportion assez importante de l’échantillon. Selon l’Insee, en 2013, les personnes de nationalité étrangère résidant en France représentaient environ 6% de la population dans son ensemble.

Leurs catégories socio-professionnelles :

●● Les croyants musulmans sont surreprésentés chez les ouvriers (24% contre 13% dans le reste de la population), ainsi que chez les inactifs (38% contre 12%). La catégorie des inactifs comprend les lycéens, les étudiants, les femmes au foyer, les jeunes en recherche d’un premier emploi. Les demandeurs d’emploi et les retraités ne figurent pas dans cette catégorie.

●● Ils sont sous-représentés chez les cadres et professions intellectuelles supérieures (4% contre 9% dans le reste de la population) ainsi que dans les professions intermédiaires (8% contre 14%).

●● Leur niveau scolaire moyen tend à se rapprocher de la moyenne nationale. Environ 12% ont obtenu un diplôme de niveau Bac +2, 20% un niveau au moins Bac +3 (dont la moitié Bac +5). Cependant, 15% n’obtiennent aucun diplôme, contre 11% de la population en général, et environ 25% ont un niveau inférieur au Bac.

Concernant leurs pratiques religieuses et leur adhésion aux principes républicains, l’Institut Montaigne distingue plusieurs catégories, rassemblées en 3 groupes.

●● Le premier représente 46% des interrogés. Ces derniers sont considérés comme « sécularisés », cependant « ils ne renient pas pour autant leur religion, souvent identifiée au halal, et ont une pratique religieuse nettement plus régulière que la moyenne nationale ». Ce groupe est composé de près de la moitié des répondants de plus de 40 ans et un tiers des plus jeunes.

●● Le deuxième groupe est « plus composite » selon l’étude. Il réunirait 26% des répondants. « Fiers d’être musulmans, les individus qui le composent revendiquent la possibilité d’exprimer leur appartenance religieuse dans l’espace public. Très pieux (la charia a une grande importante pour eux, sans passer devant la loi de la République), ils sont souvent favorables à l’expression de la religion au travail, et ont très largement adopté la norme halal comme définition de “ l’être musulman ”. Ils rejettent très clairement le niqab et la polygamie et acceptent la laïcité ».

●● Le troisième groupe est composé majoritairement de jeunes « peu qualifiés et peu insérés dans l’emploi » qui vivent dans les quartiers périphériques et se caractérisent « davantage par l’usage qu’ils font de l’islam pour signifier leur révolte que par leur conservatisme ». Certains jugent que la laïcité leur permet de vivre librement leur foi, d’autres considèrent que leur religion est une affaire privée. Les auteurs de l’enquête jugent cependant qu’ils adoptent « une attitude de retrait et de séparation vis-à-vis du reste de la société » et que certains font preuve d’attitudes « autoritaires ». Ils représenteraient 28% des musulmans interrogés.

Autre point notable : 65% des répondants se disent favorables à ce qu’une femme puisse porter le voile (de type hijab), 24% pour le voile intégral. Environ 10% adoptent une attitude de retrait face à cette question, estimant que « chacun fait comme il veut ». Le port du voile est rejeté par 26% des hommes, et par 18% des femmes. 57% des répondantes de culture musulmane ne l’ont jamais porté, quand 35% des répondantes déclarent le porter de façon permanente ou épisodiquement. Parmi celles qui le portent, 76% affirment le revêtir par « obligation religieuse », 35% pour raisons de sécurité, 23% pour montrer leur appartenance à la communauté musulmane et 6% par imitation ou contrainte.

Lire l’intégralité de l’étude. *Sondage réalisé auprès de 1 029 personnes se déclarant de confession ou de culture musulmane (874 s’affirment musulmanes), extraites d’un échantillon représentatif de 15 459 métropolitains, âgés de 15 ans et plus.

Portrait contrasté de l’islam en France

Pour la première fois, un grand sondage* publié mi-septembre permet de dresser un portrait des musulmans en France. Il a été réalisé conjointement par l’Institut Montaigne, un think tank indépendant créé en 2000, et l’Ifop.

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ACTUALITÉS À LA UNE

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Qu’est-ce que le Cercle des enseignant.e.s laïques ?

Florine Leplâtre  : Il s’agit de cinq professeur·e·s enseignant l’histoire, les lettres et la philoso-phie. Nous nous sommes réuni·e·s, par affinités, fin 2014, autour de ce projet d’ouvrage afin d’articuler la démarche de sciences sociales de Jean Baubérot avec notre expé-rience de terrain. Nous voulions aussi nous réapproprier la notion de laïcité en tant que principe régu-

lateur et émancipateur, et aider les collègues à faire de même.

Paul Guillibert : Beaucoup de collègues s’interrogent sur la laïcité, cherchent à trouver des solutions et se concentrent sur l’usage de la laïcité au quotidien. Dans le livre, nous nous attachons à préciser ce qu’est la laïcité au regard du droit existant, à définir la laïcité historique et décrire son évolution, et à rendre compte de certains débats philosophiques autour de cette notion. Au vu de notre expérience concrète, il s’agis-sait aussi de voir comment mettre en oeuvre la laïcité dans des pratiques pédagogiques qui soient émancipatrices et contribuent à la formation de futur·e·s citoyen·ne·s.

Ce livre a-t-il également un lien avec vos élèves ?

PG : Oui, nous travaillons tout·e·s en Seine-Saint-Denis. On a beaucoup parlé de nos élèves après les attentats de janvier 2015, mais on ne peut pas ramener tous les problèmes de Seine-Saint-Denis ou des quartiers populaires concernant l’école à la question de la laïcité ou de la religion. D’expérience, la majeure partie des problèmes que nous rencontrons concernent plutôt les moyens matériels et humains, les dotations horaires, l’organisation des lycées.

FL : Il est important de souligner que oui, certain.es élèves tiennent des discours obscurantistes sur certains sujets, mais qu’on entend les mêmes propos lors de repas de famille ou dans notre entourage. Il faut traiter ces discours sans s’en offusquer et sans y voir systématiquement une atteinte à la laïcité, en se mettant dans une position d’argumentation et en expliquant pourquoi ces propos sont discriminatoires.

Vos pratiques pédagogiques sont donc liées à cette conception de la laïcité ?

FL : Pour nous, il faut concevoir la liberté de conscience

dans ses différentes dimensions : elle n’existe pas sans liberté de culte, ni sans liberté d’expression. Certains philosophes prônent la « liberté différée » qui a des implications péda-gogiques. Les élèves mettraient de côté tout ce qui fait leur identité avant d’entrer dans l’établissement. En caricaturant, ils seraient des « pages blanches » sur lesquelles on pourrait imprimer le savoir neutre de la République.

PG : La « liberté différée » est une très vieille idée, c’est un débat pédagogique profond. Nous prônons exactement l’inverse : donner une liberté de conscience quasi-totale aux élèves pour pouvoir attendre d’eux un exercice réfléchi du jugement, un esprit critique. L’idée n’est donc pas de faire taire les objections, comme celles sur la théorie de l’évolution par exemple, mais de les laisser s’exprimer afin de créer un dialogue constructif menant à l’élaboration d’un savoir qui distingue la croyance des sciences, dans ce cas précis.

FL : Si on ne laisse pas les élèves s’exprimer, ils s’habitueront, dans leurs devoirs, à servir aux professeur·e·s ce qu’ils attendent. Ils garderont pour eux leurs idées sur la création, mais aussi sur les supposés complots, etc.

Comment rétablir la laïcité « apaisée » à laquelle vous appelez ?

FL : D’abord, en « désacralisant » les problèmes, en se deman-dant s’il s’agit vraiment d’une atteinte à la laïcité et si le fond du problème est vraiment religieux. Ensuite, un enseignement laïc du fait religieux permettrait de désamorcer bien des situations conflictuelles. Mais les formations spécifiques par discipline sont trop peu nombreuses.

PG : Nous esquissons quelques pistes de réflexion politiques, qui impliquent de revenir sur un certain nombre de lois et décrets pris depuis 2004. La loi de 2004 sur les signes reli-gieux ostensibles n’a pas réglé les problèmes. Au contraire, elle a provoqué une inflation de ceux-ci, puisque les équipes pédagogiques sont confrontées, en permanence, à de pos-sibles entorses à la laïcité. Les jupes longues ou les bandeaux sont-ils des atteintes à la laïcité ? Si oui, comment sait-on qu’ils le sont sur telle jeune fille et pas sur telle autre ? C’est à l’ensemble du corps éducatif de se positionner pour savoir si tel signe est religieux ou pas, ce qui est une attitude anti-laïque ! Le consensus de 1989, qui interdisait le prosélytisme défini de manière extrêmement stricte comme une atteinte à la dignité des autres, nous semblait plus pertinent.

Petit Manuel pour une laïcité apaisée à l’usage des profs, des élèves et de leurs

parents. Le Cercle des enseignant.e.s laïques et Jean Baubérot, professeur

émérite de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique

des Hautes Etudes. Éditions La Découverte.

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LaïCités N°1 Tous droits réservés, hors usage pédagogique

ENTRETIEN“ ON NE PEUT PAS RAMENER TOUS LES PROBLÈMES DE L’ÉCOLE À LA LAÏCITÉ ” 

Le Cercle des enseignant.e.s laïques, un collectif de professeurs de Seine-Saint-Denis, a co-écrit avec l’historien spécialiste de la laïcité Jean Baubérot un Petit manuel pour une laïcité apaisée (La Découverte, 2016). Cet ouvrage présente des analyses ainsi que des solutions face à des problèmes rencontrés dans le cadre de l’école. Florine Leplâtre, enseignante de Lettres, et Paul Guillibert, enseignant de philosophie, expliquent cette démarche pratique.

... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...... ... ... ...... ... ... ...FLORINE LEPLÂTRE ET PAUL GUILLIBERT, ENSEIGNANTS

Page 5: laicites.info N... · 2018. 12. 4. · Ils y détaillent des situations rencontrées sur le terrain, leurs réponses, et leur vision pédagogique. À lire dans In situ : un acteur

L’ACTUALITÉ DÉCRYPTÉE

LES SIGNES RELIGIEUX (1/3)

Qu’est-ce qu’un signe

religieux ?

Avant d’être religieux, un signe est « d’abord quelque chose qui

“signifie”, qui a un sens pour un destinataire donné », indique Agnès Guiderdoni, spécialiste de l’histoire des représentations symboliques et figurées à l’Université catholique de Louvain. Concernant les signes religieux, ils s’adressent à « une communauté donnée – communauté qui peut être très large ou très restreinte. Il peut s’agir d’un objet, d’un geste, d’un vêtement, d’un rite, etc. »

« Ce qui est compliqué, ce ne sont pas les signes en eux-mêmes, mais, comme beaucoup d’autres choses qui font polémique, l’usage qui en est fait d’une part, et la perception que l’on en a d’autre part », poursuit Agnès Guiderdoni. Elle donne l’exemple d’une croix portée autour du cou. En tant que telle, elle peut passer pour un simple bijou. Mais brandie devant les passants à grand renfort d’exhortations, le geste peut paraître agressif « ensuite, il risque bien d’y avoir une sorte de contamination sur l’objet même », les passants pourront s’en rappeler et associer les croix à des pratiques agressives. « Le fait que le signe religieux prenne la forme d’un objet prête également à des perceptions, au mieux variées, au pire opposées, en raison de la tension entre l’objet en tant que chose et l’objet en tant que signe. Pour les uns, l’objet ne sera qu’un objet, tandis que pour d’autres, il sera signe religieux ».

En 2015, la communauté bouddhiste avait réagi suite à la commercialisation d’un abattant pour toilettes sur lequel était imprimé le visage du Bouddha. Les magasins distribuant ce produit n’y voyaient qu’une décoration « zen » et l’ont rapidement supprimé de leurs rayons après la plainte de fidèles bouddhistes.

Quelles sont

les caractéristiques

de ces signes ?

« Certains signes religieux présentent la particularité pour les croyants d’avoir été institués par Dieu, et d’avoir ainsi été désignés aux hommes comme signe de la présence et de la puissance divine, comme signe sacré », explique Agnès Guiderdoni. Elle distingue cependant deux fonctions principales des signes religieux :

-L’une, transcendante, « qui renvoie à la fonction de communication avec la divinité ; il s’agit alors de phénomènes perçus comme relevant d’une action divine. Y sont associés en particulier les miracles, les prodiges ainsi que les présages, les augures (la lecture de signes dans des phénomènes naturels pour prédire l’avenir et déterminer la conduite des hommes). De même, les objets utilisés pour le culte et dans la liturgie sont investis de telle sorte à devenir des signes de la présence ou de la puissance divine ».

-L’autre, immanente, régissant les « relations internes et externes de la communauté » : « Elle renvoie à une fonction plutôt socio-culturelle. Ce sont toutes les choses qui, à l’extérieur de la communauté, représentent et signifient telle ou telle confession, et permettent donc de l’identifier, de la faire connaître au reste de la société (une croix, un foulard, un turban, un tatouage, une étoile de David, des scarifications, etc.) ; à l’intérieur de la communauté d’autre part, toutes les choses qui permettent aux membres de la communauté de se reconnaître entre eux ainsi que d’identifier des éléments du rite ou de la doctrine pour certains usages ».

Il arrive que certains signes mélangent ces deux fonctions, comme la circoncision, qui n’a d’ailleurs pas la même signification dans le judaïsme, où elle signifie l’alliance des Hébreux avec Yahvé, et dans l’islam, où il s’agit plutôt d’un rite de passage à la vie d’adulte. Tous les hommes circoncis ne sont pas pour autant croyants. De nos jours, ce geste est parfois purement clinique et ne s’accompagne d’aucun rite ni d’aucune signification spirituelle.

Quelle différence

avec les signes profanes ?

« Les signes religieux ne sont pas différents des signes en général, en ce qu’ils servent à signifier et à transmettre quelque chose à l’intérieur comme à l’extérieur d’une communauté donnée. Ils assument de manière large les fonctions de reconnaissance et d’identification », indique Agnès Guiderdoni.

Par exemple, le turban sikh permet aux fidèles de ce monothéisme originaire du Penjab, une région située entre l’Inde et le Pakistan, de se reconnaître. Il est aussi considéré comme une protection des cheveux, que les sikhs ont interdiction de couper par respect pour la création divine. De nos jours, le turban peut constituer un simple accessoire de mode qu’il n’est pas rare de trouver sur les podiums lors de défilés.

« Ce qui les différencie, c’est la croyance qui y est attachée, et plus précisément encore, la valeur sacrée, ce qui transforme toute atteinte à ces signes en sacrilège, voire en blasphème. Et c’est ici que se trouve la complication puisque la croyance de l’un n’est pas celle de l’autre ». Et de préciser : « Il est tout à fait significatif qu’on dise “profaner” pour signifier un acte qui ne respecte pas cette valeur sacrée. Le fait que les signes religieux soient d’institution divine les place évidemment à part, d’un point de vue ontologique et pragmatique ».

TranscendanT/ImmanenT :

Le TranscendanT dépasse un ordre donné. IL « s’éLève au-dessus de » parce qu’IL apparTIenT à un ordre supérIeur. Le dIeu des monoThéIsmes ILLusTre souvenT La noTIon de Transcendance.

L’ImmanenT correspond à un ordre donné eT pLace Les choses à L’InTérIeur de ceT ordre sur Le même pLan. IL n’ImpLIque pas d’acTIon exTérIeure.

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Régulièrement, les signes religieux font la Une des journaux et focalisent le débat public. Or la frontière entre signes profanes et religieux n’est pas toujours claire et interroge.

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L’ACTUALITÉ DÉCRYPTÉE

LES SIGNES RELIGIEUX (2/3)

Quid des symboles ? Signes et symboles religieux ne sont

pas très différents : « D’un point de vue sémiotique, le symbole est une catégorie particulière de signe, qui a aussi pour fonction de signifier, à destination d’une communauté ». En revanche, contrairement au signe, le symbole n’a pas d’origine divine. Il est « en général imaginé par les hommes pour communiquer entre eux et vers l’extérieur ». Agnès Guiderdoni prend l’exemple du poisson, symbole codé de ralliement des premiers chrétiens dans les catacombes romaines. À l’époque, on parlait autant le grec que le latin. Or, le mot « poisson », « ictus » en grec, correspond à l’acronyme de « Jésus Christ fils de Dieu, sauveur » (« Iessous Christos Theou Yios Soter »). Aujourd’hui encore, dans certaines églises catholiques, on peut trouver des motifs ornementaux en forme de poisson.

Agnès Guiderdoni précise : « On pourrait s’interroger sur le statut de certains signes qui dans certains cas ou contextes peuvent être considérés ou traités comme des signes, et dans d’autres comme des symboles ». De manière générale, les symboles religieux répondent à « une fonction plus pragmatique et plus directement liée à la communication, mais aussi à la représentation synthétique d’une religion ou de certaines de ses valeurs ». Par exemple, selon une iconographie assez ancienne, la charité chrétienne, c’est-à-dire l’amour chrétien est représenté par un coeur enflammé ou par un cœur surmonté d’une croix.

Que dit le droit ? Il n’existe pas de définition précise d’un signe religieux dans la législation

française, indique Jean-Marie Woehrling, ancien président du Tribunal administratif de Strasbourg qui préside aujourd’hui l’Institut de droit local alsacien-mosellan. Les tribunaux peuvent donc rendre des avis contradictoires au cours d’une même affaire.

En l’espace d’une semaine, en mars 2013, deux décisions opposées ont été rendues concernant une collégienne qui portait un large bandeau dans son établissement et refusait de l’ôter. Elle-même estimait qu’il s’agissait d’un simple accessoire de mode. Le tribunal administratif de Melun avait demandé la réintégration de l’élève dans son établissement, le Conseil d’État a, pour sa part, jugé que le bandeau constituait bien un signe religieux, confirmant le renvoi de la jeune fille.

Jean-Marie Woehrling note une évolution dans les décisions rendues : « le concept de signe religieux constituait une protection supplémentaire pour la personne qui le portait », et ce, en conformité avec les droits fondamentaux qui garantissent la liberté de croire ou de ne pas croire et de le manifester en public comme en privé. Aujourd’hui, le signe religieux est « moins bien protégé que celui qui ne l’est pas ». Autre glissement : après la loi restreignant le port des signes religieux à l’école [Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics], le législateur « a quitté le terrain de la laïcité pour se placer sur celui de la sécurité publique, comme le montre l’adoption de la loi de 2010 sur la dissimulation du visage sur l’espace public ». Jean-Marie Woehrling remarque que « quel que soit le pays, la situation s’est dégradée. En France, l’attitude restrictive n’a pas résolu les problèmes. Ailleurs, les attitudes libérales n’ont pas réglé les problèmes non plus ».

Pour sortir de l’impasse, le spécialiste du droit appelle à sortir d’un climat de surenchère afin de « retrouver un contexte de confiance réciproque ». Pour ce faire, il est possible de s’inspirer de l’évolution du droit du travail applicable dans les entreprises privées : il n’entre ni sur le terrain de la laïcité – qui ne s’y applique pas – ni sur celui de l’ordre public. Ce droit prend en compte l’organisation pratique du travail, l’hygiène, le bon fonctionnement de l’entreprise. Cependant, la nouvelle Loi Travail du 8 août 2016 ne va pas dans ce sens : elle autorise les entreprises à inscrire la neutralité dans leur règlement intérieur. Les critères permettant de restreindre la manifestation des convictions des salariés sont désormais plus larges qu’auparavant.

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Prolonger la réflexion :

●●Abécédaire des signes et symboles religieux, Patrick Banon, Flammarion, 2008.

●●Une histoire du voile, Le Monde des Religions, N°79, septembre-octobre 2016.

●●« Qu’est-ce qu’un signe religieux ? », Jean-Marie Woehrling, Revue Société, droit et religion, N°2, 2012.

●●« Signes et emblèmes », Agnès Guiderdoni, Dictionnaire des faits religieux, Puf, 2010.

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1“Les signes religieux sont interdits dans l’espace public” Si l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 interdit « d’élever ou d’apposer aucun signe religieux sur les monuments publics ou quelque emplacement public que ce soit […] », elle n’interdit pas aux croyants de porter des signes religieux dans l’espace public, comme dans la rue par exemple. Considérés comme des usagers lorsqu’ils viennent effectuer des démarches administratives, ils peuvent également arborer un signe religieux à l’intérieur des bâtiments publics. Même chose pour les parents d’élèves venus assister à une réunion ou les accompagnateurs de sorties scolaires.

La liberté de conscience, qui implique le droit de croire ou de ne pas croire, de changer de religion et de le manifester « en public ou en privé », est garantie par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Seuls la sécurité et le maintien de l’ordre peuvent limiter cette liberté fondamentale. C’est d’ailleurs à ce motif que la loi de 2011, interdisant de dissimuler son visage sur l’espace public, a été adoptée.

En revanche, la loi française stipule que les fonctionnaires, dans le cadre de leur travail, ainsi que les élèves des établissements publics, doivent s’abstenir de porter des signes religieux dans ces contextes particuliers. Les agents publics représentent un service de l’État, d’où l’exigence d’une neutralité confessionnelle et philosophique. Dans le cas des élèves, la loi du 15 mars 2004 indique : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».

“Un signe religieux est une forme de prosélytisme” Le mot prosélytisme vient du grec et signifie « nouveau venu ». Il désigne d’abord les païens convertis au judaïsme avant de caractériser, par extension, un zèle déployé afin de convertir quelqu’un. Le terme se rapproche de celui de « propagande », désormais dédié à la diffusion d’idées politiques. Pourtant, le sens premier de ce mot est religieux lorsque le Vatican créé, au XVIIe siècle la « congrégation pour la propagande de la foi ». Aujourd’hui, le Dictionnaire des faits-religieux (Puf, 2010) définit le prosélytisme comme étant un « ensemble d’incitations, couronnées ou non de succès » amenant à se convertir. Or, un signe religieux, en lui-même, n’incite pas à la conversion. L’article 31 de la loi de 1905 punit « ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu […] l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte ». Les pressions exercées contre une personne sont condamnables, pas le fait d’essayer de la convaincre d’embrasser une religion.

« Le prosélytisme ne fait pas partie du discours juridique, mais du discours politique », souligne Jean-Marie Woehrling, ancien président du Tribunal administratif de Strasbourg et président de l’Institut de droit local mosellan. « Vouloir transmettre ses convictions fait partie de la liberté religieuse reconnue.  Aujourd’hui, on qualifie parfois de prosélytisme le seul fait de manifester son appartenance religieuse, ce qui est infondé sur le plan juridique et constitue une interprétation abusive d’une forme de laïcité », analyse Jean-Marie Woehrling.

“Se couvrir est un impératif religieux qui ne concerne que les femmes musulmanes” Dans l’Antiquité, les femmes se couvraient déjà les cheveux sans signification religieuse. Une loi attribuée au roi d’Assyrie Téglath Phalazar 1er (1112-1047 av. J.-C.), exigeait des femmes mariées et aux filles d’hommes libres qu’elles sortent la tête couverte – par opposition aux prostituées.

Dans la communauté juive, la notion centrale de pudeur (tseniout en hébreux), invite les femmes à porter des vêtements assez couvrants, notamment des jupes descendant en-dessous du genou, des collants, et des manches allant jusqu’au coude. La tradition, tirée de l’interprétation d’un verset biblique, a longtemps imposé que les femmes mariées sortent la tête couverte. Cette pratique tend à tomber en désuétude, mais elle perdure dans les milieux ultra-orthodoxes où on pourra toujours croiser des femmes portant un couvre-chef, ou une perruque.

Chez les chrétiens, c’est l’apôtre Paul qui impose que les femmes prient la tête couverte. Les chrétiens des Églises d’Orient et les chrétiens orthodoxes continuent à appliquer cette recommandation. En revanche, les catholiques l’ont majoritairement abandonnée. Les sœurs ne sont plus tenues de porter le voile depuis le Concile de Vatican II. En Italie, on demande tout de même aux touristes qui entrent dans les églises de porter des vêtements arrivant jusqu’au genou et couvrant les épaules. Même chose dans les monastères grecs orthodoxes.

TROIS IDÉES REÇUES SUR

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LES SIGNES RELIGIEUX (3/3)

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Récente séparation

VU D’AILLEURS

LE LUXEMBOURG TOURNE LA PAGE... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...

Jusque-là, les relations entre les cultes et le gouvernement luxembourgeois étaient

régies par un accord de type concordataire.

L’article 22 de la Constitution du 17 octobre 1868 indique clairement que « les rapports de l’Église avec l’État font l’objet de conventions ». À l’origine, ce texte s’appliquait uniquement à l’Église catholique. À partir de 1997, des conventions ont été signées avec les autorités juives, l’Église protestante du Luxembourg, l’Eglise anglicane et les Églises orthodoxes grecque, roumaine et serbe. Ces accords permettaient aux cultes conventionnés de recevoir des financements de l’État luxembourgeois, qui assurait les salaires des religieux.

En 2013, pour la première fois depuis une trentaine d’années, le parti chrétien-social n’est plus à la tête du pays, désormais gouverné par une coalition de libéraux, socialistes et écologistes. Dès la formation de ce regroupement, il a été question de modifier le régime de financement des cultes afin d’entériner une séparation des Églises et de l’État.

Dans cette optique, trois réformes ont été conduites.

●●La première concerne l’entretien des lieux de culte qui, hormis gros travaux, n’est plus assurée par les communes.

●●La deuxième met en place un nouveau cours intitulé « Vie et société » dans les écoles. Il remplace les modules d’éducation morale et religieuse catholiques depuis la rentrée 2016. Les enseignants de l’ancienne version du cours se sont vu garantir leur poste, on leur a proposé une formation afin de les reclasser dans d’autres matières en fonction de leurs compétences.

●●Le dernier volet concerne le financement des cultes. Il prévoit une réduction progressive de l’enveloppe budgétaire allouée aux communautés pour salarier les religieux. Elle passe de 24,6 à 8,3 millions d’euros. Désormais, chacun des cultes reçoit une somme dont le montant varie en fonction du nombre de fidèles. Le catholicisme, majoritaire, emporte le budget le plus important avec 6,7 millions d’euros, suivi par le protestantisme (450.000 euros), le judaïsme (315.000 euros), le christianisme orthodoxe (285.000 euros) et l’Église anglicane (125.000 euros).

Dans le même temps, pour la première fois, un budget est accordé à la communauté musulmane « pour correspondre à l’évolution de la société luxembourgeoise et à l’augmentation du nombre de pratiquants de cette religion à travers le pays ». À l’instar de l’Église protestante, la communauté recevra 450.000 euros.

Les salaires et pensions des ministres des cultes en exercice continueront d’être payés par l’État. Seules les nouvelles recrues ne bénéficieront plus de cet avantage.

Ces réformes n’ont pas fait l’unanimité. Les membres du parti chrétien-social et des autorités religieuses catholiques ont fait part de leurs réserves tout au long du processus.

En savoir plus sur les relations entre l’État et les cultes avant 2013 :

Lire le rapport du groupe d’experts chargé de réfléchir à l’évolution des relations entre les pouvoirs publics et les communautés du Grand-Duché (2012, 135 p.)

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Depuis 2015, le Grand-Duché a adopté différentes réformes actant une séparation plus claire des Églises et de l’État. Si le gouvernement se défend d’une « révolution », il s’agit pourtant d’une évolution tout à fait singulière.

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LES OUTILS

DES FICHES SUR LES FAITS RELIGIEUX ET LA LAÏCITÉ

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Aborder les faits religieux de façon dépassionnée n’est pas toujours évident. L’association agréée Enquête a mis en ligne un livret contenant des éléments scientifiques sur 7 grands thèmes : la laïcité, le vocabulaire, les textes sacrés, les grandes figures, le temps, l’espace, les pratiques.

Chacune des fiches contient des éléments iconographiques faciles à projeter, comme la statue de Moïse par Michel-Ange, ou une frise chronologique retraçant les grandes dates des religions monothéistes.

Depuis 2011, Enquête développe des outils de compréhension des faits religieux et de la laïcité à destination d’enfants de 7 à 12 ans. L’association a ainsi réalisé l’Arbre à défis, un jeu composé de cartes utilisable en classe.

Télécharger le livret

Comment résumer l’histoire et les principes de la laïcité française en quelques minutes ?

L’association Coexister a relevé le défi en publiant une vidéo pédagogique à ce sujet début septembre. Sous forme de dessins, la voix off reprend les grandes dates et indique les quatre piliers de la loi de séparation de l’Église et de l’État – liberté, séparation, neutralité, égalité.

Coexister est une association interconvictionnelle de jeunes qui milite pour le vivre-ensemble. Elle compte une trentaine de sections dans toute la France. Ses membres interviennent dans des établissements scolaires afin de répondre aux questions des élèves.

Voir la vidéo

LaïCités sélectionne pour vous des outils numériques fiables et ludiques qui permettent d’engager le débat ou la réflexion avec les élèves, en classe. Ce mois-ci, une vidéo pour comprendre la laïcité et des fiches pédagogiques.

COMPRENDRE LA LAÏCITÉ EN 4 MINUTES

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IN SITU

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UNE INITIATIVE

Libérer la parole des élèves par l’improvisation Depuis sa création en 2004, la compagnie de théâtre d’improvisation Les Improbables du Havre a l’habitude d’intervenir auprès de jeunes. Le comédien Ismaël Habia raconte son passage dans un lycée après des contestations de la minute de silence en hommage aux victimes de Charlie Hebdo.

« Je suis comédien, pas magicien. Je ne peux pas changer les esprits », prévient le comédien Ismaël Habia lorsqu’il est appelé par une enseignante de lycée peu après les attentats de janvier 2015. Dans l’établissement, où la minute de silence en hommage aux victimes de l’attentat du 7 janvier avait été émaillée d’incidents, notamment de sifflets et de remarques contre le slogan « Je suis Charlie », l’équipe éducative souhaitait mener une action sur la liberté d’expression. Ismaël Habia, improvisateur depuis plus de 10 ans, se sent légitime pour intervenir sur ce thème « mon métier, c’est de caricaturer ! ». Sa troupe accepte de jouer deux spectacles, bien qu’elle même très affectée par la disparition des dessinateurs.

Le jour de la représentation, première surprise : il n’y a que quelques élèves de seconde dans la salle. Les comédiens se trouvent donc face à des adolescents un peu plus âgés que prévu. Ils démarrent la séance de théâtre interactif en leur demandant « la liberté d’expression, c’est quoi pour vous ? » Ils jouent ensuite des saynètes outrancières en fonction des réponses des élèves qui en viennent à préciser leur définition et à dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas. « Pour moi, la pire des choses, c’est que tout cela reste dans leurs têtes. Il faut qu’ils puissent dire les choses afin qu’on puisse contre argumenter », explique Ismaël Habia. Dans la salle, quelques voix défendent l’humoriste controversé Dieudonné : « Un bon exemple, il permet d’introduire la notion centrale du cadre légal et de bien montrer en quoi Dieudonné l’a dépassé. En revanche, ils ont bien compris que les dessinateurs de Charlie, eux, n’avaient rien fait d’illégal ». Et quand les élèves expriment leur désaccord avec la législation, Ismaël Habia leur répond qu’ils ont un instrument pour faire bouger le cadre légal : le vote.

La valeur de l’écoute

« Je n’ai aucun tabou » souligne le comédien. Sa posture d’intervenant lui permet donc d’aborder le sujet de la religion sans problème. Il a imaginé des métaphores parlantes face aux jeunes qui se sentaient heurtés par les caricatures du Prophète : « J’explique aux élèves que chaque religion est une association, ni plus ni moins. Comme pour les fédérations de sport, chaque association dispose d’un règlement intérieur que les adhérents respectent. Pour l’islam, c’est le Coran. Maintenant, quand tu joues au foot, les règles du basket, tu ne t’en préoccupes pas et il n’est pas question que les basketteurs imposent leurs règles ». Et à ceux qui estimaient ne pas pouvoir échapper à ces caricatures, le comédien répond : « Et les publicités de supermarchés alors ? Elles viennent tenter de vendre du jambon et du saucisson, interdits par la religion musulmane, jusque dans vos boîtes aux lettres ! Et jamais vous ne vous êtes dit qu’ils venaient vous provoquer jusque chez vous ? Non, vous comprenez qu’elle ne vous est pas destinée. Ou alors, vous fantasmez secrètement de manger du saucisson ! » Parfois les élèves sont choqués « ils trouvent mes réactions bizarres, surtout pour un musulman pratiquant comme moi ».

Après cette intervention, Ismaël Habia à l’impression « d’avoir fait son travail », mais il estime que beaucoup reste à faire. « Ce n’est pas suffisant. Tous ne sont pas repartis convaincus. Et nous ne pouvons pas, malheureusement, intervenir dans tous les établissements ». Aussi, il met en place une session de formation dédiée aux enseignants. Objectif : « leur donner des outils pour qu’ils travaillent la prise de parole des élèves, que les jeunes disent ce qu’ils ont dans la tête ». Sur quatre demi-journées, il leur apprend des exercices simples d’improvisation. « Les comédiens ne sont qu’un maillon de la chaîne. Nous intervenons ponctuellement une ou deux fois dans l’année. Les enseignants, eux, sont face aux élèves tous les jours ». Des professeurs de différentes disciplines suivent le stage, dont « un de maths, et un professeur d’atelier en lycée professionnel » se réjouit Ismaël Habia. Pour lui, l’improvisation est un bon outil d’expression. D’abord parce qu’il est accessible : « les jeunes viennent comme ils sont, il n’y a pas besoin de compétences particulières requise pour faire de l’impro ». Ensuite, cet exercice présente « deux valeurs pédagogiques fondamentales : l’acceptation de l’autre, sans qui je ne peux pas jouer, et l’écoute, parce que si je n’écoute pas ce qu’on me dit, je ne peux pas poursuivre mon jeu ».

Selon le comédien, les théories du complot représentent un prochain chantier titanesque. En attendant, il n’espère qu’une chose : « ne plus intervenir dans un contexte post-attentat, qu’on continue d’en parler au passé ».

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MATIÈRE À PENSER

LA SOUTANE À L’ASSEMBLÉE

M. Aristide Briand, rapporteur — Messieurs, au risque d’étonner l’honorable M. Chabert, je lui dirai que le silence du projet de loi au sujet du costume ecclésiastique, qui paraît le préoccuper si fort n’a pas été le résultat d’une omission mais bien au contraire d’une délibération mûrement réfléchie. Il a paru à la commission que ce serait encourir, pour un résultat problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule (Applaudissements et rires au centre et à droite), que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, imposer aux ministres des cultes l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements.

Je ferai du reste, observer à l’honorable M. Chabert que le problème n’est pas aussi simple ni aussi facile à résoudre qu’il semble le supposer. Ce que notre collègue voudrait atteindre dans la soutane, c’est le moyen qu’elle procure de se distinguer facilement des autres citoyens.

Mais la soutane une fois supprimée, M. Chabert peut être sûr que, si l’Eglise devait y trouver son intérêt, l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau, qui ne serait plus la soutane, mais se différencierait encore assez du veston et de la redingote pour permettre au passant de distinguer au premier coup d’œil un prêtre de tout autre citoyen.

L’honorable M. Chabert a visité certains pays ; il a pu constater que les pasteurs protestants ont des chapeaux d’une forme particulière, des redingotes d’une coupe spéciale, qui ne le cèdent en rien à la soutane comme signes distinctifs du caractère de ceux qui les portent.Quant au prestige dont jouit la religion dans nos campagnes, je crois qu’il serait téméraire de l’attribuer uniquement à la forme du vêtement que portent les prêtres. L’influence de l’Eglise tient à d’autres causes, moins faciles à détruire ; sinon, il y a longtemps que la libre pensée aurait déjà triomphé du dogme. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

Votre commission, messieurs, a pensé qu’en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait pas se poser. Ce costume n’existe plus pour nous avec son caractère officiel, c’est-à-dire en tant qu’uniforme protégé par l’article 259 du code pénal. La soutane devient, dès le lendemain de la séparation, un vêtement comme un autre, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non. C’est la seule solution qui nous ait paru conforme au principe même de la séparation, et c’est celle que je prie la Chambre de vouloir bien adopter.

(Applaudissements)

L’intégralité du débat du 26 juin 1905

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En 1905, déjà, les Parlementaires s’interrogeaient sur le port des tenues religieuses. Député radical-socialiste de la Drôme de 1899 à 1908, Charles Chabert souhaitait ajouter à la loi de séparation de l’Église et de l’État un amendement interdisant aux prêtres de porter la soutane sur l’espace public. Voici la réponse, d’une étonnante actualité, que lui fit le rapporteur du projet de loi Aristide Briand.

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LE MOT, LE RITE

YOM KIPPOUR

Cette fête, également appelée Jour de l’expiation, est l’une des plus importantes du judaïsme. Elle intervient chaque année le 10 du mois de Tichri, le premier des sept mois du calendrier hébreu.

Yom Kippour clôt un cycle solennel d’une dizaine de jours, appelés « les jours redoutables », qui démarrent à la nouvelle année juive (Roch Hachana). Cette année, Roch Hachana a lieu les 3 et 4 octobre, Yom Kippour est fixé au 12 octobre.

Le jour de Roch Hachana, les croyants se souhaitent une bonne année (« Chana Tova ») et font résonner un chofar, un instrument de musique fabriqué à partir de corne de bélier, afin d’adoucir le Jugement divin. Il est de coutume de prendre un bain rituel ou de se laver symboliquement de ses péchés en les jetant dans un point d’eau. Roch Hachana est généralement chômée.

Yom Kippour correspond à un commandement divin énoncé au troisième livre de la Torah, le Lévitique : « Le dixième jour de ce septième mois, ce sera le jour des expiations, ce sera pour vous une convocation sainte. Vous mortifierez vos âmes [...]. Vous ne ferez aucun travail ce jour-là, car c’est le jour des expiations, destiné à vous réhabiliter devant l’Éternel votre Dieu » (Lv, 23, 29-30). Il s’agit d’une journée solenelle d’absolution.

Le jour de Yom Kippour, les fidèles doivent s’abstenir de boire, manger, d’avoir des relations sexuelles, mais aussi de se parfumer et de porter des chaussures – considérés comme signes de confort matériel – durant 25 heures. Ces différentes privations symbolisent les 5 niveaux de l’âme dans la tradition juive. Les fidèles se consacrent à la prière, à la récitation de psaumes et demandent pardon pour leurs péchés. Il convient d’adresser les demandes concernant les autres avant les siennes.

Le jeûne de Yom Kippour est le plus important dans la tradition juive. Au point que si la fête tombe un samedi, jour de shabbât durant lequel il est habituellement interdit de jeûner, les fidèles doivent tout de même s’astreindre aux obligations liées aux célébrations de Yom Kippour.