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La revue du BRGM pour une Terre Durable BRGM's journal for a sustainable Earth Géobiodiversité: l’influence delagéologie surlabiodiversité page 10 N° 11 > juiLLET 2010 > 8 Microbiallife inthedepths oftheEarth page 52 Lesmicro-organismes dessédiments marinsprofonds page 66

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La revue du BRGM pour une Terre DurableBRGM's journal for a sustainable Earth

�Géobiodiversité�:�l’influence�de�la�géologie�sur�la�biodiversité�page 10

N° 11 > juiLLET 2010 > 8

Microbial�life�in�the�depths�of�the�Earthpage 52

Les�micro-organismes�des�sédiments�marins�profondspage 66

Siège Tour Mirabeau, 39-43 quai André-Citroën 75739 Paris Cedex 15 - France Tél. : (33) 1 40 58 89 00 - Fax : (33) 1 40 58 89 33

Centre scientifique et technique 3, avenue Claude-Guillemin - BP 36009 45060 Orléans Cedex 2 - France Tél. : (33) 2 38 64 34 34 - Fax : (33) 2 38 64 35 18 www.brgm.fr

Abonnez-vous à Géosciences sur notre site Internet : www.brgm.fr

la Loire, Agent géologique

prochain numéro novembre 2010

La géologie détermine le cours du fleuve et les paysages naturels et construits.

Geology determines the rivercourse and natural and built landscapes.

© David Darrault.

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géologie-biologie

N°11

03 Édito-Chantal Jouanno

04 Lemotdurédacteurenchef-Jacques Varet

06 Introductionscientifique-François Guyot

10 Géobiodiversité:l’'influencedelagéologiesurlabiodiversitéPierre Nehlig, Emmanuel Egal

20 LesrochestémoinsdelabiodiversitédupasséPatrick De Wever

28 Lerôleduvivantdanslaformation desdépôts carbonatés Emmanuelle Vennin

38 Lagéologieetl’origine delavieFrances Westall

46 Lesimpacts météoritiques etl’histoire delavieAndré Brack

52 Microbial life inthedepthsoftheEarthTullis C. Onstott, Esta van Heerden, Larry Murdoch

60 Écologie microbienne desréservoirs pétroliersDidier Alazard, Michel Magot, Bernard Ollivier

66 Lesmicro-organismes dessédiments marins profonds Frédérique Duthoit

72 HabitatsandCharacteristics ofExtremophilic Microorganisms David Barrie Johnson

82 Labiolixiviation desminerais sulfurésDominique H.-R. Morin

90 Pointsdevuecroisés–BiodiversitésetGéosciences,enjeuxpourlaconnaissanceetl'économieJean-Claude Vial, Ghislaine Hierso, Catherine Aubertin

94 Chiffresclés

96 Brèves

En couverture : Activité des cyanobactéries

visible dans une source hydrothermale – Yellowstone, USA.

Activity of cyanobacteria visible in a hydrothermal spring in

Yellowstone National Park (USA).© Fotolia

Juillet2010 • numéro11

DirectiondelaCommunicationetdesÉditionsduBRGM-3av.Cl.Guillemin-45060OrléansCedex2-Tél.:02 38 64 37 [email protected] de la rédaction : Jacques Varet • Responsables du numéro « Les frontières géologie-biologie » : Emmanuel Egal, Dominique Morin • Directeur de la publication : Jacques Varet • Comité de rédaction : Loïc Beroud (Service Public), Christian Fouillac (Recherche), Jean-Claude Guillaneau (International), Dominique Guyonnet (pollution, déchets), Serge Lallier (eau), Hormoz Modaressi (risques naturels), Pierre Nehlig (géologie, cartographie), Patrice Christmann (ressources minérales), Michel Beurrier (actions régionales), Jean-Marc Lardeaux (Université de Nice), Michel Vauclin (CNRS) • Secrétariat de rédaction : Françoise Trifigny • Révision : Olivier Legendre, Françoise Trifigny • Responsable d’édition : Pierre Vassal • Maquette et réalisation : Chromatiques éditions 01 43 45 45 10 • Impression : Gibert Clarey imprimeurs, Chambrey-lès-Tours – Imprimerie certifiée Imprim’Vert • Régie pub : Com d’habitude publicité 05 55 24 14 03 – www.comdhabitude.fr – [email protected] • ISSN 1772-094X • ISBN 978-2-7159-2489-5 • Dépôt légal à parution. • Référencée dans la base Scopus d’Elsevier.Toute reproduction de ce document, des schémas et infographies, devra mentionner la source « Géosciences, la revue du BRGM pour une Terre durable ». • Le comité de rédaction remercie les auteurs et les relecteurs pour leur contribution. • Les propositions d’articles sont à envoyer à [email protected]

Liste des annonceurs : BRGM Formation p.57 • BRGM éditions c.2 • Enag c.3 • SDEC France c.3

PEFC/10-31-1073

PROMOUVOIRLA GESTION DURABLE

DE LA FORÊT

FCBA/07-00800

édito

Chantal JouannoSecrétaire d’État chargée de l’ÉcologieMinistère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer

C’est avec beaucoup d’enthousiasme que j’ai découvert que la revue Géosciences consacrait son onzième numéro aux sciences de la vie.

Force est de constater que la dynamique impulsée en 2010 par « l’Année Internationale de la Biodiversité » a été assez forte pour faire remonter les géologues à la surface et s’intéresser au Vivant.

Mais dire que le BRGM a attendu 2010 pour s’intéresser à la biodiversité, ce serait être mauvaise langue. Preuve en est, il compte parmi les membres fondateurs de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité et il fait partie des organismes qui sont tous fortement impliqués autour de ces enjeux de la biodiversité.

Les géologues, et la lecture de ce numéro en convaincra le lecteur, ont toute légitimité à contribuer à la recherche en matière de biodiversité. Leur regard sur la diversité de la vie terrestre et, osons le mot, « sous-terrestre », est particulièrement utile pour la société.

En effet, les géosciences apportent une dimension essentielle, celle du temps long : la biodiversité actuelle a été modelée par des évolutions sur de très longues durées (plusieurs milliards d’années), faites de grands développements d’espèces et de diversifications, mais aussi d’extinctions souvent massives.

Ce regard est donc essentiel pour mieux appréhender la richesse mais aussi la fragilité de la biodiversité actuelle. Les géosciences en apportent un autre, celle de la vie souterraine et des systèmes extrêmes, ou encore des interfaces, qu’il s’agisse des extrêmophiles des systèmes hydrothermaux ou des micro-organismes des sols et des aquifères profonds. Et lorsqu’elles se tournent

vers les applications, les géotechnologies peuvent identifier des procédés particulièrement efficaces, par exemple pour le bio-traitement des pollutions ou l’extraction des métaux à partir des minerais par procédés bio-hydro-métallurgiques. Il s’agit souvent de procédés bien plus propres et sobres que les procédés traditionnels, comme la pyrométallurgie.

J’observe enfin que le franchissement des frontières – dans ce domaine scientifique comme dans bien d’autres cas – s’avère, ici encore, particulièrement fer-tile. Et je me réjouis de cet « autre regard » porté sur la biodiversité à partir d’autres disciplines. Dans le cas des géosciences, s’ouvrent ainsi de nouvelles voies de recherches, d’expertises, et d’applications économiques et environnementales.

Les géologues nous apprennent que la planète a déjà subi plusieurs extinctions majeures. Celle que nous vivons, aujourd’hui, la sixième pour les scientifiques, trouve sa principale explication de la main de l’Homme. Autant dire que notre responsabilité est collective et qu’il nous faut tout faire pour la stopper.

Voilà le message essentiel de cette année 2010, « année de la biodiversité ».

La biodiversité, un enjeu pour les géosciences

La diversité végétale s’accorde à la géologie : plaines alluviales agricoles, coteaux en terrasses viticoles et pâturages et forêts dans les hauteurs (haute vallée du Rhône).Plant species diversity adapts to the prevailing geology: farmland in alluvial plains, terraced vineyards on hillsides and pastures and woodland in higher country (upper Rhone valley).© Fotolia

Publication labellisée année internationale de la biodiversité

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le mot du rédacteur en chef

Jacques VaretDirecteur

de la Prospective, BRGM [email protected]

À l’occasion de l’Année Internationale de la Biodiversité, la revue Géosciences ne pouvait ignorer le sujet, d’autant que le

BRGM est membre de la « Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité(1) ». Certes, on aurait pu considérer que les disciplines scienti-fiques sont bien définies et que les géosciences traitant justement du segment non-vivant des milieux et systèmes naturels n’avaient pas à s’aventurer dans ce champ. Mais on sait qu’en France, les deux disciplines sont enseignées dans le secondaire par les mêmes professeurs(2), qui devraient ainsi maîtriser également biolo-gie et géologie. Il ne s’agit pas seulement de nous adresser à cette tranche de notre lectorat particulièrement avide d’informations à jour. La raison est plus large : si notre revue souhaite garder sa stricte spécialisation en sciences de la terre, elle ne peut ignorer la biologie, une science beaucoup plus étudiée aujourd’hui, parce que sous ses facettes multiples, le savoir

(�) – FRB : http://www.fondationbiodiversite.fr/Accueil.html(�) – De SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) comme on dit aujourd’hui avec la mode des abrégés.

acquis a des conséquences encore plus directes et cruciales sur l’espèce humaine que la géo-logie elle-même déjà très exposée.

Dans ce onzième numéro de notre revue, nous concentrerons notre attention sur l’un des champs d’investigation parmi les plus ambi-tieux : celui qui explore l’interface entre géologie et biologie. En effet, les frontières entre ces deux disciplines sont de plus en plus étendues : elles repoussent les recherches dans les fonds océaniques, dans les entrailles de la Terre, dans l’espace, dans tous les milieux physiques et chimiques extrêmes. Ce numéro veut présenter les aspects les plus pointus des connaissances, et de leurs enjeux dans ces différentes directions, qu’elles tiennent à la recherche fondamentale ou qu’elles soient tirées par des perspectives d’applications immédiates ou futures.

Avec le souci de fournir à nos lecteurs une vision du sujet aussi exhaustive et actuelle que possible, nous avons cherché à rassembler dans

Du Minéral à la Vie

Dépôts hydrothermaux de sels chargés en métaux à Dallol (Afar, Éthiopie). On observe un jeu de couleurs depuis les gris correspondant aux dépôts réducteurs de sulfures à la bouche des émissions (stalagmites de sel), jusqu’à des jaunes, des verts et des rouge-marron correspondant aux stades successifs d’altération en cuvettes sous l’effet bio-géochimique combiné des bactéries et de l’oxydo-réduction des métaux contenus dans les fluides géothermaux.Hydrothermal deposits of metal-rich salts at Dallol (Afar, Ethiopia). A colour palette ranging from greys corresponding to reducing sulphide deposits at emission vents (salt stalagmites) on through to yellows, greens and reddish browns corresponding to successive stages of alteration in basins under the combined biogeochemical effects of bacteria and the oxidation reduction of the metals contained in geothermal fluids.© J. Varet, 2010.

Microbiologie des sols en zonesd’altération continentale

Bioconstructions calcaires littorales

Dépôts marins bioclastiques

Extrêmophiles développés dans les systèmes hydrothermaux(dorsales océaniques)

Formations calcaires biogéniques (marines ou lacustress)

Les systèmesbio-géologiques actuels

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ce numéro les facettes les plus représentatives de ces frontières, en traitant aussi bien de la contribution des systèmes vivants dans les processus géologiques que de l’influence des systèmes géologiques sur la biologie et sur l’origine de la vie. En effet, si notre planète est porteuse de vie (même s’il n’est pas prouvé qu’elle en détienne le monopole, c’est la seule aujourd’hui identifiée comme telle), cela tient certes à sa place dans l’univers et le système solaire en particulier, qui fournit à la fois les éléments chimiques et les paramètres physiques appropriés, mais aussi au fait que la terre constitue un système géologique doté d’une dynamique endogène et exogène particuliè-rement développée(3). Il n’est pas exclu que les premières formes de vie se soient développées au sein de systèmes hydrothermaux, sous-marins ou terrestres. En outre, les phénomènes géologiques terrestres ou extra-terrestres ont joué un rôle majeur dans l’apparition et l’évolution de la vie, qu’il s’agisse des grandes expansions ou des grandes extinctions, au point d’en déterminer les grandes étapes ou ères géologiques. Et les phénomènes géologi-ques actuels et futurs continuent à déterminer une large part des réalités biologiques, que ce soit la répartition des espèces ou leur devenir.

Ce numéro porte en conséquence aussi bien sur le rôle de la géologie dans l’origine de la vie

(�) – Comme nous l’avons montré dans le n° 9, Terre vivante, Terre en mouvement, les systèmes d’observation d’une Terre dynamique, avril �009.

et sur la vie actuelle dans les profondeurs ou à la surface de la Terre que sur le rôle de la biologie dans la construction des formations géologiques, notamment les carbonates (qui en retour constituent des témoins de l’évolution de la biodiversité à travers les temps géologi-ques). Il met l’accent sur les formes de vie parfois extrêmes du domaine de la géomicro-biologie, qui jouent un rôle dans certains processus géologiques, et notamment celles qui sont à l’origine de procédés de valorisation des ressources minérales ou encore de dépol-lution des sols et des eaux.

Nous espérons ainsi convaincre que non seulement ces deux disciplines ne peuvent s’ignorer, mais qu’en outre, approfondir les connaissances aux frontières communes constitue une perspective particulièrement fertile. n

Il n’est pas exclu que les premières formes de vie se soient développées au sein de systèmes hydrothermaux, sous-marins ou terrestres.

Les systèmes bio-géologiques actuels

A Microbiologie des sols en zones d’altération continentale

B Bioconstructions calcaires littorales

C Dépôts marins bioclastiques

D Extrêmophiles développés dans les systèmes hydrothermaux (dorsales océaniques)

E Formations calcaires biogéniques (marines ou lacustres)

F Source thermale© BRGM - Art Presse.

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Une science en émergence, la géobiologie

l’Archéen, combustion actuelle de matière organique fossile) ? Peut-on construire un arbre du vivant en termes d’impacts géochimiques ? La co-évolution Terre-Vie est-elle une réalité scientifique ? L’approche de ces questions s’est intensément renouvelée depuis une quinzaine d’années, grâce aux progrès technologiques en biochimie et micro-analyses, qui ont permis, en particulier, l’introduction de la biologie au cœur du métier de géologue, à l’intérieur même des roches.

L’enjeu de la biosphère profondeIl est naturel et emblématique que ce que l’on appelle la biosphère profonde, l’ensemble des organismes du sous-sol, figure au centre des préoccupations des géologues en général et du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) en particulier. Comment ces micro-organismes (« micro » car cette Vie est confinée dans la porosité des roches, de l’ordre du micron) affecteront-ils les stockages géolo-giques de dioxyde de carbone ou d’autres fluides ? Une assimilation biologique signifi-cative du CO2 en subsurface est-elle possible et mesurable, en écho atténué mais potentiel-lement important des croissances végétales et phytoplanctoniques de surface? La biosphère profonde joue-t-elle un rôle dans la genèse de ressources actuelles ou à venir, pétrole, gaz naturel, hydrates de gaz, hydrogène ?

Dans le cursus français de formation des Maîtres, géologues et biologistes étudient ensemble les Sciences de la

Vie et de la Terre, héritières de l’Histoire Naturelle. Le maintien de cette double compé-tence des enseignants est pertinent car, comme en témoigne ce numéro de la revue Géosciences, une réelle dynamique scientifique existe à l’interface des deux disciplines. Cette associa-tion historique donne d’ailleurs à notre recherche en géobiologie une valeur ajoutée au niveau international. Ce lien qui unit les naturalistes induit des questionnements majeurs concernant l’action de la Terre sur la Vie et vice versa. La biodiversité spatiale et temporelle résultant de l’Évolution est-elle mue principalement par la dynamique interne du vivant, celle des génomes, ou bien le rôle modeleur de l’environnement est-il prépondé-rant, en particulier au travers de crises qui définissent les frontières entre étages géologi-ques ? La naissance de la Vie sur Terre a-t-elle eu un impact géochimique évident ? Peut-on corréler les relations entre grandes bifurcations dans l’arbre du vivant (symbioses majeures, apparition de la photosynthèse oxygénique, naissance des eucaryotes, explosion cam-brienne) avec des transitions du fonctionnement de la Terre ? Inversement, des innovations biologiques ont-elles modifié ou altéreront-elles les cycles géologiques et donc les roches (oxygénation de l’atmosphère et de l’océan à

Les progrès technologiques en biochimie et micro-analyses ont permis l’introduction de la biologie au cœur du métier de géologue.

François Guyot Professeur à l'université

Paris 7 Diderot

Chercheur à l'Institut de minéralogie et de physique

des milieux condensés (IMPMC) et à l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP), où il a initié l'étude

de la géomicrobiologie.

[email protected]

L’étude des interactions entre minéraux et matériaux

biologiques permet de mieux comprendre le rôle

que joue la biosphère dans la dynamique terrestre

actuelle et ancienne. À la frontière de la géologie

et de la biologie, la géobiologie est donc une science émergente.

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cellules eucaryotes actives détectées pour le moment) a fait d’immenses progrès grâce aux méthodes moléculaires. La biosphère profonde reste toutefois l’une des grandes frontières de l’exploration scientifique. Le défi tient en partie aux faibles biomasses, aux contaminations de surface, à la difficulté de caractériser correcte-ment dans les roches une matière organique souvent très peu abondante, diffuse ou conte-nue dans de minuscules inclusions fluides. Mais les développements sont constants, et l’on peut penser que, dans un avenir pas si éloigné, une mission des services géologiques nationaux sera de cartographier, comprendre et interpréter cette composante particulière du sous-sol, définissant ainsi une biogéographie et une biodiversité associées aux différentes formations géologiques et à leur histoire.

Dans le futur, des perspectives biotechnolo-giques seront vraisemblablement associées à ces organismes très particuliers. Utiliser des mécanismes biologiques pour optimiser des processus minéraux est une pratique bien maîtrisée en surface, avec un grand potentiel de développement pour l’énergie et

Comment interagit-elle avec les infrastruc-tures d’exploitation du sous-sol profond ? Participe-t-elle aux grands cycles géochimiques qui assurent l’homéostasie planétaire ? Est-elle susceptible d’affecter le cycle global du carbone en régulant la part de matière organique synthétisée en surface qui in fine rejoindra l’intérieur de la Terre sous forme économique-ment utilisable ou non ? La biodiversité des profondeurs peut-elle être source de biomo-lécules d’intérêt (pour les fonds océaniques, c’est avéré) ? Les réponses à ces questions sont limitées par les techniques actuelles qui butent sur le verrou d’identification, de visua-lisation et d’analyse des organismes et de leurs métabolismes in situ dans leurs milieux géologiques profonds. Un état de l’art et des progrès sont présentés dans ce volume (voir les articles de Tullis Onstott et al., de Frédérique Duthoit et de Didier Alazard et al.), mais plusieurs révolutions technologiques, du calibre de l’invention de la réaction de polymérisation en chaîne de l’ADN, seront encore nécessaires.

La caractérisation des bactéries et archées qui constituent la biosphère profonde (pas de

Images de microscopie électronique de bactéries magnétotactiques collectées dans la Seine. Les magnétites intracellulaires utilisées par la bactérie pour la magnétoréception sont les petits cristaux gris à noirs aux formes rectangulaires. Les grands nodules visibles dans la cellule sont des granules riches en carbone, réserves d'énergie et marqueurs d'un stress environnemental (déséquilibre des substances nutritives).

Electron microscope images of magnetotactic bacteria sampled from the Seine. The intracellular magnetite the bacteria use for magnetoreception consists of minute, rectangular-shaped grey to black crystals. The large nodules seen inside the cell are carbon-rich granules that provide stores of energy; they are indicators of environmental stress (an imbalance in nutrients).© A. Isambert, IPGP.

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08 l’environnement. Des exemples de biolixivia-tion de minerais pour accroître la production de métaux, mis au point au BRGM, sont présentés dans ce numéro dans un cadre de développement durable (voir l’article de Dominique Morin). Les études de bioremédia-tion de sols pollués ou de nappes phréatiques contaminées constituent d’autres exemples dans lesquels les interactions entre des organismes vivants et des minéraux peuvent conduire à une meilleure gestion des milieux et des procédés. Pourra-t-on étendre ces approches à des pratiques industrielles plus globales impliquant des ressources minérales, aux stockages géologiques profonds, à du « bio-géo engineering » ? La réflexion est nécessaire et les recherches présentées dans ce volume en illustrent le contexte scientifique.

La problématique de la biosphère profonde est intimement liée aux questions de vie primitive et d’origine de la Vie sur Terre, dont les traces se dissimulent dans des formations sédimentaires anciennes, modifiées par l’histoire géologique, la diagenèse, le méta-morphisme (voir l’article de Frances Westall et l’encadré de Pascal Philippot), et, élément de loin le moins connu, par les organismes vivant dans les couches profondes qui ont pu affecter ces témoins paléontologiques enfouis au cours des millions voire des milliards d’années d’histoire géologique. Elle pose aussi la

question des relations entre les molécules observées dans les météorites et les compo-sants biochimiques. Il faut imaginer une matière organique extra-terrestre évoluant sur la Terre primitive dans un environnement de forts gradients d’oxydo-réduction et d’événements de haute énergie tels les grands impacts astéroïdaux et cométaires (voir l’article d’André Brack). Le couplage entre déséquilibres énergétiques dans le milieu géologique primitif et des structures dissipa-tives biochimiques (tels que les acides nucléiques fonctionnels, les protéines cataly-tiques, les systèmes lipidiques organisés, ou les cellules) reste à comprendre. Des traces et des pistes seront peut-être disponibles au sein des roches et possiblement visibles en subsurface. Si c’était là l’unique raison d’étudier la biosphère profonde, cela justifierait déjà de gros budgets, à l’aune de ceux consacrés à la recherche de Vie sur d’autres planètes. En effet, du point de vue de la biologie, l’explora-tion du sous-sol profond s’apparente nettement à une mission spatiale planétaire à visées astrobiologiques ou exobiologiques.

Rechercher le vivant dans les profondeurs de la Terre amène une autre question passion-nante, celle des limites physiques et chimiques de la Vie. Les adaptations moléculaires sem-blent fixer aux organismes tels que nous les connaissons une température maximale de l’ordre de 150 °C, soit une dizaine de kilomètres de profondeur dans une croûte continentale froide, un à cinq kilomètres dans des zones géothermiques. Mais les raisons mécanistiques de ces bornes ne sont pas réellement comprises. Leur élucidation est l’un des grands objectifs pluridisciplinaires de la Science. La complexité des écosystèmes et des milieux fait intervenir d’autres stress environnementaux que la température, tels que la pression hydro- statique, la chimie de l’eau porale, ou la disponibilité en nutriments. L’étude des extrê-mophiles et de leurs mécanismes de survie et d’adaptation à des stress variés est à cet égard très importante (voir l’article de David Johnson). L’observation sur le terrain de la biosphère profonde, de son extension maximale, en particulier dans des sites instrumentés (forages, mines, sites de stockage géologique) sera une voie pertinente pour aborder le problème des limites de la Vie envisagée globalement et non vis-à-vis de la stabilité de telle ou telle biomolécule particulière.

Images de microscopie électronique de bactéries magnétotactiques collectées dans la Seine. Les magnétites intracellulaires utilisées par la bactérie pour la magnétoréception sont les petits cristaux gris à noirs aux formes hexagonales.

Electron microscope images of magnetotactic bacteria sampled from the Seine. The intracellular magnetite the bacteria use for magnetoreception consists of minute, hexagonal-shaped grey to black crystals.© A. Isambert, IPGP.

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Biominéralisation et biodiversitéUne partie significative des roches qui consti-tuent la Terre solide s’est formée sous l’action directe d’êtres vivants ou à leur contact. La biominéralisation, synthèse de phases solides par le vivant, est le nœud de l’interaction entre biologie et géologie. En géologie, un minéral, doté d’une structure tridimensionnelle et d’une formule chimique, est un solide rencontré dans la Nature, ce qui est assez différent de l’acception biologique du terme ; dans ce numéro, c’est bien dans le sens géologique qu’il faut comprendre la biominéralisation. Elle se produit à des échelles variées : nano-métrique lorsque des bactéries fabriquent des monocristaux de magnétite mono-domaine qu’elles utiliseront comme des boussoles, leur permettant un accès plus efficace aux nutriments (cf. images) ; kilométrique quand

on considère la structure bio-construite de la grande barrière de corail. Néanmoins, quel que soit le système considéré, la production du minéral par l’organisme vivant implique une action biologique à l’échelle moléculaire, directe lorsque les caractéristiques du solide confèrent un avantage sélectif et sont donc génétiquement contrôlées, indirecte lorsque la biominéralisation apparaît comme un sous-produit du métabolisme. L’échelle pertinente d’étude est, dans tous les cas, celle de l’interac-tion entre la biologie cellulaire et moléculaire et les nano-minéraux solides.

La biominéralisation au sens large, telle qu’elle est abordée dans ce numéro de Géosciences, joue un rôle de premier plan dans le fonction-nement de la Terre. C’est notamment le cas pour le cycle du carbone, car la précipitation des carbonates est le mécanisme principal de stoc-kage du CO2 atmosphérique, et un élément essentiel de sa régulation. Face à l’augmenta-tion actuelle du dioxyde de carbone d’origine anthropique (ce fait n’est contesté par aucun

scientifique, ce sont ses conséquences qui parfois font débat), se pose la question de la réponse des cellules, des organismes et des écosystèmes. Interrogation particulièrement pertinente pour la biodiversité marine dans la mesure où l’océan superficiel global actuel est « sursaturé » par rapport à la production de carbonates solides. Les squelettes calcaires produits par les êtres vivants n’ont donc pas de tendance à la dissolution, mais ce fait géologique pourrait bien être modifié à l’échelle du siècle par l’activité humaine avant que les mécanismes d’altération continentale puissent le réguler. Ce degré de sursaturation est de fait déterminé par les mécanismes de production de carbonates solides dans les eucaryotes unicellulaires marins et les coraux. De nombreux laboratoires s’intéressent directement à ces questions complexes, mais

l’intérêt principal du regard du géologue est d’apporter la profondeur temporelle. La pression partielle de CO2 a beaucoup fluctué au cours des temps géologiques, les organis-mes biominéralisateurs aussi. La lecture des archives sédimentaires de la composition de l’atmosphère et de l’océan, de la biodiversité en général, et de la production carbonatée en particulier (voir les articles d’Emmanuelle Vennin et de Patrick De Wever), doit donc être développée afin de mieux maîtriser les changements actuels et les inscrire dans le cadre du fonctionnement global de la planète. L’examen des grandes crises de l’histoire géologique nous enseigne que la centaine d’années à venir ne remettra certes pas en cause la « survie de la planète », ni même la richesse de la biodiversité sur le long terme. Par contre, cette période critique pourrait bien être compliquée à négocier pour certaines espèces, la nôtre en particulier. L’examen, en utilisant les nouveaux moyens technolo-giques, des archives de la Vie inscrites dans les roches est une attitude pertinente et

raisonnable face aux incertitudes actuelles, et les recherches dans ce domaine sont passionnantes.

La tectonique géologique conduit à disposer à la surface de la Terre les roches fabriquées par les processus biologiques, mais aussi magma-tiques, métamorphiques ou aqueux abiotiques, et à les associer suivant un agencement spatial qui, en interaction avec les enveloppes fluides de la planète, l’érosion en particulier, et les êtres vivants, définira la géographie physique des surfaces continentales. Dans ce cadre, com-prendre comment la nature géologique du sous-sol (c’est-à-dire ce qui se situe sous le sol, lui-même constituant par définition la couche limite d’interaction chimique et biochimique entre les roches et la surface) influe sur les êtres vivants et la biodiversité n’est pas l’aspect le moins important, ni le moins original, abordé dans la présente édition (voir l’article de Pierre Nehlig et Emmanuel Egal). La nature des roches du sous-sol peut avoir sur la biodiversité locale et sur son action résultante des effets anthropiquement amplifiés (parce qu’elle va conditionner l’utilisation humaine du territoire pour des pratiques agricoles ou minières) ou plus généraux (en particulier au travers de différences de biodiversités entre des sols se développant, à climat égal, sur des lithologies différentes, avec des effets quantifiables sur la macroflore et la macrofaune). Des recherches dans ce domaine devraient établir un lien plus fort entre géologues, géographes et écologues. Ce numéro de la revue Géosciences du BRGM fait donc bien le point sur l’état de grandes questions biologiques posées dans une pers-pective géologique. Osons une comparaison qui a quelques mérites malgré ses grandes limitations. Voici plus de cinquante ans, les géologues (sous l’impulsion de grands chimis-tes comme Harold Urey) commencèrent à s’approprier des concepts de chimie et firent naître la géochimie, qui prit alors un essor remarquable. La géobiologie vit sans doute actuellement des moments analogues, ceux d’une science en émergence qu’il est passion-nant d’examiner à ce stade. Les géologues pratiqueront la biologie de manière différente de celle dont l’envisagent les biologistes eux-mêmes. Cette nouvelle aventure scientifique est porteuse d’innovations conceptuelles et technologiques. n

Une partie significative des roches qui constituent la Terre solide s’est formée sous l’action directe d’êtres vivants ou à leur contact.

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Les�micro-organismes�des�sédiments�marins�profondspage 66

Siège Tour Mirabeau, 39-43 quai André-Citroën 75739 Paris Cedex 15 - France Tél. : (33) 1 40 58 89 00 - Fax : (33) 1 40 58 89 33

Centre scientifique et technique 3, avenue Claude-Guillemin - BP 36009 45060 Orléans Cedex 2 - France Tél. : (33) 2 38 64 34 34 - Fax : (33) 2 38 64 35 18 www.brgm.fr

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la Loire, Agent géologique

prochain numéro novembre 2010

La géologie détermine le cours du fleuve et les paysages naturels et construits.

Geology determines the rivercourse and natural and built landscapes.

© David Darrault.

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