mouvements de rÉparation au canada

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Travis Tomchuk et Jodi Giesbrecht Musée canadien pour les droits de la personne MOUVEMENTS DE RÉPARATION AU CANADA La société historique du Canada La série L’Immigration et l’ethnicité au Canada N o 37

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Travis Tomchuk et Jodi GiesbrechtMusée canadien pour les droits de la personne

MOUVEMENTS DE RÉPARATION AU CANADA

La société historique du CanadaLa série L’Immigration et l’ethnicité au Canada No

37

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Rédactrice – Marlene Epp,Conrad Grebel University College

Université de Waterloo

Comité consultatif pour la série : Laura Madokoro, Université McGill

Jordan Stanger-Ross, Université de VictoriaSylvie Taschereau, Université du Québec à Trois-Rivières

Copyright © Droits réservés par la Société historique du Canada,

2018

Publié par la Société historique du Canada avec l’aide financière du ministère du Patrimoine canadien

ISSN: 2292-7468 (imprimé)ISSN: 2292-7476 (en ligne)ISBN: 978-0-88798-297-2

Travis Tomchuk est conservateur de l’histoire des droits de la personne au Canada au Musée canadien pour les droits de

la personne et a obtenu son doctorat de l’Université Queen’s.Jodi Giesbrecht est gestionnaire de la recherche et

de la conservation au Musée canadien pour les droits de la personne et a obtenu son doctorat de l’Université de Toronto.

En couverture :Des Canadiens d’origine japonaise demandant la réparation des

torts passés sur la Colline parlementaire en 1988.Photographe : Gordon King.

Crédit : Nikkei National Museum 2010.32.124.

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MOUVEMENTS DE RÉPARATION AU CANADA

  Travis Tomchuk et Jodi Giesbrecht

Musée canadien pour les droits de la personne

Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés. Toute représentation ou reproduction, intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, est illicite, à moins d’avoir préalablement obtenu l’autorisation écrite

de la Société historique du Canada.

Ottawa, 2018

la Société historique du Canada

La série L’immigration et l’ethnicité au Canada

Brochure no 37

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Introduction

Ces dernières décennies, nous avons assisté à un véritable défer-lement d’excuses, de déclarations de regrets, de gestes de com-

mémorations et de compensations, et de mesures correspondantes de la part de tous les niveaux de gouvernement au Canada, visant à reconnaître les injustices subies par différents groupes ethniques et d’immigrants. Par exemple, sur une liste seulement partielle figurent :

• les excuses adressées par la Chambre des Communes aux Cana-diens d’origine japonaise (Nikkei), 1988

• le discours du Premier ministre Brian Mulroney au Congrès na-tional des Italo-canadiens et de l’Association professionnelle des gens d’affaires italo-canadiens, 1990

• la Proclamation royale désignant la « Journée de commémora-tion du Grand Dérangement », 2003

• la Déclaration de regrets du Procureur général de la Colom-bie-Britannique aux enfants des Doukhobors «  Fils de la lib-erté », 2004

• la Loi visant à reconnaître l’internement des personnes d’origine ukrainienne, 2005

• l’Accord de principe entre le Gouvernement du Canada et la communauté italo-canadienne, 2005

• les excuses présentées par la Chambre des Communes pour la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois au Canada, 2006

• la reconnaissance et les excuses présentées par le Parlement de Colombie-Britannique pour l’incident du Komagata Maru, 2008

• les excuses présentées pour Africville et l’accord pour com-mémorer la communauté historique, 2010

• les excuses présentées par la Chambre des Communes pour l’in-cident du Komagata Maru, 2016

• les excuses présentées par la Chambre des Communes pour le MS Saint-Louis, 2018.

Bien que ces divers gestes en direction d’une réparation n’eussent pas été semblables sur le plan des excuses officielles et des compensa-tions financières, ils constituent de réels indicateurs de notre entrée dans « l’ère des excuses ». De plus en plus fréquentes, tant au Canada qu’à l’étranger, de telles excuses soulèvent un certain nombre de ques-

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tions au sujet de la relation entre la mémoire collective, les discrim-inations et l’exclusion, et les droits humains et la justice aujourd’hui.

Cette brochure examine les mouvements de réparation au Canada au sein de la thématique plus large de l’immigration et de l’ethnicité. Bien que le sujet des réparations et des excuses concernant les relo-calisations forcées dans le Haut-Arctique ou les écoles résidentielles amérindiennes constitue sans nul doute un important élément de cette question des réparations dans l’histoire canadienne, il déborde du cadre de cette publication. Ici, nous nous concentrerons sur les quatre principaux mouvements de réparation qui représentent des éléments essentiels de l’histoire de l’immigration et de l’ethnicité au Canada : les relocalisations forcées des Canadiens japonais durant la Seconde Guerre mondiale, la taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois, les opérations d’internement qui se sont déroulées lors des Première et Seconde Guerres mondiales, et l’incident du Komagata Maru. Pour chacun de ces quatre mouvements, nous présenterons un survol de l’histoire de ces injustices ainsi qu’un examen des cam-pagnes de réparation subséquentes.

Chercher à réparer une injustice historique, qu’est-ce que cela sig-nifie ? Au sens le plus élémentaire, nous pouvons comprendre les mou-vements de réparation comme des campagnes menées par les mem-bres d’une communauté affectée par une injustice historique et par leurs alliés, afin que l’on reconnaisse les abus dont ils ont été victimes. Les mouvements de réparation peuvent aspirer à un certain nombre de choses, dont des excuses officielles, une compensation sous forme monétaire ou autre, des monuments publics commémoratifs ou des initiatives dans le domaine de l’éducation. La plupart des mouvements de réparation ont en commun le désir de sensibiliser le grand public à l’injustice historique, de rechercher une reconnaissance officielle des torts subis et un aveu de culpabilité de la part de ceux qui ont per-pétré ces injustices. Les mouvements de réparation n’obtiennent que rarement une compensation financière et n’aboutissent pas toujours à des excuses officielles. Mais ni les excuses ni les compensations n’ont pu se produire sans les pressions collectives exercées par les citoyens, en général ceux des communautés affectées par l’injustice historique. Les communautés cherchant réparation ont usé d’une grande diver-sité de tactiques pour atteindre leurs objectifs. Parmi ces efforts, on compte l’action directe – exercer des pressions sur le gouvernement

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au moyen de campagnes de lettres et de pétitions –, l’organisation de défilés et de manifestations, la recherche de l’attention des médias et la publication d’articles dans des journaux locaux et nationaux. Parmi les autres tactiques figurent les contestations juridiques et les recours collectifs en justice afin de chercher à obtenir réparation par le biais du système juridique canadien. Cela implique souvent des années d’activ-isme et de sensibilisation du public, ainsi que de multiples tactiques de mobilisation.

Le succès des campagnes de réparation a souvent été tributaire d’un certain nombre de facteurs, y compris de la sensibilité du gouver-nement au pouvoir et de sa volonté de négocier, de la complexité du processus juridique, du degré de soutien intercommunautaire et de la sympathie du public pour la cause en question, ainsi que des stratégies et de la capacité de persuasion des requérants. Par conséquent, ex-cuses officielles et reconnaissance de l’injustice historique ont résulté d’une interaction entre la capacité des organisations communautaires de se faire entendre, l’intérêt du public et la volonté politique. De fait, ce sont de tels facteurs qui ont façonné l’histoire des réparations dans les quatre injustices historiques majeures que nous examinons dans cette brochure.

Nous allons à présent examiner ces quatre mouvements de répara-tion en détail.

Les déplacements forcés des Canadiens d’origine japonaise

Déplacements forcésEn 1941, environ 95% des 23 000 Canadiens japonais vivant au Cana-da résidaient dans la province de Colombie-Britannique. Sur ce nom-bre, 13 000 étaient nés au Canada et près des trois quarts d’entre eux étaient citoyens canadiens. Les Canadiens japonais vivaient dans des centres urbains ou ruraux le long de la côte et dans l’intérieur de la province, et ils exerçaient divers métiers.

Dans la vie quotidienne, les Canadiens japonais subissaient l’expres-sion de forts sentiments racistes et xénophobes, s’accompagnant de gestes de même nature à leur encontre. Ils n’avaient pas le droit de vote et, en règle générale, se voyaient empêchés d’accéder aux emplois de la

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fonction publique, de pratiquer le droit ou la médecine, ou d’intégrer certaines professions. Les Canadiens japonais étaient même confrontés à la violence physique en raison de leur nationalité et de leur culture. Par exemple, en 1907, un rassemblement anti-immigration, dans une agitation de propagande pour un « Canada blanc », prit une tournure violente lorsqu’une foule raciste se lança à l’attaque des maisons et des commerces des districts chinois et japonais de Vancouver.

Ces attitudes nativistes et racistes envers les Canadiens japonais pri-rent de l’ampleur durant la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, les politiciens et les habitants de Colombie-Britannique redoutaient que les Canadiens japonais pussent représenter une menace contre la sécurité nationale et faisaient pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il prenne des mesures préventives contre ce danger supposé. Conscient que ces craintes reposaient davantage sur le racisme et la xénophobie que sur un réel complot visant à saper l’effort de guerre allié ou à saboter la sécurité nationale, le gouvernement canadien hési-tait. Cependant, le 7  décembre 1941, l’aviation japonaise bombarda Pearl Harbor, ce qui poussa à l’action le gouvernement canadien, qui suivait en cela ses alliés du temps de guerre. Après avoir officiellement déclaré la guerre au Japon, le gouvernement recourut à la Loi sur les mesures de guerre pour promulguer des mesures sans l’aval du Parle-ment. Il déclara que tous les Canadiens japonais, qu’ils soient citoyens nés au Canada ou non-citoyens, étaient « des ennemis étrangers ».

Le 14 janvier 1942, le Cabinet fédéral promulgua le Décret PC-365 qui interdisait à tous les hommes canadiens-japonais en âge de porter les armes de vivre à moins de 160 km de la côte. Les écoles et les jour-naux canadiens-japonais furent fermés, 1800 bateaux de pêche cana-diens-japonais furent saisis et 38 citoyens japonais furent emprison-nés. Peu après, la GRC arrêta 720 Canadiens japonais, les arrachant à leur foyer pour les placer en détention dans des camps d’internement. Malgré ces mesures draconiennes, de nombreux Britanno-Colom-biens restaient insatisfaits, convaincus que ces mesures n’allaient pas assez loin. Menés par leur député provincial, Ian Mackenzie, les Bri-tanno-Colombiens faisaient pression sur le gouvernement pour qu’il place tous les Canadiens japonais en camp d’internement, quels que soient leur âge, leur sexe ou leur citoyenneté.

En réponse à cette inquiétude de la population, le gouvernement fédéral promulgua le Décret PC-1486 le 24  février 1942  ; ce derni-

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er déclarait que toutes les personnes d’origine japonaise devaient être éloignées de la zone de protection côtière. Cela s’appliquait indif-féremment à tous les Canadiens japonais, indépendamment de leur âge et de leur métier, qu’ils soient citoyens canadiens ou non. Afin de superviser les évacuations massives et les relocalisations forcées, la Commission de sécurité de la Colombie-Britannique fut créée, de pair avec un Dépôt des propriétés ennemies, chargé de confisquer les biens des Canadiens japonais et de détenir leurs propriétés en fiducie. La Commission de sécurité imposa un couvre-feu, procéda sans man-dat à la fouille des habitations et confisqua les propriétés. Ses actions eurent pour effet de déchirer les familles et les communautés.

Au milieu de l’année 1942, la plupart des hommes canadiens-ja-ponais avaient été arrachés à leur foyer et envoyés travailler sur des chantiers routiers. Les autres individus évacués, femmes, enfants et personnes âgées, furent d’abord relocalisés dans les étables du site d’ex-position du parc Hastings à Vancouver, qui servait de lieu de rétention jusqu’à ce qu’ils soient envoyés dans des camps dans l’intérieur de la Colombie-Britannique. Les familles ne pouvaient emporter que ce qu’elles pouvaient porter, ce qui se limitait à un poids d’un peu moins de 150 livres (70 kilos) pour les adultes et de 75 livres (34 kilos) pour les enfants.

Les conditions de vie au parc Hastings étaient déplorables. Les étables destinées au bétail avaient été converties en abris pour les êtres humains en une semaine seulement, et les détenus dormaient sur des lits de fortune et étaient contraints d’utiliser d’anciens abreu-voirs en guise de toilettes malpropres. Dès leur arrivée, les hommes et les garçons étaient soumis à une évaluation de leur aptitude aux travaux physiques et envoyés sur l’un ou l’autre des nombreux chant-iers de construction de routes. À partir du parc Hastings, les femmes, les enfants et quelques adolescents furent envoyés dans des camps de fortune dans des villes fantômes situées dans tout l’intérieur de la Co-lombie-Britannique, telles que Greenwood, Slocan, New Denver, San-don et Kason. Quelques familles se virent accorder le droit de rester ensemble à condition de travailler dans des fermes cultivant la bet-terave à sucre, au Manitoba ou en Alberta. Au total, ce sont près de 23 000 Canadiens japonais qui furent déplacés et relocalisés de force.

Les hommes célibataires de 18 à 45 ans, ainsi que les hommes ne désirant pas être relocalisés dans les fermes sucrières des Prai-

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ries, furent envoyés sur des chantiers routiers où ils durent effectuer des travaux pénibles contre un très maigre salaire. Les gens internés étaient placés sous la surveillance de constables armés de la GRC. Il était illégal de quitter les camps sans autorisation. Les détenus étaient parfois gardés derrière des enceintes de barbelés, surveillés en tout temps, et il leur était interdit de travailler plus de quelques heures par jour, ce qui signifie qu’ils ne pouvaient pas gagner assez d’argent pour l’envoyer à leur famille. Les hommes considérés comme des menaces contre la sécurité nationale, qui résistaient à leur évacuation ou qui étaient considérés comme des patriotes japonais étaient envoyés dans des camps de prisonniers de guerre à Petawawa ou à Angler, en On-tario. Ce système était avilissant et discriminatoire, niant les droits hu-mains et civiques les plus élémentaires des Canadiens japonais.

Le gouvernement canadien décida de fermer plusieurs chantiers routiers en juin 1942, admettant apparemment l’inefficacité de cette mesure. Les détenus mariés reçurent l’autorisation de rejoindre leur famille dans de nouveaux camps, à Slocan et Hope, tandis que les hommes célibataires étaient envoyés sur les chantiers routiers restants.

Au début de 1943, le gouvernement fédéral promulgua le Décret PC-469, qui autorisait le Dépôt des propriétés ennemies à vendre les biens des Canadiens japonais qu’il détenait en fiducie – leurs mai-sons, leurs biens propres, leurs commerces et leurs effets personnels. Le gouvernement affirmait que cela était nécessaire pour défrayer les coûts d’internement des Canadiens japonais.

Entre 1943 et 1945, les autorités canadiennes commencèrent progressivement à libérer les Canadiens japonais des camps d’inter-nement. Cependant, il ne leur était pas permis de regagner ce qui restait de leurs maisons et de leurs communautés en Colombie-Bri-tannique. Ceux qui pouvaient aller vers l’est commencèrent à s’y ren-dre. Les jeunes hommes adultes cherchèrent du travail dans les grands centres urbains à l’est des montagnes Rocheuses ; pour cette raison, en 1944, les camps d’internement n’étaient plus peuplés que de personnes âgées, de malades, de gens sans qualification, de femmes et d’enfants, et de gens n’ayant pas les moyens de se déplacer vers l’est.

À la fin de la guerre, le gouvernement fédéral obligea les Cana-diens japonais à choisir entre deux possibilités  : soit ils s’installaient à l’est des montagnes Rocheuses, soient ils seraient rapatriés au Ja-pon. Le terme de «  rapatriement » était inapproprié  : de nombreux

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Canadiens japonais étaient nés au Canada et n’étaient jamais allés au pays de leurs ancêtres. Aussi ne s’agissait-il pas d’un retour au pays natal, mais d’une déportation dans un pays étranger. De nombreux Canadiens s’élevèrent contre cette mesure draconienne et raciste. Une association du nom de Comité de coopération pour les Canadiens japonais contesta cette mesure devant la Cour suprême du Canada, qui confirma cependant la position du gouvernement. Mais, devant la ferme opposition des activistes des droits civiques, des médias, des Églises et de certains politiciens, le gouvernement finit par renoncer à cette politique de déportation. Cependant, bien qu’il ait levé la Loi sur les mesures de guerre en 1945, le gouvernement interdit aux Canadiens japonais de rentrer en Colombie-Britannique pendant quatre ans en-core. Ce n’est qu’en 1949 que les Canadiens japonais purent revenir dans leurs communautés et tenter de ramasser les débris de leur vie d’avant. Nombreux furent ceux qui choisirent de refaire leur vie dans d’autres lieux du Canada.

RéparationAprès avoir levé les restrictions du temps de guerre et permis aux Ca-nadiens japonais de regagner leurs foyers en Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral créa la Commission Bird, du nom de Jus-tice Henry Bird, pour envisager une procédure de compensation pour les pertes occasionnées par la guerre. Cette commission d’enquête se limitait aux pertes dues aux confiscations de propriétés et ne prenait pas en compte les dommages occasionnés par les pertes d’emploi ou de revenus, les violations des droits civiques, les traumatismes psy-chologiques, les interruptions de scolarité, la séparation des familles et des communautés, ni les autres dommages connexes. En 1950, Bird conclut son enquête en recommandant de verser 1,2 million de dollars de compensation à l’ensemble des individus. Déduction faite des frais de justice, cela équivalait à 52 dollars par personne. Certains Canadiens japonais se sentirent tenus d’accepter cette somme, con-vaincus qu’ils n’auraient jamais de meilleure offre. D’autres, cepen-dant, rejetèrent les recommandations de la Commission et refusèrent de produire une réclamation, au motif que cette maigre somme ne représentait même pas un début de compensation pour les pertes et les souffrances immenses qu’ils avaient endurées. L’Association na-tionale des citoyens canadiens-japonais fut désappointée par les con-

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clusions de la Commission Bird, mais elle aida néanmoins les gens à remplir leurs formulaires de réclamation.

La campagne pour une plus juste réparation fut galvanisée en 1977, un an après que les Canadiens japonais de tout le pays eurent fêté le centenaire de l’arrivée du premier immigrant japonais au Canada. Tandis que la communauté célébrait son histoire et sa culture, beau-coup discutaient aussi du lancement d’une campagne pour obtenir réparation des injustices vécues pendant la guerre. La même année, l’Association nationale des citoyens canadiens-japonais créa un Comi-té de réparation pour consulter les gens sur cette question.

Cette campagne pour obtenir réparation eut son moment phare en janvier 1984, lors d’une réunion de l’Association nationale des Canadiens japonais (ANCJ, nouveau nom de l’Association nationale des citoyens canadiens-japonais de 1980). Là, sous l’impulsion du président Art Miki, des membres de l’association s’accordèrent pour obtenir 1) une reconnaissance officielle de l’injustice historique dont leur communauté avait souffert du fait des relocalisations forcées de la Seconde Guerre mondiale, 2) une compensation financière sous la forme d’un fonds communautaire en fiducie, et 3) une révision et un amendement de la Loi sur les mesures de guerre à la lumière de la Charte canadienne des droits et libertés, qui venait d’être entérinée. Peu après cette réunion, l’ANCJ publia un mémoire intitulé Equality Now  ! (Égalité maintenant  !) qui comprenait 80 recommandations pour atténuer les discriminations raciales au Canada et promouvoir la cause de la réparation.

À ce moment, l’ANCJ ne trouva pas le Premier ministre d’alors, Pierre Trudeau, et son gouvernement libéral, particulièrement récep-tifs à sa campagne. En fait, Trudeau rejeta catégoriquement l’idée même de réparation, disant qu’il n’appartenait pas aux gouvernements de réécrire l’histoire et qu’ils devaient au contraire s’efforcer d’atteindre la justice dans le moment présent. En réponse à la demande d’excuses officielles et de compensations collectives de l’ANCJ, le gouvernement Trudeau proposa de prononcer une déclaration de regret ainsi que d’accorder une subvention de 5  millions de dollars pour créer une fondation contre le racisme. Bien que les membres de l’ANCJ eussent été divisés quant à savoir s’ils devaient accepter ou non cette propo-sition – division que le gouvernement tenta d’exploiter –, ils finirent par la rejeter.

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En 1984, l’ANCJ soumit un nouveau mémoire, intitulé Democracy Betrayed: The Case for Redress (La démocratie trahie. Dossier pour une réparation), au gouvernement progressiste-conservateur du Pre-mier ministre Brian Mulroney. Des porte-parole des Canadiens jap-onais soutenaient que, bien que le gouvernement se déclarât ouvert aux négociations, il agissait unilatéralement et négligeait de consulter la communauté. Souhaitant une résolution rapide, Jack Murta, alors ministre d’État au Multiculturalisme, proposa une reconnaissance et 6 millions de dollars pour un fonds d’éducation géré par la commu-nauté. L’ANCJ rejeta cette proposition.

Pour renforcer sa position, l’ANCJ entreprit une étude par l’inter-médiaire de la société Price Waterhouse, afin d’évaluer en équivalent monétaire les pertes provoquées par les relocalisations forcées. Ce rap-port de 1986, intitulé Economic Losses of Japanese Canadians (Pertes économiques des Canadiens japonais), estimait que les Canadiens ja-ponais avaient subi au total une perte économique se montant à pas moins de 443 millions de dollars, dont 50 millions pour la perte de leurs propriétés. L’ANCJ poursuivit ses efforts en adressant des lettres au gouvernement, en recueillant des signatures sur des pétitions et en organisant des réunions avec d’autres groupes et associations à travers le pays, y compris des groupes d’opposition, des associations religieus-es, des organisations ethnoculturelles, et autres. En 1987, elle organi-sa une série de rassemblements en faveur du multiculturalisme et de la réparation. Au cours d’un grand rassemblement, le 14 avril 1988, 500 personnes manifestèrent sur la Colline du Parlement pour récla-mer réparation, ce qui fut un important événement dans la sensibilisa-tion du public. Alors que la question de la réparation recueillait le sou-tien d’un nombre grandissant de Canadiens, le gouvernement fédéral renonça à sa menace antérieure d’imposer un règlement unilatéral.

En juin 1988, le gouvernement fédéral changea d’avis sur la ques-tion des compensations individuelles qui étaient réclamées par l’AN-CJ mais avaient été rejetées par le gouvernement. Après trois jours de négociation, en septembre 1988, l’Association nationale des Can-adiens japonais et le gouvernement fédéral parvinrent à un accord. Signée le 22 septembre 1988, l’entente comprenait la reconnaissance officielle des actes répréhensibles commis par le gouvernement fédéral canadien, et attribuait les sommes de 21 000 dollars de compensation à toute personne vivante ayant été affectée par les politiques du temps

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de guerre, 12 millions de dollars à être gérés par l’ANCJ à des fins so-ciales, culturelles et éducatives, et 24 millions de dollars pour créer la Fondation canadienne des relations raciales. En outre, les personnes d’origine japonaises ayant été condamnées par la Loi sur les mesures de guerre furent innocentées, et celles qui avaient été déportées ou dont la citoyenneté canadienne avait été révoquée furent réintégrées. L’ANCJ reçut en outre 3 millions de dollars pour ses frais d’administration.

Cet accord, qui présentait des excuses aux Canadiens japonais pour les relocalisations forcées dont ils avaient été victimes durant la Seconde Guerre mondiale, représentait une avancée capitale à de nombreux égards. C’était la première fois que le Premier ministre du Canada présentait des excuses pour une injustice historique devant le Parlement. Il s’agissait d’une reconnaissance exceptionnelle des nom-breuses années d’activisme d’une communauté ethnoculturelle. Et enfin, malgré les difficultés des négociations avec le gouvernement, l’accord présentant des excuses fut bien reçu par les Canadiens jap-onais. Sur de nombreux plans, le mouvement de réparation des relo-calisations forcées mené par les Canadiens japonais a servi de modèle à d’autres groupes ethnoculturels cherchant la reconnaissance et la réparation d’injustices historiques.

Les internements durant la Première Guerre mondiale

Au cours de la Première Guerre mondiale, le gouvernement canadien avait promulgué des lois qui criminalisaient certains segments de la population canadienne en raison de leur ethnicité et/ou de leurs opin-ions politiques, et cela parce qu’il redoutait que les immigrants fussent plus loyaux envers leur pays d’origine qu’envers le Canada. La Loi sur les mesures de guerre, ainsi qu’on l’appelle, conféra d’énormes pouvoirs au gouvernement canadien, y compris le droit d’interner des individus en dehors de tout procès équitable. Mais la xénophobie n’était pas non plus à écarter  : en de très rares cas seulement les individus internés étaient réellement accusés d’avoir commis des crimes ; l’immense ma-jorité d’entre eux n’avaient rien fait de mal, mais ils étaient considérés comme de potentiels saboteurs parce qu’ils étaient nés dans des pays contre lesquels le Canada était en guerre ou parce qu’ils appartenaient

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à des partis politiques que le gouvernement canadien avait déclarés illégaux en temps de guerre.

Des camps d’internement pour civils furent établis à travers tout le Canada, souvent dans des lieux reculés, et placés sous surveillance mili-taire. Les personnes internées vivaient dans des baraquements et étaient souvent recrutées pour des travaux physiques effectués contre un faible salaire sur des chantiers de construction ou pour entretenir et agrandir les camps. L’immense majorité des internés étaient des hommes, encore que, dans certains cas, les femmes et les enfants de certains d’entre eux eussent reçu l’autorisation de résider dans les camps afin de pouvoir re-cevoir une subsistance durant l’internement d’un mari ou d’un père.

Pour la majorité des internés qui n’avaient pas leur famille auprès d’eux, cela pouvait signifier des années sans voir leur épouse ou leurs enfants. L’internement d’un parent avait de nombreuses conséquences pour les familles : la perte du soutien de famille, des femmes et des en-fants devant chercher du travail, voire le placement de certains enfants dans des orphelinats parce qu’un seul parent ne pouvait pas s’occuper d’eux. Après leur libération, les internés s’efforçaient de rassembler les débris de leur vie du mieux qu’ils pouvaient.

Le Canada dans la Première Guerre mondialeEn tant que partie de l’Empire britannique, l’engagement du Canada dans la Première Guerre mondiale prit effet avec l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne. Afin d’assurer la sécurité intérieure, la Loi sur les mesures de guerre fut promulguée à la Chambre des Communes le 22 août 1914, sans aucun débat sérieux. Elle conférait au gouvernement canadien une grande amplitude de pouvoirs. L’une de ses clauses stip-ulait que « le Gouverneur en Conseil aura le pouvoir de procéder à de tels actes et affaires et de les autoriser, et de proclamer de temps à autre de tels ordres et règlements, s’il les juge, en raison de guerre, d’invasion ou d’insurrection réelles ou à craindre, nécessaires ou recommandés pour la sécurité, la défense, la paix, l’ordre et la protection du Cana-da ». La Loi sur les mesures de guerre donnait force de loi aux actions du gouvernement, mais il n’existait aucun mécanisme de limitation de ces actions. Elle donnait au gouvernement le pouvoir d’arrêter, détenir et déporter des individus ; de confisquer et administrer les propriétés privées et d’en disposer ; d’interdire les partis politiques jugés subver-sifs ; et de suspendre la publication des journaux en langue étrangère.

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À la suite de l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, ceux de ces individus qui vivaient au Canada et étaient des citoyens canadiens originaires d’Allemagne ou des empires austro-hongrois ou ottoman furent la cible de la xénophobie de l’ensemble de la société-hôte. Avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, les « Canadiens » se souciaient du nombre d’immigrants autorisés à entrer au Canada. Cette préoccupation tourna à l’hystérie collective lorsque les immi-grants des Empires centraux, ou Puissances centrales, furent con-sidérés comme déloyaux et perçus comme des saboteurs potentiels. On alla jusqu’à renvoyer des professeurs allemands des universités canadiennes, à vandaliser les commerces tenus par des Allemands ou des Austro-hongrois, et à interdire l’impression ou la possession de livres rédigés « dans la langue de l’ennemi ».

Afin de contrer les saboteurs potentiels, le gouvernement cana-dien promulgua le Décret PC-2721 à la fin d’octobre 1914. Il ciblait les résidents nés à l’étranger qui avaient émigré de pays et d’empires à présent en guerre contre le Canada, et qui n’étaient pas devenus des ci-toyens légitimes faute d’être passés par le processus de naturalisation. À présent qualifiés «  d’ennemis étrangers  », ces individus devaient s’inscrire sur un registre tenu par un greffier nommé par le gouver-nement canadien. Ces agents qui tenaient les registres pouvaient être membres de la police municipale ou provinciale, ou employés de la Poste dans les grandes villes. Les « ennemis étrangers » qui vivaient dans un rayon de 20 km d’un centre urbain disposant d’un tel registre avaient l’obligation de se présenter une fois par mois. Ils avaient égale-ment l’obligation de toujours avoir leurs papiers d’identité sur eux, ne pouvaient pas quitter le Canada sans la permission des autorités can-adiennes et n’avaient qu’un accès restreint aux zones sécurisées telles que les ponts, les chemins de fer et autres infrastructures importantes. Le Décret PC-2721 permettait également de procéder à l’internement des ennemis étrangers qui ne s’étaient pas fait inscrire au registre, qui étaient considérés comme une menace contre la sécurité ou qui étaient indigents. En outre, ils étaient internés s’ils avaient détruit leurs papi-ers d’identité ou s’étaient inscrits sous un faux nom.

Cependant, c’est la crise financière de 1913, aggravée par le dé-clenchement de la Première Guerre mondiale, qui provoqua le plus d’internements. Nombre de ceux qui furent internés étaient des hom-mes jeunes et célibataires, des homesteaders (colons) n’ayant pu ni gar-

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der leur terre ni trouver du travail, ou qui avaient été licenciés quand l’économie s’était dégradée. Le Décret PC-2721 donnait également aux autorités canadiennes le pouvoir d’interner les ennemis étrangers lor-squ’ils étaient indigents.

Au cours de la Première Guerre mondiale, 8579 individus furent internés ; environ 6000 d’entre eux étaient qualifiés d’Austro-Hongrois. Mais, quant à savoir combien de ces internés austro-hongrois étaient en réalité ukrainiens, il s’agit aujourd’hui d’un débat historique. Des chercheurs comme Lubomyr Luciuk et Bohdan Kordan ont soutenu que la majorité des internés civils de cette période étaient ukrain-iens. D’autres, en particulier Orest Martynowych, ont fait remarquer que dans l’Empire austro-hongrois figuraient Autrichiens, Hongrois, Croates, Serbes, Slovaques et Polonais, en plus des Ukrainiens ; par conséquent, il est impossible de connaître exactement le nombre des Ukrainiens. Et cependant, parmi tous ces groupes, seuls les Cana-diens ukrainiens ont cherché à obtenir réparation de la part du gou-vernement.

Le mouvement de réparation ukrainienLe mouvement de réparation concernant l’internement des Canadiens ukrainiens durant la Première Guerre mondiale est une curieuse his-toire. Comme dans tous les groupes ethnoculturels du Canada, chez les Canadiens ukrainiens il existe des disparités en ce qui concerne les affiliations politiques, les périodes d’immigration au Canada et les degrés d’assimilation, ce qui fait qu’il est impossible de parler d’une «  communauté  » canadienne-ukrainienne en tant que collectif. Le rassemblement autour de la question de l’internement au cours de la Première Guerre mondiale a d’abord été mené par ceux de ces Ukrain-iens qui faisaient remonter leur arrivée au Canada (ou celle de leurs parents) à la période de l’après-Seconde Guerre mondiale. Ces immi-grants avaient fait l’expérience de la vie sous la férule soviétique  ; il se peut qu’ils eussent été d’ardents nationalistes ukrainiens qui con-sidéraient les nazis comme des libérateurs durant la Seconde Guerre mondiale, et que quelques-uns d’entre eux eussent été directement im-pliqués dans les atrocités commises à l’encontre des Juifs au cours de ce conflit. Cette situation contrastait fortement avec celle des Ukrainiens qui avaient immigré au Canada à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, et qui, eux, ont pu effectivement être internés entre 1914 et

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1920, ainsi qu’avec la situation de ceux qui étaient arrivés au Canada dans l’entre-deux-guerres. Parmi cette première vague d’immigrants ukrainiens, un certain nombre avaient embrassé le communisme et étaient actifs dans ce mouvement au Canada.

Dans son article «  The Politics of Redress: The Contemporary Ukrainian-Canadian Campaign  », l’historienne Frances Swyripa souligne succinctement les clivages existant au sein de la communauté canadienne-ukrainienne au sujet des réparations. D’après son analyse, les Canadiens ukrainiens de gauche soutenaient le Congrès ukrain-ien canadien (CUC) et sa Commission des libertés civiques qui se chargeait de la lutte pour les réparations, mais ils avaient pris ombrage de la façon dont le CUC s’appropriait l’expérience des migrants des premières vagues d’immigrants ukrainiens comme si c’était la leur. Ils trouvaient également que le CUC avait été accaparé par les Canadiens ukrainiens arrivés au Canada après la Seconde Guerre mondiale et que ceux-ci avaient poussé vers la sortie les membres des premières vagues de migration. Des scissions se produisirent également au sein même de la Commission des libertés civiques lorsqu’elle accusa le CUC de pratiques dictatoriales et irresponsables. Cela conduisit d’anciens membres de cette Commission à fonder l’Association des Canadiens ukrainiens pour les libertés civiques (ACULC), organisme déclarant qu’il avait été «  mandaté par la communauté canadienne-ukraini-enne ». Le CUC créa alors sa propre organisation, connue sous le nom de Comité de réparation. Avec deux groupes faisant pression sur le gouvernement fédéral, la confusion régnait.

En 1987, Lubomyr Luciuk, membre de la Commission pour les lib-ertés civiques, rédigea A Time for Atonement (Le temps de l’expiation), qui fut soumis au Comité permanent sur le multiculturalisme de la Chambre des Communes. Ce mémoire exposait le point de vue de la Commission des libertés civiques au sujet de l’internement des Can-adiens ukrainiens  : l’enfermement de femmes et d’enfants, le travail forcé des hommes internés et la saisie de leurs propriétés. Ce mémoire en appelait au gouvernement canadien pour qu’il s’excuse du trait-ement infligé aux Canadiens ukrainiens durant la Première Guerre mondiale et qu’il leur donne une compensation pour la perte de leurs propriétés, caressant l’espoir que, ce faisant, les Canadiens ne seraient plus jamais «  soumis à de telles violations de masse de leurs droits humains et de leurs libertés civiques ».

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En septembre 1988, le Premier ministre Brian Mulroney présen-ta des excuses formelles aux Canadiens japonais pour le traitement dont ils avaient été victimes au cours de la Seconde Guerre mondiale. Un mois plus tard, le CUC publia un autre document relatif à l’inter-nement des Canadiens ukrainiens de 1914 à 1920. Ce mémoire, « The Ukrainian Canadian Case for Acknowledgement and Redress  » (La cause des Canadiens ukrainiens pour obtenir reconnaissance et répa-ration) fut présenté à celui qui était alors ministre d’État au Multicul-turalisme, Gerry Weiner, qui avait été impliqué dans les négociations avec les Canadiens japonais. Dans ce document, le CUC exposait ses revendications. Il voulait que le gouvernement fédéral reconnaisse que l’internement des Canadiens ukrainiens avait été une faute, qu’il fasse signaler tous les sites d’internement des Canadiens ukrainiens par des repères, qu’il fasse reconstruire le camp du mont Castle en Alberta, qu’il modifie la formulation de la Loi sur les mesures d’ur-gence afin d’assurer que les Canadiens ayant une double nationalité ne soient plus internés, et qu’il consacre 500 000 dollars à la recherche sur les conséquences économiques des internements sur les Canadiens ukrainiens.

De nombreux Canadiens ukrainiens et les Canadiens en général étaient divisés sur la question de savoir si des excuses étaient néces-saires, s’il fallait payer une compensation, et sous quelle forme. Swyripa suggère que la raison pour laquelle Mulroney avait présenté des excus-es en 1990 aux Canadiens italiens, pour avoir été qualifiés d’ennemis étrangers et avoir subi en conséquence un internement durant la Sec-onde Guerre mondiale, tenait en grande partie au fait que cette com-munauté représentait un grand vivier d’électeurs à Toronto et à Mon-tréal. Les Canadiens ukrainiens, au contraire, étaient dispersés dans tout le pays et ne représentaient pas la même concentration électorale. L’historien Ian Radforth a également suggéré que l’extrême racisme qui avait entouré l’expérience canadienne-japonaise avait pu jouer un rôle dans l’absence de reconnaissance, de la part du gouvernement, des demandes de réparation des Canadiens ukrainiens.

Au début des années 2000, le débat se poursuivait, des appels à une « réparation symbolique » – par opposition à une compensation financière – se faisant entendre de plus en plus, réparation symbol-ique par laquelle le gouvernement du Canada reconnaîtrait ses ac-tions passées et remédierait aux torts subis. En 2005, le gouvernement

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libéral annonça la création du Programme de reconnaissance, de commémoration et d’éducation (PRCE). Ce programme financerait des projets éligibles sur la base des faits vécus par des communautés ethnoculturelles affectées par les mesures de guerre et les restrictions apportées à l’immigration. En outre, les initiatives financées par le PRCE devaient souligner les contributions apportées au Canada par ces communautés affectées. En août de la même année, le Premier ministre Paul Martin annonçait que le gouvernement fédéral et le mouvement de réparation des Canadiens ukrainiens étaient parvenus à un accord de principe pour une partie du financement du PRCE. Cela fut considéré comme une avancée positive pour ceux qui avaient œuvré à faire pression pour obtenir réparation.

Puis, en novembre de la même année, le projet de loi émanant du député conservateur Inky Mark fut voté à la Chambre des Communes. Intitulée Loi visant à reconnaître l’internement des personnes d’origine ukrainienne, cette loi avait pour finalité de reconnaître l’internement des Canadiens ukrainiens pendant la Première Guerre mondiale, et en appelait aux négociations entre le gouvernement libéral et les mem-bres de la communauté canadienne-ukrainienne pour qu’ils décident comment accomplir cela au mieux. Cette loi demandait également à Postes Canada d’imprimer un timbre, ou un ensemble de timbres commémoratifs.

En juin 2006, le gouvernement conservateur annonça la création d’un Programme de reconnaissance historique pour les communautés (PRHC) qui remplaçait le PRCE de Martin. Le budget du PRCH se montait à 25 millions de dollars destinés à financer les projets com-mémoratifs ou éducatifs des communautés culturelles ayant subi une oppression ou des injustices de la part du gouvernement canadien. Cependant, les meneurs du mouvement de réparation s’irritèrent de cette annonce car, dans le cadre du programme précédent, il était en-tendu que les représentants de la communauté canadienne-ukraini-enne recevraient une somme forfaitaire dont ils pourraient disposer à leur gré. En juin 2007, le CUC récusa le PRHC et exigea que le Premier ministre Harper s’en tienne à la Loi visant à reconnaître l’internement des personnes d’origine ukrainienne. Par conséquent, en mai 2008, le gouvernement canadien créa une dotation – aujourd’hui connue sous le nom de Fonds canadien de reconnaissance de l’internement durant la Première Guerre mondiale – pour financer des projets portant sur

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les épreuves vécues durant la Première Guerre mondiale par les com-munautés s’étant trouvées dans la ligne de mire de l’État canadien. Ce fonds permit également de poser vingt plaques commémoratives dans différents sites à travers le Canada, y compris à l’emplacement des an-ciens camps d’internement. En novembre 2011, le Centre d’interpréta-tion du camp de Spirit Lake ouvrit ses portes sur le site de l’ancien camp et, deux ans plus tard, une exposition fut installée à Banff, en Alberta, sur le site du camp du mont Castle.

L’internement durant la Seconde Guerre mondiale

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement canadien recourut à nouveau à l’internement en tant que moyen de faire face à des populations civiles considérées comme une menace contre la sécurité nationale. Les divers amendements apportés à la Loi sur les mesures de guerre durant la Première Guerre mondiale avaient été révisés entre-temps, prenant le nom de Defence of Canada Regulations (« Règlement pour la défense du Canada », RDC). Le RDC fut mis en application en septembre 1939, avant la déclaration de guerre formelle du Canada à l’Allemagne. L’Italie et le Japon ayant rejoint le conflit en tant que parties prenantes des forces de l’Axe, ce règlement affecta les Italo-Canadiens et les Canadiens japonais, en plus des Germano-Ca-nadiens. Sous l’égide du RDC, le ministre de la Justice avait toute lat-itude pour faire interner tout individu soupçonné d’agir « de manière susceptible de porter préjudice à la sécurité publique ou à la sécurité de l’État ». Dans le cas des Germano-Canadiens et des Italo-Canadiens, leur implication dans une organisation fasciste pouvait constituer un motif d’internement. Mais il suffisait parfois d’être simplement mem-bre d’une association culturelle allemande ou italienne n’ayant rien de fasciste pour alimenter les soupçons de la GRC. Puisque les autorités canadiennes avaient consacré davantage de moyens à la surveillance des groupes communistes, qui étaient considérés comme la menace la plus sérieuse avant la Seconde Guerre mondiale, les informateurs de la GRC, dont certains avaient des motivations douteuses, pouvaient signaler un individu comme fasciste et le faire interner. Avec le RDC, l’habeas corpus et le droit à un procès équitable furent suspendus. Ce règlement exigeait également que les Germano-Canadiens et les Ita-

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lo-Canadiens qui n’avaient pas été internés s’enregistrent auprès des autorités et se présentent devant les autorités régulièrement. Les Ca-nadiens japonais, comme nous l’avons vu, étaient massivement relo-calisés de force dans d’autres régions du Canada ou internés dans des camps.

Les camps d’internement pour les civils (hommes) étaient situés à Kananaskis en Alberta, Angler et Petawawa en Ontario, et au camp Ripples à proximité de Fredericton au Nouveau-Brunswick. Les femmes étaient détenues à la prison des femmes de Kingston, en On-tario. Environ 850  Germano-Canadiens et près de 600  Italo-Cana-diens furent envoyés dans des camps d’internement. Douze femmes, germano-canadiennes et italo-canadiennes, faisaient partie de ce total.

Les demandes de réparation des Canadiens japonais ont été ex-posées plus haut. Au moment où nous écrivons, les Germano-Cana-diens n’ont pas encore mis sur pied de mouvement de réparation pour le traitement qu’ils ont subi durant les deux guerres mondiales. Les Italiens, par contre, ont tenté à plusieurs reprises d’obtenir réparation de la part du gouvernement canadien.

Les Italo-CanadiensÀ la fin des années 1940, des Italo-Canadiens qui avaient été internés durant la Seconde Guerre mondiale firent deux tentatives, apparem-ment distinctes, pour obtenir réparation. Dans les deux cas, ces an-ciens internés avaient essayé d’obtenir une compensation financière de la part du gouvernement fédéral pour la perte de leurs revenus, de leurs commerces ou entreprises, et pour la souffrance morale, entre autres raisons. La première tentative, qui semble avoir commencé en 1947, fut initiée par Nicola Masi, de Hamilton, qui avait été interné à Petawawa pendant un an et demi. Masi avait contacté le sénateur Ar-thur W. Roebuck, qui était également avocat, au nom de trente anciens internés qui essayaient de monter un dossier contre le gouvernement canadien. La majorité d’entre eux étaient de Guelph, Saint-Catherines, Thorold et Brantford en Ontario. Au moins deux des anciens internés de ce groupe étaient résidents de New Waterford, en Nouvelle-Écosse.

Tous les anciens internés du groupe de Masi produisirent un doc-ument démontrant les difficultés financières qu’eux-mêmes et leur famille avait éprouvées du fait de leur internement. Par exemple, Rai-mondo Parisi, de Hamilton, était propriétaire-gérant de l’hôtel Bay-

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view. À cause de son arrestation, Parisi dut en confier la gérance à son beau-frère, Baldasaro Spatazzo, et lui verser 25 dollars par semaine en salaire, plus 25 dollars supplémentaires par semaine pour le logement de sa famille. Cela se montait à 50 dollars par semaine pendant neuf mois d’internement. Parisi affirmait que son hôtel avait été boycotté en raison de son internement et que, après avoir été libéré, il avait été contraint de vendre son affaire parce qu’il était « maltraité… et qu’il était menacé d’être renvoyé [au camp de Petawawa] par des gens mal informés ». L’hôtel Bayview fut vendu pour 12 000 dollars, bien que Parisi maintînt qu’il était évalué à 30 000 dollars. Il voulait également 700 dollars en remboursement de ce qu’il avait dû dépenser pour en-gager un avocat pour le faire libérer du camp, ainsi que 150 dollars qu’il avait «  payé au Dépôt [des propriétés ennemies] pour veiller sur ses intérêts  ; intérêts qui [n’avaient] pas été pris en compte fina-lement ». Pour finir, Parisi écrivait : « j’en appelle maintenant au gou-vernement canadien, pour qu’il prenne mon cas en considération au motif que… j’ai été menotté, forcé de vivre au milieu des criminels de droit commun en prison, que mon nom a été sali et pour la perte de 30 000 dollars ».

Le sénateur Roebuck soumit cette question à l’attention du min-istre de la Justice, J.L.  Ilsley. Dans une lettre à Roebuck datée du 2 avril 1948, Ilsley déclarait : « la seule position que je puisse prendre eu égard aux arguments informels que l’on vous a transmis, est que l’on ne peut en aucun cas tenir le gouvernement pour responsable et que l’on ne peut donner de suite favorable à des plaintes de ce genre ». Un second groupe, de Montréal celui-là, chercha à obtenir réparation de la part du gouvernement canadien en 1948, mais il n’eut pas davantage de succès.

À la fin des années 1980, le Congrès national des Italo-Canadiens (CNIC) se mit à exercer de nouvelles pressions. Créé par des activ-istes de la communauté des Italo-Canadiens à Toronto en 1974, le CNIC avait pour mandat d’établir des relations entre les Italo-Can-adiens et l’ensemble de la population canadienne, d’encourager les Italo-Canadiens à participer aux affaires publiques et d’agir en tant que médiateur entre les Italo-Canadiens et le gouvernement fédéral. Le CNIC se composait d’Italo-Canadiens ayant immigré au Canada avant les années 1930, ainsi que de ceux qui étaient arrivés après la Seconde Guerre mondiale. Au moment où commençait le lobbying

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en vue d’une réparation, le CNIC était dirigé par Annamarie Castrilli, une avocate native de Toronto. Castrilli, dont la famille avait immigré au Canada après la Seconde Guerre mondiale, n’avait jamais entendu parler de l’internement des Italo-Canadiens durant ce conflit jusqu’à ce qu’elle assiste à une conférence à ce sujet en 1989. Galvanisé par la réussite du mouvement de réparation des Canadiens japonais, le CNIC se mit énergiquement à chercher à obtenir réparation pour les Italo-Canadiens.

Le CNIC présenta un mémoire au gouvernement fédéral en janvier 1990. Dans A National Shame: The Internment of Italian Canadians (Une honte nationale. L’internement des Italo-Canadiens), le CNIC faisait la chronique des évènements de la Seconde Guerre mondi-ale, évaluait les maux infligés aux Italo-Canadiens durant le conflit et présentait un dossier de demande de réparation afin de remédier à ce « chapitre difficile de l’histoire du Canada ». Dans ce mémoire, le CNIC demandait également au gouvernement de reconnaître les contributions apportées par les Italo-Canadiens au Canada et de pro-mettre qu’aucun autre groupe de Canadiens ne subirait de semblables discriminations à l’avenir. À ce moment, le CNIC ne se préoccupait pas de compensation financière.

Onze mois après que le CNIC ait soumis son mémoire, le Premier ministre Brian Mulroney se trouvait à Vaughan, en Ontario, pour présenter des excuses. Devant 500 membres du CNIC, il déclara : « au nom du gouvernement et du peuple du Canada, je présente des excus-es pleines et entières pour les torts infligés à nos compatriotes d’orig-ine italienne durant la Seconde Guerre mondiale ». Mulroney reçut une véritable ovation.

Les excuses du gouvernement fédéral aux Italo-Canadiens avaient été présentées très rapidement. Annamarie Castrilli pensait qu’il s’agissait là du résultat des efforts de lobbying des Italo-Canadiens, du soutien des médias et du succès antérieur du mouvement de répa-ration des Canadiens japonais. Mais il se pouvait aussi que cela eût été une tentative de Mulroney de se gagner les votes cruciaux des Italo-Canadiens dans les centres urbains. Ces excuses étaient égale-ment faciles à présenter, parce que le CNIC ne demandait pas d’ar-gent. Mais le 5 novembre, le lendemain des excuses de Mulroney, le CNIC exigea du gouvernement fédéral qu’il alloue 13  000  dollars à chacun des anciens internés survivants et qu’il procure une compen-

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sation collective à tous les Italo-Canadiens qui avaient officiellement été considérés comme des « ennemis étrangers ». Le CNIC mit ensuite sur pied un Comité de réparation qui tint des audiences publiques à Halifax, Montréal, Toronto et Vancouver. Lors des audiences, d’an-ciens internés survivants et leur famille livrèrent des témoignages au sujet de ce qu’ils avaient vécu durant la Seconde Guerre mondiale. Ils discutèrent également de l’éventualité d’une compensation avec les membres du Comité de réparation du CNIC. Cependant, aucun ar-gent du fédéral n’était en vue.

En mai 1993, le gouvernement fédéral proposa d’effacer les noms des internés des registres officiels existants, de placer des plaques com-mémoratives à l’emplacement des camps d’internement et de créer une « Salle des registres des bâtisseurs de la nation » aux archives na-tionales. Mais ces propositions furent catégoriquement rejetées par le CNIC. Ainsi que le déclarait Castrilli à ce moment : « je m’interroge, pourquoi une telle disparité de traitement entre nous et la commu-nauté japonaise ? Nous aussi avons souffert des mêmes injustices, alors pourquoi nous refuser la compensation accordée aux Japonais ? » Ne constatant aucune avancée significative sur le front de la compensa-tion financière, le CNIC mit fin à sa campagne de réparation en 1994.

Après l’annonce du PRHC en 2008, un certain nombre d’institu-tions et d’associations italo-canadiennes soumirent leurs candidatures au financement d’une grande diversité de projets éducatifs liés à ce qu’avaient vécu les Italo-Canadiens durant la Seconde Guerre mon-diale. La plus récente tentative d’obtenir du gouvernement fédéral des excuses et un financement spécialement destiné aux Italo-Canadiens eut lieu en 2009, lorsque Massimo Pacetti, alors député libéral de la circonscription Saint-Léonard-Saint-Michel à Montréal, proposa un projet de loi. Intitulé le Projet de loi C-302, il demandait au Pre-mier ministre de présenter des excuses aux Italo-Canadiens devant la Chambre des Communes, en plus de créer un fonds de 2,5 millions de dollars pour garantir la réalisation de projets en lien avec l’histoire des Italo-Canadiens, ainsi que l’impression d’un timbre commémo-rant l’internement de ces derniers. Cependant, en raison des élections fédérales de 2011, ce projet de loi ne parvint pas à franchir toutes les étapes nécessaires pour devenir une loi.

Les tentatives pour obtenir réparation pour l’internement des Ita-lo-Canadiens durant la Seconde Guerre mondiale ont abouti à des ré-

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sultats mitigés. Le Premier ministre a présenté des excuses publiques et il existe un fonds fédéral destiné au financement de projets dédiés au sujet de l’internement des Italo-Canadiens. Cependant, ceux qui avaient été séparés de leur famille et qui avaient vécu de grandes diffi-cultés économiques n’ont jamais reçu de compensation.

La taxe d’entrée pour les immigrants chinois

Des Chinois immigrants et exclusLes immigrants chinois avaient commencé à arriver en grand nombre au Canada au moment de la ruée vers l’or en Colombie-Britannique, à la fin des années 1850 et dans les années 1860. Quelques-uns étaient arrivés après avoir tenté leur chance en Californie, tandis que d’autres venaient des régions du sud-est de la Chine où la guerre et l’augmenta-tion de la population exerçaient des pressions croissantes sur les terres et les ressources disponibles et contraignaient de nombreux paysans pauvres à tenter leur chance ailleurs. Une seconde vague d’immigra-tion chinoise commença en 1879 avec la construction du Chemin de fer transcontinental Canadien Pacifique (CCP), lorsque 17 000 ouvri-ers furent amenés au Canada par les entrepreneurs qui construisaient le chemin de fer afin qu’ils y effectuent les tâches les plus dangereuses et les plus difficiles. Lorsque le chemin de fer fut achevé, en 1885, les politiciens et les civils canadiens furent d’avis que la présence des Chi-nois n’était plus désirable, en dépit du travail indispensable et éreintant qu’ils avaient fourni.

Afin de restreindre l’immigration et l’installation des Chinois, le gouvernement canadien du Premier ministre John A. MacDonald créa une taxe d’entrée (ou droit d’admission) en 1885. Il s’agissait d’une taxe que devaient payer presque tous les immigrants chinois afin de pou-voir entrer au Canada et y demeurer, et qui resta en vigueur jusqu’en 1923, moment où l’immigration chinoise fut interdite purement et simplement, hormis de rares exceptions. Cette taxe d’entrée était le produit du racisme et de la xénophobie, ainsi que de la crainte d’un déclin économique et d’une diminution de l’emploi au Canada. La Loi sur l’immigration chinoise de 1885 stipulait que les personnes d’origi-ne chinoise entrant au Canada devaient payer 50 dollars. En 1900, la taxe d’entrée passa à 100 dollars, et en 1903 elle fut à nouveau aug-

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mentée pour atteindre le montant prohibitif de 500 dollars. Entre 1885 et 1923, environ 81 000 immigrants chinois ont payé la taxe d’entrée. Étudiants, enseignants, missionnaires, commerçants et diplomates en étaient exemptés. Aucun autre groupe national, ethnique ou racial dé-sireux d’entrer au Canada n’a été confronté à de telles restrictions.

La taxe d’entrée ne mettant pas un terme à l’immigration chinoise, le gouvernement fédéral canadien promulgua une nouvelle Loi sur l’immigration chinoise en 1923, qui interdisait purement et simple-ment aux Chinois d’immigrer au Canada. La taxe d’entrée, puis l’inter-diction de l’immigration chinoise qui lui succéda, causèrent d’énormes difficultés aux familles et aux communautés sino-canadiennes. Elles eurent pour effet de séparer les familles durant de longues périodes ; certains quartiers chinois des villes canadiennes furent surnommés « les sociétés de célibataires » en raison du faible nombre de femmes et d’enfants qui s’y trouvaient. Au tournant du siècle, chez les Chinois, les hommes étaient 28 fois plus nombreux que les femmes. L’impact intergénérationnel causé par la séparation des familles ainsi que par l’intense racisme et la discrimination fut profond. Cette loi fut finale-ment abrogée en 1947.

RéparationEn 1983, Dak Leon Mark, un Sino-Canadien qui avait payé la taxe d’entrée, contacta sa députée à Vancouver, Margaret Mitchell, pour ex-iger le remboursement des 500 dollars dont il avait dû s’acquitter pour entrer au Canada. Mitchell souleva cette question à la Chambre des Communes. Au cours des vingt années qui suivirent, le Conseil na-tional des Sino-Canadiens (CNSC) enregistra les plaintes de 4000 au-tres personnes ayant payé la taxe d’entrée qui cherchaient à obtenir réparation. Il fit pression sur le gouvernement fédéral et organisa des réunions communautaires pour sensibiliser l’opinion à cette question, ainsi que des présentations publiques ; et il publia un certain nombre de rapports de recherche. Le CNSC cherchait à obtenir du Parlement une reconnaissance et des excuses, ainsi qu’une réparation financière symbolique.

D’autres cherchaient à obtenir réparation par l’intermédiaire des tribunaux. Un cas ayant eu un certain retentissement, Mack v. Attor-ney General of Canada (Mack c. le Procureur général du Canada), rassemblait les réclamations de trois plaignants, Shack Jang Mack,

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qui avait payé la taxe d’entrée, ainsi que Quen Ying Lee et Yew Lee, la veuve et le fils d’un homme décédé qui avait également payé la taxe d’entrée. Ce procès, initié au nom des 4000 personnes qui avaient fait valoir leurs plaintes, visait à obtenir 1,2 milliard de dollars en dom-mages et intérêts pour ceux qui avaient payé la taxe et pour leurs de-scendants, en compensation pour le montant des taxes payées ainsi que pour les difficultés causées par la séparation des familles, la stig-matisation et ce qui s’ensuivait. Mais un tribunal ontarien statua en 2001 que le gouvernement fédéral n’avait aucune obligation juridique ou constitutionnelle pour ce qui était d’indemniser ceux qui avaient payé la taxe. Il statuait que, puisque la Charte canadienne des droits et libertés n’existait pas au moment où la taxe était en vigueur, elle ne pouvait s’appliquer rétroactivement. Le tribunal jugea également que le fait que le gouvernement ait compensé les Canadiens japonais pour la perte de leurs propriétés et les difficultés causées par les relocalisa-tions forcées durant la Seconde Guerre mondiale ne constituait pas un précédent. Les appels subséquents furent infructueux.

Bien que le tribunal ait statué que l’accord de réparation envers les Canadiens japonais ne constituait pas un précédent au niveau ju-ridique, les excuses présentées en 1988 et les compensations accordées pour les relocalisations forcées durant la Seconde Guerre mondiale galvanisèrent les Sino-Canadiens dans leur campagne de réparation pour la taxe d’entrée. En 1993, le Premier ministre Brian Mulroney proposa de créer une « Salle des registres des bâtisseurs de la nation » afin de reconnaître les contributions d’un certain nombre de groupes ethniques de la nation canadienne. La plupart des Sino-Canadiens, semblables en cela aux Canadiens ukrainiens et aux Italo-Canadiens, jugèrent cette offre insuffisante et la rejetèrent, continuant au contraire d’exercer des pressions pour obtenir du gouvernement reconnaissance et réparation. Le CNSC continua de rencontrer différents membres du gouvernement, bien que le gouvernement de Jean Chrétien et celui de Paul Martin ne fussent pas ouverts aux négociations. En décem-bre 2002, le député fédéral Inky Mark soumit à la Chambre des Com-munes le Projet de loi C-333 qui proposait de présenter des excuses accompagnées d’un fonds de financement de projets éducatifs anti-racistes.

Tous les Sino-Canadiens n’avaient pas embrassé la cause des répa-rations, et il restait également des divisions quant à la forme que

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celles-ci auraient dû prendre. Certains membres de la communauté se disaient reconnaissants pour le fait que leurs ancêtres aient eu la chance de venir au Canada pour se bâtir une vie meilleure, nonob-stant les politiques discriminatoires, et ils ne souhaitaient pas de-mander réparation. D’autres disaient qu’il restait si peu de personnes ayant payé la taxe d’entrée à être encore en vie et tant de descendants que les modalités de réparation seraient trop complexes. Tandis que d’autres, comme les membres de l’Association de bienfaisance des Chi-nois de Vancouver et ceux du Congrès national des Sino-Canadiens, cherchaient à obtenir une compensation sous la forme de paiements individuels indexés sur l’inflation, plus intérêts.

En dépit de ces divisions, la communauté des Sino-Canadiens s’en tint à sa tactique consistant à exercer des pressions et à organiser des évènements de conscientisation. Ils créèrent une grande coalition avec d’autres groupes ethniques, des syndicats et des acteurs politiques. En 2003, ils lancèrent ce qu’ils appelèrent « la campagne du dernier cram-pon », se rendant dans onze villes canadiennes avec le célèbre dernier crampon du chemin de fer dont Pierre Berton disait qu’il représentait le souvenir tangible du rôle essentiel qu’avaient joué les Sino-Cana-diens dans la construction du chemin de fer transcontinental – sym-bole de la construction même du Canada en tant que nation.

En 2004, en réponse à la mobilisation communautaire, Doudou Di-ene, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le racisme, la discrim-ination raciale, la xénophobie et l’intolérance, examina la question de la taxe d’entrée et de la réparation. Diene conclut que le gouvernement fédéral canadien devait procurer une réparation pour les difficultés et les souffrances qu’avaient endurées les Sino-Canadiens sous l’effet direct de la taxe d’entrée.

Durant la période précédant les élections fédérales de 2006, le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois exprimèrent cha-cun clairement leur soutien à la cause des excuses et des réparations, tandis que le Parti conservateur de Stephen Harper promettait de son côté d’œuvrer avec la communauté à un accord sur ce sujet. Après avoir remporté ces élections, les conservateurs tinrent une série de consultations avec des membres de la communauté.

Le 22 juin 2006, le Premier ministre Stephen Harper présenta des excuses officielles ainsi qu’un forfait compensatoire pour les gens qui avaient payé la taxe d’entrée ou leur épouse, chacun se voyant accorder

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20 000 dollars. Bien qu’il restât peu de Sino-Canadiens ayant immigré avant 1923 à être encore en vie – seulement une vingtaine – près de 16 millions de dollars furent versés en compensation. Un an après les excuses fédérales, la province de l’Ontario fit du 22 juin le « Jour de la réparation de la taxe d’entrée des Sino-Canadiens », tandis que la Ville de Vancouver observait également cette date comme journée munici-pale de commémoration.

Le forfait compensatoire n’avait pas reçu l’approbation unanime des Sino-Canadiens, tant au niveau des individus qu’à celui des as-sociations. Certains étaient d’avis que le montant de la compensation inclus dans l’accord n’était pas suffisant pour dédommager les gens du traumatisme intergénérationnel qu’avait causé la taxe d’entrée. Pour eux, les paiements et les excuses auraient dû également inclure les enfants de ceux qui avaient payé cette taxe plutôt que de se lim-iter uniquement à ces derniers ou à leur épouse, étant donné que la plupart étaient décédés au moment de l’entente. En 2007, le Conseil national de l’antiracisme du Canada soumit un rapport à ce sujet à la Convention internationale de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, arguant que les paiements servant à indemniser les gens ayant payé la taxe d’entrée n’étaient ni assez inclu-sifs ni assez conséquents pour répondre véritablement au problème. Bien que le gouvernement fédéral n’ait pas élargi la portée des formes individuelles de compensation, il a cependant soutenu un certain nombre d’initiatives d’éducation et de commémorations publiques destinées à sensibiliser le public aux injustices historiques telles que la taxe d’entrée réservée aux Chinois.

Le Komagata MaruLe 4 avril 1914, un navire à vapeur japonais, le Komagata Maru, quit-tait Hong Kong à destination du Canada. Ce navire avait été affrété par Gurdit Singh, un homme d’affaires sikh, dans le but de contester la politique d’immigration raciste du Canada. Cette politique, connue sous le nom de « voyage continu », avait été mise en œuvre en 1908 afin de juguler l’immigration en provenance d’Asie et d’Asie du Sud-Est. Ce règlement statuait que les passagers arrivant au Canada en provenance d’Asie ne pouvaient mettre pied à terre que si le navire sur lequel ils voyageaient provenait directement d’un port d’Asie sans avoir fait au-cune escale en cours de route. En 1914, cela était impossible, car tous

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les navires devaient se ravitailler en carburant à un moment ou à un autre. Ceux qui se trouvaient à bord du Komagata Maru étaient en majorité des Sikhs de la région du Pendjab en Inde, au nombre de 340, et ils avaient été rejoints par 24 musulmans et 12 hindous. Singh avait été approché par un certain nombre de migrants sikhs qui espéraient pouvoir se rendre au Canada. Il parvint à leur assurer un passage sur le Komagata Maru, qui devait également transporter un chargement de charbon à destination de Vancouver.

Les passagers du Komagata Maru avaient quelque raison d’être op-timistes en montant à bord du navire à destination du Canada. En 1913, le Panama Maru avait transporté 39 Indiens au Canada. À leur arrivée, ces immigrants avaient été amenés devant une Commission d’enquête qui avait ordonné qu’ils soient expulsés par les fonction-naires de l’immigration canadienne. J.  Edward Bird, l’avocat qui représentait ces Indiens, avait réussi à faire appel de cette décision en faisant valoir que le décret imposant le « voyage continu » n’était pas un moyen recevable de limiter l’immigration indienne au Canada. En infraction directe avec la législation canadienne du « voyage continu », le Komagata Maru fit escale à Shangaï après avoir quitté Hong Kong, puis au port de Moji et à Yokohama, au Japon, avant de traverser le Pacifique jusqu’à Vancouver.

Le Komagata Maru arriva en Colombie-Britannique le 22 mai 1914. Les autorités canadiennes de l’immigration firent tout ce qui était en leur pouvoir pour s’assurer que les passagers ne puissent pas débarquer. Cela tenait en grande partie au règlement raciste appliqué pour empêcher les passagers de mettre pied à terre à Vancouver. Mais cela tenait également au fait qu’une partie des autorités canadiennes craignaient que des membres armés du mouvement militant Ghadar (mot signifiant « mutinerie »), qui cherchait à renverser la férule bri-tannique en Inde, se trouvent à bord du Komagata Maru. Les passag-ers se virent interdire de contacter les membres de la communauté sikh de Vancouver ou les médias. Les autorités canadiennes voulaient également s’assurer que Gurdit Singh ne pourrait pas débarquer en ville. Cela allait l’empêcher de vendre le charbon des cales du Komaga-ta Maru et d’entrer dans une banque pour régler le solde de la location du navire. Les passagers restant dans l’attente de savoir s’ils obtiend-raient l’autorisation de débarquer, le gouvernement canadien leur fournit de maigres vivres ; ceux-ci furent par nécessité rationnés à tel

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point que les passagers durent parfois se passer d’eau ou de nourriture pendant des jours d’affilée.

Le fait que les passagers ne puissent pas contacter la communauté sikh de Vancouver n’empêcha pas celle-ci d’engager à nouveau l’avocat J. Edward Bird pour qu’il monte un dossier en leur nom. Les fonction-naires de l’immigration étaient au courant du succès juridique de Bird l’année précédente, et ils firent ce qu’ils pouvaient pour que cela ne se reproduise pas. Tant que les passagers du Komagata Maru ne quit-taient pas le navire, il était plus facile pour les autorités de l’immi-gration d’entraver leurs possibilités de contester leur situation. Si les passagers débarquaient à Vancouver, ces autorités ne disposeraient d’aucun moyen légal de les placer en détention – et de plus, s’ils étaient détenus, les immigrants avaient droit à une représentation juridique. Les autorités empêchèrent également Bird de rencontrer les passagers, bien qu’il eût eu le droit de rencontrer chacun d’entre eux en privé, puisqu’il était leur avocat. Devant le tribunal, Bird avança l’argument qu’il était illégal de procéder à des discriminations envers des sujets britanniques en raison de leur race, et que les droits civiques des pas-sagers avaient été violés.

Bird et le gouvernement canadien parvinrent à un compromis : un passager serait sélectionné pour passer un test, et quel qu’en soit le résultat, la décision s’appliquerait également aux autres passagers du Komagata Maru. Bird choisit Munshi Singh parce qu’il possédait une petite somme d’argent et qu’il serait représentatif des autres passagers du navire. Malheureusement, le tribunal statua à l’unanimité contre l’admission de Munshi Singh au Canada, ce qui signifiait que le navire devait retourner en Inde. Finalement, seuls 22 passagers du Komagata Maru reçurent l’autorisation de débarquer à Vancouver parce qu’ils avaient pu prouver qu’ils avaient vécu au Canada avant la promulga-tion du décret du « voyage continu ».

L’absence de ravitaillement suffisant pour le voyage de retour en Inde du Komagata Maru provoqua la colère des passagers, qui prirent le contrôle du navire. Lorsque la police de Vancouver tenta de l’abor-der, ils parvinrent à repousser les autorités locales. Mais, tandis que la Marine canadienne et les soldats se tenaient prêts à intervenir, le gouvernement canadien ne voulait pas voir cette situation se terminer dans la violence en raison des retentissements que cela pouvait avoir tant en Inde qu’au Canada. Finalement, le gouvernement canadien ac-

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cepta de fournir un ravitaillement suffisant pour le voyage de retour du Komagata Maru. Le 23 juillet, après deux mois passés à l’ancre au large de la côte de Vancouver, le Komagata Maru fut escorté hors des eaux canadiennes par le HMCS Rainbow.

La Première Guerre mondiale avait commencé lorsque le Komaga-ta Maru arriva en Inde. Les autorités britanniques soupçonnaient ses passagers de faire partie du mouvement Ghadar et d’être revenus aux Indes britanniques pour combattre pour l’indépendance de l’In-de. Le navire et ses passagers furent fouillés à la recherche d’armes de contrebande. Un désaccord se produisit entre certains passagers du Komagata Maru et les autorités britanniques en ce qui concernait l’endroit où les passagers du navire pouvaient se rendre. Avant qu’un représentant du gouvernement n’arrive pour entendre les doléances des anciens passagers du Komagata Maru, des coups de feu furent tirés, tant par des soldats que par des passagers. Lorsque la fusillade prit fin, 22 personnes avaient été tuées, dont 16 étaient des passagers. Plus de 200 passagers du Komagata Maru furent emprisonnés.

RéparationLes premières tentatives d’obtenir des excuses du gouvernement fédéral au sujet de l’incident du Komagata Maru commencèrent à la fin des années 1990. La Fondation à la mémoire du professeur Mohan Singh (FMPMS) fut l’un des premiers groupes à se constituer pour exercer des pressions sur le gouvernement fédéral afin d’en obtenir des excuses. La première action entreprise par le FMPMS fut de recueillir des signatures pour une pétition qui fut présentée au gouvernement canadien en 2002. Le FMPMS organisait également des évènements pour commémorer l’arrivée du Komagata Maru à l’inlet Burrard, dont l’un eut lieu le 23 mai 2006. Le FMPMS continua d’œuvrer à cette cause tandis que se constituait l’association des Descendants du Komagata Maru (DKM) qui cherchait également à obtenir des excus-es de la part du gouvernement fédéral. En 2012, l’association pouvait compter sur l’engagement de quinze familles. Il est difficile de savoir si le FMPMS et le DKM travaillaient en étroite collaboration ; cepen-dant, les deux groupes dédaignaient toute compensation financière. Ils souhaitaient simplement que le gouvernement fédéral présente des excuses officielles à la Chambre des Communes pour le traitement infligé aux passagers du Komagata Maru.

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Ainsi que le formule Alia Somani, « présenter des excuses devant le Parlement signifie que ces excuses seront officiellement documentées et enregistrées, ou inscrites définitivement dans le registre historique de la nation. Par conséquent, ce que demandent implicitement les activistes, c’est que l’État se souvienne justement de ce qu’il souhaite oublier, qu’il rompe avec l’économie de l’oubli qui caractérise le multi-culturalisme officiel et que, ce faisant, il accorde à la diaspora sud-asi-atique canadienne une reconnaissance plus significative et une inclu-sion dans la nation ».

Le FMPMS continua d’organiser des cérémonies ou des veillées les jours anniversaires de l’arrivée du Komagata Maru au Canada ou de sa sortie des eaux canadiennes. Il recueillait également des signa-tures pour des pétitions qu’il soumettait au gouvernement canadien. En outre, le FMPMS procédait à des consultations auprès de l’ensem-ble de la communauté indo-canadienne pour obtenir la contribution de cette dernière à la demande d’excuses de la part du gouvernement fédéral. Selon le site Internet du FMPMS, les données obtenues lors des consultations furent soumises le 27 mai 2006 à Jason Kenney, le-quel était alors Secrétaire parlementaire du Premier ministre Stephen Harper. La même année, Harper assista au Mela Gadri Babiyan Da, un festival sikh organisé par le FMPMS qui se tenait tous les ans en Co-lombie-Britannique. Il s’adressa à l’assistance, louant le travail réalisé par le FMPMS pour faire connaître la tragédie du Komagata Maru, et déclarant que le gouvernement fédéral allait procéder à des consulta-tions auprès des Indo-Canadiens pour savoir comment reconnaître ce sombre moment de l’histoire canadienne.

En 2008, soit au bout de près de deux ans, le gouvernement fédéral ne bougeant pas, le FMPMS écrivit à Jason Kenney, à présent Secrétaire d’État au Multiculturalisme et à l’Identité canadienne. Dans cette lettre, il mentionnait que « la communauté s’attend à des excuses con-cernant la tragédie du Komagata Maru. Aucune autre mesure ne sera suffisante, y compris un financement pour des projets ou monuments. Toutes les mesures prises par le gouvernement, si elles ne comportent pas d’excuses, seront considérées comme une tentative “d’acheter” les votes de la communauté et elles seront fort[ement] condamnées par la communauté et par notre association ». En réponse, Kenney écrivit que son gouvernement « travaillait à des excuses officielles pour l’inci-dent du Komagata Maru ».

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Tandis que les activistes indo-canadiens attendaient les excuses du gouvernement fédéral, le gouvernement de la Colombie-Britan-nique présenta des excuses formelles devant son Parlement le 23 mai 2008. De son côté, le gouvernement fédéral conservateur ne présenta pas d’excuses officielles devant la Chambre des Communes. Au lieu de cela, le Premier ministre Harper se rendit le 3 août 2008 au fes-tival Mal Gadri Babiyan Da pour présenter des excuses au sujet du Komagata Maru aux communautés indo-canadienne et sikh de Co-lombie-Britannique. Le discours de Harper évoquait les importantes contributions des nouveaux-venus d’Asie du Sud au Canada, résumait brièvement l’incident du Komagata Maru et parlait d’une motion déjà votée à la Chambre des Communes pour reconnaître les injustices commises lors de cette tragédie et présenter des excuses à ceux qui en avaient été directement affectés. Harper dit ensuite à la foule qu’il était présent pour formuler ces excuses.

La réaction « aux excuses » de Harper fut immédiate et virulente. Les membres de la communauté d’Asie du Sud qui avaient fait pression sur le gouvernement pour qu’il présente des excuses montèrent sur l’estrade pour exprimer leur déception. Un activiste leva le poing en criant : « nous n’accepterons pas ces excuses. Le gouvernement nous a humiliés en 1914 et aujourd’hui, il nous a humiliés encore ! » Jaswind-er Toor, du DKM, s’adressa alors à la foule, disant : « Premier ministre, nous avons clairement dit hier à vos représentants que ces excuses ne seront acceptées que si elles sont présentées devant le Parlement ».

Le FMPMS continua à presser le gouvernement canadien pour qu’il présente des excuses pour la tragédie du Komagata Maru. À l’automne 2009, le groupe présenta une pétition à Jack Layton, chef du Nouveau Parti démocratique à ce moment, qui la soumit à la Chambre des Communes au printemps 2010. Layton en appelait au gouvernement conservateur pour qu’il accède à la demande de cette pétition – qu’il présente formellement des excuses devant la Chambre des Communes pour le traitement infligé aux passagers du Komagata Maru.

Le FMPMS continua d’organiser des veillées aux chandelles, de soutenir les motions pressant le gouvernement fédéral de présenter officiellement des excuses, et de consulter l’ensemble de la commu-nauté indo-canadienne et d’Asie du Sud. L’association reçu l’assur-ance, tant de la part du chef du NPD Tom Mulcair que du chef des Libéraux Justin Trudeau, que si leur parti respectif devait remporter

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les élections fédérales de 2015, ils présenteraient des excuses formelles devant la Chambre des Communes. Enfin, le 18 mai 2016, ceux qui avaient fait pression sur le gouvernement canadien pour en obtenir des excuses officielles obtinrent ce qu’ils avaient attendu durant près de deux décennies, lorsque le Premier ministre Justin Trudeau présen-ta des excuses devant la Chambre des Communes pour la tragédie du Komagata Maru. Pour Gurjinder Kaur Gill, de Montréal, qui était présente à Ottawa pour assister à ces excuses, cela représentait une sorte de guérison. Ainsi qu’elle le formula, « cela montre que le Cana-da peut inclure tout le monde ».

Par le passé, les différents gouvernements canadiens ont présenté des excuses aux Canadiens japonais, pour les relocalisations forcées, l’internement et les confiscations de propriétés ; aux Sino-Canadiens pour la taxe d’entrée ; et aux Peuples autochtones pour les écoles rés-identielles. Lorsqu’un gouvernement fédéral s’excuse pour une in-justice commise à l’encontre de ses citoyens, ayant jugé leurs griefs suffisamment sérieux pour mériter un tel geste, cette reconnaissance résulte (ou semble résulter) en ce que la population ayant de tels griefs se sente pleinement incluse en tant que canadienne.

Ali Kazimi, cependant, est sceptique en ce qui concerne les excuses publiques. Pour lui, la plupart des Canadiens et des gens originaires d’Asie du Sud ne savent rien de la tragédie du Komagata Maru et il s’interroge sur ce que ces excuses sont censées accomplir. Ainsi qu’il l’a fait remarquer, ce n’est pas comme si des excuses pour les évènements entourant le Komagata Maru pouvaient se transposer à une nouvelle façon d’appréhender ce que l’on appelle les « arrivées irrégulières » au Canada. Ce terme s’applique aux gens de nationalité étrangère qui ar-rivent au Canada avant d’avoir été contrôlés par les autorités de l’im-migration, et qui sont souvent traités comme des criminels. Kazimi mentionnait en exemple le traitement subi par 492 Tamouls arrivés en Colombie-Britannique à bord du navire marchand Sun Sea en août 2010. Bien que ceux qui se trouvaient à bord du bateau aient fui la vio-lence au Sri Lanka, le gouvernement conservateur du moment accusa les membres de l’équipage de se livrer au trafic humain et affirma que les passagers étaient membres des Tigres tamouls, groupe considéré par le gouvernement canadien comme une organisation terroriste. Tous les membres d’équipage et les passagers furent immédiatement placés en détention. Ainsi que le montre le cas du Sun Sea, peu de cho-

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ses ont changé dans l’attitude du Canada envers les bateaux remplis de gens en provenance d’Asie du Sud.

Compréhension historique des mouvements de réparation

Ainsi que nous l’avons vu, l’histoire des mouvements de réparation et des excuses du gouvernement fédéral au Canada est complexe à exposer sur le plan narratif. Mobilisation communautaire et oppor-tunisme politique s’entrecroisent de diverses façons avec les débats en constante évolution au sujet de l’identité, de l’inclusion, du pluralisme, de la justice et des droits humains, faisant en sorte qu’il n’existe pas de situation de réparation unique dans l’histoire canadienne. Les tenta-tives d’obtenir réparation ont été des combats difficiles et éprouvants pour beaucoup de communautés ethniques qui leur ont consacré de grands efforts et des moyens considérables, ont été confrontées au rac-isme et à la discrimination et qui, souvent, ne sont pas parvenues à atteindre leurs objectifs. Pourquoi, alors, ont-elles persisté ? Pourquoi l’histoire des réparations représente-t-elle une dimension si impor-tante de la mémoire historique canadienne ?

Les réparations sont importantes pour plusieurs raisons. La première, qui est peut-être la plus évidente, est qu’elles procurent un moyen d’obtenir une compensation financière pour des dommages subis en raison de violations historiques des droits et libertés, et qui ont provoqué des préjudices au niveau individuel, familial ou commu-nautaire. Les sommes dont devaient s’acquitter les Chinois soumis à la taxe d’entrée, la perte des propriétés des Canadiens japonais durant la Seconde Guerre mondiale, la privation de liberté des personnes in-ternées et les conséquences intergénérationnelles de telles pertes, qui ont perduré, constituent des exemples du type de dommages que les réparations ont pour finalité de compenser.

La plupart des mouvements de réparation ne sont cependant pas motivés par un désir de compensation financière, mais par le besoin d’une forme de reconnaissance, le besoin que l’État admette ses torts et présente des excuses. La reconnaissance sert à admettre l’injustice et les difficultés subies par les individus et les communautés. Les mou-vements de réparation servent donc potentiellement des fins de jus-

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tice réparatrice, qui fonctionne comme une admission symbolique, et cependant profonde, des torts causés et qui s’accompagne souvent de promesses de ne plus jamais commettre de telles atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales.

Les mouvements de réparation ont davantage d’effet lorsqu’ils pro-curent aux gens un espace dans lequel raconter l’histoire de l’injus-tice dont ils ont été victimes et pour partager leur expérience en tant que communauté, lorsque de tels récits remettent en cause la façon conventionnelle dont on comprend l’histoire nationale du Cana-da, et lorsqu’ils permettent de sensibiliser le public aux nombreuses formes de discrimination et d’inégalités dont ont souffert de manière disproportionnée certains groupes minoritaires. Les mouvements de réparation ont la capacité d’attirer l’attention sur la dignité et la valeur humaines de tous les Canadiens, de procurer une reconnaissance mo-rale des inégalités persistantes, de susciter l’empathie et d’encourager la réconciliation comme moyen d’avancer vers une société plus juste et plus équitable. Les nombreuses initiatives éducatives et antiracistes qui ont résulté des efforts continuels fournis par les communautés eth-niques en quête de reconnaissance constituent des exemples du po-tentiel qu’ont les réparations de produire progressivement un véritable changement. Et l’étude des mouvements de réparation constitue une forme potentiellement radicale de pratique historiographique, l’une de celles qui cherchent à mobiliser le savoir historique pour enrichir les droits et les libertés de tous les Canadiens.

Mais les mouvements de réparation sont dépourvus d’efficacité lorsqu’ils encouragent une concurrence victimaire ou qu’ils essaient de réviser les histoires d’injustice pour en faire des célébrations des contributions des immigrants et des groupes ethniques à la nation canadienne. Certains affirment qu’en faisant passer le cœur des pro-jets commémoratifs de l’injustice aux contributions des communautés ethniques et immigrantes à la nation canadienne, on élude la façon dont les inégalités continuent d’affecter les structures sociales et poli-tiques à l’heure actuelle, ainsi que la culpabilité structurelle de l’État en tant qu’auteur de l’injustice. En d’autres termes, lorsque les initiatives de réparation ne parviennent pas à obtenir la concrétisation d’une politique antiraciste et d’une justice de redistribution, elles peuvent empêcher, au lieu de favoriser, la compréhension contemporaine des abus historiques, amoindrir les efforts de ceux qui plaident pour une

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redistribution équitable des ressources et transformer la dissidence en célébrations de la diversité entérinées par l’État.

Les réparations s’avèrent tout aussi problématiques si l’État ou d’autres acteurs s’en servent pour «  tourner la page  » lorsqu’il s’agit du passé. Si des excuses sont jugées vides de sens ou opportunistes, ce qui aurait pu autrement représenter un effort sincère d’endosser la responsabilité de torts historiques devient au contraire une stratégie de «  blanchiment  » servant à disculper l’État de sa complicité dans la perpétration des abus. Le problème, lorsque l’on se sert d’excuses pour « passer à autre chose », est que l’on empêche la mémoire collec-tive, la compréhension historique et les défis que posent les inégalités persistantes d’avoir un réel impact sur l’injustice structurelle au Can-ada. De même, si des excuses sont perçues comme hypocrites ou ne relevant que d’un opportunisme politique, elles ne parviennent pas à faire reconnaître véritablement les souffrances endurées et ne sont plus qu’un stratagème du gouvernement pour gagner en popularité.

En résumé, les mouvements de réparation dans l’histoire de l’im-migration et des ethnies du Canada véhiculent des myriades de con-versations au sujet des droits humains et civiques, du racisme et de l’inégalité, du pluralisme et de l’identité, ainsi que de la conscience historique et de la mémoire collective. Les questions qui entourent les réparations, la reconnaissance et la réconciliation peuvent, et doivent, continuer d’encadrer la compréhension historique du passé et les nouvelles atteintes aux droits humains. On ne peut qu’espérer que les types de mouvements de réparation examinés dans ce livret pourront à l’avenir constituer des exemples des tentatives menées dans l’histoire pour que justice soit faite, contrairement aux tactiques encours de mobilisation pour les droits et libertés.

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Pour en savoir plus

La série d’ouvrages publiée par la maison d’édition Lorimer & Co, Righting Canada’s Wrongs, fournit de brèves mais excellentes présen-tations d’injustices historiques ainsi que de campagnes de réparation. Parmi les livres dont le sujet rejoint le nôtre se trouvent ceux rédigés par Pamela Hickman, Righting Canada’s Wrongs: Italian Canadian In-ternment in the Second World War (2012), Righting Canada’s Wrongs: Japanese Canadian Internment in the Second World War (2011), et The Komagata Maru and Canada’s anti-Indian Immigration Policies in the Twentieth Century (2014). La contribution d’Arlene Chan à cette série est tout aussi appréciable ; voir The Chinese Head Tax and anti-Chinese Immigration Policies in the Twentieth Century (2014). Pour des écrits plus universitaires portant sur les réparations et la réconciliation au Canada, voir l’ouvrage de Jennifer Henderson et Pauline Wakeham (dir.), Reconciling Canada: Critical Perspectives on the Culture of Re-dress (Toronto, University of Toronto Press, 2013) ainsi que l’article de Matt James, « Degrees of Freedom in Canada’s Culture of Redress », Citizenship Studies (2014), et le chapitre d’Ian Radforth, « Ethnic Min-orities and Wartime Injustices: Redress Campaigns and Historical Narratives in Late Twentieth-Century Canada » dans Settling and Un-settling Memories: Essays in Canadian Public History (Toronto, Uni-versity of Toronto Press, 2012, p. 369-415).

La relocalisation forcée des Canadiens japonaisPlusieurs ouvrages documentent différents aspects des faits vécus par les Canadiens japonais lors des relocalisations forcées et les interne-ments. Parmi ceux-ci se trouvent ceux de Ken Adachi, The Enemy that Never Was: A History of the Japanese Canadians (Toronto, McClelland and Stewart, 1976)  ; Mary Taylor, A Black Mark: The Japanese-Can-adians in World War II (Ottawa, Oberon Press, 2004)  ; Ann Gomer Sunahara, The Politics of Racism: The Uprooting of Japanese Canadians During the Second World War (Toronto, James Lorimer & Company, 1981) ; et de Mona Oikawa, Cartographies of Violence: Japanese Can-adian Women, Memory, and the Subjects of the Internment (Toronto, University of Toronto Press, 2012). Pour d’autres documents, voir Stephanie Bangarth, Voices Raised in Protest: Defending Citizens of Japanese Ancestry in North America, 1942-1949 (Vancouver, Univer-

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sity of British Columbia Press, 2008) ; la collection de matériel audio-visuel des archives numériques de CBC-Radio Canada intitulée « Re-location to Redress: The Relocation of Japanese Canadians » (http://archives.cbc.ca/war_conflict/second_world_war/topics/568)  ; ainsi que le Projet Landscapes of Injustice (www.landscapesofinjustice.com).

Plusieurs auteurs ont compilé des écrits du temps de guerre et des réflexions personnelles de Canadiens d’origine japonaise ayant vécu les relocalisations forcées et la détention. Parmi ceux-ci se trouvent Keibo Oiwa, Stone Voices: Wartime Writings of Japanese Canadian Is-sei (Montréal, Vehicule Press, 1991) et Murial Kitigawa, This My Own: Letters to Wes & Other Writings on Japanese Canadians, 1941-1948 (Vancouver, Talonbooks, 1985). Joy Kogawa, dont la famille a été re-localisée et internée en Colombie-Britannique et en Alberta durant la guerre, en a fait un roman qui a remporté un prix, Obasan (Toronto, Penguin, 1981).

Pour des informations détaillées sur le cœur de la campagne de réparation, voir les ouvrages de Roy Miki, Redress: Inside the Japanese Canadian Call for Justice (Vancouver, Raincoast Books, 2004)  ; Roy Miki et Cassandra Kobayashi, Justice in Our Time: The Japanese Cana-dian Redress Settlement (Vancouver, Talonbooks, 1991) ; et Art Miki, Japanese Canadian Redress Legacy: A Community Revitalized (Winni-peg, National Association of Japanese Canadians, 2003). L’article d’Au-drey Kobayashi, « The Japanese-Canadian Redress Settlement and its Implications for “Race Relations”  », dans Canadian Ethnic Studies vol. 24, no 1 (1992), examine en profondeur les différentes étapes de la campagne de réparation.

Durant toute la campagne de réparation, l’Association nationale des citoyens canadiens-japonais a publié ou fait réaliser plusieurs bro-chures et documents importants, dont Democracy Betrayed: The Case for Redress (1984)  ; le rapport Price Waterhouse, Economic Losses of Japanese Canadians After 1941 (1986) ; et Justice in our Time: Redress for Japanese Canadians (1988). Pour les activités contemporaines de l’Association nationale des citoyens canadiens-japonais et de la Fonda-tion canadienne des relations raciales, voir leurs sites Internet, www.najc.ca et www.crrf-fcrr.ca.

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L’internement des Canadiens ukrainiens durant la Première Guerre mondialeLes recherches universitaires portant sur la situation des Canadiens ukrainiens durant la Première Guerre mondiale ont commencé par la publication de deux chapitres dans l’ouvrage Loyalties in Con-flict: Ukrainians in Canada during the Great War, dirigé par Frances Swyripa et John Herd Thompson (Edmonton, Canadian Institute of Ukrainian Studies, 1983)  : ceux de Peter Melnycky, « The Intern-ment of Ukrainian in Canada » (p. 1-24) et de Frances Swyripa, « The Ukrainian Image: Loyal Citizen or Disloyal Alien » (p. 47-68).

Les publications spécifiquement destinées à soutenir la cause des réparations ont commencé à paraître à la fin des années 1980. Parmi celles-ci, voir les ouvrages de Lubomyr Luciuk  : A Time for Atone-ment: Canada’s First National Internment Operations and the Ukrain-ian Canadians, 1914-1920 (Kingston 1988) ; In Fear of the Barbed Wire Fence: Canada’s First National Internment Operations and the Ukrain-ian Canadians, 1914-1920 (Kingston, Kashtan Press, 2001) ; et With-out Just Cause: Canada’s First National Internment Operations and the Ukrainian Canadians, 1914-1920 (Kingston, Kashtan Press, 2006)  ; voir également les ouvrages de Bohdan Kordan  : Prisoners of War: Internment in Canada during the Great War (Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2002) et A Bare and Impolitic Right: Internment and Ukrainian-Canadian Redress (Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2004), ce dernier ayant également pour co-auteur Craig Mahovsky. Les travaux mentionnés ci-dessus ont été quelque peu critiqués en ce qui concerne l’exactitude histori-que, notamment par l’historien Orest Martynowych, dans «  A Plea for a Rational Discussion of the Internment of Ukrainians in Canada, 1914-1920  », publié dans Ukrainian Weekly in 1988, et par Frances Swyripa dans « The Politics of Redress: The Contemporary Ukrain-ian-Canadian Campaign  » publié dans Enemies Within: Italian and Other Internees in Canada and Abroad (Toronto, University of Toron-to Press, 2000, p. 355-378).

L’internement des Italo-Canadiens durant la Seconde Guerre mondialeIl existe deux importantes relations des situations vécues par les Italo-Canadiens durant la Seconde Guerre mondiale, rédigées par

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des témoins directs  : le mémoire de Mario Duliani, The City With-out Women: A Chronicle of Internment Life in Canada during the the Second World War (Toronto, Mosaic Press, 1994) et cellui de Filip-po Salvatore, Fascism and the Italians of Montreal: An Oral History, 1922-1945 (Toronto, Guernica, 1998). Les ouvrages collectifs Enemies Within: Italian and Other Internees in Canada and Abroad (Toronto, University of Toronto Press, 2000) et Beyond Barbed Wire: Essays on the Internment of Italian Canadians (Toronto, Guernica) explorent différents aspects de cette période de l’histoire des Italo-Canadiens.

La taxe d’entrée réservée aux ChinoisBien qu’il existe peu d’ouvrages portant exclusivement sur le sujet de la taxe d’entrée des immigrants chinois, il existe plusieurs travaux sur l’immigration et l’histoire des Chinois à un niveau plus général ; voir le livre de Peter S. Li, The Chinese in Canada (Toronto, Oxford University Press, 1988), ainsi que celui d’Evelyn Huang et Lawrence Jeffery, Chinese Canadians: Voices from a Community (Vancouver, Douglas & McIntyre, 1992). Les ouvrages de Kay Anderson, Vancou-ver’s Chinatown: Racial Discourse in Canada, 1875-1980 (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1991) et de Peter Ward, White Can-ada Forever: Popular Attitudes and Public Policy Toward Orientals in British Columbia (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1978) présentent des survols de la façon dont le racisme au Canada a affecté ces Canadiens d’origine chinoise.

Pour des analyses critiques du mouvement de réparation pour la taxe d’entrée réservée aux Chinois, voir Stephen Winter, « The Stakes of Inclusion: Chinese Canadian Head Tax Redress », Canadian Journal of Political Science vol. 41, no 1 (mars 2008), p. 119-141 ; et Matt James, « Recognition, Redistribution and Redress: The Case of the “Chinese Head Tax” », Canadian Journal of Political Science vol. 37, no 4 (2004), p. 883-902 ; ainsi que l’ouvrage de David Dyzenhaus et May Moran, Calling Power to Account: Law, Reparations and the Chinese Head Tax Case (Toronto, University of Toronto Press, 2005).

Le mouvement de réparation pour le Komagata MaruPour des livres portant sur le contexte historique et les évènements entourant le Komagata Maru, voir l’ouvrage de Hugh Johnston, The Voyage of the Komagata Maru: The Sikh Challenge to Canada’s Colour

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Bar (Vancouver, University of British Columbia Press, 1989)  ; l’ou-vrage de Peter Ward, White Canada Forever: Popular Attitudes and Public Policy toward Orientals in British Columbia (Montréal et Kings-ton, McGill-Queen’s University Press, 1990), en particulier le chapitre intitulé « The Komagata Maru Incident » (p. 79-93) ; et le livre d’Ali Kazimi, Undesirables: White Canada and the Komagata Maru (Van-couver, Douglas and McIntyre, 2011). Parmi les livres présentant des sources premières relatives à l’incident du Komagata Maru se trouvent ceux de Malwinder Jit Singh Waraich, Komagata Maru: A Challenge to Colonialism (2005) et de Guradita Singha, Voyage of the Komagata Maru or India’s Slavery Abroad (2007) (tous deux publiés en Inde : SAS Nagar [Pendjab], Unistar Publishing). Très peu de choses ont été pub-liées au sujet du mouvement de réparation pour le Komagata Maru, probablement en raison des excuses présentées par le gouvernement canadien en 2016. L’article d’Alia Somani, « The Apology and its Af-termath: National Atonement or the Management of Minorities?  » dans Postcolonial Text vol. 6, no 1 (2011), p. 1-18, ainsi que sa thèse de doctorat, «  Broken Passages and Broken Promises: Reconstruct-ing the Komagata Maru and Air India Cases » (University of Western Ontario 2012) portent sur les réparations ainsi que sur la signification attribuée aux excuses. Le site Internet de la Fondation à la mémoire du professeur Mohan Singh (Professor Mohan Singh Memorial Foun-dation) représente une autre source d’information importante pour ce qui est des activités du mouvement de réparation pour le Komagata Maru (http://www.profmohansinghmemorialfoundation.ca/).

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L’immigration et l’ethnicité au CanadaLa série L’immigration et l’ethnicité au Canada (autrefois publiée sous le nom de Les groupes ethniques du Canada) est une collection de brochures qui of-frent aux élèves des niveaux du secondaire et du CÉGEP, aux historiens et à la population en général des études concises sur des aspects particuliers de l’immigration et de l’ethnicité au Canada.

Plusieurs de ces publications portent sur une communauté en particulier et en décrivent ses origines, son évolution et sa situation actuelle. Les brochures comprennent aussi des cartes et des tableaux qui se prêtent à la rétroprojec-tion, de même que des suggestions de lectures complémentaires. Ces publi-cations sont disponibles dans les deux langues officielles et d’autres brochures sont en voie de préparation. La collection est publiée sous les auspices de la Société historique du Canada en collaboration avec le ministère du Patri-moine canadien.

1. J.M. Bumsted, The Scots in Canada | Les Écossais au Canada2. David Higgs, The Portuguese in Canada | Les Portugais au Canada3. W. Peter Ward, The Japanese in Canada | Les Japonais au Canada4. D.H. Avery et J.K. Fedorowicz, The Poles in Canada | Les Polonais au Canada5. Hugh Johnston, The East Indians in Canada | Les Indiens asiatiques au

Canada6. James W. St. G. Walker, The West Indians in Canada | Les Antillais au Canada7. Bernard L. Vigod, The Jews in Canada | Les Juifs au Canada8. Varpu Lindstrom‐Best, The Finns in Canada | Les Finlandais au Canada9. Jin Tan et Patricia Roy, The Chinese in Canada | Les Chinois au Canada10. O.W. Gerus et J.E. Rea, The Ukrainians in Canada | Les Ukrainiens au

Canada11. K.M. McLaughlin, The Germans in Canada | Les Allemands au Canada12. David A. Wilson, The Irish in Canada | Les Irlandais au Canada13. J.I. Little, Ethno–Cultural Transition and Regional Identity in the Eastern

Townships of Quebec | Évolution ethnoculturelle et identité régionale des Cantons de l’est

14. Bruno Ramirez, The Italians in Canada | Les Italiens au Canada15. Reg Whitaker, Canadian Immigration Policy since Confederation | La

politique canadienne d’immigration depuis la confédération16. Marilyn Barber, Immigrant Domestic Servants in Canada | Les domestiques

immigrantes au Canada17. Howard Palmer, Ethnicity and Politics in Canada since Confederation | Les

enjeux ethniques dans la politique canadienne depuis la Confédération

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18. Michael D. Behiels, Quebec and the Question of Immigration: From Ethnocentrism to Ethnic Pluralism, 1900–1985 | Le Québec et la question de l’immigration: de l’ethnocentrisme au pluralisme ethnique, 1900–1985

19. John Herd Thompson, Ethnic Minorities during Two World Wars | Les minorités ethniques pendant les guerres mondiales

20. Cornelius J. Jaenen, The Belgians in Canada | Les Belges au Canada21. Yves Frenette, The Anglo–Normans in Eastern Canada | Les Anglo–

Normands dans l’est du Canada22. Franca Iacovetta, The Writing of English Canadian Immigrant History | Les

immigrants dans l’historiographie anglo–canadienne23. Martin Pâquet, Toward a Quebec Ministry of Immigration, 1945 to 1968 |

Vers un ministère québécois de l’Immigration, 1945–196824. Marcel Martel, French Canada: An Account of its Creation and Breakup,

1850–1967 | Le Canada français : récit de sa formulation et de son éclatement, 1850–1967

25. Roberto Perin, The Immigrants’ Church: The third force in Canadian Catholicism, 1880–1920 | L’Église des immigrants : les allophones au sein du catholicisme canadien, 1880–1920

26. Frank Cosentino, Afros, Aboriginals and Amateur Sport in Pre World War One Canada | Les Noirs, les autochtones et le sport amateur dans le Canada d’avant la Première Guerre mondiale

27. Carmela Patrias, The Hungarians in Canada | Les Hongrois au Canada28. Louis‐Jacques Dorais, The Cambodians, Laotians and Vietnamese in

Canada | Les Cambodgiens, Laotiens et Vietnamiens au Canada29. Royden Loewen, Ethnic Farm Culture in Western Canada | Traits de

culture des agriculteurs allophones dans l’ouest du Canada30. Mark McGowan, Creating Canadian Historical Memory: The Case of the

Famine Migration of 1847 | Produire la mémoire historique canadienne : le cas des migrations de la Famine de 1847

31. John Zucchi, History of Ethnic Enclaves in Canada | Une histoire sur les enclaves ethniques au Canada

32. Alexandre Freund, Oral History and Ethnic History | L’histoire orale et l’histoire des groups ethniques

33. Caroline-Isabelle Caron, The Acadians | Les Acadiens34. Lisa Chilton, Receiving Canada’s Immigrants: The Work of the State Before

1930 | Accueillir les immigrants au Canada : le travail de l’État avant 193035. Marline Epp, Refugees in Canada: A Brief History | Les Réfugiés au Canada :

un survol historique36. Dennis Molinaro, Deportation from Canada | La Pratique des expulsions

au Canada

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La Société historiqure du CanadaLa série L’Immigration et l’ethnicité au Canada

1912-130, rue Albert, Ottawa, Ontario K1P 5G4Tél. 613 233-7885 - Fax 613 565-5445

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