morgane bérat - une vie à réinventer

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Les Nouvelles de Versailles 18 Journaliste Le Chesnay/Marly-le-R oi - François Desserre- Tél. 01 30 97 72 36 Versaille s Sud - Florie Cedolin - Tél. 01 30 97 72 49 Vélizy/Saint- Cyr - Alexandre Marqué - Tél. 01 30 97 72 51 Plaisir/Les Clayes - Basile Regoli - Tél. 01 30 97 72 48 Journaliste : Florie Cedolin E-Mail : florie.cedolin@lesn ouvelles.fr Journaliste : Stéphane Gauthier Tél. 01 30 97 72 49 E-Mail : [email protected] www.lesnouvelles.fr Contacts S I MORGANE était une plante, elle serait une vivace. Une voix grave légèrement voilée, la mâchoire volontaire, cette petite blonde au visage mobile aime la musique, le bon vin et Samuel, son compagnon depuis trois ans. «J’ai envie de vivre !» , c’est sa revendication. Car cette vie, elle a failli la per- dre. Souvenez-vous, c’était le 15 septembre 2010. Morgane a alors 20 ans. Elle vient d’entrer en BTS aménagement de l'es- pace, option bureau d'études. Ce jour-là, la jeune femme a rendez-vous avec sa mère en face de la préfecture. C'est une belle journée ensoleillée. Alors qu’elle attend pour tra- verser l’avenue de Paris, une camionnette rouge approche. Trop vite. Et la percute violem- ment. La mâchoire éclatée, une  jamb e arr aché e, elle est tran s- portée à l’hôpital Beaujon de Clichy (Hauts-de-Seine). Main- tenue trois semaines en coma artificiel, elle rêve. Perçoit les gestes, les sons qui l’entourent. Morgane lutte. Elle a perdu la plupart de ses dents. A l’hôpital, une envie la tenaille : «Croquer dans un ananas et manger une tarti- flette ! J’ado re au ssi fumer un bon cigare avec un verre de whisky. J’ai plein de vices», s’amuse-t-elle. Pendant trois mois, elle vit au rythme des opérations. Elle en aura subi vingt-cinq à ce jour. Amis, famille, professeurs, col- lègues, tous se relayent à son chevet. «Je me di sai s : il y a un monde dehors qui m’at- tend !» Elle ne rentrera chez elle qu'en mars 2011. Toute une exis- tence suspendue pendant six mois. «Le retour à la vie normale a été… dur», soupire-t-elle. Il fau- dra presque deux ans avant qu’elle puisse porter une pre- mière prothèse. «Ensuite, je me suis lancé des petits objec- tifs : j’allais chercher ma mère, qui travaille à l’école Saint- François-d'Assise à Viroflay , etc». Remarcher. Affronter la route. Apprendre à vivre avec un handicap. Autant de défis à relever. «Maintenant, mon corps, c’est ça. Il faut utiliser cette différence pour avancer.» Lorsque les regards s’attardent sur son “bout de jambe”, elle s'irrite : «Je déteste la p itié !! Cela ne sert à rien ! Ce qu ’il faut, c e sont de s solut ions !» Aujourd’hui, même si elle doit parfois s’aider d'une canne, Morgane marche fermement sur sa prothèse. Et rapide- ment ! Depuis août 20 12, grâce à cette «deuxième jambe», et la reprise du travail en octobre, elle a totalement reconquis son autonomie. Cette amoureuse de la nature est jardinière-paysagiste au Ha- meau de la Reine. Un emploi qui la comble. «Odeurs, cou- leurs, toucher, on retrouve tous les sens dans un jardin. Avec beaucoup de liberté.» Morgane parle de «ses» plantes comme d’autres parleraient de leurs en- fants. «J’aime les voir s’épanouir. Mon métier, je n’en changerais pour rien au monde… sauf peut-être pour être astronaute ou travailler dans une pouponnière.» Une pouponnière…? «Mais une pou- ponnière de singes ou d’é léphants !» A contrecœur, Morgane a fina- lement renoncé à son BTS et à son projet de monter sa propre entreprise. Qu’à cela ne tienne. Des rêves, elle en a construits d’autres. Un jour, elle créera avec Samuel - qui est assistant so- cial - un lieu de réinsertion et de réadaptation «en combinant [leurs] deux activités. Un en- droit aménagé pour tous les handicaps. Je veux améliorer le confort des gens qui sont comme moi. Je veux faire ça pour eux.» Emilie Lay Accident en 2010 avenue de Paris Morgane Bérat : une vie à réinventer Morgane travaille aujourd’hui comme jardinière-paysagiste au Hameau de la Reine. Morgane Bérat, 23 ans, est jardinière-paysagiste au Hameau de la Reine. En 2010, cette Viroflaysienne était fauchée par un chauffard sur l’avenue de Paris. Près de trois ans après l’accident qui l’a mutilée, elle raconte sa reconstruction, son amour des plantes, ses rêves. Ce chirurgien a secouru Morgane C' ES T PAR UN impro- bable hasard qu'Hervé (40 ans), chirurgien dans l'Hérault, est entré dans la vie de Morgane. Ce 15 septembre, il vient de participer à une formation à Versailles. Alors qu'il fait route pour l’aéro- port, il parvient sur les lieux de l'accident. «Là, j’aper- çois une mare de sang. Au fur et à mesure que je m'approche, tout s'obscur- cit autour de moi.» Il coordonne alors les pre- miers soins, aidé de deux passants. L'urgence vitale : endiguer l'hémorragie de la  jambe de Morgane. «Mais ensuite, on se retrouve tout seul avec ce que l'on vient de vivre.» Hervé contacte alors les hôpitaux de la ré- gion en quête de nouvelles. En vain. Il retrouvera la trace de la  jeun e femme l'hiv er su ivant. Par hasard encore. «Un soir,  j'étais à la clinique, quand  j'a i reç u u n a ppel de sa mère. Elle s'est mise à pleurer... et j'avoue que moi aussi.» Quelques se- maines plus tard, il reçoit une première lettre de Mor- gane. Six pages de gratitude. Noël 2011. Hervé est chez sa sœur, à Jouy-en-Josas. Il va rencontrer Morgane pour la première fois. Ce soir-là, elle veut connaître les moindres détails de l'acci- dent, dont elle ne conserve au- cun souvenir. «J’avais besoin que ça soit vrai !» , expli- que-t-elle. Une fois par an, elle «partage avec le chirur- gien ce qui se passe dans [sa] vie. C’est grâce à lui que je peux vivre tou- tes ces choses.» «Ces lettres m'emplissent de joie et de fierté, s'émeut Hervé. Mais j'ai juste fait partie d'une chaîne. Je ne suis pas un héros, insiste- t-il. C'est elle l'héroïne.» «Je me disais :  il y a un monde dehors qui m’attend» «Utiliser cette différence pour avancer» Rappel des faits Ce mercredi 15 septembre 2010, Morgane patiente sur l’îlot cen- tral servant de refuge aux piétons devant l’hôtel Pullman, avenue de Paris. C’est alors qu’une camionnette rouge surgit dans le sens mair ie/château, percutant d’abord une Peugeot 206. Le conducteur braque ensuite sur la gauche et percute violemment Morgane. Les expertises ont par la suite révélé que le conducteur, un maçon âgé d’une trentaine d’années, roulait trop vite (près de 76 km/h). Il a été condamné à deux ans de prison ferme en décembre 2011. Hervé, chirurgien, se trouvait par hasard sur les lieux du drame.

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Page 1: Morgane Bérat - Une vie à réinventer

 

Les Nouvelles de

Versailles

18

Journaliste

Le Chesnay/Marly-le-Roi - François Desserre- Tél. 01 30 97 72 36Versailles Sud - Florie Cedolin - Tél. 01 30 97 72 49

Vélizy/Saint-Cyr - Alexandre Marqué - Tél. 01 30 97 72 51

Plaisir/Les Clayes - Basile Regoli - Tél. 01 30 97 72 48

Journaliste : Florie CedolinE-Mail : [email protected] : Stéphane GauthierTél. 01 30 97 72 49E-Mail : [email protected]

■ Contacts

SI MORGANE était une plante,elle serait une vivace. Unevoix grave légèrement

voilée, la mâchoire volontaire,cette petite blonde au visagemobile aime la musique, le bonvin et Samuel, son compagnondepuis trois ans. «J’ai envie devivre !», c’est sa revendication.Car cette vie, elle a failli la per-dre. Souvenez-vous, c’était le15 septembre 2010. Morgane aalors 20 ans. Elle vient d’entreren BTS aménagement de l'es-pace, option bureau d'études.Ce jour-là, la jeune femme arendez-vous avec sa mère enface de la préfecture. C'est unebelle journée ensoleillée.

Alors qu’elle attend pour tra-verser l’avenue de Paris, unecamionnette rouge approche.Trop vite. Et la percute violem-ment. La mâchoire éclatée, une jambe arrachée, elle est trans-portée à l’hôpital Beaujon deClichy (Hauts-de-Seine). Main-tenue trois semaines en comaartificiel, elle rêve. Perçoit lesgestes, les sons qui l’entourent.Morgane lutte.Elle a perdu la plupart de sesdents. A l’hôpital, une envie latenaille : «Croquer dans unananas et manger une tarti-flette ! J’adore aussi fumer unbon cigare avec un verre dewhisky. J’ai plein de vices»,s’amuse-t-elle.

Pendant trois mois, elle vit aurythme des opérations. Elle enaura subi vingt-cinq à ce jour.Amis, famille, professeurs, col-lègues, tous se relayent à sonchevet. «Je me disais : il y aun monde dehors qui m’at-tend !» Elle ne rentrera chez ellequ'en mars 2011. Toute une exis-tence suspendue pendant sixmois.«Le retour à la vie normale aété… dur», soupire-t-elle. Il fau-dra presque deux ans avantqu’elle puisse porter une pre-mière prothèse. «Ensuite, je mesuis lancé des petits objec-tifs : j’allais chercher ma mère,qui travaille à l’école Saint-François-d'Assise à Viroflay,etc». Remarcher. Affronter laroute. Apprendre à vivre avecun handicap. Autant de défis àrelever. «Maintenant, moncorps, c’est ça. Il faut utilisercette différence pour avancer.»Lorsque les regards s’attardentsur son “bout de jambe”, elles'irrite : «Je déteste la pitié !!Cela ne sert à rien ! Ce qu’ilfaut, ce sont des solutions !»

Aujourd’hui, même si elle doitparfois s’aider d'une canne,Morgane marche fermementsur sa prothèse. Et rapide-ment ! Depuis août 2012, grâceà cette «deuxième jambe», etla reprise du travail en octobre,elle a totalement reconquis sonautonomie.

Cette amoureuse de la natureest jardinière-paysagiste au Ha-meau de la Reine. Un emploiqui la comble. «Odeurs, cou-leurs, toucher, on retrouve tousles sens dans un jardin. Avecbeaucoup de liberté.» Morganeparle de «ses» plantes commed’autres parleraient de leurs en-fants. «J’aime les voirs’épanouir. Mon métier, je n’enchangerais pour rien aumonde… sauf peut-être pourêtre astronaute ou travaillerdans une pouponnière.» Unepouponnière…? «Mais une pou-ponnière de singes oud’éléphants !»A contrecœur, Morgane a fina-lement renoncé à son BTS et àson projet de monter sa propreentreprise. Qu’à cela ne tienne.Des rêves, elle en a construitsd’autres. Un jour, elle créera avecSamuel - qui est assistant so-cial - un lieu de réinsertion etde réadaptation «en combinant[leurs] deux activités. Un en-droit aménagé pour tous leshandicaps. Je veux améliorerle confort des gens qui sontcomme moi. Je veux faire çapour eux.»

Emilie Lay 

Accident en 2010 avenue de Paris

Morgane Bérat : une vie à réinventer

Morgane travaille aujourd’hui comme jardinière-paysagiste au Hameau de la Reine.

Morgane Bérat, 23 ans, est jardinière-paysagiste au Hameau de la Reine. En 2010, cette Viroflaysienne était fauchée par un chauffard sur l’avenuede Paris. Près de trois ans après l’accident qui l’a mutilée, elle raconte sa reconstruction, son amour des plantes, ses rêves.

■ Ce chirurgien a secouru Morgane

C'EST PAR UN impro-bable hasardqu'Hervé (40 ans),

chirurgien dans l'Hérault,est entré dans la vie deMorgane. Ce 15 septembre,il vient de participer à uneformation à Versailles. Alorsqu'il fait route pour l’aéro-port, il parvient sur les lieuxde l'accident. «Là, j’aper-çois une mare de sang. Aufur et à mesure que jem'approche, tout s'obscur-cit autour de moi.»Il coordonne alors les pre-miers soins, aidé de deuxpassants. L'urgence vitale :endiguer l'hémorragie de la jambe de Morgane. «Maisensuite, on se retrouve toutseul avec ce que l'on vient

de vivre.» Hervé contactealors les hôpitaux de la ré-gion en quête de nouvelles.En vain.Il retrouvera la trace de la jeune femme l'hiver suivant.Par hasard encore. «Un soir, j'étais à la clinique, quand j'a i reçu un appel de samère. Elle s'est mise àpleurer... et j'avoue quemoi aussi.» Quelques se-maines plus tard, il reçoitune première lettre de Mor-gane. Six pages degratitude.Noël 2011. Hervé est chezsa sœur, à Jouy-en-Josas. Ilva rencontrer Morgane pourla première fois. Ce soir-là,elle veut connaître lesmoindres détails de l'acci-

dent, dont ellene conserve au-cun souvenir.«J’avais besoinque ça soitvrai ! », expli-que-t-elle.Une fois par an,elle «partageavec le chirur-gien ce qui sepasse dans [sa]vie. C’est grâceà lui que jepeux vivre tou-tes ces choses.»«Ces lettresm'emplissentde joie et defierté, s'émeutHervé. Mais j'ai juste faitpartie d'une chaîne. Je ne

suis pas un héros, insiste-t-il. C'est elle l'héroïne.»

«Je me disais : 

il y a un 

monde 

dehors qui 

m’attend» 

«Utiliser 

cette 

différence 

pour 

avancer» 

Rappel des faitsCe mercredi 15 septembre 2010, Morgane patiente sur l’îlot cen-tral servant de refuge aux piétons devant l’hôtel Pullman,avenue de Paris. C’est alors qu’une camionnette rouge surgitdans le sens mair ie/château, percutant d’abord une Peugeot206. Le conducteur braque ensuite sur la gauche et percuteviolemment Morgane.Les expertises ont par la suite révélé que le conducteur, unmaçon âgé d’une trentaine d’années, roulait trop vite (prèsde 76 km/h). Il a été condamné à deux ans de prison fermeen décembre 2011.

Hervé, chirurgien, se trouvait par hasard sur les lieux du drame.

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