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Module 10 Analyser les ressources humaines du secteur de la santé

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Module 10

Analyser les ressources humaines du secteur de la santé

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Résumé

Ce module décrit les nombreux aspects à prendre en compte dans le cadre d’une étude portant sur les personnels de santé. Il présente tout d’abord les évolutions les plus couramment observées dans les secteurs de la santé en crise. Il analyse ensuite la taille et de la composition des effectifs du secteur par rapport à la population à desservir et au réseau sanitaire à faire fonctionner. Ce module examine les principales caractéristiques des effectifs de plusieurs secteurs de la santé affectés par une guerre, en soulignant leurs similitudes et leurs différences.

La formation, l’attrition, les descriptions de postes, le déploiement, la dotation en personnel et les performances des effectifs sont étudiés. Les agents communautaires volontaires, qui prédominent dans de nombreuses crises prolongées, constituent un autre thème traité, tout comme la régulation des ressources humaines. Le rôle des personnels expatriés est brièvement évoqué. Les diffi cultés posées par l’intégration, au sein d’un personnel unifi é, d’agents de santé qui étaient jusqu’alors des adversaires sont présentées. Les dispositions et les contraintes relatives aux rémunérations et à la fonction publique sont également étudiées. Les stratégies à adopter pour restructurer un effectif affecté par des distorsions et des gaspillages concluent ce module.

L’Annexe 10 présente la restructuration post-confl it des personnels de santé du Mozambique. La situation initia le des ressources humaines est comparée à celle qui fait suite à la mise en place d’un plan décennal. Les progrès réalisés et les carences qui demeurent sont identifi és.

Modules connexes :

Module 6. Analyser le fi nancement et les dépenses du secteur de la santé

Module 8. Analyser les systèmes de gestion

Module 9. Étudier le réseau de santé

Module 12. Formuler des stratégies pour le relèvement d’un secteur de la santé en crise

L’incidence de la violence sur les personnels de santé

Une crise sévère, surtout lorsqu’elle s’inscrit dans la durée, affecte les ressources humaines (RH) à de multiples égards. Les violences liées aux confl its peuvent entraîner la mort de nombreux personnels de santé, parfois dans le cadre d’une stratégie délibérée. Au Cambodge, après la guerre civile, les effectifs sanitaires, surtout les plus qualifi és, étaient considérablement moins nombreux qu’avant. Ailleurs, la privatisation incontrôlée des centres de formation entraîne au contraire une multiplication des personnels de santé, que le secteur public est susceptible de recruter ultérieurement (indépendamment des besoins) par opportunisme politique.

Certains confl its graves, comme ceux du Kosovo ou du Timor-Leste, ouvrent la voie à une nouvelle donne politique, qui se traduit par le départ du pays de nombreux cadres et par l’arrivée de nouveaux responsables qui étaient auparavant marginalisés pour des motifs ethniques ou politiques. L’évolution des RH dans le secteur de la santé participe tout simplement de la redéfi nition générale des États, des frontières et du secteur public qui fait suite à ces processus.

Une crise persistante infl ue systématiquement sur les qualifi cations des personnels. Les normes de formation en pâtissent, les systèmes de gestion s’effondrent et l’environnement de travail se dégrade. Les valeurs professionnelles déclinent tandis que les stratégies que les personnels de santé adoptent pour s’en sortir altèrent leur comportement et entament leur moral. Les modalités d’emploi deviennent plus fl oues et de nombreuses personnes, offi ciellement fonctionnaires, travaillent en réalité au noir ou exercent à titre privé dans des structures publiques. D’autres personnels de santé sont embauchés par des organismes d’aide ou des ONG. Beaucoup maintiennent un lien avec le secteur public et continuent parfois de percevoir une rémunération sans être à leur poste. Il arrive que l’encadrement reste plusieurs années sans contact avec les personnels déployés dans des régions isolées.

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La plupart des personnels de santé qui survivent à une crise grave, voire tous, ont besoin d’un recyclage et d’une mise à niveau de leurs compétences.

Les problèmes de ressources humaines sont souvent mal documentés et, donc, négligés par les instances décisionnaires et les donateurs. On ne se préoccupe guère de relever les ressources humaines, d’après une hypothèse contestable selon laquelle les personnels de santé, une fois qu’ils disposent des ressources brutes adéquates, savent en faire le meilleur usage. Les décisions induites par une crise continuent d’affecter les personnels bien après le terme du confl it. Les dérèglements causés ou renforcés par les perturbations ne se résorbent pas spontanément, mais appellent une stratégie offensive, à long terme et dotée de moyens suffi sants. En révélant au jour les carences profondes des personnels de santé, les crises constituent un test de l’effi cacité des effectifs.

Aspects fi nanciers du développement des ressources humaines

Le développement des effectifs de santé est le fruit d’un investissement à long terme dont le coût est, en majeure partie, irrécupérable. Les rémunérations représentent l’essentiel des dépenses récurrentes, qui sont la plupart du temps fi xes. Il faut en outre entretenir en permanence le capital humain, afi n de pallier sa dégradation naturelle, ce qui est coûteux, techniquement complexe et particulièrement sensible. Paradoxalement, ces aspects fi nanciers des ressources humaines du secteur de la santé sont souvent négligés par les autorités et par les donateurs.

Face à l’augmentation des pertes et à l’amenuisement des compétences professionnelles, la majeure partie de l’investissement réalisé avant une crise de longue durée est perdue. Afi n de corriger cette détérioration, un investissement comparable, généralement de plusieurs millions de dollars des États-Unis, est nécessaire (voir l’ampleur des coûts induits au Mozambique, Annexe 10). En temps de guerre, les organismes de fi nancement sont bien évidemment réticents à allouer des sommes extrêmement importantes aux effectifs de santé. Cependant, ces fonds peuvent se révéler déterminants pour maintenir le secteur à fl ot pendant un confl it et pour permettre son relèvement ultérieur. Ces coûts considérables peuvent être partiellement compensés par les économies réalisées grâce à l’arrêt des initiatives de formation en cours d’emploi non préparées, fragmentaires et généralement chères.

Les données disponibles sur les coûts liés aux personnels sous-estiment peut-être largement la réalité. La masse salariale ne représente qu’une partie des coûts totaux. Les paiements directs et les contributions des donateurs (par exemple les médicaments obtenus gratuitement mais vendus aux patients, l’équipement, les locaux et les compléments de rémunération) augmentent le coût réel du personnel. La multiplicité des employeurs, la réticence des organismes d’aide et des ONG à dévoiler les salaires qu’ils versent et l’inclusion des dépenses de personnel dans les chiffres consolidés des projets posent des diffi cultés supplémentaires. Lorsque le coût estimé des effectifs entre pour moins des deux tiers dans les frais récurrents totaux, il est probable que des pans entiers des dépenses réelles n’aient pas été comptabilisés.

La taille et la composition des effectifs sanitaires qu’un pays peut rémunérer dépendent de l’enveloppe globale qui sera allouée au secteur de la santé à l’avenir. Les stratégies mal pensées, les pressions politiques ou un défi cit de planifi cation des RH se traduisent souvent par des dépenses de santé trop élevées. Face à ce problème, les systèmes de santé en crise réagissent habituellement en abaissant les rémunérations, malgré les effets prévisibles de cette mesure sur le comportement des personnels. Un effectif pléthorique résiste aux tentatives de correction. Il paraît plus sage de tenter d’en prévenir la croissance démesurée en amont. Le Module 6 analyse plus en détail l’évaluation de l’adéquation des ressources disponibles.

Étudier les personnels de santé

L’étude des RH du secteur de la santé commence par l’examen des différents aspects présentés dans l’encadré ci-après. L’état des lieux ainsi obtenu doit être comparé à celui des années précédentes (par exemple avant le début de la crise), ce qui permet de comprendre comment les effectifs évoluent sous l’effet des perturbations. Il est alors possible de prévoir ce que serait la situation à venir des personnels de santé en l’absence de toute intervention

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délibérée. Lorsque le contexte politique émergent est nouveau, comme au Sud-Soudan, les données initiales projettent parfois une image obsolète, qui ne correspond en rien aux conditions réelles, qui sont radicalement différentes. Les comparaisons se révèlent, dans ce cas, d’un intérêt limité.

Dans un secteur de la santé en crise, les informations disponibles sont généralement incomplètes et défi cientes. Les chiffres relatifs aux effectifs ont tendance à être dispersés entre de multiples employeurs, le nombre de ces derniers progressant en temps de crise. Les dossiers personnels et les statistiques portant sur la masse salariale deviennent obsolètes ou sont perdus. Les « personnels fantômes » (qui sont inscrits dans le budget de rémunération mais ont émigré, sont morts ou travaillent dans d’autres organisations) sont de plus en plus nombreux. La nature confi dentielle de certaines données intéressantes constitue aussi un obstacle. En outre, les dossiers sur les effectifs sont parfois structurés d’une manière qui ne permet pas d’en faire une analyse pertinente. Par exemple, les chiffres sur le déploiement réel peuvent ne pas être comptabilisés.

Lorsqu’ils sont bien tenus, les registres professionnels peuvent contenir des informations sur les personnels possédant une qualifi cation offi cielle, mais, avec le temps, ils ne sont plus tenus à jour et ne renseignent pas sur les mouvements d’émigration, ni sur les cadres absents qui ont obtenu un diplôme à l’étranger, ni sur les expatriés. Les secteurs de la santé cloisonnés souffrent aussi d’autres problèmes, chaque partie étant inconsciente des évolutions qui se produisent de l’autre côté de la ligne de front, comme au Soudan. Il est fréquent de voir des stratégies de formation développées en parallèle par des parties concurrentes et isolées les unes des autres. Ainsi, au Kosovo, les Albanais ont opposé un réseau de formation sanitaire autonome au système offi ciel contrôlé par les autorités serbes.

Les informations sur les prestataires privés (à but lucratif ou non) qui dispensent des soins ne sont généralement pas satisfaisantes. Les estimations disponibles qui portent sur les effectifs ont tendance à concerner le secteur public uniquement et à ne pas prendre en compte les personnels employés par des opérateurs privés. Le nombre réel des personnels de santé est donc fréquemment sous-estimé. À l’inverse, de nombreux agents du secteur de santé public travaillent également dans le secteur privé, de manière formelle ou informelle, ce qui induit toujours un risque de les comptabiliser deux fois.

Afi n d’étudier des caractéristiques générales telles que les coûts, les recrutements ou l’attrition, il convient de trouver un moyen pratique de classer les personnels de santé appartenant à différentes catégories en un nombre raisonnable de groupes. Étant donné que le niveau d’études et les années de formation professionnelle trouvent une traduction en termes de coûts du travail, de fonctions techniques et de positions hiérarchiques, les personnels de santé peuvent être répartis dans trois ou quatre groupes. Cette stratifi cation fonctionne dans de nombreux systèmes différents, bien que les dénominations puissent varier (Baker, 1988).

Niveau universitaire ou professionnel Cursus de base complet + 6 à 11 ans de formation professionnelle

Niveau intermédiaire ou adjoint 9 à 10 ans de cursus de base + 3 à 5 ans de formation professionnelle

Niveau de base ou auxiliaire 6 à 9 ans de cursus de base + 2 ans de formation professionnelle

Niveau élémentaire ou rudimentaire ou agents de santé communautaires

6 ans de cursus de base + 6 mois à 1 an de formation sanitaire

Dans certains secteurs de la santé, les deux niveaux inférieurs se confondent. Les niveaux d’études et de formation professionnelle variant selon les pays, ce type de classement doit être adapté en fonction de chaque situation. Parfois, les effectifs sont comptabilisés par profession, par exemple personnels infi rmiers ou pharmaciens. Ce type de répartition masque toutefois les différences de qualifi cations, de positions hiérarchiques et de coûts, et doit donc toujours être complété avec l’approche proposée ci-dessus.

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Éléments à prendre en compte pour l’étude des personnels de santé

Nombre : - Travailleurs formés (possédant une certifi cation professionnelle offi cielle)

- Niveau universitaire - Niveau intermédiaire - Niveau de base (1 à 2 ans de formation)

- Agents de santé communautaires (formation court et principalement informelle)

- Travailleurs auxiliaires

Composition : - Personnel hospitalier (médecins, infi rmières, laborantins, etc.)

- Personnel des soins de santé primaires (dans les systèmes où ces catégories ont été mises en place)

- Encadrement et personnel qualifi é non soignant

Caractéristiques : - Citoyenneté (nationaux ou expatriés)

- Classe d’âge - Sexe

- Zone rurale/urbaine, origine ethnique ou régionale si cet aspect est pertinent

Formation : - Caractéristiques du réseau de formation

- Répartition géographique - Propriété des centres de formation - Capacités de formation par niveau et discipline médicale

- Coûts de formation

- Résultats de la formation (nombre de personnels formés et qualité de la formation)

Encadrement : - Fonction publique. Perspectives de carrière

- Associations professionnelles

- Organismes de réglementation

Employeur : - Secteur public

- Secteur privé à but lucratif (souvent travailleurs indépendants)

- Secteur privé à but non lucratif (organismes caritatifs et ONG)

- Dispositifs mixtes

- Organisation(s) rebelle(s)

Évaluer les caractéristiques du chômage si cet aspect est pertinent

Déploiement : - Par région, province et département

- Par population

- Par niveau et type de soins (hôpital ou soins de santé primaires)

- Zone rurale/urbaine

- Mobilité des personnels de santé

Performances : - Capacités techniques, par niveau de formation

- Productivité, par catégories clés

- Utilisation des capacités. Tâches accomplies sur site

- Absentéisme

Coûts : - Investissement et coûts récurrents. Ventiler la masse salariale (et les autres coûts relatifs au personnel si possible) selon les critères susmentionnés, en fonction de l’aspect étudié

- Coût des travailleurs expatriés si cet aspect est pertinent

Évolution : - Production future du réseau de formation

- Importations

- Attrition

- naturelle (retraites, décès, migrations, etc.)

- liée au confl it

- Entretien (mode de gestion du personnel et de formation en cours d’emploi)

Culture : Traditions et habitudes infl uant sur le secteur de la santé

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Évaluer la taille et la composition des effectifs

Avant d’être reconnue comme un véritable problème, la pénurie de personnels déplorée dans la quasi-totalité des secteurs de la santé délabrés doit systématiquement faire l’objet d’une enquête. Dans de nombreux cas, la perception d’un défi cit de personnel n’est pas confi rmée par les faits. À la suite d’une crise grave, comme au Timor-Leste, les nouveaux acteurs peuvent avoir la fausse impression d’un manque d’encadrement et lancer des activités de formation non nécessaires, voire mal conçues (Smith, 2005). La perception d’un sous-effectif peut s’expliquer par la réinstallation de cadres hors des régions dangereuses, par la diffi culté à déployer les agents de santé de part et d’autre des zones sous contrôle politique ou militaire, ou par un absentéisme généralisé. On peut ainsi trouver des îlots de sous-effectif réel au milieu de zones en sureffectif. Les chiffres globaux aident à déterminer si le personnel est véritablement en nombre insuffi sant ou s’il est simplement réparti de manière inégale ou ineffi cace.

Il est en fait assez fréquent de constater une abondance de personnels de santé. L’expansion des effectifs peut être très déséquilibrée, certains échelons croissant plus vite que d’autres. En Angola, une formation de niveau inférieur a, pour une large part, entraîné l’expansion des effectifs de santé, tandis qu’en Afghanistan et au Nord-Soudan, le développement incontrôlé d’écoles de médecine s’est traduit par un nombre excessif de médecins, qui est impossible à absorber pour les services sanitaires publics. Parfois, certaines catégories sont nettement sous-représentées. Ainsi, l’Angola et l’Afghanistan sont confrontés à un grave manque de sages-femmes, en raison de plusieurs facteurs (des programmes irréalistes dans le premier cas et les inégalités entre les sexes dans le second). En Iraq, les personnels infi rmiers sont en nombre insuffi sant. Lorsque les organismes de secours et les ONG sont actifs sur de longues périodes, il est fréquent de constater une multiplication des agents de santé communautaires dont les fonctions et la formation sont disparates.

L’analyse de la taille et de la composition des effectifs doit être menée en fonction du réseau sanitaire à doter, des services à dispenser et de la population à accueillir.

Étant donné la forte intensité de main-d’œuvre des soins hospitaliers, la taille du réseau d’hôpitaux est un élément déterminant des besoins en effectifs. Le degré auquel les grands centres hospitaliers urbains ont échappé aux destructions pendant la guerre, ou l’abandon qui va souvent de pair avec les grandes crises, infl ue également sur les besoins en main-d’œuvre. Les systèmes de santé où la composante hospitalière est importante, comme en Afghanistan, nécessitent plus de médecins et de personnels infi rmiers que lorsque ces structures sont moins nombreuses et généralement plus petites, comme au Sud-Soudan. Le ratio professionnels de santé/nombre de lits d’hôpital donne une indication de la disponibilité des effectifs, même si ce chiffre doit être manié avec précaution étant donné les importantes variations auxquelles est soumis ce type de données.

La population à accueillir détermine la demande potentielle de soins, qui n’est généralement exprimée que partiellement. Les besoins immédiats d’une population nombreuse et privée de services de santé peuvent être très faibles. Le ratio personnels de santé/population desservie constitue un indicateur utile pour identifi er d’éventuels déséquilibres dans le déploiement interne et déterminer si un redéploiement pourrait représenter une meilleure option qu’un nouvel apport en professionnels de santé.

L’implantation des populations infl ue sur la taille et la composition des effectifs requis si le réseau sanitaire y est adapté. Les localités au peuplement épars nécessitent un grand nombre de petits centres de soins où travaillent des personnels peu qualifi és, ce qui maintient les coûts à un niveau raisonnable. À l’inverse, les zones densément peuplées permettent d’employer des cadres plus qualifi és grâce aux économies d’échelle obtenues. Pour les catégories déployées en fonction de la répartition du réseau hospitalier, il est peu pertinent de prendre en compte les ratios de population.

Il n’existe pas de critères normatifs pour la composition des personnels de santé, qui doit être ajusté en fonction des systèmes et des pays. Cependant, un secteur de la santé en crise affi che

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des déséquilibres aisément identifi ables. Concernant la composition des effectifs sanitaires, il convient d’appliquer les points de repères suivants :

a. Le personnel de soutien (sans formation professionnelle) ne doit pas représenter plus d’un tiers de l’effectif total ;

b. Le personnel de niveau universitaire doit être considéré comme « rare » s’il se situe sous la barre des 5 % et comme « abondant » s’il représente plus de 20 % des professionnels qualifi és.

c. Un ratio médecins/personnels infi rmiers compris entre1 pour 4 et 1 pour 9 est considéré comme acceptable. Les sages-femmes doivent être comptabilisées séparément des infi rmières, même si elles sont assimilées à cette catégorie sur le plan administratif. Là où un encadrement des soins de santé primaires a été mis en place, le ratio médecins/personnels infi rmiers a tendance à être inférieur. Lorsque les médecins sont plus nombreux que les personnels infi rmiers, l’effectif est gravement déséquilibré.

Le tableau ci-dessous donne un aperçu de la diversité des situations rencontrées dans des secteurs de la santé affectés par une guerre.

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Les capacités de formation (formation préalable et en cours d’emploi)

Le type de formation que les personnels de santé reçoivent varie en fonction des modèles développés par chaque pays. Bien souvent, la formation relève de la compétence exclusive du secteur public, sous la responsabilité du ministère de la Santé ou du ministère de l’Éducation, voire des deux. Initialement, tout ou partie du fi nancement des formations sanitaires provenait généralement de subventions. Pendant une crise, des centres de formation privés peuvent apparaître, constituant une activité économique de substitution pour les personnels de santé (comme en Angola) ou face aux pressions exercées par les régions périphériques (comme en Afghanistan). Lorsque ces initiatives ne bénéfi cient pas de ressources ou de capacités adéquates, leur qualité peut se révéler très médiocre. Le fi nancement privé des programmes de formation sanitaire est néanmoins susceptible d’augmenter, notamment pour les écoles de médecine.

Le réseau de formation est généralement très affecté par la guerre. Les sites subissent d’importantes coupes budgétaires, qui sont imputables aux problèmes fi nanciers du secteur public. Les structures de santé implantées dans les zones dangereuses ferment. L’accès aux sites de formation est réduit à cause des lignes de front, de la perturbation des communications et des diffi cultés économiques. Les formateurs expérimentés émigrent ou cherchent un emploi plus rémunérateur. Les contraintes rencontrées sur le terrain nuisent à la qualité des formations. Les standards de formation sont revus à la baisse, atteignant des niveaux à peine acceptables. Les taux élevés d’abandon d’une formation, fréquemment constatés dans les établissements de formation qui sont en diffi culté, augmentent le coût par élève et grèvent les résultats obtenus. A la fi n de leur formation les élèves n’ont pas acquis toutes les compétences sanctionnées par le diplôme.

Les perturbations parallèles du système d’éducation et le vide de la réglementation peuvent aggraver cette situation. Le nombre de candidats potentiels à une formation sanitaire diminue et leur niveau de qualifi cation de base en pâtit. Une période de rattrapage en langues et en connaissances scientifi ques de base est souvent nécessaire avant une formation professionnelle, ce qui entraîne des coûts supplémentaires.

L’information sur les centres de formation est dans tous les cas médiocre, surtout si la propriété et la gestion de ces structures sont mixtes. Une enquête sur les principaux établissements de formation se révèle généralement nécessaire. Les aspects qu’il convient d’examiner sont les capacités matérielles (classes, lits), les aides et les supports pédagogiques disponibles, les enseignants, la qualité de la formation, les établissements où des soins sont pratiqués, la sélection à l’entrée, les résultats, les pertes, les frais d’exploitation et la répartition géographique. Il faut procéder à une étude thématique pour évaluer les formations en cours d’emploi, qui sont moins structurées que les formations préalables. Des indicateurs spécifi ques doivent être utilisés pour rendre compte des principales caractéristiques d’une formation en cours d’emploi et de son effi cacité.

Les organismes d’aide et les ONG apportent une réponse aux mauvaises performances de la plupart des personnels de santé en fi nançant d’innombrables programmes de formation en cours d’emploi. Ces initiatives absorbent des ressources considérables, bénéfi cient d’un soutien inconditionnel parmi les personnels (pour qui elles représentent une source de revenus), génèrent d’importants coûts d’opportunité et ont peu d’incidence sur les performances. Les initiatives de formation en cours d’emploi préconisées par des personnes extérieures qui connaissent mal le contexte local et qui sont incapables de communiquer dans la langue vernaculaire sont monnaie courante (Smith, 2005). En outre, l’effi cacité de la formation en cours d’emploi souffre de son fréquent cloisonnement par rapport à la formation préalable.

Il est extrêmement diffi cile de dispenser une formation en cours d’emploi effi cace à des personnels de santé adultes qui ont connu des moments éprouvants et dont les qualifi cations de base sont gravement altérées. C’est pourquoi ce type d’activité ne doit être lancé qu’après une préparation minutieuse. Même un programme de bonne qualité peut échouer s’il n’est pas intégré à une stratégie cohérente de développement des ressources humaines (DRH).

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La rationalisation des activités de formation en cours d’emploi soutenues pas plusieurs acteurs autonomes est une tâche ardue. Une formation en cours d’emploi effi cace passe par une connaissance approfondie des facteurs qui déterminent la performance des personnels de santé, une approche axée sur ces derniers (et non sur les pathologies ou sur les programmes), des capacités techniques, des ressources et une action inscrite dans la durée. Il s’agit là d’une gageure, a fortiori dans un secteur de la santé en crise.

L’attrition des effectifs

L’attrition des effectifs est un phénomène naturel qui, dans une certaine mesure, fait partie intégrante du système. Un personnel vieillissant et malade a besoin d’être remplacé. Si la guerre perturbe durablement les activités de formation, comme en Somalie, les personnels survivants sont peut-être vieillissants. Dans les pays ravagés par le VIH/sida, l’attrition est très rapide, et même un effectif abondant peut se révéler incapable de maintenir des services de santé sans être renouvelé en permanence. Outre ces facteurs, le confl it ajoute des phénomènes spécifi ques : morts violentes, abandon des emplois liés à la santé pour d’autres, plus lucratifs (principalement au sein d’organisations internationales), nominations politiques ou recrutements opérés par un belligérant. Les rangs peuvent aussi se clairsemer à cause de l’émigration, surtout celle des cadres détenant des diplômes reconnus à l’étranger et parlant des langues utilisées à l’international.

L’attrition naturelle concerne généralement de 3 à 5 % des effectifs par an. Les violences et le sida augmentent l’attrition de base dans des proportions variables et diffi ciles à prévoir, mais souvent assez importantes.

Les confl its à forte composante religieuse peuvent avoir de graves répercussions sur les cadres féminins et des effets désastreux sur la prestation des soins concernés. Le nombre de femmes suivant une formation peut chuter. Dans le cas extrême de l’Afghanistan sous le régime des talibans, les personnels féminins ont été licenciés en masse par les services de santé.

Dans les contextes de forte émigration, les attentes peuvent se révéler fortes quant à un retour des cadres de haut niveau, une fois le confl it retombé. On constate que les tentatives visant à inciter les membres de la diaspora à revenir ne rencontrent qu’un succès limité. En outre, elles créent un ressentiment parmi ceux qui sont restés au pays malgré les diffi cultés, et peuvent donc entraîner des tensions politiques. De surcroît, les professionnels qui ont vécu longtemps à l’étranger sont peut-être coupés de la réalité locale et peuvent avoir du mal à se réintégrer.

Les descriptions de postes, le contenu des formations et les qualifi cations professionnelles

Dans plusieurs pays, notamment en Afghanistan, en Angola et au Soudan (au nord), les descriptions de postes et le contenu des formations conservent majoritairement une forte orientation hospitalière : les médecins et les personnels infi rmiers constituent l’essentiel des effectifs, et l’encadrement des soins de santé primaires n’est pas en place ou est alors assuré par un nombre très réduit de professionnels. Dans ces situations, il est diffi cile de mettre en place des soins de santé primaires, en raison du manque de formateurs qualifi és qui possèdent une véritable expérience de ce type d’approche. La surreprésentation hospitalière se perpétue.

Il arrive que les descriptions de postes et le contenu des formations, inchangés pendant la crise, sont éloignés des nouvelles exigences du secteur. Malgré leur pertinence en cas d’urgence complexe, certains aspects, tels que les soins aux réfugiés, les services de santé en zone rurale ou les unités de soins mobiles, le traitement des problèmes de santé liés aux violences, ainsi que les réponses apportées aux violations des droits humains, à la famine ou aux épidémies, ne fi gurent généralement pas dans les programmes de formation professionnelle. L’extrême nécessité que constitue la fourniture de ces services peut cependant offrir à certains formateurs qui innovent une excellente occasion de faire sortir leurs élèves

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des salles de classe et de les confronter à la pratique sur le terrain. Ce type d’initiative peut fortement améliorer l’effi cacité et la pertinence des formations concernées.

Une crise prolongée qui bloque l’évolution de secteur de la santé décourage peut-être les expériences nouvelles et contribue au maintien des vieux modèles. En Afghanistan, l’invasion soviétique s’est accompagnée d’une nette surreprésentation hospitalière, encore visible aujourd’hui. Dans d’autres cas, la crise peut pousser les autorités à expérimenter des modèles de prestations différents et à introduire de nouvelles catégories mieux adaptées. Une pression en faveur de solutions aux problèmes que les approches traditionnelles n’ont pas su résoudre est susceptible d’atténuer la résistance au changement. Ainsi, au Mozambique, pour procéder à des embauches dans les hôpitaux ruraux désertés par les médecins, un programme intensif de formation en internat, destiné aux chirurgiens de niveau intermédiaire, a été développé avec un certain succès.

Les catégories de personnels affectées aux soins de santé primaires sont moins normalisées que celles, plus traditionnelles, davantage orientées sur les soins hospitaliers. Certains pays ont testé différentes approches mais aucun modèle professionnel dominant n’en a émergé. Pour procurer des soins de santé primaires de qualité, les responsables doivent trouver un équilibre entre les compétences curatives, celles liées à la prévention, l’encadrement et la communication. Ils doivent apprendre à identifi er les problèmes et à les résoudre, de façon à s’adapter à des situations en évolution et imprévues, sans bénéfi cier d’un grand soutien. C’est avec la pratique que ce type de compétences s’acquiert le mieux, de manière interactive, sur le lieu de fourniture du service et au contact de la population. Une formation réussie est forcément exigeante et nécessite des ressources importantes.

Dans le cas d’une forte contraction des fi nancements publics, voire d’une faillite de l’État, la formation peut être dispensée par des organisations internationales et des ONG. Face à un défi cit réel ou perçu en personnels de santé, ces acteurs favorisent la formation de nouveaux professionnels, souvent au moyen de cursus brefs et intensifs. Des catégories ou désignations nouvelles des postes apparaissent. Des initiatives spécifi ques peuvent jouer un rôle majeur en encourageant la formation de certaines catégories de personnels plutôt que d’autres. Les catégories et les programmes de formation des personnels de santé ont néanmoins tendance à se multiplier sans que des études appropriées n’y soient consacrées.

Le déploiement des effectifs

La surreprésentation urbaine qui affecte tant de professionnels de santé dans les pays en développement est souvent accentuée par un confl it de longue durée. Les personnels de santé migrent à l’intérieur du pays à la recherche d’un endroit sûr, voire à l’étranger. Les cadres les plus qualifi és ont tendance à quitter les postes dangereux plus tôt et en plus grand nombre. Les structures rurales de soins de santé primaires étant souvent plus vulnérables aux violences armées que les hôpitaux, les redéploiements entraînés par les confl its gonfl ent fréquemment les rangs des seconds, au détriment des premières.

Lorsqu’un confl it a une composante ethnique et/ou religieuse, les personnels de santé migrent vers les localités où ils se sentent plus en sécurité. Ces mouvements se traduisent par une concentration de ces intervenants dans certaines zones, indépendamment des besoins. Les inégalités dans la fourniture de services sont alors susceptibles d’augmenter, surtout dans les régions privées de personnels de santé indigènes.

Le déséquilibre dans l’implantation des ONG, qui est fréquemment constaté dans les pays en guerre et qui s’explique par un plus grand confort opérationnel et pour des raisons de sécurité, constitue un autre facteur déterminant de la répartition des personnels de santé, comme on a pu le constater en Afghanistan et au Sud-Soudan. Dans ces deux cas, les établissements, et donc les effectifs, sont surreprésentés près des frontières sécurisées jouxtant, respectivement, le Pakistan et l’Ouganda.

Les déséquilibres dans le déploiement, qui sont renforcés par un confl it, ont tendance à s’inscrire dans la durée et à résister aux corrections une fois la crise surmontée. En temps de guerre, les destructions de structures de santé et de logements du personnel réduisent les possibilités de redéploiement. Les professionnels de santé sont réfractaires à une prise de

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poste en zone rurale car ils craignent une recrudescence des violences ou risquent de perdre la rémunération ou les perspectives de promotion dont ils bénéfi ciaient en ville, ou encore à cause des diffi cultés liées à un poste dans une région isolée.

Les cadres de niveau inférieur opposent moins de résistance au redéploiement. C’est le personnel de haut niveau qui est le plus susceptible de rester surreprésenté dans les zones urbaines. Même le redéploiement, pourtant réussi, qui a été opéré au Mozambique (Annexe 10) s’est révélé insuffi sant concernant les cadres les plus qualifi és.

Parfois, c’est un déséquilibre entre hommes et femmes qui est constaté dans le déploiement. Les femmes diplômées qui satisfont aux conditions requises pour suivre une formation dans le secteur de la santé sont très peu nombreuses dans les régions reculées. Si des affectations sont refusées par les professionnels de santé venant d’autres zones du pays, le déploiement de catégories réservées aux femmes demeure fortement déséquilibré. Remédier à une pénurie de femmes diplômées exige des efforts spécifi ques (principalement à l’extérieur du secteur de la santé) sur une longue période.

La correction des déséquilibres du déploiement exige des capacités de gestion appuyées par des ressources adéquates. De solides mesures incitatives sont nécessaires pour encourager les personnels de santé à accepter des postes diffi ciles. La mise en place de conditions de logement décentes est l’une des principales initiatives visant à soutenir une répartition nouvelle des effectifs. L’accès à l’éducation pour les enfants des personnels de santé constitue une autre mesure incitative forte. Et des possibilités de formation bien réparties contribuent à un apport en cadres locaux. Les mesures incitatives peuvent toutefois se révéler insuffi santes si la réglementation de la fonction publique pousse les professionnels à rejeter les postes peu attrayants.

Le déploiement doit être planifi é dans le cadre d’une stratégie globale de relèvement qui assure une nouvelle répartition générale de l’infrastructure et des ressources dans tout le secteur de la santé.

La dotation en personnel

Les autorités sanitaires ont parfois publié des directives concernant la dotation en personnel. Ces textes doivent être évalués à l’aune du réseau à faire fonctionner, de la proportion personnel de santé/patients et des enveloppes budgétaires. On constate assez fréquemment une généreuse dotation en personnel, qui excède largement les besoins, le personnel disponible et les prévisions de fi nancement. Dans un contexte de stabilité, les critères fi xes d’embauche souffrent du caractère éminemment variable de la charge de travail dans les structures de santé. Dans les secteurs de la santé dominés par les ONG, la diversité des centres de santé rend diffi cile l’application de directives pour l’emploi normalisées. Les critères démographiques sont pires, étant donné les grandes différences observées entre les diverses communautés pour ce qui est de l’utilisation des services et le fait que de nombreux postes dépendent de l’infrastructure plutôt que de la démographie.

Malgré les critiques qu’ils suscitent parmi les spécialistes des RH, les critères fi xes restent appréciés du fait de leur simplicité. L’autre approche, qui consiste à déployer les effectifs en fonction de la charge de travail, nécessite de meilleures informations, une denrée rare en temps de crise. Quoi qu’il en soit, les mouvements de populations et de personnels de santé induits par un confl it ôtent toute utilité aux critères fi xes. Devant l’hétérogénéité des structures de santé et de la population, l’importance des normes diminue. Les prestataires accentuent la fragmentation en adoptant des critères nouveaux ou importés, ou en opérant des choix dictés par les contraintes locales.

Les directives pour l’emploi qui négligent la différence considérable entre les soins en zone rurale et ceux en milieu urbain sont fréquentes. En ville, les structures de santé sont plus grandes, la charge de travail plus élevée et l’accès aux soins de transfert plus facile. Les structures rurales sont plus petites, pour une charge de travail moindre, mais traitent un plus grand pourcentage d’affections graves, pour lesquelles la référence des patients est l’exception plutôt que la règle. Le personnel rural ne recevant qu’un soutien limité, il rencontre des obstacles plus importants. L’augmentation du nombre et de la gravité des cas

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liés aux violences renforce ce schéma universel. La dotation en personnel doit donc refl éter cette distinction globale et les équipes sanitaires rurales doivent être constituées par des cadres mieux qualifi és et majoritairement polyvalents.

Le tableau suivant présente les directives relatives à la dotation en personnel, publiées dans quatre pays touchés par une guerre. Certaines adaptations ont été faites pour harmoniser les différentes terminologies utilisées. Les équipes sanitaires proposées sont remarquablement similaires. Les différences de taille des structures de santé d’un pays à l’autre expliquent pour partie les variations.

Taille des équipes sanitaires par type de structure, selon les recommandations des autorités sanitaires

Structure Afghanistan 2003

Cambodge 1997

Mozambique 1992

Sud-Soudan 1998

Petit centre de santé ou centre de santé de base 4 6 3 4

Grand centre de santé ou centre de santé complet (comportant généralement des lits)

11 15 8-13 13

Hôpital de premier recours 30 49 42 57

L’examen de la taille moyenne réelle des équipes sanitaires, réalisé sur un échantillon de centres de soins, et de la proportion de structures pour lesquelles l’effectif est considéré comme satisfaisant, renseigne sur le rapport entre les conditions sur le terrain et les normes. Ainsi, nombre de centres de soins de santé primaires ne disposant que de personnels auxiliaires ou volontaires affi chent des niveaux de soins inacceptables, une information précieuse qui n’aurait pas été obtenue si les seules moyennes des effectifs avaient été étudiées. Dans un secteur de la santé souffrant d’une pénurie de cadres de plus haut niveau, les principales carences sont parfois liées aux capacités techniques d’un personnel en nombre pourtant suffi sant. Pour évaluer cet aspect, il est intéressant d’examiner la proportion de centres effectivement dotés des cadres les plus qualifi és visés par la norme existante, c’est-à-dire le poste le plus élevé, par exemple celui de médecin dans un hôpital de premier recours.

Le fait que la moyenne des équipes sanitaires corresponde à la norme ne garantit pas forcément que les effectifs disponibles soient globalement en adéquation avec les besoins. Parfois, à l’instar du Mozambique (Annexe 10), un personnel suffi sant n’a été conservé dans les établissements restants qu’en raison de la forte réduction du réseau sanitaire périphérique. Au Sud-Soudan, il a été possible d’atteindre les chiffres fi xés pour les équipes sanitaires car le réseau était minuscule. Lorsque l’expansion des services s’amorce après un confl it et que le nombre de centres en état de fonctionner augmente, il faut repenser les équipes standard.

Évaluer les performances des personnels

L’inadéquation de la plupart des professionnels de santé par rapport aux fonctions qui leur sont confi ées est un constat très fréquent dans les contextes de guerre. Ce phénomène s’explique par un ensemble de facteurs :

• le personnel expérimenté quitte les postes diffi ciles, mal payés ou dangereux, pour des emplois plus intéressants, ou migre tout simplement vers des zones sûres ; des remplaçants peu aguerris sont nommés en toute hâte et déployés sans préparation adéquate ;

• les postes sont de plus en plus souvent attribués à des personnes qui ne sont pas assez qualifi ées ;

• la crise accroît les diffi cultés techniques, psychologiques et organisationnelles liées à n’importe quel emploi ;

• face au déclin des normes de formation professionnelle, les nouveaux personnels de santé sont confrontés à un nombre croissant de problèmes dans l’exécution des tâches associées à leur fonction ;

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• les attentes des pairs et des collègues plus expérimentés se réduisent ; les modèles professionnels positifs s’affaiblissent et perdent de leur attrait ;

• les lignes de supervision et d’approvisionnement s’effondrent, privant les cadres du soutien et du retour d’informations dont ils ont besoin ; l’environnement de travail se dégrade ;

• les questions de survie et les grandes diffi cultés pèsent sur l’engagement professionnel et encouragent des pratiques discutables.

L’évaluation des performances du personnel n’est pas chose aisée, même dans un contexte de stabilité. Il est coûteux et délicat de réaliser un examen complet sur de larges échantillons des effectifs. C’est pourquoi ce type d’étude est rarement disponible. En revanche, les organisations, les programmes spéciaux, et les ONG réalisent fréquemment des évaluations à petite échelle, parfois selon un modèle normalisé. L’examen de la documentation existante peut permettre de rassembler des éléments utiles, qui, judicieusement mis bout à bout, forment progressivement un tableau plus clair de la situation. Il faut également écarter les évaluations manifestement biaisées, éviter d’agréger des données incompatibles et prendre note des mises en garde fi gurant dans les études originales.

Il faut en outre sélectionner soigneusement des indicateurs spécifi ques qui rendront indirectement compte des performances globales. Les informations concernant les activités menées dans le cadre de programmes spéciaux, par exemple les vaccinations ou la planifi cation familiale, sont souvent disponibles, mais offrent une représentation biaisée de la situation. Les personnes bien informées sont aussi très précieuses pour déterminer si certaines conclusions doivent être considérées comme plausibles ou écartées.

Les études sur la charge de travail nécessitent, la plupart du temps, des enquêtes spécifi ques. Une faible productivité est généralement constatée dans les structures de santé en sureffectif et dont les ressources sont insuffi santes. La prise en charge d’une partie du coût par l’usager peut encore contribuer à réduire la charge de travail. En outre, si les fonctions d’acheminement-recours des patients sont mises à mal, la demande de services hospitaliers risque de diminuer. À l’inverse, les patients contournent parfois les centres de soins primaires et s’adressent directement aux hôpitaux. Les activités sanitaires qui offrent une perspective lucrative, comme les soins curatifs ou les campagnes de vaccination que les donateurs fi nancent, progressent au détriment des autres.

Face à la baisse des résultats, le coût unitaire de services de qualité médiocre peut être relativement élevé. Ce constat a des répercussions considérables sur les autorités, en détournant l’attention du problème de pénurie des ressources (le bouc émissaire traditionnel pour expliquer une mauvaise performance) et en la reportant sur leur mauvaise utilisation (un défaut fréquemment rencontré dans les systèmes de santé affectés par un confl it).

Les cadres semi-professionnels : agents de santé communautaires, volontaires, et auxiliaires, etc.

Les prestataires de santé ne possédant pas de qualifi cations professionnelles offi cielles sont fréquents dans un secteur de la santé en crise, même s’ils ont été formés par des ONG, des organismes de secours, des armées rebelles ou des partis. Les personnels les plus qualifi és s’étant réfugiés dans les zones sécurisées, les responsabilités techniques confi ées à ces prestataires dépassent parfois largement leurs compétences.

Par nature, l’activité des volontaires est souvent locale et à petite échelle. Les modalités peuvent fortement varier d’un cas à l’autre, surtout dans les pays où ni des descriptions de postes ni des programmes de formation n’ont été mis en place. Si certains projets ont exploré des dispositifs spécifi ques et en ont rendu compte de manière détaillée, il n’existe généralement pas d’étude complète sur l’ensemble du segment semi-professionnel.

Le manque de relations contractuelles formelles pousse les agents communautaires volontaires du secteur de la santé à trouver d’autres moyens de gagner leur vie, souvent en facturant leurs services ou en vendant des médicaments. Ces transactions ne sont généralement pas déclarées. Les contrôles sont souvent irréguliers ou, du moins, intermittents. Les notifi cations ordinaires

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effectuées par ces personnels ne sont habituellement pas satisfaisantes. Les informations sur le nombre de prestataires qui exercent ou sur les activités sanitaires produites sont donc toujours douteuses et inadéquates. L’attrition des agents communautaires volontaires est le plus souvent forte. Il est par conséquent raisonnable de considérer qu’une partie seulement des personnes formées sont en activité.

Même si les programmes de formation mettent l’accent sur les soins préventifs, les agents de santé communautaires ont tendance à traiter les maux courants avec les médicaments essentiels qui leur sont fournis. Cette pratique systématique s’accentue lors d’un confl it, d’où l’importance accrue des soins curatifs, notamment pour les affections liées aux violences. Lorsqu’ils remplacent des professionnels absents, les agents de santé communautaires sont progressivement intégrés dans les services sanitaires offi ciels, du moins dans la perception des usagers. Il est assez fréquent qu’ils soient alors embauchés avec une qualifi cation professionnelle, parfois au terme d’une mise à niveau. Dans certains secteurs de la santé, ils conservent leur désignation d’agents de santé communautaires, malgré une description de poste différente (offi cielle ou non). Dans ce cas, cette désignation induit en erreur quant à leurs véritables fonctions. En effet, ces intervenants sont simplement des prestataires de niveau élémentaire et peu onéreux.

Au cours des années 1990, les agents de santé communautaires sont passés du statut de vedettes dans le débat sur la politique sanitaire à celui de grands oubliés. Ils sont désormais le plus souvent perçus comme une option de second rang, qui convient pour les ONG opérant localement. Il se pourrait néanmoins que les agents de santé communautaires soient de nouveau très appréciés et reçoivent des responsabilités excessives (du moins dans les documents d’orientation), comme récemment en Afghanistan et au Sud-Soudan. Dans les deux cas, la décision de recourir à des agents de santé communautaires semble s’expliquer par l’incapacité d’un réseau de formation paralysé à produire d’autres solutions professionnelles. Ce phénomène s’apparente davantage à une reconnaissance de l’impuissance du secteur de la santé qu’à une politique délibérée. Il n’a pas encore été prouvé que les agents de santé communautaires affi chent de meilleures performances quand le système de santé est ravagé que lorsque la situation est stable.

La réglementation des ressources humaines

Avec le temps, le nombre des personnels de santé ne disposant pas des diplômes adéquats augmente, car les organismes de certifi cation offi ciels cessent de fonctionner ou sont contestés par des adversaires politiques. Souvent, la formation qu’ils ont reçue ne permet pas aux personnels de santé d’obtenir une qualifi cation de plein droit, ou les documents concernés sont parfois perdus durant une guerre. Certains tentent de tricher et prétendent détenir une qualifi cation qu’ils n’ont pas obtenue. Les cadres qui ont fait leurs études à l’étranger et dont la qualifi cation n’a pas d’équivalence nationale directe posent aussi problème. En Afghanistan, en 2002, seulement 53 % des agents de santé actifs possédaient un diplôme professionnel délivré par un organisme reconnu par les autorités (Gouvernement de l’Afghanistan, 2002).

La reprise des fonctions de certifi cation constitue, à n’en pas douter, un élément essentiel d’une stratégie de relèvement des RH. Au Cambodge, les 59 catégories de personnels de santé recensées en 1993 ont été regroupées en 23 types de postes nécessitant un diplôme. Il a fallu, à cet effet, utiliser un cadre d’équivalences (Smith, 2005). Des programmes de formation spécifi ques sont souvent indispensables pour compléter la formation, formelle ou informelle, reçue pendant la guerre et la transformer en une qualifi cation professionnelle reconnue par les autorités sanitaires et par les autres personnels de santé. Ces programmes complémentaires sont techniquement exigeants et donc coûteux.

Mesures incitatives. Pendant une crise de longue durée, l’interaction des mesures incitatives qui orientent le comportement des agents de santé, élément central du DRH, devient encore plus complexe. La plupart des mesures incitatives positives qui étaient en place dans un secteur de la santé stable voient leur infl uence diminuer, voire produisent des effets pervers. Les personnels du secteur public de la santé conservent leur rémunération même s’ils ne

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prennent pas le poste qui leur a été attribué, les ressources sont moins bien maîtrisées et les performances médiocres ne sont ni identifi ées, ni sanctionnées. La guerre sert de prétexte global pour expliquer tous les dysfonctionnements. Les diffi cultés fi nancières prennent le pas sur toutes les autres considérations professionnelles. Même les bonnes performances peuvent aboutir à des résultats indésirables : par exemple, un agent de santé obtient un poste dans une organisation internationale ou une bourse universitaire facilite l’émigration.

En appliquant des mesures incitatives effi caces (hausse des salaires, amélioration de la sécurité et des perspectives professionnelles), les organismes d’aide et les ONG exercent une infl uence signifi cative sur le marché du travail. Ces acteurs ont souvent la capacité de déployer des cadres expérimentés dans les régions désertées par les fonctionnaires. Leurs responsables disposent d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’embauche et le licenciement de cadres locaux. Au sein des organisations, les performances professionnelles sont mieux suivies et les personnels de santé locaux embauchés se familiarisent avec des idées, des approches et des méthodes reconnues au niveau mondial. Ils apprennent en outre à intégrer un marché du travail concurrentiel, sans bénéfi cier des protections offertes par le statut de fonctionnaire. Moyennant des incitations appropriées, le secteur de la santé en en cours de relèvement pourra peut-être puiser dans ce réservoir de talents pour pourvoir des postes de haut niveau.

Les écarts de rémunération entre les personnels recrutés localement et les personnels expatriés encouragent fortement l’émigration, et, par là-même, l’émergence de situations étranges, avec des mouvements d’effectifs entre les pays. Si cet échange d’effectifs peut n’affecter l’équilibre des compétences que de manière marginale, il entraîne une escalade des coûts globaux. Ces mouvements peuvent néanmoins se révéler bénéfi ques. Ainsi, au Mozambique, les personnels sont partis en Angola vers la fi n des années 1990, apportant avec eux l’expérience qu’ils avaient acquise dans leur pays pendant le processus de relèvement.

Le rôle des personnels de santé expatriés

Les personnels de santé expatriés se trouvent au cœur de nombreuses situations complexes et urgentes, ce qui ne va pas sans susciter des critiques. Ils sont amenés par les organismes d’aide, les donateurs et les ONG, parfois pour combler de graves lacunes dans les effectifs locaux (généralement aux échelons supérieurs) ou pour gérer les ressources et les activités sur lesquelles les organisations extérieures souhaitent garder un contrôle total. Les doléances portant sur les compétences, la pertinence et les capacités des personnels de santé expatriés sont courantes. Un grand nombre de personnels locaux éprouvent du ressentiment face aux salaires élevés, aux postes infl uents et à la liberté d’action des expatriés.

Dans de nombreuses situations, aussi diverses qu’au Cambodge, au Mozambique et au Sud-Soudan, la pénurie de personnel indigène qualifi é est si criante que le recours à des agents de santé étrangers constitue la seule option envisageable. Ailleurs, comme dans les Balkans, en Iraq ou au Nord-Soudan, les organismes d’aide ont peut-être tirés plus largement parti des talents locaux. Un recours excessif aux expatriés peut s’expliquer par l’immobilisme organisationnel, par une mauvaise connaissance du contexte ou par des tensions sur le marché intérieur et le marché du travail.

Les cadres qualifi és expatriés peuvent être recrutés à bas prix si des modalités de gestion appropriées sont en place, et déployés sans trop de résistance. Dans de nombreux secteurs de la santé en crise, la plupart des postes de médecins diffi ciles sont pourvus avec des étrangers. En cas de pénurie grave de compétences, comme au Sud-Soudan, il est parfois moins onéreux de faire appel à des professionnels issus d’autres pays qu’à leurs équivalents locaux. Ainsi, un recrutement sur un marché ouvert est tout à fait pertinent économiquement pour des autorités sanitaires dont le budget est très serré. Cet aspect est souvent négligé, ou reconnu avec réticence, par les responsables locaux, gênés d’être en situation de dépendance par rapport aux intervenants étrangers.

Des professionnels très qualifi és sont parfois déployés en grand nombre dans le cadre d’accords politiques entre pays amis. Le Timor-Leste a ainsi négocié avec Cuba une arrivée massive de médecins, répartis de manière à pourvoir la plupart des postes disponibles au sein

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du système de santé. Cette approche, qui assure l’homogénéité des soins, impose également d’adopter le modèle de fourniture de services et de formation ainsi que la langue du pays qui envoie les renforts. Lorsque les personnels de santé étrangers sont omniprésents et leurs pratiques cohérentes, les choix locaux peuvent être remis en question.

Le recrutement de personnels expatriés peut apporter une touche de neutralité dans les situations où règne la défi ance entre belligérants. Les étrangers bénéfi ciant d’un statut spécial sont parfois autorisés à dispenser des soins dans des zones où aucun représentant national ne pourrait se rendre sans risquer sa vie. Certains étrangers s’installent dans des pays affectés par un confl it et y demeurent pendant une grande partie de leur carrière. Cette position privilégiée leur permet d’acquérir une expérience et de disposer d’informations auxquelles leurs collègues locaux n’ont pas accès. De plus, une partie du stress que connaissent les personnels nationaux est également épargnée aux étrangers, dont la relative immunité politique leur donne par ailleurs une plus grande liberté de parole. Grâce à tous ces facteurs, les étrangers qui restent longtemps dans un pays, et qui parviennent à surmonter les barrières de la culture et de la langue, acquièrent une excellente connaissance de la situation locale et deviennent ainsi des sources d’informations précieuses.

Intégrer des effectifs hier adversaires

Pendant un confl it, les services de santé militaires se développent et entrent en concurrence avec le secteur de la santé. Chacun des belligérants établit parfois ses propres services de santé, en recrutant du personnel parmi ses sympathisants ou en procédant à des enrôlements forcés. Lorsque le confl it est terminé, ces effectifs doivent être absorbés par le secteur public de la santé, indépendamment des besoins ou de la pertinence de leurs qualifi cations. Ainsi, en Angola, les cadres démobilisés qui faisaient partie des importants services sanitaires militaires ont apporté des compétences comparativement meilleures. La taille de ces effectifs reste généralement inconnue jusqu’à ce que l’armée les libère. Souvent, le nombre substantiel de personnels concernés modifi e largement l’évaluation de la disponibilité du personnel.

Après un accord de paix, l’intégration, au sein d’un même effectif, de personnels de santé qui appartenaient avant à des factions rivales pose des problèmes spécifi ques. La puissance relative des anciens ennemis infl ue sur les modalités de cette intégration. En Angola et au Mozambique, les agents de santé des mouvements rebelles ont dû accepter des conditions dictées, dans une large mesure, par des gouvernements qui ont su garder la haute main (politiquement et techniquement) sur les négociations. Dans ces deux cas, la stratégie de réintégration a inclus le recensement des personnels de santé, une évaluation de leurs qualifi cations et de leurs compétences, la sélection de ceux dont le profi l était approprié et de solides programmes de formation pour la plupart des autres (OMS, 2003). Dans ce type de situation, l’un des principaux écueils est le faible niveau d’études des personnels.

Lorsque les forces rebelles négocient un accord de paix en position de force ou qu’elles remplacent les anciens dirigeants, leurs cadres obtiennent de meilleures conditions d’intégration, parfois prévues dans l’accord en question. Il devient alors obligatoire de recruter ces personnels malgré leur fréquent manque de qualifi cations offi cielles. Lorsque les différentes composantes du secteur de la santé ont longtemps été divisées, d’autres diffi cultés sont susceptibles d’apparaître. Les différences dans les descriptions de postes, les programmes et les supports de formation, les habitudes de travail et la langue peuvent maintenir la division parmi les personnels de santé.

L’intégration étant politiquement sensible, il est tout à fait justifi é de la planifi er à l’avance et d’y consacrer des ressources suffi santes. Les donateurs en sont conscients et se montrent généralement prêts à la fi nancer. Cependant, les répercussions fi nancières d’une arrivée massive de personnels dans le secteur public peuvent être considérables, et il est peu probable que la charge en incombe très longtemps aux donateurs. À l’issue d’un processus de transition, les équipes sanitaires se retrouvent souvent en sureffectif par rapport aux normes proposées.

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Les personnels de santé, la fonction publique et les rémunérations

Dans la plupart des pays en guerre, les règles et les procédures qui régissent la fonction publique sont contournées et abandonnées, puis remplacées par des dispositifs informels, souvent justifi és pour des raisons pratiques. Les structures de la fonction publique, dont l’évolution a été arrêtée par la crise, s’enracinent dans des schémas archaïques, déconnectés des besoins réels en services de santé. La résurgence de ces règles, une fois le confl it terminé, fait parfois faire au pays un bond de plusieurs dizaines d’années en arrière. Les changements dans la gestion des RH qui ont été imposés par la crise peuvent toutefois constituer le socle d’une redéfi nition des règles et des procédures de la fonction publique. Hélas, le secteur de la santé ne dispose pas toujours des leviers nécessaires, face à l’administration centrale, pour promouvoir une réforme de la réglementation applicable aux fonctionnaires.

Il n’est pas rare que les rémunérations réelles de la fonction publique diminuent au fur et à mesure des années, pour atteindre des niveaux minimes. En outre, la taille des effectifs a parfois explosé de manière incontrôlée. Ces deux tendances empêchent le fi nancement d’une hausse substantielle des rémunérations par l’argent public (qui, généralement, manque cruellement). Il s’agit d’une question épineuse et politiquement sensible, face à laquelle le pouvoir politique ne dispose bien souvent ni de la capacité, ni de la confi ance nécessaires pour engager des réformes radicales.

L’effondrement de l’État, ou l’émergence de nouvelles formes de pouvoir, explique l’absence d’une fonction publique structurée. C’est notamment le cas en Afghanistan, en Somalie et au Sud-Soudan. La prestation de soins est, pour une large part, abandonnée aux ONG, aux organismes d’aide et aux programmes de lutte contre des maladies. Les niveaux de rémunération et les conditions de travail varient en fonction de l’employeur, du site et du marché du travail. La cartographie des schémas en place nécessite des études spécifi ques.

La dissolution de la fonction publique offre davantage de marge de manœuvre pour des expérimentations et des innovations. Une nouvelle approche de la gestion du personnel peut être adoptée sans que se manifestent les résistances prévisibles dans un contexte de stabilité. Elle peut impliquer, par exemple, l’introduction de rémunérations plus élevées et découplées des traitements versés aux autres fonctionnaires, des procédures d’embauche et de licenciement simples et décentralisées, la distribution d’une proportion importante des revenus totaux sous forme des primes de sujétion et de performance, des contrats à durée déterminée pour certains postes, ainsi que des grilles salariales récompensant davantage la responsabilité et l’expérience que les diplômes.

Il est par nature diffi cile de prévoir l’évolution des rémunérations dans un pays qui sort d’un confl it. L’encadré ci-dessous présente une approche possible pour résoudre ce problème et qui a été appliquée en Afghanistan en 2002. Une autre méthode, qui serait préférable (si les données disponibles le permettent), serait de reconnaître que les professionnels de santé ne sont pas liés inconditionnellement à la fonction publique et que leur valeur sur le marché est généralement plus élevée que les traitements moyens des fonctionnaires.Des tarifs concurrentiels dans le secteur privé doivent donc être envisagés. Enfi n, il convient de prendre en compte les salaires frontaliers et internationaux pour les cadres ayant des qualifi cations négociables à l’étranger. Si le niveau initial de rémunération des personnels de santé du secteur public n’est pas trop éloigné de ces indicateurs de référence, cela peut encourager les agents de santé relativement motivés à rester dans ce secteur (Hay, 2000).

Dans la plupart des cas, une hausse des rémunérations appropriée passe par une réduction drastique des effectifs, une option qui effraie une majorité d’instances décisionnaires. Étant donné la faible productivité de la plupart des secteurs de la santé publics, les résultats fi nals n’en pâtiraient pas si une rémunération plus élevée devait s’accompagner de meilleures performances. On constate toutefois qu’une hausse de salaires ne suffi t généralement pas à augmenter la productivité, surtout quand l’absentéisme, les performances médiocres et les défi ciences des contrôles ne datent pas d’hier. Pour dynamiser la productivité, il est nécessaire d’améliorer en parallèle les pratiques d’encadrement.

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Établir des prévisions sur la taille des effectifs et la grille de rémunération de la fonction publique afghane

« ... les comparaisons internationales peuvent aider à établir les grandes lignes d’une structure initiale des rémunérations : ces dernières années, la moyenne des traitements équivalait à 5,7 fois le PIB par habitant en Afrique, à 2,7 fois en Amérique latine, à 3,4 fois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et à 3 fois en Asie. Dans cette dernière région, les traitements représentaient 7 fois le PIB par habitant en Inde, 4,1 fois au Bangladesh et environ 2 fois au Pakistan. Une fonction publique de taille réduite mais effi cace exige un niveau de rémunération approprié. Un facteur de 4 constituerait un objectif de départ convenable pour le gouvernement provisoire afghan, soit l’équivalent de US $1 000 par an en moyenne. Si ce salaire est peu élevé, étant donné le faible niveau du revenu par habitant en Afghanistan, il reste supérieur aux rémunérations antérieures.

Une fonction publique équivalant à 1 % de la population (comprenant les autorités centrales, régionales et locales, mais pas l’armée) aurait une taille inférieure à ce qui se pratique dans des pays comparables de la région. Cette proportion serait même l’une des plus faibles parmi les pays en développement. Un nombre des fonctionnaires plafonné à 1 % de la population impose, outre un gouvernement resserré, un large recours au secteur privé, à la population locale et aux ONG pour fournir les services publics. Pour une population d’environ 25 millions d’habitants, l’effectif total « optimal » de la fonction publique s’établirait donc à 250 000 personnes. On dénombre actuellement 170 000 fonctionnaires. L’hypothèse d’un traitement mensuel moyen de US $100 est posée, ce dernier progressant parallèlement à la hausse prévue du PIB par habitant, jusqu’à environ US $140 par mois en moyenne, sur 5 à 10 ans. Les rémunérations seraient donc 5 fois supérieures au PIB par habitant au cours de cette période de dix ans, ce qui serait mieux que les chiffres observés dans les autres États de la région et dans les pays en développement en général. »

Sources : Banque asiatique de développement, PNUD et Banque mondiale, 2002

La stratégie nationale de développement des ressources humaines

Rares sont les secteurs de la santé qui ont pu élaborer une stratégie offi cielle de DRH en temps de guerre. D’autres ont engagé une planifi cation vers la fi n ou au terme d’une crise de longue durée. Parfois, seules certaines composantes d’une stratégie globale de DRH ont été déterminées. Par exemple, les objectifs généraux en matière d’emploi ont parfois été fi xés sans que leurs modalités d’application ne soient détaillées ou leur coût chiffré. La plupart du temps, ces propositions ne résistent pas à une évaluation approfondie, car elles s’appuient sur des hypothèses irréalistes, négligent certaines contraintes pourtant rédhibitoires, proposent des normes impossibles à atteindre ou reposent sur un fi nancement insuffi sant. Dans certains cas, le décalage entre la situation sur le terrain et les ambitions des responsables de la planifi cation des RH est profond et insurmontable. Les recommandations pour le DRH n’ont parfois aucun rapport avec les décisions opérationnelles et sont incompatibles avec les orientations de ces dernières. Force est alors d’admettre qu’elles ne sont pas appropriées et, alors seulement, on pourra les remplacer par d’autres, plus utiles pour orienter l’action.

Une stratégie de DRH ne souffre pas seulement de l’incompétence technique et du manque de réalisme. En fait, les décisions relatives aux personnels de santé sont largement infl uencées par les forces politiques, culturelles et économiques. C’est notamment le cas dans les contextes de transition qui sont marqués par des tensions, lorsque les autorités souhaitent apaiser les griefs et se sentent contraintes de procurer des emplois aux jeunes chômeurs. De leur côté, les groupes de pressions sont très actifs auprès des instances décisionnaires, en vue de servir les intérêts des cadres qu’ils représentent. Par ailleurs, les aspirations des élites urbaines se traduisent par une préférence pour l’investissement dans la formation des médecins (ce qui aggrave le sureffectif au niveau mondial), au détriment d’autres fonctions nécessaires. Les grilles salariales sont négociées de manière à satisfaire les clientèles infl uentes. Les décisions de déploiement sont prises par des autorités sanitaires affaiblies et se plient

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aux exigences des personnels sans prendre véritablement en considération les besoins en services de santé.

L’éparpillement des centres de décision qui caractérise le secteur des RH consacrées à la santé dans de nombreux pays pose un problème supplémentaire. Les ministères de la Santé, de l’Éducation, de la Défense, des Finances, de la Fonction publique et des Collectivités locales affi chent des intérêts différents, et souvent divergents, en ce qui concerne la gestion des effectifs. Les donateurs, les ONG, les organisations caritatives et les prestataires de formations privées jouent également un rôle important. Enfi n, les personnels de santé eux-mêmes (individuellement ou en groupes structurés) orientent activement les développements dans la direction qui les arrange. Il arrive qu’une stratégie de DRH ne puisse pas être concrétisée si l’autorité qui l’élabore ne dispose pas d’un contrôle suffi sant sur les leviers essentiels à sa mise en œuvre. Reconnaître les acteurs qui infl uent sur les RH, ainsi que les intérêts défendus par chacun d’eux, constitue la première étape vers la réussite de la stratégie de DRH.

Dans certains secteurs de la santé en crise, la stratégie de DRH proposée passe sous silence la crise en cours et son incidence sur les effectifs. Dans d’autres cas, comme en Angola vers la fi n de la guerre, la stratégie a reconnu ouvertement les principales carences des RH et proposé des mesures de correction raisonnables (ministère de la Santé de l’Angola, 1999). Malheureusement, les distorsions étaient telles qu’un simple relèvement technique n’a pas suffi . Pour y remédier, il faudrait investir massivement et durablement dans les ressources, les capacités et le capital politique. Or, si l’Angola dispose éventuellement du premier de ces éléments, les deux autres lui font manifestement défaut (Étude de cas n° 17).

Stratégies de restructuration d’un effectif déséquilibré et détérioré

La stratégie choisie pour restructurer les effectifs dépend des principales distorsions constatées, de l’orientation générale qui a été choisie pour le relèvement du secteur de la santé, des ressources affectées à ce processus, des capacités techniques et du poids politique (deux facteurs susceptibles d’être limités) des autorités sanitaires.

La réadaptation des effectifs de santé est généralement plus lente que celle de l’infrastructure physique : les résultats ne peuvent être évalués qu’après plusieurs années. On constate souvent un décalage temporel entre les effets des ces deux processus, ce qui se traduit, par exemple, par un personnel inadéquat dans les nouvelles structures de santé. Pour réduire ce déséquilibre, il convient d’anticiper les évènements plutôt que d’y réagir, d’où la nécessité d’investir tôt dans le DRH.

Étant donné les déplacements internes vers les zones sûres et les situations de sureffectif qui en résultent, on peut instaurer des mesures visant à réorganiser la répartition du personnel en temps de guerre sans perturber la fourniture de soins de santé. Ainsi, des cadres plus aguerris et au profi l plus approprié peuvent être préparés aux diffi cultés de la transition vers la paix. Cet investissement, souvent négligé, peut s’avérer extrêmement payant pour les instances décisionnaires tournées vers l’avenir.

Pour procéder à l’ajustement d’un effectif trop important et sous-qualifi é, un plan de compression massive du personnel peut, en raison de son coût politique élevé, constituer une option peu séduisante pour un gouvernement affaibli. Une stratégie plus consensuelle consiste à opérer un gel ciblé des nouvelles embauches, les départs naturels assurant la rationalisation des effectifs. La formation des catégories sous-représentées, la mise à niveau en cours d’emploi et le renforcement des meilleurs personnels d’encadrement doivent s’accompagner d’une réduction progressive des effectifs. Des systèmes de compensation pour les perdants sont nécessaires dans une telle restructuration. Le gel des nouvelles embauches peut néanmoins être diffi cile à défendre face aux pressions politiques, comme en Angola, où les effectifs totaux ont été multipliés par deux durant la transition post-confl it.

La présence de nombreux centres de formation qui échappent au contrôle des autorités sanitaires et inondent le marché de professionnels alors que les besoins ne l’exigent pas, constitue un problème complexe. Des informations publiques indiquant que les débouchés de

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ces professions seront probablement limités à l’avenir peuvent faire disparaître cette source de sureffectif. Et la multiplication des centres de formation est fréquente dans les territoires polarisés ou divisés, lorsque des parties méfi antes l’une envers l’autres tentent de s’assurer de futures possibilités de formation. Les donateurs qui sont en bons termes avec l’une des parties peuvent accepter de fi nancer la mise en place d’institutions prestigieuses, par exemple des universités, malgré l’inadéquation de la demande en diplômés et au détriment de la partie adverse. Les appels rationnels au réalisme et à la sobriété restent souvent lettre morte.

Un personnel insuffi sant et sous-qualifi é peut être étoffé grâce au remplacement des départs naturels par des cadres plus compétents. La formation préalable constitue alors l’élément central de la stratégie de restructuration (pour un exemple concret, voir l’Annexe 10). L’investissement dans les capacités de formation doit faire partie des priorités d’un secteur de la santé en cours de relèvement. Des efforts durables sont également nécessaires pour obtenir de bonnes normes de formation. En effet, pendant un confl it, les compétences des formateurs sont tout autant mises à l’épreuve que celles des personnels de santé de base. En outre, une formation effi cace exige des capacités plus importantes qu’en temps normal, en raison du faible niveau d’études des personnes suivant une formation sanitaire.

Réorienter le secteur de la santé, une tâche que l’on sait ardue en temps de paix, a des chances raisonnables de succès pendant les périodes de transition, lorsque les agents de santé doivent recevoir un type de formation et que les résistances aux changements sont parfois moins enracinées. Une évolution radicale dans le sens de l’orientation stratégique choisie pour le secteur de la santé peut exiger de recycler une grande partie de l’encadrement.

Le manque de formations spécifi ques est souvent considéré comme l’un des facteurs expliquant les mauvais résultats, dans de nombreux pays, de la mise en place de soins de santé primaires. Il est toujours diffi cile de changer la forme et le contenu des formations. Il convient en effet de restructurer les sites de formation, les méthodes et les supports, et il est parfois nécessaire de recruter des formateurs extérieurs, au moins pendant la phase de lancement à grande échelle des programmes. Afi n de gérer des prestataires de santé polyvalents dispersés sur de vastes zones et travaillant de manière plutôt autonome, il faut également changer les procédures d’embauche et de déploiement des effectifs, ainsi que les systèmes d’appui.

La résorption du surplus de médecins pose des diffi cultés spécifi ques. Cette distorsion des effectifs que constitue un nombre excessif de médecins induit un niveau élevé de dépenses de santé et renforce la priorité donnée aux soins curatifs et hospitaliers. Il s’agit d’un déséquilibre fréquent, que l’on constate par exemple dans les anciens pays de l’Union soviétique, en Afghanistan, en Iraq et au Soudan. La réduction du nombre de médecins (la principale solution au problème) est toujours complexe à défendre politiquement, en raison du prestige dont bénéfi cient les écoles de médecine. Lorsque la qualité des formations proposées par une grande partie de ces dernières est manifestement insuffi sante, on peut améliorer la situation en imposant des conditions strictes pour la reconnaissance des diplômes. Il est également envisageable d’encourager l’émigration des médecins non nécessaires, une pratique courante dans l’ancienne Union soviétique et au Soudan.

Même si elle est réussie, la restructuration des effectifs ne se traduit pas toujours par une amélioration des performances si des mesures incitatives contre-productives demeurent en place. Lorsque l’interaction de ces mesures est clairement défavorable et que les distorsions ne sont pas prédominantes, leur refonte peut apparaître comme la stratégie la plus raisonnable. Parfois, les initiatives prises dans le secteur de la santé lui-même ne parviennent pas à traiter les vrais problèmes lorsque ceux-ci sont extérieurs. Les distorsions qui affectent le secteur public peuvent toutefois donner l’occasion de changer son fonctionnement ou de porter un regard nouveau sur les approches public/privé. La réforme la plus importante à introduire pendant une période de transition consiste peut-être à dissocier la gestion des personnels de santé du reste de la fonction publique.

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Étude de cas n° 17 Une planifi cation rationaliste dans un contexte politiquement sensible : les

ressources humaines du secteur de la santé en Angola pendant la transition de la guerre à la paix

Dès le milieu des années 1990, la situation des effectifs du secteur de la santé angolais était effroyable. Leur nombre avait explosé pour atteindre 35 000. Les personnels non qualifi és représentaient 50 % de ce total. Seuls 4 % détenaient un diplôme universitaire. Certains cadres, comme les sages-femmes, étaient rares. Les cadres qualifi és étaient concentrés à Luanda et dans les autres grandes villes. La formation des personnels peu qualifi és se poursuivait sans relâchement. Les programmes étaient trop axés sur la pratique hospitalière. La productivité des effectifs était extrêmement faible et les soins dispensés médiocres.

Conscient de la gravité de la situation, le ministère de la Santé de l’Angola a lancé un plan de développement des ressources humaines, élaboré entre 1997 et 1999 dans le cadre d’un vaste processus participatif. Ce plan prenait acte des perturbations structurelles affectant les effectifs de santé et proposait un ensemble cohérent de mesures correctives. Le nombre des fonctionnaires travaillant dans le secteur de la santé devait être ramené sous la barre des 30 000, les catégories sous-représentées mieux pourvues, les personnels peu qualifi és mis à niveau et l’effectif auxiliaire réduit. La proportion des cadres de niveau universitaire et intermédiaire devait augmenter, et les normes de formation être améliorées à tous les niveaux. Les performances des effectifs devaient être renforcées par des formations appropriées et axées sur les soins de santé primaires et par la motivation. L’amélioration de la gestion des ressources humaines devait atténuer le manque d’effi cacité général, et le personnel devait être redéployé dans le pays et par « niveau de soins », afi n d’améliorer l’accès aux services de santé.

Malgré ses points forts, ce plan comportait de graves limitations, notamment à cause des informations incomplètes sur lesquelles il reposait, de l’absence d’une politique sanitaire globale et réaliste, nécessaire pour avancer, et de l’écart entre l’ampleur et la complexité des problèmes à traiter et les capacités existantes. Son principal point faible tenait peut-être à sa conception même : ses aspects techniques étaient satisfaisants mais il ne prêtait pas suffi samment attention aux conséquences politiques, administratives, militaires et économiques de sa mise en œuvre. Enfi n, l’incidence du processus de paix (alors à l’arrêt) sur le secteur de la santé et ses effectifs n’était pas explicitement prise en compte.

En 2005, des progrès avaient toutefois été obtenus sur plusieurs fronts (Pavignani, 2006). Des lois couvrant plusieurs aspects liés aux personnels de santé ont été votées. La grille des rémunérations a été restructurée, avec une amélioration considérable du traitement des fonctionnaires. Les anciennes catégories et descriptions de poste disparates, ont été normalisées et intégrées à un système unifi é, parallèlement à la radiation de 3 800 travailleurs fantômes. Un nouveau système de formation a été conçu et introduit, avec des établissements d’enseignement moins nombreux mais de meilleure qualité. Des dispositions visant à réduire les nouvelles embauches d’étudiants dans les fi lières de santé ont été mises en place. Des programmes de formation en cours d’emploi et de gestion des soins ont été élaborés et appliqués. Plusieurs programmes de formation ont été révisés, d’autres complètement repensés.

Pour ce qui est des aspects négatifs, les effectifs ont continué d’augmenter à un rythme extrêmement soutenu, en raison de l’intégration de 9 100 personnels de santé démobilisés et de 12 000 nouvelles recrues formées. En 2006, on dénombrait en Angola plus de 60 000 personnels de santé, dont 54 % étaient qualifi és. Par rapport au réseau et au volume d’activité, les effectifs demeuraient toutefois hypertrophiés. Enfi n, il n’y pas véritablement eu de réduction de la surreprésentation urbaine et hospitalière.

Ce plan peut être considéré comme une réussite modeste au vu des avancées obtenues, malgré un contexte de mise en œuvre très défavorable. Il peut toutefois aussi être qualifi é d’échec sans appel, puisque les distorsions auxquelles il était censé remédier se sont accentuées. Parmi les déterminants des résultats décrits ci-dessus fi gurent notamment les éléments suivants :

- les impératifs du processus de paix (réconciliation et paix sociale). Les créations d’emplois ont pris le pas sur les questions d’effi cacité et de pérennité. La hausse des recettes pétrolières a favorisé des décisions coûteuses ;

- la décentralisation progressive de la prise de décisions, incitant à l’instauration de nouveaux cursus et à des embauches dans les régions, malgré les restrictions imposées par le ministère de la Santé ;

- le poids politique limité du ministère de la Santé par rapport aux autres instances gouvernementales ;

- la faiblesse des systèmes d’information, qui a retardé la reconnaissance des problèmes émergents et les décisions ;

- le conservatisme généralisé pendant le processus de relèvement post-confl it, qui a favorisé le statu quo, voire le retour à la situation d’avant-guerre. Au sein du secteur de la santé, des entités conservatrices mais infl uentes, comme les associations professionnelles, ont renforcé le climat d’aversion pour le risque.

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Les principaux enseignements de crises précédentes

• Envisager le DRH comme une composante fondamentale du relèvement du secteur de la santé, qui doit fermement s’inscrire dans la stratégie sectorielle globale et rester dans les limites budgétaires prévues.

• Commencer à planifi er la réadaptation des RH le plus tôt possible, et même avant la fi n de la guerre, afi n d’appliquer sans délai des mesures de correction lorsque l’occasion se présente. Un développement des ressources humaines précoce peut s’avérer déterminant pour d’autres initiatives axées sur le relèvement.

• Distinguer les composantes du DRH qui nécessitent une intervention de l’État de celles qui peuvent être laissées au marché.

• Élaborer une stratégie de DRH cohérente avec les changements politiques, économiques, administratifs et sociaux en cours dans le pays. Les stratégies de DRH doivent établir des liens avec des entités extérieures au secteur de la santé et prévoir comment les décisions prises vont infl uer sur les RH du secteur de la santé.

• Tenter d’anticiper l’incidence du processus de paix sur les personnels de santé et en tenir compte dans les plans de relèvement.

• Allouer des ressources suffi santes au DRH, qui représente un investissement intensif et à long terme. Des perturbations graves et de longue durée nécessitent des mesures de correction fortes, ce qui n’est possible qu’avec une enveloppe budgétaire généreuse.

• Anticiper et prévoir des coûts de personnel relativement élevés, que ce soit en raison des niveaux de salaires élevés ou des avantages et des paiements directs obtenus de manière plus opaque. Maintenir une corrélation forte entre la hausse des rémunérations et les mesures visant à améliorer les performances.

• Éviter de mettre en place des activités de formation fragmentées en l’absence d’un cadre de planifi cation établi sur la base d’une évaluation approfondie de la totalité des effectifs. Une formation dispensée sans l’appui d’autres interventions nécessaires peut se révéler ineffi cace.

• Examiner avec soin les capacités de formation existantes. La plupart du temps, celles-ci sont délabrées et doivent subir une refonte complète. L’importation de formateurs compétents peut constituer une mesure diffi cile et délicate mais absolument nécessaire et raisonnable.

• Obtenir un soutien politique suffi sant pour des mesures par nature impopulaires, telles que la restructuration des effectifs. Un consensus parmi des fi gures gouvernementales infl uentes et les donateurs représente parfois la meilleure possibilité de réussite.

• Être attentif à la gestion et à la réglementation des RH, ainsi qu’aux mesures incitatives qui infl uent sur le comportement des personnels, même si des décisions diffi ciles doivent être prises. Mener une réfl exion sur la composante publique des RH dans le secteur de la santé. Investir dans le renforcement du département central des ressources humaines, qui est généralement dans l’incapacité d’assurer des responsabilités élargies par le processus de relèvement.

• Fixer des objectifs ambitieux à long terme et, lors de la mise en œuvre, conserver une marge de manœuvre pour les expérimentations, les adaptations et les innovations. Établir de solides capacités de suivi, afi n d’ajuster les plans en fonction des progrès identifi és et de résister aux propositions de changements non étayées mais ayant un grand poids politique.

• Chercher des réponses locales prometteuses aux problèmes soulevés par la crise. Ces pistes peuvent constituer une source d’inspiration et mettre une expérience réelle au service de plans de restructuration globaux.

• Compartimenter une stratégie de DRH globale et à long terme en plusieurs modules pouvant être mis en place les uns à la suite des autres, en fonction des capacités existantes et des contraintes de ressources.

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Conseils de lecture

Hay, R. Publicly-provided health care: incentives matter. (Policy Brief Nr. 2) Oxford, Oxford Policy Institute, 2000.

Présentation claire et concise de l’évolution des soins dans les pays pauvres. Les systèmes de santé en expansion, conçus pour fournir une couverture universelle avec un fi nancement public, ont subi le choc du repli économique et de la chute des recettes de l’État. Les coupes budgétaires ont entraîné « […] la privatisation générale, non planifi ée et non réglementée, des services de santé ». Les politiques de partage des coûts n’ont pas tenu leurs promesses. Les réformes engagées ont négligé les mesures incitatives et la réglementation ciblant les prestataires. Parfois, les dégâts sont tels qu’il n’est pas possible d’éliminer les distorsions.

Pour mettre un frein à cette dégradation, un ensemble cohérent d’initiatives, destinées à prendre en compte l’interaction des mesures incitatives qui orientent le comportement des prestataires, doit être mis en place. Parmi les stratégies proposées fi gurent la réduction des effectifs sanitaires, l’externalisation et le recours à des prestataires indépendants, la hausse des salaires, le renforcement des fonctions de réglementation et la concentration de l’argent public sur les fonctions essentielles. « La réussite d’une telle réforme n’est toutefois pas garantie ». Aucune solution miracle n’est en vue.

HRH Global Resource Center, disponible en ligne à l’adresse suivante : www.hrhresourcecenter.org, consulté le 10 janvier 2011. Bibliothèque en ligne consacrée aux RH du secteur de la santé.

Smith, J. Guide to health workforce development in Post-confl ict environments. Genève, OMS, 2005. Disponible en ligne à l’adresse suivante : http://www.who.int/fr/, consulté le 10 janvier 2011.

Analyse complète des principaux aspects du sujet, qui contribue à remettre le développement des ressources humaines à la place qu’il lui revient, c’est-à-dire au cœur du processus de relèvement du secteur de la santé. Cette étude repose sur une véritable expérience de terrain, acquise dans plusieurs secteurs de la santé en transition, et s’appuie sur de nombreux exemples utiles et une documentation pertinente. Ce travail est salutaire et comble un vide dans la littérature existante. Il doit accompagner les principaux acteurs des processus de relèvement en leur apportant des éléments essentiels sur les enjeux. Ce guide mérite d’être diffusé au-delà du cercle restreint des spécialistes des ressources humaines.

USAID. The Health Sector Human Resource Crisis in Africa: an Issues Paper. 2003. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.healthgap.org, consulté le 10 janvier 2011.

Examen qui donne à réfl échir d’une crise structurelle mal reconnue et dont l’ampleur est d’ores et déjà alarmante. Un ensemble de facteurs alimente la crise, et notamment les problèmes politiques, économiques et militaires, les erreurs commises dans les politiques relatives à la fonction publique et aux personnels de santé, l’émigration et le VIH/sida. Afi n de remédier à ces diffi cultés, les pouvoirs publics et les donateurs doivent engager de concert des actions correctives immédiates, déterminées et durables. Pour être effi caces, ces mesures doivent s’inscrire dans une analyse systémique des RH du secteur de la santé de chaque pays, ainsi que du marché mondial des personnels de santé. Il est nécessaire de repenser entièrement la manière dont les effectifs de santé sont produits, déployés, utilisés, maintenus, gérés et motivés.

Walt, G. (eds) Community Health Workers in National Programmes: Just Another Pair of Hands? Philadelphie, Open University Press, 1990.

Enquête pénétrante sur les origines des agents de santé communautaires, l’essor mondial des dispositifs centrés sur ces intervenants dans les années 1970 et 1980 et les inquiétudes que l’expérience acquise sur le terrain a suscitées concernant leur rôle, leur effi cacité et leur avenir. Cet ouvrage montre que, dans un climat baigné par les idéaux liés aux soins de santé primaires, « l’enthousiasme et la hâte ont triomphé de la planifi cation et de la gestion ». Les formidables attentes suscitées par les agents de santé communautaires ont évidemment

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Module 10 Analyser les ressources humaines du secteur de la santé 313

Mo

du

le 1

0

été déçues. Plutôt que de s’imposer comme moteurs du changement social et pierre angulaire des soins de santé primaires, les agents de santé communautaires ont endossé le rôle plus modeste de nouveau maillon des services de santé. C’est ainsi que les usagers les perçoivent. Le resserrement de leur rôle s’est poursuivi parallèlement à la montée en puissance de projets pilotes prometteurs, destinés à devenir des programmes nationaux. À cet égard, la trajectoire des agents de santé communautaires n’a rien d’exceptionnel : les expériences innovantes menées à petite échelle et généralement dotées de ressources importantes ont tendance à résister à l’expansion et à la formalisation qui caractérisent les programmes nationaux, ou à changer de nature en s’adaptant à un contexte nouveau.

Références bibliographiques

Banque asiatique de Développement, Programme des Nations Unies pour le Développement et Banque mondiale. Afghanistan: Preliminary Needs Assessment for Recovery and Reconstruction, 2002. Disponible en ligne à l’adresse suivante : www.adb.org, consulté le 10 janvier 2011.

Baker T.D. Health personnel planning, in : Reinke, W.A. (eds) Health Planning for Effective Management. Oxford, Oxford University Press, 1988.

Gouvernement de l’État de transition islamique d’Afghanistan. Ministère de la Santé. Afghanistan National Health Resources Assessment, 2002.

Ministère de la Santé de l’Angola. Direction nationale des ressources humaines. Plano de desenvolvimento dos recursos humanos 1997/2007. Luanda, 1999. Rapport non publié.

Organisation mondiale de la Santé. Health in Emergencies, n° 18, 2003.

Pavignani E. Revisão do plano de desenvolvimento de recursos humanos de saúde 1997-2007. Ministère de la Santé de l’Angola, 2006. Rapport non publié.

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314 Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes

An

nexe 1

0

Restructuration post-confl it des effectifs du secteur de la santé au Mozambique, 1990-2002

Au Mozambique, dans les années 1980, les effectifs du secteur de la santé, soit 16 000 personnes, étaient modestes pour un pays de cette taille. Ils s’expliquaient par un budget faible et en recul constant, par des capacités de formation limitées, par une pénurie de candidats possédant un niveau d’études satisfaisant pour suivre un cursus de formation sanitaire et par la lourdeur des procédures dans la fonction publique. Des distorsions internes affectaient les RH : 50 % des personnels n’étaient pas qualifi és, et, parmi les cadres, seulement 3 % avaient reçu une formation universitaire et 11 % une formation de niveau intermédiaire. Les personnels formés principalement dans les hôpitaux dominaient. Les effectifs formés spécifi quement aux soins de santé primaires étaient également en nombre insuffi sant. Le réseau de formation, concentré dans la capitale et sous-développé dans le nord du pays, souffrait d’un grave défi cit de fi nancement. Il n’existait aucun centre de formation privé. Le déploiement pâtissait d’une importante surreprésentation urbaine qui s’est aggravée avec la guerre, plus de la moitié des professionnels étant concentrés en ville, et d’un sous-effectif au nord du Zambèze. La rigidité de la culture et des structures de la fonction publique venait compléter ce tableau.

Le plan de développement des effectifs de santé pour la période 1992-2002, élaboré en 1991, à la fi n de la guerre, dans le cadre de la stratégie de reconstruction post-confl it (Noormahomed et Segall, 1994), visait à résoudre ces problèmes en restructurant le personnel de manière durable. Le nombre total des fonctionnaires du ministère de la Santé ne devait augmenter que de 9 %. Par contre, les rangs des professionnels formés auraient dû, quant à eux, progresser de 45 % alors que ceux des personnels auxiliaires auraient dû chuter de 22 %. Il était prévu de recruter essentiellement du personnel pour les soins de santé primaires, de doubler, voir de tripler, le nombre des cadres de haut niveau, de développer principalement les capacités de formation dans les régions mal desservies, où le réseau aurait dû d’étendre considérablement dès que la reconstruction aurait commencé.

Ce plan s’appuyait sur une analyse sectorielle globale apportant une justifi cation claire aux objectifs fi xés. Les effectifs devaient évoluer en fonction des besoins du secteur de la santé en cours de relèvement, dans le cadre de restrictions budgétaires claires. Les directives de mise en œuvre étaient formulées de manière suffi samment générale pour permettre des adaptations. Afi n de doter le nouveau personnel des compétences requises pour les soins de santé primaires, les programmes de formation essentiels ont subi une refonte complète. Un mélange de soins curatifs, de soins communautaires et de compétences en gestion a été enseigné sur le terrain, principalement in situ, permettant ainsi de mettre l’accent sur la résolution des problèmes et l’apprentissage autonome. Les besoins en ressources de ce type de formation approprié ont progressé en conséquence.

Pour fi nancer ce plan, aboutissement d’une consultation menée pendant un an auprès de tous les hauts fonctionnaires du ministère de la Santé, l’aide des donateurs a été sollicitée. Ceux-ci ont répondu généreusement à l’appel. Les grandes organisations ont défi ni leurs engagements dans le cadre du plan. La Banque mondiale a fait de sa mise en œuvre un élément central de son deuxième prêt au secteur de la santé. Pour appliquer le plan, le fi nancement de la formation a été nettement étoffé. L’investissement dans le réseau de formation a avoisiné US $15 millions. Les dépenses de formation récurrentes ont dépassé US $4 millions en 1997. La même année, le coût moyen d’un diplôme sanctionnant une formation de niveau de base ou intermédiaire pour un professionnel de la santé a été estimé à US $10 000. Ces chiffres n’incluent pas la formation de niveau universitaire, qui relève de la responsabilité du ministère de l’Éducation, ni celui des études suivies à l’étranger. Au cours de la période couverte par le plan, l’investissement dans la reconstruction physique a été compris entre US $20 et 30 millions par an.

Annexe 10

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Annexe 10 Restructuration post-confl it des effectifs du secteur de la santé 315

An

nexe 1

0

Résultats

Personnel local employé par le système de santé du pays

Niveau de formation 1990 (référence)

Situation en 2003 Objectifs 2002

Résultats par rapport

aux objectifs

Supérieur 207 662 500 + 32 %

Intermédiaire 865 2 698 2 720 - 1 %

De base 5 197 5 339 6 060 - 9 %

Élémentaire 1 660 2 776 1 710 + 62 %

Auxiliaire 8 231 6 478 6 350 + 2 %

Total 16 160 17 953 17 340 + 4 %

Les effectifs totaux employés par le système de santé national correspondent remarquablement bien aux objectifs fi xés en 1991. Conformément aux prévisions, la part des cadres les plus qualifi és a augmenté de 45 %, tandis que celle des personnels non qualifi és a reculé de 22 %. Les principaux écarts par rapport aux objectifs initiaux ne sont pas préoccupants. Le nombre plus élevé que prévu des cadres de niveau universitaire reste à un niveau fi nançable. La croissance importante du nombre de professionnels de niveau élémentaire, qui s’explique par la décentralisation des prises de décisions (prévue par le plan) et qui répond aux besoins des structures de santé implantées dans les zones les plus isolées, n’a pas de conséquences budgétaires graves, étant donné le faible salaire versé à ces cadres.

À mi-chemin environ de la mise en œuvre du plan, un recensement des effectifs a permis l’identifi cation et la radiation de près de 2 000 personnels fantômes. À supposer qu’une proportion indéterminée de ces emplois existait déjà en 1990, l’expansion réelle des effectifs a donc été plus importante que ne le suggèrent les chiffres offi ciels.

Le nombre des cadres affectés aux soins de santé primaires n’a pas augmenté autant que prévu, pour un certain nombre de raisons, dont la diffi culté à trouver de bons formateurs. L’examen par catégorie de personnels révèle des divergences signifi catives entre les effectifs planifi és et les effectifs réels. Aucun chiffre n’atteint toutefois des proportions préoccupantes.

Déploiement des personnels de santé qualifi és, par région

Région % population 1990 % 2002 %

Nord (Niassa, Cabo Delgado, Nampula, Zambézia)

52 % 2 284 34 % 3 986 37 %

Centre (Tete, Manica, Sofala) 23 % 1 481 22 % 3 099 29 %

Sud (Inhambane, Gaza, province de Maputo)

20 % 1 452 21 % 2 064 19 %

Ville de Maputo 6 % 1 585 23 % 1 697 16 %

Total 6 802 10 846

Note : Parts de la population en 2000.

Globalement, le déploiement s’est amélioré, la région septentrionale réduisant son retard et le sud concédant un peu de son avantage relatif. Cependant, lorsque ces chiffres sont ventilés par niveau de formation, ils révèlent que la correction des déséquilibres n’est que partielle. En réalité, la ville de Maputo conserve 44 % des cadres de niveau universitaire.

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316 Analyse du secteur de la santé dans les urgences complexes

An

nexe 1

0

Taille moyenne des équipes sanitaires, 1990-2002

Niveau de formation

Postes de santé Petits centres de santé

Grands centres de santé

Hôpitaux de premier

recours

1990 2002 1990 2002 1990 2002 1990 2002

Universitaire 0 0 0 0 0 0,6 0,5 2,0

Intermédiaire 0 0,1 0,1 0,4 0,4 3,8 3,2 13,6

De base 0,4 0,6 2,1 2,0 9,2 11,3 27,5 21,3

Élémentaire 0,4 0,8 1,5 1,6 5,8 5,7 6,4 7,5

Taille moyenne d’une équipe 0,8 1,5 3,7 4,1 15,4 21,5 37,6 44,3

L’évolution de la dotation en personnel est remarquable. Si la taille des équipes moyennes n’a progressé que modestement, conformément à la croissance des structures de santé induite par la reconstruction, la proportion des personnels ayant reçu une formation de niveau universitaire ou intermédiaire dans chaque équipe a fait un bond spectaculaire. Les postes de santé affi chent une tendance différente, qui s’explique par le rôle qu’ils jouent en proposant des services rudimentaires dans les zones isolées et faiblement peuplées.

De 1993 à 2001, la charge de travail moyenne (somme pondérée des principales activités de soins hospitaliers et ambulatoires) a augmenté de 29 %. Au total, le volume d’activité a progressé de 69 % sur la même période. La masse salariale du ministère de la Santé a gonfl é au cours de la seconde moitié des années 1990. En 2001, après correction de l’infl ation, elle était plus élevée de 122 % par rapport à la référence de 1991.

Le réseau de formation étendu et renforcé, établi grâce au soutien des donateurs et destiné à adapter un effectif mal employé, est devenu un formidable atout une dizaine d’années plus tard, au moment où le système de santé national doit accroître sa dotation en personnel pour répondre à une accélération des départs et à une augmentation de la charge de travail, ces deux facteurs étant imputables au VIH/sida.

Carences

La qualité de la formation dispensée fait partie des principaux points faibles du travail accompli. Étant donné l’accroissement spectaculaire des ressources impliquées, il restait des marges de manœuvre pour renforcer les compétences acquises par les personnes en formation. La pérennité du système de formation mis en place par le ministère de la Santé suscite également des inquiétudes. En 1997, 47 % des coûts récurrents étaient couverts par les donateurs, 29 % par le prêt à taux préférentiel de la Banque mondiale et seulement 24 % par les fi nances publiques.

De manière générale, les efforts déployés dans le secteur de la santé se sont heurtés à des obstacles extérieurs, à savoir à la rigidité persistante des règles et des procédures de la fonction publique. Quasiment par défaut, c’est sur la dotation en personnel que l’attention s’est concentrée. Des aspects aussi essentiels que la gestion et la réglementation des RH ou l’équilibre des mesures incitatives qui orientent leur comportement n’ont pas été traités de manière satisfaisante par le ministère de la Santé. L’une des principales recommandations du plan, la formation d’administrateurs professionnels de santé, n’a pas non plus été prise en compte. Par conséquent, le système de santé national s’est retrouvé largement dominé par des médecins de formation hospitalière et ne possédant pas de compétences spécifi ques en gestion.

Ces carences ont limité les performances du secteur et n’ont pas permis d’exploiter pleinement les avantages que la restructuration du personnel aurait dû apporter. On pourrait mieux corriger le sous-effectif encore important constaté dans le nord du Zambèze en instaurant des mesures incitatives adéquates et une gestion plus souple plutôt qu’en se

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limitant à former de nouveaux cadres locaux, comme c’est le cas jusqu’en 2003. Le constat est la même pour ce qui est de la surreprésentation urbaine, qui était restée inchangée depuis une dizaine d’années : 54 % des effectifs de santé qualifi és travaillaient en ville, dont 85 % des cadres de niveau universitaire et 68 % du personnel de niveau intermédiaire. Ces chiffres ne tiennent pas compte des effectifs qualifi és qui relèvaient des autorités sanitaires centrales et périphériques.

Références bibliographiques

Banque mondiale. Staff appraisal report - Republic of Mozambique - Health sector recovery project, 1995. Rapport non publié.

Ministère de la Santé du Mozambique. Informação estatística sumária, 2001. Rapport non publié.

Ministère de la Santé du Mozambique. Health manpower development plan, 1992. Rapport non publié.

Noormahomed A.R. et Segall M. The public health sector in Mozambique: a post-war strategy for rehabilitation and sustained development. Genève, OMS, 1994. Macroéconomie, série Santé et développement n° 14 (original en portugais, 1992).

Pavignani E. et Durão J.R. Managing external resources in Mozambique: building new aid relationships on shifting sands? Health Policy and Planning, 14, 243-253, 1999.s

Annexe 10

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Notes :