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Numéro 5 – octobre 2017 VILLES DE DEMAIN : LES ENJEUX DU NUMÉRIQUE Numérique et territoire Pages 7-20 Données et gouvernance urbaine Pages 21-44 La fabrique urbaine dans la ville intelligente Pages 45-66 TENDANCES Répondre aux nouveaux défis des territoires CONNECTONS NOS TALENTS

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Numéro 5 – octobre 2017

VILLES DE DEMAIN : LES ENJEUX DU NUMÉRIQUE

Numérique et territoirePages 7-20

Données et gouvernance urbainePages 21-44

La fabrique urbaine dans la ville intelligentePages 45-66

TENDANCESRépondre aux nouveaux défis des territoires

CONNECTONS NOS TALENTS

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Sources et crédits des illustrations : Aire Publique : pp. 38, 39 – Anne Ardichvilli pour SPL Lyon Confluence : p. 53 (bas) – Arkédif : p. 56 – Asylum pour SPL Lyon Confluence : p. 50 – Chronos : p. 41 – Droits réservés : p. 16 – Enedis : p. 61 – Gedia : p. 14 – Google : p. 10 – HABX : p. 29 (bas) – Iddri : p. 62 – L’Odyssée Interactive : p. 9 – Laurence Danière pour SPL LyonConfluence : p. 53 (haut) – Maisons & Cités : p. 52 – Nesta : p. 43 – NUMA : p. 8 – Olivier Guerrin pour SPL LyonConfluence : p. 26 – Oppidea : p. 29 (haut) – Parcus : p. 40 – Rennes Métropole : pp. 46, 47, 48 – Territoires Charente : p. 11 (bas) – Shutterstock.com : couverture, pp. 7, 11 (haut), 13,17, 18, 21, 22, 31, 32, 36, 42, 64, 66 –Spallian : pp. 25, 37 – Valéry Joncheray/SAMOA : p. 58 – Ville de Paris : p. 63 – Ville de Rennes : p. 49 – Wavestone : p. 34

Tendances est édité par la direction de l'animation du réseau et de la communication, SCET52 rue Jacques Hillairet 75612 Paris cedex 12Tél. : 01 53 44 06 89 – [email protected] – reseauscet.fr

Directrice de la publication : Florence DECKERRédacteurs en chef : Thierry LEMANT et Léone-Alix MAZAUD

Ont également contribué à ce numéro : Dominique AUBERGER (Citédia), Thomas BOMBENGER (Spallian), Tangi FOUYER (SAMOA), Ariane GORISSE (SEM Ville Renouvelée), Pascal JACQUIN (Parcus), Eric MATHIEU(L’Agence Régionale Pays de la Loire), Philippe RIVE (Gedia)

© SCET – Groupe Caisse des Dépôts

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1Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Édito

LE NUMÉRIQUE S’INVITE EN VILLEIl y a 20 ans, on pressentait que les nouvelles technologies allaientprofondément structurer la vie quotidienne. Mais, avec lagénéralisation d’applications associant les données et les techniques les plus performantes de géolocalisation, couplée à l’essor d’outilspermettant d’accumuler, traiter et rendre accessible ces données, notre société a changé d’ère.

Face aux défis de la transition énergétique, de la mobilité durable, de l’évolution de nosmodes de vie, du vieillissement, le numérique permet d’imaginer de nouvelles solutionspour les villes et les territoires, en associant habitants et citoyens.

Chaque jour, des expérimentations se transforment en réponses opérationnelles, dans ledomaine du logement, de la mobilité, de l’énergie, de la maîtrise des déchets, de la cultureet des échanges citoyens. Smart grid, voiture connectée, imprimantes 3D, maquettesnumériques pour rénover le bâti, réseaux sociaux de partage, budget participatif,plateformes commerciales ou de services en lignes, robots pour effectuer certainesmissions... structurent le nouveau paysage des usages et fonctionnalités de la ville. Le numérique s’invite ainsi à toutes les échelles de territoires, des métropoles aux villesmoyennes, jusqu’aux espaces ruraux.

Au-delà des débats autour de la notion de ville intelligente, ce numéro analyse les impactsdu numérique sur le développement urbain. Quelle transition numérique pour lesterritoires ? Quels usages et quelle gouvernance de la donnée ? Quelles conséquences pourla fabrique urbaine ?

Nourri par des questionnements scientifiques, des regards d’experts et les retoursd’expériences du Réseau et de la SCET, ce Tendances témoigne du potentiel detransformation induit par le numérique dans la conception, la production et la gestion desvilles de demain.

Il illustre par ailleurs, à travers ses contributeurs, le nouvel archipel d’expertises etd’ingénierie de projet que la SCET a constitué pour apporter de nouvelles solutions auxvilles et aux territoires : forts de l’appui de nos filiales, Citadia, Aatiko et CEI, et du nouveaupartenariat noué avec Spallian, entreprise leader dans la donnée, nous sommes clairementmobilisés pour accompagner la transition numérique.

Bonne lecture.

Stéphane KEITA, Président-Directeur général de la SCET

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3Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO :

Isabelle BARAUD-SERFATY, diplômée de l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris et du cycled’urbanisme de Sciences Po, a d’abord travaillé comme consultante en finances locales, puis à la Caissedes Dépôts et chez le promoteur ING Real Estate. En 2010, elle a créé ibicity, structure de conseil enéconomie urbaine qui intervient sur le montage de projets urbains avec une double focale : jeu d’acteurset modèles économiques. Depuis 2003, elle enseigne à l’Ecole Urbaine de Sciences Po.

Benoît BARDET est directeur général adjoint de la société publique locale Lyon Confluence. Manager etdirecteur de projets, il s’est successivement investi dans plusieurs domaines : urbanisme, développementdurable, international, éducation, science et culture. Il a en outre une longue expérience de communicant,éditeur, journaliste et organisateur d’événements au service de projets en développement.

Antoine COURMONT, docteur en science politique, est chercheur au Centre d’études européennes,responsable scientifique de la chaire Villes et numérique de l’Ecole urbaine, à Sciences Po. Spécialiste des politiques de données urbaines, il analyse et enseigne les recompositions de lagouvernance des métropoles à l’ère du numérique. Il a reçu en 2017 le prix de thèse sur la ville décerné parl’Apereau, l’Institut CDC pour la recherche et le PUCA.

Tatiana de FERAUDY travaille à l'Iddri (institut du développement durable et des relationsinternationales) sur les outils numériques de participation citoyenne et leur appropriation par lescollectivités locales en France. Spécialiste des villes durables, elle était auparavant chargée de projet surles politiques du bâtiment dans les pays en développement et sur les logements sociaux durables auProgramme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Elle est titulaire d’un Master de Rechercheen Sociologie (EHESS, 2015) ainsi que d’un Master en Affaires Internationales, spécialité Environnement etDéveloppement Durable (Sciences Po, 2008).

Clément FOURCHY est co-fondateur et directeur général adjoint d’Espelia, cabinet de conseil françaisde référence pour l’amélioration de la performance des services publics. Il a également travaillé à laBanque Européenne d’Investissement comme expert sur le sujet des Partenariats Public-Privé. Au cours des 2 dernières années, il a accompagné plusieurs villes françaises et indiennes dans ladéfinition et la mise en œuvre de la stratégie smart city. Il est le co-auteur de « Financement de projet etpartenariats public-privé », ouvrage de référence en français sur les PPP.

Lionel GASTINE est fondateur d’URBANOVA (conseil en innovation territoriale et urbaine) etenseignant à Sciences Po Paris. Il intervient auprès des collectivités et des aménageurs sur la conceptionet le déploiement de leur stratégie de développement économique et d’innovation (programmatique,servicielle, numérique, sociale). Il coordonne actuellement les études sur le management de l’innovationdans les métropoles (ADEME et Caisse des Dépôts) et sur l’impact des appels à projets urbainsinnovants sur la commande urbaine (en lien avec Sciences Po).

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4 Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Marion GLATRON, issue de la fonction publique d’État, a rejoint Rennes Métropole en 2010. Elle a acquis une bonne expérience de la conduite des politiques publiques dans le domaine del’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation dans différents environnementsprofessionnels (Datar, ministère de l’Éducation nationale, Rennes Métropole), qu’elle a étendue à denouveaux domaines d’expertise : smart city, fabrication numérique, transition énergétique et écologique,modélisation de la ville... Elle est aujourd’hui directrice déléguée Innovation et Smart city, au sein de ladirection de l’Économie, de l’Emploi et de l’Innovation.

Emile HOOGE est consultant en prospective et innovation territoriale. Il co-dirige l’agence nova7 etaccompagne entreprises et collectivités dans l’exploration des usages émergents, le design de nouveauxservices, la transformation de leurs modèles économiques et l’animation de démarches partenariales.

Bernadette KESSLER, après une quinzaine d’années comme journaliste de médias audiovisuels puisresponsable de communication, s’est spécialisée dans la direction de projets web. Elle rejoint la ville deRennes en 2004 comme responsable du Pôle Web puis du service Innovation Numérique, un servicemutualisé entre la ville et la métropole. Elle dispose d’une connaissance concrète des problématiquesd’usages du numérique et d’e-administration dans les collectivités territoriales. Elle pilote le programmeopen data rennais depuis son lancement en 2010.

Bruno MARZLOFF est sociologue, fondateur en 1993 du cabinet de prospective Chronos. Pour lui, mobiliser les acteurs de la ville autour des mutations (les mobilités, le travail, l’écosystèmenumérique urbain, le climat) est une constante. Le récent rapprochement de Chronos avec OuiShare ausein d’un Lab commun ouvre de nouvelles perspectives sur la data en commun (#DataCités), la recomposition radicales des mobilités (#Mobility As Networks) ou encore les opportunités des villesmoyennes (#Sharitories).

Nicolas RIO est consultant-chercheur en stratégies territoriales, au sein de l’agence Partie Prenante.Politiste, il s’intéresse aux transformations de l’action publique territoriale. Il a notamment soutenu sathèse sur l’usage de la prospective par les régions et les métropoles. Il enseigne par ailleurs à l’EcoleUrbaine de Sciences Po.

Mathieu SAUJOT est coordinateur de l’initiative Transition numérique et écologique à l’Iddri. Ingénieuret docteur en économie, il y mène des travaux de recherche depuis 2010 sur un ensemble de thématiquesreliant la ville et la transition écologique. Il coordonne aujourd’hui avec la Fing (Fondation InternetNouvelle génération) le projet Audacities sur la gouvernance de la ville numérique réelle et le projet NewMobility, Clean Mobility de prospective de la mobilité autonome et partagée.

Cédric VERPEAUX est responsable du programme « smart city » à la Direction des investissements etdu développement local de la Caisse des Dépôts. Il travaille depuis près de quinze ans sur les enjeux dudéveloppement numérique et des territoires. Depuis 2012, il est en charge de la stratégie et desinvestissements (prise de participation ou création de sociétés) sur l’ensemble des thématiques de lasmart city : transport et mobilité, énergie, environnement, tiers-lieux, services urbains, data... Il travailleégalement avec les collectivités sur ces sujets en accompagnement, ingénierie et financement.

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5Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Un archipel d’expertises : les contributeurs de la SCET, CITADIA, Aatiko Conseils et SpallianActeur majeur du développement local, la SCET assemble des expertises d’excellence en synergie avec ses filiales CEI,société de conseils et d’évaluation immobilières, CITADIA, une référence du conseil en aménagement du territoire, etAatiko Conseils, spécialisé en stratégie et management auprès des bailleurs sociaux. Partenaire stratégique, Spallian,un des leaders français dans le domaine des data analytics est un pilier de cet édifice.

Julien BERTRAND est géographe-urbaniste, diplômé du CESA de Tours et de l’Institut d’Urbanisme de Lyon. Il est associé du groupe CITADIA depuis 2003. Coordinateur national du groupe en charge du développementcommercial et stratégique, il est également un acteur référent en matière de planification territoriale etd’urbanisme réglementaire sur l’ensemble de la région PACA et Corse.

Kevin GUEREL est diplômé de l’Ecole Française des Attachés de Presse et intervient sur l’ensemble du territoirenational sur des enjeux de participation citoyenne et de communication publique. Formateur, il développe uneapproche associant ouverture, créativité (design thinking, idéation), pragmatisme et méthode (leanmanagement) tel que le premier hackathon d’urbanisme en France.

Léone-Alix MAZAUD, après une expérience de 2 ans comme consultante en stratégies territoriales climat-air-énergie et urbanisme durable chez I Care & Consult, a rejoint la SCET en tant que consultante ville intelligente etdonnées où elle assure des missions de conseil et d’expertise sur des sujets transverses liés au développementurbain et territorial. Elle est diplômée d’un master en stratégies territoriales et urbaines à Sciences Po Paris etd’une double licence en mathématiques à la Sorbonne et Sciences sociales à Sciences Po.

Julien MEYRIGNAC, diplômé de l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement de la Sorbonne, a fondé en 1997 legroupe de conseil pluridisciplinaire CITADIA, filiale de la SCET depuis juin 2017. Il a conduit de grands projets deterritoires et urbains en développant une approche et des méthodes originales qui ont fait école. Expert,enseignant/formateur et conférencier il est l’auteur de « Hypermanifeste » (2007).

Pierre-Louis ROUSSEL est associé du cabinet Aatiko Conseils. Il est responsable de la veille numérique et dudéveloppement des offres d’accompagnement à la digitalisation des métiers des bailleurs sociaux. Depuis 3 ans,sous son impulsion, Aatiko Conseils accompagne les bailleurs dans la définition de leur stratégie de déploiementdu BIM (ou maquette numérique), en intégrant toutes les dimensions (organisation interne, maturité du SI et desprestataires, plus-values opérationnelles, format des données…) et en s’appuyant sur les réseaux de start-up pourproposer des scénarios plus agiles.

Valérie TESSIER est experte à la SCET en ingénierie de dispositifs innovants pour les territoires en faveur del’efficacité énergétique des bâtiments publics et de l’habitat. Elle est aussi cheffe de projet de plusieurs missionsde stratégie immobilière de grands comptes. Ayant développé une réflexion innovante pour la transitionénergétique et écologique appliquée au bâtiment, elle apporte son expertise en coordination de réseauxd’acteurs et animation d’ateliers participatifs et de concertation avec les parties prenantes.

Marie TYL, forte d’une double culture scientifique et en sciences sociales, pilote le développement des activitésde data analytics chez Spallian depuis 2015. Elle est diplômée en sciences et technologies à l’Université Pierre etMarie Curie et en affaires publiques à Sciences Po Paris. De précédentes expériences dans les relations publiqueset le secteur de la sécurité, l’ont amenée à exercer à Dubaï, Tunis, Bruxelles puis Paris, au sein d’entreprisesindustrielles et d’entités institutionnelles.

Orianne VALES, consultante « Mobilité et services urbains » à la SCET, apporte son savoir-faire en gestion deprojets complexes faisant appel à de multiples compétences transversales. Elle accompagne les collectivitésdans leurs réflexions sur les thématiques de mobilité, inter-modalité, multi-modalité, dé-mobilité. Faisant appel àdes partenariats, elle coordonne des missions portant sur des solutions des nouvelles mobilités : pôles d’échangemultimodal, tarification intégrée, politiques publiques d’encouragement au report modal.

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VILLES DE DEMAIN : LES ENJEUX DU NUMÉRIQUENUMÉRO COORDONNÉ PAR ANTOINE COURMONT, SCIENCES PO PARIS

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Sommaire

Numérique et territoireNUMÉRIQUE, LA FIN DES TERRITOIRES ?........................................................................7

L’AMÉNAGEMENT NUMÉRIQUE DU TERRITOIRE : QUEL (NOUVEAU) RÔLE DE LA PLANIFICATION ? ..........................................................11

SMART CITY VERSUS STUPID VILLAGE ?.......................................................................13

LE NUMÉRIQUE, UNE LUMIÈRE NOUVELLE SUR UN VIEUX MONDE................................15

Données et gouvernance urbaineQUI GOUVERNE(RA) LA VILLE NUMÉRIQUE ? ................................................................21

DES DONNÉES PUBLIQUES AUX TRACES NUMÉRIQUES : LA DATA DANS LA VILLE.................................................................................................22

QUAND LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES TRANSFORMENT NOS TERRITOIRES.........27

UN NOUVEAU MODÈLE DE FINANCEMENT POUR LA VILLE ? ........................................32

NOUS SOMMES LES VILLES INTELLIGENTES .................................................................35

GOUVERNER AUTREMENT L’URBAIN : LA DATA, UNE QUESTION DE SAVOIR ET DE POUVOIR ..................................................39

La fabrique urbaine dans la ville intelligenteÀ RENNES, UN SERVICE PUBLIC MÉTROPOLITAIN DE LA DONNÉE ...............................45

CULTURE NUMÉRIQUE, CULTURE URBAINE : L’AMÉNAGEUR RESTE UN FACILITATEUR .......................................................................49

DÉVELOPPER L’INNOVATION NUMÉRIQUE : LES PRATIQUES DES TERRITOIRES ...............................................................................54

CROWDSOURCING URBAIN ET PARTICIPATION CITOYENNE NUMÉRIQUE ..................62

Glossaire

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Le numérique, un espacea-territorial ?

Àpartir des années 90, avecle développement massifd’Internet et du web, les

promesses autour de la créationd’un « village global »1, où lesfrontières et les distances seraientabolies par les technologiesnumériques, se sont multipliées.Un nouveau monde virtuel etdéterritorialisé, s’offrait aux in-ternautes qui pouvaient dévelop-per librement leurs pratiques tout en s’affranchissant des contraintes légales. Les pionniersdu numérique y ont développésune culture libertarienne, commele manifeste la « Déclaration

d’Indépendance du Cyber -espace »2, qui acte leur souhaitde se dispenser d’institutionsrégulatrices au sein de ce nou-veau monde. Dans cette perspec-tive, les logiques étatiques et ter-ritoriales entrent en contradictionavec ce nouvel espace virtuel.De fait, les débats sur le respectde la propriété intellectuelle, ouplus récemment du droit à l’oubli,révèlent le décalage entre l’échelled’Internet et celle des juridictionspolitiques. De même, les villesse trouvent aujourd’hui largementimpuissantes face à ces nou-veaux acteurs que sont les plate-formes, qui agissent localementsans être situées territorialement,rendant plus complexe toute

volonté de régulation de leurspratiques. Les approches territo-riales semblent peu appropriéespour réguler un espace global,qui nécessiterait une gouver-nance à cette échelle3. Le déve -loppement du numérique mar-querait ainsi la fin des territoireset questionnerait, dès lors, nosinstitutions pensées et construi -tes pour gouverner des espacesterritoriaux.

L’inscription territorialedu numériqueL’immatérialité des flux d’infor-mations repose sur des infrastruc-tures matérielles. Le numériques’incarne dans des lieux, des

NUMÉRIQUE, LA FIN DES TERRITOIRES ?

Face à une fin longtemps annoncée à l’ère de lamondialisation, les territoires résistent bel et bien. C’est ce que souhaite démontrer cet article, en mettant enévidence quelques interrelations entre numérique etterritoires. D’une part, le numérique s’inscrit dans lesterritoires par le biais d’infrastructures matériellesnécessaires à son déploiement. D’autre part, le numérique produit de nouvellesreprésentations spatiales qui s’interfacent avec l’espace physique et font évoluer lespratiques territoriales.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Numérique et territoire

Antoine COURMONTChercheur, Sciences Po Paris

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réseaux, des capteurs, des ordi-nateurs, des data centers, etc.qui sont déployés dans les terri-toires selon des logiques parti -culières et des intérêts divers. Lalocalisation de ces infrastructuresest cruciale et démontre que leterritoire a encore une significa-tion à l’ère du numérique. Pourdes enjeux économiques toutd’abord, avec par exemple, lesfirmes financières qui investissentmassivement pour positionnerleurs data centers au plus prèsdes places boursières et ainsigagner de précieuses micro- secondes. Mais également, pourdes questions de souveraineté,les états tentent de mettre enœuvre des formes de territoriali-sation d’Internet. Particulière-ment mis en exergue par le GreatFirewall chinois4, l’objectif est dese réapproprier l’Internet pour en faire une infrastructure souscontrôle pour des raisons tantécono miques que politiques (cen-sure, surveillance, etc.). Loin dese limiter au cas chinois, ceprocessus de territorialisation estégalement perceptible dans lesdébats actuels sur la localisationdes données. Alors que la Com-mission Européenne souhaite en-courager la libre circulation desdonnées (free flow of data), ellese heurte à certains pays mem-bres (France, Allemagne) attachésà un stockage national de cer-taines données.

Localement, les collectivitésdéveloppent des politiques d’amé-nagement numérique de leur ter-ritoire visant à mettre en placeles conditions favorables à l’in-novation. Le déploiement deréseaux très haut débit (THD) oul’implantation locale de data cen-ters en sont les exemples les plusrécents. Ces actions volontaristesdes pouvoirs locaux visent à main-tenir l’attractivité de leurs terri-toires pour les habitants et lesentreprises. En effet, contraire-ment aux espérances initialesd’un monde où toute distanceserait abolie, le numérique tendà amplifier les fractures spatialeset sociales, conduisant à un risquede relégation de certains terri-toires. Les promesses d’un renou-veau des territoires ruraux grâceau travail à distance permis par les technologies de la com-munication ont fait long feu. L’économie numérique se con-centre dans des hubs de richesseset de savoir-faire, essentiellementdans les principales métropoles,de moins en moins dépendantsdes périphéries5. L’exemple del’industrie financière est parti -culièrement révélateur. Elle ne re-

pose sur aucune matérialité etpourrait donc être localisée n’importe où. Pourtant, sa con-centration spatiale s’est accrueparce que les interactions, lesconnaissances informelles et lesrencontres en face à face sontcruciales à son développement.Autre exemple, le site Internetjeuxvideo.com, créé en 1997 àAurillac, a longtemps été lapreuve qu’Internet était une op-portunité de développementéconomique pour des territoiresisolés situés loin des aires métro-politaines. Devenu leader en Europe et numéro 3 mondial, lesite a été racheté pour 90 millionsd’euros par Webedia à l’été 2014.L’acheteur a alors contraint lessalariés de jeuxvideo.com à re-joindre ses équipes toulousainesou parisiennes pour développerdes synergies avec ses autressites, mais également pour luttercontre les problèmes « logis-tiques » liés à l’éloignementcomme en témoigne le directeurgénéral de Webedia : « à Paris,la rédaction sera plus près deséditeurs de jeux vidéo et des ac-teurs du secteur. Elle s’est parfoisvu reprocher de vivre un peu dansson coin, sans aller beaucoup sur les salons professionnels »6.Cet exemple de relocalisationmétropolitaine d’une entreprisenumérique souligne l’importancede la proximité physique dans ledéveloppement économique,même dans le cas d’activités im-matérielles. Malgré quelques réus-sites éparses7, contrairement àce que laissent croire les adeptesdu « solutionnisme »8 techno -logique, le numérique ne peutêtre considéré comme une solu-tion au désenclavement territorial.Internet n’a pas aboli les dis-tances : au contraire, la localisa-tion est toujours aussi importante,les hiérarchies spatiales n’ont pas

“ Les états tentent de mettre en œuvre desformes de territorialisation d’Internet ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Un data center : les données sont localisées quelque part…

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disparu et il importe d’être biensitué pour jouir pleinement denos sociétés contemporaines9.

Au sein même des villes, le numé -rique risque de renforcer les dif-férenciations spatiales. De nom-breuses recherches ont pointé lerôle central joué par les réseauxd’eau, d’électricité ou de transportdans la construction et la cohé-sion des territoires. Cette dimen-sion d’intégration sera-t-ellepréservée avec les réseauxnumériques ? La polarisation desinvestissements sur les espacesles plus valorisés des grandesvilles fait courir le risque d’un« splintering urbanism »10. Lessmart grids par exemple, cesréseaux électriques intelligentsdéployés à l’échelle d’un quartier,ne vont-ils pas conduire à denouvelles enclaves territoriales ?Ces questions restent aujourd’huien suspens. Elles soulignent toutefois que tous les territoiresne sont pas égaux face aunumérique, mais que ce dernierse déploie différemment selonles espaces.

Evolution desreprésentations,évolution des pratiquesterritoriales La relation entre le numériqueet les territoires se joue égalementau travers des représentationsde l’espace. Le numérique se caractérise par son caractère« pervasif »11 : les technologies del’information ne sont plus loca -lisables uniquement dans les machines, mais elles se déploientdans l’ensemble de l’environ-nement urbain. La multiplicationdes capteurs, de la carte de trans-port au téléphone portable enpassant par les caméras, permetde détecter, mesurer et enregistrerce qui se passe dans la ville. Cesnouvelles sources de données offrent de nouvelles représenta-tions de la ville. Des représen -tations toujours plus riches et précises au point que certainscaressent l’espoir de proposerdes modélisations systémiquesde la ville, sans toujours être conscient du caractère réduction-

niste des opérations de mise endonnées.

Cette nouvelle couche informa-tionnelle permet à de nouveauxacteurs de produire des représen-tations du territoire alternativesà celles des institutions publiques.Le secteur de la cartographie est à ce titre révélateur. Alorsque l’IGN était doté d’un quasi-monopole dans la représentationdu territoire, il a vu en moins dedix ans l’émergence d’entreprisesprivées (Google Maps, Here) etd’organisations citoyennes (OpenStreet Map) dont les cartogra-phies sont parfois plus à jour ou plus précises que celles de l’IGN. Toutes ces « petites cartesdu web »12 viennent ainsi com-pléter ou mettre à l’épreuve les« grands récits cartographiques »,produites par les institutionspubliques visant à produire unereprésentation commune dumonde. Ces nouvelles représen-tations de l’espace peuvent con-tribuer à mettre en évidence certains problèmes, susciter desdébats publics, changer l’imagede certains quartiers voire con-tribuer à transformer l’actionpublique. Les cartes de criminalité,dont les pays anglo-saxons sontfriands, sont, à ce titre, révéla -trices des controverses issues deces nouvelles représentations quirendent visibles des expériencesde la ville qui étaient gardéessous silence.

Plus généralement, la prolifé -ration des représentations car-tographiques est au cœur de laville intelligente. La carte joueen effet un rôle d’« interface as-surant la correspondance entreles mondes physiques et numé -riques »13. Interactive, la carte estdésormais actualisée en tempsréel et personnalisée pour chacunde ses utilisateurs. Géolocalisés,ces derniers sont placés au centrede la carte dont le contenu évolueselon leur localisation, leurs carac -téristiques et leurs préférences.La carte est adaptée au contextespatial de chaque usager et à

“ La relation entre le numérique et les territoires se joue également autravers des représentations de l’espace ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Numérique et territoire

Derrière le web « dématérialisé », un écosystème (expertise, logistique,finance…) territorialisé

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l’action qu’il s’apprête à effectuer.Avec le numérique, la cartechange de nature : alors qu’elleavait auparavant une vocationdescriptive (dire ce qui est), elleest maintenant insérée dans uncadre d’action (faire faire). Dèslors, ce n’est pas seulement lareprésentation du territoire quiévolue, c’est également sa pra-tique. Les mobilités urbaines sontrévélatrices de ces évolutions. La géolocalisation a permisl’émergence de nouveaux servicesde mobilité. Sans la généralisa-tion de cette technologie via lessmartphones, Uber n’aurait, parexemple, pu développer son ser -vice de mise en relation de chauf-feurs et de voyageurs. En outre,les applications d’aide à la navi-gation se sont multipliées cesdernières années offrant auxvoyageurs une information entemps réel sur l’ensemble des of-fres de transport à sa disposition.

Ces nouvelles représentations del’espace ont des effets sur la gou-vernance des territoires. En effet,alors que les villes industriellesse caractérisaient par la régula-tion des réseaux urbains, lenumérique fait apparaître unenouvelle couche de régulation,déliée des infrastructures, et cen-trée sur les usagers. Cette nou-velle forme de régulation urbaine,

que l’on peut qualifier de « post-réseau », ne cible plus des fluxde voyageurs dépendant d’unréseau de transport, mais vise à inciter les individus à passerde l’un à l’autre. La régulationdes transports urbains se dépla-cent ainsi des réseaux aux indi-vidus envisagés dans toute leursingularité.

Quel espace commun àl’ère du numérique ? Si, comme le souligne judicieuse-ment Antoine PICON, les techno -logies de l’information et de lacommunication, contrairementà l’automobile, ne semblent pas avoir d’effets sur la forme urbaine14, tous les territoires nesont pas égaux face au numé -rique. Le numérique semble ren-forcer les disparités territorialeset l’émergence de hubs métro-politains, où se concentrent popu -lations, richesses, savoirs et connexions. Cela soulève la question du maintien d’une co-hésion territoriale à l’échelle desdifférents niveaux de gouverne-ment, de l’Europe à la commune,pour éviter que le numérique ac-centue les inégalités sociales etspatiales. Cette question se poseégalement avec l’évolution desreprésentations toujours plus per-sonnalisées du territoire. Si lesreprésentations de l’espace sontsingularisées pour chacun d’entrenous, nous ne voyons et ne pra-tiquons le monde qu’à partir denotre point de vue, de la « bulle »15

dans laquelle nous placent lesalgorithmes de personnalisation.Pour faire société, il est nécessairede conserver des références com-munes afin que le collectif s’ac-corde sur ce qui est sur ce qu’ilpartage. Ces deux points renfor-cent l’importance du rôle de l’Étatet des pouvoirs publics pour main-tenir une cohésion territoriale etdéfendre une représentationpartagée de l’espace dans lequelse déploie la société. n

1- Manuel CASTELLS, La GalaxieInternet, Paris, Fayard, 2002.

2- Ecrite en 1996 par John PERRYBARLOW, consultable en ligne

3- Boris BEAUDE, Les finsd’Internet, Limoges, FYP, 2014.

4- Le Grand Firewall de Chine,dénommé par analogie avec laGrande Muraille de Chine, est lenom usuel du projet « bouclierdoré », un projet de surveillanceet de censure d’Internet

5- Pierre VELTZ, La société hyper-industrielle. Le nouveaucapitalisme productif, La République des idées, Paris,Seuil, 2017.

6- Aurillac ou Paris : l’heure duchoix pour les salariés deJeuxvideo.com, Le Monde, 27 janvier 2017

7- Voir par exemple « Que peut lenumérique pour les territoiresisolés ? », rapport publié parTerra Nova avec Google France,Janvier 2017

8- Evgeny MOROZOV, To saveeverything, click here: the follyof technological solutionism,New York, Public Affairs, 2013.

9- Michel LUSSAULT, De la luttedes classes à la lutte des places,Paris, Grasset, 2009.

10- Qu’on peut traduire par« urbanisme éclaté ». StephenGRAHAM et Simon MARVIN,Splintering Urbanism.Networked infrastructures,technological mobilities and theurban condition, New York,Routledge, 2001.

11- Dominique BOULLIER,Sociologie du numérique, Paris,Armand Colin, 2016.

12- Matthieu NOUCHER, Les PetitesCartes du web. Analyse critiquedes nouvelles fabriquescartographiques, Paris, EditionsRue d’Ulm, 2017.

13- Antoine PICON, Smart Cities.Théorie et critique d’un idéalauto-réalisateur, Paris, EditionsB2, 2013.

14- Ibid.15- Eli PARISER, The filter bubble:

what the internet is hiding fromyou, s.l., Penguin, 2011.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

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Fracture numériqueterritoriale : winter is stillcoming

Plusieurs députés ont récem-ment déposé une proposi-tion de loi projetant de cou-

pler à la création d’un Fondsd’Aménagement Numérique Territorial une contribution desolidarité numérique applicableà tous les abonnements domes-tiques1 : c’est donc que l’amé-nagement numérique nationalpose aujourd’hui problème, celuid’une certaine inégalité territorialeen émergence opposant les ter-ritoires « connectés » et les zonesblanches. L’extrait du projet deloi ci-après en dit long sur la ques-tion : « notre pays est aujourd’huidivisé par une véritable fracturenumérique, avec d’un côté lesagglomérations et les métropolesurbaines connectées au très hautdébit, dotées de la fibre et de la4G, et de l’autre des zones ruraleset de montagne, où l’accès aubas débit est bien trop souventla norme, avec des problèmesrécurrents de connexion auréseau. Double peine, elles sontaussi souvent mal desservies entéléphonie mobile, pudiquementdésignées sous le nom de « zonesblanches » ou zones grises ».

Le temps 1 del’aménagementnumérique, planificationprogrammatique Rappelons que le déploiementdes nouvelles technologies del’information et de la communi-cation (NTIC) a été intégré dès2009 aux politiques publiquesd’équipements des territoires2. Il s’est alors inscrit au sein dedocuments d’orientations conçustant à l’échelle régionale (les SCoRAN3) que départementaleou en groupement (SDTAN4). Ainsi, depuis lors, chaque terri -toire – et en particulier les terri-toires ruraux – s’est attentivement

penché sur l’état de sa couver -ture numérique, a édicté le pro-gramme d’équipements à réaliser,a désigné la prise en charge de l’exploitation du réseau, qu’il soit intégralement privé ou conçupar le public puis proposé en délégation.

Dix ans plus tard, la dessertenumérique « très haut débit » enFrance est à la peine. Assurément,dans les territoires ruraux où leszones de réseau public ne trou-vent pas preneur, mais également,plus surprenant, parfois au seinmême des espaces métropoli-tains. Ainsi, en juillet 2017, les pre-mières pénalités ont été infligéesà un prestataire gestionnaire

L’AMÉNAGEMENT NUMÉRIQUEDUTERRITOIRE : QUEL (NOUVEAU) RÔLE DE LAPLANIFICATION ?

Si le numérique est bien la nouvelle électricité duXXIe siècle, le jus de la 3erévolution industriellechère à Jeremy RIFKIN(TRI), un service publicuniversel devenu indispensable à tout territoire, commentla fracture territoriale peut-elle être advenue dans un paysaussi expert en planification que la France ?

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Numérique et territoire

Julien BERTRANDAssocié, CITADIA

Dans le cadre du plan « France très haut débit », le département de laCharente est lauréat de l’appel à projets national et bénéficie duprogramme « zones blanches centres-bourgs » : une mise en œuvreassurée par Territoires Charente qui assure la mise en place de pylônes afind’améliorer la couverture du territoire en téléphonie mobile et Internet

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d’une zone de contractualisationtrès en retard sur le déploiementde son réseau5. Il s’agissait pour-tant d’une zone métropolitainetrès dense : de la théorie (planifi-cation programmatique) à la pra-tique (déploiement), l’aménage-ment numérique a pris du retard.L’AVICCA6 dénonce une actiondes opérateurs « trop molle », leraccordement étant priorisé surles sites les plus faciles, créantdans les villes, à l’instar des terri-toires ruraux sous-équipés, desespaces numériques délaissés,desservis par des débits faibles,moins attractifs en matière delocalisation économique et rési-dentielle que les zones pourvues.

La transition numériquepar le territoire En dotant, dès 2010, lors duGrenelle 2 de l’environnement,les documents d’urbanisme régle -mentaires7 de la compétenceaménagement numérique, le législateur a souhaité aller au-delà de la simple programmationopérationnelle ou financière etinciter les acteurs du développe-ment local à envisager lenumérique à travers une dé-marche transversale, intégrée ausein des trois étapes de concep-tion d’un projet de territoire : • Le diagnostic permet de bâtir

une stratégie portant à la foissur les infrastructures de com-munication mais également sur les usages et les servicespotentiels pouvant être mis àprofit.

• Le projet d’aménagement et de développement durable fixeles contributions du numériqueen matière d’infrastructure etd’usages.

• Document prescriptif, le docu-ment d’orientations et d’objectifsdélimite les sites « critères dequalité renforcés en matière d’in-frastructures et réseaux de com-munications électroniques »,l’imposition de débit numériqueplancher pouvant par exempleconditionner certaines ouver-tures à l’urbanisation ou touteautre opération de projet urbain.

Si l’intégration du numérique dans les schémas d’urbanismea, dans un premier temps, débous-solé les équipes d’études (com-pétence, intérêt, compréhensiondes dynamiques à l’œuvre...), son adoption progressive s’esteffectuée depuis... mais de façoninégale, souvent encore trop limi -tée à quelques principes simplesde prise en compte. Une intégra-tion a minima qui reste insuf -fisante pour stimuler la diffusiondu numérique et enclencher latransition.

À l’inverse, lorsque la questiondu numérique est incluse dansla stratégie globale de développe-ment, un engagement nouveaupour l’innovation et le développe-ment s’enclenche. C’est ce quedémontre l’expérience du plan« territoire numérique » du Paysde Saint-Omer8. À partir d’unedémarche ouverte et concertéevisant à cerner les besoins desprofessionnels et des habitants,le Pays a construit un plan d’ac-tions détaillé en 5 volets opéra-tionnels couvrant toutes les problématiques du développe-ment local allant de l’emploi à laculture, la santé, l’e-administra-tion... et comme corolaire, l’ex-tension et l’inventivité pour éten-dre les infrastructures et les so-lutions de desserte (Wii zones,quartiers intelligents...).

L’approche globale, lasolution de l’intégration L’équipement numérique ne peutse déployer qu’en face d’usageset de besoins avérés et organisés,après la planification program-matique et la planification terri-toriale : de ce fait, les territoires(les régions) se saisissent au-jourd’hui de la question dunumérique à partir d’une ap-proche globale9. Cette démarcheintégratrice a pour avantage des’ancrer dans un projet dedéveloppement co-écrit avec lesutilisateurs finaux et donc d’ar-ticuler adéquatement, et progres-sivement, un investissement col-lectif (le réseau) avec un besoin(l’usager). Elle démontre égale-ment les limites de la planificationthéorique, et donc la nécessitéde faire naître, par la concertation,l’échange et l’adhésion, une enviede développement numérique. n

1- Proposition de loi visant à créerune contribution de solidariténumérique pour financer le Fondsd’aménagement numériqueterritorial

2- Loi n° 2009-1572 du 17 décembre2009 relative à la lutte contre lafracture numérique

3- Stratégie de cohérence régionaled’aménagement numérique

4- Schémas directeurs territoriauxd’aménagement numérique

5- Près de 100 millions d’euros6- Association des villes et

collectivités en charge dunumérique (AVICCA)

7- Schéma de cohérence territoriale(SCoT) et plan local d’urbanisme(PLU)

8- Ou encore le PLUi de lacommunauté d’agglomérationde Flers

9- Ainsi, le conseil régional du Nordavait stipulé, dans le cadre deson schéma directeur des usageset services numériques, le motd’ordre suivant : « sans réseaupas d’usages, sans entreprise pasde services, sans services pasd’innovations »

“ Le législateur a souhaité aller au-delàde la simple programmationopérationnelle ou financière ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

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La révolution numérique està l’œuvre, et impacte toutesles collectivités françaises,

petites et grandes, urbaines etrurales. Habitants et touristesconnectés, entreprises et parte-naires avec des besoins de con-nectivité… Le numérique n’estplus un choix mais s’impose auxcollectivités car leurs usagerssont déjà entrés dans « l’èrenumérique ».

Les grandes agglomérations etmétropoles se sont d’ores et déjà saisies du numérique pouroptimiser leurs services : lieuxd’innovation, nouvelles mobilités,éclairage intelligent, gestion in-novante de l’eau et des déchets…Qu’en est-il pour les (plus) petitescommunes ? Si leurs élus et dé-cideurs ont conscience que lenumérique peut aider à améliorerla gestion des services et à ren-forcer l’attractivité du territoire,ils ignorent encore souvent dequelle manière et pointent no-tamment des carences en termesde sensibilisation, ingénierie etfinancement.

Des solutions « smart »encore peu développéesdans les petites villes Devant ce constat, la Caisse desDépôts, en partenariat avec deux

associations d’élus (APVF etADCF1), a mené une enquêtequantitative et qualitative réa -lisée auprès d’un échantillonreprésentatif d’une centaine decollectivités en France, qui a per-mis de dresser un panorama desbesoins et initiatives localeslancés par de « petites villes »,c’est-à-dire les villes centres d’uneintercommunalité et comptantentre 8 000 et 25 000 habitants.

Plusieurs constats peuvent êtreposés. D’une part, la questiondes infrastructures numériquesreste centrale et prioritaire parrapport au développement deservices numériques. Près de lamoitié des enquêtés (élus et di-recteurs généraux des services)estime en effet que le très hautdébit (THD) constitue une priorité.Viennent ensuite les premiers besoins essentiels et souventobligatoires comme la dématéri-alisation et l’e-administration.Mais lorsque ces villes dévelop-pent des solutions numériquesplus innovantes, c’est davantageau coup par coup et par oppor-

tunisme, sans avoir établi aupréalable de stratégie numériqued’ensemble.

La smart city et ses services ap-pellent, il est vrai, un certain nom-bre de questions. Un investisse-ment dans un service urbain« smart » peut en effet être coû-teux, mais quelle est l’assurancesur un potentiel retour sur inves -tissement ? Un service innovantparait séduisant, mais quel estle risque d’obsolescence à courtou moyen termes ? Quels sontles niveaux de compatibilité etd’interopérabilité avec d’autrestechnologies et services déjà ins -tallés dans la ville ? La populationacceptera-t-elle les change-ments ? Enfin, pour les projetsles plus matures, quid de la pro-priété et de l’usage des données ?Il s’agit ici de sujets complexes,techniques, avec un rythme d’évo-lution rapide, et qui nécessitentsouvent une expertise et une in-génierie qui freinent leur déve -loppement dans les petites villes.

En parallèle, l’approche commer-ciale des industriels de la smartcity cible encore aujourd’hui enpriorité les grandes villes voireles villes moyennes, avec desmarchés estimés plus accessibleset une rentabilité espérée plusgrande.

SMART CITYVERSUS STUPID VILLAGE ?

Le concept de smart city est-il uniquement réservé aux métropoles ou aux grandes villes ? Les plus petitsterritoires ne peuvent-ils pas, eux aussi, prendre part à cemouvement ? Décryptage des enjeux des solutions« smart » pour les territoires périurbains et ruraux.

“ Le numérique n’est plus un choix maiss’impose aux collectivités ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Numérique et territoire

Cédric VERPEAUXResponsable du pôle « Villes et territoires intelligents », Caisse des Dépôts

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Des facteurs clés del’innovation et de latransformationLes secteurs désignés commeprioritaires par les villes (eau,déchets, éclairage…) ne sont pas toujours les mieux traités.Pourtant, il existe un large panelde solutions innovantes déploy-ables et utiles pour ces com-munes et intercommunalités.Voire même des services smartplus efficaces dans les petites

villes que dans les zones urbainesdenses, comme par exemple lagestion intelligente des déchets.

Alors, quelles actions mener pour enclencher la modernisa -tion de ces territoires et de leurs services ? D’abord, sensibiliser.Autrement dit, associer les petitesvilles et leurs EPCI aux débatsautour du numérique et de sesenjeux, mettre à leur dispositiondes moyens d’informationsréguliers afin de les encouragerà mieux connaître les solutions

qui existent et à adopter unestratégie numérique globale (no-tamment en ayant une meilleureconnaissance des retours sur investissement). En termes de financement, les différents dis-positifs de soutien existants etnotamment les fonds régionaux,nationaux ou européens en faveurdu développement numérique,doivent également être identifiéset mieux utilisés par ces collec-tivités. En parallèle de cette néces-saire information des élus et dé-

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

À Dreux, un quartier connecté dans le cadre du NPNRUGEDIA, SEM de distribution d’électricité à Dreux et de gaz dans de nombreuses communes d’Eure-et-Loir,producteur d’énergie renouvelable depuis 2012, a réalisé pour le compte de la communauté d’aggloméra-tion du Pays de Dreux une étude recensant les solutions déployables dans le cadre d’une gestion urbaineoptimisée. Le projet s'inscrit dans le Nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) lancé parl'ANRU et a pour partenaires, l’agglomération du pays de Dreux, la ville de Dreux, la ville de Vernouillet etl’HABITAT DROUAIS (bailleur social).L’approche pour élaborer un quartier intelligent repose sur l’utilisation du patrimoine urbain commecolonne vertébrale d’un futur réseau communiquant, en ajoutant aux candélabres, aux bâtiments publicsou aux postes de distribution, des capteurs additionnels qui permettent de collecter les données, d’opti-miser l’utilisation des ressources afin d’accroitre l’interactivité de l’usager avec l’environnement urbain.Gédia développe pour cela des outils d’aide à la décision et d’optimisation pour réaliser des économiesd’énergie, d’eau et une meilleure gestion de l’habitat, notamment pour :• Etablir un réseau de collectes de données (compteurs d’eau, compteurs électrique, compteurs de chauffage...).• Assurer la gestion et le contrôle de systèmes urbains (arrosage, panneau d’affichage, éclairage public...).• Générer de l’open data (données issues de capteurs de la ville (pollutions, températures...), donnéespubliques mises à la disposition des usagers et la création de services urbains.• Rendre le consommateur acteur.

L’étude présente ainsi de nom-breuses applications : mesure dutrafic en temps réel, gestion de la circulation, optimisation du sta-tionnement, alertes à la pollution,détection des nuisances sonores,mesure des flux de passage, pilo -tage de l’éclairage public, maintiendes séniors à domicile, réseaux sociaux de proximité, gestion desdéchets... Elle donnera lieu à desdiscussions avec la ville de Dreuxet d’autres maitres d’ouvrage afinde préciser les besoins et possibi -lités avant une mise en application.

Gestion des consommations grâceà la télé-relève et à des compteursintelligents

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Le contexte, toujours lecontexte

Toutes les villes sont histoirede contexte et elles onttoujours tiré leur prospérité

de leur capacité à capter les flux

de personnes et de biens. Toutesont ces attributs en commun :une (des) route(s) et/ou une côteet/ou un cours d’eau et/ou unevoie ferrée et/ou un aéroport...Même Brasilia, la plus grandeutopie du 20e siècle le démontre :

avant les immeubles, il aura fallucréer un contexte, terrasser et,phénoménalement, desservir.

Certains pensent – espèrent ? –que cette construction « histo -rique » de la ville est largementbattue en brèche par l’entrée

cideurs, il semble aussi indispen-sable de permettre le développe-ment d’une ingénierie interne,donc de former des agents pourconcevoir et piloter la mise enplace de nouveaux servicesnumériques et être en mesure defaire les meilleurs choix parmi lessolutions du marché.

Sur nombre de ces points, les petites villes et leurs intercom-munalités se trouvent souventseules et démunies, financière-ment ou en termes d’ingénierie.Les dispositifs de mutualisationentre collectivités, à des niveauxdépartementaux ou régionaux,peuvent être une solution mêmes’ils sont aussi complexes à mettre en œuvre, notammentpar leurs montage et gouver-nance. Et nécessitent dans tousles cas une volonté politique forte,au-delà des « concurrences » en-tre territoires. Cette mutualisationpeut aussi permettre de faciliterl’approche commerciale des ac-teurs privés porteurs de solutions

en leur offrant des marchés plusaccessibles et plus rentables.

Enfin, reste la question des don-nées. Se lancer dans une dé-marche de smart city impliquede traiter et d’utiliser une quantitéimportante de données, souventproduites par les délégataires deservices. Comment alors garantirun usage ouvert de celles-ci touten jouant un rôle de tiers de con-fiance par rapport à l’usager ?Comment répondre aux obliga-tions légales d’ouverture des don-nées publiques pour toutes lescollectivités de plus de 3 500habitants ? Ce challenge majeursera encore plus fort au fur et à mesure du déploiement desservices et impacte déjà les métropoles.

La Caisse des Dépôts, partenairehistorique des territoires, accom-pagne aussi les petites collecti -vités dans ces enjeux de la tran-sition numérique. Elle a com-mencé dès le début des années2000 par le développement des

infrastructures télécom et se po-sitionne aujourd’hui comme lepremier investisseur dans lesréseaux d’initiative publique pourpallier les carences du marchéen haut débit et très haut débitsur les territoires moins denses.Pour les services numériques eten termes de sensibilisation, ceguide2 est une première pierre.Des projets sont aussi en courspour favoriser la mutualisationentre territoires, afin de faciliterla rencontre entre leurs besoinset les offres du marché et opti-miser les impacts financiers.

Il reste encore beaucoup à faire,mais les besoins et les offres ex-istent pour que le nombre desmart villages dépasse bientôtcelui des smart cities. n

1- Respectivement Association despetites villes de France etAssemblée des communautés deFrance

2- Guide « Smart city versus stupidvillage ? », Caisse des Dépôts,septembre 2016

LE NUMÉRIQUE, UNE LUMIÈRE NOUVELLESUR UN VIEUX MONDELe numérique ne saurait gommer les atouts « physiques »des villes, qui reposent en partie sur la maîtrise des flux. Le premier impact du numérique sur la ville c’est précisémentd’optimiser les flux, permettant plus d’« agilité ». Cetteagilité convient cependant mieux au soft (matière grise,services, logiciels…) qu’au hard (infrastrustures), entraînantdes conséquences parfois inattendues : dans certains cas, c’est le public qui s’adapte auservice et non l’inverse. De fait, la digitalisation de nos modes de vie accroît la tentation depiloter la ville par la simple satisfaction de la demande, au risque d’en oublier l’intérêt général.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Numérique et territoire

Julien MEYRIGNACDirecteur général, Citadia

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dans l’ère numérique. Rien demoins évident pourtant. Il suffitd’énumérer les villes les plus in-novantes en matière de gestiondes mobilités au sens large pours’en convaincre : Singapour, SanFrancisco, ou plus proche de nousNice… chacune tire parti d’uncontexte ultra-favorable (et d’unehistoire singulière). Les exceptionsà ce constat sont rarissimes :citons Francfort qui a su échapperà son destin de capitale régionaleen réalisant des investissementsmassifs en réseaux de télécom-munication et sur sa plateformeaéroportuaire pour devenir uneplace financière de rayonnementmondial.

L’économie (post)industrielle, toujoursl’économie (post)industriellePour l’heure, il est manifeste quel’économie numérique n’est pasune économie de substitutionmais d’amplification de l’éco -nomie traditionnelle. Du strictpoint de vue des activités, Teslaconstruit des voitures, Amazonet Alibaba font du commercepar correspondance, comme laRedoute depuis 1836. Mais cesnewcomers bénéficient (par lagrâce du numérique) d’une entréerapide et massive sur un marchémondial, générant d’énormes in-vestissements, directs pour lesbâtiments logistiques, et indirectspour les infrastructures, supportsdu flux de marchandises. Qui nesont rien d’autre que des entre-pôts et des routes.

Du point de vue des services,Waze, l’application de navigationde Google, est de toute évidenceun outil au service de l’automobile(et son industrie), la promessede tirer le meilleur parti desréseaux de voiries, et implicite-ment d’en créer de nouveaux. Les applications de gestion dyna -mique des capacités de parking

dans les centres villes ne sontpas destinées à réduire la circu-lation automobile. Ce qui est pro-posé en tout et pour tout parBlablacar, Uber, Moovit… c’estune optimisation de l’existant.

La consolidation de cette« vieille » économie conforte lespositions et les atouts héritéspar les villes (liés au contexte).Elle s’adapte aux contraintesplutôt qu’elle ne les réduit.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Avec le numérique, une mobilité plus résilienteOù est donc la révo-lution qui nous étaitpromise ? Le numé -rique devait raccour-cir les distances, lestemps de parcours,nous amener un véhi-cule sur demande àtout moment et pournous conduire à toutendroit ! À défautd’un paradigme spec-taculaire, le numé -

rique a apporté un véritable confort d’usage pour nos dépla-cements : il a sensiblement augmenté leur résilience.Quelques exemples :• Les calculateurs d’itinéraire en voiture permettent en temps réelde modifier le trajet à emprunter. Ainsi, malgré les éventuels accidents et ralentissements, le temps de parcours est garanti. • Les plateformes d’information multimodale intègrent les offresde court-voiturage. Les usagers trouvent ainsi une alternativeplus facilement en cas de rupture de service de transport encommun (ou à l’inverse, trouvent un transport en commun encas de défaut du conducteur).• Les retards de train sont mieux communiqués et permettent àde nombreux actifs de basculer vers du télétravail, réduisant lacontrainte du transport sur la productivité du travail.Les métropoles bénéficient, par le numérique, d’une économied’investissement sur le capacitaire des flux en pointe horaire(c’est-à-dire l’absorption des « chocs » tels qu’un ralentissementsur voie de circulation, une bascule des cyclistes vers les trans-ports en commun par temps de pluie, etc.). Elles peuvent ainsiconcentrer leurs investissements sur les politiques de transfertmodal, durable et de masse. Afin de continuer à bénéficier des effets positifs du numérique, elles doivent se positionner commeplateforme, capable de distribuer l’information et d’orienter lesflux de voyageurs.En territoire moins dense, le numérique permet de valoriser etsécuriser des pratiques qui ont toujours existé (trajets partagés,prêt de véhicule, auto-stop...). Le bénéfice du numérique est deformaliser ces pratiques, c’est-à-dire quantifier et qualifier leurusage. Les territoires peuvent ainsi ajuster le service public entreoffre structurante et besoin résiduel non couvert. Ces territoiresdoivent se positionner comme stratège, répondant avec agilitéaux évolutions des besoins de mobilité augmentée.

Orianne VALES, Consultante Mobilité et Services Urbains, SCET

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Le numérique, mobilitéset gentrification

Les mobilités, grandesordonnatrices dudéveloppement urbaincontemporainLes villes européennes ontd’abord, suivant les principes mo -dernistes /fonct ionnal istesd’après-guerre, de déviations enrocades, sorti les flux motorisésde leurs centres. Ceci pour deuxraisons principales :• Une raison avouable : désen-

gorger les centres villes du traficet les libérer de ses nombreusesnuisances sur la santé, le patri-moine, le cadre de vie…

• Une raison moins avouable :créer la ville moderne à l’immé-diate périphérie, ce qui est plusfacile et moins cher, doncpromesse de plus-values.

Ce mouvement s’est accompa -gné d’un déclin plus ou moinsprononcé des centres villes, lié àla fuite de l’investissement et dela création de valeurs.

Cette corrélation entre la gestiondes flux et l’économie urbaine etimmobilière est toujours à l’œuvreau XXIe siècle mais suivant unrenversement de valeurs : souventlibérés des contingences de lamobilité professionnelle, les actifsurbains1, tirant le meilleur partide l’économie numérique au ser -vice de la mondialisation, jettentleur dévolu sur les centres villesdont les valeurs immobilières sontsouvent devenues inférieures àcelles de la périphérie. Ces actifsne sont pas seulement attiréspar les opportunités offertes parun patrimoine immobilier revenuà leur portée : ils recherchent lesaménités du centre, conceptua -lisées par les urbanistes sous lesdénominations « ville aimable »,« ville facile » ou autres. Sont par-ticulièrement prisées les condi-tions de mobilité et les servicespublics.

Aujourd’hui, la gentrification descentres peut être constatée(presque) partout. Les centresvilles ont donc cette chance his-torique de pouvoir continuer àse libérer des flux automobilesmais, désormais, pour le bénéficed’une reconquête immobilière etsociale qu’ils n’ont qu’à accompa -gner. Cependant, le réinvestisse-ment coûte cher et les moyenspublics s’amenuisent.

Le numérique, l’organisationdes flux et la planificationdes mobilitésLes politiques de mobilité desvilles, agglomérations et métro -poles intègrent dans leurs réflex-ions les nouveaux outils numé -riques au service des nouveauxbesoins de mobilités (à moinsque ce ne soit l’inverse). La syn-thèse est souvent difficile entrele poids de l’héritage hard, touten infrastructures, gestion desressources humaines (régies) oufinancières (concession), et lespromesses soft, tout en systèmeD ou palliatif.

Les promoteurs du soft sont pourtant très entreprenants,n’hésitant pas à offrir leurs ser -vices aux collectivités, prétendu-ment en contrepartie de la data

« bien commun » qu’ils collectenteux-mêmes gracieusement.Google (Waze) intervient directe-ment dans la gestion quotidiennedes mobilités de grandes métro -poles comme Rio ou Boston. Lesbénéfices attendus de ces entre-prises ne sont pas très mys-térieux : devenir leader et à termeéquiper les matériels roulants (ilsemble inenvisageable de revenirsur la gratuité pour les usagers).

En substance, ce qui reste le plussouvent étudié, projeté et financépar la sphère publique, c’est lehard : d’une part, les supportsdes mobilités structurantes (lesinfrastructures qui connectent la ville à son environnement ré-gional, national voire européen,et les infrastructures armaturesde la ville et son hinterland) etd’autre part, les supports d’ac-cessibilité aux centres villes (lestationnement pour l’essentiel).

Les ouvertures sur le soft sontsouvent dirigées vers les mobilitésintérieures des villes – qui ontlongtemps été appelées « modesdoux », désormais « modes ac -tifs » – et qui correspondent par-faitement aux attentes des gen-trificateurs. Elles sont souventabordées de manière générique.

“ Les actifs urbains [tirent] le meilleurparti de l’économie numérique auservice de la mondialisation ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Numérique et territoire

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Le numérique, nouvel enjeude lutte des classes ?Tout irait donc pour le mieuxdans le meilleur des mondes ur-bains si toutes les catégories socioprofessionnelles étaient con-cernées par la dématérialisationdes échanges et des flux. Mais iln’en est malheureusement rien.Tout le monde n’est pas candidatà la gentrification. Il demeureratoujours ( ?) dans les centres villesune majorité d’actifs qui doiventse déplacer pour rejoindre leurlieu d’emploi : pensons notam-ment au patrimoine en loge-ments sociaux des centres villes,et à la localisation périphériquedes emplois peu qualifiés ou intermédiaires.

Il est à ce titre assez embarras-sant de constater que la gentri-fication des centres, amplifiéepar le numérique, attire les actifsayant a priori le moins besoin dese déplacer dans les villes ayantles meilleurs systèmes de trans-ports collectifs. Tout comme ellene réanime pas le vieux com-merce mais le transforme en pro-

tants. Il structure et stimule leurscomportements, notamment entermes de mobilités. Ces dernièressont plus envisagées sous l’angledes temporalités (des usages)que des infrastructures et desdistances. Les habitants opti-misent leurs déplacements par la gestion du temps : choixde l’heure de départ, duréesouhaitée/acceptable... Et lesservices de transports urbainssont continuellement adaptésen conséquence.

En Europe, des collectivités ontmis en place des « agences dutemps » chargées d’adapter lesservices urbains de toute natureaux besoins des habitants et usagers dans le temps : horairesd’ouverture des services admi -nistratifs, de l’accueil périscolaire,des équipements sportifs, ho-raires et fréquences des trans-ports en commun… Certainesgrandes entreprises optimisentleur fonctionnement en modulantleurs horaires en fonction descontraintes de déplacements (em-bouteillages, heure de pointe destransports collectifs…).

La maîtrise du temps, et descoûts directs et indirects qui ysont rattachés, devient un argu-ment de la vie en ville contre lepériurbain. Les villes doivent êtrefaciles : fluidité des déplacements,polyvalence et optimisation deséquipements publics… Il s’agitd’une politique d’optimisation dupatrimoine et de la ressourcepublics, et d’un changement deparadigme : comment appelle-t-on un service public quand c’estle public qui s’adapte au service ?

Mobilités et infrastructuresLa dématérialisation des échan -ges et les nouvelles pratiques demobilité ne signifient pas moinsd’investissements publics en termes d’infrastructures, au contraire. Le numérique réclamedes réseaux (téléphonie, fibre…),les nouvelles organisations dutravail demandent des locaux

“ Pour les villes comme pour leurs habitants,la problématique des mobilités reste

affaire de classe sociale ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

fondeur suivant les besoins desnéos, poussant les moins fa-vorisés à la mobilité pour faireleurs achats.

On notera qu’il est plus difficilede tenir un discours sur les« modes actifs » à une personnedevant faire 2 km à 6h30 dumatin (pour aller travailler) qu’àune autre devant faire 200 m à8h15 (pour accompagner son enfant à l’école). Ce n’est pas unhasard si c’est Oslo, petite capi-tale au plus fort PIB par habitantdu monde, qui s’annonce premièregrande ville « zéro voiture » pour2019. Pour les villes comme pourleurs habitants, la problématiquedes mobilités reste affaire declasse sociale.

Nouveaux flux, nouvellestemporalités, nouvellesinfrastructures

Mobilités et temporalitésEn Asie (Japon, Corée du Sud),le numérique est omniprésentdepuis de nombreuses annéesdans la vie quotidienne des habi-

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(tiers-lieux…), les nouveaux liens sociaux réclament des es-paces publics/communs. Les nouveaux modes d’achat de lagrande distribution (livraisons,drive…) impliquent une nouvellelogistique.

De nouveaux services, de nou-veaux supports sont et serontproposés aux citoyens/usagersdans l’espace public (comme dumobilier urbain « intelligent » : arrêts de bus, bornes inter actives...)ou par des acteurs privés (points

de livraison, conciergerie urbaine,services bancaires… proposés en complément de leur activitéprincipale par des commerces« traditionnels »).

Cette tendance est mondiale :chacun en a fait l’expérience.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Numérique et territoire

Smart Union, un pilote pour la métropole lilloise : innover à partir des usagesSmart Union est à la fois une démarche globale et un programme d’innovationd’usages destiné à développer desstratégies de type « smart city »sur le territoire de la Métro-pole Européenne de Lille(MEL). Il prend place au sein du projet urbainde l’Union, réa lisé par la SEM VILLE RENOUVELÉE, à lajonction des villes deTourcoing, Roubaixet Wattrelos. Les ob-jectifs sont ambi -tieux et visent àenrichir et moderniserles services proposésaux usagers de l’Union,ainsi qu’à renforcer l’at-tractivité du site et accom-pagner sa démarche d’excel-lence métropolitaine.Au-delà de ces objectifs, la démarcheSmart Union doit permettre à l’Union de consolider sa position en tant que terrain d’expérimentationpour le développement d’usages innovants, permettant de tester des technologies et des usages suscep-tibles d’être généralisés aux villes et à la MEL (passage à l’échelle), en synergie avec les enjeux et politiquesd’innovation des villes et de la MEL. Les projets peuvent être regroupés selon 5 axes :Action 1 – Diversifier les modes de mobilité et développer leur articulation pour les salariés de l’Union età terme tout type d’usagers : covoiturage, vélos partagés, autopartage, navette autonome et connectée.Action 2 – Offrir un lieu physique qui permet de favoriser les échanges et la dynamique sociale,économique et culturelle de l’Union, d’accompagner l’émergence d’une nouvelle centralité sur le territoirede projet, et d’encourager le développement de projets sur le territoire : projet de Tiers-Lieu. Il s’agit doncde mettre un (ou plusieurs) lieux à disposition de tous, pour expérimentations, évènements, convivialitéet échanges, orienté vers la ville durable et connectée en devenir.Action 3 – Mettre à disposition des usagers de l’Union un outil numérique, en lien avec le Tiers-Lieu, pourfavoriser le partage d’informations, l’accessibilité aux services et renforcer les échanges : plateformenumérique de services.Action 4 – Développer le marketing territorial de l’Union pour le grand public et les investisseurs, à l’aidedes compétences locales et à travers les outils de l’image, de réalité mixte et de gamification : l’Union enImages.Action 5 – Optimiser la gestion énergétique des bâtiments implantés sur l’Union et abritant des activitéséconomiques, à l’aide d’un outil mutualisé de gestion et d’exploitation des systèmes, et en s’appuyant surle développement d’intelligence sur le réseau de chaleur du quartier.

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Le numérique produit une glo -balisation des usages et des com-portements à l’échelle planétaire,fabriquant un monde d’ubiquité,d’instantanéité et de standardi-sation : mêmes commerces,mêmes services (Uber…), mêmesinnovations (hub, tiers-lieux…),partout symboles de l’aplatisse-ment de la planète. Les frontièresentre public, commun et privésont progressivement abolies,soulevant cette question : qui administre/finance quoi ?

Le numérique, lesmobilités et l’urbain : de la systémique ausystème ?L’analyse systémique pourun urbanisme de raisonLe renouveau de la planificationurbaine inauguré par la loi SRUdoit beaucoup aux méthodes ettravaux de Roger BRUNET et du GIP Reclus sur l’analyse sys-témique2 appliquée à la géogra-phie et aux territoires. L’analysesystémique considère le territoirecomme un système (dans un en-vironnement). Elle est multi-scalaire et interdisciplinaire, re-pose sur les équilibres globauxet interrelations, par oppositionaux analyses sectorielles clas-siques. Elle s’intéresse donc enpriorité à l’analyse des modes devies et des usages, dans l’objectifd’apporter des réponses (hyper)locales et (hyper) adaptées auxbesoins collectifs identifiés. Laproblématique des mobilités y atrouvé une place importante, ence qu’elle conditionne l’équilibresocial (logements, services…) etl’attractivité économique (em-plois, commerces…) des villes etdes territoires.

Cette approche « de raison » correspond parfaitement aux exigences du développementdurable tirant ses racines duprincipe d’équilibre, qui fonde ledroit de l’urbanisme. Mais il nefaut pas négliger non plus le faitqu’elle convient bien, par sa sobriété consubstantielle, auxcollectivités dont les moyens d’agir (investir et gérer) ne cessentde se réduire. Il s’agit ici d’appli-quer le principe de précaution etde ne répondre qu’aux questionsqui auront été posées. Une ges-tion des villes en bon père defamille, en somme.

Le numérique pour unsystème urbainLe numérique appliqué à l’urbains’intéresse avant tout à la ville-système et aux possibilités qu’iloffre à son optimisation par lacollecte et le traitement des data :son développement, son pilo -tage/sa régulation. Il développeune approche économique de laville qui est celle de la plateforme,des algorithmes (la matrice) etdes contributions (sa régéné -ration perpétuelle). Une écono -mie dans laquelle des services(gratuits) aux particuliers ali-mentent/structurent des servicespublics/communs… et récipro-quement. À l’image de l’exempleévoqué des pays d’Asie où cesont les usages qui s’adaptentaux infrastructures et à la ville.Un tel basculement, s’il était complet, aurait des effets dévas-tateurs, notamment socialement.

En termes d’urbanisme, il ne s’agi-rait plus de « devenir ce que noussommes » (le mantra de l’économieurbaine en récession), mais de« deviner ce que nous allons être »(le mantra de Apple et Google).

En termes de politique, se pose -rait alors la question de savoirqui gouverne et décide.

Smart mobilitésCarlo RATTI, professeur au MIT,a bien résumé l’enjeu véritabledes smart cities : « des villes in-telligentes pour des vies intelli-gentes »3. En matière de réflexionet d’action dans le domaine desdéplacements, la maîtrise des usages doit rester une prioritéfondamentale, mais :• Elle implique une connaissance

suivie de leurs évolutions, ren-dues perpétuelles par l’innova-tion continue du numérique (ac-compagner la digitalisation denos modes de vies).

• Elle ne peut pas être la simplesatisfaction de la demande etdoit, en conséquence, accepterd’être réorientée au gré d’autresobjectifs jugés supérieurs auprisme de l’intérêt général (croireen un dessein collectif).

Elus, urbanistes, experts etcitoyens devront être capablesd’être bousculés par l’innovation(jusqu’à la « démobilité » par exemple), sans cesser de croireque nos vies ne peuvent se réduireà des équations4. n

1- Qu’on les appelle« métropolitains supérieurs » ou« bobos »

2- Conceptualisée en 1975 par Joëlde ROSNAY dans son ouvrageLe Macroscope, Le Seuil, 1975

3- Des villes intelligentes pour desvies intelligentes, JulienDAMON, Les Echos, 17 mars 2017

4- Ou des algorithmes

“ Élus, urbanistes, experts et citoyensdevront être capables d’être bousculéspar l’innovation ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

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D’une part, il est difficilede cerner les effets pro-pres aux innovations

technologiques quand les chan -gements peuvent provenir demultiples autres causes. D’autrepart, il est impossible aujourd’huide répondre de manière univoqueà la question « qui gouverne(ra)la ville numérique ? », tant lesecteur se caractérise par savitesse d’innovation et son incer-titude. Si le verbe « ubériser » asymbolisé ces recompositionssoudaines du pouvoir que provo-queraient le numérique, il fautse rappeler que si Uber n’a étéfondé qu’en 2009, au vu de sesdéboires managériaux et juri -diques actuels, rien ne dit quel’entreprise puisse être considéréecomme le futur tout-puissant dela mobilité urbaine.

On ne peut tenir des affirmationsradicales sur les changementsde pouvoir dans la ville numé -rique, mais certaines recomposi-tions peuvent toutefois être iden-tifiées. En premier lieu, le numé -rique complexifie la gouvernanceurbaine en accroissant la diversitédes acteurs. De nouveaux prota -gonistes participent à la régula-tion des territoires et de leurshabitants :

• Les acteurs des technologiesde l’information et de la com-munication (IBM, Cisco...), quiont popularisé le terme de smartcity et qui jouent un rôle crois-sant à l’ère de la disséminationde l’informatique dans l’ensem-ble de notre environnement.

• Les start-up et autres entre -prises innovantes que l’on as-socie de plus en plus à l’actionpublique pour proposer de nou-veaux services aux citoyens.

• Les plateformes, ces industrielsde la donnée, qui, de par leurcapacité à collecter et traiterdes traces numériques, jouentun rôle croissant d’intermédia-tion sur les territoires sans yêtre localisées physiquement.

• Les citoyens enfin, qui se ver-raient doter de nouvelles capa -cités de participation aux poli-tiques publiques. Attentiontoutefois à ne pas faire preuvede naïveté : les civic hackerspromus par certains1 ne sontqu’une minorité, et les compé-tences nécessaires à l’usage des technologies risquent plutôtde faire apparaître une nouvelleclasse d’intermédiaires capa -bles de traiter des données, ou même de renforcer les pou-voirs existants (empower theempowered)2.

Cette plus grande diversité ausein du système d’acteurs de lagouvernance urbaine bouleverseles relations entre tous ces pro-

tagonistes. Pour permettre le pi-lotage de l’action publique ur-baine, les pouvoirs publics locauxdoivent se doter de capacités derégulations accrues afin de cons -truire des coalitions et de forgerdes alliances entre ces acteursaux intérêts variés. À ce titre, ladonnée constitue un instrumentmajeur de la régulation de tousces acteurs. Au travers du gou-vernement des données, c’est lacapacité de l’acteur public à gouverner la ville à l’ère du numé -rique qui est en jeu. Gouvernerla donnée, c’est réguler la circu-lation de l’information. Cela sup-pose de maîtriser les flux de don-nées et de les orienter pour, auchoix, faciliter ou restreindre leursusages. Si le gouvernement desdonnées en est à ses prémices,trois postures de régulation peu-vent être distinguées : le laisser-faire, le protectionnisme ou letiers de confiance3.

1- Anthony Townsend, Smartcities : big data, civic hackers,and the quest for a new utopia,New York, W. W. Norton &Company, 2013.

2- Michael Gurstein, « Open data:empowering the empowered oreffective data use foreveryone? », First Monday, 2011,vol. 16, no 2.

3- Antoine Courmont, Politiquesdes données urbaines : de l’opendata au gouvernement desdonnées, Millenaire3.com, mai 2017.

QUI GOUVERNE(RA)LA VILLE NUMÉRIQUE ?

La révolution numérique n’a pas eu lieu. Les changementsradicaux de pouvoir dans la gouvernance urbaine sousl’effet du numérique sont davantage pressentis, espérés oucraints, que manifestes.

“ Gouverner la donnée, c’est réguler la circulation de l’information ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Données et gouvernance urbaine

Antoine COURMONTChercheur, Sciences Po Paris

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Ouverture des données :un contexte législatif enévolution

Classée au quatrième rangmondial de l’open dataselon l’enquête annuelle

du réseau Open Knowledge1, laFrance s’engage à un rythmesoutenu vers davantage d’ouver-ture des données publiques. Lechamp des données dites ou-vertes ou publiques dépasse bienlargement les statistiques na-tionales et la libéralisation desdonnées n’est plus l’apanage del’Institut National de la Statistiqueet des Etudes Economiques (INSEE). Les données sontpartout : ainsi, la culture opendata se généralise dans destextes de lois, telle la loi NOTRe2

appelant les collectivités localesde plus de 3 500 habitants à« rendre accessible en ligne » età « offrir à la réutilisation » cer-

taines informations publiques ouencore la loi TECV3 prévoyantune diffusion contrôlée des don-nées collectées par les gestion-naires de réseaux par le biais decompteurs communicants. Laloi4 pour une République numé -rique énonce un principe d’ouver-ture « par défaut » des donnéesdes administrations publiquesdont les premiers effets se fontressentir en 2017 avec la libérali-sation dès janvier du répertoiredes entreprises5, qui recense les9 millions d’entreprises du terri-toire, puis la mise à dispositiondu grand public des valeurs no-tariales des prix de l’immobilier6

par commune en juillet.

La dynamique législative enfaveur de la libéralisation desdonnées s’accompagne d’unenécessaire actualisation des dis-positions juridiques encadrantl’usage des données à caractèrepersonnel. Prenons l’exemple des

consommations d’énergie : si l’analyse de ces données agré -gées favorise considérablementle diagnostic et la mise en placede stratégies locales pour luttercontre la précarité énergétiqueou encourager la transition éner -gétique, quelles garanties ap-porter au consommateur quantà la protection de sa vie privée ?En cette matière, la législationfrançaise se positionnait à l’avant-garde dès 1978 lorsque fut votéela loi dite « Informatique et libertés »7, dont la vocation pre-mière était d’instituer la CNIL8

chargée de protéger les donnéesdu citoyen contre un usage abusifpar l’État ou par des entreprisescommerciales. Ce cadre législatifs’est accompagné de la créationde nouvelles fonctions dans lesentités publiques et privées im-pliquées dans le traitement dedonnées. Par la création d’unstatut de correspondant Infor-matique et Liberté (CIL), la règle -

À l’heure où la métropole dijonnaise se lance dans la ville intelligente « deuxièmegénération », via la mise en œuvre d’un centre de pilotage unique de l’ensemble de ses fonctions, toutes les collectivités n’ont pas encore mesuré l’étendue des possibilitésoffertes par la valorisation des données pour leur territoire. Le contexte actuel, tantjuridique que technique, est néanmoins particulièrement favorable à un changement de paradigme dans la manière de définir les politiques publiques et de piloter les fonctions urbaines.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Marie TYLDirectrice des activités Data Analytics,

SPALLIAN

Léone-Alix MAZAUDConsultante, SCET

DES DONNÉESPUBLIQUES AUX TRACESNUMÉRIQUES : LA DATADANS LA VILLEVALORISER LES DONNÉES POUR L’AIDE À LA DÉCISION DANS UN ENVIRONNEMENTTECHNIQUE ET JURIDIQUE EN MUTATION

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mentation française a encouragéles entités concernées à con-tribuer à l’objectif de la loi de1978, à savoir que « toute per-sonne dispose du droit de décideret de contrôler les usages quisont faits des données à carac-tère personnel la concernant ».Depuis la création de ce statuten 2004, près de 18 000 orga -nismes publics et privés ontdésigné un correspondant9, dé-marche facultative ayant pourbut de diffuser la culture « Infor-matique et Libertés » en conci -liation avec l’intérêt légitime desprofessionnels. À son tour, la rè-glementation européenne sur laprotection des données10, qui entre en vigueur en 2018, s’ac-compagne de la création, àl’échelle européenne, d’un nou-veau métier de délégué à la protection des données11. Ladésignation d’un délégué devientobligatoire pour toutes les ad-ministrations et organismespublics – de même que pour cer-tains acteurs privés, en fonctionde la fréquence et du degré desensibilité des traitements dedonnées qu’ils effectuent. LaCNIL estime que 80 00012 entre-prises publiques ou privées serontconcernées par cette obligationen France, un chiffre qui montrel’ampleur de la petite révolutionannoncée du cadre juridique del’usage des données. Parmi lesautres dispositions du règlementeuropéen, sont détaillées les conditions de licéité d’un traite-ment de données ainsi que lespeines particulièrement dissua-sives auxquelles s’exposent lesorganismes qui y dérogent13.

Le cadre juridique encadrantl’usage des données évolue enmême temps que se généralisela production et la diffusion dedonnées y compris par les ad-ministrations publiques, notam-ment de traces numériques14 paressence porteuses d’informationsà caractère personnel.

De nouvellesopportunités pour les collectivités maisaussi un fort enjeud’acculturationL’accélération de l’ouverture desdonnées, associée à des possi-bilités accrues en matière detraitement de ces informationspar des outils basés sur des mo -dèles de calcul complexes, offre de nouvelles opportunitésd’usage de ces données pourl’aide à la décision publique et àla gestion urbaine. En outre, lesnombreuses données géné réespar les services urbains con-stituent une matière fécondepour le développement de nou-veaux services à destination descollectivités elles-mêmes ou des individus, aux bénéficeséconomiques, sociaux et/ou environnementaux.

montée d’informations telles queTellMyCity15, outils de quantifiedself 16…) ou non (smartphones,vélos en libre-service...). Le déve -loppement de ces traces numé -riques permet d’élargir les possi-bilités offertes en termes d’ana -lyse, avec le développement demodèles intégrant de plus enplus de données d’usage ou defonctionnement réelles. Celles-ci, dans le secteur des transports,permettent de disposer d’une in-formation en temps réel sur letrafic et les places de station-nement disponibles afin d’engarantir une meilleure gestion,mais également de créer de nou-veaux services (autopartage).

Le développement des objetsconnectés alimente ce phéno -mène, alors que l’internet des objets17 vient doubler la quantitédes données produites tous les

“ Le développement des tracesnumériques élargit les possibilités [...]d'analyse ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Données et gouvernance urbaine

Par ailleurs, d’une part, les enjeux(sociaux, environnementaux, éco -nomiques…) rencontrés par lesterritoires gagnent en transver-salité et demandent un traite-ment de plus en plus intégré. Lesoutils basés sur le croisement dedonnées multithématiques, ca-pables de représenter voire desimuler les effets de rétroactions,sont ainsi de nouveaux moyensd’appréhender la complexité desdécisions, que ce soit à l’échellede la « ville-écosystème » ou desecteurs particuliers tels que lesdéplacements ou les flux d’éner -gie. D’autre part, les traces numé -riques laissées par les capteurset les objets du quotidien aug-mentent exponentiellement et lescitoyens deviennent eux-mêmescapteurs, de manière volontaire(plateformes d’échange, de re-

deux ans. Ces objets, en trans-mettant des données sur leur environnement en temps réel,permettent d’y appliquer untraitement immédiat et, pour certaines informations, person-nalisé. En outre, les outils dévelop-pés à partir de ces donnéesprésentent de nouvelles possibi -lités en termes de simulation etprédiction, permettant d’appuyerla définition de scénarios dansdes domaines variés (énergie,formes urbaines, développementtouristique...). Ces évolutions sontparticulièrement prometteusespour l’évolution des pratiques descollectivités dans la définition de leurs politiques publiques, permettant d’ajuster les décisionset actions en fonction des effetscroisés attendus de celles-ci.

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À ces nouvelles opportunités s’ad-joignent des problématiques enmatière de maturité et d’expertisedes collectivités autour des don-nées : qualité et documentation,homogénéité des formats, sécu-rité des informations personnelles,modalités de partenariat avecles acteurs détenteurs et/ou uti -lisateurs de données... Il s’agitd’abord pour elles de prendre lamesure des opportunités, puisde développer (ou de mobiliseren externe) les connaissancessuffisantes pour s’en saisir. Cetteconnaissance est la base pour,entre autres, choisir des outilsd’aide à la décision ou de pilotageadaptés à leurs besoins et mettreen place les conditions d’une gou-vernance des données territori-ales adaptée, offrant des dé -bouchés économiques aux ac-teurs privés pour développer denouveaux services. En outre, lescollectivités doivent s’assurer queles nouveaux services basés surl’utilisation des données soientcompatibles avec leurs enjeuxde politiques publiques et leprincipe d’intérêt général.

du territoire : Uber comme Wazeinfluent sur les flux de mobilité(le premier, sur l’usage des infra-structures routières et des taxis,le second sur la fréquentationdes voies de circulation), d’unemanière qui peut entrer en contradiction avec les orienta-tions de la collectivité dans cedomaine.

L’émergence d’unécosystème favorisant lepartage, la structurationet la valorisation desdonnéesL’incursion de nouveaux moyenset méthodes informatiques dansla génération, le traitement et l’analyse de données ouvre unformidable champ de possibilités.Considérant les risques sociétauxinhérents à l’exploitation de tracesnumériques et les perspectiveséconomiques offertes par desdonnées publiques ouvertes, l’attention portée par le législa-teur aux enjeux qu’engendre

riat, car l’ouverture de donnéesinvite à la création de nouveauxservices aux entreprises et auxparticuliers. Une véritable « éco -nomie de la donnée »21 voit lejour, annonçait Jean-Louis TAVERNIER, directeur de l’INSEE,à la veille de la mise à dispositiongratuite des données de la baseSirene sur les entreprises. De nouveaux contenus appellent de nouveaux contenants et l’onconstate une explosion concur-rentielle de technologies de col-lecte, de visualisation et d’ex-ploitation de données, notam-ment développées par des en-treprises françaises. Enfin, l’éco -système data donne l’occasionde repenser les problématiquesmétier hors de certaines frontièrestraditionnelles. La nouvelle fonc-tion exécutive de chief data officer, qui se généralise dans lesgrandes organisations, invite àrepenser l’accès et l’usage desinformations dans la transver -salité entre services. De bonnespratiques naîtront du travail, maindans la main, des spécialistes dela data science et des opéra-tionnels « métier » de plus enplus producteurs et consomma-teurs de données.

Afin d’accompagner les collec-tivités dans ces transformations,plusieurs acteurs et initiatives sepositionnent directement auprèsd’elles, en appui, ou en animationde réseaux d’échange nationauxvoire européens. Au niveau na-tional, Etalab22 coordonne la poli-tique d’ouverture et de partagedes données publiques en lienavec les collectivités, notammentafin d’harmoniser les donnéesouvertes par les administrations.Au niveau local, OpendataFrance23 a reçu la mission de pré-parer la mise en œuvre de l’opendata dans les collectivités deplus de 3 500 habitants. L’État apar ailleurs demandé à l’associa-tion d’accompagner 9 territoirespilotes dans l’ouverture de leursdonnées publiques : le projet, in-titulé Opendata Locale, vise à

“ Une véritable « économie de la donnée » voit le jour ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Sur la gouvernance des données,une enquête18 du Lab OuiShareet Chronos donne un éclairagenotamment sur les modalités departage des données entre ac-teurs privés et collectivités autourde l’usage de services urbains.Elle fait apparaître des rôles variéspour l’acteur public en fonctiondes services proposés et analyseles conséquences positives etnégatives des modèles de gou-vernance mis en place, dans uncontexte où les partenariats public-privé autour de la donnéese multiplient. Un des enjeux ma-jeurs identifié par cette enquêteest celui de l’impact des nouveauxservices développés sur l’usage

cet écosystème de données con-tribue à l’acculturation à la datadans les entreprises et les ad-ministrations. La libéralisationdes données est sans aucundoute une opportunité à saisir, à de nombreux égards, et uneopportunité pour la transparencedans le respect des données àcaractère personnel. Ainsi, lesdonnées essentielles des conven-tions de subventions accordéesà partir d’août 2017 par des or-ganismes publics doivent êtrepubliées en open data19. Lamême obligation s’applique auxmarchés publics à partir d’octobre201820. Il s’agit également d’uneopportunité pour l’entrepreneu -

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Données et gouvernance urbaine

Afpa : élaborer une stratégie patrimoniale en combinant smart data etexpertise immobilièreAyant acquis le statut d’EPIC au 1er janvier 2017, l’Afpa (agence nationale pour la formation profession-nelle des adultes) est devenue propriétaire de 118 des 185 sites qu’elle occupe. De ce fait, 1er opérateurde l’État en termes de patrimoine immobilier (plus de 2 millions de m2), l’agence doit se doter d’unschéma pluri-annuel de stratégie immobilière (SPSI), fondé sur une approche de long terme et assortid’un outil performant de gestion immobilière. Pour refonder cette stratégie immobilière, l’Afpa a choisile dispositif novateur conçu par la SCET pour l’accompagner.S’appuyant sur le socle technologique smart data de Spallian et les compétences en expertise immo-bilière et ingénierie de projet de la SCET, un outil innovant a été conçu, pour collecter et exploiter aisé-ment l’important volume de données patrimoniales des structures concernées, sélectionner rapidementet restituer de façon dynamique, via des tableaux de bord ou des réalisations cartographiques, les in-formations utiles à la prise de décision. Depuis la phase d’identification et de description des bâtimentsjusqu’à la valorisation du patrimoine et la détermination de la stratégie immobilière, la méthodologieainsi élaborée permet de proposer systématiquement les solutions adaptées : reconversion de site, mutualisation et rationalisation des implantations, cession, travaux, gestion locative dynamique...

Aperçu de l’outil développé pour l’Afpa

Privilégiant une approche de long terme, l’analyse intègre les dynamiques des bassins d’emploi, pourmettre en adéquation les besoins de formation avec le maillage des implantations de l’Afpa. Toutesles opportunités de valorisation immobilière ont été étudiées, dans le cadre d’une double stratégie derequalification des sites et de gestion financière d’exploitation.Adaptable, quelles que soient la superficie du parc ou la spécificité des bases de données à intégrer, le dispositif peut s’appliquer à tout type de patrimoine immobilier. Une approche similaire, destinéeaux collectivités et axée sur l’optimisation énergétique des bâtiments, a été mise en œuvre pour leGrand Châtellerault.Valérie TESSIER, consultante Energie, SCET

élaborer, à partir des retours d’expérience, un « socle communde données » publiques à mettreen ligne prioritairement et leursconditions de mise à disposition,en vue d’un passage à grande

échelle. Dans le domaine de l’én-ergie, le club STEP24 a pour ob-jectif d’accompagner les collec-tivités dans la prise en comptedes enjeux énergie, climat et airdans la planification et les straté-

gies territoriales, à partir de lagestion et la valorisation de leursdonnées. Les conditions sontdonc réunies pour une montéeen compétence générale et pro-gressive des collectivités.

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De la modélisation pourl’aide à la décision à la gestion urbainecentraliséeDepuis quelques années, une multitude d’outils numériquesfleurissent en vue d’offrir des ser -vices d’aide à la décision aux collectivités dans différentschamps des politiques publiques(mobilité, énergie, gestion del’eau…) ou de manière intégrée25.Bien que l’offre reste encore flouepour nombre de collectivités peuarmées pour choisir (ou concevoir)l’outil le mieux adapté à leurs besoins, nombre d’usages sontdéjà couverts par un ou plusieursoutils numériques : diagnosticthématique, planification énergé-tique, analyse multicritères descénarios d’aménagement, di-mensionnement d’une infrastruc-ture de transport, participationcitoyenne…

Certains territoires font figure de précurseurs dans l’intégrationdu potentiel offert par ces outils.À Lyon, la SPL Lyon Confluencea noué un partenariat avec leNEDO26 et Toshiba, dans le cadredu démonstrateur « Lyon SmartCommunity », autour d’un outilCMS27. Il permet de collecter etd’analyser les données de con-sommation énergétique trans-mises par les bâtiments connec-tés du quartier et la flotte devéhicules électriques en auto -partage, ainsi que les donnéesde production d’énergie. L’amé-nageur dispose alors d’une visiond’ensemble du système énergé-tique du quartier et peut l’adapterau regard des besoins.

Sur plusieurs secteurs liés à lagestion de l’espace public, incitéespar la loi NOTRe et leurs contratsde délégation ou de prestation –auparavant distincts – arrivantà échéance, les collectivités lan-cent des marchés « consolidés »,incorporant dès la conceptionune composante en données in-telligentes. C’est récemment le

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Au sein, d’Hikari (« lumière » en japonais) – premier îlot urbain à énergiepositive, les trois bâtiments communiquent entre eux pour répartir aumieux les besoins. Le quartier est partie intégrante de Lyon Confluence,projet urbain mené par la SPL éponyme

cas de la métropole de Dijon, quia initié un marché pour la con-ception, la réalisation, l’exploita-tion et la maintenance d’une ges-tion centralisée de l’espace publicvia des équipements urbains connectés. Les données d’usage,collectées par le biais d’équipe -ments d’éclairage public connec-tés, doivent permettre d’optimiserles coûts et les consommationsd’énergie. Les informations detrafic issues des capteurs posi-tionnés sur des feux tricolorescontribueront à évaluer l’efficacitédes politiques de circulation etorienter la réalisation de nou-veaux aménagements. Le déve -loppement de l’économie numé -rique est également l’un des objectifs annoncés de cette ambitieuse initiative : « des don-nées fiables issues de noséquipements terrains et de nosdélégataires pourront être misesà disposition du monde de l’éco -nomie numé rique déjà présentsur le territoire. Ces données per-mettront le développement denombreux applicatifs utiles auxcitoyens, commerçants, touristes,entreprises »28.

Dans la ville, la donnée smart ré-sulte de l’action des citoyens etdes services publics. C’est aussiun support qui peut concourir àaméliorer le pilotage au quotidien,l’évaluation, la planification del’action publique et inspirer la con-ception de nouveaux services. n

1- Open knowledge international,Global open data index France

2- Loi n° 2015-991 du 7 août 2015portant nouvelle organisationterritoriale de la République

3- Loi n° 2015-992 du 17 août 2015relative à la transitionénergétique pour la croissanceverte

4- Loi n° 2016-1321 du 7 octobre2016 pour une Républiquenumérique

5- Base Sirene des entreprises etde leurs établissements (SIREN,SIRET)

6- Prix au m² en France pour lesmaisons et les appartementsanciens sur le siteimmobilier.notaires.fr

7- Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978relative à l’informatique, auxfichiers et aux libertés

8- Commission nationaleInformatique et Liberté

9- Liste consultable en ligne surdata.gouv.fr

10- Règlement (UE) 2016/679 avecun portail dédié (en anglais) sursa mise en œuvre : ce nouveaurèglement s’appliqueautomatiquement dans tousles Etats membres de l’UnionEuropéenne à partir du 25 mai 2018

11- En anglais, data protectionofficer (DPO)

12- Data : la CNIL presse lesentreprises de se préparer auxfutures règles européennes,Derek PERROTTE, Les Echos, 23 mars 2017

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13- Jusqu’à 20 millions d’euros ou,pour une entreprise, 4 % duchiffre d’affaires mondial

14- Les traces numériques sont lesinformations enregistrées parles dispositifs numériques àpartir des activités de leursutilisateurs ou sur leur identité,volontairement ou bien demanière automatique (ex :achats en ligne, moteurs derecherche, titres de transport,téléphones mobiles...)

15- TellMyCity est une solution dedémocratie participative et degestion des demandes entre lescitoyens et la ville

16- Mouvement regroupant lesoutils, les principes et lesméthodes permettant auxindividus de mesurer leursdonnées personnelles, lesanalyser et les partager.

17- IOT : internet of things18- Quelles coopérations public -

privé à l’ère de la data ?, Les dessous de l’innovation n°2,mai 2017, enquête réalisée dans

le cadre de l’explorationDataCités : comment réinventerl’intérêt général des territoires àl’aune du numérique ?

19- Décret n° 2017-779 du 5 mai 2017 relatif à l’accès sousforme électronique auxdonnées essentielles desconventions de subvention

20- Article 107 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016relatif aux marchés publics

21- Open Data : la base Sirene, untrésor de données à explorer,Sylvain ROLLAND, La Tribune,17 novembre 2016

22- Mission créée en 2011 par legouvernement français

23- Association des collectivitésengagées dans l’open data,Opendata France a élaboré un« Guide open data pour lescommunes », composé deplusieurs cahiers dont deuxsont déjà disponibles :Glossaire de la donnée publiqueet Les lois régulant la donnéepublique.

24- Synergies pour la transitionénergétique par laplanification : ce club,réunissant l’ADEME, AMORCE,ATMO France, le Cerema,Energy Cities, FLAME, la FNAU,la FNCAUE, le RARE et le MEEM(SoeS), a notamment publié undocument pédagogique àdestination des collectivités,Les données énergétiquesterritoriales pour laplanification et l’actionénergie-climat

25- Par exemple, sous la forme deplateformes de simulationterritoriale

26- Agence gouvernementalejaponaise de l’énergie

27- Community energymanagement system : systèmede gestion, production etdistribution de l’énergie àl’échelle du quartier

28- Dijon métropole intelligente,www.metropole-dijon.fr

QUAND LES PLATEFORMES NUMÉRIQUESTRANSFORMENTNOS TERRITOIRES

Avec la diffusion massive des technologies numériques, nos vies quotidiennes sont radicalement transformées :85 % des foyers sont connectés à internet, plus de 65 % dela population possède un smartphone, deux tiers desfrançais font des achats en ligne, plus de la moitiépratiquent les réseaux sociaux et 78 % des chômeurscherchent un emploi sur le web. Outre la forte croissance des taux d’équipement et de connection des français, la révolution de cette dernière décennie, c’est la formidablemontée en puissance de nouveaux acteurs économiques : les plateformes numériques quise nomment Google, Facebook, Amazon, Le Bon Coin, Uber, Airbnb, ou Blablacar…

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Données et gouvernance urbaine

Comment expliquer la montée en puissancedes plateformesnumériques ?

Elles peuvent mettre en re-lation chacun d’entre nousavec des professionnels ou

d’autres particuliers pour échan -

ger des informations, des con-tenus, des biens ou des services.Elles constituent des plateformesd’intermédiation, œuvrant à deséchelles sans précédent et cou-vrant aujourd’hui tous les secteursd’activité : de l’hôtellerie à l’ali-mentation, en passant par lesmédias, le transport, le logement,le financement, la recherche

d’emploi, la vente de produitsd’occasion, la garde d’enfants, oul’enseignement !

Trois mécanismes économiquespermettent d’expliquer un tel succès :• La capacité de ces plateformes

à faire jouer les effets de réseau :la valeur du service qu’elles pro-

Emile HOOGEConsultant en prospective etinnovation territoriale, Nova7

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posent croît avec leur nombred’utilisateurs. Plus une plate-forme a de clients, plus elle peutoffrir un service de meilleurequalité au même prix, et doncattirer davantage de clients.Pour cela, elles collectent unemultitude de données sur lesutilisateurs, ce qui leur permetde personnaliser le service renduet d’alimenter leurs propres algo -rithmes d’apprentissage etaméliorer continuellement leurperformance. En outre, les tech-nologies numériques abaissentles coûts de transaction, ré-duisent les distances et rendentpossible un service à la de-mande, en temps réel. Enfin,elles ont créé des mécanismesde confiance élaborés (proces-sus d’authentification, gestionde la réputation, outils de com-munication…) qui permettent à

pour rendre service, la plate-forme mobilise des ressourcesqui ne lui appartiennent pas etvalorise le travail d’une multi-tude d’entrepreneurs ou de con-tributeurs bénévoles1.

• Le phénomène de concentra-tion : la puissance économiqueacquise rapidement renforce lesmonopoles d’un petit nombrede plateformes dans chaquesecteur d’activité. Dès leurs pre-mières années d’existence, lesplateformes arrivent à lever mas-sivement des fonds, grâce à lapromesse d’une croissance ex-ponentielle2. Ces moyens finan-ciers permettent aux plate-formes dominantes de verrouillerl’accès à leur communauté d’uti -lisateurs, de racheter des con-currents émergents et de s’éten -dre sur de nouveaux marchés

Les plateformestransforment nosservices de proximitéÀ la différence des activités deservices classiques, les plate-formes n’ont pas besoin de dé-ployer un réseau d’agences, demagasins, ou de collaborateurssur un territoire, pour délivrer leursservices. Airbnb, par exemple, estcapable de mettre en relationdes propriétaires et des locatairesdans des villes où l’entreprise nedispose pas d’implantationphysique. En revanche, la plate-forme dispose de données trèsprécises à propos de ses utilisa-teurs : elle dispose ainsi de con-naissances originales sur lespréférences des touristes, les sur-faces des logements, la fréquen-tation d’une ville, les bons planslocaux, et se trouve donc en ca-pacité de proposer des servicesde grande qualité aux visiteursd’une ville.

Quel que soit le secteur d’activitéconcerné (commerce, restaura-tion, logement, conseil, loisirs…),les plateformes les plus perfor-mantes collectent des donnéestoujours plus riches sur les besoinset les pratiques quotidiennes des usagers d’un territoire. Com-binées à leur compétence d’in-termédiation, elles sont enmesure d’améliorer la qualité denombreux services de proximité.Le cas de la mobilité est emblé-matique du potentiel proposépar diverses plateformes : co -voiturage, transport à la de-mande, assistant de mobilité...Certaines villes américaines ontmême fait le choix de signer desaccords avec Lyft ou Google pour gérer l’offre de mobilité lo-cale, plutôt que d’investir elles-mêmes dans de coûteuses infra-structures.

En outre, si ces plateformes per-mettent d’enrichir l’offre de ser -vices aux habitants d’un territoire,elles peuvent aussi constituerune source de revenus complé-

“ La révolution de cette dernière décennie,c'est la formidable montée en puissance

[...] des plateformes numériques ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

des individus d’échanger des biens ou des services alors qu’ilsne se connaissent pas et ne serencontreront peut être jamais.

• Leur capacité à générer des ren-dements croissants : plus cesplateformes croissent, plus ellesdeviennent productives et effi-caces. Dans une logique indus-trielle classique, l’expansiond’une entreprise conduit souventà un allongement des circuitslogistiques, à des difficultés demanagement de grandeséquipes, à l’éloignement despréoccupations des clients... Enfaisant de la fonction d’inter-médiation leur cœur de métier,ces entreprises technologiquespeuvent croître sans investir surde coûteux actifs productifs etsans accroître la main d’œuvrequ’elles salarient. Par définition,

qu’elles pourront préempter avecdes moyens techniques et finan -ciers importants, ainsi que leurbase de clients.

Certains considèreront que cesentreprises numériques sont a-territoriales, que leur croissances’affranchit des réalités territori-ales, que leur régulation doit êtregérée à des échelles nationalesou continentales : au final, ellesn’auraient pas de raison d’en-tretenir des relations avec les collectivités locales. Pourtant, sielles prennent une place de plusen plus importante dans la viequotidienne de chacun de nous,on peut légitimement s’interrogersur les impacts concrets qu’ellesont sur l’offre de service aux habi-tants, sur l’écosystème écono -mique local et sur le marché dutravail.

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mentaires qui améliorent leurpouvoir d’achat. Grâce à elles,chacun peut louer ou vendre desbiens3, louer occasionnellementson logement4, vendre ses ser -vices5, ou mutualiser ses frais detransport6.

En revanche, le développementde cette nouvelle offre servicielle

n’est pas sans soulever quelquesquestions. Tous les habitants d’unterritoire ont-ils un accès équi -table à ces plateformes, qu’ils’agisse d’y proposer des servicesou de les utiliser ? La logique très libérale de ces « places demarché » risque de renforcer lesinégalités liées aux revenus, aux

compétences techniques et so-ciales. D’autre part, l’utilisationcommerciale de données concer-nant la vie quotidienne des habi-tants d’un territoire n’a-t-elle pasdes conséquences gênantes surla protection de la vie privée ?Enfin, est-t-il politiquement ac-ceptable de substituer les services

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Données et gouvernance urbaine

Pratiquer le « crowdbuilding » avec de futurs acquéreurs via uneplateforme en ligneEn 2017, OPPIDEA, SEM de l’agglomération toulousaine, contribue à la réalisation de 2300 logementssoit 25 % de la production du territoire. Pour la part affectée au logement dit « libre » (environ 60 % duvolume global), la SEM a pour objectif d’atteindre a minima 50 % des logements libres commercialisés àdes propriétaires occupants. Pour y parvenir, elle doit développer une offre à prix maîtrisés.Afin de développer l’accession à prix maîtrisés, la société a signé en juillet 2017 une convention avec HABX(start-up et plateforme digitale collaborative) afin de proposer aux acquéreurs de ses logements uneplateforme digitale qui les connecte aux futures opérations immobilières localisées dans les projets urbains qu’elle réalise. Grâce à la technologie digitale, HABX donne accès à la personnalisation de logements neufs en permettant aux habitants de trouver un lieu de vie et de customiser un logement quicorrespondent à leurs attentes. Cette production collaborative s’appelle aujourd’hui communément lecrowdbuilding.Ce dispositif présente plusieurs avantages :• Le futur acquéreur accède de façon transparente à une offre de logements qu’il peut sélectionner au regard de ses critères de vie et affinités urbaines (mobilité, emploi, éducation…) ;• Il peut concevoir son logement en choisissant des espaces adaptés à son mode de vie et ses besoinspropres (chambres, cuisine, salon, salle de bain, loggia, terrasse...) ;• Les futurs acquéreurs peuvent aussi émettre leur choix concernant les services et les espaces partagéspour augmenter la qualité d’usage d’une résidence conviviale.La définition du projet par les futurs habitants permet de réduire les frais de distribution, de maîtriser lerisque commercial et financier, et donc de diminuer le prix de vente.

Oppidea et HABX ont conclu un proto-cole en vue de déployer cet outil sur les programmes neufs réalisés dans les quartiers aménagés par la SEM. À ceteffet, HABX procédera au référencementdes quartiers et opérations concernés.L’ensemble des promoteurs immobiliersattributaires de programmes neufsseront invités à mettre leur programmeen ligne sur la plateforme HABX. Un suivirégulier et partagé des indicateursglobaux des réservations et des ventesréalisées permettra de mieux qualifier lademande et les besoins des clients finauxet permettra le cas échéant d’ajuster laprogrammation des futures opérations.Un bilan du dispositif doit être établiaprès un an d’utilisation.

Du plan masse au logement via uneplateforme numérique…

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d’une plateformes à ceux d’unservice public, quelle que soit laqualité intrinsèque des prestationsoffertes aux citoyens ? Dans lechamp de la mobilité, par exem-ple, les offres proposées par Uber,Google, Blablacar ou Citymappersont-elles bien cohérentes avecune politique publique de déplace-ment ? Pour une collectivité, l’or-ganisation de l’offre de servicessur son territoire constitue un enjeu de souveraineté au servicede l’équité sociale. Certaines col-lectivités ayant pris la compé-tence d’ « autorité organisatrice »dans le champ de la mobilité, onpourrait imaginer qu’elles aientce même rôle dans d’autres do-maines clés de la vie quotidienne.

Les plateformestransforment notreéconomie localeÀ l’échelle d’un territoire, le sys-tème économique des plate-formes constitue une formidableopportunité pour la croissanced’entreprises locales. Pour desentreprises du numérique, lesmarchés des applications ou del’internet des objets, adossés àces plateformes, présentent unpotentiel important en termesde chiffre d’affaire et d’emploi.Quelques belles plateformesfrançaises ont aussi vu le jour7.Et puis, pour toutes les entreprisesde production, les enseignes com-merciales traditionnelles, ainsique les petits entrepreneurs, lesplateformes numériques cons -tituent une porte d’entrée versde nouveaux marchés et de nou-veaux canaux de distribution :gestion de la relation client, géo -localisation des points de ventephysiques, boutiques en ligne,systèmes de paiement sécurisé,communication cross-canal... Les services fulfilment8 d’Amazonpermettent même aux vendeursde confier à la plateforme lestockage, l’enlèvement, l’embal-lage et l’expédition de leurs pro-duits à travers toute l’Europe.

Pourtant, derrière cette dyna -mique vertueuse, le modèle dela plateforme représente aussides menaces pour l’économied’un territoire. D’abord, parce qu’ilfavorise une nouvelle forme deconcurrence entre des particuliers« amateurs » et des profession-nels établis qui offrent des ser -vices de nature proche. Ainsi, surAirbnb, des individus peuventconcurrencer des chaînes hôte -lières, sans être soumis auxmêmes obligations réglemen-taires ou fiscales. Sur des plate-formes de jobbing, chacun peutproposer ses services et se sub-stituer dans certains cas auxprestations d’artisans installésou même à des services ! Ensuite,en déstabilisant un certain nom-bre de secteurs classiques de l’é-conomie, ces nouveaux acteursrognent les parts de marché desentreprises locales en jouant surleur position dominante d’inter-médiaire et d’accès au consom-mateur final. Booking impose sesconditions aux hôteliers, Googlefavorise ses propres services dansles résultats de son moteur derecherche, la musique est dis-tribuée par le biais de quelquesintermédiaires incontournables(Apple, Youtube, Spotify,…) etmême une grande marquecomme Nike vient de capituleren acceptant de voir ses chaus-sures distribuées par la plate-forme d’Amazon.

Comment une collectivité pour-rait-elle bien accompagner sesentreprises locales dans la tran-sition vers une économie numé -rique en ancrant une partie con-séquente de la valeur créée dansle territoire local où les servicessont utilisés ? La politique éco -nomique d’une collectivité doit

certainement être réinterrogéeà l’ère d’une économie de plate-formes.

Les plateformestransforment notremarché du travailEn offrant la possibilité à(presque) tout le monde d’êtreentrepreneur, offreur de servicesou vendeur de biens directementpour d’autres particuliers, lesplateformes révolutionnent lemonde du travail et démocra-tisent l’accès au travail indépen-dant. En même temps, sur le classique marché de l’emploi, denouveaux intermédiaires appa-raissent et fluidifient la mise en relation de l’offre et de la de-mande de travail. De nouvellesopportunités sont rendues visi-bles à ceux qui cherchent un emploi et l’on peut noter queLeboncoin est le deuxième sitede diffusion d’offres d’emploiaprès celui de Pôle Emploi ! Ducôté des entreprises, grâce auxjob boards9 et à leurs algorithmesde « matching », elles peuventmener des démarches proactivesplus efficace afin de trouver lescandidats qu’il leur faut.

Même pour des personnes quipeinent à trouver un emploipérenne, les plateformes de tra-vail à la demande constituentune alternative salvatrice. Ainsi,l’activité de VTC est devenue lepremier secteur de création d’en-treprises dans plusieurs zones dé-favorisées d’Ile-de-France.

En revanche, le corolaire des me -naces économiques mentionnéesprécédemment est un risque dedestruction d’emplois provoquépar l’avènement des plateformes.

“ A l'échelle d'un territoire, [...] les plateformesconstitue[nt] une formidable opportunitépour la croissance d'entreprises locales ”

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Personne aujourd’hui n’est enmesure d’évaluer l’impact net en termes d’emploi de l’activitéd’Uber ou d’autres plateformessur le territoire français. Et mêmesi l’on considère que l’emploisalarié classique n’est pas le bonindicateur, car il serait irrémédia-blement amené à décroître auprofit d’autres formes d’activité,la qualité des conditions de travailpourrait se dégrader dans cettedynamique de « plateformisa-tion ». En faisant la part belle au statut d’entrepreneur (ou demicro-entrepreneur), ce modèlen’a pas encore inventé les formesde protection sociale adaptées :les normes de rémunération, d’as-surance contre les risques sociaux,de durée de travail… sont encoreliées au statut de travailleursalarié. À l’échelle d’un territoire,il pourrait être intéressant d’ima -giner des solutions pour garantircertaines formes de protection(au moins pour le logement etl’accès aux soins) à ces nouveauxtravailleurs de l’économie desplateformes.

Trois leviers pour agirdans un monde« plateformisé »Du point de vue d’une collectivitépublique, les enjeux sont multipleset la gestion des relations avecles grandes plateformes numé -riques qui investissent son terri-toire est complexe. Elle peut néan-moins s’appuyer sur trois leviers

types pour aborder des négo -ciations ou d’éventuels parte -nariats :• La relation directe avec l’habi-

tant usager. Il s’agit là d’un despoints forts des plateformes quiont su tisser une relation deconfiance avec leurs utilisateurs,fondée sur une connaissancedétaillée et sur une grande qua -lité de service. Sur ce point, lacollectivité dispose aussi d’unecarte à jouer grâce à la relationde proximité qu’elle peut instau-rer avec les habitants, à traversdes rencontres humaines, enpartageant une culture et uneidentité locale, en s’appuyantsur un engagement citoyen, etc.Ainsi, la collectivité qui sait créerce type de lien avec les habi-tants peut y adosser sa légiti -mité en cas de conflits, ou bâtirdes partenariats mutuellementbénéfiques avec une plateformeautour d’un objectif communde qualité de vie.

• La maîtrise des données ur-baines constitue un levier majeurpour gérer ses relations avecdes entreprises qui font de ladonnée leur carburant quotidien.Les partages de données con-stituent souvent une base dedépart intéressante pour créerdes partenariats entre collec-tivité et plateforme. Et la col-lectivité dispose d’un accès àcertaines données qui peuventêtre stratégiques.

• Le déploiement d’infrastructuresphysiques (réseaux et capteurs)

sur le territoire est un autre pointimportant que la collectivitépeut chercher à contrôler dèslors qu’il s’agit d’autoriser leurimplantation et assurer leurmaintenance de proximité.Leviers de partenariat ou derégulation, ces infrastructuressont clairement un nouveau sujet de préoccupation pour lesgrandes plateformes qui souhai -tent renforcer leur inscriptiondans le tissu local. n

Pour en savoir plus : Emile HOOGE et Boris CHABANEL, Plateformesnumériques et territoires : quelsenjeux pour la collectivité ?,Direction de la Prospective etdu Dialogue Public de laMétropole de Lyon, 2016

1- Certains nomment digital laborce travail gratuit

2- 3 milliards de dollars pourAmazon entre 1997 et 2003, 9milliards pour Uber après 7années d’activité et, malgré lespertes, 333 millions pourBlablacar en 4 ans

3- Leboncoin, Ebay, Amazon, Etsy,Zilok…

4- Airbnb5- Jemepropose, TaskRabbit…6- Blablacar7- Blablacar ou Mylittlemarket par

exemple8- Un service « complet » en

quelque sorte9- Site internet de recrutement

présentant une liste d’offresd’emploi mise à jour en tempsquasi-réel

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Données et gouvernance urbaine

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L’étude que vous avezréalisée porte surl’analyse des nouveauxmodèles économiquesurbains. Pourriez-vousrevenir sur sa genèse ?

Le point de départ de l’étudeétait un questionnementsur le fait de savoir si la ville

pourrait continuer à être « gra-tuite ». Cette question avait faitl’objet d’une première réflexionsous la forme d’un article d’Isabelle BARAUD-SERFATYdans la revue Futuribles1, qui constatait l’impasse du finance-ment actuel de la production ur-baine, et, en même temps, le saisissement de la ville par unerévolution numérique qui bous-cule les modèles de gratuité. Maisil s’agissait de pouvoir aller plusloin, d’où le choix d’ibicity de s’as-socier à l’expertise d’Espelia surla gestion des services publicslocaux, avec Clément FOURCHY,et à un point de vue de politiques

publiques, via Nicolas RIO. Nousavons donc défini tous les troisle cahier des charges de l’étude,avec l’idée de rechercher dessouscripteurs sur cette base. Trèsvite, l’ADEME et l’AMF ont décidéde la financer, rejoints ensuitepar le PUCA.

Quelle est laproblématique del’étude ?L’origine de notre réflexion surles nouveaux modèles écono -miques urbains repose sur deuxconstats :• D’un côté, on assiste à un es-

soufflement du financement traditionnel de la production ur-baine. Crise des finances publi -ques locales, hausse du coûtd’investissement et/ou de fonc-tionnement des services urbains,contestation de la fiscalité lo-cale, épuisement du recours àl’endettement... : nombreux sontles facteurs qui viennent désta-

biliser un financement de la villehistoriquement supporté parl’impôt.

• De l’autre, la ville est progres-sivement saisie par le numérique,cette évolution étant à la foissubie (« ubérisation ») et voulue(smart city). Les tendances ob-servées dans l’économie numé -rique tendent à se diffuser pro-gressivement aux secteurs desservices urbains. La révolutionnumérique ne se cantonne pasà l’économie immatérielle : elleagit aussi comme un puissantfacteur de transformation del’espace et des services urbains.Ce changement s’accompagned’une complexification et d’unediversification des modèles d’af-faire des opérateurs économi -ques. Par exemple, ce qui étaitpayant devient gratuit, et cequi était gratuit devient payant.

Le croisement de ces deux con-stats distincts invite à repenserla question du financement dela ville et des services urbains.

UN NOUVEAU MODÈLEDE

FINANCEMENTPOUR LA VILLE ?

Le développement du numérique permet l’émergence de modèles économiques innovants,au moment même où le modèle de financement traditionnel de la ville s’essouffle.Renouveler ce modèle nécessite, de la part des collectivités, mais aussi des opérateurs, une réflexion sur la frontière entre service public et services urbains.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

ENTRETIEN AVEC

Isabelle BARAUD-SERFATYConsultante en économie urbaine, ibicity

Clément FOURCHYDirecteur général adjoint, Espelia

Nicolas RIOConsultant-chercheur en stratégies

territoriales, Partie Prenante

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C’est tout l’objet de cetterecherche, autour de la notionde « modèle économique ur-bain ». Apparue dans les sciencesde gestion, cette approche per-met de prendre du recul sur ledébat budgétaire, en l’intégrantdans un questionnement pluslarge sur l’offre de service urbainet l’évolution des acteurs qui ycontribuent. Elle vient mettre enlumière la diversité des sourcesde financement possibles. Elleconduit aussi à reformuler la prob-lématique, en passant de la ques-tion du « comment ? » — lesmodalités de financement et degestion des services urbains —aux questions du « qui ? » et du« quoi ? » — quels payeurs pourquelles propositions de valeur ?Le financement de la ville ne seréduit pas à une question tech-nique, budgétaire et juridique. Ils’agit d’une question politiquedont les implications sont à lafois sociales, économiques et environnementales.

Une originalité de l’étudeest qu’elle embrassesimultanément plusieurssecteurs : mobilité, eau,déchets, immobilier etespaces publics.Pourquoi ce choix ? Etpourquoi l’aménagementn’y figure-t-il pas ?Il nous paraissait effectivementindispensable d’avoir une ap-proche suffisamment large.D’abord, parce que la fabriqueet la gestion urbaine ont juste-ment comme spécificité de nepas se limiter à un seul secteur.Mais surtout, parce qu’on assisteaujourd’hui à une hybridation entre secteurs, qui se traduit parune recomposition du périmètred’intervention des différents ac-teurs et oblige souvent à une re-configuration des systèmes tech-niques. Cette approche permetaussi des comparaisons : et si lesecteur de la mobilité, qui paraît

le plus en avance sur un certainnombre de transformations, pré-figurait les changements à venirdans d’autres secteurs, commel’immobilier ?

S’agissant de l’aménagement,nous nous sommes posés la ques-tion de savoir si nous l’étudionscomme un secteur à part entièreou pas. Mais il s’agit d’une activitéombrelle qui, outre la dimensionimmobilière (via la production desurfaces à bâtir), inclut notam-ment le raccordement auxréseaux. Or, la configuration desréseaux est pleinement interrogéepar les évolutions en cours. Ilnous est donc apparu préférablede bien dissocier les secteurs debase (l’immobilier, l’eau, l’énergie...)et d’y ajouter un secteur qui, pourle moment, est encore rarementconsidéré en tant que tel : celuides espaces publics.

se voir proposer des offres surmesure.

• L’accentuation du découplageentre usage et propriété.

• La bipolarisation entre local etglobal, l’instrumentalisation destemps.

• La double tendance monétisa-tion/démonétisation.

Parallèlement, nous avons cher-ché à nous doter d’outils pourcomprendre les transformationsdes secteurs. Pour analyser l’évo-lution des acteurs historiques etdes nouveaux entrants, nousavons importé la « matrice demodèle économique »2, qui per-met notamment d’insister sur lefait que dépenses et recettessont d’abord fonction de la pro -position de valeur. Pour compren-dre les recompositions secto-rielles, nous avons utilisé l’outil« chaîne de valeur » qui permet

“ Le financement de la ville [...] est unequestion politique [avec] des implicationsà la fois sociales, économiques etenvironnementales ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Données et gouvernance urbaine

Quelle a été votreméthodologie ?Nous avons croisé deux ap-proches. D’abord, nous avonscherché à bien comprendre lesmutations provoquées par la révo-lution numérique. Nous avonsainsi identifié sept axes de trans-formation, que nous avons en-suite systématiquement utiliséspour analyser l’évolution dessecteurs : • L’hybridation sectorielle, déjà

évoquée.• L’émergence de la multitude :

l’habitant-usager-consomma-teur devient producteur.

• L’individualisation de l’individu,de plus en plus saisi dans sesspécificités propres et pouvant

d’insister sur les dynamiques encours, en décortiquant les tâchesqui permettent la production dela valeur, et en montrant les ac-teurs, notamment les nouveauxentrants, qui les réalisent. Enfin,nous avons bâti une « grille despéréquations » qui permet dedonner à voir le poids respectifdes différents payeurs finaux dela ville : l’usager, le contribuableet l’acquéreur de programmesneufs. La tâche est ardue, maisl’ambition est d’aider à décrypterl’ensemble des péréquations, visibles et invisibles, dans la ville.Derrière cet effort pour révélerles péréquations invisibles, c’est bien la question des impli-cations sociales et économiquesde ces changements qu’il s’agitd’interroger.

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Quels résultats votreanalyse produit-elle ?Le premier résultat est le constatd’un basculement : celui de laville des infrastructures à la villedes usages. Historiquement,depuis le XIXe siècle, ce qui étaitclef pour fournir les services ur-bains, c’étaient les infrastructuresd’eau, d’énergie, de transport. Désormais, ce qui devient clef,c’est la capacité à embarquer lesusagers. De manière générale,on assiste ainsi à un glissementserviciel des services urbains. Lemeilleur exemple est certaine-ment celui de la mobilité. Déjàle passage du transport à la mo-bilité traduisait l’idée de se centrersur la demande plutôt que surl’offre. Mais surtout, l’exemple deMaaS3, à Helsinki, traduit l’idéed’assembler toutes les formes demobilité (y compris via l’activationde la multitude à un instant t) etde les proposer sous formed’abonnement. La mobilité estdonc l’exemple le plus évident,mais si on regarde attentivement,on s’aperçoit que ces transfor-mations concernent l’ensembledes secteurs, avec une finalitédes services publics qui évolue.On passe ainsi de la distributiond’énergie à la performance éner -gétique, et du traitement desdéchets à l’économie circulaire.L’immobilier commence lui aussià connaître cette évolution : ils’agirait désormais moins de

produire des mètres carrés qued’activer des usages.

Un deuxième résultat est que la maîtrise de l’aval permetd’améliorer l’efficience des ser -vices urbains, ce qui conduit lesplateformes à émerger commeun nouvel acteur clé de la ville.Ces opérateurs de services se positionnent en aval, pour êtreen lien direct avec les usagers etleur proposer du sur-mesure. Cesnouveaux acteurs cherchent deplus en plus à maîtriser l’ensemblede la chaîne de valeur, enagrégeant autour d’eux tous lesopérateurs dans une offre unique.

ganiser l’ensemble des servicesaux usagers.

Un troisième résultat est de mettre en lumière le défi du fi-nancement de l’infrastructure traditionnelle. Car l’infrastructuretraditionnelle, bien que concur-rencée par de nouvelles infrastruc-tures, reste nécessaire : pas decovoiturage sans voirie, pas desmart grid sans réseau. Mais, alorsque, traditionnellement, le finance-ment de l’infrastructure de baseétait assuré par son exploitation,ce n’est désormais plus le cas :contrairement à l’opérateur d’untramway qui participe au finance-

“ On constate un basculement de la ville des infrastructures à la ville des usages ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Du transport à la mobilité

Or, il nous semble au contrairequ’il faut préserver la pluralitédes offres et éviter que cet éco -système ne soit dominé par unopérateur unique. C’est le rôledes collectivités locales d’éviterque de grandes plateformes pren-nent le contrôle. La ville doitredéfinir son rôle d’agrégateurd’intérêt général, seule ou collec-tivement. Son atout est sa ca-pacité à inspirer confiance àl’usager, à proposer une offreplurisectorielle. L’émergence desmétropoles va lui permettre d’or-

ment de la ligne, l’opérateur decovoiturage ne finance pas lavoirie. La rémunération du ges-tionnaire du réseau électrique estaujourd’hui fonction du volumed’électricité transportée alorsmême que celui-ci devrait baisseravec le développement de l’auto -consommation d’énergie. Un cercle vicieux risque alors des’amorcer si la collectivité met àdisposition les infrastructures debase, gratuitement ou à bas prix,à ceux qui les utilisent... pour pro-poser des offres concurrentes.

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L’étude est-elleterminée ?La première saison de l’études’est effectivement terminée endébut d’année, avec la synthèsepublique que vous avez citée.Mais le questionnement est loind’être épuisé et nous entamonsdésormais la deuxième saison.Un premier volet est financé parl’ADEME, avec le soutien de laCaisse des Dépôts, et porterasur la poursuite du travail engagéautour de trois sujets liés :• Comment la collectivité peut-

elle conserver son rôle d’autoritéorganisatrice d’intérêt général ?

• Comment peut-elle tirer profitde ses ressources que sont lesdonnées et les espaces publics ?

• Comment doit-elle adapter satarification aux nouveaux enjeuxque nous venons de décrire ?

Un deuxième volet est financépar l’Institut de la Ville Durableet vise à poursuivre l’analyse des

évolutions en cours, à traverstrois zooms sectoriels : le métierdu distributeur énergétique audéfi de la performance énergé-tique, le métier des opérateursde collecte et traitement desdéchets au défi de l’économiecirculaire, le métier des opérateursimmobiliers au défi de l’activationdes usages. Nous poursuivonspar ailleurs la veille et la mise endébat de nos travaux à traversdes publications et un site inter-net dédié (voir ci-dessous). Enfin,de plus en plus d’opérateurs noussollicitent pour échanger aveceux sur le repositionnementstratégique qui doit être le leur,face à ces évolutions, et noussouhaitons multiplier les étudesde cas territoriaux. n

Pour en savoir plus :Isabelle BARAUD-SERFATY,Clément FOURCHY et NicolasRIO sont co-auteurs de l’étude« Qui paiera la ville (de)demain ? Etude sur les

nouveaux modèleséconomiques urbains », publiéeen janvier 2017 et disponible surle site « Modèles économiquesurbains » qui propose une veilleet une mise débat des travauxdes auteurs. Cette étude a étéfinancée par l’ADEME et l’AMF(association des maires deFrance), avec le soutien duPUCA (Plan urbanismeconstruction architecture).

1- Isabelle BARAUD-SERFATY, La ville restera-t-elle gratuite ?,Futuribles n°406, mai-juin 2015

2- Alexander OSTERWALDER etYves PIGNEUR, Business modelnouvelle génération, Pearson,2011

3- Mobility as a service : service demobilité (« mobilité à lademande »), en expérimentationà Helsinki, qui oriente les usagersdans le choix et l’organisation deleurs déplacements urbains,inter-urbains, nationaux voireinternationaux

NOUS SOMMES LES VILLES INTELLIGENTESL’installation progressive du numérique dans la viequotidienne a peu à peu changé notre façon de vivre,d’interagir, de nous déplacer ou de consommer. Si les citoyens communiquent sans cesse entre eux, avecles marques, avec les villes… ils ne comptent pas resterspectateurs de l’évolution des politiques publiques etexigent davantage de démocratie participative : le citoyen reprend sa place au cœur de la cité et prend en main la chose publique en demandant plus d’écoute. La ville intelligentea un effet révélateur ou accélérateur : davantage orientée citoyen, elle lui offre une tribuneinédite et révèle un besoin d’empowerment et d’appropriation du fait urbain.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Données et gouvernance urbaine

Le constat est sans appel :les villes intelligentes dontl’approche est « techno-

centrée » n’ont pas fait sensation(Tianjin, en Chine, Songdo enCorée…). La construction de laville de demain impose de re -penser une gouvernance à 360°

de l’ensemble des composantesdu fait urbain. Elle fait de l’ex-périence pratique du citoyen1 unvecteur central pour se réinventer,au gré des tendances urbaines.Elle doit être plus facile, plus agileet chaque citoyen doit pouvoirs’y projeter de façon individuelle

ou collective : un challenge queles bornes de stationnement oude consommation d’énergie nesauront satisfaire à elles seules.La ville intelligente rompt avecla vision « classique » et françaisede l’intérêt général qui dépassechaque individu, l’émanation de

Kévin GUERELChef de projets, Aire Publique

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la volonté de la collectivité descitoyens. Elle propose une visionlibérale de la « ville nouvelle »,composée par la somme des in-térêts particuliers : une perspec-tive pas si délétère, dans l’hy-pothèse où chacun serait acteurdu changement. Ville pour tousou ville par tous : le débat estainsi posé.

Revolution will not betelevised : it will betweeted

À la recherche de monintérêt généralLa collecte de data s’installe dansl’approche « usages » et « fonc-tions » de la ville : mobilités, habi-tat, performance environnemen-tale et énergétique, consomma-tion… Les GAFA2 et autres IBMne s’y trompent pas : « mesurer »la ville dans tous les sens, ça adu sens ! Le pacte ? Rendre laville plus facile à mesure que lacourse à l’équipement numériqueprend de l’ampleur. Avec l’opendata, la ville évolue selon lasomme de l’expression des in-térêts particuliers. Cette visionlibérale de la ville fait écho à l’ap-proche d’Adam SMITH, selonlaquelle le moteur essentiel detoute action individuelle résidedans la volonté d’améliorer son

sort et donc que la recherche deson propre bénéfice agit à soninsu pour le bien de l’ensemblede la société. Au contraire, laconception classique, françaiseet républicaine théorisée parROUSSEAU dans le contrat so-cial3 – prédominante depuis laRévolution française, présente la manifestation des intérêts par-ticuliers comme nuisibles à l’in-térêt général. Celui-ci, dépassantchaque individu, est l’émanationde la volonté de la collectivitédes citoyens en tant que telle.

Le « positivisme » l’emporte : leprincipe d’unité et l’idéal égalitaires’amenuisent au profit d’une vi-sion individualiste. L’une des prin-cipales différences réside en lapuissance des lobbies et doncde la différence de moyens d’ac-tions dont ils disposent. Sansgarde-fous, la ville intelligentepourrait rapidement devenirspéculative voir discriminante.

Le web ubiquitaire : unmonde horizontalL’ère du web ubiquitaire4 a pro-fondément changé les modesd’interaction entre les individusen les habituant à une organisa-

tion plus systémique, agile ethori zontale. Les révolutions duprintemps arabe l’ont démontré :les réseaux sociaux, et plus large-ment Internet, sont des mediasefficaces et puissants, sans filtreset à portée illimitée. Le numériquea ouvert des portes et désinhibéla prise de parole. Pour le meilleur,comme pour le pire : les citoyensont un avis sur tout et comptentbien l’exprimer : à leurs voisins,aux marques comme aux élus.

InteractivitésChaque citoyen peut, par l’inter-médiaire de son smartphone,récupérer ou transmettre des don-nées actives ou passives (datas),émettre un avis, co-élaborer enproposant des projets concretspour la rénovation de son quartier,co-décider en votant en ligne…Plus que jamais, il se trouve aucœur de la démocratie, de la cité, de la ville et de son quartier.Le citoyen est, malgré lui, émet-teur de données, commentateurde ses usages ou acteur de laco-construction de sa ville.

Le web ubiquitaire ouvre lesportes à l’intelligence collective,source de solutions collaborativesinnovantes inspirées par l’exper-tise de terrain et les besoins objectifs des citoyens – crowd -sourcing – ou encore source definancement participatif – crowd-funding. Il permet de prendre lerelais de collectivités disposantde moyens de plus en plus limités.Ces nouvelles pratiques question-nent la notion de gouvernance.Elles exigent une ouverture, une transversalité mais aussi uneinter opérabilité nouvelle. Les res -ponsabilités électives deviennentcelles des CEO de start-up opensource…

“ La ville intelligente devra nécessairementêtre ludique pour être plus attractive ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

4e agglomération de Chine (plus de 15 millions d’hab.), Tianjin s’est lancéeen 2007 dans la réalisation d’un « écoquartier » de 350 000 habitants àl’horizon 2020 : axée sur les énergies vertes dans un pays battant tous les records de pollution industrielle, cette extension urbaine « techno-centrée » peine à convaincre, le quartier accueillant à peine 10 % de la population attendue

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Et moi dans tout ça ?

De la ville facile…La data city est l’expression dela ville « pour tous ». Elle faciliteles usages, les rend plus accessi-bles, plus agiles et développe lesfonctions. Elle améliore les fluxautomobiles et optimise l’utilisa-tion des parkings en partageantchaque place5. La ville intelligentepropose des applications pourmieux gérer et moins gaspilleren installant, par exemple, destablettes dans chaque apparte-ment pour maîtriser la consom-mation d’énergie : la MDE6 garan-tit au citoyen une réduction dela quantité d’énergie consommée,une diminution du gaspillage énergétique et des émissions degaz à effet de serre… Une telleintervention, possiblement fi-nancée en participation locative(le locataire participe au finan -

cement des travaux), est un gain effectif de consommationet d’émission de CO2 dont lesimpacts sur les factures sont concrets.

L’ensemble des données permet -tent d’optimiser la constructionde la ville intelligente : la métho -dologie BIM7 propose une ap-proche complète de la planifica-tion, la construction et la gestiondes bâtiments. La méthode prendforme à travers la création d’unmodèle 3D intelligent permettantde mesurer les impacts del’ensemble des critères intégrésau projet et donc de concevoir,visualiser et collaborer plus facile-ment tout au long de son cyclede vie.

La ville intelligente, toujours plusfacile, ne doit pas s’enfermer surses usages et ses fonctions. Iln’est pas donné à tous d’avoirune vision complète de la com-

plexité des villes. Pour avoir unretour constructif, des outils pédagogiques sont nécessaires,à mesure que les solutions digi-tales s’inventent et se multiplient.Trop de sollicitations tuent la sollicitation ! Le citoyen est cons -tamment appelé à s’exprimerpour des services, sur les réseauxsociaux, pour la concertationpublique règlementaire… C’estainsi que la ville intelligente devranécessairement être ludique pourêtre plus attractive. Le seriousgame8 et les visites virtuelles permettent, par exemple, uneprojection à l’appui des technolo-gies d’immersion développéesdans l’industrie du jeu vidéo pourbooster la participation citoyenneet pour la cadrer de façon effi-cace. Avec « Imaginez votreParc » réalisé par Digiworks pourla métropole Rouen-Normandie,le format « jeu vidéo en ligne »permet aux habitants de co-

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Données et gouvernance urbaine

Crowdsourcing urbain et civic techÀ l’heure ou l’évolution numérique va plus vite que les évolu-tions sociétales, de nouvelles pratiques apparaissent dans lescollectivités notamment autour des civic techs et du crowd-sourcing urbain : des termes regroupant une multitude detechnologies, allant de la plateforme de votes en ligne à l’outilinnovant de participation citoyenne. À chaque fois, il s’agitde recentrer les décisions publiques en intégrant les sugges-tions des citoyens. TellMyCity développé par Spallian proposeaux collectivités de renouer ce lien de proximité avec les administrés.

À travers une application simple et ludique, le citoyen peut transmettre une information sous forme designalements concernant un élément de la vie locale : dégradation de la voirie, suggestion d’un aménage-ment, félicitation à propos d’un évènement culturel… Le citoyen devient ainsi acteur et co-participe auxactions de sa collectivité. Une fois envoyé, le signalement se retrouve embarqué dans une procédure degestion par les services publics, qui notifient en interne et au citoyen son statut en termes de traitement.Ce moyen cross canal permet de ne pas oublier les canaux classiques (courrier, appel, mail…) qui sontégalement intégrés. Chaque étape et information sont ensuite connectées à un tableau de bord perme-ttant aux différents décideurs d’avoir une vue d’ensemble des activités, ce qui permet d’optimiser les actions à mettre en place. Cette solution collaborative permet de faire évoluer la gestion des relationsaux usagers tout en gardant l’approche d’un contact humain.

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construire un espace public idéalsur des périmètres contraints.Ludique et impliquant, le logiciela permis de mieux identifier lespriorités du public et des partiesprenantes. L’ensemble des réali-sations citoyennes font ensuitel’objet d’une exploitation statis-tique qui nourrit le travail deséquipes en charge du projet.Autre outil d’aide à la décision,Unlimited Cities permet d’utiliserla réalité augmentée sur un sitevia une application iPad ouiPhone : en ajustant le degré dedensité, de nature, de mobilitéou de vie de quartier et en cons -tatant immédiatement l’impactfinancier et paysager par le biaisd’une image, il amène à copro-duire le projet idéal.

… à la ville partagéePour une analyse complète, laville intelligente ne peut pas sesuffire des données. Le prisme« sensible » des citoyens estnécessaire. L’avis de celles et ceuxqui habitent la ville, l’expertisepratique du quotidien permettentde mettre les données en pers -pective et d’affiner le projet deville souhaité.

Les plateformes collaborativessont désormais un outil privilégiépour exprimer les envies et lesprojets citoyens. À Paris, les habi-tants peuvent, par exemple,porter à connaissance de la villeleurs projets, soit sous forme libre,soit dans un cadre préétabli9 : la municipalité crée ainsi de laproximité avec les parisiens etengage une réappropriation del’espace public.

Les plateformes collaborativessont particulièrement efficacespour concerter une grande popu -lation, dans un laps de tempsdonné, pendant toute la duréed’un projet. À une autre échelle,dans le cadre des études d’ur-banisme10, les sites Internet participatifs et leurs modules de cartes ou murs d’idées colla -boratifs sont particulièrement

efficaces pour recueillir l’avis d’une population pouvant parfoisatteindre plusieurs dizaines decommunes.

Les pratiques bottom-up pren-nent le pas et la ville s’ouvre surle monde. L’intelligence collectivesort du cadre des plateformesInternet pour s’articuler dans lecadre d’événements tels qu’unhackathon11 d’urbanisme.

D’abord conçue comme une concentration de technologiesavancées au service du déve -loppement urbain, la ville intelli-gente est désormais envisagéecomme une somme d’outils pours’exprimer. Ceux-ci représententune fabuleuse opportunité decréer davantage de proximité,permettant à la ville de se trans-former à l’image de ses résidents.La mobilisation de tels outils n’endemeure pas moins sensible : l’animation d’une communautéexige une approche stratégiqueminutieuse, mais aussi une veilletechnologique de tous les ins -tants, face à l’opportunité ou lamenace que revêt la transparencede ces outils. n

1- Grâce notamment au partaged’information que permetinternet. Voir, à ce propos,

l’exemple du tourisme : IsabelleFROCHOT, L’expériencetouristique, le nouvel atout desterritoires, Tendances n°4,décembre 2016

2- Google, Apple, Facebook,Amazon

3- Du contrat social ou principesdu droit politique, ouvragepublié par Jean-JacquesROUSSEAU en 1762

4- Localisation des personnes etpersonnalisation des contenus

5- Par exemple ZenPark ouMobypark

6- Maîtrise de la demande enénergie

7- Building information modeling8- Ou réalité augmentée. Voir son

apport en matière de tourismedans Valère ROUSSEAU, La créativité au service durenouvellement de l’offre,Tendances n°4, décembre 2016

9- Par exemple, le règlement desespaces verts : voir le siteMadame la maire, j’ai une idée

10- Plans locaux d’urbanismeintercommunaux (PLUi) ouschémas de cohérenceterritoriale (SCoT) par exemple

11- Evénement où des développeursvolontaires se réunissent pourfaire de la programmationinformatique collaborative, sur plusieurs jours

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Dans le cadre de l’élaboration du PLUi-H* du Pays de Gex (27 communes),Aire Publique a réalisé, en complément des actions de terrain (réunionspubliques, ateliers participatifs…), un site Internet participatif réunissantune communauté de citoyens ayant pour volonté de partager leurexpertise du quotidien, que ce soit de façon géolocalisée ou sur la base decommentaires pouvant être votés positivement ou négativement, de sorteà faire ressortir les propositions les plus populaires. Cette dynamique deréflexion collective permet de recueillir des données précises quialimentent le travail des urbanistes et de la communauté de communes.

*Plan local d’urbanisme intercommunal à valeur de programme local de l’habitat

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La transition numérique

En premier lieu, il n’y aurapas de transition de l’urbainpossible sans transition

numérique, et a fortiori sans data.Au cœur de cette mutation, ladata est omniprésente, d’où

procède une génération de dataservices qui submerge la ville.Les programmes Datact puis DataCités1, conduits par Chronoset ses partenaires, instruisentdepuis 2012 ces enjeux. ValériePEUGEOT, prospectiviste, inter-rogée dans ce cadre, comme de

nombreux autres experts, con-firme cette primauté de la data :« si on trouve des controversessur l’usage de la donnée, son con-trôle, l’intérêt de la donnée n’estpas discuté ». Les pratiques mas-sifiées des data services et leurpertinence d’usage se mesurent

GOUVERNER AUTREMENT L’URBAIN : LA DATA, UNE

QUESTION DE SAVOIR ETDE POUVOIRLes mutations vers lesquelles la massification dunumérique urbain nous amène ouvrent l’opportunitéhistorique de réinventer les modèles d’urbanisme, de sepencher sur la gouvernance des cités, de s’interroger sur laville que nous voulons, et sur son futur, indissociable decelui de la planète. Cet article envisage les transitionsnécessaires – numérique, politique et culturelle – qui déterminent une autre gouvernance :un mouvement traversé par le climat qui s’invite dans l’agenda des villes.

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Données et gouvernance urbaine

Châlons-en-Champagne : un hackathond’urbanisme pour revitaliser le centre-villePour redynamiser son centre-ville, Châlons-en-Champagne (51) se faitaccompagner par Citadia et Aire Publique. Pour alimenter la réflexion,Aire Publique a proposé à 70 élèves de toute la France (architecture,urbanisme, paysage, design…) de « pirater » le centre-ville, sous laforme du premier hackathon d’urbanisme : les participants ont dis-

posé de 24 heures pour faire des propositions de toutes natures, innovantes, inventives et ambitieuses,qui sont venues « augmenter » une étude urbaine nécessairement décalée au service d’un projet poli-tique volontariste.Aire Publique, en charge de l’organisation complète de l’événement, crée le buzz sur la toile : étudiants(associations, BDE…), professeurs, groupes Facebook, Twitter, relations presse… L’annonce de l’événe-ment se répand et des candidats issus des meilleures formations s’engagent dans ce challenge inédit :offrir un autre regard sur le potentiel d’usage et de ré-enchantement du centre-ville et détourner lesméthodes usuelles de production des projets urbains. Les équipes ont eu 24 heures pour pirater –hack(athon) – le centre-ville, en format marathon – (hack)athon – une nuit entière à réfléchir pour faireémerger les meilleures solutions en termes d’aménagement urbain, de paysage, d’événement, de com-munication. L’expérience, unique en son genre, a permis à Citadia (en charge de l’élaboration de l’étude)et à la ville d’entrapercevoir un centre-ville collaboratif, modulaire, végétalisé et connecté, à l’imagede la génération qui a conçu les projets. Autant d’idées inédites qui ont directement alimenté le pland’actions. Plus largement, lapromotion de l’événement etson emprise visible dans laville ont créé une dynamiquelocale forte autour de l’ave -nir du centre-ville : un impor-tant engouement populaireautour de la mission.

Bruno MARZLOFFSociologue, Chronos

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à la vitesse de leur adoption, auspectre de leurs applications et la densité des notifications.Banals à l’écran de nos terminauxpersonnels, bientôt généralisésà l’écran des automobiles etd’autres automates à venir, encours d’installation sur lestableaux de bord de la ville, desadministrations, ces services sontapparents et explicites, contraire-ment à la couche de data qui lesnourrit et aux « conversations »des capteurs sous-jacents, dontnous sommes largement igno-rants. Cette distorsion entre lespectaculaire et l’invisible s’inviteau débat.

Réévaluer nos valeursd’urbanitéLa partie visible et efficiente dela data, c’est ce que Julie HODEZ,directrice numérique de Versailles

Grand Parc, appelle le « vrai quo-tidien », le trafic et ses précisesdifficultés mesurés par Waze, par opposition aux impressionséparses de l’élu qui parcourt saville à l’écoute des gens. L’objec-tivation de la démarche, porteusede promesses, masque souventles bonnes questions. En l’occur-rence, s’agit-il de mieux évaluerle trafic pour mieux le réguler, oun’est-ce pas l’opportunité deréfléchir à une autre politique demobilité que celle qui privilégiela croissance des flux et la voitureparticulière ? La data ne doit passe confondre avec le « solution-nisme urbain »2 auquel on l’a tropassociée jusqu’ici. La data neconstruit pas une vision de laville en soi, elle permet en re-vanche d’en imaginer une autre.Copenhague par exemple a mo-bilisé la data aux fins d’une poli-tique de mobilité radicalementdifférente. L’examen des exter-

nalités des pratiques du vélo etde la voiture mesurées par lesdata a produit des indicateurs –ils confèrent une valeur de +0,20 €au kilomètre parcouru à vélo et une valeur négative de -0,75 €à la même distance effectuéeen voiture particulière. La facede la ville en est durablementmodifiée.

La présence massive de ces data-services façonne déjà une nou-velle charpente de la ville et duquotidien des citadins. Les pro-ducteurs comme les usagers deces services urbains sont de factodes aménageurs d’une autre ville.Le choix d’armer la data s’accom-pagne de l’identification des défisqui ne peuvent se borner à apais-er la ville contre un siècle dethrombose de la voiture et depernicieux étalements urbains.La richesse complexe du numéri -que permet de réévaluer nos

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À Strasbourg, un Observatoire du stationnement réalisé par Parcus,véritable outil partagé d’aide à la décision pour les politiques de mobilitéet d’aménagementInnovant et ambitieux, l’Observatoire du Stationnement a été mis en placeà l’initiative de PARCUS et de la ville de Strasbourg. Il concerne le station-nement sur la voirie publique et en parking avec plusieurs objectifs :• Etre un outil opérationnel de gestion pour le délégataire et les servicestechniques de la collectivité. • Améliorer les connaissances du fonctionnement du stationnement et desuivi des enjeux de stationnement rencontrés à Strasbourg.• Aider à la décision pour orienter les politiques publiques et définir unestratégie de mobilité globale.• Partager des informations et alimenter les débats entre acteurs auxchamps d’intervention variés, amenés à agir sur le système urbain local.Pour développer cet observatoire, la SEM a mis en place un système expérimental, unique en France, de collecte des données sur la voirie et enparking via le scan des plaques minéralogiques par des scooters équipésd’une solution de positionnement GPS, concentrateur de données, interface sur les open-sources desparkings et des horodateurs... Après deux ans d’expérimentation, le dispositif est aujourd’hui opérationnel.Les nombreuses données collectées en continu permettent d’élaborer des tableaux de bord sur la fréquen-tation, l’occupation, les taux de remplissage et niveaux de saturation…Pour ce projet, Parcus s’est associée à l’Agence de développement et d’urbanisme de l’agglomérationstrasbourgeoise (ADEUS), qui garantit une valorisation optimale, transversale et sur le long terme des informations recueillies. Elle réalise un travail d’analyse, de synthèse et de mise en perspective des données collectées dans l’Observatoire et est également chargée du partage de ces informations au seinde la plateforme multi-partenariale qu’elle anime sur les questions de mobilité et de déplacements viaun « Observatoire de la mobilité ».

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valeurs d’urbanité et de faire faceà des actualités brûlantes : le cli-mat et ses violentes incertitudes,les difficiles inclusions des margessociales, des handicaps divers etdes migrations ou encore la ré-sistance contre un terrorismeaveugle. Ces enjeux de l’urbaindépassent les gouvernances aux-quelles on assigne classiquementles gouvernances de la cité. Com-ment la data peut-elle accom-pagner le mouvement et les prisesde conscience ? Une éditoriali -sation partagée de la data s’in-staure dont nous serions cou -pables de ne pas nous emparer,tant elle offre de perspectives.

L’histoire des urbanités intelli-gentes ne fait que commencer.Tous les protagonistes de la ville,actifs ou passifs, participent àcette création. Mais les déséqui -libres dans leurs implications ouvrent une batterie de questionset de recommandations dont sesont emparées les partenairesde DataCités. En amont, les usa -gers de la ville produisent la dataet consomment en aval les data-services dans une boucle derétroaction informations-servicesconstante, corrigeant en tempsréel les trajectoires instruites depassés et de contextes multipleset consolidant la prégnance deces services et leur autorité surles comportements personnelsdes usagers de la ville. La data

est vécue sur un mode essen-tiellement passif. La mobilisationsur le sujet ne dépasse pas une(forte) sensibilité à l’intrusion.Conférer aux utilisateurs (la villeet ses usagers) une maîtrised’usage et d’initiative de leursdonnées et les impliquer dans laproduction et l’évaluation des

éco-responsable, un des casétudiés dans DataCités. Son ob-jectif est simple : mieux et moinsconsommer en passant à uneénergie 100 % verte. Les mêmesacteurs publics sont aussi censésdéfinir les règles de l’univers enfriche de la ville numérique. Cesefforts soulignent l’obsolescencede la gouvernance de la ville quipasse à côté de puissants leviersd’actions et laisse les découvreursfixer encore les règles de la villeintelligente.

Comment faire des villes desagents proactifs d’une démarcheet non pas « des acheteurs desolutions sur étagère » commeles désigne Stéphane VINCENT,directeur de la 27e Région3 ? Com-ment en faire les ambassadeursd’une transformation culturellequi intègre la donnée comme unélément constitutif des politiquespubliques et en même temps lesmoteurs d’une production « encommun » ? Ces questions con-

“ Tous les protagonistes de la ville, actifs ou passifs, participent à [la] création [de]l’urbanité intelligente ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Données et gouvernance urbaine

Un jeu d’acteurs bousculé !

services urbains est un des ob-jectifs identifiés par DataCités.

Les institutions publiques éditentune part croissante de la datapublique et la mobilisent à leursfins de monitoring, d’informationdes citadins/citoyens, de gestiondes flux et de pilotage d’un urbaincomplexe, souvent en crise, par-fois dépassé, ou plus simplementles ouvrent à ceux qui veulent etpeuvent s’en saisir. Au-delà deces missions, la veine d’informa-tions publiques commence à ins -truire les réponses en open dataaux enjeux du climat et autresmenaces, facettes désormais con-stitutives de l’urbain. Ainsi, de lacoopérative Qurrent, fournisseurd’énergie verte primée ces troisdernières années pour son action

cluent la phase exploratoire queDataCités vient de livrer. Lesréponses se construiront avecles villes. C’est ainsi par exempleque Chronos participe d’ungroupement mené par RennesMétropole, dans le cadre d’unPIA pour la création d’un servicepublic métropolitain de la don-née4. Le projet débattra et défi -nira dans le cadre d’une gouver-nance ouverte, le rôle et le posi-tionnement des différents acteurset la gestion partagée des don-nées territoriales et leur valorisa-tion. Le modèle produit se veutréplicable.

Les entreprises interviennentdans la construction de la valeurde la data selon divers modèles.Une catégorie singulière, les tech

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firms5, a pris une énorme longueurd’avance dans la production derobustes plateformes de data-services urbains milliardaires enaudience. De fait, leur pouvoirs’accroît et se concentre immo -dérément. Ces bastions de l’in-dustrie de la data s’adressent auconsommateur par le truchementde la data, mais il est évidentque le citoyen n’est pas loin der-rière. Quand par exemple Waze,filiale de Google, lance un pro-gramme mondial Connected Citizen, quand le gouvernementdes États-Unis considère Face-book et Google comme des quasibiens publics6 ou encore quandSidewalk Labs, bras armé dansla ville du même Google, jetteles bases d’une autre gouver-nance de la ville7, ils suggèrentfortement leur vision de l’urbainet disposent des moyens de l’im-poser. Nous ne sommes pas obli -gés de cautionner leur entrismedans leur conception privativede l’intérêt général. Voilà pourquoila data est une affaire politique,car la messe est loin d’être dite.

La transition politiqueUn équilibre reste à construireentre les acteurs, non pour contrer

la mainmise des géants du Web(au contraire, des concertationssont indispensables, reconnais-sent les villes8) mais pour pro-poser des visions, modèles et mé-diations alternatifs. Houston amesuré lors de la tempête Harveycombien « les réseaux sociauxsont plus puissants que lesagences gouvernementales ».DataCités a insisté sur la respon-sabilité d’autres acteurs – entreville et usagers – dans cette archi -tecture inédite, notamment entermes d’alerte, de sensibilisa -tion, ou d’instruction des enjeux :réseaux sociaux bien sûr maisaussi corps intermédiaires,agences publiques, associations,médias, universités, civic techs,start-up, etc. Autant de « lieuxpolitiques » de mobilisation despublics et de courroies de trans-mission de l’éditorialisation com-mune de la data.

La data est une affaire politiqueet sociétale, avant d’être un enjeuéconomique et urbain. La datan’est qu’un des éléments de lasystémie des politiques publi -ques : elle est pourtant le cœurd’une autre urbanité, d’une nou-velle culture, d’une manière deconsidérer la ville, de la pratiquer,

de la partager et de la gérer dif-féremment, mais aussi, et peut-être surtout, d’envisager ensem-ble son futur. La rupture appelleune refonte des gouvernances,qu’on se situe du point de vuedu citoyen, des acteurs publicsou de l’ensemble des fournisseursde la chaîne des data-serviceset leurs puissants outils de diffusion.

Si la ville ne se résume ni ne seréduit à la data, si l’avenir de laville ne s’écrit pas non plus dansune cité qui ne serait « que »numérique, il reste que rien de laville n’échappe à la data. Seséclairages, première de sesvaleurs, ouvrent des parallaxespuissantes de lecture de l’urbainet d’autres perspectives pour sonfutur. Les multiples utilités etaménités de la data dans la villereprésentent une révolution glo -bale, car, nul acteur, ni secteurde l’urbain n’échappe à sa per -colation. Tous, nous n’avons lechoix que de composer avec cesubstrat numérique, d’en acquérirla maîtrise ou de nous effacer.Cette révolution économique etsociologique masque une autrerévolution, politique cette fois.La data et la couche invisible ducode qui oriente les fonctionsmobilisées représentent désor-mais le pouvoir. Un pouvoir, doncun bien commun, là encore, dontla régulation reste pour l’essentielà définir.

Complétons maintenant notreproposition initiale : il n’y aurapas de transition de l’urbain, sanstransition politique. Pour CynthiaFLEURY, philosophe politique,« on n’a pas encore les nouveauxcircuits de régulation... C’est unenjeu clé de les inventer ». Elleajoute une transition culturelleévidente : « le nouvel âge de ladémocratie ne renvoie pas seule-ment à un régime de pouvoirmais aussi à un régime de savoir.[…] Car la démocratie est biensûr une question de régime, d’ins -titutions, mais bien évidemment

“ Il n’y aura pas de transition de l’urbain,sans transition politique ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

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aussi une question culturelle, d’éducation, de style de vie, demanière d’être ».

La transition culturelleLa fabrique de la ville appelledonc une appropriation de ladata, fondement de la transitionculturelle. Qu’on l’appelle maîtrised’usage ou littératie9, la questiondu savoir est en déficit aujourd’huichez tous les acteurs, hormis chezles tech firmes disposant d’uneavance dont elles usent le plussouvent sans considération del’intérêt général. La nécessairemise à niveau des maîtrisesd’usage de la data et son contrôlepar chacun des acteurs, sont desconditions nécessaires d’un équili-bre actualisé des gouvernances,un impératif pour la délibérationcollective de l’intérêt général etune chance unique pour forgerune vision forte et résiliente dela ville. Dépassons les discoursaffligeants du court-termismepour empoigner la ville impré -visible qui s’annonce. Le philo -sophe Jean-Pierre DUPUY parlede « catastrophisme éclairé »pour désigner l’exercice de luciditéface aux incertitudes et aux si -gnaux de plus en plus pressantsque la data éclaire déjà.

Si la doxa fait de la data lamatière première des smart so-lutions dans la smart city, la prio -rité de la data est de provoqueret de faciliter le passage vers lesbonnes questions. De fortes in-tuitions, une solide lecture du futur et l’incontournable traite-ment de la data ont permis auxpionniers du MIT de construire ily a 45 ans les modèles prévoyant,si rien n’était fait, la finitude desressources et d’autres dégrada-tions de la planète10 que nousgérons d’aujourd’hui faute de lesavoir écoutés. Les prémices desrapports depuis 1988 du GIEC11

sur les drames climatiques ap-pellent aujourd’hui notre atten-tion. Demain, la mobilisation exa -cerbée de la data par l’intelligenceartificielle pourrait accompagner

ce discernement et orienter l’ex-ploitation intelligente de ses en-seignements par tous les acteursde la ville.

La data est donc une opportunitéformidable et un passage obligé.« Les villes ont cette capacité desubvenir aux ressources de tous,seulement parce que, et seule-ment quand elles sont créées partous et chacun » : l’illustre urba -niste Janet JACOBS rappelle lacondition pour qu’une ville soitune communauté et que ses ser -vices soient des communs, unempowerment de tous et chacunsur ce sujet. Quelques exemplesrécents d’implication citoyennesvia la data12 : • Les citoyens mobilisent ainsi

des capteurs pour informer : àFukushima des radiations lo-cales, à Amsterdam de la qua -lité de l’air, à Bristol du tauxd’humidité de l’habitat…

• Barcelone illustre la reconnais-sance que « ce sont les citoyens

qui détiennent la data » et laville entreprend une expérienced’un réseau citoyen d’internetdes objets, exploitant les datalocales les plus pertinentes, enesquivant les plateformes mono-lithiques des villes.

• Dans le même esprit, Barceloneet Amsterdam développent desoutils pour reprendre le contrôlede nos données. C’est l’ambitiondu projet DECODE13, dirigé par la fondation britanniqueNesta et financé par l’Union Européenne, dans un contexteoù nos données personnellessemblent totalement nouséchapper. Et Francesca BRIA,digital chief officer de la muni -cipalité de Barcelone, de con-clure : « personne ne veut êtremaire d’une ville non-intelli-gente », mais ajoute-elle, lesvilles ont réalisé qu’en privatisantl’espace public, elles ont privatiséla donnée, « aujourd’hui, nousavons compris que la data aune valeur considérable ».

“ La fabrique de la ville appelle uneappropriation de la data, fondement de la transition culturelle ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Données et gouvernance urbaine

DECODE (decentralized citizen owned data ecosystem : écosystèmedécentralisé pour gérer les données personnelles) vise à élaborer les outilsdonnant aux citoyens la pleine propriété de leurs données personnelles.Basés sur la technologie blockchain, les pilotes seront testés d’ici 2019 àAmsterdam et Barcelone, abordant 3 thématiques : l’internet des objets,la démocratie « ouverte » (participative), l’économie collaborative

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Il serait tout aussi dangereux deréduire la donnée à la productionde services d’utilités auxquelsnous assigne le marché que dene pas réguler la captation et l’exploitation de ces données.Certes, il faut protéger la donnéeprivée, mais évitons qu’à ce titre,on masque le combat de l’édito-rialisation en commun de la data.Antoinette ROUVROY, docteureen sciences juridiques : « [En in-sistant] sur les données à carac-tère personnel […], on rate unlarge pan de la problématiqueactuelle, on fait alors l’impassesur tout ce qui a trait au profilage,à la personnalisation, à l’hyper-trophie de la sphère privée, à la paupérisation de l’espace pu -blic et à la prédation par des so-ciétés privées des espaces eux-mêmes privés des internautes ».Elle souligne combien cette fo-calisation éloigne le public desenjeux réels, relatifs à la « gou-vernementalité algorithmique ».Olivier ERTZSCHEID, chercheuren sciences sociales, en tire lesconclusions, invitant à « natio -naliser ces codes algorithmiquesqui régentent des pans entiersde nos vies et se substituent deplus en plus souvent à la puis-sance publique dans des do-maines régaliens (santé, éduca-tion, transport...) [...]. Parce qu’iln’y a pas de république sans com-mun, pas de chose publique sansappartenances communes et pro-priétés partagées, il n’y aura pasnon plus de république algorith-mique sans nationalisations etinscription durable dans le do-maine public d’un certain nombrede codes et de programmes ».Nationaliser le code ? Et pourquoi

pas le « municipaliser » aussi àl’heure où les engagements desvilles en matière de data vonttoujours plus loin que les états.

Prendre le pouvoir sur la data :là réside l’essence de la mutationde la ville. Comment se saisir dela data, la mobiliser, organiser etréguler ses pratiques au bénéficede l’intérêt général ? Quel intérêtgénéral d’ailleurs ? Continuer degérer la ville sur un mode businessas usual avec la data commeune cerise sur le gâteau au béné-fice de certains ? L’intérêt généralne se situerait-il pas plutôt ducôté d’une mobilisation de l’opendata et du big data mais ausside la donnée d’intérêt généraldéjà à l’œuvre dans la législationfrançaise. Cette data civique estnécessaire pour conduire les des-tins visibles et prévisibles de laville, mais aussi pour définir desenjeux invisibles et imprévisiblesde ses futurs, déjà présents etmenaçants. Cela aussi fait partiede la gouvernance de la ville.Cela suppose de désigner cet intérêt général, de le circonstan -cier et de le formuler de manièrecollective. n

1- Le programme DataCitésexplore les services urbainsmenacés d’obsolescence enmobilisant la donnée, sous sestrois fonctions urbaines :matière première, ressourced’intérêt général et actifstratégique

2- Les adeptes du solutionnismeconsidèrent que la définitiond’un problème passe par sarésolution technologique, sanss’attaquer aux causes réelles

3- La 27e Région conduit desprogrammes de « recherche-action » visant à tester denouvelles méthodesd’innovation avec les acteurspublics

4- Voir l’article suivant5- Les « géants » du Web :

souvent désignés par lesacronymes GAFA (Google,Apple, Facebook, Amazon voireMicrosoft) et NATU (Netflix,Airbnb, Tesla, Uber) pour lesaméricains ou BATX (Baidu,Alibaba, Tencent et Xiaomi)pour les chinois.

6- L’administration Trump songe àtransformer Facebook etGoogle... en services publics,Adrian BRANCO, O1 Net, 28 juillet 2017

7- Voir le programme Reimaginingcities from the internet up, parson CEO Daniel DOCTOROFF

8- Cf. Rennes, Lyon, Toulouse :quelles stratégies desmétropoles pour l’ouverture desdonnées ?, 25e Matinale del’Atelier Energie et Territoires, 31 août 2017

9- Aptitude à comprendre et àutiliser l’information écrite envue d’atteindre des butspersonnels et d’étendre sesconnaissances et ses capacités

10- The limits to growth (Leslimites de la croissance),rapport également connu sousle nom de « RapportMeadows » demandé au MITpar le Club de Rome en 1970,publié en 1972

11- Groupe d’expertsintergouvernemental surl’évolution du climat

12- How one European smart city isgiving power back to itscitizens, David MEYER,Alphr.com, 10 juillet 2017

13- Decentralized citizen owneddata ecosystem

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

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D’où vient le tropismerennais, en matièred’open data ?

Bernadette KESSLER –Rennes s’est engagée trèstôt dans l’ouverture des

données publiques, en lien directavec sa politique dynamique surles transports publics. Sans êtreparfaitement conscients detoutes les implications de l’opendata sur l’évolution de nos pra-tiques, nous avions la conviction– et cette idée était partagée parnos élus – que la mise à disposi-tion, librement et gratuitement,de données publiques de qualitéstimulerait la création de servicesinnovants dans tous les domainesde nos compétences. Cela a ététout de suite le cas pour les trans-ports publics et l’information« voyageur » bien sûr, mais aussisur des sujets moins spectacu-laires et pourtant importantspour nos politiques publiques telsque l’accessibilité de l’espace public ou la visualisation desbudgets. C’est l’engagement im-portant et volontaire d’un certainnombre de services, déjà con-cernés par la gestion de données,qui a rendu possible ce mouve-ment précoce d’open data. Parexemple, l’implication des agentsdu système d’information géo-graphique a été déterminante

pour l’ensemble du programmerennais. Nous avons aussi comprisassez vite que, si l’ouverture desdonnées publiques a bien sûr des objectifs de transparence démocratique et de soutien à l’économie, elle est aussi, et peut-être surtout, un fort levierd’amélioration et de modernisa-tion de l’action publique.

Pourquoi passer à un stade supérieur, avecle service métropolitainde la donnée ?BK – La valeur des données estproportionnelle à leur utilisationet leur circulation. Depuis les troisdernières années, le contextelégis latif a conforté le mouve-ment d’ouverture des donnéespubli ques en instituant vraimentle principe d’open data par défaut.La loi « pour une république numé -rique »1 a, en outre, fondé desnotions innovantes : données« d’intérêt général » et « servicepublic de la donnée ». Dans lamesure où la plupart des servicesurbains ont besoin de données

publiques, mais aussi de donnéesprivées qui ne sont pas soumisesaux mêmes obligations d’ouver-ture, il nous semble prioritaire aujourd’hui de réfléchir aux con-ditions juridiques, économiques,techniques du partage et de lagestion des données de notreterritoire. Nous nous sommes ins -pirés de la loi pour proposer lamise en place à Rennes d’un ser -vice public métropolitain de ladonnée (SPMD) et nous avonsrépondu au nouvel appel à projetsdu programme d’investissementsd’avenir (PIA 2) pour l’open data.C’est un projet de gouvernancedes données qui comporte quatrechantiers thématiques concrets :la mobilité, l’énergie, l’eau et lesdonnées sociodémographiques.

Marion GLATRON – La collec-tivité a les moyens et la légitimitépour faciliter le partage de don-nées, pour fluidifier les échanges,en exerçant sa mission de coor-dinateur et de garant de la con-fiance. Afin de rendre possibleune meilleure et plus large utili-sation des données pour amélior-er les services existants et encréer de nouveaux, il faut qu’un

À RENNES, UN SERVICE PUBLICMÉTROPOLITAIN DE LA DONNÉEÀ Rennes, l’ouverture des données est une préoccupationancienne, traduisant une volonté précoce des élus et unengagement constant des services. Ville et métropole sontdésormais concentrées sur la mise en place d’un service publicmétropolitain de la donnée, projet de gouvernance partagéedes données, au service de la transparence, de l’efficacitééconomique et de la modernisation de l’action publique. 4 domaines sont testés dans un premier temps : mobilité,énergie, eau et données sociodémographiques.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

La fabrique urbaine dans la ville intelligente

ENTRETIEN AVEC

Bernadette KESSLERDirection de la Communication, ville de Rennes et Rennes Métropole

Marion GLATRONDirection Economie, emploi etinnovation, Rennes Métropole

“ L'ouverture des données [peut être] un fortlevier d'amélioration et de modernisation de l'action publique ”

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certain nombre de conditionssoient respectées : la protectiondes données personnelles, le res -pect des règles de la concurrence,l’universalité des services, la péren-nité des infrastructures tech-niques... La définition de cet en-semble de conditions pour lepartage des données « d’intérêtterritorial » constitue l’un de nosprincipaux chantiers actuels enmatière de données. Il sera menéen lien direct avec nos partenairesdu projet SPMD soutenu finan-cièrement par l’État pour les deuxprochaines années.

BK – Nous ne souhaitons pasprocéder de façon purementthéorique et édicter des règlesqui, trop déconnectées de la pra-tique, risqueraient de rester lettremorte. Nous pensons aussi quela gestion des données du terri-toire ne peut être conduite parle seul acteur public : c’estpourquoi nous voulons mettreen place une gouvernance ou-verte dans le cadre de projetsconcrets. Les 4 thématiques (mo-bilité, eau, énergie, sociodémo-graphie) sont autant de chantiersà mener sur un mode collaboratifet agile. Nous avançons par itéra-tions successives, en acceptantle risque de l’erreur et en validantau fur et à mesure : ce qui fonc-tionne, on garde et on continue ;ce qui ne fonctionne pas, onanalyse et on change ou on aban-

donne ! Chaque chantier est l’oc-casion de nous concentrer surdes problématiques différentes.Pour l’énergie, l’accent est missur les choix technologiques, nousregardons en particulier commentpermettre l’intégration des don-nées issues de différentessources : réseau IoT2, données in-ternes, données des partenaires…Sur le thème de la mobilité, nousvoulons traiter l’ensemble desdonnées de déplacement, en par-tant de notre expertise sur lesdonnées de transports publics.Est-il possible de créer un pointunique d’accès pour les donnéesde circulation, de déplacementsà pied, à vélo, de covoiturage ouencore les données issues dessystèmes embarqués des con-structeurs automobiles ? Com-ment gérer des accès différenciésà ces données ? La thématiquede l’eau est davantage orientéevers le croisement de flux de don-nées issues de différents sys-tèmes d’information : l’enjeu estla création d’un véritable obser-vatoire de la ressource « eau »avec une ouverture massive deces données en open data. Enfin,pour les données sociodémo-graphiques, nous allons regarderfinement les conditions d’anony -misation des fichiers et les pro -blématiques de respect de la vieprivée des habitants.

Comment a évoluél’organisation interne de la collectivité en lienavec l’évolution de sonpositionnement sur le sujet des données ? MG –Depuis deux ans, la créationde la Direction à l’innovation etla smart city a permis de rendrevisibles les actions existantes, defavoriser la cohérence de l’ensem-ble des sujets du numérique enfédérant les énergies, en facilitantune réflexion commune et la col-laboration concrète entre les ser -vices les plus concernés par lagestion des données. Le projetde SPMD a permis d’accélérer lemouvement de convergence enoffrant un sujet de réflexion à lafois concret et diversifié : dansle SPMD, on trouve des questionstechnologiques et une expéri-mentation d’infrastructure pourl’Internet des objets, mais ausside l’open data, de la gestion deflux géographiques, des questionsjuridiques de licence d’utilisationet des problématiques d’anonymi-sation des données et de respectde libertés individuelles. Toutesles compétences sont requiseset doivent travailler ensemble.Ces évolutions sont intimementliées à la prise de conscience ducaractère profondément straté -gique de la gestion des donnéeset de la nécessité de fonctionnerde manière plus transversale etagile.

Un des piliers de notre politiqueen matière de données est latransformation de nos pratiquesinternes, notamment dans le butde valoriser les données que nousavons identifiées comme intéres-santes au sein des services. C’est un chantier largement ouvert, car il reste difficile departager les données produitesou conso lidée dans les différentsservices de la collectivité : pourêtre exploitables par des tiers,ces données nécessitent d’êtreharmo nisées et documentées.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Le Service public métropolitain de la donnée, premier du genre, en lignedepuis septembre 2017

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Par exemple, le service « habitat »de la métropole dispose de données consolidées sur les typo -logies de logements, de ménages,de propriétaires, qui pourraientêtre croisées avec des donnéesde consommation énergétiquedes logements, elles-mêmes collectées par le service « transi-tion énergétique et écologique »,à des fins de maîtrise de la de-mande énergétique. Mais cescroisements ne sont pas faits aujourd’hui, pour toutes sortesde raisons qui peuvent être liéesaux logiciels « métier » utilisés,aux habitudes du travail « ensilo », à un manque de connais-sance sur la richesse des donnéesproduites en internes, aux moyensalloués, au déficit de formationparfois…

Il nous faudra aussi envisager lerecrutement de nouveaux profilsaxés sur l’analyse de la donnéeet la gestion de projets liés aubig data et renforcer nos capa -cités juridiques afin d’y intégrerla question des données.

Enfin, nous développons les col-laborations avec des instituts deformation et des laboratoires derecherche de la métropole, no-tamment via un partenariat encours de formalisation avecl’IRISA3 et des échanges avecl’ENSAI4 et l’université, afin delancer des coopérations avec desenseignants et des groupes d’étudiants.

Observez-vous uneévolution des relationset de la répartition desrôles entre collectivitéset opérateurs urbain ?MG – On attend peu des collec-tivités sur le sujet des données,si ce n’est sur celles qu’elles pro-duisent. Les acteurs des servicesurbains sont soit de gros opéra-teurs, soit de nouveaux entrants.Les opérateurs historiques com-mencent à prendre conscienceque les services qu’ils proposentpeuvent parfois aller à l’encontre

des principes d’égalité d’accès etde qualité propres aux servicespublics, que la collectivité a pourrôle de garantir. Les nouveauxentrants bousculent les schémasclassiques et se revendiquentcomme étant les mieux placéssur le terrain de l’intérêt général,au motif que leurs services sontsimples, efficaces, avec des uti -lisateurs de plus en plus nom-breux. Tout le monde – oupresque – utilise Uber, GoogleMaps ou Waze, pour ne citer queles plus connus : est-ce que ceseul critère suffit pour définir lesservices publics de demain ?

Les nouveaux acteurs commeles historiques sollicitent les col-lectivités, pour proposer leurs so-lutions. Nous devons pouvoir êtreen mesure d’en évaluer l’intérêtau regard de critères clairs quiiraient au-delà des mesures clas-siques de coût et d’efficacité,nécessaires mais plus suffisantes.Le service est-il pertinent au re-gard des besoins réels des habi-tants ? Quelle place laisse-t-il

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

La fabrique urbaine dans la ville intelligente

Citédia : communiquer au plus près sur la disponibilité des places destationnement pour faciliter la circulation urbaine

Historiquement orientée sur la gestion du stationnement pour la ville deRennes, CITÉDIA s’est diversifiée et opère aujourd’hui des équipements etservices dans différents secteurs d’activité (mobilité urbaine, spectacle,événementiel, tourisme et loisirs, développement économique, sécurité)pour le compte de collectivités délégantes, au premier rang desquelles, laville de Rennes et Rennes Métropole.Sollicitée par Rennes Métropole, la société a mis en place un dispositif permettant de remonter en temps quasi réel (mise à jour toutes les minutes)la disponibilité des places de stationnement dans les 10 parcs qu’elle gère.Les données sont transmises à la plateforme open data de la collectivité etintégrées automatiquement à l’application gratuite RenCircul. Lancée parla métropole en 2014, cette application a été développée, à l’origine, pouraccompagner les importantes transformations du territoire (ligne B dumétro, équipements, infrastructure). Elle s’est progressivement enrichiedepuis sa création, permettant par exemple de connaître les conditions destationnement et de circulation dans la ville, ainsi que de signaler, en modecollaboratif, des ralentissements ou embouteillages.

Citédia ne compte pas en rester là. Pour ses autres activités, elle réfléchit d’ores et déjà à la mise à disposition des données, imaginant de développer de nouveaux services et usages numériques(paiement sur smartphone, articulation avec la carte bretonne multimodale KorriGo, étude de satis-faction et des usages...).

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aux usagers ? N’est-il pas exclusifde tel ou tel groupe d’usagers ?Est ce qu’il favorise l’implicationet la coproduction des servicespar les habitants ? Est-ce qu’ilne risque pas de faire perdre àterme la maitrise du développe-ment de nos territoires ? Cettesolution est-elle respectueuse del’environnement et favorable àla protection de la ressource ?...Les partenariats et expérimen-tations que nous envisageons demener autour de la gestion desdonnées nous semblent enmesure d’apporter des élémentsde réponse à ces questions.

Pour l’aide à la décisionpublique, utilisez-vousdes outils d’observationou de modélisationbasés sur les données du territoire ?MG –Nous avons l’ambition, avecle service public métropolitainde la donnée, de stimuler ledéveloppement de nouveaux outils de pilotage mais nousmenons aussi, parallèlement, unprojet de « ville systémique », quia une véritable ambition d’outilde prospective. Utiliser la modé -lisation de Rennes Métropole en3D pour mieux anticiper les évo-lutions de la ville, c’est, rapide-ment résumé, l’objet de ce projet3D Experience City Virtual Rennesque nous menons avec la sociétéDassault Systèmes.

BK – Nous sommes aussi régu -lièrement sollicités par des en-treprises proposant des outils« tableaux de bord » ayant pourambition d’assurer un pilotageglobal de la ville, avec un fonc-tionnement de type « boîtenoire », mais ce n’est pas ce versquoi nous souhaitons aller. Nousavons en revanche besoin d’outilsde pilotage performants, baséssur des données fiables, en lienavec notre travail pour la miseen réseau de toutes les partiesprenantes du territoire et notre

volonté de renforcer les liens avecle milieu universitaire et de larecherche locale.

Rennes Métropole estimpliquée dans ledéveloppement de l’opendata en France :comment se traduitcette implication ?BK – Rennes Métropole était par-mi les membres fondateurs etmoteurs d’Open Data France5 etses élus membres de l’associationtrès actifs dans les groupes detravail initiés à l’époque. Aujour-d’hui, Rennes est moins impliquéedans l’association, mais fait tou-jours partie du conseil d’admi -nistration, suit les chantiers encours et participe activement au consortium breton, territoired’expérimentation du programmeOpendata Locale6.

En parallèle, nous sommes tou-jours intéressés par les échangesavec d’autres collectivités, en-richissants du point de vue dupartage d’expériences et des in-terrogations que nous pouvonsavoir de par la nature exploratoirede ces sujets. Dans cette optique,nous nous sommes impliquésdans le programme DataCités7.

MG –Nous restons bien présentsdans les groupes nationaux iden-tifiés sur le sujet des données,ainsi que dans des groupes deréflexion internationaux. Il ne

s’agit pas encore de coopérationà proprement parler, mais celan’est pas exclu dans le futur etnous essayons de le développerau niveau européen, notammenten participant au Knowledge Society Forum8.

Comment votre politiqueautour des données setraduit-elle en matièrede participationcitoyenne ?BK – Les habitants demandentà être mieux impliqués dans lesprises de décisions et Rennes,comme d’autres villes, affirmeune volonté de travailler directe-ment avec eux.

Cela se traduit notamment parl’outil « La Fabrique Citoyenne »,site participatif porté par la villedepuis 3 ans. L’existence d’outilsnumériques de concertation astimulé et interrogé la relationentre l’administration et les habi-tants, tout autant que la relationélus-citoyens en venant élargirle champ couvert par les modesde concertation traditionnels.L’ouverture des données apportedes possibilités nouvelles departage de la connaissance etrenforce le débat démocratique.En retour, les outils numériquesde concertation nous alimententavec des données nouvelles surl’opinion des rennais, sur ce quileur semble prioritaire, ce qui les

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

3D Experience City Virtual Rennes : modéliser la métropole rennaise pourmieux en anticiper les évolutions

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La fabrique urbaine dans la ville intelligente

La Fabrique Citoyenne vise principalement à mettre en œuvre un budgetmunicipal participatif, consacré aux projets émanant de la société civile

CULTURE NUMÉRIQUE, CULTURE URBAINE :L’AMÉNAGEURRESTE UN FACILITATEURSur le numérique, comme pour les autres domainesconcernés par le projet urbain, la SPL Lyon Confluence amisé sur la carte du partenariat. Formidable vecteurd’innovation urbaine, le numérique a amené la société àrevoir ses modes d’intervention : en amenant notammentdes partenaires nouveaux dans les tours de table (agencejaponaise de la maîtrise de l’énergie par exemple), en développant les échanges avec desacteurs internationaux impliqués dans des projets de même échelle, et enfin en digitalisantnombre de ses processus au profit d’un fonctionnement plus collaboratif et transparent.Une démarche qui a enrichi les échanges avec les citoyens dans un sens plus participatif.

ENTRETIEN AVEC

Benoît BARDETDirecteur adjoint, SPL Lyon Confluence

Pourriez-vous nousdécrire les projetsnumériques intégrés àvotre action sur lequartier de laConfluence ? Comment envisagez-vous le positionnementde la SPL sur ce champ ?

C’est la coopération autourde l’expérimentationLyon Smart Community1,

menée entre 2011 et 2016 avecun partenaire japonais (le NEDO2),qui nous a mis le pied à l’étrierconcernant la dimension numé -rique de nos projets. C’est égale-ment cette expérience qui nousa permis de rebondir sur la suitede cette expérimentation, en sou -

mettant une candidature à l’appelà projets européen Smart Citiesand Communities3. Le projet lauréat porté par le groupementconstitué des métropoles de Lyon,Munich et Vienne, Smarter together, vise ainsi à déployerles expérimentations menées à la Confluence dans le cadre de Lyon Smart Community àl’échelle européenne, par le biais

1- Loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016pour une République numérique

2- Internet des objets3- Implanté à Rennes, l’Institut de

recherche en informatique etsystèmes aléatoires estspécialisé en informatique,traitement du signal et desimages, et robotique

4- Les activités d’enseignement etde recherche de l’INSEE sontassurées par l’ENSAE, basée àPalaiseau, et l’ENSAI (Ecolenationale de la statistique et del’analyse de l’information), baséeà Bruz près de Rennes

5- Association des collectivitésengagées dans le mouvementopen data

6- Opendata Locale est uneexpérimentation visant à aiderles communes de plus de 3 500habitants à ouvrir leurs donnéespubliques avec l’appui de 9territoires expérimentaux pilotes

7- Voir article précédent page 398- Le forum sur la société de la

connaissance est animé parEurocities, association desgrandes villes européennes : le forum aborde les enjeux del’accès, pour chaque citoyen, auxtechnologies de l’information etde la communication, ainsi quela participation à la société del’information et de laconnaissance

intéresse ou les scandalise. Etcomme ces données sont ellesaussi ouvertes, elles donnent lapossibilité à qui le veut de pro-duire d’autres analyses, d’écrired’autres récits que ceux des ex-perts et de l’administration. Libé -rer les données, c’est aussi libérerla parole et faire confiance à l’in-telligence collective. n

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d’un financement de 7 millionsd’euros fléché vers des actionsciblées. La SPL a été à l’initiativede cette réponse, qu’elle a portéepour le compte de la métropolede Lyon dans le but de prolongeret d’enrichir un certain nombredes expérimentations menées,tout en tirant des leçons de l’ex-périence passée.

L’autre volet de l’action de la SPLdans le domaine de la ville intel-ligente est le projet Eureka Confluence4, lauréat de l’appel àprojets du gouvernement « Dé-monstrateurs industriels pour laville durable » (DIVD)5, mené enpartenariat avec Bouygues et 70autres partenaires. Après une première phase de travail entreindustriels, aménageur et collec-tivité, ce projet nous a amenés ànous tourner vers les habitantset usagers, et nous avons trouvéopportun de décliner la dénomi-nation de notre consortium demanière plus explicite pour legrand public.

En parallèle de nos initiativesdans le domaine de l’énergie, nous nous sommes égalementintéressés aux questions de mo-bilité et d’électromobilité, en lienavec la gestion des données. L’un des plus grands challengesactuels est celui du développe-ment de l’électromobilité en auto -

partage, afin de répondre à desenjeux de préservation de l’espaceurbain et de la qualité de l’air.Dans le cadre de l’expérimenta-tion, nous avions développé, avecles japonais et Transdev, un sys-tème d’autopartage électriquedont la particularité était que lestrajets étaient nécessairementdes allers-retours, dans l’optiquede réduire – en l’optimisant – lacirculation aux heures de pointedu matin et du soir. Ce systèmesupposait un changement decomportement des salariés dansleurs pratiques de déplacements,et l’expérimentation n’a finale-ment pas donné satisfaction d’unpoint de vue économique.

Le numérique irrigue l’ensemblede notre activité, comme il irriguela vie de chaque citoyen et toutel’activité professionnelle et hu-maine, selon des formes variables.Il s’agit globalement d’une nou-velle logique de travail qui engagevers plus de transversalité, decoopération et de modes collabo -ratifs. Nous avons égalementbeaucoup évolué dans nos pra-tiques internes. Ainsi, nous avons

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Projet de 150 ha, Lyon Confluence ambitionne de doubler le centre-ville.La SPL éponyme, créée en 1999 sous forme de SEM, y développe desinnovations urbaines capables d’associer harmonieusement densité,confort de vie et préservation des ressources, en cohérence avec lesattentes des usagers. Le numérique y a toute sa place.

mis en place un réseau sociald’entreprise, avons beaucoup in-vesti les réseaux sociaux et avonsintégré les modes de travail collaboratifs.

Comment le rôle de la SPL a-t-il évolué etquelle est votre vision dela place de l’aménageurdans ce type de projets ? La question centrale est de savoirquelle place donner à l’acteurpublic, à l’acteur économique, etau citoyen. La SPL est en quelquesorte le garant de cette réparti-tion. Dans le cadre du projetd’aménagement du quartier, elles’est montrée dès son démarrageextrêmement vigilante à associerles habitants à la démarche deprojet. L’interfaçage avec la po -pulation relève d’une dialectiqueparticulière et particulièrementexigeante, de par la complexitédes objets maniés, qui impliquentdes documents très techniqueset la coordination d’un travailavec des experts dans des do-maines variés. Il s’agit là ausside faire évoluer leurs pratiques,en s’affranchissant d’une visiondans laquelle l’urbaniste porteraitun discours basé sur une sériede certitudes tandis que lescitoyens n’auraient d’autre rôleque celui de l’écouter.

Entre le début et la fin des années2000, un changement importantest intervenu, en particulier dansle passage de pratiques top downde l’aménagement à des pra-tiques plus bottom up. Ces dé-marches se sont considérable-ment développées avec l’arrivéedes systèmes d’interfaces en ligne, qui ont permis de passerde quelques dizaines, voire cen-taines, de personnes touchées à

“ Le numérique irrigue l’ensemble de notre activité ”

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plusieurs milliers. Il s’agit de lapremière étape franchie dans la facilitation et l’élargissementde l’accès à la conception de laville pour les citoyens. La SPLLyon Confluence avait ainsi an-ticipé cette démarche, en don-nant à ses usagers un accès à cetype d’outils en amont de leurgénéralisation.

L’évolution de notre vision a égale-ment été façonnée par nos ex-périences de collaborations. Ainsi,notre partenariat avec le Nedoet Toshiba dans le cadre de l’expérimentation Lyon SmartCommunity nous a confrontés àune culture très différente de lanôtre, à la fois du point de vuedu métier mais aussi en raisondu rapport particulier qu’entre-tient la culture japonaise avecl’énergie. En effet, de par sa géo-graphie en îles et l’absence deressources en énergies fossilessur le territoire, l’approche miseen avant pour promouvoir leséconomies d’énergies est aujapon résolument technologique,alors que l’argumentaire, enFrance, s’est longtemps orientévers l’engagement (« sauvons laplanète »…). L’approche techno -logique nous a éclairés et nousavons développé avec eux undispositif de compteurs intelli-gents6. Mais le choc des culturesrestait puissant. Ces capteursont été installés dans plus de200 logements sociaux dans unensemble de bâtiments datantdes années 1930, destinés à fairel’objet d’une éco-rénovation. Lamise en place d’une interfacelourde avec les habitants a éténécessaire pour faire fonctionnerle dispositif. De la même manière,sur des bâtiments neufs cettefois, l’installation de compteurscommuniquant dans l’îlot Hikari

s’est accompagnée de la miseen place de sessions de formationà destination des habitants. Il afallu remettre de l’humain et del’urbain dans les relations en com-plément de l’approche purementtechnologique et, par-là, assurerle lien entre les intentions du projet urbain et leur traductionpour les habitants.

Les interactions entre les in-génieurs japonais et la SPL ontégalement permis d’enrichir lacomposition, les services associés,ainsi que le graphisme des comp-teurs installés. Relativement nou-velles pour nous, elles ont con-tribué à faire évoluer notre métier.Le recueil des données a été unaspect crucial du projet, sourcede nombreuses interactions entreses parties prenantes. Des ques-tions nouvelles pour l’aménageurse sont posées : Comment re-cueillir ces données ? Commentles amalgamer ? Qu’en faire ?Nous avons mis en œuvre desséances de travail inédites avecles opérateurs nationaux de dis-tribution de l’énergie, mais égale-ment de l’eau. Il s’agissait de ter-rains neufs, mais qui avaient debonnes raisons d’être conquis par nous, une interface locale –lyonnaise – capable d’agir et defaire le lien de manière péda-gogique avec les services et lesélus des collectivités. Il s’agissaiten somme d’assurer la liaisonafin de faire atterrir en douceurcet « OVNI » japonais sur le terri-toire lyonnais.

Cela a également posé des ques-tions et engendré des évolutionsd’ordre juridique pour notre struc-ture. Il nous a fallu nous rendrepropriétaire des dispositifs (comp-teurs en particulier) dans le butd’accompagner la période de

post-démonstration. C’est pourcette raison que nous avons mo -difié nos statuts afin de passerde SPLA à SPL en 2012. Cela nousa permis de mettre en œuvre cer-taines de nos missions relevantdu champ de compétences duGrand Lyon et de nous position-ner comme tiers de confianceautour de ces dispositifs.

Comment s’est traduitela transition entrel’expérimentation LyonSmart Community et lesprojets actuels, SmarterTogether et EurekaConfluence ?Ce type d’expérimentationprésente deux problématiquesclés. D’une part, le principe de l’expérimentation suppose, à l’issue de celle-ci, de mobiliserpour poursuivre les investigationsdes financements souvent con-séquents. D’autre part, il s’agitde faire évoluer la technologiesans rester « prisonnier » de cellemise en place par un acteur privéparticulier, et ainsi réduire éven -tuellement les coûts.

Certaines activités se sont inter-rompues à l’issue de l’expérimen-tation. Par exemple, les comp-teurs intelligents installés dansla Cité Perrache ont été retirésau démarrage des travaux derénovation du bâtiment. En re-vanche, nous avons entériné l’in-térêt présenté par ces compteurscommunicants, source d’informa-tions bénéficiant à la fois auxusagers des bâtiments et au pi-lotage énergétique de l’ensembledu quartier. Aussi, nous prévoyonsde remplacer le système utilisélors de l’expérimentation afin decontinuer à collecter les donnéesde consommation à l’issue destravaux de rénovation, et éten-dons ce dispositif de compteursà d’autres projets de rénovation.La suite de l’expérimentation surle bâtiment Hikari fait quant àelle l’objet d’un test en partenariat

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

La fabrique urbaine dans la ville intelligente

“ La question centrale est de savoirquelle place donner à l’acteur public, à l’acteur économique, et au citoyen ”

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avec un industriel français afinde substituer au système japonaisune solution clé en main plus ac-cessible. En effet, le marchéfrançais, balbutiant à l’époque,s’est développé dans l’intervallede temps de l’expérimentation.

Le rôle supporté par l’acteur pu -blic a constitué une source dequestionnement. En lien avec lesbesoins de nos projets, la métro-pole de Lyon s’est dotée d’unecapacité à développer une plate-forme de données et donc de re-cueillir les données énergétiques.La prise en charge de cette nou-velle mission nous a permis derépondre à l’appel à projets eu-ropéen Smart Cities and Com-munities, en nous appuyant sur

les enseignements de l’expéri-mentation initiale. D’un outilCMS7 privé (celui développé parToshiba), les financements allouésnous ont permis de passer à unCMS public développé en parte-nariat avec la métropole. Nousétendons sur cette base notredispositif de récupération desdonnées à un ensemble plus im-portant de bâtiments, en partic-ulier anciens, dans le cadre d’unprogramme d’accompagnementà l’éco-rénovation de logementsprivés. Ce sont les enseignementstirés de l’expérimentation quinous ont donné l’impulsion d’allerrencontrer les copropriétés avecla métropole. Nous leur pro-posons, grâce à des subventionsde la collectivité, d’éco-rénover

leurs logements, de se raccorderau réseau de chauffage urbainet d’équiper leurs bâtiments desystèmes de capteurs de mesuredes consommations énergéti -ques. Ces données ont égalementvocation à être amalgamées àl’échelle d’un CMS métropolitain.Cette « couche » numérique permet ainsi d’enrichir le servicerendu, en tirant partie de l’expéri-ence acquise et en l’intégrant àdes actions structurantes commela rénovation énergétique des logements.

En matière de mobilité, le groupeBolloré avait développé son sys-tème Bluely sur le territoire de laville de Lyon, en parallèle de l’ex-périmentation Lyon Smart Com-

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Immobilier : l’enjeu de la numérisation du patrimoineAu-delà du suivi des consommations, la numérisation constitue unenjeu fort pour les détenteurs de patrimoines immobiliers. C’est pourcette raison que MAISONS & CITÉS, premier bailleur des Hauts deFrance, a décidé de numériser l’ensemble de son patrimoine. D’ici à 4 ans, les collaborateurs de la société HLM pourront travailler sur lamaquette numérique des 63 000 logements qu’ils gèrent au quotidien.Au-delà de cette seule numérisation, c’est l’ensemble des acteurs in-ternes et externes de l’organisme qui sont amenés à faire évoluer leurmode de fonctionnement :• Les services « métier » qui, pour connaitre les caractéristiques tech-niques d’un bâti, font aujourd’hui appel à la mémoire des hommeset aux plans « papier » soigneusement archivés (certains plans datent du XIXe siècle !), auront demain accès à toutes ces informa-tions en un clic.• Les prestataires techniques deviendront des contributeurs quotidiens de la maquette numérique, pourla mettre à jour et l’enrichir au fil de leurs interventions.• Les parties prenantes institutionnelles pourront se projeter dans une opération future de constructionou de réhabilitation.• Les futurs locataires, à qui des visites virtuelles des logements seront proposées.C’est donc l’ensemble de « l’écosystème Maisons & Cités » qui bénéficiera de cette révolution numérique,devant pour cela et progressivement s’y acculturer : remettre en question des habitudes solidement ancrées tout en intégrant le jargon des start-up spécialisées (BIM, IFC, UNIFORMAT, LOD…). Les écartsculturels sont grands et la conduite du changement revêt une importance particulière.Pour prendre en compte toutes ces dimensions et fédérer les différents acteurs, Maisons & Cités se faitaccompagner par Aatiko Conseils (organisation et système d’information) et Idéha (sur les volets inté-gration SITP, ingénierie de la donnée « patrimoine » et du BIM d’exploitation). Elle a pris le parti d’un projetouvert et collaboratif, impliquant largement l’ensemble des services. et décidé de structurer Son systèmed’information et son organisation seront structurés autour d’une cellule dédiée, maitrisant les compé-tences numériques (acquisition et mise à jour des données, développements spécifiques…), techniques(pilotage des maitres d’œuvres en charge de constituer les DOE numériques) et humaines (pilotage deprojet et conduite du changement).

Pierre-Louis ROUSSEL, associé, Aatiko Conseils

Maquette numérique d’unlogement réalisé en juin 2017

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munity à La Confluence. Depuisla fin de l’expérimentation, Bluelya été installé sur 3 des 6 stationssunmoove de La Confluence. Ensuite, la Compagnie Nationaledu Rhône (CNR) nous a proposéde mettre en place un systèmede recharge électrique issu d’énergie 100 % renouvelables,suivi d’un système de recharged’autres types de véhicules élec-triques (vélos, navette autonomeNavly…). La CNR recueille égale-ment les données de consom-mation énergétique et d’usagede ces dispositifs. Nous réflé -chissons à ces développementsde manière intégrée. Ainsi, nousavons monté une opération enpartenariat avec un acteur privéafin de couvrir la toiture d’unéquipement public de panneauxphotovoltaïques correspondantà la production d’énergie néces-saire pour alimenter ces infra-structures de mobilité. De cettemanière, nous démontrons qu’ilest possible de décorréler la mobilité de la consommationd’énergie fossile et de la produc-tion de CO2 et de l’associer aucontraire à une production verteet en cœur de ville.

Comment traitez-vous la dimension techniquede l’évolution de vosmétiers ?Ces expériences nous ont amenésà découvrir de nouveaux champsd’activité, forcés à mieux com-prendre les mécanismes à l’œuvre,

à nous former à de nouveaux sujets et à pénétrer dans uneconception de la ville et de sesservices différente.

Nous avons recruté un ingénieurspécialisé afin de suivre le dé-ploiement du réseau de chaleururbain et de développer le volet« recueil des données » dans cha-cune des copropriétés, neuvesou anciennes. Il s’agissait de com-pétences relativement neuvespour notre structure, qui faitégalement appel à des presta -taires externes et à une autre di-mension de notre métier : cellede la donnée. S’approprier les en-jeux liés à son recueil, sa gestionet sa transmission est essentielafin de tendre vers l’optimum quicorrespondrait à un territoiremaîtrisant son destin énergétique,équilibré entre production et consommation.

Concrètement, l’outil du CMSpublic a été développé en interneà la métropole, par la directionInnovation numérique & systèmesd’information. La conception de

cet outil a consisté à simplifierla technologie de celui développéinitialement par Toshiba, afin dele rendre plus flexible et directe-ment utilisable par les services.S’agissant de la plateforme dedonnées, nous avons développédes partenariats locaux en lienavec la métropole. Par exemple,nous avons répondu à l’appel àprojets Horizon 2020 avec Enedisdans le cadre d’une véritable collaboration.

Comment appréhendez-vous le décalage entre le temps long del’aménagement et le temps court, voirel’obsolescence rapide,des innovationstechnologiques etsolutions numériques ?Nous nous devons d’être très vi -gilants sur l’obsolescence des solutions numériques, et par con-séquent réussir à maintenir cesprestations au juste niveau d’in-tégration et être aguerris auxchangements. Cela passe par dela veille et de l’agilité. C’est danscette optique que nous faisonspartie du réseau de la SmartBuilding Alliance8 depuis l’expéri-mentation Lyon Smart Commu-nity. Cela nous amène à parlerd’autres langages avec des ac-teurs d’horizons divers, et d’échan -ger avec des opérateurs impliquéssur d’autres expérimentations.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

La fabrique urbaine dans la ville intelligente

Compteurs intelligents : suivi des consommations de chaque logement ausein d’Hikari

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DÉVELOPPER L’INNOVATION NUMÉRIQUE :

LES PRATIQUESDES TERRITOIRESAPERÇU CRITIQUE ET RETOURS D’EXPÉRIENCES

La volonté d’innovation mais aussi le souci dudéveloppement économique caractérisent la stratégienumérique de nombre de collectivités. À côté dedémarches classiques (mise en place de réseaux et deplateformes numériques, ouverture des données), d’autresmodes d’intervention, s’inscrivant dans des dispositifs

d’appels à projets ou ponctuels, sont mis en œuvre par les collectivités, avec bien souventune contribution décisive de leurs opérateurs.

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L’expérimentation menée avecle NEDO n’a pas conduit audéveloppement d’un modèleéconomique pérenne. Mais ellea permis par exemple auxcitoyens, ainsi qu’à nous-même,de s’emparer de nouvelles façonsde faire. La finalité est avanttout de rendre de nouveaux ser -vices aux citoyens, adaptés àleurs besoins, en termes de con-fort et de santé en ville. Actuelle-ment, nous réfléchissons à denouveaux modes de faire dansces domaines, via un projet demaison de la santé nouvellegénération.

De manière générale, le formatde l’expérimentation permet pen-dant une période donnée de créerles conditions d’intégration d’unesolution sur un territoire. Il esten effet l’occasion de tester desmodèles de partenariat et de

gouvernance et de déterminer lemodèle économique le plus adap-té, puis d’envisager les évolutionspossibles vers un service pérenneune fois le test validé. n

1- Lyon Smart Communitys’appuyait sur 4 grands projets :l’îlot Hikari à énergie positive, un parc de véhicules électriquespartagés, l’éco-rénovation de lacité Perrache et l’outil CMS(community energymanagement system : systèmede gestion, production etdistribution de l’énergie àl’échelle du quartier)

2- Agence environnementalejaponaise, équivalent del’ADEME en France.

3- Appel à projets européen initiéen 2015, inscrit dans leprogramme « Horizon 2020 »,visant à développer, tester etdéployer des solutionsréplicables, équilibrées et

intégrées dans les secteurs del’énergie, des transports et destélécommunications

4- Anciennement nommé LyonLiving Lab

5- Appel à projets lancé par lesministères de l’Écologie et duLogement en octobre 2015 dédiéà l’émergence de projets urbainsfortement innovants ayantvocation à devenir la vitrinefrançaise en matière de villedurable

6- Installation des Conso Tab,outils de suivi desconsommations énergétiquesdes foyers, dans les logementsde la Cité Perrache

7- Community ManagementSystem.

8- Créée en 2012, la Smart BuildingAlliance fédère à ce jour 170organisations représentantes del’ensemble des corps de métiersliés au bâtiment et aux acteursde la smart city, pour penser etdéfinir le smart building

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Une nouvelle quête pourles collectivités

Accordons-nous sur une hy-pothèse commune auxmétropoles françaises :

chacune de ces collectivitéssouhaite favoriser sur son terri-toire le développement de nou-

veaux services numériques ainsique l’entrepreneuriat numérique.Les premiers apportent aux usa -gers une nouvelle gamme de so-lutions leur « facilitant la ville »avec des expériences en tempsréel et personnalisées. Le secondcontribue au développementéconomique local et peut dans

certains cas générer de nouveauxservices urbains sur le territoire.

Cette hypothèse pourrait se vérifier sur la base de constatssimples, la prolifération de nou-veaux services numériques misen place dans les métropoles parla collectivité ou avec son sou-tien : mobilité, stationnement,

Lionel GASTINEDirecteur, Urbanova

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e-administration, culture et loisirs.Et pour l’entrepreneuriat numéri -que, l’engouement de nom-breuses métropoles pour obtenirle label « French Tech » délivrépar l’État aux écosystèmes destart-up reconnus comme lesplus remarquables en France parleur dynamique de croissance.

4 exemples de dispositifspour stimulerl’innovation numériqueLe développement des réseauxnumériques, la mise en place deplateformes numériques, ou en-core les stratégies d’open datasont régulièrement évoqués pourillustrer les actions de collectivitéssouhaitant favoriser le développe-ment de services numériques oude l’entrepreneuriat numérique.

Afin de compléter ces exemples,déjà bien documentés, quatre illustrations de dispositifs sontpar la suite proposées :• Les appels à projets innovants

thématiques mais « non spéci-fiques au numérique » organiséspar les collectivités : ces disposi-tifs se multiplient actuellementet, bien que non dédiés aux nou-veaux services numériques, ils

peuvent devenir l’un de leursprincipaux vecteurs de diffusionsur un territoire.

• Les hackathons et challengesdata qui ciblent plus spécifique-ment la création de nouveauxservices numériques par l’entre-preneuriat numérique.

• Les appels à projets innovantsayant une forte dimensionnumérique auxquels les collec-tivités répondent avec des parte-naires : ces appels à projets sontsouvent organisés par l’État etla Commission européenne.

• Les projets de nouveaux servicesmenés en interne par les collec-tivités. Ces initiatives ne cons -tituent pas un dispositif en tantque tel mais implique la maîtrised’un certain nombre de métho -des, qui permettront un pointde comparaison intéressantavec les autres illustrations.

Ces quatre illustrations présen-tent à l’évidence une certainehétérogénéité dans leur finalitéet leurs modalités d’application :• Le nouveau service numérique

n’aura pas le même niveau dematurité selon les dispositifs :un hackathon aboutit à un con-cept ou, au mieux, à un proto-type de service numérique, les

appels à projets de l’État ou dela Commission à de l’expérimen-tation à grande échelle, et unedémarche interne d’une collec-tivité le plus souvent à l’exploita-tion d’un nouveau service.

• La possibilité pour la collectivitéde contribuer à la définition duservice numérique n’est pas lamême : par définition, le hacka -thon laisse une place importanteà l’imagination des participantsà l’inverse d’un projet de servicenumérique porté en interne parla collectivité.

• Les interactions entre la collec-tivité et les autres partenaires(entreprises, start-up) varient :très faibles pour un projet in-terne, ponctuelles lors d’unhackathon, beaucoup plus in-tenses lors du montage d’unprojet collaboratif.

Cette hétérogénéité ne retire rien à l’intérêt de présenter indi-viduellement ces dispositifs avec leurs avantages et inconvé -nients, et surtout à l’enjeu quesouhaite pointer ce court article :la mobilisation de ces disposi -tifs requiert une évolution descompétences et des pratiquesprofessionnelles encore trop sou-vent sous-estimée au sein descollectivités.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

La fabrique urbaine dans la ville intelligente

Appel à projets(AAP) innovants

non spécifiques aunumérique lancé parune collectivité (ex :

Réinventer Paris)

Hackathon etchallenge

data(co)organisé

par unecollectivité

Réponse d’unecollectivité à un AAP

innovants de l’Étatou de la Commission

avec une fortedimension numérique

Nouveau projetde servicenumérique

porté en internepar la

collectivité

Maturité attendue du servicenumérique à l’issue du dispositif +++ + ++ +++Possibilité pour la collectivité dedéfinir le service numérique enamont

+ + ++ +++

Intensité des échanges et dutravail collaboratif avec lespartenaires

+ ++ +++ +

Des dispositifs qui diffèrent dans leur finalité et leurs modalités d’application

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Appels à projets innovantsthématiques « nonspécifiques au numérique »organisés par lescollectivités Si les appels à projets spécifiquesaux nouveaux services numé -riques semblent encore rares, lesappels à projets sur d’autres thé-matiques sont en revanche plusrépandus, à l’instar des appels à projets urbains innovants. Apparus récemment avec Réin-venter Paris en 2015, ils connais-sent une diffusion rapide : Réin-venter la Seine et Inventons laMétropole du Grand Paris en 2016,Imagine Angers (1er semestre2017), Réinventer Paris 2 (2e se-mestre 2017). D’autres collectivi -tés ou aménageurs, sous d’autresdénominations, s’en inspirent.

Les nouveaux services numéri -ques urbains sont rarement ciblésdans ce type d’appels à projets.

Toutefois, le règlement de cesderniers, souvent très large, fa-vorise une innovation tous azi -muts et, de fait, les innovationsnumériques.

Avantages – Le règlement trèslarge, qui promeut l’innovation,incite à intégrer des nouveauxservices numériques, qui sedévelopperont a priori à l’échelled’un îlot, voire d’un quartier. Lessolutions intégrées par les can-didats sont souvent des servicesinnovants existants (solutionscommerciales), à l’inverse desprojets d’expérimentation qui s’attachent à tester des solutionsdont le processus d’innovationn’est pas encore achevé, avecdonc une probabilité non négli -geable de ne pas aboutir.

Inconvénients – La volonté dedisposer de propositions « tousazimuts » a une contrepartie, lesattentes de la collectivité sont

le plus souvent très peu définiesen amont. Difficile donc de trou-ver une éventuelle cohérence parmi les projets retenus sur lesdifférents sites1 et de rattacherces nouvelles solutions numéri -ques à une stratégie plus globale.Par ailleurs, si l’innovation estsouvent présente, elle est parfoisportée par des start-up dont ladurée de vie est aléatoire.

Les hackathons et challenge dataLes hackathons rassemblent desdéveloppeurs et entrepreneurssur une période courte (par ex-emple, un week-end) pour pro-duire dans un esprit de compéti-tion des prototypes de nouvellessolutions numériques. Les chal-lenge data conservent cet espritde compétition et s’adressent aumême public mais se déroulentsur une durée plus longue (4-6mois) avec souvent une étapeintermédiaire qui permet de sélec-tionner des lauréats qui dis-poseront d’un accompagnementdédié pour mûrir leur projet.

Alors que ces méthodes sont is-sues du monde de l’entreprise,plusieurs métropoles leur ont rapi-dement emboîté le pas et se sontlancées dans l’organisation deces événements souvent en parte-nariat avec des sponsors privés.La ville de Paris a ainsi organisé,dès 2013, Moov’in the city avecJCDecaux, la RATP et la SNCF.Cet événement visait à mettre àdisposition des jeux de donnéesà des développeurs et entrepre-neurs mis en compétition pourproposer la meilleure applicationde mobilité possible. La ville deParis a récidivé en 2015, sous unformat similaire, avec DataCity,puis en 2016, en associant denouveaux partenaires industriels2.En s’appuyant sur son partenaire,le NUMA, tiers lieu et incubateurnumérique, elle cherche désor-mais à inscrire cet événementdans le réseau mondial C40 desvilles engagées dans la lutte

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

À Nevers, une ancienne caserne devient unpôle numérique de haut niveauSuite à la fermeture de la caserne militaire Pittié à proximité immédiate de la gare, la ville de Nevers a confié à NIÈVRE AMÉNAGEMENT une concession d’aménagement pour la re -conversion du site.

En 2013, le site connait unnouveau départ avec ledéveloppement d’un hôteldu numérique dans l’un des bâtiments centraux.L’INKUB offre 4000 m2 deplateaux sur 4 niveaux, ac-cueillant notamment desnouvelles entreprises dumonde du numérique. Lebâtiment comprend égale-ment un « hôtel d’entre-prises », un service « pépi -nière », un service co- working, le tout équipé enfibre très haut débit, avecdata center, cloud privatifet salle de réunion équipéede visioconférence…

Occupant une partie de l’ancienne caserne Pittié, L’INKUB s’inscritdans une stratégie plus globale de l’agglomération de Nevers autourdu développement économique territorial et du pari du numérique

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contre le changement climatique.Autre exemple, la métropole deLyon a contribué à la créationen 2014 du Tubà, un living labqui, de façon périodique, organisedes challenge data avec des données privées et des donnéespubliques de la collectivité.D’autres métropoles commeRennes ou Nice ont, depuis, or-ganisé des événements similaires.

Avantages – Ces dispositifs con-stituent indéniablement unmoyen de « sourcer » et de valo -riser les innovations numériquesdans l’écosystème d’entrepriseset de start-up de la collectivité.C’est également une façon destimuler cet écosystème et l’en-trepreneuriat sur son territoire.Enfin, des métropoles (ou desdispositifs associés comme leTubà) organisent ces événementsavec une forte contribution dusecteur privé, ce qui limite lerisque pour la collectivité.

Inconvénients – Par essence, cesdispositifs laissent une large partà la créativité. S’il est possiblede « périmétrer » la thématiqueet donc les services numériquesvisés, la capacité de la collectivitéà définir en amont les servicesattendus reste limitée. Par ailleurs,ce dispositif aboutit le plus sou-vent à un prototype qui doit en-core faire l’objet de développe-ments parfois longs avantd’aboutir à une solution viable.

Appels à projets innovantsde l’État ou de laCommission ayant une fortedimension numérique etauxquels les collectivitésrépondent avec despartenaires Répondre à ces appels à projetspeut constituer, pour les collec-tivités, une opportunité et un dis-positif qu’elles mobilisent pourdévelopper de nouveaux servicesnumériques ou pour stimuler l’en-trepreneuriat. Ces appels à pro-jets peuvent être focalisés sur le

numérique ou porter sur une autrethématique (nouvelles mobilités,smart grid) avec une forte com-posante numérique dans unelogique d’innovation. Ils ne sontpas récents, étant régulièrementorganisés par l’État depuis lelancement opérationnel du Programme d’Investissementd’Avenir (2010)3. De façon ana-logue, la Commission européennepropose des appels à projets im-pliquant des collectivités commele Call for Smart Cities & Com-munities, organisé annuellementdepuis 2014, qui incite trois villeseuropéennes à constituer un con-sortium, entre elles et avec despartenaires privés, en vue d’ex-périmenter à grande échelle desnouvelles solutions numériquesdans le domaine de l’énergie, dela mobilité, de l’urbanisme et desservices aux citoyens.

Avantages – Ce dispositif permetde s’appuyer sur des expertisesnumériques parfois absentes ausein de collectivités en allant leschercher chez les partenairesprivés du consortium (qui peuventd’ailleurs être des start-up du ter-ritoire que la collectivité se félici -tera de voir grandir grâce au projet). Il permet de co-définir leservice numérique avec les parte-naires et de s’assurer plus facile-ment de son adéquation avecles autres stratégies portées parla collectivité. Il se base sur lacontribution des différents parte-naires, et donc un partage desrisques. L’évaluation du projetpar l’État ou la Commission dimi -nue le risque – sans le faire dis-paraître – de développer des projets sans modèle économique.

Inconvénients – Le montage dece type de projet collaboratif neva pas sans une certaine com-plexité : effort soutenu pour lacollectivité lors de la phase demontage du projet dans desdélais souvent courts, délais enrevanche longs lors des phasesde sélection des projets et d’at-tribution des subventions, coor-dination entre les partenaires,

alignement nécessaire entre descultures parfois très différentes.Si la collaboration public-privéedevrait permettre d’enrichirmutuellement les expertises, lacollectivité devra rester vigilantesur le modèle économique duservice numérique à l’issue duprojet (partage de la propriétéintellectuelle, répartition des re-cettes et des charges en phased’exploitation…).

Projets de nouveauxservices numériques menésen interne par lescollectivitésCes initiatives ne constituent pasun dispositif en tant que tel maisplutôt des démarches internes.Elles permettent un point de com-paraison intéressant avec lesautres exemples. Les projets con-cernés exigent souvent un fortniveau d’expertise. Aujourd’hui,ils sont souvent menés par descollectivités fortement struc-turées, dotées de moyens et avecune appétence des services oudes élus pour les servicesnumériques4. Le développementde nouveaux services numériquesen interne semble porter aujour -d’hui sur des portails numériques,l’e-administration, la culture, lamobilité parfois5.

Avantages – Possibilité pour lacollectivité de définir le serviceattendu et d’en maîtriser lesétapes de conception, productionet exploitation.

Inconvénients – Des carencessouvent fortes sur des compé-tences nécessaires à la réussitedu projet sur ses différentesétapes, de la conception à l’ex-ploitation, une réussite du nou-veau service numérique forte-ment dépendante de la capacitéde la collectivité à se mettre enmode projet alors que la produc-tion de nouvelles offres de ser -vices n’est pas dans son ADN.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

La fabrique urbaine dans la ville intelligente

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Mobiliser les dispositifsd’appui à l’innovationnumérique

Le tableau ci-contre identifie,sans être exhaustif, les compé-tences requises pour mobiliserles quatre dispositifs présentésprécédemment. Compétences etpratiques professionnelles restentencore souvent sous-estimées.

Appels à projets innovantsthématiques « non propresau numérique »Nous prendrons pour exemple lecas des appels à projets urbainsinnovants.

Compétences et pratiques pro-fessionnelles requises – Les ap-pels à projets urbains innovantsincluant des nouvelles solutionsnumériques exigent un minimum

de connaissance sur les usagesnumériques et le modèle écono -mique des nouveaux servicesnumériques : il s’agit d’une partd’évaluer la pertinence des ser -vices proposés pour les futurs usagers et au regard d’unestratégie plus globale de la col-lectivité, et d’autre part de s’as-surer que le modèle économiqueproposé par le partenaire estcrédible, au risque de voir dis-

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Le projet « Rue connectée et espaces partagés » : l’innovation au servicedu bien-être et du mieux-vivre en villeEn novembre 2016, la Caisse des Dépôts a lancé huit démonstrateurs territoriaux smart city, qui ont vocation àdevenir des vitrines du savoir-faire français en matière de ville intelligente. Déployés à Besançon, Bordeaux,Lyon, Nantes, Nice, Toulouse et sur deux sites de la région parisienne (le parc tertiaire et le futur village olympiquede Paris 2024), ces démonstrateurs sont développés en partenariat avec les collectivités concernées.Dans le cadre du démonstrateur nantais et de la stratégie de territoire d’innovation de Nantes Métropole, laSAMOA, en partenariat avec l’Ecole de Design de Nantes Métropole, met en œuvre le projet « Rue connectéeet espaces partagés ». Il vise à concevoir et mettre en œuvre un espace public « intelligent » qui sera le territoired’expérimentations innovantes dans les usages dédiés au bien-être et au mieux-vivre en ville. La rue connectéese veut un lieu partagé, support de services innovants et créateur de nouvelles valeurs d’usages et de nouveauxmodes d’urbanité.Le projet s’inscrit dans le cadre de l’aménagement du quartier de la création de l’Ile de Nantes et des missionsde la SPL sur le territoire. A titre d’exemple, voici quelques thématiques qui seront explorées : mobilités douces,gestion des espaces publics multi-usages, captation de données environnementales et services associés, énergieen circuit court, mobilier urbain augmenté…• Piloter le projet d’aménagement urbain de l’Ile de Nantes : 337 ha qu’il s’agit d’aménager sur l’Ile, dans une nouvelle approche de la fabrique de la ville passant notamment par des expérimentations innovantes, en courset à venir.• Développer économiquement un territoire attractif à l’échelle européenne, s’appuyant sur des communautésd’intérêts, constituées autour de groupements d’acteurs à même de faire émerger des projets ou de lancer desappels à projet orientés vers les start-ups et les créatifs.La SAMOA a mobilisé son réseau d’acteurs pour co-construire le projet avec l'assistance de la SCET, dans unedémarche de création d’un écosystème innovant d’acteurs et une gouvernance équilibrée, optimisant le déploiement de solutions pour la rue connectée. Ce réseau d’acteurs regroupe de grands industriels nationaux(Engie, EDF, Colas...) ou locaux (Lacroix) mais aussi des ETI*, des PME et des start-ups, entre lesquels le démonstrateur vise également à développer des synergies fortes.Le projet présente en outre un volet de data management, s’articulant également avec les autres projets impliquant la métropole, en particulier le Datalab de l’énergie et SMILE**.Le process exploré lors des projets « quartier démonstrateur » va permettre de mettre en place des bonnes pratiques autour de l’exploitation de la donnée, de façon claire pour les usagers-citoyens, dans une logique deconstruction de nouveaux services urbains.

L’objectif du projet de l’Ile de Nantes : créer une centralitéopérationnelle et reconnue de la métropole Nantes SaintNazaire en accueillant tous les usages – logements, activitéséconomiques, enseignement supérieur, grands équipements,espaces culturels et de loisirs. Le projet « Rue connectée etespaces partagés » s’inscrit dans le programme « Ile deNantes – expérimentations », un dispositif exploratoire etmodulable de fabrication de la ville de demain* Entreprises de taille intermédiaire – ** Voir encart ci-après

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paraître le service rapidementaprès sa mise en service. Dansce cas, le foncier ayant été venduau promoteur lauréat, la collec-tivité disposera de leviers proba-blement très faibles pour s’assurerde la pérennité du service numé -rique proposé par cet acteur oul’un des partenaires de songroupement. En revanche, la pro -position de service numérique,sa conception et son exploitationétant du ressort de l’acteur privé,la collectivité n’aura pas à menerun travail approfondi de co- conception du service ni à s’as-surer en détail de sa faisabilitétechnique, ces efforts et cesrisques étant à la charge de l’acteur privé.

Risques identifiés – Les analysesde ces projets sont souvent réa -lisées par les services d’urbanismede la collectivité avec une faibleculture numérique. Le service encharge de l’innovation numérique,lorsqu’il existe au sein de la collectivité concernée, est rare -ment sollicité. Les assistances àmaîtrise d’ouvrage intervenantauprès de ces collectivités pourles appuyer dans l’analyse descandidatures sont également à

dominante urbaine. Elles pro-posent encore rarement unréseau d’experts numériques mo-bilisables. Il y a donc un risquefort que la pertinence des servicesnumériques proposés et leur mo -dèle économique soient superfi-ciellement abordés.

Hackathons et challengesdata Compétences et pratiques pro-fessionnelles requises – Ce dis-positif exige de connaître au seinde la collectivité les donnéesdisponibles, leurs caractéristiques(format, qualité, fréquence d’ac-tualisation) mais aussi leurs con-ditions d’utilisation, sous peinede compromettre fortement l’in-térêt de l’événement pour lesdéveloppeurs et les entrepreneursparticipants. Une faible connais-sance des services numériqueset de leurs modèles économiquesne pénaliserait pas directementle dispositif. Toutefois, cettecarence risque d’amener à reteniret à mûrir des solutions dont lemodèle économique était en réa -lité d’emblée voué à l’échec : unpoint faible qui pouvait paraitreinvisible à l’entrepreneur par excès

d’optimisme et à la collectivitépar son manque de capacité d’analyse. Les hackathons et chal-lenge data (co)organisés par une collectivité exigent égale-ment qu’elle se préoccupe desdispositifs disponibles – publicsou privés – pour accompagnerles lauréats dans leur futur par-cours entrepreneurial. À ce titre,plusieurs dispositifs développéspar les collectivités ces dernièresannées se révèlent inadaptéspour ce type d’entrepreneuriatnumérique (accompagnementtraditionnel à l’entrepreneuriat,pépinières traditionnelles) et lacollectivité doit savoir composeravec des offres d’accompagne-ment privées et performantesqui ont pu émerger sur son terri-toire.

Risques identifiés – Plusieurshackathons et challenge data(co)organisés par certaines col-lectivités ont montré leur capac-ité à ouvrir leur donnée mais sanstoujours faire le lien avec des en-jeux clairs de politiques publiqueset de nouveaux services numé -riques d’intérêt pour elle. Certesce type d’exercice doit laisser unelarge place à la créativité, mais

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

La fabrique urbaine dans la ville intelligente

Compétences et pratiquesprofessionnelles nécessaires au seinde la collectivité

Appel à projets(AAP) innovantsnon spécifiquesau numériquelancé par une

collectivité (ex :Réinventer Paris)

Hackathon etchallenge

data(co)organisé

par unecollectivité

Réponse d’unecollectivité à un

AAP innovants del’État ou de la

Commission avecune forte dimension

numérique

Nouveauprojet deservice

numériqueporté en

interne par lacollectivité

Data (analyse, traitement etvalorisation des données) + +++ +++ +++Usages numériques et design deservices numériques ++ ++ ++ +++Modèles économiques des servicesnumériques ++ ++ +++ +++Culture des acteurs privés et del’innovation partenariale + ++ +++ +Nouvelles modalités d’actions pourl’accompagnement public àl’entrepreneuriat numérique

+ +++ + +

Compétences et pratiques professionnelles requises au sein de la collectivité pour mobiliser les dispositifs

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la collectivité ne doit pas oublierde formuler et partager ses enjeuxpour tirer in fine suffisammentde valeur de ces dispositifs. Lerisque existe donc d’une faiblecoordination entre un directeurdes systèmes d’information ouchief data officer de la collectivité,impliqué dans l’organisation del’événement, et les directionsmétiers à même de partager leursenjeux et leur retour terrains parrapport à des projets de nou-veaux services (ex : voirie et mo-bilité, urbanisme, énergie, etc).Par ailleurs, les responsables dudéveloppement économique ausein des collectivités n’ont pasnécessairement pensé en amontla suite du parcours entrepre -neurial des lauréats et de l’offred’accompagnement pertinentequi peut se trouver désormaisdans le secteur privé (ex : ac-célérateur privé).

Appels à projets innovantsde l’État ou de laCommission ayant une fortedimension numérique Compétences et pratiques pro-fessionnelles requises – La réus-site à ces appels à projets est exigeante pour une collectivité.Elle requiert une bonne connais-sance des enjeux de la donnée,des compétences « métier »fortes selon la thématique del’appel à projets avec une appé-tence pour l’innovation (nouvellesmobilités, smart grid…) et unebonne compréhension des ac-teurs privés afin de collaborerétroitement avec eux. Unemaitrise minimum des modèleséconomiques sera également une clé du projet. S’il est possiblepour la collectivité de s’appuyersur l’expertise apportée par lesentreprises de son consortium,elle devra rester attentive auximplications financières pendantle projet mais surtout à sonterme : partage de la propriétéintellectuelle, modèle économi -que du nouveau service et coûtéventuel pour la collectivité.

Risques identifiés – Plusieurs ex-périences ont montré un risquede déséquilibre avec les indus-triels du consortium : certainescollectivités par manque de com-pétences ont pu mal anticiperce que la pérennisation d’un nou-veau service numérique innovantimplique comme dépenses enphase d’exploitation. Certainsprojets révèlent également la dif-ficulté de la collectivité à trouversa posture à l’issue du projet parrapport à ses partenaires privés :internalisation de tout ou partiedu service ? Délégation à un ac-teur privé ? Non-intervention dela collectivité et initiative laisséeau secteur privé ? Ces questionspeuvent en partie être levées parun renforcement des compé-tences sur les modèles économi -ques. Un autre risque est de voirla collectivité consacrer beau-coup d’effort pour monter cesprojets avec un résultat décevant(projet non sélectionné) car ellene dispose pas encore des com-pétences suffisantes en interne.Cette expérience ne sera paspour autant inutile car l’effet d’apprentissage est souvent fort,et le recours à une assistance àmaîtrise d’ouvrage peut permet-tre de pallier temporairementcette insuffisance en vue d’unemontée en compétence progres-sive des équipes.

Projets de nouveauxservices numériques menésen interne par lescollectivitésCompétences et pratiques pro-fessionnelles requises – Ces ini-tiatives ne constituent pas undispositif mais relèvent plutôtd’une démarche interne et vien-nent apporter un point de com-paraison intéressant. La collec-tivité doit dans ce cas maîtriserla chaîne de compétences utileà la conception, la productionvoire l’exploitation du servicenumérique. Parmi celles-ci, lescompétences liées à la donnée(analyse, traitement, valorisation)

et aux impacts du nouveau ser -vice sur le système d’information,le design de services et l’élabora-tion de modèles économiquesde services numériques.

Risques identifiés – Les 4 com-pétences ci-dessus sont rarementtoutes rassemblées au sein descollectivités. Le plus importantest sûrement d’en prendre con-science : plusieurs d’entre ellesont par exemple perdu de longmois à définir correctement leurprojet de nouveau servicenumérique, faute d’un travail con-venable d’analyse des usages etde design de services. Quelques(rares) collectivités, ont récem-ment eu recours à des assistancesà maitrise d’ouvrage pour répon-dre à ces besoins, ce qui traduitun début de prise de conscience.À titre d’exemple, la direction del’innovation numérique et dessystèmes d’information de lamétropole de Lyon s’est dotéed’une assistance à maîtrise d’ou-vrage pour disposer de compé-tences en « design de services,prototypage et expérimentation »pour l’appuyer dans le développe-ment de ses nouveaux servicesnumériques. Une consultationqui révèle une bonne compréhen-sion de l’importance de ces com-pétences et sûrement une pre-mière étape pour progressive-ment les intégrer au sein deséquipes.

Ces quatre illustrations donnentun aperçu de la diversité des dispositifs d’appui à l’innovationnumérique pouvant être mobiliséspar les collectivités. Ces dispo -sitifs peuvent sensiblement dif-férer dans leurs objectifs et leursmodalités de mise en œuvre, ainsique dans leurs avantages et inconvénients respectifs. Maistous ont un point commun : ilsnécessitent que la collectivitémaîtrise de nouvelles compé-tences et pratiques profession-nelles, un enjeu encore trop sou-vent sous-estimé. n

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La fabrique urbaine dans la ville intelligente

Smile : un smart grid pour l’électricité et le gazPorté par les régions Bretagneet Pays-de-la-Loire, Smile estl’un des 3 premiers projetsretenus dans le cadre de l’appelà projets « Réseaux électriquesintelligents », lancé dans lecadre de la Nouvelle France industrielle : un projet porté par l’AGENCE RÉGIONALEPAYS-DE-LA-LOIRE et son homologue breton BretagneDéveloppement Innovation.Smile (SMart Ideas to Link Energies : des idées pour relierles énergies) a été labellisé en2016 avec 2 autres program -mes : Flexgrid porté par la ré-

gion PACA et You&Grid porté par la métropole européenne de Lille. Smile intègre deux démonstrateursnationaux complémentaires, Smart Grid Vendée, porté par le SyDEV (Syndicat Départemental d’Energie et d’Equipement de la Vendée), et SOLENN à Lorient, porté par ENEDIS. Les objectifs du projet : utiliser et protéger les données énergétiques, augmenter la part des énergies renouvelables, accompagner les citoyens et les collectivités dans les économies d’énergie, assurer la cybersécurité desréseaux. Concrètement, 4 départements sont concernés : Ille-et-Vilaine, Morbihan, Loire-Atlantique et Vendée.Smile et les 2 autres lauréats sont financés par le PIA* : au total, cela représente une vingtaine de démonstrateurs dont l’ADEME a dressé un premier bilan. En matière de maîtrise de la demande en électricité (MDE), les projets ont permis de développer un véritable culture de l’énergie des consomma-teurs (entre 1 à 10 % d’économies réalisées par les utilisateurs, selon l’ambition du dispositif mis enplace). En matière d’insertion des EnR, deux points épineux restent en suspens : la valorisationéconomique des écrêtements de production consentis par les producteurs EnR et du stockage de l’énergie. En matière de pilotage des réseaux, les démonstrateurs montrent globalement le caractèreindustrialisable et mature de plusieurs briques technologiques.Faciliter l’injection de biométhane et la décentralisation du système gazierConscients que la transition énergétique doit reposer non seulement sur l’électricité renouvelable, maisaussi sur le biogaz et la maîtrise globale des consommations, Smile s’est ouvert au gaz avec une expérimentation de smart gas grid ou « réseau de gaz intelligent » : toujours porté par les 2 régions,West grid synergy a été lancé par GRTgaz, GRDF, Soregies, Morbihan Énergies, le Sieml, le SyDEV. L’injection de biométhane dans les réseaux publics de distribution de gaz naturel induit des problèmesspécifiques : en général, la production de biométhane a un débit d’injection constant toute l’année, ce qui n’est pas le cas des consommations de gaz naturel. L’une des solutions serait d’utiliser des techniques de « rebours », consistant à décongestionner une zone de distribution par compression dugaz vers le réseau amont. Deux territoires d’expérimentations ont été retenus : la communauté de communes de Pontivy (Morbihan) et Pouzauges (Vendée) où, à terme avec les projets en développe-ment, la production de biogaz représentera près de 40 % de la consommation locale de gaz.

* Dont l’ADEME est l’opérateur pour ce qui concerne les smart grids

1- Plus de 30 pour RéinventerParis 2

2- Vinci Energies, Setec, Suez,Nexity et Cisco

3- Le dernier en date (mars-septembre 2017) étant Territoiresd’Innovation - Grande Ambition

4- Voir, à ce titre, la créationrécente au sein de certainesmétropoles - par exemple, leGrand Lyon et Nice Côte d’Azur-d’un service dédié à l’innovationnumérique en complément de latraditionnelle direction dessystèmes d’information

5- Les nouveaux servicesnumériques liés aux nouvellesmobilités ou au smart gridexigent souvent de passer parun projet collaboratif (voir le casde figure précédent)

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On observe aujourd’hui uneinflexion dans les discourssur la smart city : au-delà

d’une vision technique et opti-misatrice jugée insuffisante, laville durable sera « humaine »,« participative » et « collabora-tive ». Le crowdsourcing peut-ilcontribuer à cette nouvelle visionde la ville numérique, en mobi -lisant la participation et l’intelli-gence de ses habitants ?

Les outils numériques de crowd-sourcing urbain donnent un rôleactif aux citoyens, habitants ouusagers, appelés à contribuer parde nouvelles données, avis, éva -luations, solutions et projets pourtransformer la ville. L’utilisationd’une application ou plateformenumérique permet de mobiliser« l’intelligence de la foule », c’est-à-dire d’ouvrir le processus deproduction de données ou d’ob-jets à un grand nombre de con-tributeurs non experts1. Wikipédia,encyclopédie produite et géréepar la contribution d’une com-munauté, et Open Street Map,cartographie collaborative, sont

deux exemples emblématiquesde crowdsourcing.

Trois tendances, qui s’entre-croisent, expliquent l’utilisationdes outils de crowdsourcing pourrépondre aux défis de la villedans un contexte de changementtechnologique et politique :• Ces initiatives s’inscrivent dans

une logique d’optimisation dela production et de la gestionde la ville vers la smart city.

• Elles accompagnent une logiquede transformation de l’actionpublique, de plus en plus sou -mise à l’évaluation et qui doitdémontrer sa légitimité et sonefficacité.

• Elles répondent enfin à un « im-pératif participatif »2, exigeantque les citoyens soient impliquésdans le développement et lamise en œuvre des politiquespubliques.

CROWDSOURCINGURBAIN ET

PARTICIPATION CITOYENNE NUMÉRIQUEMODE D’EMPLOI POUR UNE VILLE PLUS CONTRIBUTIVE ET DURABLE

Les expérimentations d’outils de crowdsourcing semultiplient dans les collectivités, et montrent de réellespromesses pour la conception et la gestion urbaines ainsique la participation citoyenne, avec des apports tanttechniques (données utiles) que politiques (dynamiquecollective). Les 3 utilisations principales de ces outils –se rapprocher d’une ville « omnisciente », partagerl’expérience urbaine et son évaluation, co-construire lefutur de la ville – correspondent à 3 niveaux decontribution attendue du citoyen – recensement ou

signalement, expression de préférences et d’attentes, propositions d’idées et projets pouraider à la décision. Les villes doivent être attentives à l’expérience proposée aucontributeur. L’outil numérique embarque un « logiciel » politique, qui définit le niveau detransparence, de dimension sociale, de liberté de contribution et de mise en capacité, et donc la nature de la démarche de la ville.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

Mathieu SAUJOTCoordinateur du programme Fabrique

urbaine, Iddri

Tatiana de FERAUDY, Chercheure Villes durables et

participation, Iddri

Les principes du crowdsourcing urbain

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L’étude que nous avons menéemontre que les collectivités ontlancé un grand nombre d’expéri-mentations de ces outils decrowdsourcing. Cette premièrephase d’appropriation des outilsa permis aux collectivités demieux évaluer les coûts et lesmoyens nécessaires à leur miseen œuvre (métiers, compétences,dispositifs d’accompagnement),ainsi que de préciser les apports.Alors qu’elles produisent de pre-miers retours sur leurs expérienceset ajoutent le crowdsourcing àleur « boîte à outils », il est im-portant de qualifier commentces outils agissent sur la gestionurbaine et les formes de la par-ticipation citoyenne. Afin d’ac-compagner les collectivités dansleur réflexion, nous proposons unmode d’emploi pour le choix etla conception d’outils de crowd-sourcing urbain.

Le crowdsourcingurbain : où en est-on ? Pour mieux comprendre les ap-ports potentiels, mais aussi lesdéfis générés par ces outils, troiscas d’étude ont été choisis etanalysés par l’Iddri :

• Nous avons d’abord observépourquoi et comment les col-lectivités mettent en place desoutils numériques de signale-ment urbain (FixMyStreet, Jaidemaville, TellMyCity, Dans-MaRue, Beecitiz…), qui permet-tent aux citoyens de transmettredes informations sur l’espacepublic : problèmes, suggestions,félicitations…

• Pour mieux comprendre l’appro-priation de ces outils, nous noussommes également intéressésà l’expérience de la ville de Paris,qui a développé différents outilsde participation citoyennenumérique : Dans Ma Rue,Madame la Maire j’ai une idée,Imaginons Paris Demain, Budgetparticipatif.

• Enfin, nous avons étudié ce queles outils de crowdsourcing ur-bain pouvaient apporter pourla formulation de politiquespubliques et la transformationdes pratiques dans un secteur

spécifique, celui du vélo : con-tribution de traces GPS, déve -loppement de cartes collabora-tives de cyclabilité, participationdes cyclistes à des concertationsnumériques.

Cette étude a mis en lumière lenombre et la diversité des expéri-mentations. Le crowdsourcing urbain fait aujourd’hui partie dela boîte à outils des acteurs (villes,associations, citoyens…). Notreanalyse a permis de vérifier sonpotentiel pour transformer la fa -brique urbaine. Ses apports tech-niques (obtenir de nouvelles don-nées, plus précises et mises àjour en temps réel, ainsi que desévaluations et recensements desespaces et services urbains) secombinent à des apports poli-tiques (renforcer l’efficacité del’intervention publique et la rap-procher des usages, rendre visi-bles des communautés ou despratiques, aider à la décisionpublique)3.

“ Le crowdsourcing fait aujourd’hui partie dela boîte à outils des acteurs [de la ville] ”

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La fabrique urbaine dans la ville intelligente

La ville de Paris a largement développé la participation citoyenne numérique

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Au sein des collectivités, ces outilsavaient été mis en place princi-palement pour offrir des espacesd’expression et de participationdans un contexte de défianceenvers le politique. Cependant,les premières expérimentationsont mis en lumière des défis tech-niques, organisationnels et poli-tiques. Les organigrammes de-vaient être transformés pour in-tégrer de nouveaux métiers (com-munity manager, développeur,chargé de participation numéri -que) et de nouvelles directions.Par ailleurs, des moyens impor-tants (humains, financiers, tech-nologiques) devaient être mobi -lisés pour assurer l’utilisation desoutils de crowdsourcing. Enfin, lamise en visibilité de l’interventionpublique permise par ces outils,qui aurait pu mener à sa critique,a pu susciter des réticences. Ainsi,les collectivités ont privilégié uneapproche expérimentale, limitantla portée des outils et cadrantfortement la contribution ducitoyen.

Ces expérimentations ont con-stitué une première phase d’ap-propriation et de diffusion au

sein des collectivités d’une « cul-ture numérique ». Le numériquen’est plus perçu comme une so-lution « magique » pour obtenirplus de participation tout enfaisant des économies. Les coûtsde mise en œuvre étant mieuxévalués, le crowdsourcing ne peutplus servir simplement à « faireparticiper » : il doit concrètementaider à mieux gérer et produirela ville, en collaboration avec lescitoyens. Afin d’atteindre cet objectif, deux défis restent à surmonter :• La multiplication des outils, par-

fois lancés de manière précipitéeou non coordonnée, a pu en-traîner un cloisonnement desinitiatives. Or, les coûts et lesbesoins de traitement, d’agré-gation et d’analyse des donnéescollectées restent importants.Afin d’assurer que ces donnéeset leur utilisation représententun apport pour la gestion de laville, une réflexion doit êtremenée a priori sur les finalitéspoursuivies et les moyens à met-tre en œuvre.

• Par ailleurs, les premières ex-périmentations n’ont pas encore

permis de mobiliser des com-munautés larges et représenta-tives : les collectivités s’interro-gent ainsi sur le besoin et lesmanières de « rétribuer » la con-tribution citoyenne, et d’assureraux contributeurs un impact surla décision. Elles tendent aujour -d’hui à s’orienter vers des « plate-formes » numériques pérennesrassemblant les outils d’infor-mation, d’interaction et de contribution, afin d’installer leurusage dans le temps et de pou-voir mobiliser des communautésd’usagers lors de campagnesspécifiques. Pour soutenir lesvilles, nous proposons undécryptage du processus dechoix et de conception de cesoutils, selon les objectifs quileurs sont attribués pour la ges-tion urbaine et le degré d’impli-cation du citoyen.

Quels outils pour quelsobjectifs de politiquepublique ? La première étape de mise enplace d’un outil de crowdsourcingest d’identifier l’objectif visé etle rôle attendu du citoyen : pourl’accompagner, nous proposonsdans le tableau suivant troisgrands types d’applications. Nousillustrons leurs apports potentielsdans le domaine de la mobilitédurable à partir de l’exemple duvélo. Pour une ville, il existe unecomplémentarité entre ces troisutilisations du crowdsourcing, quipeuvent se combiner, parfois ausein d’un même processus ououtil, attribuant un rôle plurielau citoyen.

Critères pour laconception etl’évaluation d’un outil Pourquoi est-ce important deréfléchir au design de l’outil ?Alors que les outils de crowd-sourcing intègrent la boîte à outilsdes collectivités, pour enrichir

“ Le crowdsourcing [...] doit concrètementaider à mieux gérer et produire la ville, en collaboration avec les citoyens ”

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l’action publique et favoriser laparticipation citoyenne, il est im-portant de comprendre commentleur conception va permettre –ou non – d’atteindre ces objectifs.En effet, ces outils ne sont pasneutres, mais incorporent un pro-jet politique : par leur design, ilsorientent la contribution, les com-portements des utilisateurs etleurs interactions4. En premierlieu, le design structure les rela-tions entre le citoyen et la ville,et entre les citoyens eux-mêmes.Par exemple, les outils incorporantdes fonctionnalités sociales (fo-rums, commentaires, cartogra-phie participative...) et présentantles contributions de manièretransparente favorisent l’émer-

gence de débats sur des objetsd’intérêt général5 et peuvent parailleurs favoriser la constitutiond’une communauté de crowd-sourcing active et pérenne.

La richesse de l’expérience offerteau contributeur influence égale-ment la capacité de ces outils à mobiliser durablement lescitoyens concernés. Si l’intérêtpersonnel peut motiver la contri -bution, en particulier sur les ques-tions de proximité, d’autres res -sorts de l’engagement citoyenpeuvent être mobilisés à traversces outils : opportunités d’appren-tissage, sociabilité, réponse à undevoir civique6… Les objets decontribution, ainsi que l’assurance

d’un impact sur la décision, jouentun rôle central dans la mobilisa-tion des citoyens. Plus largement,ces outils peuvent contribuer àune mise en capacité du citoyen.En offrant une liberté de contri-bution, ils peuvent encouragerles citoyens à adopter une dé-marche réflexive pour trouver denouvelles façons de décrire laville et ses éléments. En favorisantla transparence des contributions,ils peuvent leur permettre de con-textualiser leur action et, en ren-dant lisibles le fonctionnementde la ville et les responsabilitésdes différents acteurs, contribuerà un apprentissage des moyensd’agir sur la décision.

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

La fabrique urbaine dans la ville intelligente

Ambition Objectif Rôle du citoyen Le crowdsourcing est utile…

Mieux géreret concevoirla ville avecleshabitants

S’approcherd’une ville «omnisciente » :collecter desdonnées dont lacollectivité nedispose pas

Recensement,signalement del’état des espaceset des services,production dedonnées d’usage,science citoyenne

Ex. - Recensementdes places oubesoins destationnement vélo,signalements sur lesinfrastructures,mesures depollution…

… s’il existe très peu dedonnées, si celles-cisont coûteuses àproduire, ou s’il s’agit dedonnées personnelles

Ex. - Face aux peu dedonnées sur la pratiquedu vélo, des traces GPSgénérées par uncalculateur d’itinérairesont utilisées par lamunicipalité de SanFrancisco pour mieuxcomprendre la pratiqueet la planifier

Partagerl’expérienceurbaine :consulter pourrapprocherl’actionpublique desusages,améliorer sonefficacité et salégitimité

Expression depréférences etd’attentes,évaluation depolitiques ou deservices urbains

Ex. - Développementdu Plan Vélo à Paris :7000 réponses à unquestionnaire enligne pour recenserles besoins et lespréférences descyclistes

… si l’infrastructure ou lapolitique à mettre enœuvre demandent uneappropriation forte etune compréhension desusages réels (pratiquede chauffage, mobilité,usages de l’espacepublic, gestiondomestique desdéchets…)

Ex. – Grâce à unecartographiecollaborative de lacyclabilité en Nord-Pasde Calais, les cyclistesnotent la voirie etfournissent ainsi uneévaluation desinfrastructures à partirde leurs usages

Rendreacteurs lescitoyens àtravers unprocessuscollaboratif

Co-construirele futur de laville : obtenir denouvelles idéeset engager lecitoyen dansune relationd’échange avecla collectivité

Propositionsd’idées,suggestions etprojets pour aiderà la décision

Ex. – Le budgetparticipatif de Parisa permis au citoyende proposer denouveaux projetspour le vélo et acontribué à rendrevisible lacommunauté descyclistes

… si besoind’« intelligencecollective » pourproduire de nouvellessolutions pour l’actionpublique, rendre visiblescertains problèmes,engager les citoyensdans une démarchecollective et réflexiveface aux enjeux urbains

Ex. – Les associations« vélo » jouent déjà cerôle auprès descollectivités : lecrowdsourcing est unmoyen pourdémultiplier, compléteret renforcer leur action

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Le design de l’outil numériqueest ainsi une dimension essen-tielle, et pourtant sous-estiméeau sein des collectivités. Nousproposons ici une grille d’analysequi explicite, à partir de critèresconcrets, la manière dont l’outilagira sur l’expérience du contribu-teur. Cette grille fournit un sup-port pour guider la conceptionou l’évaluation des outils, en véri-fiant la cohérence entre le rôleattribué au citoyen et le projetpolitique de la collectivité7.

En s’intégrant dans une démarchequi reconnaît aux citoyens unrôle de partie prenante, et en favorisant la mise en capacitédes citoyens afin qu’ils deviennentacteurs de la ville, le crowd -sourcing fournit des outils puis-sants pour la construction d’unprojet de développement durable.Les collectivités locales ont unrôle à jouer pour concrétiser cepotentiel, à condition d’être vigi-lant à maintenir une cohérenceentre les objectifs poursuivis etl’outil proposé aux citoyens. n

1- Daren C. BRABHAM, Motivationsfor participation in acrowdsourcing application toimprove public engagement intransit planning, Journal ofApplied CommunicationResearch, 40:3, juin 2012

2- Loïc BLONDIAUX, Le nouvelesprit de la démocratie :actualité de la démocratieparticipative, Seuil, 2008

3- Pour les résultats détaillés :Tatiana de FERAUDY, MathieuSAUJOT, Une ville pluscontributive et durable :crowdsourcing urbain etparticipation citoyennenumérique, Iddri Studies n°04,2017

4- Romain BADOUARD, La mise entechnologie des projetspolitiques : une approche «orientée design » de laparticipation en ligne,Participations 2014/1

5- Dietmar OFFENHUBER,Infrastructure legibility: a comparative analysis of

open311-based citizen feedbacksystems, Cambridge Journal ofRegions, Economy and Society,mars 2014

6- Pour une analyse desmotivations et des barrières à laparticipation : Alice MAZEAUD,Julien TALPIN, Participer pourquoi faire ? Esquisse d’unesociologie de l’engagement dansles budgets participatifs,Sociologie 2010/3 (Vol.1)

7- Pour le détail de la grille : Tatianade FERAUDY, Mathieu SAUJOT,M. (2016), Crowdsourcing : unmode d’emploi pour les villes,Iddri Policy Brief n°09/16, 2016

“ Le design de l’outil numérique est une dimension essentielle et […] sous-estimée ”

Tendances – Numéro 5 – octobre 2017

1) Quelles fonctionnalités dunumérique sont mobilisées ?À un premier niveau, l’outil numériquepeut simplifier la collecte de donnéesriches et précises. Il peut égalementpermettre de se rapprocher d’une co-production, si des fonctionnalités de mise en relation des contributeurs,d’enrichissement et de mise en lisibilitéde l’information, et de collaborationdirecte sont mobilisées.

2) Quel est le degré de libertédans la contribution ?Le contributeur aura uneexpérience plus riche s’il peutchoisir le format et l’objet de ses contributions. La libertéd’utiliser différents formats(vote, écrit, images, son…) et de traiter des objets dépassantl’échelle de proximité(immeuble, quartier) peutégalement être valorisée.

3) Quel est le degré de transparence ?Les outils numériques ont le potentielde rendre visible et lisible le processusde décision pour les contributeurs etpour les citoyens. Les contributionsdoivent ainsi être visibles par tous (enrespectant les données personnelles),et les données collectées doivent êtrelibérées. Par ailleurs, la construction del’outil ainsi que le processus de décisiondoivent être transparents.

4) Quelle est la dimensionsociale de l’outil ?Au-delà d’une relation bilatéraleville-citoyens, les outils peuventenrichir l’expérience utilisateuren offrant aux citoyens lapossibilité de communiquerentre eux, d’agir ensemble, ou de relier leur activité en ligneà un engagement en présentiel.

5) Quelle mise en capacité est permise par la démarche decrowdsourcing ?Afin de mobiliser les citoyens, l’initiateur de la démarche peut simplementproposer des opportunités d’apprentissage et d’information. Cependant,l’empowerment n’est réel que si les citoyens ont un impact sur la décision(soit direct, à travers un vote, soit indirect, par un engagement à prendreen compte les contributions).

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Glossaire

Big data – En français, mégadonnées. Expressiontraduisant l’explosion quantitative de la donnéenumérique, dépassant les capacités d’analyse des outilsinformatiques classiques de gestion de base de donnéesou de traitement de l’information.

BIM – Building information modeling, en français mo -délisation des données du bâtiment. Le BIM désignedes méthodes de travail et une maquette numériqueparamétrique 3D contenant des données intelligenteset structurées. Il permet le partage d’informationsfiables tout au long de la durée de vie d’un bâtiment oud’une infrastructure, de sa conception jusqu’à sa démolition en passant par sa certification, sa réparation...La maquette numérique désigne la représentation digitale des caractéristiques physiques et fonctionnellesde ce bâtiment ou infrastructure. Le BIM définit, de laconception à l’utilisation du bâtiment, qui fait quoi,comment et à quel moment, en s’appuyant sur desmodèles virtuels 3D permettant d’effectuer des analyseset simulations (énergétiques, structurels, détection desconflits...), des contrôles et des visualisations.

Blockchain – En français, chaîne de blocs. Technologiede stockage et de transmission d’informations, trans-parente, sécurisée, et fonctionnant sans organe centralde contrôle. Par extension, une blockchain constitueune base de données qui contient l’historique de tousles échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sacréation. Cette base de données, sécurisée et distribuée,est partagée par ses différents utilisateurs, sans inter-médiaire, ce qui permet à chacun de vérifier la validitéde la chaîne.

CIL – Nouveau métier, né en 2004 suite à la refonte dela Loi Informatique et Libertés. Délégué à la protectiondes données, le correspondant Informatique et Libertéveille à la sécurité juridique et informatique de son or-ganisme (association, collectivité locale, administrationde l’État, PME-PMI, entreprise multinationale...). Le CILa vocation à devenir le délégué à la protection des données dans le cadre de la nouvelle réglementationeuropéenne applicable en 2018. Il est le référent sur lesquestions de protection des données personnelles ausein de l’organisme qui l’a désigné.

Civic tech – Abréviation de civic technology. Ensembledes procédés, outils et technologies qui permettentd’améliorer le système politique, la civic tech est l’usagede la technologie dans le but de renforcer le lien dé-mocratique entre les citoyens et le gouvernement. Elle intègre toute technologie permettant d’accroîtrele pouvoir des citoyens sur la vie politique, ou de rendrele gouvernement plus accessible, efficient et efficace.

CNIL – Autorité administrative indépendante française,la commission nationale de l’informatique et des libertésest chargée de veiller à ce que l’informatique soit auservice du citoyen et qu’elle ne porte atteinte ni àl’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vieprivée, ni aux libertés individuelles ou publiques. Elle exerce ses missions conformément à la loi relative àl’informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier1978 modifiée le 6 août 2004, fondement de la protectiondes données à caractère personnel dans les traitementsinformatiques mis en œuvre sur le territoire français.

Crowdfunding– Terme anglais désignant un financementparticipatif, c’est-à-dire tout outil ou méthode de trans-actions financières qui fait appel à un grand nombrede personnes afin de financer un projet. Ce mode de fi-nancement se fait sans l’aide des acteurs traditionnelsdu financement et est dit « désintermédié ». Il s’estfortement développé avec l’émergence des plateformesde financement participatif et s’inscrit dans le mouve-ment plus global de consommation collaborative et de production participative. Il existe plusieurs formesde crowdfunding (don, don avec contrepartie, prêt, capital-investissement) et ce dernier est réglementédepuis le 1er octobre 2014.

Crowdsourcing – Terme anglais désignant la « productionparticipative » ou l’« externalisation ouverte ». Il s’agitd’utiliser la créativité, l’intelligence et le savoir-faired’un grand nombre de personnes (notamment du grandpublic ou des consommateurs) pour réaliser certainestâches traditionnellement effectuées par un employéou un entrepreneur (par exemple, proposer et créer deséléments d’une politique marketing).

Data – Terme anglais utilisé pour qualifier les données(voir ce terme).

Data center – En français, centre de données. Sitephysique regroupant des installations informatiques(ordinateurs centraux, serveurs, routeurs, commutateurs,disques durs...) chargées de stocker et de distribuer desdonnées à travers un réseau interne ou via un accès In-ternet. Il peut s’agir d’installations privées à usageexclusif ou bien de centres de données administrés pardes prestataires qui regroupent plusieurs clients.

Data protection officer (DPO) – Le délégué à la pro-tection des données est l’expression du règlementgénéral sur la protection des données (RGPD), règlementeuropéen du 14 avril 2016 appelé à remplacer les dispo-sitions de la loi informatique et libertés qui s’appliquejusque mi-2018. Il est une évolution du correspondantInformatique et Libertés (CIL).

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Donnée – Description élémentaire d’une réalité. C’est,par exemple, le résultat brut d’une observation ou d’une mesure du monde réel. La donnée est dépourvuede tout raisonnement, supposition, constatation, probabilité.

Empowerment – En français, traduit notamment parcapacitation. Accroissement d’un pouvoir exercé à titreindividuel ou collectif, pour agir notamment sur les conditions sociales, économiques, politiques ouécologiques auxquels sont confrontés individus ougroupes. Le terme connaît de nombreuses traductionsfrançaises (outre capacitation : attribution de pouvoir,émergence d’un processus d’appropriation du pouvoir,puissance d’agir…) qui correspondent chacune à desacceptions différentes, mettant l’accent sur une certainedimension de l’exercice du pouvoir. Le numérique estsouvent considéré comme un vecteur d’émancipation,de modification du rapport aux collectif et au pouvoir,favorisant le collaboratif et l’empowerment.

Format – Un format de données est une convention(éventuellement normalisée) utilisée pour représenterdes données (informations représentant un texte, unepage, une image, un son, un fichier exécutable...). Lorsqueces données sont stockées dans un fichier, on parle deformat de fichiers. Une telle convention permet d’échan -ger des données entre divers programmes informatiquesou logiciels, soit par une connexion directe, soit par l’intermédiaire d’un fichier.

Hub – Structure logistique physique où sont acheminésplusieurs flux logistiques (produits ou individus essen-tiellement) dans le but d’être triés, organisés, pilotés etréexpédiés. La massification en un point donné permetune économie financière et de temps.

Internet des objets – En anglais, Internet of things ouIoT. D’un point de vue conceptuel, il caractérise desobjets physiques connectés ayant leur propre identiténumérique et capables de communiquer les uns avecles autres, telle la matérialisation d’Internet dans lemonde réel. D’un point de vue technique, il consiste enl’identification numérique directe et normalisée (adresseIP, protocoles smtp, http...) d’un objet physique grâce àun système de communication sans fil. Les objets connectés produisent de grandes quantités de donnéesdont le stockage et le traitement entrent dans le cadredes big data. En logistique, il peut s’agir de capteurs quiservent à la traçabilité des biens pour la gestion desstocks et les acheminements. Dans le domaine de l’environnement, il est question de capteurs surveillantla qualité de l’air, la température, le niveau sonore, l’étatd’un bâtiment...

Interopérabilité – Possibilité d’échanger des donnéesentre différents logiciels ou systèmes informatiques oucapacité de fonctionner avec d’autres sans restrictiond’accès ou de mise en œuvre. Le terme « interopéra -bilité », contrairement à « compatibilité », induit unecommunication entre les systèmes étudiés.

Métadonnées – Données décrivant ou définissantd’autres données (ou données à propos des données). Il s’agit principalement de l’information permettant dedécrire un contenu ou de retrouver les données stockées(date de sauvegarde, taille, auteur…).

Open data – En français, donnée ouverte. Donnéenumérique dont l’accès et l’usage sont laissés libresaux usagers. Elle peut être d’origine publique ou privée,produite notamment par une collectivité, un servicepublic, ou une entreprise. Elle est diffusée selon uneméthode et une licence ouverte garantissant son libreaccès et sa réutilisation par tous, sans restriction tech-nique, juridique ou financière.

Plateforme – Service occupant une fonction d’inter-médiation directe pour échanger informations, contenus,services ou biens entre professionnels, entre profession-nels et particuliers et entre particuliers. Les plateformesnumériques développées par des entreprises techno -logiques collectent et exploitent des données sur l’offreet la demande et proposent un service (souvent per-sonnalisé, évalué, géolocalisé, en temps réel…) à untrès grand nombre d’utilisateurs.

SCoRAN – La stratégie de cohérence régionale pourl’aménagement numérique (SCoRAN) fixe les grandesorientations souhaitées par les acteurs régionaux et or-ganise la concertation entre eux, afin de garantir quechaque territoire soit couvert par un schéma directeurterritorial d’aménagement numérique.

SDTAN – Le schéma directeur territorial d’aménagementnumérique, instauré par la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, dite loiPintat, définit une stratégie de développement desréseaux, établie au moins à l’échelle d’un département.Il vise à soutenir la cohérence des initiatives publiqueset leur bonne articulation avec les investissementsprivés. La moitié des départements français est aujour-d’hui engagée dans l’élaboration d’un SDTAN.

Services numériques – En anglais, data services. Servicesbasés sur des solutions numériques. Dans le cadre dela fabrique urbaine, ils peuvent être des services deproximité en matière sociale, culturelle, sportive... (démarches en ligne, applications mobiles), une offrecitoyenne (outils de dialogue et de participationcitoyenne, partage de biens communs...), des dispositifsde transparence et d’innovation (ouverture des donnéespubliques, services de l’économie sociale et solidaireou de l’économie collaborative), ou encore des outils

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au service du fonctionnement interne de la collectivité(dématérialisation des processus…) ou visant à optimiserdes services publics existants (dans les domaines del’énergie ou de la mobilité par exemple).

Smart city – Traduit en général par ville intelligente.Outre smart city, de nombreux termes sont utiliséspour désigner la ville intelligente : ville numérique, greencity, connected city, éco-cité, ville durable… (voir unecartographie de ces notions sur le site de la CRE). Auniveau des métropoles, désignant un nouveau paradigme,ce terme est souvent accompagné de notions connexesde ville numérique (où les technologies de l’informationet de la communication prennent une importance gran-dissante) ou encore de ville créative (où la mise enœuvre des technologies côtoie l’éclosion des « talents »,de la créativité). Sans trancher, on peut se référer àPilar CONESA, PDG d’Anteverti, citée dans le récentrapport au premier ministre sur l’avenir des smart cities :« […] c’est un terme commun qui nous a permis deparler et de faire parler de l’innovation urbaine, sociale,de la participation citoyenne, des communs, de tousces problèmes fondamentaux de nos sociétés ».

Smart grid – Un réseau électrique intelligent – dontsmart grid est l’une des dénominations anglophones –est un réseau de distribution d’électricité qui favorise lacirculation d’information entre les fournisseurs et les

consommateurs afin d’ajuster le flux d’électricité entemps réel et permettre une gestion plus efficace duréseau électrique. L’objectif est d’améliorer l’efficacitéénergétique de l’ensemble en minimisant les pertes enlignes et en optimisant le rendement des moyens deproduction utilisés, en rapport avec la consommationinstantanée. Notion parfois étendue à tout type d’énergie.

Traces numériques – Informations enregistrées par lesdispositifs numériques à partir des activités de leursutilisateurs ou sur leur identité, volontairement ou biende manière automatique. Tous les systèmes nécessitantune identification ou une interaction avec ses utilisateurssont susceptibles de capter des informations les concernant (achats en ligne, moteurs de recherche,titres de transport, téléphones mobiles...).

Ubérisation – Du nom de l’entreprise Uber, processuspar lequel un modèle économique basé sur les tech-nologies digitales entre en concurrence frontale avecles usages de l’économie classique. Ce modèle reposeprincipalement sur la constitution de plateformesnumériques qui mettent en relation directe prestataireset demandeurs, ainsi que sur des applications dédiéesqui exploitent la réactivité en temps réel de l’internetmobile.

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