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PRECARITE-PAUVRETE Michel VILLAC . La création du RMI en décembre 1988 a focalisé sur lui l'attention du grand public. Si son caractère universel et son volet insertion sont très novateurs par rapport aux politiques antérieures, il ne contribue en définitive que de manière limitée aux aides financières attribuées aux plus pauvres. Avant lui, d'autres revenus-minimum catégoriels, mais aussi les prestations familiales et de logement,jouaient déjà un rôle très important dans la lutte contre la pauvreté. On peut estimer que, en 1990, près de 140 milliards de francs de prestations directes éaient attribués aux ménages les plus pauvres. A la fin de l'année 1991, près de 584 000 foyers percevaient le revenu minimum d'insertion (RMI), dont environ 490 000 en métropole ct 94 000 dans les départements d'outre-mer (DOM) (1). L'attention importante accordée aux person- nes vivant dans une précarité extrême à l'occasion de la création du RMI a pu faire confondre, par le grand public, être pauvre et bénéficier de ceue nouvelle prestation. Or les situations de pauvreté sont beaucoup plus fréquentes que celles repérées par le seul chiffre des bénéficiaires de l'allocation de RMI. Le RMI très novateur par son caractère universaliste, ne représente que le dernier maillon d'une série de mesures de lutte contre la pauvreté développées depuis une quarantaine d'années. VIvre avec un revenu minimum A des degrés divers, les systèmes de protection sociale mis en place depuis la Libération cherchaient aussi à lutter contre la pauvreté. C'estle cas en premier lieu des prestations qui, comme le RMI, ont un caractère de revenu minimum. Dans ce registre, ont été créés une série d'allocations RECHERCHES ET PREVISIONS 28 catégorielles visant des populations particulières : invalides, personnes âgées, handicapés, mères seules, chômeurs de longue durée, avant que le RMI ne vienne constituer un dernier filet pour ceux qui n'avaient pu bénéficier des mesures précédentes. Mais c'est le cas aussi d'autres prestations sociales qui, bien qu'à vocation plus large, aident plus particulièrement des populations défavorisées. Cela concerne en premier lieu les allocations sous conditions de ressources, prestations de logement et certaines prestations familiales notamment. Enfin, d'autres aides qui ne visent pas spécifiquement les ménages défavorisés entrent néanmoins de façon significative dans leurs revenus. Les allocations familiales peuvent jouer ce rôle pour les familles nombreuses. Cependant, le RMI, par l'effectif de la population qu'il touche encore, malgré la série des dispositions qui l'avaient précédé, révèle les failles de ces approches catégorielles, et l'ampleur des problèmes de pauvreté qu'eUes n'avaient pu encore traiter. 39 • Cnaf - Direction de la Recherche, des Prévisions et des Statistiques. (1) Source : Délégation interminis- térielle au revenu minimwn d'inser- tion (DIRMI). ·.,

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PRECARITE-PAUVRETE

Michel VILLAC .

La création du RMI en décembre 1988 a focalisé sur lui l'attention du grand public. Si son caractère universel et son volet insertion sont très novateurs par rapport aux politiques antérieures, il ne contribue en définitive que de manière limitée aux aides financières attribuées aux plus pauvres. Avant lui, d'autres revenus-minimum catégoriels, mais aussi les prestations familiales et de logement,jouaient déjà un rôle très important dans la lutte contre la pauvreté. On peut estimer que, en 1990, près de 140 milliards de francs de prestations directes éaient attribués aux ménages les plus pauvres.

A la fin de l'année 1991, près de 584 000 foyers percevaient le revenu minimum d'insertion (RMI), dont environ 490 000 en métropole ct 94 000 dans les départements d'outre-mer (DOM) (1). L'attention importante accordée aux person­nes vivant dans une précarité extrême à l'occasion de la création du RMI a pu faire confondre, par le grand public, être pauvre et bénéficier de ceue nouvelle prestation. Or les situations de pauvreté sont beaucoup plus fréquentes que celles repérées par le seul chiffre des bénéficiaires de l'allocation de RMI. Le RMI très novateur par son caractère universaliste, ne représente que le dernier maillon d'une série de mesures de lutte contre la pauvreté développées depuis une quarantaine d'années.

VIvre avec un revenu minimum

A des degrés divers, les systèmes de protection sociale mis en place depuis la Libération cherchaient aussi à lutter contre la pauvreté. C'estle cas en premier lieu des prestations qui, comme le RMI, ont un caractère de revenu minimum. Dans ce registre, ont été créés une série d'allocations

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catégorielles visant des populations particulières : invalides, personnes âgées, handicapés, mères seules, chômeurs de longue durée, avant que le RMI ne vienne constituer un dernier filet pour ceux qui n'avaient pu bénéficier des mesures précédentes.

Mais c'est le cas aussi d'autres prestations sociales qui, bien qu'à vocation plus large, aident plus particulièrement des populations défavorisées. Cela concerne en premier lieu les allocations sous conditions de ressources, prestations de logement et certaines prestations familiales notamment. Enfin, d'autres aides qui ne visent pas spécifiquement les ménages défavorisés entrent néanmoins de façon significative dans leurs revenus. Les allocations familiales peuvent jouer ce rôle pour les familles nombreuses.

Cependant, le RMI, par l'effectif de la population qu'il touche encore, malgré la série des dispositions qui l'avaient précédé, révèle les failles de ces approches catégorielles, et l'ampleur des problèmes de pauvreté qu'eUes n'avaient pu encore traiter.

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• Cnaf - Direction de la Recherche, des Prévisions et des Statistiques.

(1) Source : Délégation interminis­térielle au revenu minimwn d'inser­tion (DIRMI).

·.,

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(1) Ce chiffre inclu1lcs personnes à charge de l'allocataire qui sonl prises en comp1e dans la dé1enninalion du revenu minimum.

L'objectif commun des allocations de revenu minimum est de permettre aux ménages ou aux personnes auxquels elles s'adressent, d'atteindre un niveau de revenu considéré comme un minimum indispensable dans leur situation. Si leurs revenus sont inférieurs à ce minimum, l'allocation les complète pour atteindre ce niveau. A la fm de l'année 1990, près de 3,4 millions de personnes en métropole bénéficiaient d'une des quatre principales allocations de revenu minimum (1) (tab. 1): le revenu minimum d' d'insertion (RMI), l'allocation de parent isolé (API), l'allocation aux adultes handicapés (AAH), et l'allocation supplémentaire du fonds national de solidarité (FNS), plus connue sous le nom de minimum vieillesse ou de minimum invalidité selon les cas [ 1 ]. Les bénéficiaires du RMI et leur famille ne représentaient qu'un quart de cet ensemble, de même que les bénéficiaires de 1' AAH. Le plus fort contingent reste encore constitué par les personnes âgées qui perçoivent le minimum vieillesse, plus de 1,2 millions de personnes en 1990. Mais l'amélioration progressive des retraites a fait diminuer leur nombre de moitié en trente ans [2].

Les sommes consacrées à ces revenus minimum par la collectivité nationale sont importantes : plus de 52 milliards de Francs en 1990.

Des revenus garantis très différents

Analogues en apparence dans leurs principes, ces allocations présentent néan­moins des différences dans les populations qu'elles visent, dans les règles précises de leur attribution, mais aussi dans les montants de revenus qu'elles procurent On peut ainsi schématiquement opposer 1 'allocation sup­plémentaire du FNS et l'allocation d'adultes handicapés, d'une part, plus généreuses financièrement mais plus strictes dans leurs conditions d'attribution, et le RMI, d'autre part, ayant des conditions d'attribution plus larges mais un montant plus réduit; 1 'allocation de parent isolé se situe dans une

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position intermédiaire.

Ainsi, I'AAH, l'API et l'allocation supplémentaire du FNS garantissent à leurs bénéficiaires un revenu minimum plus élevé que celui fourni par le RMI: entre 80 et 100 francs par jour et par unité de consommation dans le premier cas, entre 60 et 70 francs dans le second (tab. 2). Le RMI est aussi le plus strict dans l'appréciation des revenus : tous les revenus, y compris les autres prestations sociales sont pris en compte dans Je calcul de la prestation; ces revenus sont réexaminés tous les trois mois. Néanmoins, des mécanismes d'abattement permettent de tenir compte d'évolutions de situations (perte d'un revenu, reprise d'une activité). D'autres fixent, dans le cas du logement, un seuil maximum de prise en compte des aides: le "forfait logement". Pour les bénéficiaires d'API la compabilisa­tion des ressources est elle aussi très stricte : à l'exception de l'aide personnalisée au logement (APL), l'en- semble des prestations sociales est intégré dans les revenus. De plus, à la différence du RMI, il n'y a pas de mécanisme d'intéressement à la reprise d'activité. A contrario, la détermination du montant de l' AAH et du minimum vieillesse ne tient pas compte des prestations familiales ou des prestations de logement perçues (celles-ci viennent donc s'ajouter éventuellement au revenu minimum), et leur montant n'est réévalué que tous les ans.

Lorsqu'elles sont attribuées, l' AAH et 1 'allocation supplémentaire du FNS sont en général versées durant une période assez longue : les situations auxquelles elles s'adressent correspondent en effet à des difficultés durables. Pour le RMI, les situa­tions sont plus fluctuantes et l'objectif est d'inciter les bénéficiaires à sortir du dispositif (Cf. article de Cédric Afsa Recherches et Prévisions n' 27, mars 1992). L'API, elle, n'est versée que pour une période de courte durée (un an maximum), ou jusqu'à ce que le plus jeune des enfants ait atteint 1' âge de trois ans.

Les conditions de nationalité mises à leur perception opposent elles aussi AAH et FNS, d'une part, réservés aux nationaux ou ressortissants de la CEE, RMI et API, d'autre part, qui se limitent à une condition de résidence. Enfin, le RMI est le seul pour

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Tableau 1 - Bénéficiaires de prestations de solidarité en 1990 (France métropolitaine)

Nombre de Personnes Masses Prestations de soUdarlté bénéficiaires couvertes financières

(mUUers) (mUUers) (mUUons de F)

Revenus minimum Revenu minimum d'insertion (RMI) 420 810 10.300 AllocaLion de parent isolé(API) 130 364 3.900 Allocation pour adulte handicapé (AAH) 527 785 15.700 Minimum vieillesse (FNS) 1.266 (1) 1.266 2.100 (2) Minimum invalidité(FNS) 132 (1) 132 20.400 (2)

Ensemble 2.475 3.357 52.400

Vokt soüdaritédes presiDiions chômoge Allocation d'insertion (Al) 135 (1) 2.700 Allocation de solidaritéspécifique (ASS) 320 (1) 8.800

Ensemble 455 11.500

So11Tce: Commissariat Gbr.iral du Plan et CNAF. ( 1) Sont comptabilisés ici les béné[r.ciaires individuels, et non/es minages bénéficiaires. (2) Ce montant comprend les deux étages de la prestation: l'allocationsupplémentaire duFNS (plafoMée à environ/.700 francs par mois), et les prestations complémentaires qui peuvent éventuellement compléter ce montant poliT l'amener au niveau du minimum vieillesse.

Tableau 2 - Un revenu minimum garanti entre 60 et 90 francs par jour et par unité de consommation

Revenu Nombre Revenu Revenu Type de ménage mensuel d'UC (2) parue par jour

au 1-1-91 et par UC

Revenu minimum d'insertion (RMI) Isolé sans enfant 2.146 1,0 2.146 71

1 enfant 3.219 1,5 2.146 71 2 enfants 3.863 2,0 1.931 63 3 enfants 4.721 2,5 1.888 62

Couple sans enfant 3.219 1,7 1.894 62 1 enfant 3.863 2,2 1.756 58 2 enfants 4.507 2,7 1.669 55 3 enfants 5.365 3,2 1.677 55

Allocation de parent isolé( APl) Isolé sans enfant 2.858 1,0 2.858 94

1 enfant 3.811 1,5 2.540 84 2 enfants 4.763 2,0 2.382 78 3 enfants 5.716 2,5 2.286 75

Allocation aux adultes handicapés (AAH) Personne seule (1) 1 2.981 1,0 2.981 98 Allocation supplémentaire du FNS Isolé sans enfant 2.981 1,0 2.981 98 Couple sans enfant 5.348 1,7 3.146 103

....

Source: Commissariat Général du Plan et CNAF. ( 1) L'allocation aux adultes handicapés est une allocation individuelle. Son montant par personne ne peuJ excéder celui indiqué ici. Par contre, le plafond de ressources dépend de la composition du minage. Dans le cas d'un couple, il est le double de celui d'une persoMe seule. (2) Pour les unités de consommation, nous avons retenu l'échelle "d'Oxford": 1 poliT le premil!r adulte, 0,7 pour les suivants et 0,5 par enfant. NB : les revenus moyens, sur une a Mée, des personnes tilulaires d'un revenu minimum à un moment doMé de l'année peuvent être assez supéril!urs aux seuils thioriques indiqués ici. En effet, une personne qui a perçu un revenu minûnum un mois donné peuJ avoir vu sa siluation s'améliorer. D'auJre part, certains revenus ne sont pas pris en compte (lesprestationsfamilialesoude logement dans le cas de I'AAH), d'a .ures sont évaluésforfailairement (le 'Jorfail logement" du RMI), et divers abattements ont été mis en place poliT aider à la réinsertion (le système de "l'intéressement" lors de reprises d'activilé pour leRM/).

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lequel a été prévu un accompagnement social pour aider le bénéficiaire à sc réinsérer dans la société.

Combattre la pauvreté sans encourager l'oisiveté

Ces différences entre revenus minimum traduisent la manière dont la collectivité nationale a progressivement pris en compte ses défavorisés, au fur ct à mesure que ce problème social venait sur le devant de la scène, mais aussi qu'un consensus se faisait sur la nécessité de les aider. Depuis plusieurs siècles, en effet., le débat sur 1 'aide qu'il fallait accorder aux pauvres a balancé en permanence entre deux pôles opposés : "le législateur, continuellement placé entre la crainte de ne donner qu'une assistance incomplète et de laisser ainsi des malheureux ou sans secours, ou sans la masse des secours qui leur est nécessaire, et entre la crainte d'accroître, par une assistance trop entière, le nombre de ceux qui voudraient être assistés et, par conséquent, l'oisiveté et /afainéanJise, doit éviter soigneusement ces deux écueils, et ils se touchent de bien près [3 J". Ainsi, au nom de principes religieux ou des droits de l'homme, il était nécessaire d'aider les plus déshérités à survivre. Mais ce faisant., il fallait veiller à cc que ceux-ci méritent bien l'aide qui leur était accordée afin de ne pas encourager l'oisiveté.

La mise en place successive .des différents revenus minimum et les différences dans leurs modalités, traduisent la .,-.anière dont le législateur a progressivement intégré les pauvres comme dignes de l'aide de la collectivité. La démarche a d'abord été catégorielle: on reconnaissait que certaines catégories de population, en raison de leurs mérites ou de leurs difficultés parùculières, devaient bénéficier de l'assistance collective. La notion de responsabilité individuelle entrait aussi indirectement en ligne de compte : c'est pour des causes indépendantes de leur volonté que ces personnes connaissaient leur situation de pauvreté.

Les Invalides et les personnes Sgées, avant les handicapés ...

Parmi les allocations existant encore aujourd'hui, 1 'allocation supplémentaire du fonds national de solidarité, et l'allocation

d'adulte handicapé correspondent parfaitement à ce schéma. La plus ancienne est le minimum invalidité, institué en 1930 au moment où se mettait en place en France le système des assurances sociales. Il s'adresse aux personnes qui ont du interrompre leur activité professionnelle en raison d'une incapacité temporaire ou définitive. Le minimum vieillesse a été créé plus tard, entre la Libération et le milieu des années cinquante. C'est la période où "la vieillesse s' autonomise et devient pour la première fois la cible d'une politique sociale spécijïque"[4]. La généralisation des systèmes de retraite et le début de la croissance de l'après-guerre faisaient mieux apparaître le problème des personnes âgées, qui ne pourraient percevoir qu'une retraite très faible, ou pas de retraite du tout, parce qu'elles n'avaient pas assez cotisé dans une période où le système des retraites n'était pas encore complètement constitué. La prise en compte des handicapés et la négociation de la frontière entre handicap ct vie normale avaient mobilisé; elles aussi, de longue date, 1 'attention des organismes chargés de la solidarité nationale [5]. Dans sa forme actuelle de revenu minimum, l'allocation d'adultes handicapés est néanmoins assez récente (1975).

Toutes ces prestations sont les plus "généreuses" en termes de revenus, mais aussi les plus restrictives du point de vue des conditions d'attribution. Elles traduisent bien, encore, l'idée d'aider les pauvres "méritants", ou qui n'étaient pas responsables de leur situation. Dans ki même esprit, les veuves ont pu faire, à certains moments, l'objet d'une attention particulière. Subsiste aujourd'hui une allocation veuvage, instituée en 1980, mais qui concerne peu de femmes (15 000 en 1990).

. .. et les méres Isolées

La création de l'allocation de parent isolé, en 1976, marque un élargissement de la perspective. Avec d'autres mesures adoptées dans la même période (extension de 1 'allocation d'orphelin en 1975 aux mères divorcées ou séparées; modification en 1975 des lois sur le di v oree, puis création en 1984 de l'allocation de soutien familial), elle montre l'attention accrue apportée à une nouvelle catégorie de populations en

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(1) Ave<: un syslèmc de différcnLicUe au voisinage du plafond qui limite les revenus au niveau de ce plafond, 4 000 francs dans l'exemple consi­déré.

· difficulté : les familles monoparentales et en particulier les plus précaires d'entre elles [ 6][7]. Mais si les conditions matérielles de l'après-séparation peuvent être durement vécues, on peut discuter la responsabilité relative dans cet événement de celui, ou celle, qui les subit Cela peut expliquer que, même si le monlant de 1' API est comparable à celui des revenus minimum mis en place précédemment, les conditions d'attribution aient été plus sévères : durée limitée, revenus contrôlés tous les trimestres.

Lutte contre le ch6mage et solidarité

Instaurées en 1984, 1 'allocation d'insertion (Al) et l'allocation de solidarité spécifique (ASS), constituent le versant "solidarité" pris en charge par l'Etat des poliliques de lulle contre le chômage (Il ,5 milliards de francs en 1990). Elles s'adressent à certaines catégories de personnes qui sont inscrites comme demandeurs d'emploi mais ne peuvent prétendre à aucune allocation de chômage : chômeurs de longue durée, femmes seules avec enfants ...

Bien qu'elles contribuent à luuer contre la pauvreté, il ne s'agit pas à proprement parler de revenus minimum garantis. Leur principe est en effet différent Un revenu minimum est une allocation différentielle qui, sous certaines conditions, complète les ressources du bénéficiaire pour lui permeltre d'aueindre un niveau de revenu fixé. Ainsi, une personne seule bénéficiaire du RMI se voit garantir un revenu d'environ 2 000 francs par mois. L'Aietl' ASSontun principe plus classique de prestation sous condition de ressources: leur montant est fixe et elles sont versées tant que le revenu est situé en dessous d'un certain seuil (le plafond). Le montant de l'allocation varie de 1 250 à 3 000 francs maximum selon les cas, le plafond entre 4 000 et 8 000 francs. Un célibataire bénéficiaire de ·1 'allocation d'insertion percevra ainsi environ 1 250 francs par mois au titre de ceue prestation si son revenu mensuel ne dépasse pas 4 000 francs (1 ). S'il n'a que l'AI comme revenu, celle-ci sera complétée par une allocation différentielle de RMI d'environ 750 francs par mois pour l'amener au niveau du RMI.

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Ces prestations de solidarité sont en perte de vitesse, peut-être parce que ce sont les dernières instaurées avant le RMI : peu de revalorisations des monlants, fort resserrement des conditions d'attribution de l'allocation d'insertion au l"" janvier 1992.

Le tournant du RMI

Créé le dernier, le RMI sort de la logique catégorielle qui présidait à la mise en place des trois autres prestations de revenu minimum. Il ne met plus en avant, en effet, de condition particulière si ce n'est une condition d'âge (avoir au moins 25 ans) et la condition de revenu, pour pouvoir bénéficier de l'allocation. Celle évolution traduit un changement de perspective dans la manière d'aborder la pauvreté. Avec la rupture économique des années soixante­dix, les politiques ciblées visant à résorber les derniers ilôts de pauvreté ont été progressivement abandonnées [8). L'idée qu'il fallait mener une politique plus globale de lutte contre la pauvreté a commencé à gagner, même si la réalité d'une augmentation de la pauvreté absolue sur cette période peut être contestée [9]. Cela s'est fait au nom de deux principes fondamentaux. Le premier est celui de la citoyenneté: au nom de ce principe est instauré pour tous un droit à des conditions minimales d'existence. Le deuxième est celui de la responsabi lilé de la société sur les situations d'exclusion (article 1 de la loi du ter décembre 1988) [ 10].

Un caractère plus universel, mals un revenu Inférieur

La contrepartie de ce caractère plus universel du RMI par rapport aux autres revenus minimum a été le niveau retenu pour son montant Celui-ci a été fixé en dessous de celui des autres revenus minimum à caractère catégoriel (API, AAH,FNS). Le principe a été en effet que le RMI ne devait pas se substituer aux autres prestations de solidarité, mais qu'il devait venir après, de manière subsidiaire, pour combler les dernières "fai Iles" du système de protection sociale. C'estle principe de "subsidiarité". Selon ce principe, le Rmi ne vient qu'en dernier, après que l'ensemble des autres

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droits ait été pris en compte. Il est conçu ainsi plus comme la "clé de voûte", le "dernier filet" de la protection sociale qui vient achever l'édifice, que comme une allocation universelle ayant pour but de sc substituer aux allocations antérieures.

Cependant, le caractère "universel" du RMI n'est pas encore totalement réalisé. Les jeunes de moins de 25 ans sont exclus en principe du bénéfice de la prestation, sauf s'ils ont des enfants. Les politiques d'aideà 1 'insertion professionnelle qui les concernent sont jugées prioritaires en effet par rapport à un risque d'installation dans l'assistance. Cela explique que l'on assiste à un flux significatif d'entrées dans le RMI lors du 25èmc anniversaire, environ 2 000 entrées par mois[llj. Un deuxième risque d'exclusion est aussi souvent évoqué: la complexité de la prestation pourrait écarter de son bénéfice les allocataires ayant les plus grandes difficultés avec les démarches administratives. Invoquée en particulier par certains acteurs de terrain [12], cette "exclusion par la complexité" n'a pu recevoir de conftrmation chiffrée. Cependant, une étude montre qu'environ un cinquième des allocataires semblaient n'avoir pas compris ce qu'ils devaient faire pour continuer à percevoir la prestation (par exemple renvoyer tous les trois mois une déclaration de ressources même si celles-ci sont nulles), mais qu'en fait ils nes' acquittaient pas plus mal que les autres de ces démarches régulières [13]. L'intervention des instructeurs explique ccitaincment ce résultat surprenant; ils jouent ici leur rôle d'intermédiaires entre les demandeurs et les organismes gérant la . prestation (caisses d'Allocations familiales et caisses de la Mutualité sociale agricole).

Des allocations très ciblées

Les allocations ciblées vers des populations particulières, personnes âgées (FNS), mères isolées (API) ou handicapés (AAH), s'adressent à des publics beaucoup plus homogènes que celui couvert par le RMI. La position du RMI comme dernier maillon de la solidarité nationale, explique en particulier cc caractère hétérogène de la population des bénéficiaires [ 14 ][ 15 J. Par construction, en effet, le RMI a vocation à accueillir toutes les personnes qui n'ont pu

être suffisamment solvabilisées par les politiques catégorielles antérieures. Les caractéristiques très différenciées de la population qui en bénéficie rendent compte ainsi, comme en creux, des failles, ou des limites, des dispositifs antérieurs.

Le public le plus spécifique concerne les allocataires du minimum vieillesse: le portrait-type en est une femme seule, âgée de plus de 75 ans, et vivant dans un département rural. A l'opposé, les bénéficiaires de l'allocation de parent isolé sont les plus jeunes : quatre sur dix ont moins de 25 ans, presque toutes ont moins de 40 ans. Il s'agit, par défmition, de familles monoparentales, même si certaines ne sont qu'en voie de constitution (l'API peut être versée à une femme enceinte). Ces situations de monoparentalité peuvent être assez mobiles: près d'une sur dix parmi les personnes ayant bénéficié de 1 'API au cours de l'année 1990 se déclarait en couple au 31 décembre. Les bénéficiaires de l'AAH sont avant tout des personnes seules : sept sur dix, autant d'hommes que de femmes, sont dans ce cas. Lorsqu'ils vivent en couple, ces handicapés n'ont pratiquement jamais d'enfant à charge. S'ils comptent eux aussi une forte majorité de personnes seules, mais une fois et demi plus d'hommes que de femmes, les allocataires du RMI ont des caractéristiques plus variées. Les familles avec enfants constituent ici une minorité significative. La durée limitée dans le temps du versement de l'API, explique que 18% des allocataires du RMI soient des familles monoparentales, celles qui n'ont pu suffisamment redresser leur situation économique au cours de cette période limitée. Enfin un ménage allocataire sur quatre est un couple mais, à la différence de 1 'AAH, la plupart d'entre eux ont des enfants.

Si les revenus minimum constituent le dernier rempart des dispositifs institutionnels de lutte contre la pauvreté, ils n'en constib.lent pas la totalité. D'autres prestations sociales contribuent, avant ou à côté de ces revenus minimum, à fournir des ressources de base

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aux ménages les plus pauvres. 0 faut néanmoins préciser, dans l'ensemble des politiques sociales, celles dont nous considérerons ici qu'elles ont une fonction dans la lutte contre la pauvreté. Nous avons choisi de nous focaliser ici sur les prestations directes versées par les caisses d'Allocations familiales (Caf) et les autres organismes débiteurs de prestations familiales : prestations de revenu minimum (RMI, AAH, API), prestations familiales, prestations de logement (Cf. encadré "la méthode retenue"). Si ce choix répond à des raisons pratiques de disponibilité des données, il s'appuie aussi sur deux ordres de raisons plus fondamentales. Le premier est de regrouper les prestations qui ont une visée de redistribution des revenus. Le deuxième est que, au travers des différentes prestations qu'elles versent, les Caf ont une population d'allocataires qui doit donner une bonne représentation des ménages les plus modestes (CF. encadré "le fichier des allocataires des Caf, une bonne représentation des ménages

· les plus modestes ... ").

"Prestations redlstrlbutives" et ''prestations de solidarité"

Au sein des politiques sociales, il nous semble nécessaire en effet de distinbuer des prestations dont la vocation est avant tout redistributive, celles que versent les Caf en forment le noyau, et des prestations qui ont pour vocation de maintenir le revenu de leurs bénéficiaires confrontés à un risque particulier (maladie, chômage, retraite, invalidité ... ). Sur la base de cette distinction, nous considérerons que seules les premières, parce qu'elles s'attachent à la redistribution des revenus, peuvent contribuer en totalité ou en partie à des politiques de lutte contre la pauvreté. Les secondes jouent plutôt un rôle de quasi-salaire et visent plus le maintien d'un niveau de vie antérieur que de réduire l'écart des revenus primaires.

Nous nous inspirons ici de manière indirecte d'une distinction introduite par Dominique Schnapper. S'intéressant aux statuts sociaux individuels, et pour prendre de la distance par rapport à la seule référence à l'emploi pour caractériser ces statuts, elle a été amenée à distinguer plusieurs niveaux au sein des politiques sociales. Elle oppose ainsi les "statuts nés de la solidarité" à ceux qui sont directement ou indirectement "issus

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PRECARITE-PAUVRETE

de l'emploi"[16]. Les statuts "issus de l'emploi" regroupent pour elle les statuts d'activités, y compris l'activité précaire, mais aussi le chômage et la retraite. Les statuts "nés de la solidarité" regroupent les personnes qui tirent leurs revenus essentiels des autres prestations sociales, et en premier lieu de celles versées par les Caf : prestations familiales, prestations de logement, revenus minimum.

Nous reprendrons cene distinction, mais en l'appliquant ici aux revenus et non aux statuts. Nous distinguerons ainsi des "revenus issus de l'emploi" et des "prestations redistributives". Au tenne de "prestations de solidarité", trop fort certainement en ce qui concerne les prestations familiales et les prestations de logement, nous préférerons en effet celui de "prestations redistributives", qui correspond mieux à la vocation commune de ces différentes prestations. Nous réserverons le tenne de "prestations de solidarité" aux prestations qui ont une vocation claire de lutte contre la pauvreté, comme les reverius minimum. .

La place des allocations du fonds national de solidarité et du volet solidarité des prestations de chômage (allocation d'insertion, allocation de solidarité spécifique) peut être discutée dans l'optique retenue ci-dessus. Faut-il les classer avec les retraites ou les prestations de chômage ou considérer que, trop loin des statuts issus du travail, elles doivent être rangées dans les prestations de solidarité ? Nous pencherions plutôt pour cette deuxième · solution. Néanmoins, pour des raisons de disponibilité des données, elles seront en général exclues de la suite de l'analyse. Ne sont pas prises en compte non plus pour la même raison les aides sociales attribuées par les collectivités locales.

Parmi les 25 millions de personnes ayant bénéficié, directement ou indirectement en 1990 d'une prestation versée par une caisse d'Allocations familiales, plus de 6 millions

.;: .

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LE FICHIER DES ALWCATAJRES DES CAF,

UNE BONNE REPRESENTATION DES MENAGES LES PLUS MODESTES ...

Dans le champ des politiques sociales redistribuJives défini dans cet article, les fichiers des Caf sont

représentatifs des populations qui en bénéficient. Les Caf versent en effet la plus grosse part des prestations

nationales qui ne sont pas directement ou indirectement liés à l'emploi.

A l'exception des allocations du fonds national de solidarité, les Caf versent l'essentiel des prestations de

revenu minimum (1) :97,4 %duRMI, 98,7% de l'APl, 93.5% de l'AAH en 1990.En 1990,lesCofpayaient

aussi 84,4 %des prestations familiales et 92,6% des prestations de logement. Encore faut-il considérer que,

parmi les bénéficiaires les plus pauvres de ces différentes allocations,la part de ceux qui dépendent des Caf

doit encore être supérieure. Hormis les régimes agricoles en effet, qui vers~nt environ le tiers des prestations

restantes, les autres régimes spéciaux, constitués sur une base d'entreprise (fonctionnaires, grandes

entreprises publiques ... ). s'adressent à des ménages ayant une activité professionnelle stabilisée et des

ressources régulières qui les situent au dessus des situations de pauvreté extrême que nous étudions ici.

Enfin, avec le développement de prestations sous conditions de ressources à coté des prestations familiales

traditionnelles à partir du milieu des années soixante-dix, les allocataires des Caf ont largement débordé le

cadre strict des familles ayant au moins deux enfants. L'extension progressive du système des prestations de

logement, avec.[' aide personnalisée au logement (APL) d'abord, puis la création successive de diverses

allocations de logement sociales ( ALS) visant des populations précarisées (personnes dgées, infirmes,jeunes

travailleurs, chômeurs, bénéficiaires du RMI ), a joué notamment un rôle important dans l'élargissement des

populations couvertes par les Caf au delà des familles, et en particulier pour les ménages les plus pauvres.

Pour cette raison, en 1990, un tiers des allocataires des Caf ne percevait aucune des prestations

familiales classiques.

Ainsi ,les allocataires des caisses d'Allocations familiales donnent une bonne représentation des familles. et

des ménages, les plus modestes. En effet, malgré leur caractère a priori limité par les prestations sociales

qu'ils prennent en compte,lesfichiers d'allocataires des Caf comprennent l'essentiel des ménages les plus

pauvres. ou du moins ceux qui sont/' objet de politiques sociales de solidarité ou de redistribution.

RECHERCHES ET PREVISIONS n" 28

46

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PRECARITE-PAUVRETE

Les personnes t2gées et les ch(Jmeurs sans enfant moins bien pris en compte

La plus grande limite de cette source concerne les personnes dgées. mime si, par l'intermédiaire de

l'allocation de logement sociale ,près de 600 OOOd' entre elles ayant des faibles revenus figurent dans la base

de données.

Une deuxième limite concerne les personnes qui tirent l'essentiel de leurs ressources des prestations de

chômage (les "statuts dérivés de l'emploi ") [16]. La définition du champ des politiques sociales prises en

compte les sort en principe du cadre strict de notre étude. L'essentiel des familles de ce type figure néanmoins

dans notre échantillon; en revanche, malgré le RMI et l' ALS, une part significative des personnes sans enfant

appartenant à ce type échappent à notre analyse. Cela doit être le cas en particulier d'une partie des

personnes qui perçoivent une des allocations chômage à vocation de solidarité, allocation d'insertion ou

allocation de solidarité spécif"lue (un peu plus de 500 000 personnes en 1990).

Malgré ces limites, on pourra considérer que les évaluations fournies ci-dessus, tant en ce qui concerne les

familles pauvres que les masses financières en jeu, sont des évaluations par défaut. Elles fournissent

néanmoins une bonne indication des différents ordres de grandeur.

(1) Pour des raisons de disponibilité des données,les allocations du fonds national de solidarité elle volet solidarité des prestations de chômage (allocation d'insertion, allocation de solidarité spécifique) sont en général exclues de l'analyse, ainsi que les aides sociales auri buées par les collectivités locales. Néanmoins, il est probable que celles-ci n'arrivent qu'en complément des aides légales auribuées cl que la plupart de leurs bénéficiaires figurent, pour une raison ou pour IUle autre, dans les fichiers des Caf.

RECHERCHES ET PREVISIONS n· 28

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auraient vécu dans une grave pauvreté en l'absence de ces prestations. 2,4 millions entraient en effet dans le champ d'un des revenus minimum servis par les Caf (API, AAH, RMI); près de4 millions auraient un revenu par jour et par unité de consommation inférieur à 60 francs. Si l'on intègre les allocataires du FNS, ceux des autres régimes, ct la non prise en compte de certains chômeurs, on peut estimer que plus de 7 millions de personnes étaient dans ce cas. Bien que ce seuil de 60 francs puisse être discuté, il correspond, en moyenne, au seuil

· "de fait" retenu pour le RMI. Il équivaut aussi, en les actualisant, aux seuils retenus par Serge Milano (55 francs en 1987) ou par différents travaux de la Direction de l'Action Sociale (50 francs en 1984)l8][17].0n peut retenir aussi un seuil de 90 francs, qui se situe grosso-modo au voisinage des seuils de l'API, I'AAH ou le FNS. Près de Il millions de· personnes auraient des revenus inférieurs à cc seuil avant perception des prestations sociales considérées ici.

Les familles pauvres hors du champ des revenus minimum

A situation économique comparable, les familles pauvres, particulièrement les familles nombreuses, touchent assez peu de prestations de revenu minimum. En effet, si les revenus minimum concernent en majorité des personnes seules, ct à un degré moindre des familles monoparentales (tab. 3), les couples, et parmi eux ceux avec enfants, constituent l'essentiel des autres ménages modestes : 55 %de ceux qui auraient moins de 60 francs par jour avant prestations, 71% de ceux qui auraient entre 60 et 90 francs.

Les familles nombreuses sont particulièrement présentes: un tiers des ménages en dessous du seuil de 60 francs (tab. 4) élève trois enfants ou plus. Vu sous un angle différent, 55 % des couples ayant au moins trois enfants auraient moins de 90 francs par jour sans les prestations versées par les Caf, ct plus du quart moins de 60 francs. Pour les familles monoparentales, la situation serait encore plus délicate : dans pl us de huit cas sur dix, une mère seule avec trois enfants aurait pour vivre moins de 90 francs par jour et par unité de consommation en 1 'absence des prestations sociales. Si, dans ce dernier cas,l' API joue un rôle solvabilisatcur, on doit constater

néanmoins que plus de la moitié des familles monoparentales ayant ce niveau de revenu n'en bénéficient pas.

Ainsi, les prestations familiales, les prestations de logement et les différents revenus minimum permettent à environ 1,3 millions de ménages de passer au dessus du seuil de 60 francs par jour et par unité de consommation et à 1,6 millions de dépasser celui de 90 francs (tab. 5). Néanmoins, près de 700 000 ménages, 8% de l'ensemble, vivaient encore après ces transferts avec moins de 60 francs par jour et par personne en 1989.

Ce résultat peut paraître surprenanL Le niveau retenu pour le RMI devrait dans la plupart des cas permettre à ses bénéficiaires d'atteindre au minimum ce seuil de 60 francs. Deux raisons principales peuvent expliquer ce phénomène [18]. Une première est que nombre de ces ménages ont des revenus proches du plafond du RMI, ou ne passent en dessous de ce plafond que de manière temporaire. Ils peuvent hésiter alors à entreprendre une démarche lourde pour des gains limités. Une deuxième raison tient à la sous-estimation de certains revenus, notamment non-salariaux.

Malgré cette prestation, les allocataires du RMI restent en moyenne aux niveaux de revenus les plus bas : plus de la moitié n'atteint encore pas le seuil de 60 francs ou en reste très proche (tab. 6). Le bas niveau du barème explique ce maintien dans des tranches de revenu très faibles. A contrario, les allocataires de l'API et surtout ceux de l' AAH atteignent plus fréquemment des revenus plus proches de 90 francs, voire supérieurs à ce seuil. Ici aussi l'effet barème peut expliquer le niveau aueinL

Une famille nombreuse sur cinq vit avec des revenus trés limités

Le résultat le plus surprenant concerne les ménages allocataires des autres prestations : un Liers de ceux ayant des

RECHERCHES ET PREVISIONS n" 28

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Tableau 3- Les aUocataires du RMI: une majoritéde personnes seules (répartition des allocataires des CAF en 1990 selon le type de famille et le revenu par jour et par UC (avant prestations CAF} (France métropolitaine)

Type de RMI API AAH Ensemble Rev./UC Rev./ UC Ensemble Effectifs famille rev.mln. <60F/jour <90F/jour (en milliers

Personne seule 58,1 14,9 70,0 56,0 33.3 20.2 27,7 2319 Homme seul 35,7 0,2 36,8 30,4 11,0 5,2 9,9 826 Femme seule 22,4 14,7 33,2 25,5 22,3 15,0 17,8 1.493

Familk monopGI'en/IJie 17,9 76.2 2,9 21,2 JJ,9 8,8 10,7 893 1 enfant 10,5 39,9 1,8 11,7 4,2 4,1 5,8 481 2 enfants 5,3 20,6 0,7 5,9 3,6 3,2 3,4 283 3 enfants et + 2,1 15,7 0,4 3,6 4,1 1,5 1,6 129

Couples 24,0 8,9 27,1 22,8 54,8 71,0 61,6 5.163 0 enfant 6,7 1,5 17,9 10,4 7,5 7,8 11,6 971 1 enfant 6,1 4,2 4,2 5,0 6,2 10,9 9,8 821 2 enfants 5,3 1,5 2,6 3,6 11,0 23,8 25,3 2.121 3 .enfants et+ 5,9 1,7 2,4 3,8 30,1 28,5 14,9 1.250

Ensemble 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Effectifs 553 207 521 1.281 1.051 J.l28 8.375 8375 Nombre de personnes 1.062 584 776 2.422 3.847 3.959 25.404

Tableau 4 - Sans prestations, un quart des familles nombreuses auraient moins de 60 francs par jour et par unité de consommation (l<'rance métropolitaine)

Type de RMI API AAH Ensemble Rev./UC Rev./UC Autres EnsemblE famille rev. min. <60 F/jour <90F/jour

Personne seule 13,9 1.3 15,7 30,9 15,1 9,8 44,2 100,0 Homme seul 23,9 0,1 23,2 47,2 14,0 7,1 31,8 100,0 Femme seule 8,3 2,0 11,6 21,9 15,7 11,3 51,0 100,0

Familk monopGI'en/IJie 11.1 17,6 1,7 30,4 14,0 11.1 44.5 100,0 1 enfant 12,1 17,1 1,9 31,1 9,2 9,6 50,1 100,0 2 enfants 10,4 15,2 1,3 26,8 13,5 12,8 46,9 100,0 3 enfants et + 8,9 24,9 1,6 35,4 33,1 13,0 18,5 100,0

Couples 2,6 0,4 2.7 5,7 JJ,2 15.5 67,7 100,0 0 enfant 3,8 0,3 9,6 13,7 8,1 9,1 69,1 100,0 1 enfant 4,1 1,1 2,7 7,8 7,9 15,0 69,3 100,0 2 enfants 1,4 0,1 0,6 2,2 5,5 12,7 79,7 100,0 3 enfants et + 2,6 0,3 1,0 3,9 25,3 25,8 45,0 100,0

Ensemble 6,6 2,5 6,2 15,3 12,5 13,5 58,7 100,0

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Tableau 5 - Répartition des allocataires des CAF en 1989 selon revenu avant et après prestations (France métropolitaine)

Revenu après prestations

Revenu avant Rev./UC Rev./UC Rev./UC Total prestations <60 F/jour <90 F/jour >90 F/jour

Revenu nul 45,2 21,8 33,0 100,0 Rev/UC < 30 F/jour 52,3 32,6 15,1 100,0 Rev/UC < 60 F/jour 12,0 58,2 29,8 100,0 Rev/UC < 90 F/jour 0,0 20,5 79,5 100,0 Rev/UC > 90 F/jour 0,0 0,0 100,0 100,0

Ensemble 7,9 12,1 80,0 100,0

Tableau 6 - Répartition des allocataires des CAF en 1989 selon revenu avant et après prestations (France métropolitaine)

Revenu après prestations

Revenu avant Rev./UC Rev./UC Rev./UC prestations <60 F/jour <90 F/jour >90 F/jour

Revenu minimum 28,7 22,7 48,6 Allocataire RMI 56,9 33,4 9,7 Allocataire API 14,1 44,3 41,6 Allocataire AAH 11,1 7,2 81,7

AuLre allocaLaire 4,6 10,4 85,0 Rev/UC < 60 F/jour 33,0 48,7 18,3 Rev/UC < 90 F/jour 0,0 21,8 78,2 Rev/UC > 90 F/jour 0,0 0,0 100,0

Ensemble 7,9 12,1 80,0

en% Ensemble

8,8 5,4 9,0 15,3 61,4

100~0

en% Ensemble

100,0 100,0 100,0 100,0

100,0 100,0 100,0 100,0

100,0

Tableau 7- Répartition des allocataires des CAF en 1989 selon revenu par jour et par UC avant et après prestations, et le type de famille (France métropolitaine)

Effet des prestations sur le revenu par UC

Type de Reste Passe Reste Passe Reste Revenu en% famUle <60 F/jours <90 F/jour <90 F/ jour >89 F/jour >89 F/jour Inconnu Ensemble

Personne seule 14,9 8,6 2,0 24,8 43,1 6,6 100,0 Famille monoparcnLaie 9,6 18,7 1,9 22,6 40 5.4 100,0 Couple 0 ou 1 enfant 5,9 5,7 5,2 10,3 60,7 12,2 100,0 Couple 2 enfants 2,6 3,8 4,0 9,5 58,9 21,2 100,0. Couple 3 enfants eL+ 4,2 15,4 1,8 33,5 37,2 7,9 100,0

Ensemble 7,9 9,0 3,1 18,5 49,7 11,8 100,0

50

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(1) Cf. ani cie de Cédric Afsa Recherches et Prévisions n" 27, mars 1992.

revenus avant prestations très faibles, 300 000 ménages environ, restent eux aussi en dessous ou au voisinage proche de ce seuil de 60 francs. Près de 700 000 ménages supplémentaires se situent entre 60 et 90 francs. Les personnes seules et les familles monoparentales sont plus fréquemment dans l'un de ces deux cas. Près d'une personne seule sur quatre est en effet en dessous du seuil de 90 francs. Mais ce résultat provient en grande partie d'un effet de sélection. Parmi les prestations versées par les Caf, les personnes seules ne peuvent prétendre qu'à des prestations sous conditions de ressources. Pour les familles monoparentales, l'effet de sélection par le revenu doit jouer encore, quoique de manière atténuée: certaines d'entre eUes peuvent bénéficier en effet de prestations sans conditions de ressources.

Le résultat le plus fort concerne ici les couples avec trois enfants ou plus :près d'un sur cinq vit avec moins de 90 francs par jour ct par unité de consommation (tab. 7). Or, pour celte population, ne joue aucun effet de sélection : par le bénéfice des allocations familiales, toutes ces familles, du moins celles dépendant du régime général de sécurité sociale, figurent dans les fichiers des Caf. Ainsi, malgré les prestations plus importantes versées aux familles nombreuses, celles-ci ne réussissent qu'imparfaitementàcompenser la baisse de niveau de vic liée à une taille de famille plus importante.

Deux approches complémentaires permettent de situer l'importance des prestations. La première consiste à analyser la place des différentes ressources issues de transferts sociaux dans les revenus des ménages. Elle montre la part prépondérante des revenus sociaux de redistribution dans les ressources des familles les plus modestes. Sans ces prestations, un nombre important de ménages vivraient dans la misère. La deuxième approche est de regarder la part des ménages modestes dans les prestations versées par les Caf. Bien que les objectifs de

RECIIEKCIIES ET PREVISIONS n" 28

SI

PRECARITE-PAUVRETE

ces prestations ne concernent pas avant toul la lutte contre la précarité, les deux tiers des sommes versées vont en fait aux ménages les plus modestes.

La première approche montre le rôle solvabilisateur très important des prestations de revenu minimum (tab. 8). Plus de 80 % des revenus des allocataires du RMI et les trois quarts de ceux des bénéficiaires de l'API proviennent des prestations versées par les Caf. Cela permet aussi de comprendre l'extrême dépendance de ces allocataires vis-à-vis de ces prestations. Deux tiers des allocataires du RMI et la moitié de ceux de l'API n'ontque ces revenus pour vivre. Les allocataires de l' AAH sont à peu près dans la même situation, mais à un degré légèrement moindre. Si la moitié d'entre eux n'a comme seul revenu que ceux versés par les Caf, la partdesrevenusd'activité est en moyenne un peu plus élevée : ils représentent le quart des revenus totaux. Cela est lié aux différentes mesures d'aide à l'emploi des handicapés, notamment par l'intennédiaire des centres d'aide par le travail (CA n.

Les revenus moyens des personnes titulaires d'un revenu minimum (ou plus précisément, qui ont perçu au moins une mensualité de revenu minimum au deuxième semestre 1989) peuvent être assez supérieurs aux seuils théoriques des différentes prestations. En effet, une personne qui a perçu un revenu minimum un mois donné peut avoir vu sa situation s'améliorer. D'autre part, certains revenus (comme les prestations familiales ou de logement dans le cas de 1 'AAH) ne sont pas pris en compte, et divers abattements ont été mis en place pour aider à la réinsertion (comme le système de "l'intéressement" lors de reprises d'activité (l)).

Un noyau de familles aux ressources trés faibles

A la différence des bénéficiaires d'un revenu minimum, les autres allocataires des Caf, y compris les plus pauvres, ne perçoivent qu'un revenu plus limité en provenance de ces organismes. Ceux qui ont les revenus les plus bas, en dessous du seuil de 60 francs, dépendent encore pour moitié des revenus payés par les Caf. Pour eux, ce sont les

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Tableau 8 - Composition des ressources des allocataires des CAF en 1989 selon le revenu par jour et par UC (France métropolitaine)

Composition moyenne des ressources (en %)

Revenu avant Revenu YrestatiOnS Prestations Ensemble ActiVIté Chômage Autres Ensemble Effectifs Revenu Revenu %Revenu prestations minimum logement familiales CAF transferts (1) moyen moyen/UC nul

Revenu minimum 48,5 10,4 10,6 69,5 18,5 3,5 6,6 98,1 13,7 49.800 33.800 54,6 Allocataire RMI 55,2 15,5 12,9 83,6 8,5 3,8 2,4 98,3 5,1 39.000 26.000 66,8 Allocataire API 34,4 13,6 27,3 75,3 17,0 4,0 0,7 97,0 2,1 63.000 32.400 47,0 Allocataire AAH 50,1 6,3 2,9 59,3 24,8 3,2 11,2 98,5 6,5 54.000 41.600 47,4 Autre allocataire 0,0 5,4 10,3 15,7 72,7 2,8 7,1 98,3 86,3 117.900 52400 1,8 Rev/UC < 60 F/jour 0,0 17,6 30,7 48,3 37,2 6,4 6,5 98,4 12,0 64.900 26.500 11,2 Rev/UC < 90 F/jour 0,0 10,3 16,8 27,1 60,4 4,0 7;1 98,7 14,2 90.600 37.700 0,0 Rev/UC < 120 F/jour 0,0 6,5 10,4 16,9 68,1 3,7 9,8 98,5 14,8 100.800 46.000 0,0 Rev/UC < 150 F/jour 0,0 3,9 7,4 11,3 74,4 2,7 10,2 98,6 12,9 116.800 55.400 0,0 Rev/UC > 149 F/jour 0,0 1,3 5,0 6,3 85,7 1,2 4,8 98,0 20,6 180.500 83.500 0,0 Revenu inconnu 11,8

Ensemble 3,5 5,8 10,4 19,6 68,8 2,8 7,0 98,3 100,0 107.300 50.400 10,0

( 1) Le total nefaiJ pas 100 car ne sonl pas pris en compte les autres types de revenu.s (patrimoine, .. .)

~ Tableau 9 - Prestations versées par les CAFen 1990 selon le revenu par jour et par UC de l'allocataire (France métropolitaine)

Mass"es de prestations versées en 1990 (en %) Bénéficiaires (en %)

Revenu avant Revenu Prestations Prestations dont P.F. dont P.F. Ensemble Revenu Prestations Prestations Ensemble prestations minimum logement familiales sans cond. avec cond. des minimum logement familiales des

ressources ressources prestations bénéf.

Revenu minimum 100,0 14,7 8,3 7,6 10,4 25,4 100,0 10,8 8,2 15,3 Allocataire RMI 32,9 6,9 3,5 3,4 3,6 9,4 43,2 4,9 3,6 6,6 Allocataire API 13,9 3,6 3,8 3;1 5,9 5,5 16,0 2,4 3,6 2,4 Allocataire AAH 53,1 4,1 1,0 1,0 1,0 10,6 40,8 3,4 1,0 6,2 Autre allocataire 0,0 85,3 91,7 92,4 89,6 74,6 0,0 89,2 91,8 84,7 Rev/UC < 60 F/jour 0,0 26,3 21,4 21,6 20,6 19,2 0,0 18,7 11,8 12,6 Rev/UC < 90 F/jour 0,0 23,5 19,6 18,9 21,9 17,4 0,0 19,7 14,6 13,4 Rev/UC > 90 F/jour 0,0 35,5 50,7 51,9 47,1 37,9 0,0 50,9 65,4 58,7

Ensemble 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 Montants (miUiards de Francs) 25.697 45.274 86.316 65.585 20.731 158.236 Effectifs (milliers) 1.277 5.036 5.373 8.374

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PRECARITE-PAUVRETE

LA MÉTHODE RETENUE

L'échantillon national des allocataires des Caf a été UJilisé pour cette étude. Il est issu d'un tirage au 1152<­

parmi /'ensemble des allocataires des Caf métropolitaines présents dans leurs fichiers à la date du

31 décembre 1990, et est représentatif-de cette population.

L 'écluJntiUon d'allocaliJires des CAF, des informations liées à la gestion des prestations

Les informations qu'il comporte sont des données de gestion, nécessaires pour le traitement des prestations

(composition de la famille, prestations perçues, éventuellement revenus, loyers ... ). Elles sont fournies, sur

simple déclaration, par les allocataires, en fonction des prestations auxquelles ils peuvent prétendre. Leur

présence et leur qualité dépendent donc de /'intérêt pour le demandeur de fournir ces informations, et de

/'utilité pour la Caf d'en disposer. Trois types principaux d'informations ont été UJilisés ici :

- la composition de la/amUie :elle est connue pour/' ensemble des allocataires, et réguli~rement actualisée.

Elle intervient en effet pour toutes les prestations. Certaines prestations peuvent comporter des r~gles

diflérentes pour. la prise en compte des enfants. On a retenu ici la définition la plus utilisée, celle des

allocations familiales: un enfant est à charge jusqu'à 18 ans, et jusqu'à 20 ans dans certains cas (étudiants,

chômeurs);

- le revenu déclaré: c'est celui déclaré aux impôts (avant abattements) pour/' année civile précédente. Les

revenus figurant dans/' échantillon 1990 sont donc des revenus 1989. La connaissance du revenu n'est

nécessaire que pour pouvoir bénéficier de prestations sous conditions de ressources; ceux-ci ne sont donc

connus que pour 9 allocataires sur JO. Dans le cadre de notre étude, cette limitation n'est pas d'un grand effet.

Les revenus inconnus correspondent pratiquement toujours à des personnes qui sont au dessus des deux seuils

de 60 et 90 francs par jour et par UC.

- les prestations perçues : parmi celles versées par les Caf On dispose ici d'une information tr~s riche qui

permet de connaître les prestations touchées au cours de chacun des trois fi:erniers semestres. Dans

/'échantillon 1990, il s'agit du dernier semestre de 1989 et des deux semestres de 1990. On connaît aussi la

situation de/' allocataire lors du dernier mois de chaque semestre.

RECHERCHES ET PREVISIONS n' 28

53

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/..a classlf~eation des allocataires retenue

La situation économique et les revenus des allocataires de revenus minimum, auxquels nous nous intéressons

en priorité ici, peuvent être très fluctuants au cours d'une même année. Nombre d'entre eux font des allers­

retours fréquents entre bénéfice el non bénéfice de ces prestations. C'est le cas en particulier du RMI, mais

aussi de l'API.

Pour celle raison, nous avons privilégié l'observation sur une durée annuelle. Nous cherchons ici à

appréhender des situations sociales globales, plus que l'image instantanée qu'elles peuvent avoir à un

moment donné. On considère ra ainsi comme allocataire du RMI quelqu'un qui aura perçu au moins une

mensualité de RMI au cours de l'année. On a adopté ensuite une hiérarchie dans les revenus minimum :on

prend en compte d'abord le RMI, puis l'API, puis l' AAJI. Un "allocataire RMI" ainsi défini peut donc avoir

perçu de l'APl ou de I'AA/1 aU cours de la même année, mais un "allocataire d'AAJI"n'aurapasperçu de

RM/. Celle définition explique que l'on ait, pour chacune de ces trois catégories, des effectifs différents de

ceux que donnent les statistiques au 31 décembre, généralement utilisées.

Pour les autres allocataires, le classement a été fait en fonction du revenu par jour et par unité de

consommation. Cette méthode présente l'avantage de la simplicité et d'une relative robustesse. L'approche

en termes de seuils monétaires peut néanmoins être discutée. Les évaluations de la pauvreté sont en effet très

sensibles aux échelles retenues, et en particulier celles concernant la définition des niveaux de base et des

unités de consommation { 17J[ 19].

L'échelle "d'Oxford" a été adoptée pour calculer les unités de consommation ( 1 pour le premier adulte, 0,7

pour les suivants, 0.5 par enfant). Malgré ses limites, elle sert encore de référence dans la plupart des travaui,

et les études récentes sur le sujet montrent qu'elle n'est pas trop décalée par rapport aux résultats

d'approches plus sophistiquées {20}.

Le seuil de 60 francs chOisi ici de manière conventionnelle correspond, en moyenne. au seuil "de fait" du

RM/.11 équivaut aussi, en les actualisant, aux seuils retenus par Serge Milano (55 francs en 1987) ou par

différents travaux de la Direction de l' ActionSociale(50 francs en 1984) [9/{16}. Cesdeuxseuils(60 francs

et RMI) sont les plus sévères dans l'ensemble des seuils couramment utilisés et délimitent un "noyau dur"

de ménages pauvres, qui sont classés pauvres par pratiquement toutes les échelles de pauvreté [ 18}. Le seuil

de 90 francs évoqué en complément se situe, grosso-modo, au voisinage des seuils de I'API,I'AAJI ou le FNS.

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prcslations familiales qui jouent le plus grand rôle solvabilisatcur. Beaucoup de ces ménages sont en fait des familles nombreuses. A part les bénéficiaires du RMI dont ils sont très proches, ces ménages ont les revenus moyens par unité de consommation les plus bas.

Pour les ménages dépassant ce seuil de 60 francs, la part des prestations servies par les Caf devient beaucoup plus faible : un peu plus du quart des ressources des ménages ayant entre 60 et 90 francs par jour et par unité de consommation. Les revenus d'activité deviennent ici prépondérants. Ce phénomène s'accentue ensuite au fur et à mesure que l'on gravit l'échcUe des revenus, l'activité représentant85 %des ressources des ménages les plus aisés. Enfin, les "autres revenus de transferts", en l'occurrence les retraites, constituent une part significative des ressources prises en compte. On peut penser que ce sont avant tout les prestations de logement qui font entrer ces allocataires âgés dans le champ d'activité des Caf.

Enfin, la deuxième approche permet de voir quelles catégories de ménages bénéficient des diverses prestations. Les prestations versées par les Caf jouent un rôle très important de redistribution "vcnicale", c'est à dire entre ménages aisés cL ménages plus pauvres, même si elles ont pu être créées avec un autre objectif : redistribution "horizontale" en faveur des familles dans le cas des prestations familiales, aide à l'accès à un logement de qualité minimale dans le cas des prestations de logement. Près des deux tiers des prestations versées (62 %) vont en effet à des ménages qui perçoivent un revenu minimum ou qui ont un revenu moyen par unité de consommation inférieur à 90 francs par jour (avant prestations Caf) (tab. 9). Ces ménages ne représentent pounant que 41 % de l'ensemble des allocataires.

Mises à parties prestations de revenu minimum, dontc'cstla vocation, ce sont les

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prestations de logement qui ont le caractère redistributif le plus marqué : 64,5 % s'adressent à l'ensemble des ménages en dessous du seuil de 90 francs, 41 % aux allocataires d'un revenu minimum ou à ceux situé en dessous du seuil de 60 francs. Les prestations familiales ont elles aussi une fonction redistributive, mais plus limitée : la moitié s'adressent à l'ensemble des ménages modestes, 30 % aux plus pauvres d'entre eux. L'existence d'une condition de ressources joue assez peu sur le caractère redistributif de ces prestations, la part des prestations familiales allant aux familles modestes est à peu près la même dans les deux cas. Cela tient cenainement au fait que, avec les indicateurs en termes d'unités de consommation retenus ici, la taille de la famille joue un rôle aussi important que le revenu dans la détermination du niveau de vie d'une famille.

140 milliards de prestations pour les plus modestes

On peut, pour conclure, élaborer une ébauche de comptabilité d'ensemble. Compte tenu des précautions évoquées plus haut sur la représentativité relative de l'échantillon des allocataires Caf, et sur les hypothèses forcément grossières adoptées pour extrapoler ces résultats, l'estimation globale fournie ici devra être considérée plus comme un ordre de grandeur réaliste que comme une estimation précise des sommes affectées à la lutte contre la JllUvreté par la collectivité nationale.

Les sommes consacrées aux quatre revenus minimum ont été estimées à un peu plus de 52 milliards de francs pour l'ensemble des régimes de prestations de la France métropolitaine. Avec le volet solidarité des prestations de chômage on arriverait à un total d'environ 64 milliards de francs pour cet ensemble de prestations. Pour les prestations de logement, les Caf versent environ 29 milliards aux personnes en dessous du seuil de 90 francs et 19 milliards si l'on se limite aux bénéficiaires d'un revenu minimum ou aux ménages en dessous du seuil de 60 francs. On peut extrapoler à 30 et 19 milliards pour l'ensemble des régimes. Pour les prestations familiales, les Caf versent respectivement 43 et 26 milliards de francs, soit respectivement45 et28 milliards en tenant

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PRECARITE-PAUVRETE

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(1) Pourlcnircomptedes ressources plus élevées des bénéficiaires des régimes spéciaux non agricoles, on a retenu un coefficient de 5% pour extrapoler ces montants à l'ensemble des régimes.

· .. · . . ·.

compte de l'ensemble des régimes (1).

Au terme de cette évaluation assez robuste, on peut donc estimer à environ 140 milliards de francs en 1990 les prestations redistributives versées par la collectivité nationale aux ménages les plus

pauvres (France métropolitaine). Si l'on se limite aux personnes qui perçoivent un revenu minimum ou ont des revenus avant prestations Caf inférieurs au seuil de 60 francs par jour et par unité de consommation, cette somme est d'environ 110 milliards de francs.

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