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MICHEL RIQUET S.-J. ><*~~*t' ÉGLISE ET FRANC-MAÇONNERIE De l'anathème au dialogue. P our nombre de catholiques de ma génération, la franc-maçon- nerie demeure une puissance ténébreuse et secrète foncière- ment hostile à l'Eglise, voire « la synagogue de Satan ». Les révé- lations aussi sensationnelles que fantaisistes d'un Léo Taxil, mais, non moins, le travail persévérant de Mgr Jouin, dans sa Revue Internationale des Sociétés Secrètes, ont longtemps contribué à entretenir cette conviction dans le monde bien-pensant : comment ne serait-il pas troublé d'apprendre qu'un évêque auxiliaire du dio- cèse de Paris serait allé parler à la Grande Loge de France, rue de Puteaux ? A quoi on a répondu avec saint Paul, qu'un apôtre du Christ se doit à tous, croyants ou mécréants. Il est de l'essence même de sa mission de porter partout la parole de Dieu. A plus forte raison, s'il y est invité, comme ce fut le cas, à la Grande Loge. Cela n'implique de la part d'un homme d'Eglise aucune adhésion, aucune approbation de ce que, par ailleurs, les souverains pontifs ont jadis condamné. Le dialogue ne suppose pas a priori que les interlocuteurs soient d'accord. L'accord, s'il est possible, n'inter- vient qu'au terme d'échanges, d'éclaircissements, de concertations qui permettent à chacun de mieux comprendre l'autre et de se retrouver avec lui dans la commune reconnaissance d'une même vérité. C'est à quoi tendent ces rencontres œcuméniques catholi- ques, orthodoxes et protestants cherchent ensemble à se retrouver dans une même formulation de leur commune foi en Jésus-Christ. Pourquoi pas entre catholiques et francs-maçons ? Sans doute l'affrontement entre ceux-ci est-il plus récent que les guerres de religion entre huguenots et papistes. Ce n'est pas

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MICHEL RIQUET S.-J.

><*~~*t' ÉGLISE ET FRANC-MAÇONNERIE

De l'anathème au dialogue.

Pour nombre de catholiques de ma génération, la franc-maçon­nerie demeure une puissance ténébreuse et secrète foncière­

ment hostile à l'Eglise, voire « la synagogue de Satan ». Les révé­lations aussi sensationnelles que fantaisistes d'un Léo Taxil, mais, non moins, le travail persévérant de Mgr Jouin, dans sa Revue Internationale des Sociétés Secrètes, ont longtemps contribué à entretenir cette conviction dans le monde bien-pensant : comment ne serait-il pas troublé d'apprendre qu'un évêque auxiliaire du dio­cèse de Paris serait allé parler à la Grande Loge de France, rue de Puteaux ?

A quoi on a répondu avec saint Paul, qu'un apôtre du Christ se doit à tous, croyants ou mécréants. I l est de l'essence même de sa mission de porter partout la parole de Dieu. A plus forte raison, s'il y est invité, comme ce fut le cas, à la Grande Loge. Cela n'implique de la part d'un homme d'Eglise aucune adhésion, aucune approbation de ce que, par ailleurs, les souverains pontifs ont jadis condamné. Le dialogue ne suppose pas a priori que les interlocuteurs soient d'accord. L'accord, s'il est possible, n'inter­vient qu'au terme d'échanges, d'éclaircissements, de concertations qui permettent à chacun de mieux comprendre l'autre et de se retrouver avec lui dans la commune reconnaissance d'une même vérité.

C'est à quoi tendent ces rencontres œcuméniques où catholi­ques, orthodoxes et protestants cherchent ensemble à se retrouver dans une même formulation de leur commune foi en Jésus-Christ. Pourquoi pas entre catholiques et francs-maçons ?

Sans doute l'affrontement entre ceux-ci est-il plus récent que les guerres de religion entre huguenots et papistes. Ce n'est pas

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une raison pour durcir et prolonger des oppositions qui pourraient être dépassées au profit de l'amitié entre hommes de bonne volonté.

Or, les francs-maçons se considèrent précisément, comme des hommes de bonne volonté. I l s'agit de leur faire comprendre et admettre que les catholiques pourraient l'être autant qu'eux. On ne peut reprocher à un évêque de s'y employer. D'ailleurs, i l n'est ni le seul, ni le premier. Bien avant la guerre, mon confrère et ami le R.P. Berteloot S.-J. s'y était appliqué, tant par ses publications que par des relations suivies avec d'authentiques représentants des loges les plus diverses, notamment Albert Lantoine, Dumesnil de Gramont, le commandant Gamas, Marc Rucard pour ne parler que des plus illustres parmi les disparus.

Ses recherches historiques, reprises et considérablement pro­longées par celles de M e Alec Mellor, du préfet Jean Baylot, d'An­toine Faivre, de Paul Naudon, rejoignant et utilisant les œuvres maîtresses de R.F. Gould, Knoop, B.E. Jones, A.G. Mackey, Albert Lantoine, Marius Lepage, ont rendu évidente la distinction qu'il convient de faire entre une maçonnerie régulière, fidèle aux princi­pes fondamentaux des corporations médiévales de tailleurs de pierre, d'une part, et, de l'autre, des maçonneries irrégulières uti­lisant à des fins politiques le couvert du secret des loges.

Au point de départ de la franc-maçonnerie d'aujourd'hui, i l y a les corporations médiévales et chrétiennes des tailleurs de pierre, bâtisseurs de cathédrale. Cette filiation entre la franc-maçonnerie d'aujourd'hui et son ancêtre du Moyen Age, apparaît incontesta­ble à la simple lecture du maître livre de Douglas Knoop et G.P. Jones : The Genesis of Freemasonery. Mais nous en avons un témoin aussi ancien que pittoresque en la personne du chanoine Grandidier, archiviste du cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg. Dans ses Essais historiques et topographiques de l'Eglise de Stras­bourg, parus en 1782, cet auteur original mais d'une vaste érudition a tenu à insérer la conférence qu'il fit devant les modernes francs-maçons de Strasbourg après avoir fouillé les archives du Maurer-hoff : l'atelier des maçons et tailleurs de pierre de la cathédrale. Il souligne alors la remarquable concordance qui relie les nouveaux maçons aux anciens, ceux qu'unissaient les statuts et la charte de l'ancienne confraternité des maçons libres d'Allemagne.

Le chanoine Grandidier a eu entre les mains les documents originaux dont i l nous donne une exact résumé :

La maçonnerie

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« Cette confraternité composée de Maîtres, Compagnons et Apprentis formait une juridiction particulière et indépendante du corps des autres maçons. La Société de Strasbourg embrassait toutes celles d'Allemagne. Elle tenait son tribunal dans la Loge. Elle jugeait sans appel toutes les causes qui y étaient portées selon les règles et les statuts de la Confrérie.

« Tous les membres de cette Société n'avaient aucune communica­tion avec les autres maçons, qui ne savaient employer que le mortier et la truelle (art. 2). L'entreprise des bâtiments et la taille des pierres formaient leur principal travail. Aussi le regardait-il comme un art bien supérieur à celui des autres maçons. L'équerre, le niveau, le com­pas devinrent leurs attributs et leur marque caractéristiques. Résolus de faire un corps à part dans la foule des ouvriers, ils imaginèrent entre eux des mots de ralliements, des attouchements pour se distin­guer. Ils nommaient cela le signe des mots, le salut manuel. Les ap­prentis, les compagnons, les maîtres étaient reçus avec des cérémonies particulières auxquelles ils faisaient présider le secret. L'Apprenti élevé au degré de Compagnon prêtait serment de ne jamais divulguer de bouche ou par écrit les mots secrets du salut (art. 55). Il était défendu aux Maîtres, ainsi qu'aux Compagnons, d'instruire des étrangers des statuts constitutifs de la maçonnerie (art. 13). Le devoir de chaque Maître des Loges était de conserver scrupuleusement les livres de la Société afin que personne ne pût en transcrire quelques règlements (art. 28). Il avait le droit de juger et de punir tous les Maîtres, Compa­gnons et Apprentis établis dans sa Loge (art. 22 et 23). L'Apprenti qui voulait devenir Compagnon était proposé par un Maître qui, comme parrain, rendait témoignage de ses vie et mœurs (art. 65). Il prêtait serment d'obéir à tous tes règlements de la Société (art. 56 et 57). Le Compagnon était soumis au Maître jusqu'au temps fixé par les statuts et qui était de 5 ou 7 ans (art. 43 et 45). Alors il pouvait être admis à la Maîtrise (art. 7 et 15). Tous ceux qui ne s'acquittaient pas des devoirs de leur religion, qui menaient une vie libertine ou peu chré­tienne, ou qui étaient reconnus infidèles à leur épouse, ne pouvaient être admis dans la Société ou en étaient exclus, avec défense à chaque frère, Maître ou Compagnon d'avoir aucune liaison avec eux (art. 16). Aucun Compagnon ne pouvait sortir de la Loge ou parler sans la per­mission du Maître (art. 52 et 54). Chaque Loge avait une caisse : on y remettait l'argent que tes Maîtres et Compagnons donnaient à leur réception. Cet argent était employé pour les nécessités des Frères pau­vres ou malades (art. 23 et 24). »

Après ce résumé, dont les éléments lui ont été fournis par les manuscrits qu'il a consultés lui-même dans les archives des tail­leurs de pierre de Strasbourg, le chanoine Grandidier ajoute :

« Ne reconnaissez-vous pas à ces traits, maçons vénérables, maçons parfaits, initiés dans les mystères des noms sacrés, les

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francs-maçons modernes ? L'analogie n'était-elle pas sensible, exacte ? Le même nom de Loge pour signifier le lieu de l'assemblée, le même ordre dans leur distribution, la même division en Maître, Compagnons et Apprentis ; les uns et les autres sont présidés par un Grand Maître ; ils ont également des signes particuliers, des lois secrètes, des statuts contre les profanes ; ils peuvent dire les uns et les autres : mes frères et mes conpagnons me recon­naissent pour maçon. »

Comment, de cette corporation de métier est-on passé à ce club initiatique que représente la maçonnerie d'aujourd'hui ? C'est ce que nous révèlent les archives de la Grande Loge d'Edimbourg qui tenait ses réunions à Saint Mary's Chapel.

Ces archives, conservées depuis 1599, mais d'autres encore que l'on peut consulter au Free Masons Hall de Londres, nous appren­nent que dans ces loges de maçons professionnels on admit des personnages exerçant des professions libérales ou autres. Ainsi dans la Loge d'Aberdeen, en 1670, sur une quarantaine de membres on trouve inscrits des avocats, des chirurgiens, des marchands. On distingue alors les domatiques, bâtisseurs de maisons, et les géomatiques, ceux qui se livrent à des spéculations sur la géo­métrie. Finalement les géomatiques l'emporteront sur les domati­ques et l'on passera de l'organisation professionnelle des bâtisseurs de cathédrales à cette maçonnerie non plus opérative mais spécu­lative qui va prendre corps à Londres, par la fusion de quatre Loges réunies le 24 juin 1717, à la Taverne du Pommier. La Grande Loge de Londres, ainsi créée, se donne en 1723, des constitutions. Deux pasteurs de l'Eglise anglicane, Anderson et Désagulier en ont rédigé le texte. C'est dire que cette franc-maçonnerie, héritière des corporations chrétiennes du Moyen Age où l'on se devait d'être « loyal à Dieu et à la Sainte Eglise et se garder de l'erreur et de l'hérésie », n'a rien d'irréligieux. Au contraire « concernant Dieu et la religion », le premier article des constitutions d'Anderson dé­clare : « Un maçon libre est obligé, par son état, de se conformer à la morale et s'il entend bien l'art il ne sera jamais un athée, ni un libertin sans religion. Quoique dans les siècles passés les maçons étaient obligés d'être de la religion du pays où ils vivaient, depuis quelque temps on a jugé plus à propos de n'exiger d'eux que la religion dont tout chrétien convient, laissant à un chacun leurs sentiments particuliers, c'est-à-dire d'être bons frères et fidè­les ; d'avoir de l'honneur et de la probité, de quelque manière qu'ils puissent être distingués d'ailleurs : par ce moyen, la maçonnerie devient le centre et l'union d'une amitié solide et durable entre

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les personnes qui sans elle seraient toujours séparées les unes des autres. »

Telle était la traduction française de l'original anglais officiel­lement imposée aux loges de France par le Grand Maître, Charles Radcliffe, comte de Derwenwater, qui donnait ses lettres patentes à la Loge d'Aumont, rue de Buci, le 14 février 1737.

Les constitutions précisaient en outre qu'un maçon « partout où il travaille ou réside, doit être soumis à l'autorité civile et ne doit jamais se trouver dans des complots opposés à la paix et à la tranquillité d'un royaume ». Au sein de chaque loge on devra « écarter toutes piques et querelles et tout ce qui pourrait y don­ner lieu, particulièrement les disputes sur la religion, les nations et le gouvernement ».

C'est dans un climat de fraternité, de tolérance, de respect des opinions et convictions de chacun que s'est fondée cette ma­çonnerie régulière. Les catholiques anglais y trouvèrent aux côtés de leurs frères anglicans, presbytériens ou protestants, un havre fraternel qui les consolait des persécutions qui les poursuivaient au-dehors. Ce sont des catholiques, émigrés d'Angleterre avec les Stuart, qui fondèrent à Saint-Germain et à Paris les premières loges. Et ce Charles Radcliffe, lord Dewenwater qui fut, en France, de 1736 à 1738, un de leurs premiers Grand Maître, voudra avant de monter sur l'échafaud, à Londres, le 19 décembre 1746, laisser cette émouvante déclaration : « Je meurs en fils véritable, obéissant et humble de la Sainte Eglise catholique et apostolique en parfaite charité avec l'humanité entière, en voulant vraiment le bien de mon cher pays. »

Sur les sept prêtres que comptait la Loge de Laval, à la veille de la Révolution, six seront déportés pour avoir refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé. Le septième sera guillo­tiné pour son indomptable fidélité à l'Eglise de Rome. Celle-ci a canonisé, comme martyr de la foi, le bienheureux Jean Gallot.

Cependant, le pape Clément XII , par la bulle In eminenti du 28 avril 1738, avait déclaré excommuniés ipso facto, tous les fidèles qui donneraient leur adhésion ou leur concours aux sociétés de francs-maçons. Il en donnait pour raison, le secret absolu dont cette association entendait couvrir ses activités, la prohibition dont certains princes l'avaient frappée ainsi que la prétention d'unir entre eux, sur la base d'une morale toute naturelle, des hommes appartenant à des religions et à des sectes diverses.

Mais cette bulle, n'ayant jamais été promulguée en France, ni en Angleterre, ni en Allemagne ne pouvait avoir force de loi. Lex non satis promulgata non obligat.

M . Alec Mellor, dans son livre Nos frères séparés, les francs-

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maçons, s'est livré à une longue et minutieuse enquête pour élu­cider les motivations de cette condamnation. Le R.P. Ferrer Beni-meli s'y est employé de son côté. Il semble que les motifs aient été surtout d'ordre politique. Certaines des loges maçonniques qui, d'Angleterre, s'étaient répandues sur le continent, notamment celle fondée à Florence par le baron Stosch, se trouvaient transformées en foyers de conspiration et d'espionnage. Les unes travaillaient pour les Stuart catholiques, les autres pour la maison de Hanovre et les orangistes protestants. Ce serait à la demande même de Jacques III que Clément XII aurait lancé cette bulle pour faire barrage aux orangistes.

Le secret, l'intimité des loges, la solidarité maçonnique of­fraient en effet, aux conspirateurs, mais également aux amateurs d'ésotérisme et de spéculations aventureuses un cadre favorable. Casanova et Cagliostro n'ont pas manqué de l'utiliser. Mais la plus importante exploitation du cadre maçonnique à des fins révolu­tionnaires fut l'entreprise d'Adam Weishaupt et de ses Illuminés de Bavière. Finalement la tentative de Weishaupt et du baron Knigge, solennellement condamnée par le Convent de Wilhelmsbad de 1782 et proscrite par l'électeur de Bavière, se solde par un échec. Mais elle va laisser des germes qui vont proliférer à travers le XIX e siècle et engendrer les francs-maçonneries irrégu­lières.

Cependant l'Angleterre après avoir, elle aussi, connu la querelle des anciens et des modernes, rassemblera toutes ses loges dans la Grande Loge unie d'Angleterre qui va maintenir jusqu'à nos jours les principes traditionnels de la maçonnerie régulière. Elle main­tient invariablement depuis 1815, ce qu'avait formulé Anderson en 1723 et que résume la déclaration des trois Grandes Loges d'Angleterre, d'Irlande et d'Ecosse d'août 1938 :

« La condition première pour être admis comme membre de l'Ordre maçonnique est la croyance à l'Etre Suprême. Ceci est essentiel et n'admet aucun compromis.

« La Bible, considérée par les Francs-Maçons comme le Volume de la Sainte Loi, est toujours ouverte dans les Loges. Chaque candidat est requis de prendre ses engagements sur ce livre ou tout autre Volume pouvant, selon sa foi particulière, donner un caractère sacré au serment ou à la promesse prononcé sur lui.

« Quiconque entre dans la Franc-Maçonnerie se voit dès l'abord stric-trement interdit toute action tendant à la subversion de la paix et du bon ordre de la société; il doit s'appliquer à l'obéissance, à la loi de l'Etat dans lequel il réside ou qui lui accorde sa protection et ne doit jamais se soustraire à l'allégeance due au Souverain de son pays natal.

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« Bien que la franc-maçonnerie anglaise inculque à chacun de ses membres les devoirs de loyauté et de civisme elle réserve à chaque individu le droit d'avoir ses propres opinions à l'égard des affaires pu­bliques. Mais au sein d'une Loge, ni en qualité de franc-maçon, il ne lui est permis de discuter ou d'avancer ses vues personnelles sur des questions théologiques ou politiques. »

Dans une lettre à la Grande Loge d'Uruguay, le 18 octobre 1950, la Grande Loge Unie d'Angleterre tenait à rappeler : « La vraie maçonnerie s'applique à conserver et répandre la croyance en l'existence de Dieu, pour aider les maçons à régler leur vie et leur conduite sur les principes de leur propre religion, quelle qu'elle soit..., mais ce doit être une religion monothéiste qui exige la croyance en Dieu comme Etre Suprême... et ce doit être une religion ayant un livre sacré sur lequel l'initié puisse prêter ser­ment à l'Ordre ».

Sans prétendre aucunement être une religion ou en tenir lieu, cette obédience maçonnique ne veut se recruter que parmi les hommes ayant une religion et les aider à y rester fidèles. Son but est de créer des loges où « les maçons vivent ensemble dans une atmosphère d'union où se développe une bonne camaraderie par le moyen d'une fraternité fondée sur la paternité de Dieu, où nous puissions être heureux dans la confiance fondée sur une fidélité réciproque, où les caractères s'affinent et se fortifient, où les apti­tudes se développent si bien que nos membres se trouvent mieux qualifiés pour exercer une influence bienfaisante comme citoyens, selon leurs capacités particulières en toutes questions d'intérêt public ».

Comme le précisait une déclaration publique de la Grande Loge nationale française (bd Bineau à Neuilly), la seule obédience ma­çonnique de France reconnue régulière par la Grande Loge Unie d'Angleterre, celle-ci « ne vise par le travail des anciens rituels de l'Ordre, qu'au perfectionnement moral et spirituel de ses mem­bres et à la pratique d'une charité fraternelle active et vivifiante... Particulièrement elle s'interdit tout ce qui pourrait être considéré comme une machination contre une Eglise ou les pouvoirs civils légitimes ».

S'il est vrai que cette orientation n'est pas celle de la majorité des francs-maçons français, par contre elle est bien celle des quel­que cinq millions d'adhérents des milliers de loges que, dans le monde entier, la Grande Loge Unie d'Angleterre reconnaît régu­lières et avec lesquelles elle entretient des relations suivies.

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Les maçonneries irrégulières Tandis que les pays anglo-saxons et leurs prolongements dans

le Commonwealth et les Etats-Unis d'Amérique, ainsi que les pays Scandinaves et germaniques restaient généralement fidèles à la ré­gularité traditionnelle d'inspiration largement chrétienne, on voit, à travers tout le xix* siècle, les loges irrégulières proliférer en France et en Italie.

Dans un livre récent (1968) remarquablement documenté, La voie substituée, le préfet Jean Baylot a lucidement montré par quelles étapes s'opéra cette mutation au sein des loges françaises, cependant que le R.P. Rosario Esposito dans son livre : La Masso­neria et l'Italia (de 1800 à nos jours) opérait la même démons­tration pour les loges italiennes.

A l'origine, i l y a d'abord l'entreprise d'Adam Weishaupt qui, jeune professeur de droit à l'Université d'Ingolstadt fondait, en 1776, avec quatre compagnons, une société secrète destinée à trans­former le monde et l'humanité mais dans une opposition totale aux institutions en vigueur, particulièrement l'Eglise et la monar­chie. I l rêve d'utiliser pour cela le cadre maçonnique. La réaction des loges maçonniques d'Allemagne fut immédiate. Elles condam­nèrent « une maçonnerie qui voulait saper la religion chrétienne et faire de la maçonnerie un système politique ». (Déclaration de la Loge des Trois Globes, 11 novembre 1784.)

Après dix années d'agitation, Weishaupt et les Illuminés de Bavière sombrèrent dans le silence. Mais, comme le note justement M . Jean Baylot, « il reste à Weishaupt d'avoir créé le besoin et la terreur de la Société secrète et d'avoir habitué les maçons et l'opi­nion qui les juge, à voir dans la maçonnerie une force politique dissimulée ».

De nombreux émules vont, au long du xix* siècle, reprendre et développer le projet d'utiliser la maçonnerie pour en faire l'ins­trument d'une transformation, voire d'une révolution politique et sociale de la société.

Cependant et contrairement à ce qui s'écrira par la suite, ce n'est pas avant ni pendant la Révolution de 1789 que va s'affirmer le rôle politique de ces loges irrégulières. La conclusion d'Albert Mathiez s'impose : « S'il est ridicule d'expliquer la Révolution par un complot d'illuminés, il est aussi ridicule de supposer que les idées et les amis de ceux-ci n'y ont joué aucun rôle. » D'une part, les maçons participaient au mouvement général des idées et des mœurs, d'autre part, certains d'entre eux ont joué un rôle dans les événements de 1789 à 1793. En sommeil durant la période

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révolutionnaire de 1789 à 1799, la maçonnerie régulière sera sous l'Empire, en France et en Italie, florissante mais liée au régime établi.

C'est en marge de cette maçonnerie régulière, bien vue du pou­voir impérial, qu'elle ne menace en aucune manière, que vont naî­tre des groupes de pression et d'action révolutionnaire qui utili­seront le cadre maçonnique pour grouper leurs adeptes et tramer leurs complots.

Le principal initiateur de cette mutation dont Jean Baylot res­suscite la tumultueuse carrière, est Filippo Michel Buonarroti, authentique arrière-petit-neveu de Michel-Ange. Né à Pise le 11 no­vembre 1761, i l grandit à Florence. Page de l'archiduc Pierre-Léopold i l devient, en 1784, docteur en droit à Pise, se marie, est père de 4 enfants, s'enthousiasme pour les idées de Lock, Condillac et Rousseau, plus encore pour la Révolution française de 1789 ; passe, alors, en Corse où i l fonde, en avril 1790, et dirige le Journal patriotique de Corse. Naturalisé français le 27 mai 1793, i l sera chargé, par le Comité exécutif, de missions en Corse, à Lyon, en Provence. Inquiété à la chute de son ami Robespierre (1794), compromis dans la conjuration de Babeuf contre Bonaparte, in­terné, relégué, i l obtient, en 1806, l'autorisation de résider à Ge­nève. C'est alors qu'il se fait initier à la loge Les Amis sincères, au Grand-Orient de Genève. Dès lors, i l va s'appliquer à en faire l'instrument de ses projets révolutionnaires. Mais comme l'indique un rapport de police de 1811, « les principes développés aux Amis sincères ont indigné et révolté les autres loges qui ne les considé­rèrent plus comme des frères, puisqu'ils auraient donné des appli­cations contraires aux buts maçonniques qui sont étrangers au système politique ». Sur quoi le préfet Capelle fit fermer la loge que désavouait la franç-maçonnerie genevoise.

Mais Buonarroti va continuer dans la clandestinité ses activités révolutionnaires sous le couvert d'une organisation pseudo-maçon­nique qu'il baptise Sublimes Maîtres Parfaits et Grand Firmament.

Son plan est clair : « Regrouper sous sa direction occulte tout ce qui en Europe et même de par le monde de l'époque, rêve d'har­moniser les rapports des hommes. » Une sorte d'humanisme déiste et planétaire s'élabore autour de la franc-maçonnerie, avec pour départ une ligue secrète que Buonarroti a fabriquée.

L'histoire de la loge Les Amis de la Vérité, couplée avec celle des Amis de l'Armonique, montre comment, sous le couvert de la franc-maçonnerie officiellement protégée par l'Empire puis, au temps de la Restauration, par le duc Decaze, les idées de Weishaupt et de Buonarroti vont faire de la loge un foyer de libre-pensée, de complots et de révolutions.

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Cette loge des Amis de la Vérité, fondée, à Paris, en 1818, va servir à Bazard pour ourdir la conspiration de Belfort en 1820 ; deux des quatre sergents de La Rochelle exécutés en 1822 la fré­quentaient ; elle fournira son contingent aux journées de juillet 1830. Elle fut le berceau de la Charbonnerie française. Elle fut, plus encore, au départ de l'annexion de la franc-maçonnerie fran­çaise par les mouvements politiques.

Parmi ceux qui la fréquentèrent tant soit peu, on relève les noms de Bazard, Blanqui, Bûchez, Cabet, etc.

Cette orientation nouvelle totalement étrangère aux premiers fondateurs de la franc-maçonnerie spéculative, se caractérise par la volonté de faire de la loge un centre d'action politique ayant pour but la réforme de la société, par des institutions assurant l'égalité entre les hommes et l'avènement des libertés à rencontre de toutes les oppressions du passé. Au début ces tendances provo­quèrent la réaction des instances supérieures du Grand Orient contre les ateliers réfractaires aux « sages dispositions qui leur font une loi de s'abstenir de toute discussion politique ». Mais après les événements de 1848, le coup d'Etat du 2 décembre 1851 et l'avènement du Second Empire, la maçonnerie française se laisse envahir par les théories sociales de Fourier, Saint-Simón, Proudhon, le positivisme de Littré, le laïcisme de Jean Macé. « L'entrée d'athées croissait avec celle de militants venus parti­ciper à l'action politique. »

Une étude insérée au Bulletin du Grand Orient, de janvier 1861 proclame : « La maçonnerie est appelée à réaliser la religion naturelle universelle. Son but : assurer la morale physique et in­tellectuelle de l'individu et de la société par la devise Liberté, Egalité, Fraternité. »

L'ancien article 1", concernant Dieu et la religion devient au convent de 1865 : « La maçonnerie a pour principe l'existence de Dieu. Elle regarde la liberté de conscience comme un bien propre à chaque homme et n'exclut personne pour ses croyances. » Finale­ment, le convent du Grand Orient de 1877, supprimera l'obligation pour les loges de travailler « à la gloire du Grand Architecte de l'Univers ». Du coup la Grande Loge Unie d'Angleterre rompra toutes relations avec le Grand Orient de France.

Dès lors, la politique devient l'occupation principales des Loges du Grand Orient. L'un des siens, Gambetta, la résume d'un mot : « Le cléricalisme voilà l'ennemi. » Jean Macé, Jules Ferry, Emile Combes, tous francs-maçons, vont mener la campagne qui aboutit à l'expulsion des congrégations religieuses, à la confiscation de leurs biens et à la spectaculaire séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905.

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Pour comprendre cette animosité des loges du Grand Orient contre l'Eglise i l faut tenir compte, à la fois du climat de l'époque, des luttes ouvrières, de l'animosité soulevée par la politique de la Restauration, puis du Second Empire dont l'épiscopat et le clergé s'étaient trop souvent montrés solidaires, des aspirations de la conscience moderne contredites par le syllabus de Pie IX.

De l'autre côté des Alpes, les loges italiennes glissaient sur la même pente. Comme le démontre le père Rosario Esposito dans son livre La Massoneria é l'Italia, ce n'est pas la franc-maçonnerie italienne qui eut la première initiative de la lutte pour l'indépen­dance et l'unité de l'Italie, mais les promoteurs de ce combat, Joseph Mazzini et Guiseppe Garibaldi, tous deux francs-maçons, utilisèrent les loges et celles-ci revendiqueront, comme celles de France, l'honneur d'avoir fait la Révolution. Or, la souveraineté du pape sur les Etats pontificaux constituait un sérieux obstacle à la réalisation de l'Unita. Du coup le mouvement qui, au départ, ne s'inspirait que d'un légitime nationalisme va devenir anticlé­rical et finira par les imprécations fameuses du Grand Maître Lemmi : « Le Grand Orient invoque le génie de l'humanité pour que tous les frères travaillent de toutes leurs forces à disperser les pierres du Vatican, pour construire avec elles le temple de la Nation émancipée. » Et le frère Carducci d'entonner son Hymne à Satan : « Gloire à toi, magnanime Rebelle ! »

C'est dans ce contexte de violences anticléricales, voire antireli­gieuses, qu'il faut situer l'encyclique du pape Léon XIII Humanum Genus, en 1884. Elle renouvelait les précédentes condamnations de la franc-maçonnerie par Clément XII , Benoît XIV, Grégoire XII et Pie IX. Mais comme l'a fort bien démontré le père Ferrer Benimeli dans son livre La Masoneria despues del Concilio, l'ex­communication qui frappe la franc-maçonnerie vise essentielle­ment « les complots contre l'Eglise et les pouvoirs civils légi­times ». Or, une excommunication n'est encourue que « si le délit est parfaitement commis selon les propres termes de la loi ». Il y aurait donc une différence à faire entre les francs-maçonneries irrégulières coupables d'un tel délit et les régulières qui, préci­sément, s'interdisent expressément tout ce qui pourrait être un complot contre l'Eglise ou les pouvoirs civils légitimes.

De l'anathème au dialogue Quelle est, quelle peut être aujourd'hui l'attitude de l'Eglise

et des catholiques à l'égard de la franc-maçonnerie ? Le Concile Vatican II nous invite à reconnaître les valeurs humaines et divi-

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nés qui peuvent se trouver même dans des religions non chré­tiennes, tel le judaïsme ou l'Islam. Il consacre une de ses déclara­tions à la liberté de conscience et de religion et admet une colla­boration des chrétiens avec tous les hommes de bonne volonté, mêmes athées, pour la construction d'un monde fraternel.

Or, la franc-maçonnerie régulière ou non, poursuit des buts humanitaires et proclame son respect des convictions et croyances de chacun. Au Convent du Grand Orient en 1960, le Grand Maître précisait ainsi ce que tendait à développer son obédience : « Le sentiment, poussé jusqu'à devenir instinct, de la -fraternité ; le sens civique... au stade universel qui est notre vocation propre ; enfin la protection de l'homme et des valeurs qu'il représente avec ce qui le caractérise essentiellement ; l'acquiescement à la raison, aux valeurs morales permanentes et à la liberté. »

S'il est vrai que sous le couvert de semblables déclarations le Grand Orient a, dans le passé, combattu âprement l'Eglise et le catholicisme comme des ennemis du progrès moral et spirituel de l'humanité, rien n'empêche que, d'un côté comme de l'autre on révise ses positions à partir d'une meilleure compréhension des intentions respectives des uns et des autres.

C'est précisément dans cette voie que semble s'orienter le Grand Orient d'Italie. Après avoir dans les premières éditions de son livre, fait le procès de la maçonnerie anticléricale et sectaire, le R.P. Rosario Esposito s'honore d'avoir, avec l'accord du Vati­can et de l'évêque du lieu, pris l'initiative d'un colloque public, à Savone, le 15 juin 1969, avec le Grand Maître Gamberini. Le résul­tat le plus positif de ce dialogue entre un prêtre catholique et le Grand Maître de la principale obédience maçonnique de l'Italie aura été la création d'un nouveau style dans les relations récipro­ques des deux institutions. De part et d'autre on a renoncé aux invectives et aux anathèmes du passé, plus encore aux procès d'intention et à la déformation systématique des événements. Comme le note le R.P. Caprile, dans un article justement remarqué de la Civiltà Catolica, « la vérité des faits avec la sérénité de l'ex­posé et de l'appréciation, sont une condition décisive de tout dialogue ». Lecteur attentif de la littérature maçonnique le père Caprile y relève, depuis 1970, un incontestable changement dans la manière d'y parler de l'Eglise catholique. Il n'hésite pas à se féliciter des résultats déjà obtenus dans ce sens par les diverses rencontres du père Esposito avec les autorités maçonniques en Italie. Mais i l mentionne également celles qui se poursuivent ail­leurs, notamment la réception solennelle par la loge Fraternité de Boston, le 26 octobre 1965, du cardinal Cushing accompagné d'un représentant des chevaliers de Colomb. Puis c'est Mgr Léo

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A. Pursley qui parle à la Loge de SouthBend, l'archevêque John P. Cody à celle de Chicago. « C'est là, conclut le collaborateur de la Civilta Católica, un exemple concret de ce qui pourrait faire mûrir un dialogue sincère. »

Au terme de trois articles de la Civilta Católica, le père Caprile aboutit à des conclusions qui seront d'autant plus les nôtres que nous les savons concordantes avec celles des hautes autorités qui, traditionnellement, suivent de près et plus ou moins contrôlent cette publication des jésuites italiens.

D'abord, i l se réjouit de voir se répandre largement « le désir d'un dialogue sincère, loyal, fondé non sur un irénisme utopique et inconsistant mais sur des faits qu'on ne puisse contester ». En ce qui concerne la maçonnerie, i l ne lui semble pas qu'il y ait encore des « difficultés insurmontables à. l'ouverture et à la pour­suite d'un fructueux dialogue et même, là où les circonstances s'y prêtent, une éventuelle et bénéfique collaboration sur des points d'inspiration commune : œuvres d'assistance, fraternité entre les hommes, paix, collaboration internationale, etc. ».

Pour faciliter ce dialogue et aplanir la voie vers une meilleure compréhension i l souhaite des études historiques menées avec un sérieux et une rigueur vraiment scientifique, « en dehors de toute visée polémique ou apologétique ».

Reste l'excommunication à laquelle l'opinion demeure parti­culièrement sensibilisée. Là-dessus le père Caprile laisse entendre que dans l'actuelle révision du Code du droit canonique, on ten­drait à réduire la peine d'excommunication latae sententiae, c'est-à-dire encourue ipso facto, à quelques cas particulièrement graves. Le canon 2.335 concernant l'adhésion à une secte maçonnique ne serait pas nécessairement maintenu. Mais à cet espoir le père Ca­prile joint une citation du père Beyer, doyen de la Faculté de droit canonique de l'Université grégorienne de Rome : « L'inscrip­tion à une loge qui ne serait ni sectaire, ni antichrétienne peut, du point de vue du droit de l'Eglise, n'entraîner aucune peine. L'excommunication n'intervient que dans le cas oh une telle affi­liation implique infidélité à Dieu, abandon de la foi au Christ, danger de la perdre, impossibilité de professer cette foi dans l'Eglise. Toute affiliation qui n'aboutit pas à cela ne peut, par conséquent, faire encourir l'excommunication. Rien n'empêche le maçon qui se trouve en telles conditions de recevoir les sacre­ments. »

Il s'agit donc pour les obédiences maçonniques de définir net­tement leur attitude vis-à-vis de l'Eglise et du catholicisme, d'hos­tilité, de tolérance ou de respectueuse sympathie. Cette dernière attitude est déjà celle de la Grande Loge Unie d'Angleterre et de

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toutes celles qui, dans le monde, demeurent fidèles, comme la Grande Loge nationale française de Neuilly, à ces landmarks ou obligations fondamentales : croire en un Dieu personnel et à sa Volonté révélée dans le Volume de la Sainte Loi, s'interdire soit dans la Loge, soit au nom de la Loge, toute polémique ou discus­sion d'ordre théologique ou politique, particulièrement tout ce qui pourrait être considéré comme « complot contre l'Eglise ou les pouvoirs civils légitimes ».

Quoi qu'il en soit de l'avenir du canon 2.335 qui frappe d'excom­munication ipso facto « ceux qui donnent leur adhésion à une secte maçonnique ou autre, qui se livrent à des complots contre l'Eglise ou les pouvoirs civils légitimes », i l convient, aujourd'hui comme hier, de l'interpréter selon les règles générales du droit canon. Une peine canonique n'est encourue que si « le délit est commis parfaitement selon les propres termes de la loi » (canon 2.228). L'instruction du Saint Office du 10 mai 1884, précisant la portée des condamnations de l'encyclique Humanum Genus, déclare expressément que l'excommunication ne vise que celles des sectes maçonniques ou autres « qui se livrent à des machinations contre l'Eglise ou les pouvoirs civils légitimes ». Dès lors qu'une obé­dience maçonnique s'interdit expressément, en fait comme en droit, un tel délit, comment pourrait-elle être sujette à la peine qui le sanctionne ?

Si, dans le passé, le comportement et les agissements du Grand Orient, voire de la Grande Loge de France, ont pu justifier les condamnations de l'Eglise, rien ne les empêche d'évoluer comme l'Eglise, elle aussi, évolue. Le geste récent de la Grande Loge invitant un évêque catholique à venir exposer son point de vue marque un changement de style dans les relations réciproques entre cette obédience du rite écossais et l'Eglise. Dans l'amour sincère des hommes et une même volonté de construire une monde vraiment fraternel, l'Eglise et la franc-maçonnerie pourraient se rencontrer et collaborer sans rien renier de leur identité, ni inclure dans son affirmation la négation de l'autre. Pourquoi ne pas l'espérer ?

MICHEL RIQUET S.-J.