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.11 ;,-.'" UPvlUOIJfi llIANC"Alst Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative CONCOURS EXTERNE POUR LE RECRUTEMENT D'INGENIEURS D'ETUDES SANITAIRES du 30 avril 2008 MERCREDI 30 AVRIL 2008 13h 30 à 18h 30 (horaire de métropole) Epreuve-écrite d'admissibïlité : durée 5 heures - coefficient 4 ! Rédaction d'une note à partir d'un dossier documentaire, dont le champ est fixé à l'annexe 1 de ,.- l'arrêté du 26 mars 2007, sur une problématique de santé environnementale, permettant de vérifier les qualités de rédaction, d'analyse et de synthèse du candidat. Ce dossier peut comporter des parties littéraires, des tableaux, des éléments chiffrés et des données , .. cartographiques IMPORTANT: dès la remise des sujets, les candidats sont priés de vérifier la numérotation et le nombre de pages

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Page 1: MERCREDI 30 AVRIL 2008 18h 30 (horaire de métropole) · partir d'un dossier documentaire, dont le champ est fixé . à . l'annexe 1 de ,. l'arrêté du 26 mars 2007, sur une problématique

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Ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité Ministère de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative

CONCOURS EXTERNE POUR LE RECRUTEMENT D'INGENIEURS D'ETUDES SANITAIRES

du 30 avril 2008

MERCREDI 30 AVRIL 2008

13h 30 à 18h 30 (horaire de métropole)

Epreuve-écrite d'admissibïlité : durée 5 heures - coefficient 4 !

Rédaction d'une note à partir d'un dossier documentaire, dont le champ est fixé à l'annexe 1 de ,. ­l'arrêté du 26 mars 2007, sur une problématique de santé environnementale, permettant de vérifier les qualités de rédaction, d'analyse et de synthèse du candidat. Ce dossier peut comporter des parties littéraires, des tableaux, des éléments chiffrés et des données

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cartographiques

IMPORTANT: dès la remise des sujets, les candidats sont priés de vérifier la numérotation et le nombre de pages

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SUJET

SUJET: Votre directeur vous demande une note sur la présentation du principe de précaution et son application dans les cas particuliers des dossiers sanitaires sensibles que sont l'''encéphalopathie spongiforme bovine (ESB)" et la "téléphonie mobile". Il est en effet invité à animer une conférence publique sur ces sujets.

Documents joints:

GENERALITES

• La Constitution - Charte de l'environnement de 2004 '" page 2

• "Le principe de précaution: sa place et son rôle dans la prise de décision de sécurité sanitaire" Dominique Tricard - AFSSA - DERNS - Unité d'évaluation des risques liés à l'eau pages 3 à 26

• "Le principe de précaution" - Après-demain n° 444-4451 juin-août 2002 (articles de Olivier Godard et Edgar Morin) pages 27 à 34

• "Le principe de précaution en matière de sécurité alimentaire" - Mémoire DEA Anne-Lise Ducroquetz 1année universitaire 2000-2001 (extrait) pages 36 à 46

• "Maladies à prions - La recherche mobilisée" 1dossier INRA - lettre nO 7 ­juillet 2004 pages 47 à 52

• Chronologie et dates clés - ESB : un constat accablant.. pages 53 à 54

• "Etude de cas nO 5 : un processus de décision face au risque lié à l'encépha­lopathie spongiforme bovine (ESB)" - Evaluation de l'application de la loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille et du contrôle sanitaires / Vachey Laurent, Carré André, Chéreau Claude, Deloménie Pierre. Gagneux Michel, Michel, Bouvier Michel /

Inspection générale des finances .. Inspection générale de l'environnement .. Inspection

générale des affaires sociales pages 55 à 62

• Avis AFSSA en date du 13/11/00 sur demande du 10/11/00 concernant la sécurité des aliments d'origine bovine pages 63 à 83

• Circulaire DGS/DGAL/DGCCRF n° 2000-383 du 5/07/00 relative aux relations entre les services déconcentrés de l'Etat et l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (annexes non jointes) pages 84 à 86

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TELEPHONIE MOBILE

• "Téléphonie mobile et santé" / Avis de l'AFSSE - juin 2005 '" pages 88 à 101

• "Risques liés aux agents physiques" / Synthèse AFSSET - juillet 2006 pages 102 à 103

• "Téléphone portable et risque de cancer: que disent les dernières études 7" / avis Institut National du Cancer Uanvier 2008) pages 104 à 106

• "Avis de la Commission de la sécurité des consommateurs relatif à l'infonnation du consommateur dans le domaine de la téléphonie mobile ­02/08" pages 107 à 125

• Article du "Figaro" du 22 janvier 2004 pages 126 à 128

• "Remarques relatives à l'article paru dans le Figaro du 22/01/04 sur la téléphonie mobile" / AFSSE pages 129 à 130

• "Téléphones mobiles" / Pour en savoir plus / Direction générale de la santé / mars 2007 pages 131 à 134

• "Bilan d'un an d'application du Guide des bonnes pratiques entre maires et opérateurs" - Dossier de presse - 24/05/05 (annexes non jointes) pages 135 à 152

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GENERALITES

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!\.! l~1!,iffvet'!/j(t~ .gouy.1r-_-.,-_.~ ;Ji~ $~RVlel! l'vaLle DI! LA P1"~USION DU opton

La Constitution - Charte de ('environnement de 2004

Le peuple français,

Considérant:

Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité;

Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel;

Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains;

Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution;

Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles;

Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation;

Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins,

Proclame:

Article 1er. - Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Article 2. - Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de "environnement.

Article 3. - Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.

Article 4. - Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi.

Article 5. - Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

Article 6. - Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.

Article 7. - Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à "environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur "environnement.

Article 8. - L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.

Article 9. - La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de ('environnement.

Article 10. - La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France.

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LE PRINCIPE DE PRECAUTION: SA PLACE ET SON RÔLE DANS LA PRISE DE DECISION DE SECURITE

SANITAIRE

Dominique TRICARD AFSSA - DERNS

Unité d'évaluation des risques liés à l'eau

Issu de la définition de la politique de protection de l'environnement, le principe de précaution constitue aujourd'hui une référence à laquelle il est fait de plus en plus appel en cas d'intervention face aux problèines sanitaires. Pour certains acteurs, ce principe constitue même une clé essentielle de la sécurité sanitaire. Les commentaires faits à son propos portent fréquemment sur l'histoire de son émergence, sur des aspects juridiques ou sociologiques. Au cours des dernières années, différents intervenants ont souvent regretté un manque de doctrine en la matière. Plusieurs rapports ont formulé des propositions sur sa conception et pour son utilisation. Récemment, une évolution importante a eu lieu; elle résulte des travaux menés au niveau communautaire. Ils ont conduit la Commission Européenne a adopter le 2 février 2000 une communication sur le· recours au principe de précaution. En s'appuyant sur cette communication, et après discussion, le Conseil et le Parlement Européen ont adopté respectivement les 4 et 14 décembre 2000, chacun, une résolution sur le recours à ce principe.

Si une résolution ne constitue pas un acte juridique en tant que tel, pouvant ouvrir des droits vis à vis des Etats ou des particuliers, l'ensemble des textes témoigne de l'importance politique· donné à ce principe et.de l'~ngagement tant du Conseil que du Parlement d'intégrer ce principe dans les futures réglementations touchant aux domaines de l'environnement, de la santé et du commerce international. Les différentes considérations et orientations contenues dans ce document donnent des indications essentielles pour la mise en œuvre de ce principe qu'elles situent dans la démarche d'analyse de risques. Elles ont servi pour la préparation de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires.

La présente note se propose d'aborder le principe de précaution en privilégiant l'approche de la démarche méthodologique relative à la prise de décision. Après des commentaires généraux portant sur le principe de précaution, notamment sur son contexte juridique et sur son expression, un chapitre évoque la démarche générale d'analyse de risques. Sur ces bases, sont commentées les modalités possibles de mise en œuvre du principe de précaution, le rôle qu'il peut jouer et ses limites, ainsi que les organisations et contraintes qu'il induit.

Dans ce texte, on emploiera l'expression « les trois documents communautaires» pour faire référence à la communication de la Commission et aux résolutions du Conseil et du parlement

Européen lorsque l'on ne cherchera pas à distinguer plus particulièrement des dispositions de l'un d'entre eux.

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* * *

1- Commentaires généraux

1.1. - Principaux éléments du contexte historique et juridique

C'est au début des années 1970 que les premières expressions juridiques du principe de précaution prennent forme en Allemagne fédérale. Il constituait l'un des cinq principes fondamentaux de la politique de l'environnement qui visait une conception large de l'intervention vis à vis des risques pour l'environnement par des actions préventives, une détection précoce· des menaces et l'engagement d'actions sans attendre la stabilisation des connaissances scientifiques.

Le principe se précise dans le droit international notamment en 1978 dans le cadre de la discussion de la deuxième conférence internationale sur la protection de la mer du Nord. Il constitue un élément important de la déclaration de Rio au "sommet de la Terre" de 1992 qui limite son champ d'intervention aux risques graves. Il figure notamment dans la convention sur les changements climatiques de 1992, dans la convention sur la diversité biologique de 1992, dans le protocole sur la biosécurité de 2000.

Il est introduit dans le Traité de l'Union Européenne, dans son article 174, paragraphe 2, qui prévoit notamment que la politique de la Communauté dans le domaine de l'environnement est fondée sur le principe de précaution et d'action préventive.

La loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement l'inscrit dans le droit national français.

Ce principe a été mis en avant dans les discussions relatives à la transmission transfusionnelle du Sida et, plus récemment, dans les actions menées face à l'ESB.

Dans des contentieux internationaux, il est fait référence à ce principe notamment au niveau de l'organe d'appel de l'Organisation Mondiale du Commerce.

En février 2000, en partant du constat que la référence au principe de précaution apparaissait de plus en plus fréquemment dans des domaines diversifiés, la Commission de l'Union Européenne a adopté une communication sur ce principe. Ce document a nécessité de longues discussions et des modifications importantes sont intervenues dans les versions successives du projet. En décembre 2000, le Conseil et le Parlement Européen ont adopté des résolutions sur le recours à ce pnncipe.

1.2 - Des expressions du principe de précaution

Différentes expressions du principe de précaution ont été données parmi lesquelles peuvent être citées les suivantes:

• L'article de la loi du 2 février 1995 indique que « l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles àl'environnement à un coût économique acceptable ».

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• Dans l'affaire de la transmiSSIOn transfusionnelle du sida, le Commissaire du gouvernement a considéré lors des discussions au Conseil d'Etat qu'en situation de risques, une hypothèse non infirmée devait être tenue provisoirement pour valide, même si elle n'est pas formellement démontrée.

• Dans différentes publications, O. GODARD commente le principe de précaution de plusieurs façons:

idée qu'il peut être justifié (version faible) ou qu'il est impératif (version forte) de limiter, d'encadrer ou d'empêcher certaines actions potentiellement dangereuses sans attendre que ce danger soit scientifiquement établi de façon certaine, principe selon lequel il est fondé d'agir avant d'avoir des certitudes scientifiques, une forme du principe de précaution ... peut se résumer à l'obligation d'agir face à un risque hypothétique comme s'il était prouvé.

• Dans son rapport sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France, le professeur Claude GOT développe une définition du principe de précaution qui sous-tend ensuite plusieurs des propositions d'action qu'il formule : «la conception la plus cohérente du principe de précaution est de ne pas avoir recours à des pratiques potentiellement dangereuses quand les avantages que l'on peut en espérer ne sont pas en rapport avec les dommages qu'elles peuvent produire, même si ces dommages ne sont pas documentés avec certitude, mais reposent cependant sur des hypothèses scientifiquement crédibles. Les arguments pourront être d'autant plus discutables que le risque encouru est important, mais ils doivent exister et l'on ne peut étendre l'application du principe jusqu'à la prise en compte de toutes les hypothèses envisageables. Nous devons conserver une rationalité dans la mise en œuvre de cette forme de prudence qui n'est nouvelle que dans sa formulation, c'est dans une telle acception que j'utilise le principe de précaution ».

• . Dans le rapport au Premier Ministre présenté le 1S octobre 1999 sur le principe de précaution, Philippe KOURILSKY et Geneviève VINEY proposent la définition suivante dans le chapitre VIII recommandations: « le principe de précaution définit l'attitude que doit observer toute personne qui prend une décision concernant une activité dont on peut raisonnablement supposer qu'elle comporte un danger grave pour la santé ou la sécurité des générations actuelles ou futures, ou pour l'environnement. Il s'impose spécialement aux pouvoirs publics qui doivent faire ·prévaloir les impératifs de santé et de sécurité sur la liberté des échanges entre particuliers et entre Etats. Il commande de prendre toutes les dispositions permettant, pour un coût économiquement et socialement supportable, de détecter et d'évaluer le risque, de le réduire à un niveau acceptable et, si possible, de l'éliminer, d'en informer les. personnes concernées et de recueillir leurs suggestions sur les mesures envisagées pour le traiter. Ce dispositif de précaution doit être proportionné à l'ampleur du risque et peut être à tout moment révisé ».

• Une version préparatoire de la communication de la Commission de l'Union Européenne décrivait ce principe comme" une approche de gestion des risques qui s'exerce dans une situation d'incertitude, exprimant une exigence d'action face à un risque potentiellement grave sans attendre les résultats de la recherche scientifique. ".

• Dans la communication du 2 février 2000, la Commission de l'Union Européenne considère qu'il n'existe pas de réelle définition du principe de précaution dans le droit

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communautaire mais « il ne faudrait pas pour autant en conclure que l'absence de définition, se traduit par une insécurité juridique. La pratique acquise lors du recours au principe de précaution par les instances communautaires et le contrôle juridictionnel permettent, en effet, de donner une portée de plus en plus précise à la notion du principe de précaution. ».

Plus loin, elle indique que « bien que dans le traité le principe de précaution ne soit expressément mentionné que dans le domaine de l'environnement, son champ d'application est beaucoup plus large. Il couvre les circonstances particulières où les données scientifiques sont insuffisantes, peu concluantes ou incertaines, mais où, selon des indications découlant d'une évaluation scientifique objective et préliminaire, il y a des motifs raisonnables de s'inquiéter que les effets potentiellement dangereux sur l'environnement et la santé humaine, animale ou végétale soient incompatibles avec le niveau choisi de protection. ».

• La résolution du Conseil reconnaît cette approche et indique qu'il « considère qu'il y a lieu de recourir au principe de précaution dès lors que la possibilité d'effets nocifs sur la santé ou l'environnement est identifiée et qu'une évaluation scientifique préliminaire sur la base des données disponibles, ne permet pas de conclure avec certitude sür le niveau de risque»

• Pour sa part, le Parlement Européen indique qu'il « approuve l'analyse de la Commission considérant que le principe de précaution peut être invoqué chaque fois que, sur la base d'informations scientifiques incomplètes, peu concluantes ou incertaines, il y a des motifs raisonnables de s'inquiéter de la possible survenance d'effets potentiellement dangereux pour l'environnement, la santé humaine, animale ou végétale, et incompatibles avec le niveau de protection choisi ».

• L'article 7 du projet de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant « les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité alimentaire européenne et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires)} prévoit que : « 1. Dans les cas où une évaluation des informations disponibles permet d'identifier la possibilité d'effets nocifs sur la santé, mais où il existe une incertitude scientifique, des mesures provisoires de gestion du risque, nécessaires pour assurer le niveau élevé de protection de la santé choisi pàr la Communauté, peuvent être adoptées dans l'attente d'autres informations scientifiques en vue d'une évaluation plus complète du risque. 2. les mesures adoptées sur la base du paragraphe 1 sont proportionnées et n'imposent pas plus de restriction au commerce qu'il est nécessaire pour obtenir le niveau élevé de protection de santé choisi par la Communauté, en tenant compte des possibilités techniques et économiques et des autres facteurs jugés légitimes en fonction des circonstances en question. Ces mesures sont réexaminées dans un délai raisonnable, en fonction de la nature du risque identifié pour la vie ou la santé et du type d'informations scientifiques nécessaires pour lever l'incertitude scientifique et réaliser une évaluation plus complète du risque ».

• Dans son rapport et son avis sur « le principe de précaution et la responsabilité dans le domaine alimentaire)} adoptés le 20 septembre 2001, le Comité National de l'Alimentation (CNA) propose une définition inspiré du projet de règlement: « Le principe de précaution vise à orienter et apprécier les décisions des acteurs publics et les comportements des opérateurs du secteur alimentaire en cas de suspicion d'un

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risque pour la santé humaine, lié à l'utilisation ou à la consommation d'un composant ou. d'une denrée alimentaire. Le risque est suspecté dès lors que peut exister un danger dont le degré d'incertitude peut être apprécié par une hypothèse sérieuse, appuyée sur des informations pertinentes, quoique non encore vérifiées scientifiquement ».

1.3 - Des éléments fréquents de discussion sur le principe de précaution

Dans les discussions sur le principe de précaution, reviennent fréquemment les points suivants:

La crainte d'excès dans l'application du principe de précaution conduit à citer l'appel dit de HEIDELBERG lancé par un groupe de scientifiques qui indique qu'« il n'est pas raisonnable, il n'est pas prudent, que les décisions politiques majeures soient prises sur des présomptions qui doivent certes être examinées, voire prises en compte, mais ne sont, en l'état actuel de nos connaissances, que des hypothèses.». « .Le principe de précaution doit être pris en compte dans les décisions mais il faut rester prudent pour faire essentiellement de la précaution une nouvelle composante de la responsabilité juridique. ». « Le principe de précaution constitue une référence de jugement qui laisse largement ouverts les pouvoirs. d'interprétation et de mobilisation des· acteurs sociaux individuels et collectifs C...). Il s'agit d'un modèle hypothétique dont il est nécessaire de construire le contenu à chaque utilisation. L'espace d'indétermination placé volontairement dans la règle ou l'acte juridique appelle un acte d'évaluation basée sur des données et critères extérieurs au droit lui-même. ». « La précaution traduit la reconnaissance de l'incapacité fréquente de la connaissance scientifique à fournir en temps utile les bases appropriées à une décision publique rationnelle. ». « La précaution est d'abord affaire d'organisation et de jugement plus que d'imposition de règles générales dont on attendrait une application mécanique. ». « Le contenu opérationnel du principe de précaution doit porter sur :

- des efforts accrus pour développer les connaissances, -la mise en place d'actions de veille scientifique et technique pour dépister des

connaissances nouvelles et en comprendre les implications, -l'organisation d'un vaste débat social sur le soUhaitable et le faisable. ».

1.4 - En résumé

D'une façon très résumée, on peut retenir que : il n'existe pas de définition unique du principe de précaution mais il y a convergence sur les cas dans lesquels il doit être pris en compte, le principe de précaution intervient dans des problèmes pour lesquels le niveau des connaissances scientifiques et techniques est insuffisant, son cadre juridique est encore mal déterminé et qu'il n'existe pas actuellement de définition légale particulière propre au domaine de la santé, il intervient dans un processus d'analyse de risques, nécessitant une construction particulière pour chaque situation, les trois textes communautaires et le projet de règlement communautaire sur l'alimentation constituent des cadres de référence pour le recours à ce principe, sa mise en œuvre pose la question de l'intervention des différents acteurs concernés et notamment de la place et du rôle de l'expertise et du débat public, son application peut conduire à des risques de dérive dans la décision publique et à

Dt/principrecau/14Precautionecor 16 janvier 2002 7

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une perte d'un fondement raisonné des décisions, - . les notions de dommages graves et irréversibles et de mesures proportionnées sont

souvent difficiles à préciser, sa mise en œuvre ne doit pas se traduire obligatoirement par une interdiction de faire, le principe de précaution intervient dans une échelle de risques que le CNA exprime ainsi :

• Risques inconnaissables (risques du développement) : principe d'exonération. [la notion de risque de développement est définie par l'article 1386-11-4° du Code civil: « que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut »],

• Risques suspectés: principe de précaution, • Risques avérés: principe de prévention, • Risques réalisés : principe de réparation.

II - Démarche d'analyse de risques

Quelle que soit la fonnulation retenue pour le principe de précaution, il apparaît clairement qu'il intervient dans un processus de décision (que l'on décide à son tenne d'agir ou non) pour traiter un problème de risques possibles ou éventuels. Les trois textes communautaires et le projet de règlement communautaire sur l'alimentation font explicitement référence à l'analyse de risques. Pour pouvoir situer ensuite le rôle du principe de précaution, il est proposé de décrire les principales étapes de l'analyse de risques en faisant le choix de se référer aux démarches de résolution de problèmes qui pennettent de structurer les prises de décision.

II.l. - Schéma d'une démarche derésolution de problèmes

Une démarche de prise de décision peut être schématisée au moyen des différentes étapes de la résolution d'un problème:

a) identification (détection et description) d'un problème, b) fixation des objectifs et détermination des contraintes pour la résolution du

problème, c) élaboration de solutions alternatives possibles pour la résolution du problème, d) choix d'une solution pour la résolution du problème, en fonction de critères les

plus explicites possibles, e) mise en œuvre de la solution retenue, f) évaluation de l'action menée pour s'assurer que le problème est résolu.

La démarche de résolution du problème fait intervenir différents acteurs qui doivent être identifiés le plus largement possible et qui agissent plus ou moins selon les étapes.

Le processus se déroule selon un calendrier, qu'il soit contraint ou adapté aux événements.

L'ensemble de la démarche peut être décrit par le schéma n° 1.

II.2. Schéma d'une démarche d'analyse de risques

Des travaux menés aux niveaux international et national sur l'analyse des risques, il ressort, notamment en référence à la communication de la Commission que l'analyse de risques· est fondée sur l'évaluation, la gestion et la communication des risques.

Dans l'évaluation des risques il convient autant que possible de mettre en œuvre quatre volets:

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• l'identification des dangers, • la caractérisation des dangers, • l'évaluation de l'exposition, • la caractérisation du risque.

Sur ces bases, il est proposé de retenir le schéma opérationnel suivant pour intervenir face aux nsques:

1. la connaissance de la situation,

2. l'identification d'un problème,

3. la compréhension des phénomènes en cause,

4. l'évaluation des risques, a) l'identification des dangers, b) la caractérisation des dangers c) l'évaluation des expositions des personnes aux dangers, d) la caractérisation des risques par leurs natures et léurs niveaux, dont

la relativisation des risques,

5. la gestion des risques qui passe par : a) l'identification des points critiques, b) la fixation des objectifs et la détermination des contraintes à prendre

en compte pour la résolution du problème, c) l'élaboration de solutions alternatives, d) la comparaison des solutions alternatives, appréciation de leurs

avantages et de leurs inconvénients, étude des rapports coûts / bénéfices et bénéfices / risques; examen de leurs risques respectifs directs et indirects,

e) le choix d'une solution selon des critères notamment ceux correspondant aux objectifs et aux contraintes identifiées précédemment,

t) la mise en œuvre de la solution retenue,

6. l'évaluation de la solution réellement mise en œuvre par rapport : à celle retenue, aux objectifs fixés et aux contraintes déterminées, \ au problème identifié.

La solution retenue peut comporter de façon adaptée: • la prise de mesures de sauvegarde pour sauver, protégèr ou informer des personnes

touchées et connues, ou particulièrement exposées, • la prise de mesures provisoires dans l'attente de pouvoir disposer d'informations plus

importantes permettant de prendre des décisions mieux adaptées aux circonstances; • l'organisation des moyens permettant de recueillir les informations manquantes, . • l'intervention vis à vis:

des autorités publiques: l'Etat par ses représentants aux différents niveaux, les élus notamment les maires, de la ou des population(s) concernée(s,) d'organismes non gouvernementaux parmi lesquels peuvent être distingués: des

associations de défense de droits, des associations de consommateurs ou. de protection de l'environnement, des associations et des syndicats professionnels et

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techniques, de. gestionnaires d'entreprises des secteurs publics et privés, de médias et de services de relations publiques et d'information, d'universités, de centres de recherche et d'associations scientifiques,

par différents moyens d'action parmi lesquels figurent: • le dépistage, • l'information, • l'éducation sanitaire, • la formation notamment professionnelle, • la diffusion de conseils et de recommandations, • les incitations économiques ou fiscales, • la normalisation, • l'élaboration de dispositions juridiques spécifiques ou non, • la mise en œuvre de dispositions juridiques existantes, • le suivi du respect du dispositifjuridique, • la mise en œuvre de procédures judiciaires, • la mise en œuvre d'une politique générale de programmation publique de

projets ou d'aménagement du territoire.

La communication: la résolution de problèmes traitant de risques pour la santé fait toujours intervenir plusieurs acteurs, il est indispensable de prévoir des actions adaptées d'information mais surtout de communication auprès de tous les acteurs ou de certains d'entre eux et, ce, aux différentes étapes de la démarche.

On parvient ainsi au schéma n° 2 qui adapte le schéma n° 1 au cas de l'analyse des risques sanitaires.

III - Une intervention aux différentes étapes de l'analyse des risques

Dans sa communication, la Commission indique, d'une part, que « le principe de précaution est particulièrement pertinent dans le cadre de la gestion du risque» et, d'autre part, que « la mise en œuvre d'une approche fondée sur le principe de précaution devrait commencer par une évaluation scientifique aussi complète que possible et, si possible, déterminant à chaque stade le degré d'incertitude scientifique ».

Il apparaît ainsi que le principe de précaution intervient dans les deux phases de l'action: dans la phase de gestion des risques, il constitue un élément de la prise de décision, mais seulement lorsque les caractéristiques de la situation induisent son application. Or cette application est conditionnée par le fait, d'une part, que l'on craint des effets dommageables ou des dangers et, d'autre part, que les connaissances scientifiques et techniques du moment ne permettent pas d'avoir de certitudes, en amont, il relève de la phase d'évaluation des risques pour la détermination des effets dommageables et notamment l'appréciation du degré de certitude des connaissances scientifiques et techniques qui conduisent à penser ou à constater qu'ils existent.

En conséquence, le déroulement logique des étapes peut être décrit ainsi: 1) l'évaluation des risques permet d'identifier et de caractériser la situation et de

conclure si elle relève ou non de l'application du principe de précaution, 2) si la réponse est positive, la gestion des risques doit être menée sans attendre les

résultats de la recherche scientifique.

Du'principrecaull4Precautionecor 16 ianvier 2002 10

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IV - Eléments pour la mise en œuvre du principe de précaution

Le principe de précaution intervenant à différentes étapes de l'évaluation et de la gestion des risques, les responsables doivent organiser leurs actions en conséquence. Si une stratégie doit être adaptée au traitement de chaque problème, des orientations générales peuvent être dégagées; elles peuvent contribuer à réduire les incertitudes et, en conséquence, aider le décideur à prendre ses responsabilités.

IV.I - dans la phase de compréhension et de connaissance du problème

On peut approfondir le déroulement de la procédure pour ce qui concerne la caractérisation de la situation en considérant que suite au repérage de la situation comme pouvant être à problème, des hypothèses vont être fonnulées à partir des connaissances scientifiques et techniques disponibles et conduire à la description de risques probables, possibles, envisageables ou imaginables. Un point essentiel est celui de la production des hypothèses. Des hypothèses peuvent toujours être émises, la question est celle de leur validité et, notamment ainsi que l'indique le professeur Claude GOT dans sa définition du principe de précaution, de leur crédibilité scientifique. Selon l'existence ou non d' "hypothèse scientifiquement crédibles ", on peut alors distinguer trois types de situations (tableau nOl) :

1 - le degré de certitude des connaissances scientifiques et techniques est fort, l'évaluation des risques peut se dérouler nonnalement même si sur certains aspects relatifs aux dangers ou à l'exposition, des hypothèses sont fonnulées pour aider à la quantification des risques, ou des facteurs d'incertitude sont utilisés comme éléments de prudence. Une telle situation ne relève pas du principe de précaution; 2 - les connaissances scientifiques et techniques sont limitées mais pennettent de fonnuler

. des hypothèses crédibles, on peut alors faire une évaluation de risques pour tenter d'apprécier la possibilité de survenue de. dommages, leur niveau de gravité et leur caractère ou non d'irréversibilité et de cerner les pratiques potentiellement (les plus) dangereuses et, dans la phase de gestion du risque, prendre des décisions en application du principe de précaution; 3 - les connaissances scientifiques et techniques sont très. réduites et ne pennettent pas d'élaborer des hypothèses jugées scientifiquement crédibles, l'évaluation du risque n'a pas de sens réel. Une telle situation se situe hors du principe de précaution ce qui n'exclut pas la possibilité dans la phase de gestion des risques de prendre des décisions conservatoires à d'autre(s) titre(s).

Il Dtfpril'iciprecaufl4Precautionecor 16 ianvier 2002

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- 1 ­CERTITUDES FORTES

DEROULEMENT NORMAL TENTATIVE D'APPRECIER LA PAS DE SENS REEL POSSIBILITE DE SURVENUE DE DOMMAGES, LEUR GRAVITE,

L'IRREVERSIBILITE

ACTIONS CURATIVES 1 APPLICATION DU PRINCIPE DE HORS DU CHAMP DU PREVENTIVES HORS DU PRINCIPE MAIS CHAMP DU PRINCIPE DE

PRECAUTION POSSIBILITE DE PRENDRE

PRECAUTION DES MESURES CONSERVATOIRES A

D'AUTRESTITRES

Tableau n° 1 : différentes situations de connaissances scientifiques et techniques

IV.2 - Dans la phase d'évaluation des risques

a ) état des connaissances disponibles

Dans la mesure où le principe de précaution s'applique à des situations pour lesquelles on manque de connaissances scientifiques et techniques, un des enjeux essentiels de l'étape d'évaluation des risques est de mettre à plat l'état des connaissances disponibles et de débattre et de valider ou non les hypothèses formulées. En conséquence, la structure responsable de l'évaluation des risques doit pouvoir, d'une part, produire un document faisant le point des connaissances et des degrés de certitude et, d'autre part, donner des éléments sur les risques (possibles) encourus afin de conclure sut le fait de savoir si la situation relève ou non du principe de précaution.

Le Conseil insiste sur le fait que l'évaluation de risques doit être conduite de façon pluridisciplinaire, contradictoire, indépendante et transparente. Ce travail peut se mener par exemple sous la forme d'une "expertise collective ". le document doit décrire la méthode suivie, les hypothèses de départ, la marge d'incertitude retenue et le degré d'ignorance. il doit faire explicitement apparaître les opinions scientifiques minoritaires.

Pour être àmême de mener un tel travail, il faut non seulement disposer de moyens très qualifiés d'expertise de risques mais aussi d'une veille scientifique et technique très structurée; il faut aussi plus en amont disposer de capacités aptes à détecter des problèmes qui pourraient relever de l'application du principe de précaution. Cette détection peut se faire par:

un réexamen de situations au vue de la découverte ou de la publication d'une nouvelle connaissance qui· permet de formuler de nouvelles hypothèses scientifiquement crédibles, la découverte ou la mise en évidence de phénomènes particuliers sur la santé ou dans les conditions d'exposition qui peuvent conduire à formuler de nouvelles hypothèses scientifiquement crédibles.

Ainsi, pour être en mesure d'identifier des simations pouvant nécessitèr l'application du principe de précaution, il faut disposer, dans les phases amont de connaissance de l'état de la situation et

1')Dtlprinciprecau/14Precautionecor 16 ianvier 200?

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de détection de problèmes, de capacités d'observation, de suivi, de veille et de vigilance. Pour percevoir des phénomènes souvent complexes et de faibles amplitudes; ces capacités doivent être puissantes et adaptées, au moins pour partie, à ces objectifs.

b) nature et niveau des risques

A partir des connaissances disponibles, des spécialistes doivent expliciter les mécanismes qui interviennent ou qui peuvent intervenir, pour arriver à une description de la nature des dangers notamment de leur caractère réversible ou non. Si possible, en fonction des hypothèses, il est utile d'essayer de chiffrer des ordres de grandeur des risques en termes de mortalités, de morbidités, de pertes de chances...

Le principe de précaution s'applique lorsque les risques sont potentiellement graves si on se réfère à la loi du 2 février 1995 ou lorsque il est raisonnable de craindre que les effets potentiellement dangereux pour l'environnement ou la santé humaine, animale ou végétale soient incompatible avec le niveau élevé de protection choisi selon le commentaire de la commUIiication de la Commission. Comme indiqué précédemment, la conclusion de l'évaluation des risques doit comporter des éléments permettant de déterminer si on se trouve dans une telle situation. Pour cela, il faut préciser, de préférence d'une manière générale, ce que recouvrent les différentes notions utilisées de:. risques graves, effets potentiellement dangereux, effets nocifs .... Faut il aller jusqu'à la notion d'irréversibilité des dommages comme dans le domaine de l'environnement ? A priori, on traite des risques concernant des effets à moyens et longs termes mais parle-t-on de mortalité, de morbidité ou de perte de chances ? Ces aspects sont à caractériser en fonction des risques existant ou de ceux retenus par ailleurs. La fonnulation de la Commission permet, au moins en théorie, de comparer la situation à une référence. Le Parlement Européen indique que le niveau souhaitable de protection ne peut être inférieur à celui établi par les normes européennes ou internationales, c'est à dire aux valeurs limites, aux

. recorrunandations de l'OMS et objectifs de la politique environnementale. Le conseil rappelle par ailleurs qu'il n'es pas toujours possible de définir à l'avance le niveau de protection approprié pour toutes les situations. Dans ce sens, on peut rappeler que dans le fixation de normes de qualité de substances pouvant être présentes dans les aliments ou dans l'eau, pour les substances cancérogènes génotoxiques, l'OMS propose des valeurs différentes selon que l'on retient comme élément de décision politique, l'augmentation du nombres de cancers pour des personnes ayant consommé la substances en cause toute leur vie, de 1 cas pour 10 000, 1 cas pour 100 000 ou 1 cas pour . 1000000 d'habitants (10-4, 10-5

, 10-6 ). Dans les directives sur les eaux d'alimentation publiées en 1994, l'OMS suggère 10-5 comme niveau de base. Pour assurer un haut niveau de sécurité sanitaire, l'Union Européenne a retenu dans la directive 98/83/CE relative aux eaux destinées à la consommation humaine une valeur de 10-6 pour certaines substances (ex: 1,2-dicWoroéthane).. On peut aussi raisonner en considérant qu'il faut empêcher la survenue de tout cas évitable. Dans le domaine de la radioactivité, le niveau de risque retenue est en général de 10-4.

IV.3 - Dans la phase de gestion des risques

Lorsque à l'issue de la phase d'évaluation des risques, on a conclu que la situation correspond aux critères de mise en œuvre du principe de précaution, la phase de gestion du risque peut se dérouler comme pour le cas de situations comportant des risques reconnus avec certitude; toutefois, une action particulière devra être menée pour pennettre l'amélioration des connaissances. Il peut également être prévue une mise en œuvre progressive des solutions. Le point le plus difficile est de choisir une solution adapter aux risques supposés tout en évitant de mobiliser inutilement des moyens humains et financiers qui seraient plus efficaces dans une autre intervention sanitaire notamment de prévention comme l'indique le rapport du Conseil

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National de l'Alimentation. La comparaison des solutions possibles et surtout la méthode retenue pour le faire constituent donc des éléments essentiels du processus.

a) nécessité d'agir - intérêt de construire plusieurs scénarios pour choisir

Dès lors que l'on constate qu'une situation correspond aux conditions d'application du principe de précaution, il faut prendre des décisions adaptées aux circonstances que l'on choisisse ou non de mettre en œuvre des décisions particulières. L'expérience montre que cette action est difficile. L'analyse comparative des modalités réelles de gestion de telles situations donnera peu àpeu des indications sur ces aspects.

Dans sa communication, la Commission de l'Union Européenne insiste sur l'étude des différentes options de gestion. La comparaison de scénarios possibles constitue en effet une technique très efficace dans des processus de décisions difficiles ; en gestion de risques, elle a souvent montré son intérêt. Une discussion appuyée sur des scénarios contrastés est rendue plus intéressante, elle peut constituer un moyen d'approcher non pas la proportionnalité des réponses aux risques mais ce qui apparaît faisable ou raisonnable par rapport à ce qui est souhaitable ou imaginable. Outre l'amélioration de la qualité de la décision, la comparaison des avantages et des inconvénients entre les scénarios possibles permet de rendre le choix plus explicite et donc plus transparent, de faciliter le débat et la négociation entre les acteurs et avec la population et, au bout du compte, d'améliorer la réelle mise en œuvre de la solution retenue.

b) éléments pour la construction de scénarios alternatifs

L'élaboration des solutions alternatives est à étudier pour chaque problème particulier. Cependant, des éléments reviennent assez régulièrement dans la gestion de problèmes qu'ils relèvent ou non du principe de précaution.

Lorsque l'on se place du point de vue de l'administration, la question première qui se pose souvent est celle de savoir si pour gérer le risque, on va :

laisser à chacun la liberté d'agir comme il le souhaite. Eventuellement, une information plus ou moins détaillée lui sera apportée pour l'avertir des risques existants et l'éclairer sur les choix possibles d'attitudes; à l'autre extrémité des contraintes, interdire; entre les deux positions, permettre sous contrainte.

, \

La permissioll' (ou la tolérance) sous contraintes elle-même peut comporter différentes possibilités qui s'attachent aux aspects suivants:

• l'expression de la contrainte qui peut se faire en termes de : résultats (ex: limites de qualité...) lorsque notamment la connaissance des phénomènes en jeu est bonne, moyens à mettre en œuvre (ex: outils techniques, étiquetage...) lorsque l'on dispose de telles solutions techniques sans toutefois donner un monopole ou bloquer l'innovation technologique future, procédures (ex: autorisation administrative...) lorsque les situations sont complexes et qu'un examen particulier doit en être faite, cette analyse faisant souvent appel à une intervention de services administratifs ou d'établissements de l'Etat ou à une expertise par un «expert désigné» ou par des commissions de personnes nommées en fonction de leur compétence. Le

dossier a établir dans le cadre de la procédure peut comporter en particulier la fouITÙture d'infonnations, des études d'impact ou d'évaluation de risques

Du'principrecaufl4Precautionecor 16 janvier 2002 14

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appliquées au cas en cause.

• le degré de contrainte de la disposition peut varier entre : la recommandation, l'incitation notamment économique ou informative, l'obligation résultant en général d'un dispositif juridique spécifique qui peut lui même prévoir des sanctions plus ou moins fortes en cas de manquement,

• le degré d'intervention del'administration dans le fonctionnement du dispositif dans la phase de conception des projets:

• aucune, • autorisation préalable (avec différents degrés de procédure) • déclaration pour permettre une action éventuelle notamment de

contrôle ultérieur, dans la phase de fonctionnement ou d'utilisation:

• aucune (les règles édictées jouent "naturellement" leur rôle) sauf en cas de plainte auquel cas ·l'administration doit au moins apprécier s'il y a risque, sinon elle peut être mise en cause pour non assistance à personne en danger,

• contrôle au hasard, • contrôle sur critères de choix, • contrôle systématique régulier,

• l'expression des règles notamment de limites de qualité: expression de la limite de qualité: valeur maximale, valeur moyenne, percentile, limite fixée en termes de concentration ou de flux, ... définition des conditions d'échantillonnage, des méthodes d'analyse qui peuvent conduire à des conclusions très différentes si certaines méthodologies de référence ne sont pas établies et acceptées,

• le·. traitement de l'infoffilation produite (utilité notamment pour l'évaluer l'efficacité des mesures mises en œuvre ou plus globalement pour mesurer l'état de la situation) :

aucune obligation d'information, enregistrementd'informations, interprétation au jour le jour de chaque information ou de groupes d'informations, interprétation en cas de situation particulière, interprétation sous forme de bilan de situation (dans le temps, dans l'espace),

• la publication de l'information: information non accessible, non diffusée, information accessible en tant que document administratif, information mise à la disposition du public sous une forme adaptée (ex affichage en mairie...), information publiée systématiquement et régulièrement,

• les modalités de gestion des cas de non conformité

• les modalités de mise en application des dispositions prévues: immédiates, selon des délais,

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selon des critères, selon une planification pré-déterminée.

Face à des problèmes difficiles, la solution à mettre en œuvre peut comporter plusieurs actions complémentaires concernant différents acteurs.

Une description détaillée des phénomènes pouvant intervenir dans l'atteinte de la santé des personnes, faite lors de la phase d'évaluation des risques facilitera l'élaboration de scénarios alternatifs et la construction de la solution surtout lorsqu'il apparaît pertinent d'intervenir à plusieurs niveaux. Ainsi, une étude approfondie des expositions pourra éventuellement permettre de distinguer plusieurs types de situations ou plusieurs groupes de personnes et d'adapter les mesures en conséquence.

c) lignes directrices pour le contenu des solutions

Pour ce qui concerne le contenu des solutions relevant de l'application du pnnclpe de précaution, on peut se référer à la loi du 2 février 1995 qui prévoit que des mesUres effectives et proportionnées doivent être prises à un coût économiquement acceptable. La communication de la Commission donne des commentaires sur plusieurs aspects:

• La proportionnalité: les mesures devraient être proportionnées au niveau de protection recherché;

• La non-discrimination: les mesures ne devraient pas introduire de discrimination dans leur application;

• La cohérence: les mesures devraient être cohérentes avec les mesures déjà prises dans des situations similaires ou utilisant des approches similaires;

• L'examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence .d'action: les mesures adoptées présupposent l'examen des avantages et des charges résultant de l'action ou de l'absence d'action. Cet examen devrait inclure une analyse économique coûts/bénéfices lorsque cela est approprié et réalisable. Toutefois, d'autres méthodes d'analyse, telles que celles tenant à l'efficacité et à l'impact socio-économique des options possibles, peuvent entrer en ligne de compte. Par ailleurs, le décideur peut aussi être guidé par des considérations non­économiques, telles que la protection de la santé;

• L'examen de l'évolution scientifique: bien que de nature provisoire, les mesures doivent être maintenues tant que les données scientifiques demeurent incomplètes, imprécises ou non concluantes et tant que le risque est réputé suffisamment important pour ne pas accepter de le faire supporter à la société. Leur maintien dépend de l'évolution des connaissances scientifiques, à la lumière de laquelle elles doivent être réévaluées. Ceci implique que les recherches scientifiques doivent être poursuivies dans le but de disposer de données plus complètes. Les mesures basées sur le principe de précaution doivent être réexaminées et, si nécessaire, modifiées en fonction des résultats de la recherche scientifique et du suivi de leur impact;

+ La charge de la preuve: les mesures basées sur le principe de précaution peuvent établir une responsabilité en matière de production des preuves scientifiques

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nécessaires à une évaluation de risque complète.

Peuvent être ajoutés les aspects suivants:

Les options devraient comporter, pour autant que cela soit faisable, une possibilité de réversibilité pour permettre une adaptation en fonction de l'évolution des connaissances, La décision retenue devrait indiquer qu'elle résulte de l'application du principe de précaution et qu'en conséquence elle devra être révisée, que cette révision pourra aller dans le sens de la hausse ou de la réduction des contraintes en fonction des résultats des évaluations de risques menées au vu des connaissances acquises, Cette décision devrait être accompagnée d'un calendrier comportant une indication des étapes prévues pour l'évaluation des mesures prises, pour l'amélioration des connaissances et pour le réexamen en conséquence de la position prise.

IVA - Dans la démarche suivie

Dans la gestion de situations relevant du principe de précaution, le décideur doit faire face aux deux problèmes que sont, d'une part, le déficit des connaissances et, d'autre part, les divergences fréquentes entre les acteurs sur les solutions à mettre en œuvre. Le décideurs peut construire sa démarche décisionnelle en conséquence :

il pourra faire appel à des experts pour réduire certaines incertitudes, ce qui est une réaction fréquente, il pourra ne pas se limiter à la diffusion d'une information vers des acteurs concernés notamment la population mais il pourra ouvrir un réel débat; ce que recommande la communication de la Commission de l'Union Européenne en indiquant que la décision d'étudier les différentes options de gestion envisageables devrait impliquer l'ensemble des parties prenantes dans la plus grande transparence possible, il peut aborder ensemble les deux aspects de l'expertise et du débat notamment s'il veut faire appel aux experts dans le débat; ce que tous les experts ne sont pas toujours prêts à accepter.

Le recours à des experts ou la tenue de débats peut aider le décideur mais ne modifient pas sa responsabilité finale. Pour pouvoir expliquer sa décision, le responsable doit garder une trace précise de l'ensemble des évènements qui se succèdent dans la résolution du problème. Il doit formaliser par écrit sa décision en indiquant le plus précisément possible les éléments et les arguments qu'il a pris en compte. Dans la présentation de la décision, on peut s'inspirer de la structure des directives communautaires qui rappellent en tête les «considérants» qui justifient chacune des dispositions retenues. Cette technique est utilisée pour rédiger des avis de l'AFSSA. Cette traçabilité est un élément important de transparence, elle facilite également l'information et la communication. Elle permet aussi ultéri,eurement de replacer la décision dans le contexte du moment et d'éviter une mauvaise utilisation ou interprétation des décisions ou règles édictées.

a) le recours à l'expertise

On sait de plus en plus que le recours à l'expertise soulève de nombreuses discussions. Dans ces cas, il faut faire très attention à bien distinguer différents niveaux d'expertises (schéma n° 3) :

l'appel àexpertise pour expliciter les phénomènes en cause, mieux comprendre les éléments du ou des problèmes existants,

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l'expertise mobilisée pour procéder à l'évaluation des risques qui doit se conclure par .un avis sur le fait de savoir si la situation relève ou non du principe de précaution, l'expertise à laquelle le décideur peut vouloir faire appel pour l'aider à construire des solutions alternatives pour résoudre le problème, plutôt que de produire lui même ou seul, ces solutions, l'expertise que sollicitera le décideur pour évaluer et comparer les différentes solutions alternatives possibles, l'expertise qui sera mobilisée pour évaluer l'efficacité de la solution mise en œuvre.

Dans certains cas, ce sont les mêmes experts qui ont pu jouer successivement les différents rôles.

Dans ces situations, on fait souvent appel à des experts scientifiques. La mise en œuvre du principe de précaution peut constituer une difficulté pour certaines de ces personnes car on se situe aux limites de la connaissance et les décisions prises ne seront pas complètement rationalisables. Si des experts au profil scientifique confirmé sont indispensables dans la phase d'évaluation des risques, on peut aussi faire appel, pour l'aide à la gestion, à des personnes dont le métier ou l'expérience sont tournés pour une large part vers la gestion de situations difficiles, ce qui constitue une forme particulière d'expertise. Le recours à une expertise nécessite de préciser la question ou la mission confiée aux experts.

Dans le domaine de l'alimentation, y compris les eaux destinées à la consommation humaine, la loi nO 98-535 du 1er juillet 1998 a créé l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AfSSA) en lui confiant une mission d'évaluation des risques dans ce domaine. La mise en place progressive d'une démarche qualité permettant d'assurer cette évaluation conduit à préciser notamment les conditions de saisine et les modalités de réalisation de l'expertise.

b) le débat public

Quand on aborde le principe de précaution et sa mise en application, différents auteurs et la Commission de l'Union Européenne insistent sur le fait que, dans ces situations, il faut instaurer un large débat public. La mise enplace d'un tel débat est souvent assez complexe et doit être préparée avec soin. Une question est de savoir à quelle étape du processus il se situe: est ce après l'évaluation des risques pour discuter du fait que l'on est ou non face à un cas d'application du principe de précaution ou avant la décision finale pour examiner les différentes solutions de gestion possibles ou lors de l'évaluation des actions engagées? Les réflexions et expériences menées autour des jurys de citoyens constituent une étape importante dans ce sens.

Par nature, les situations relevant de l'application du principe de précaution concernent des risques considérés comme potentiellement graves ou irréversibles, il est donc compréhensible qu'apparaissent des peurs face à de telles incertitudes et ces peurs se retrouveront dans les débats organisés ou dans les réactions spontanées de la population. Le débat sur les situations relevant du principe de précaution, par nature aussi, est le débat sur les risques, qui lui même est complexe. Compte tenu des enjeux, le débat peut naturellement s'orienter sur les problèmes d'économie et de santé et sur les priorités de santé pour aller vers des réflexions sur le devenir de la société qui dépassent largement les aspects techniques initiaux.

S'il apparaît opportun, après la première identification du problème de prendre des mesures de sauvegarde, elles auront une portée limitée et, au moment de leur détermination, n'auront pas à être soumise à large discussion; par contre elles seront certainement évoquées dans les débats au moins pour une évaluation de leur utilité et de leur impact.

Pour faciliter l'action en situation réelle, il semble important de parvenir à ce que les différents

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acteurs concernés (l'administration, les usagers, les industriels ...) connaissent les principes et les méthodes utilisées. Cela nécessite de développer des approches pédagogiques et des discussions « à froid» et d'assurer la plus grande transparence possible dans le fonctionnement.

v - Différentes approches de la mise en œuvre du principe de précaution par type de problème

Deux situations principales peuvent être à gérer:

• le cas d'une nouvelle activité ou de l'utilisation d'un nouveau produit ou procédé:

Dans une telle situation, on peut agir en se donnant si nécessaire le temps utile, dans des conditions raisonnables, pour réaliser des études préalables; on peut faire appel à différents moyens de gestion tels que :

- un suivi adapté de la mise en application qui peut être progressive afin de permettre des retours en arrière si nécessaire,

- une expérimentation limitée comportant des phases d'apprentissage pour les différents intervenants ( gestionnaires d'activités, de produits ou de procédés, contrôleurs...), une mobilisation· des meilleures moyens analytiques et outils scientifiques disponibles pour mesurer l'évolution de la situation,

- .une transparence dans la mise en œuvre et dans l'infonnation.

• le cas d'une situation existante:

Dans une telle situation, le temps pour décider est plus limité, les actions porteront notamment sur : - . une analyse approfondie de la situation sous ses différents aspects sanitaires,

juridiques, économiques, sociaux, politiques; si elle paraît souvent trop large au départ elle se révèle en général utile voire nécessaire au moment de la décision,

des mesures de sauvegarde, des études qui sont souvent engagées pour acquérir des connaissances complémentaires mais de tels travaux doivent être définis avec précision pour apporter ultérieurement une aide efficace et pennettre une action crédible, elles ne dispensent pas de prendre des mesures transitoires ou de sauvegarde,

si la décision envisagée a de lourdes conséquences économiques, il est nécessaire d'approfondir les arguments, .

la réflexion sur la communication doit être attentive à ce qui est dit maintenant mais aussi à ce que l'on pourra être amené à dire demain en fonction de l'évolution des connaissances.

Ces deux types de situations peuvent se combiner avec le fait que l'analyse de risques peut être menée à un niveau qui correspond à l'élaboration de position générales ou à un niveau qui correspond à l'application à une situation locale détenninée :

1. Un niveau qui correspond à l'élaboration de positions générales notamment dans des actions nationales ou internationales par exemple par l'OMS, l'Union européenne, l'administration centrale nationale dans la définition de la

politique et de la réglementation française.

19 Dtlprinciprecaull4Precautionecor 16 janvier 2002

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'.

Dans cette approche, l'accent est mis dans l'évaluation des risques sur la caractérisation du danger par exemple la description des caractéristiques de la substance en cause, l'indication de ses effets toxicologiques selon sa fonne chimique, la relation dose-réponse. L'exposition est souvent approchée par des hypothèses qui s'appuient sur des enquêtes de consommation. Différents scénarios d'exposition peuvent être construits.

La gestion du risque fait appel à la définition: • de règles fréquemment intégrées dans des dispositifs législatifs ou

réglementaires et exprimées en termes de résultats à satisfaire (par exemple des limites de qualité fixées pour certaines substances), de moyens à mettre en œuvre (par exemple obligation de traiter les eaux d'origine superficielle, liste des procédés et produits de traitement pouvant être utilisés) ou de procédures à suivre (par exemple autorisation préfectorale d'un projet de captage d'eau, déclaration des éléments essentiels des réseaux de distribution d'eau),

• de conditions de suivi des situations: contrôle, auto-surveillance, méthodes de prélèvement, méthodes d'analyse utilisables .. ,

• de modalités d'intervention possibles lorsque la situation ne respecte pas certaines des dispositions fixées,

• de conditions d'information des personnes responsables d'actions et des populations concernées, de formation de certains acteurs,

• de moyens d'interventions économiques ou financières.

La communication correspond souvent à l'explication de la méthode suivie et à l'indication des informations prises en compte plus qu'à un débat organisé entre les acteurs aux différentes étapes du processus.

2. un niveau qui correspond à l'application à une situation locale déterminée . par exemple à une installation de production - distribution d'eau d'alimentation.

L'analyse locale du risque va tenir compte des éléments fournis par l'analyse générale du risque et appliquer le cadre défini à priori en tenant compte des informations descriptives de la situation réelle.

L'évaluation du danger peut reprendre pratiquement intégralement celle effectuée au niveau général, par contre l'exposition doit faire l'objet d'une étude détaillée pour déterminer les différents apports possibles (eaux, aliments, air ... ) pour la population, leurs répartitions, leurs variations et leurs évolutions. Dans certaines circonstances, l'évaluation peut se faire par des études de type épidémiologiques permettant d'apprécier les effets réels sur la santé de la population ou de groupes de population de la zone concernée.

La gestion des risques s'appuie sur les outils définis par l'approche générale en fonction des problèmes relevés et des possibilités d'action réelles ou des orientations politiques locales. Elle va concrètement choisir la solution la plus appropriée au contexte en fonction des différentes contraintes existantes.

La communication peut être directement menée avec les personnes

DtJprmciprccaull4Precllutionecor 16 janvier 2002 20

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concernées voire exposées et intervenir de façon très réactives en fonction . du devenir des événements, pratiquement en temps réel dans certaines circonstances.

VI - Incertitudes dans la décision et risques - responsabilités

Dans la gestion de situations comportant des risques sanitaires, corrune dans la gestion d'autres situations, on peut distinguer deux types de risques:

- ceux qui correspondent au domaine lui même, dans le cas présent les risques sanitaires pouvant avoir des conséquences pour la santé,

- ceux qui sont liés au processus de décision, ils sont dus au fait qu'au moment où la décision doit être prise, on ne dispose pas toujours de toutes les informations nécessaires pour choisir une solution sans se tromper.

Comme le schématise la figure nO 1, l'accumulation de connaissances au cours du temps permet de réduire l'incertitude dans la prise de décision. A partir d'un certain moment, J'information disponible devient redondante ou n'apporte plus d'éléments supplémentaires pertinents pour la maîtrise du problème. Toutefois, cette "sur-information" peut être utile pour la connaissance générale ou pour l'évaluation de l'action menée.

Face au déficit d'information constaté dans les premiers temps de l'intervention vis à vis de la situation, outre l'acquisition d'informations utiles, le décideur peut prendre des mesures de sauvegarde. En général, il faut veiller à bien expliquer le caractère provisoire de ces mesures pour éviter ensuite, lorsque des mesures adaptées aux nouvelles connaissances disponibles sont mises en œuvre, de pas donner l'impression qu'il y a eu erreur au début de l'action et que l'on a changé d'avis. Cette pratique est bien connue dans la gestion de situations d'urgence ou d'accidents ; la durée de cette première étape d'incertitude liée au déficit de connaissances se décompte alors souvent en heures ou en jours. Dans le cas de situations relevant de l'application du principe de précaution, par définition même, le déficit de connaissances ne peut être comblé' rapidement, la période d'incertitude va durer assez longtemps; de plusieurs jours à plusieurs années. L'obligation de prendre des mesures s'accompagne donc nécessairement d'un risque d'erreur important dans le choix de la solution. .

Par ailleurs, dans un tel contexte, d'autres acteurs pourront préférer retenir d'autres solutions selon qu'ils souhaiteront réduire les risques d'erreur ou qu'ils préféreront .diminuer les conséquences par exemple économiques à court terme. . Les différences d'appréciations et d'enjeux ne peuvent que conduire à des débats soutenus voire difficiles. Dans ces situations, le décideur peut voir sa responsabilité mise en cause pour plusieurs raisons. Ainsi, on peut lui reprocher:

de ne pas avoir pris les dispositions suffisantes pour caractériser la situation afin de déterminer si elle relevait ou non de l'application du principe de précaution, de ne pas avoir réellement (formellement) décidé d'agir ou décidé de ne rien faire et d'avoir laisser la situation évoluer d'elle même, de ne pas avoir fait une analyse suffisante de l'ensemble des problèmes, d'avoir pris des mesures maximales sans relation avec les risques, d'avoir consacré trop de moyens et d'énergie au cas particulier, en réduisant en conséquence l'intervention sur d'autres secteurs qui comportaient, en réalité, des effets sanitaires plus défavorables pour la population, de ne pas avoir pris sa réelle responsabilité en décidant des mesures qualifiées de "précautions" sans rapport avec l'application du principe de précaution, afin de se

"couvrir en termes de responsabilité ».

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VII - Conclusions

Le principe de précaution est un élément de la gestion de la sécurité sanitaire pour lequel on manque actuellement de définition reconnue et adoptée par l'ensemble des acteurs concernés. Les travaux en cours menés au niveau communautaire et au sein du Codex Alimentarius devraient permettre de disposer prochainement d'un vocabulaire de référence.

Comme dans toute gestion de situation posant problème, il est utile, voire indispensable, pour être efficace et assurer un bon niveau de sécurité, de procéder en suivant des étapes clairement définies et reconnues par l'ensemble des acteurs. Une telle démarche peut être appliquée aux situations présentant des risques, y compris lorsqu'elles relèvent du principe de précaution. Les réflexions sur les méthodes d'analyse des risques doivent être poursuivies pour que l'on puisse disposer d'un outil qui permettrait d'aborder, dans un même continuum, des situations différentes, qu'elles relèvent ou non du principe de précaution, qu'elles nécessitent ou non de prendre des décisions en urgence.

Dans un tel processus, le traitement d'une situation relevant du principe de précaution nécessite de mettre l'accent plus particulièrement sur:· .

l'évaluation du risque car c'est à son terme que l'on pourra conclure si doit être· appliqué le principe de précaution et c'est en fonction du degré de gravité des risques prévisibles que l'on décidera de solutions, la comparaison de solutions alternatives (options), menée de préférence dans un débat ouvert aux parties intéressées.

Dans ce document, l'accent a été mis volontairement sur le principe de précaution mais par rapport aux démarches applicables, mieux vaut en pratique avoir comme référence l'approche. générale d'analyse de risques et décliner dans ce cadre le cas particulier des situations relevant du principe de précaution.

Dtlprinciprecau!14Precautionecor f 6 janvier 2002

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LE CALENDRIER DES ACTIONS

TEMPS ( calendrier)

ETAPES ACTEURS

Al A2 A3 A4 An

a - Identification ( détection et description) du problème

b - fixation des objectifs et détermination des contraintes

c ­ élaboration de solutions alternatives

d - choix de la solution

e - mise en œuvre

: f - évaluation

Schéma nO 1 : Démarche de résolution de problèmes

OtfprinciprecaulI4Precautionecor 16 janvier 2002 23

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·'

TEMPS 'ETttrEs

1 - Connaissance de la situation

2 - Identification du problème

3 - Compréhension des phénomènes

4 - Evaluation des risques: identification des dangers caractérisation des dangers évaluation de l'exposition caractérisation des risques

5 - Gestion des risques: fixation des objectifs et' détermination des contraintes élaboration de scénarios alternatifs ­comparaison des avantages et des inconvénients choix d'une solution mise en œuvre

6 - Evaluation de la solution

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Schéma n02 : démarche d'analyse de risques

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TEMPS

1 - Connaissance de la situation

2 - Identification du problème

3 - Compréhension des phénomènes

4 - Evaluation des risques: identification des dangers caractérisation

. des dangers évaluation de l'exposition caractérisation des risques

5 - Gestion des risques: fixation des objectifs et détermination des contraintes élaboration de scénarios alternatifs ­comparaison des avantages et des inconvénients choix d'une solution mise en œuvre

6 - Evaluation de la solution

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Experts

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Schéma n03 : moments possibles pour l'expertise et pour le débat public

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niveau d'information

infonnation nécessaire

pour une décision sans risque de se tromper

.] temos

prise de mesures de

sauvegarde

prise (je décision avec risque

de se tromper

Figure nO 1 : incertitude dans la décision

Dtlprinciprecaull4Precautionecor 16 janvier 2002 26

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-----~ ­N° 444-445 • Juin-Août 2002 LE PRINCIPE DE PRÉCAU'rlONTllfilin

Olivier GODARD

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Risques et précautions •• paysage intellectuel

CElA fait une dizaine d'an­nées que le principe de. précaution a commencé de se faire une place parmi les notions. clés mobilisées

pour organiser la prévention des. risques de dommages affectant l'envi­ronnement. Ce principe nous vient

.d'Allemagne où il s'est affirmé au début des années soixante-dix comme l'un des principes d'une politique proactive de protection de l'environne­ment atmosphérique contre la pollu­tion d'origine industrielle. Il combine alors les idées de prévoyance, de pla­nification à long terme et d'action pré­coce. Il pose en particulier qu'il n'est pas nécessaire d'attendre de disposer de certitudes sur le caractère domma­geable pour l'environnement de cer­taines pratiques ou de certaines sub­stances pour pouvoir engager des actions de prévention sur les sources des risques. Il fait alors sauter un ver­rou constamment utilisé par les oppo­sants aux mesures environnementales: l'insuffisance des connaissances scien­tifiques, le manque de certitude étant systématiquement brandies pour demander davantage de recherche et

retarder l'adoption de toute mesure de prévention. Or, dans le champ de l'en­vironnement, compte tenu de l'inertie des phénomènes en jeu, et des pertes irréversibles qui peuvent être causées, il est généralement trop tard pour agir lorsqu'on atteint le stade des certi­tudes : on ne peut alors que constater les dégâts et se réfugier dans la déplo­ration.. Voilà pourquoi l'idée d'action précoce sur les risques, sans attendre le stade des certitudes, est devenue l'idée princeps du principe de précaution lorsque ce dernier s'est diffusé à partir de l'Allemagne, d'abord vers l'Europe du Nord puis sur différentes scènes internationales et nationales.

Le Traité de Maastricht qui fonde l'Union européenne en 1992 affirme ainsi que la politique de l'ènvironne­ment de la Communauté est fondée sur différents principes parmi lesquels il yale principe de précaution, mais ce texte n'en précise pas la définition. En France, c'est la loi Bamier 95-101 de renforcement de la protection de l'en­vironnement qui, en 1995, précise que les actions de protection, mise en valeur, restauration des espaces, res­

sources et milieux naturels sont notam­ment inspirées par le principe de pré­caution, " selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connais­sances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adop­tion de. mesures effectives et propor­tionnées visant à prévenir un risque de . dommages graves et irréversibles à l'environnement, à un coût économi­quement acceptable "..

C'est de manière un peu plus récente que ce principe a commencé d'être invoqué dans le domaine de la santé publique et de la sécurité alimentaire. Cela est venu en France avec les suites judiciaires de l'affaire du sang contami­né et, au niveau communautaire, avec la crise de la vache folle de 1996 : en mai 1998 la Cour européenne de justi­ce le valide en substance comme fon­dement légitime d'initiatives d'États­membres visant à protéger la santé de leur population bien qu'elles fassent obstacle au principe de liberté de circu­lation des marchandises dans ['espace communaut<lire. Depuis lors, la Résolution sur le principe de précau­tion adoptée lors du Sommet européen

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N° 444·445 • Juin-Août 2002

de Nice a confirmé une vision large du ?omaine ~'application de ce principe: Il est apphcable à r environnement à la santé humaine et aux domaines z~o et phytosanitaires, dans une perspective de développement durable.

Quel est donc l'apport de ce principe qui n'arrive pas dans un paysage vide, mais au contraire .déjà"bien" rempli. de concepts, doctrines;· hOrmé!>, procé~ dures et réglementations" dans les cfiffé­

ret:lts domaines où on entend l'appli­"qliëi"? Pour le saisir, il n'est pas inutile de faire brièvement retour sur plus d'un siècle de construction juridique et scientifique de l'idée de risque.

LES TROIS ÂGES DE CINSTITUTION DU RISQUE

S'AGISSANT de l'époque moderne, il est pratique de distinguer trois âges de l'organisation des rap­

ports sociaux autour" du risque, à condition de voir que l'émergence de nouvelles conceptions ne fait pas dis­paraître les anciennes, mais modifie les domaines d'application et réajuste le dispbsitif "d'ensemble.

Prévoyance et responsabilité

Au libéralisme du XIXo siècle corres­pond l'invention du concept moderne

. de responsabilité individuelle. Ce qui arrive à chaque personne lui est per­sonnellement imputable, sauf si cela résulte de façon directe - une causalité certaine et immédiate - de la faute ç'autrui. Ainsi en dispose le Code civil. A cet âge de la responsabilité corres­pond la vertu de prévoyance : les per­sonnes ont à se souder de ce qui peut leur advenir et à prendre les disposi­tions nécessaires pour pouvoir s'en sor­tir au mieux face aux différents aléas de la vie ; elles ont à se comporter en fourmis et non en cigales, ou alors ne s'en prendre qu'à elles-mêmes. Mère de la prudence, la responsabilité doit discipliner les comportements indivi­duels dans l'intérêt collectif.

Les aléas de la vie (maladies, acci­dents, catastrophes naturelles) débor­dant en pratique la capacité de maîtri­se individuelle, combien même les per­sonnes seraient-elles très prudentes, ces dernières peuvent trouver avantage à regrouper de façon volontaire leurs efforts de prévoyance dans des organi­sations mutuelles afin de mieux prendre en charge des aléas dont la seule prudence personnelle ne saurait venir à bout. C'est ainsi que la respon­sabilité individuelle de prévoyance débouche Sur la démarche d'assuran­ce. Cela ne s'est pas fait sans résis-

ADrès­aemaln

tances: la possibilité de s'assurer n'al­lait-elle pas ruiner la discipline atten­due de la responsabilité ? En introdui­sant l'idée d'une réponse collective face aux risques, les régimes d'assuran­ce préparaient le basculement vers un nouveau fondement pour le traitement des risques, celui de la solidarité.

Prévention et solidarité

La loi du 9 avrif 1898 sur les accidents du travail marque le tournant d'une transition vers une autre conception et un autre âge. C'est la solidarité de la société envers le~ victimes d'aléas et la naissance deJEtat-providence qui le caractérisent. A l'échelle individuelle, la réalisation de ces aléas, en particu­lier <;jans le domaine du travail, n'est plus perçue comme le résultat d'une erreur mais comme l'expression inéluc­table d'une forme de nécessité éma­nant de l'ordre technologique et de l'organisation collective d'une société industrielle, une caractéristique insépa­rable de certaines activités utiles, voire indispensables à la collectivité. Les accidents s'inscrivent dans les régulari­tés statistiques d'un ordre quotidien de la production et de la consommation. La collectivité, qui bénéficie de telles activités, doit exercer sa solidarité avec ces victimes devenues les rouages de systèmes techniques et d'organisations qui leur échappent. Il lui faut résoudre le problème de l'indemnisation des dommages à travers des règles d'impu­tation qui soulagent les victimes. C'est ainsi qu'est née la responsabilité pour risque, dégagée de toute référence à la faute.

Le risque étant imputable à l'activité en tant que telle, c'est au responsable de cette activité qu'il appartient en pre­mier lieu de supporter le poids de l'in­demnisation des dommages, avant que ne s'engage une socialisation plus large des principaux risques avec la naissan­ce des différents régimes d'assurance maladie, vieillesse, accidents du travail ou responsabilité civile. Le déplace­mènt, de l'individu vers la collectivité, du point d'application de la prise en charge du risque a permis l'affirmation parallèle d'une nouvelle maîtrise des risques, désormais recherchée à un niveau collectif. Le complément orga­nique de la solidarité est la prévention des risques, démarche qui vise à conte­nir, réduire ou limiter ces derniers par une action d'ensemble sur les sources du risque.

Impulsée par les autorités publiques, la prévention débouche sur des dépenses et des investissements publics, mais également sur un nouveau tissu d'inci· tations et d'obligations adressées aux

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

personnes privées. Le but? Faire pré­valoir l'intérêt collectif dans la maîtrise de risques qui concernent la collectivi­té tout entière du fait de l'étendue ou du mode d'exposition de la popula­tion, ou encore de l'implication firian­cière d'institutions publiques. La disci­pline sociale attendue de la responsa­bilité personnelle à l'âge précédent est ici escomptée des procédures d' autori­sation administrative des techniques et produits (régime de l'autorisation préa­lable à la mise sur le marché, régime d'autorisation des installations indus­trielles classées), de l'évolution des règles de l'art caractéristiques de chaque profession, et de différents codes (conduite automobile, urbanis­me).

Les dispositifs de cette maîtrise et les actions qu'elles inspirent s'appuient sur la connaissance scientifique des sys­tèmes techniques et sur la statistique, en plein essor àla fois comme discipli­ne scientifique et comme appareil col­lectif de recueil et de traitement de données sur des populations de grande taille. Ainsi conçue, la prévention s'adresse aux risques avérés et s'ap­puie sur une caractérisation scienti­fique généralement acceptée. Parler de risque avéré ne veut pas dire que l'on sait exactement prévoir ce" qui va se passer à tout moment, en tout lieu, mais qu'on a acquis la compréhension des mécanismes de base sous-jacents aux phénomènes en question. La réa­lisation d'événements dommageables, certes aléatoire, obéit néanmoins à des lois probabilistes identifiées qui offrent une prise à l'action collective rationnel­le. Si l'on a pris le soin d'investir dans le recueil systématique des informa­tions, les données disponibles permet­tent de calculer le risque et de mettre en place des politiques de prévention à l'échelle d'une collectivité. Si elles sont informées de leur exposition au risque, les personnes individuelles sont égaIe­ment en mesure de se couvrir par des mesures de prévoyance et par des contrats d'assurance.

Précaution et délibération

Si les couples de notions (prévoyance / responsabilité et prévention / solidarité) pouvaient résumer les deux âges pré­cédents, il est plus difficile d'identifier le terme à associer à la précaution. Nous proposons de retenir le terme de 'délibération' qui sous-tend le bascule­ment du registre dominant de la ratio­nalité scientifique vers celui du raison­nable. Ce choix signifie aussi que la précaution n'introduit pas de boulever­sements conceptuels dans l'équilibre entre responsabilité et solidarité..

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N° 444-445' Juin·Août 2002

Du point de vue des mesures concrètes, les actions de précaution peuvent formellement mobiliser la panoplie habituelle des actions de pré­vention allant de l'organisation d'une veille scientifique et de l'investissement public dans la recherche à l'interdiction pure et simple de produits et tech­niques potentiellement dangereux, en passant par l'information du public, l'élaboration de cahiers des charges spécifiant les conditions de mise en œuvre des techniques ou encore diverses actions incitatives ou limita­tives. Elles ne se réduisent certaine­ment pas à l'interdiction, comme on le croit trop souvent. La différence entre prévention et précaution se situe ailleurs;

Il faut lever une source de faux débats récurrents. Le terme prévention a deux sens différents. Il a d'abord un sens englobant qui recouvre toute démarche visant à empêcher la surve­nue de certains événements jugés indésirables. En ce sens-là, le principe de précaution relève d'une démarche générale de prévention. La visée fon­damentale est la même. Le rapport sur le principe de précaution1 remis au Premier ministre fin 1999 par Philippe Kourilsky et Geneviève Viney notait d'ailleurs que cette r~gle .de vigilance active que le principe incarnait n'était " à tout prendre, que l'une des consé­quences du principe de prudence qui est lui-même très ancien, de telle sorte que la formulation actuelle du principe de précaution n'a, à vrai dire, rien d'une innovation fondamentale " (p. 211).

Ce n'est cependant que dans un sens très large qu'on peut rapporter la pré­caution à la prudence. En un sens plus précis, les deux concepts se distinguent nettement·: la précaution ne consiste pas à faire montre de davantage de prudence, voire à devenir précaution­neux à l'extrême, mais à se soucier de façon précoce de risques potentiels, hypothétiques. De même la précaution se distingue nettement de la prévention au sens précis que prend cette dernière lorsqu'elle vise des risques collectifs avérés et s'adosse exclusivement à la connaissance scientifique et à l'appré­hension statistique des risques. La dif­férence tient à la cible (des risques hypothétiques) et aux moyens mobili­sés pour identifier les mesures à prendre. En effet la précaution combi­ne idéalement le recours à différents types d'expertise et à une délibération publique impliquant les citoyens afin de déterminer de façon raisonnable et légitime ceux qui doivent être pris et ceux Qu'il faut. refuser. Une dernière différence tient à la manière d'imbri-

ADrès­aemaln

quer étroitement, sur un mode continu, les dimensions de la connaissance et de l'action. Dans la plupart des cas, le contexte initial de connaissances lacu­naires et encore peu solides fait que les mesures prises auront à être ajustées régulièrement aux nouvelles connais­sances qui se développent de façon parallèle. La logique de la précaution est aussi de chercher à tirer des infor­mations et des leçons des actions à risque qui ont été autorisées et qui doi­vent être suivies comme des expé­riences scientifiques : l'engagement mesuré dans une action risqùée peut être une démarche indispensable pour mieux connaître la nature et l'étendue du risque.

Ainsi deux bornes balisent le domaine de la précaution: à un bout, il y a l'ob­tention de certitudes sur le. risque encouru, à l'autre bout, l'ignorance. Lorsque les phénomènes qui sous-ten­dent le danger sont scientifiquement établis, on a affaire à des risques avé­rés dont seule la réalisation est aléatoi­re et qui relèvent des démarches stan­dard de prévention. Il en va ainsi des aléas qui provoquent les accidents de la route, ou bien des aléas des précipi­tations de pluie qui peuvent déboucher sur une inondation.

La seconde borne du domaine de la précaution est l'ignorance. Face à l'ignorance, le principe de précaution est impuissant puisqu'elle n'offre aucu­ne prise à l'action, si ce n'est la recherche scientifique. De façon concrète, on ne peut mobiliser le prin­cipe de précaution que pour des dan­gers potentiels identifiés. De ce fait, ce principe est étranger à la probléma­tique de ce que les juristes appellent le risque de développement. On désigne ainsi des dangers qui se révèlent après­coup, mais qui étaient inconnus de tous au moment de l'introduction d'un produit ou d'une technique sur le mar­ché. De ce fait, les nombreuses for­mules qui prennent la forme d'injonc­tions paradoxales (prévoir l'imprévi­sible, évaluer l'inévaluable, propor­tionner la prévention à un risque sans dimension) et qui ont été employées pour dénoncer l'absurdité du principe manquent leur cible et se réduisent à de purs effets rhétoriques. Cette borne de la précaution n'exclut pas pour autant toute perspective d'adopter des dispositifs d'assurance ou de fonds destinés à garantir les entrepreneurs vis-à-vis des conséquences de la réali­sation d'un tel risque.

Ces précisions permettent d'établir une classification des risques et des prin­cipes qui leurs sont applicables2

:

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

• risques inconnaissables (risque de développement) : principe d'exonéra­tion;

• risques suspectés : principe de pré-· caution;

• risques avérés : principe de préven­tion;

• risques réalisés : principe de répara­tion.

LA THÉORIE DE LA DÉCISION : RISQUE... Il~CERTITUDE, AMBIGUITE

Nous avons utilisé jusqu'à pré­sent différents termes généraux comme danger, risque. risque

potentiel, risque avéré, prévention, précaution, prudence. Ces termes du langage courant trouvent-ils un écho dans les concepts élaborés par la théo­rie de la décision? Quelles différences majeures ces derniers font-ils valoir?

Le risque et l'incertitude

Dans les années 1920 la théorie de la décision a d'abord pris en compte la distinction entre ce qu'il est alors convenu d'appeler le risque et l'incerti­tude. Dans ce cadre-là, la notion de· risque qualifieïes situations où le calcul des probabilités objectives est appli­cable. Cela implique deux conditions: à une action donnée est associée plu­sieurs résultats possibles dûment iden­tifiés d'une façon complète; du fait de ·la nature des actions et des résultats en question, l'obtention de chaque résul­tat est caractérisé par une probabilité telle que la somme des probabilités est égale à l'unité. Les probabilités en question sont· des probabilités objec­tives, obtenues par la modélisation d'une situation (tirages de boule ou de. jeux de dés, gains au loto) ou le recueil

.. d'observations normalisées (les acci­dents de la route, les relevés de préci­pitations pluviales, etc.).

La notion d'incertitude qualifie au contraire les situations pour lesquelles le calcul du risque à partir de probabi­lités objectives ne peut pas être fait. Elle recouvre dès lors deux sitliations : (a) une incapacité à définir des proba­bilités objectives pour des résultats pos­sibles complètement identifiés, dont la possibilité d'existence est scientifique­ment avérée; cela se produit quand on envisage des situations non répétitives ou des situations nouvelles pour les­quelles on ne dispose pas encore d'une expérience pratique ou d'une modéli­sation satisfaisante ; cette situation est qualifiée d'ambiguë dans la mesure où les agents pourraient recourir à plu­

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N° 444-445 • Juin-Aoüt 2002

sieurs jeux de probabilités subjectives ; (b) une incapacité à déterminer une liste complète de résultats possibles de l'action: il existe une part d'inconnu et d'ignorance dans la situation.

On voit ici que le mot risque prend un sens différent du sens courant de ,'dan­ger éventuel' qui privilégie l'idée de dommages et donne une connotation négative à l'ensemble de la probléma­tique du risque qu'on ne retrouve pas en théorie de la décision. Pour cette dernière le risque de réaliser un gain est tout autant un risque que le risquede perte. .

La distinction première entre risque et incertitude a donné lieu à trois branches de travaux. La première prend comme hypothèse de départ qu'un décideur sait identifier les états possibles du monde, dispose d'une dis­tribution de probabilité concernant leur réalisation et sait prévoir les consé- . quences pertinentes de chaque action envisagée pour chaque hypothèse d'état. Lorsque des probabilités objec­tives ne sont pas disponibles, on sup­pose que les agents synthétisent l'infor­mation en leur possession sous la forme de probabilités subjectives, c'est­à-dire de croyances s'exprimant for­mellement comme des probabilités.

En univers probabilisable, on est en présence d'un risque pur lorsque la variable aléatoire dont dépend le résul­tat dé l'action est telle que la valeur moyenne qu'elle peut prendre est zéro: chances d'avantages et risques de dommages ou· de pertes s'équili­

.brent. Le risque attaché à la·réalisation d'un état du monde se définit ici par le produit d'un résultat (une perte, un gain) et d'une probabilité. C'est cette notion de risque qui a été systématisée dans les méthodes d'analyse des risques qui repose sur les étapes d'identification et de caractérisation (relation dose-effet) du danger, puis d'exposition d'une population au dan­ger et enfin d'évaluation du risque compris comme le produit d'une mesure d'un effet nocif ou d'un dom­mage et d'une probabilité.

Ceci étant posé, la théorie proposée par John Von Neumann et Oscar Morgenstern en 1944 a montré qu'un ensemble d'axiomes jugés alors de bon sens débouchaient sur un critère de décision rationnelle, celui de la maxi­misation de la valeur moyenne de ['uti­lité des actions compte tenu des résul­tats aléatoires possibles. Ce critère très largement utilisé a néanmoins été sou­mis à la critique dès les années 1950 poUT être pris en défaut lorsqu'il s'agis­sait de décrire les comportements réels de personnes placées dans des confi-

ADrès­aemaln

gurations expérimentales particulières. De façon régulière, même des experts faisaient des choix non conformes.

La deuxième branche s'est attachée aux ajustements à procéder dans l'axiomatique et les formalismes mathématiques pour parvenir à sur­monter ces paradoxes. Elles reviennent à relâcher différentes contraintes par exemple sur l'additivité des probabili­tés. .

La troisième branche a recherché des critères de décision ne recourant ni aux probabilités, ni à des formalismes proches, mais a connu un moindre développement. Elle a cependànt débouché sur des critères phares comme le m'aximin, ce critère de la prudence extrême consistant à choisir l'action qui procure, dans l'éventualité la pire, le résultat le plus avantageux, oule minimax regret consistant à choi­sir l'action qui susciterait ex: post le moindre regret si l'état du monde qui se réalisait était le moins favorable.

-Toutes ces approches ont en commun d'analyser chaque action en considé­rant les différents aspects positifs et négatifs de feurs effets possibles, en vue d'établir un bilan net, sans se res­treindre à la seule dimension du dom­mage. Il y a là une différence impor­tante avec les approches centrées sur la sécurité qui, à travers la notion de risque, ne vise qu'à appréhender les effets dommageables possibles d'une action, d'une technique ou d'un pro­duit.

Caversion au risque et à l'ambiguïté

La recherche expérimentale sur la déci­sion a d'abord mis en évidence des phénomènes d'aversion au risque. Ces derniers impliquent que les agents ne donnent pas la même valeur à des pertes et à des gains qui seraient d'un même montant. Ces travaux ont égale­ment identifiés des phénomènes d'aversion à l'ambiguïté qui imprègne une situation lorsque les agents ne dis­posent pas de probabilités pour faire leurs choix : les individus préfèrent généralement de façon stricte les situa­tions dont les gains sont calculables avec des probabilités connues à celles impliquant des gains aux probabilités non spécifiées, pour des gains attendus identiques. Démunis de probabilités, ils tendent à établir leurs calculs en don­nant un poids plus élevé aux options ayant pour eux les plus mauvais résul­tats.

Ainsi, dans le cas des différents épi­sodes de crise sur le marché du bœuf depuis 1996 liés à la maladie de la

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

vache folle, une partie des consomma­teurs ont renoncé à la consommation de produits bovins, provoquant un effondrement sévère du marché. Les autorités concernées (Agence française de sécurité sanitaire des aliments ­AFSSA, ministère de l'Agriculture, mjnistère de la Santé, ministère de l'Economie) ont pourtant retiré de la chaîne alimentaire les produits dits à risques et ont proclamé la sécurité des produits qui étaient maintenus sur le marché. Elles n'ont donné aucune information sur les probabilités atta­chées à la présence résidueUe de prions infectieux dans les produits de

. consommation offerts, ou au déclen­chement du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en fonc­tion de l'exposition éventuene (densité, fréquences) aux prions infectieux. Sans doute les autorités n'avaient-elles pas les moyens de disposer d'une telle information. Les consommateurs ont donc été maintenus dans une double ambiguïté, ce qui a conduit certains d'entre eux à craindre la contamina­tion mortelle derrière chaque bifteck et à préférer exposer leurs vies dans le cadre de comportements à risques plus familiers mais beaucoup plus dange­reux (tabagisme, alcool, route).

SAVOIR INTERPRÉTER CEXIGENCE DE PROPORTIONNALITÉ

DANS la ligne indiquée, certains demandent qu'on ne retienne d'une situation ambiguë que

son scénario du pire et que les autori­tés adoptent systématiquement les mesUres les plus sévères. D'autres interprètent le principe de précaution comme l'exigence de l'éradication du risque et demandent que les promo­teurs d'un produit ou d'une technique soient astreints à l'exigence d'apporter la preuve de l'innocuité de ces innova­tions. Ces conceptions sont-elles défendables? Notre réponse est dou­blement négative. D'un point de vue positif, elles s'opposent à la conception émanant de la loi Barnier et de la doc­trine adoptéeau niveau communautai­re, puisque les textes disponibles demandent des mesures de prévention " proportionnées ". Les dix comman­dements du rapport Kourilsky-Viney (voir encadré) montrent d'ailleurs quelles directions Je principe de pré­caution nous invite à suivre. D'un point de vue normatif, ces demandes ne peuvent pas non plus être défendues comme règle générale, compte tenu de la rareté des moyens disponibles dans une société pour faire fâce à l'en­semble des risques, et des avantages

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N" 444-445 • Juin-Août 2002

considérables auxquels notre société devrait renoncer s'il s'agissait d'éradi­quer tout risque, même celui qui n'est encore qu'hypothétique. Les exigences à prendre en compte ne sont pas les mêmes selon les domailTes, par exemple pour les produits alimentaires, les médicaments et les substances et activités qui présentent des risques potentiels pour l'environnement natu­rel. Ainsi les aliments doivent être sains par principe, ce qui n'exclut pas tout risque (fromages au lait cru) ; les médi­caments sont évalués en fonction de leur ratio bénéfices/risques pour la santé, etc.

Attardons nous sur l'idée de propor­tionnali.té. Plusieurs variables doivent entrer en ligne de compte pour l'ap­précier : la gravité des dommages anti­cipés et le niveau de sécurité que les pouvoirs publics veulent garantir à leur population ; le coût des m.esures de précaution envisagées ; le degré de consistance ou de plausibilité scienti­fiques des hypothèses sur le risque. La notion de plausibilité doit jouer ici, face à des risques hypothétiques, le rôle modérateur que joue la probabilité face à des risques avérés. Ainsi lorsque la perspective d'une catastrophe est étayée sur un faisceau convergent d'éléments scientifiques, sans qu'il s'agisse encore d'un risque avéré, eUe doit recevoir un poids décisionnel plus élevé que la perspective d'une catas­trophe de même ampleur qui, du point de vue scientifique, ne serait encore qu'une hypothèse de travail non étayée. Moins une hypothèse de risque de dommage est scientifiquement consistante, moins les mesures de prée

ADrès­aemaln

vention qu'elle peut justifier sont sévères. Dans de nombreux cas, les premières et seules mesures à prendre au titre de la précaution ne dépassent pas l'organisation d'une veille scienti­fique et d'une surveillance épidémiolo­gique. Le principe de précaution n'im­pose donc pas d'interdire un produit ou une technique dès qu'un soupçon apparaît.

Admettre la relation inverse de propor­tionnalité, c'est-à-dire prôner des mesures d'autant plus sévères qu'on en sait moins sur· le risque, conduirait à une aporie selon laqueUe on devrait interdire toute activité pour laquelle on ignore tout de la possibilité même d'un risque. Cela est manifestèrrient indé­fendable. La contrepartie de la préco­

.. cité de .la prise en compte de risques potentiels est la mesure dont on fait preuve dans le choix des actions de précaution. Le principe de précaution n'est pas le joker des mesures injusti­fiables.

OLIVIER GODARD

Les dix commandements du rapport KourilskyNiney

sur le princ!p~ de précaution(2000, p. 56)

1. Tout riSque doit~tre défini, évalué et gradué. .

2. Canalyse des risques doit compar~r les différents scénaribs· d'actlonetd'inac­

.. tlon. 3; Toute analyse de risque doit comporter

une· analyse· économique .quJ doit déboucher sur une étude coût {bénéfi­ce (au sens large) préalable à la déci­sion. .

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

4. Les structures d'évaluation du risque doivent être indépendantes mais coor­données.

5. Les décisions doivent, autant qu'il est possible, être révisables et les solutions adoptées réversibles et proportion­nées, . .

6. Sortir de l'incertitude impose une obli­gation de recherche.

7. Les circuits de décision et les dispositifs sécuritaires doivent être non seulement appropriés maïsfohérents et efficaces.

8. Les circuits d~ d~isioTi et I~ disPositifs ·séclI,ritàirès doivènt êtrèfiables. .

9. L~ ,lvalâQ~;ns,;Ies décisions et leur st/lvi; biriSi' que:'les dispositifs qui y

. contribuént,.doivent être transparents; ce qui impose l'étiquetage et la traçilbi­lité.

10. Le public doit être informé au mieux et son degré de participation ajusté ·por le pouvoir politique. .. . '

Pour en savoir plus Godard O. (dir.), Le principe de précaution dans la conduit~ des affaires humaines. Paris, Coédition Ed. de la Maison des Sciences de l'Homme el INRA-Éditions, Préface de Marceau Long, 1997. . Godard O., C. Henry, P. Lagadec et E. Michel­Kerjan, Traité des nouveaux risques ­PrécauUon, crise, assurance. Paris, Gallimard, COU. Folio, à paraître automne 2002. Missa J.-N. et E. Zaccaï (dir.), Le principe de pré­caution. tlignifications et conséquences. Bruxelles, Editions de ('Université de Bruxelles, novembre 2000.

1 Éditions Odile Jacob et La Documentation française, 2000. 2 Celte classification a été proposée par le Conseil national de· l'alimentation dans son Rapport sur le principe de précaution et la responsabilité dans le domaine alimentaire, Avis n' 3D, Paris, septembre 2001, p.12.1-'

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N° 444-445 • Juin-Aoüt 2002 LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Entretien avec Edgar MORIN

Risque et complexité

(Q) En quoi les notions de risque et de précaution appellent-elles forcément, sèlon vous, celle de complexité?

(R) La complexité est ce qui permet de lier les notions de risque et de précau­tion, notions qui sont absolument anta­gonistes et en même temps complé­mentaires. Une phrase de Périclès, dans un discours lors de la Guerre du Péloponèse, dit très bien cettecomplé­mentarité.: " Nous autres Athéniens, alors que les autres sont, soit des couards, soit des téméraires, nous savons allier la prudence et la hardies­se ". Savoir lier les notions de risque et de précaution est un problème qui n'a pas de solution a priori et suppose que l'on ne se fie pas à un seul de ces deux termes. C'est un problème de stratégie. La précaution est nécessaire, mais ce n'est pas un absolu. Non seulement

.nous encourons des risques sans arrêt qui ne dépendent pas de notre volonté et que nous ne pouvons pas prévoir, mais, de plus, toute action un peu innovante encourt des risques.

Une des idées clés de mon approche de cette question est ce que j'appelle l'écologie de l'action.· Quand une action est engagée, elle entre dans un milieu social, culturel et subit les influences, les déterminations et les .rétroactions· de ce milieu. Ce qui fait qu'elle dévie du sens que lui ont donné ses promoteurs, et, parfois même, peut aller en sens contraire. l:histoire four­mille de tels exemples : quand Napoléon III a cru bon de déclarer la guerre à la Prusse dont il pensait ne faire qu'une bouchée, le résultat a été la chute du Second empiŒ ;. quand, à la veille de la Révolution française. une réaction aristocratique a voulu réunir

les États généraux pour limiter les pou­voirs du TIers état, elle ne s'attendait pas à ce que le vote par ordre soit remis en cause au profit du vote par tête et que cela conduise à 1789... Toute action, non seulement dans un milieu naturel, mais aussi dans un milieu social et historique, .comporte des risques. .

(Q) Tout projet humain peut conduire à des effets non· voulus, à ce que les anglo-saxons appellent des .. unexpec~ ted effects ", des effets non attendus, notion plus large, probablement, que la notion d'" effets pervers JI.

(R) Il faut avoir conscience que toute action comporte un risqu~ et est, d'une certaine façon, un pari. Cela revient à généraliser la formule de Pascal qui limitait son pari à l'existence de Dieu (comprenant que celle-ci ne pouvait pas être prouvée par des arguments logiques). Cela revient· à élargir la notion de pari à toutes les valeurs et à toutes les idées que nous défendons dans la société. Par exemple, quand on veut lutter pour la liberté, on fait un pari sur un processus qui peut pourtant provoquer une régression d'asservisse­ment. Il faut avoir conscience de ce pari et penser nos actions en terme de stratégie.

La stratégie s'oppose au programme. Le programme est déterminé a priori et une fois pour toutes, et il ne se modifie pas quand se présente un obstacle imprévu. La stratégie, elle, est la capa­

. cité de modifier le cours de l'action en fonction des événements, des informa­tions ou des hasards. Le mot vient de l'art de la guerre, où deux armées en présence sont dans une situation a1éa­

toire et où ce n'est pas nécessairement celle qui est la plus nombreuse où la plus puissante qui gagnera. Dans l'his­toire, de nombreux exemples d'Alexandre à Bonaparte, montrent que la stratégie est la réussite d'actions extrêmement hardies dans des circons­tances qui ont été bien pesées par leurs promoteurs. La conscience du pari et l'idée de stratégie permettent donc d'encourir les risques qui sont inévi­tables, tout en les limitant autant que possible.

Nous avons besoin d'innovations, par exemple en matière de pensée poli­tique. Or, toute nouvelle pensée com­porte des risques. On a vu par le passé des mouvements produire des effets . inverses aux buts qu'ils proclamaient. Quand, par exemple, les bolcheviks ont fait leur putsch de 1917 leur finali­té était un système qui liquiderait l'ex­ploitation de l'homme par l'homme, les guerres et les inégalités. Or, on <;1 vu qu'après avoir réussi leur coup d'Etat, ils ont reconstitué une nouvelle exploi- . tation de l'homme par l'homme, et qu'alors que la police secrète, par exemple, devait être l'instrument d'un pouvoir révolutionnaire, c'est le pou­voir qui en est devenu l'instrument. On a vu que certains moyens se transfor­ment en fins .

Nous devons réfléchir sur le passé pour ne plus recommencer le même type d'erreurs. Chistoire ne nous dit pas ce qu'il faut faire, mais, si on la lit bien, elle nous renseigne sur ce qu'il ne fau­drait pllS faire. Elle nous apprend, comme le montrent de nombreux exemples, du christianisme au commu­nisme, que certains moyens utilisés pour servir des fins sublimes contami­

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nent ces fins. Ce qui ne veut pas dire que, dans certains cas limites, on ne soit pas obligé d'employer des moyens qui ne soient pas nobles. La réflexion historique ne nous donne aucune cer­titude absolue.

(0) [approche écologique, eUe, met l'accent sur le principe de précaution. Est-ce à tort ?

(R) Le surgissement du pnnclpe de précaution, à partir fondamentalement d'une prise de conscience écologique, est une acquisition importante, à condition de ne pas tout résumer à la notion de précaution. Cette notion est importante parce qu'elle a remis en question l'idée, jusqu'à présent triom­phante,d'un devenir. historique conduit par le déferlement de la civili­sation occidentale, scientifique, tech­nique, industrielle et capitaliste, dont on connaissait certains des inconvé­nients, mais qui ne semblait pas atten­ter, jusque là, à la vie globale de. la Terre donc de l'humanité. La conscien­ce écologique nous montre un proces­sus qui tend à la dégradation de la bio­sphère et donc de la vie humaine, véri­té globale qui se multiplie en mille véri­tés locales.- La pollution de la Méditerranée, par exemple, attente à la vie de tous les riverains. Cela nécessite une réflexion, car il ne suffit pas que nous, Occidentaux, qui nous considé­rons comme développés car nous sommes plus développés économique­ment, nous disions aux autres pays de renoncer à un développement écono­mique nuisible à l'écologie.· Nous ne pouvons dire ceci que si nous sommes capables nous-mêmes de nous refrei­ner, de lutter. contre les pollutions que nous produisons et de développer intensément les sources d'énergie non polluantes. Que si nous ·sommes capables surtout de nous appliquer à nous-mêmes le principe" moins, peut­être, mais mieux ", car si nous ne sommes pas capables de nous l'appli­quer, comment pourrions-nous interdi­re au nom de l'écologie, par exemple, aux Chinois tel ou tel choix industriel.

Ce principe de précaution est devenu un principe indispensable pour toute pensée sur le devenir politique et humain de la planète. Mais, il faut le combiner avec le principe de risque : pas de solution en général et chaque solution doit être réexaminée sans cesse dans J'évolution de ses consé­quences.

Prenons, par exemple, le problème des OGM. C'est un problème qui se situe à deux niveaux. Le premier niveau est purement agricole. Les OGM sont faits pour éliminer ou diminuer l'utilisation des pesticides et des engrais chimiques

ADrès­aemaln'

qui dénaturent qualitativement l'envi­ronnement et les aliments. Ils jouent donc, en principe, un bon rôle écolo­gique. Mais la propagation systéma­tique de ces OGM sur la planète sans avoir fait au préalable des expérimen­tations et des réflexions est une chose qui mérite la précaution. Le deuxième niveau est économique : à travers ces OGM, on voit des trusts géants comme Monsanto s'approprier purement et simplement la vie. Ils ont dû reculer dans leur projet Terminator de culture de germes qui s'autodétruiraient à la deuxième génération, mais la tech­nique des OGM leur donne un pouvoir inouï. La vie, qui était jusqu'à présent un bien non monétaire, devient mar­chandise. là-dessus, un principe de précaution doit jouer fortement, pas seulement pour l'agriculture, mais pour les conséquences politiques et écono­miques de toutes les avancées biolo­giques.

Dans l'histoire, une action qui, isolé­ment, semble totalement irrationnelle peut être le déclencheur d'une prise de conscience. Prenons, par ·exemple, la Prise de la Bastille: quand on sait qu'il n'y avait pratiquement plus de prison­niers et qu'ilnes'agissait pas d'y libé­rer des détenus politiques, cet acte, pris isolément, paraît comme totalement irrationnel. Mais, la Bastille étant un symbole du pouvoir absolu, la portée symbolique de cet événement lui a donné un sens extrêmement libérateur. r.événement à J'origine de Mai 68, l'in­terdiction, à la Cité universitaire de Nanterre, aux garçons d'aller dans le bâtiment des filles est un événement stupide en lui-même, mais il est à l'ori­gine d'une explosion que je tiens - cela peut être discuté - pour profondément salubre. Le démontage du Mac Donald de Millau par José Bové et les siens, qui paraît à première vue comme une violence absurde et une transgression inutile, peut jouer un rôle éveilleur. Je ne suis pas favorable au démontage de tous les Mac Donald, mais certains actes symboliques et transgressifs peu­vent être très utiles.

Dans le cas des OGM, je ne pense pas que la solution soit l'arrachage systé­matique, mais les opérations d'arra­chage qui ont été pratiquées peuvent amener les pouvoirs publics à réfléchir et à promouvoir un certain nombre de règles de précaution. Je suis assez d'ac­cord pour que dans des endroits bien isolés génétiquement, on fasse des expériences 'sur certains OGM, mais je ne suis pilS d'accord pour laisser la concentration d'un tel pouvoir immen­se sur la vie à des firmes capitalistes.

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

(0) Ce qui vous paraît essentiel, c'est donc la réflexion sur les processus au fur et à mesure qu'ils se déroulent.

(R) Certains processus développent dans un premier temps des effets béné­fiques, puis, dans un second temps, des effets négatifs. Prenons l'individua­tion qui s'est développée dans nos sociétés: dans un premier temps, eUe a été très favorable à la liberté et à l'épa­nouissement des individus, mais, si elle conduit à la destruction dé toutes les anciennes solidarités, au développe­ment deI'égocentrisme et de la solitu­de individuel1e, elle prQduit des effets pervers très négatifs. A un moment donné, les effets pervers peuvent deve­nir plus importants que les effets posi­tifs. 11 faut tenir compte du temps pour juger un phénomène et faire sans cesse une révision périodique de notre éva­luation de leurs différents effets.

En 1990, il n'y avait pas encore la guerre de Yougoslavie et ('extension de tous les conflits ethniques, nationaux et religieux, on était encore sous l'effet d'un monde dominé par la dualité soviéto-américaine et l'on avait l'im­pression que la désintégration de l'Union soviétique ne pouvait qu'être synonyme d'extension des libertés. Or, dix ans plus tard, on voit naître un nou­veau chaos, on voi! les limites de ce libéralisme économique qui a cru que la concurrence mondialé pouvait résoudre tous les problèmes. Et nous sommes amenés à reconsidérer la situation globale pour pouvoir agir en prenant conscience des nouveaux risques et des nouvelles précautions.

(0) Tout projet poUvant produire des effets non souhaités, ce qui compte avant tout pour vous, ce sont donc les processus de veille et de vigilance.

(R) Ce travail de veil1e est lui-même complexe. 11 est très difficile de discer­ner le moment où les aspects pervers deviennent plus importants que les aspects positifs. Quand on repense au trouble soudain ressenti dans les années 1930 par des militants du Komintern, tel Manes Sperber, qui s'étaient dévoués totalement à sa cause, lorsqu'ils découvrirent les vagues d'arrestations de cadres com­munistes commandées par Staline, on se dit que l'on voit toujours avec retard le moment où un phénomène bascule.

(0) Mais ne craignez-vous pas que la crainte des risques et le souci de la pré­caution conduise à abandDnner tout grand projet de transformation de la réalité et d'amélioration du sort des hommes ? Autrement dit, qu'ils son­nent le glas de toute recherche du pro­grès. 33

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(R) La précaution prise comme un absolu conduit à un immobilisme total, pour ne pas dire un conservatisme. Et un risque assumé en aveugle conduit à des aventures très dangereuses. Il s'agit de poser différemment la question du progrès. La gauche avait adopté l'idée d'un progrès historique nécessaire et quasi automatique. Ce qu'on découvre maintenant, c'est que le progrès n'est pas une loi de l'histoire. Mais, raison de plus pour le vouloir. Tout progrès qui ne se régénère pas dégénère. Aucun progrès n'est jamais acquis de manière définitive. Par exemple, l'abolition de la torture, qui a été acquise au XIXe siècle en Europe, a été remise en cause au XXe siècle. On doit donc avoir une vision beaucoup moins mécanique et plus volontariste et consciente du pro­grès. Il relève de la volonté et· de la conscience humaine et une fois qu'un progrès est établi, il ne reste pas de. lui­même, il va falloir l'entretenir. Mais il faut croire à des progrès Possibles. Nous sommes dans une époque où le possible est impossible. La paix sur Terre est possible : avoir une commu­nauté de nations qui préviendrait toute guerre est parfaitement possible. Nourrir l'humanité est tout à fait pos­sible aussi, avec les moyens techniques dont on dispose aujourd'hui. Seuls des problèmes politiques, de corruption, etc., font obstacle à ces objectifs.

Il faut repenser le progrès, non plus en termes d'automatisme ou de fatalisme comme autrefois, mais ·d'une manière qui nécessite des politiques profondé­ment pensées.

(Q) Cette conception du progrès n'est plus soumise à la seule dimension éco­nomique.

ADrès­aemaln

(R) C'est pour cela que je propose de bannir le mot de " développement ", car il suppose que c'est la croissance et le progrès purement technique et éco­nomique qui va, comme une locomoti­ve, entraîner tous les autres. Nous avons vu des régressions humaines, des sous-développements moraux et psychiques qui étaient dus à notre développement. Proposer le terme de développement au reste du monde signifie que l'on considère que le ter­minus de l'histoire humaine est le

. modèle occidental. C'est nier que d'autres cultures puissen.t avoir des élé­ments très positifs. Je propose que l'on remplace le mot de développement par l'idée d'une politique de progrès ou d'une politique de civilisation.

(Q) f.adoption hors d'Europe de tech­niques et de formes d'économie qu'el­le a produites, en ignorant le mouve­ment idéologique et politique qu'elle a connu en même temps du XVe au XIXe siècle n'est-elle pas profondément dan­gereuse?

(R) Dès le début de la mondialisation, il s'est produit deux processus qui sont pratiquement antagonistes bien que simultanés. Le plus visible a été, dès le début, la colonisation, la ·prédation, l'esclavage. Mais, en même temps, Bartholomé de la Casas a dit que les Indiens sont des humains dotés d'une conscience, Montaigne a· montré la relativité des notions de civilisation et de barbarie (parlant notamment des anthropophages) et· soutenu que l'Europe n'était pas forcément supé­rieureen la matière. Cette même Europe occidentale qui a été le centre d'une domination épouvantable et durable, a aussi été le foyer d'une autre

LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

mondialisation, celle de la diffusion des idées de liberté et de progrès qui ont permis aux peuples colonisés de s'émanciper en s'en emparant. Aujourd'hui, cette deuxième mondiali­sation - celle de la pensée critique européenne - est beaucoup plus limi­tée que la première, et c'est elle qu'il faut faire progresser. Pour cela, l'Europe doit aussi être beaucol\p plus ouverte. Elle doit cesser de croire, par exemple, que lutter contre J'analphabé~ tisme signifie considérer comme super­stition toutes les cultures orales millé­naires, qui ont certes leurs erreurs mais aussi leur valeur.

La civilisation occidentale a acquis des qualités (par exemple en matière de droits des femmes, où elle est plus avancée que la plupart des pays du reste du monde), mais elle comporte des carences fondamentales. Et, alors qu'aùjourd'hui, une nouvelle· . Renaissance à l'échelle· planétaire est nécessaire, par une sorte de symbiose et de rencontre entre les civilisations de l'Orient et de l'Occident, du Nord et du Sud, elle doit jouer un rôle dans ce processus. Mais, pour cela, elle doit renoncer à propager l'idée que les techniques et ['économie sont maî­tresses en matière de civilisation et que c'est elles qui seraient les moteurs du progrès. Cette idée représente. un retour à la mauvaise mondiàlisation, celle qu'a représenté la domination européenne, purement fondée sur Je calcul et l'intérêt.

PROPOS RECUEILLIS PAR GILLES MANCERON

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UNIVERSITE Lille II - Droit et santé Faculté dessdences juridiques, politiques et sociales

MEMOIRE de Diplôlhe d'Etudes Approfondies \ \

Discipline: D.E.A. de droit communautaire et international, mention droit· communautaire

Le principe de précaution en matière de sécurité alimentaire

Présenté et soutenu par Melle Anne-Lise DUCROQUETZ

.Directeur de mémoire: Mr le Professeur P. MEUNIER

Année universitaire 2000-2001 .. .36

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" j . ...,.,. CHAPITRE II :

LA MISE EN ŒUVRE DU PRINCIPE DE PRECAUTION

80. La nécessité de protéger les consommateurs au sein de la Communauté Européenne est

dictée par des raisons de santé publique, dont l'écho croissant alarme ,les pouvoirs publics

dans leur mission de protection et de surveillance. En effet, l'impact de la crise de la vache

folle a conduit les autorités publiques, et notamment communautaires, à prendre des mesures

d'interdiction relatives à la liberté de circulation des marchandises. De telles mesures de

sauvegarde, fondées ou· inspirées par le principe de précaution, limitent le commerce des·

produits alimentaires affectés, mais répondent au souci de prévenir les risques de propagation

des maladies animales vers l'homme (110).

Il importe d'étudier l'application du principe de précaution, pour la première fois lors

de la crise de la vache folle (section 1), puis lors des principales autres crises alimentaires

(section II), et enfin à l'occasion du vieux conflit opposant les Etats-Unis et la Communauté·

Européenne, à propos de la viande aux hormones et des O.G.M. (section III).

SECTION 1 : L'émergence du principe: la crise de la vache folle

_.. ­81. Il convient de rappeler que l'encéphalopathie spongiforme bovine (E.S.B.), plus

connue sous le nom de maladie de la vache folle, fait partie d'un groupe de maladies

dégénératives du cerveau, caractérisées par l'apparition d'altérations, présentant un aspect

spongieux à l'examen au microscope, dans les tissus cérébraux, et par la présence dans ces

tissus d'une forme anormale d'une protéine, à savoir la protéine du prion. Il s'agit de maladies

qui frappent de nombreuses espèces animales, notamment les ovins, les bovins, les chats

domestiques et les visons d'élevage, mais égal~ent les êtres humains (Ill).

(110) GRECIANO P., op.cit.• supra note nO 89, p.6.

(111) Conclusions de J'avocat généra! G.TESAURO, dans l'affaire C.157/96 du 5 mai 1998, National

Farmers , Union, Rec.p.2232., et dans J'affaire C.180196 du 5 mai 1998, Royaume-Uni cl

Commission, Rec.p.2265.

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Rendu public, ce problème a entraîné un scandale et une crise alimentaire obligeant la

Commission européenne à prendre en 1996 une décision d'embargo qu'elle ne lèvera que trois

ans plus tard.

A) Les mesures d'embargo communautaires

82. Le 20 mars 1996 est diffusé un avis du comité consultatif sur l'E.S.B. (S.E.A.C.),

organe scientifique indépendant chargé des fonctions de consultant auprès du gouvernement

du Royaume-Uni. En particulier, le S.E.A.C. faisait état de ce que l'unité de surveillance de la

Maladie de Creutzfeldt-Jakob d'Edimbourg avait identifié dix cas d'une variante de cette

maladie chez des personnes âgées de 42 ans au plus, et présentant des signes cliniques· et

neurologiques atypiques. Le S.E.A.C. soulignait de déclarer à l'avenir qu'il était impératif

d'appliquer correctement les mesures en vigueur de protection de la santé publique, et

recommandait un contrôle constant garantissant le retrait complet de la moelle épinière aux

bovins. Dans le même avis, il recommandait que l'on interdise notamment l'emploi de farines

de viande et d'os de mammifères dans l'alimentation de tous les animaux.d'élevage (112).

83. La crise de la vache folle éclate dès lors le jour même à la Chambre des communes en

Grande-Bretagne avec la déclaration de Mr. Stephen Dorell, le ministre anglais de la santé,

laissant entendre qu'il existe une possible relation entre l'E.S.B. touchant les vaches

britanniques et certains cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Or, cela est tardif car le premier

cas d'E.S.B. a été identifié en 1986, dix ans avant, au Royaume-Uni (lB).

Certes, depuis le 18 juillet 1988, date à laquelle le gouvernement britannique a interdit ..,._00

l'utilisation des farines animales pour alimenter les ruminants, suite à une étude effectuée en

1987, et portant sur plus de 200 troupeaux, qui identifiait les farines animales comme la cause

probable de transmission de l'E.S.B., la Commission européenne a pris certaines mesures. Par

exemple, celle du 28 juillet 1989 interdisant l'expédition de bovins vivants britanniques nés de

vaches suspectées d'E.S.B. (114), celle du 9 avril 1990 prévoyant l'abattage de bovins suspects

(112) Conclusions de l'avocat général G.TESA URO, op.cit, supra note n° 111, p.2215.

(113) BOUDANT J., Les institutions communautaires face à la crise, RD ruf. , avril 1997, nO 252,

p.207.

(114) Décision de la COIW1lission 89/469/CEE du 28 juillet 1989, ID.C.E. n° L 225 du 3 août 1989,

p.51.

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d'E.S.R (115), ou encore celle du 27 juin 1994 fIxant les conditions minimales à remplir dans la

transformation de déchets de ruminants au regard de l'inactivation des agents de l'E.S.B. (116).

Cette même année, l'Union Européenne interdit l'utilisation de farines animales dans la

nourriture des ruminants (117).

84. Mais, si de telles décisions témoignent d'une volonté de se préoCCliper du problème, il

est néanmoins surprenant de découvrir qu'il a fallu attendre la décision du 6 mars 1990 (118),

pour que pour la première fois la Commission classe l'E.S.B. parmi les maladies soumises à

notification (119). Il est donc important de relever, comme le fait à juste titre le Professeur

J.Boudant, ce dysfonctionnement institutionnel. Il faut savoir que cette crise a été pour

l'essentiel gérée par les Etats.

Car si la Commission dispose d'un pouvoir de décision et d'exécution, elle a d'abord un

rôle de proposition. Son action est soigneusement encadrée par des comités d'ex.perts

nationaux., et le véritable centre de décisions reste le Conseil. Aussi, de nombreuses enquêtes

montrent que le principe de précaution n'a pas été appliqué.

85. A cet égard, c'est essentiellement au niveau de la gestion des risques que s'est situé le

dysfonctionnement, puisque l'évaluation scientifIque a très tôt perçu les potentialités de

l'épidémie. En effet, les comités vétérinaires ont été manipulés. En 1990, ils ont dû cautionner

"la désinformation", préconisée notamment par Mr G.Castille, administrateur à la

Commission européenne (120), pour protéger les intérêts économiques du Royaume-Uni et de

la fIlière bovine européenne. Par conséquent, les intérêts économiques des Etats ont contraint

les instances communautaires à adopter des mesures le plus souvent rninimalistes, et ont de ce

fait retardé la décision d'embargo.

(115) Décision de la Commission 90/200/CEE du 9 avril 1990, lO.C.E. nO L 105 du 25 avril 1990,

p.24.

(116) Décision de la Commission 94/3811CE du 27 juin 1994, JOCEno L 172 du 7 juillet 1994, p.23.

(117) RAUX A., 13 ans de crise de la vachefolle, 7 jours Europe du 20 juillet 1999, n° 363, p.2.

(118) Décision de la Commission 9011621CEE du 6 mars 1990, JOCE n° L 76 du 22 mars 1990, p.23.

(119) Conformément à la directive 64/432 du 26 juin 1964, J.O.C.E. n° L 121 du 29 septembre 1964,

p.1977, modifiée par la directive 72/461 d~ 12 décembre 1972, J.O.C.E. nO L 302 du 31 décembre

1972, p.28.

(120) Note du 12 octobre 1990 de Mr. G.Castille, rédigée dans le cadre d'une réunion du Comité

vétérinaire permanent des 9 et 10 octobre 1990 : "Sur le plan général, il faut minimiser cette affaire

E.S.B. en pratiquant la désinformation". Voir copie de cette note dans le journal Libération du 8

juillet 1996, p.l?

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86. Toutefois, des mesures d'embargo concernant les importations de bovins vivants, de

viande bovine et de produits bovins en provenance du Royaume-Uni, ont été prises

notamment par la France et l'Allemagne le 21 mars 1996. Puis la Commission européenne a

adopté le 27 mars 1996 la mesure très sévère que constitue l'embargo (121). En effet, elle a

décidé d'interdire de manière transitoire toutes les exportations britanniques vers les autres

Etats membres et les pays tiers de ces bovins et produits entrant dans,.}a chaîne alimentaire

humaine ou animale, ainsi que l'usage des farines, après avoir consulté les 25 et 26 mars le

Comité permanent vétérinaire (C.V.P.) (122).

La décision est fondée sur le Traité, ainsi que sur la directive du Il décembre 1989 du

Conseil relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires

dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (123), et sur la directive du 26 juin

1990 du Conseil relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans ces·

échanges de certains animaux vivants et produits dans cette même perspective (124).

87. Cette solution a été choisie alors que: "danS la situation actuelle, une prise de position

définitive sur le risque de la transmissibilité de l'E.S.R à l'homme n'est pas possible (...), bien

que l'existence du risque ne peut être exclue" (12S), et compte-tenu du fait que l'incertitude qui

en résulte a créé de grandes préoccupations auprès des consommateurs: Néanmoins, la

Cornrnissiona adopté le Il juin 1996 une décision par laquelle elle a modifié et assoupli, dans

l'attente d'un examen global de la situation, les mesures préventives imposées par la décision

du 27 mars (126).

88. Mais, le Royaume-Uni et le National Farmers' Union ont saisi la Cour en référé et

demandé la suspension de la décision du 27 mars 1996; la C.J.C.E a cependant rejeté leur -.~..:..,

prétention par ses ordonnances des 12 et 13 juillet 1996 (127). La Cour a estimé que, malgré

(121) Décision de la Commission 961239/CE du 27 mars 1996, JOCE n° L 78 du 28 mars 1996, pA7.

(122) Chaque mesure prise par les instances communautaires l'a été après avis du C.V.P. ou du

Comité scientifique vétérinaire (C.S.V .).

(123) Directive du Conseil 89/662/CEE du Il décembre 1989, J.O.C.E. nO L 395 du 13 décembre

1989, p.l3.

(124) Directive du Conseil 90/425/CEE du il, juin 1990, lO.C.E. nO L 224 du 27 juin 1990, p.29.

(125) Article 1et de la décision de la Commission 961239/CE, op. cit., supra note nO l2I, p.47.

(126) Décision de la Commission 96/3621CE du Il juin 1996, J.O.C.E. na L 139 du 12 juin 1996,

p.17.

(127) Ordonnance de la C.J.C.E., 12 juillet 1996, Aff.C.380/96R, Rec. p.3903., pt 93. Et ordonnance

de la C.J.C.E., B juillet 1996, Aff.C.76/96R, Rec.pJ851., pt 91.

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les difficultés d'ordre économique et social qui en résultaient pour le Royaume-Uni, elle

devait reconnaître l'importance prépondérante qui doit être accordée à la santé publique, en

tenant compte du fait que la connaissance que les scientifiques avaient de la maladie de

Creutzfeldt-Jakob était insuffisante. La Cour faisait ici implicitement application du principe

de précaution (128). Aussitôt, un recours en annulation fut introduit par le Royaume-Uni, et un

renvoi préjudiciel effectué par la High Court of Justice Queen's Bench Dbûsion.

89. La Cour, dans deux arrêts du 5 mai 1998 (129), a rejeté les deux requêtes. Elle a rappelé

que le prÎncipe de proportionnalité, dont la violation était invoquée par le Royaume-Uni et qui

s'inscrit parmi les principes généraux du droit communautaire, exige que les actes des

institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire

à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation controversée (130).

Il est vrai qu'ici la Cour semble laisser entendre que le principe de proportionnalité

aurait vocation à s'éclipser au bénéfice du principe de précaution, mais une lecture plus

attentive de l'arrêt invite à une analyse assez différente. Confrontée à la crise, la Commission

européenne était dans urie situation d'urgence, d'incertitude et de menace grave à la santé

publique.. Elle· était donc autorisée à prendre une mesure d'embargo, en quelque sorte

surdimensionnée.

En effet, la Cour considère que, lorsque des incertitudes subsistent, "les institutions

peuvent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité des

risques soient pleinement démontrées" (m). Aussi, la décision de la Commission est adoptée à

titre de mesure d'urgence et transitoire. Par ailleurs, la Commission y recorniaît la nécessité

d'approfondir sur le plan scientifique la portée des nouvelles informations et les mesures à.

prendre et, par conséquent, la nécessité de revoir la décision après un examen de l'ensemble

.de la situation.

90. Mais, l'impératif de proportionnalité demeure, car un simple étiquetage du bœuf

anglais destiné à informer les consommateurs aurait été disproportionné par rapport au risque

qui, bien que potentiel, exigeait de prendre de véritables mesures de santé publique. A

(128) GONZALEZ VAQUE L., EHRING L., 1 JACQUET C., op. cit., supra note n° 4, p.96.

(129) . C.J.C.E., 5 mai 1998, National Farmers' Union, Aff.C.157/96, Rec.p.2259., pt 65, et C.J.C.E., •

5 mai 1998, Royaume-UnidCommission, Aff.C.180/96, Rec.p.2298., pt 96.

(130) C.J.C.E., 13 novembre 1990, Fedesa e.a., Aff.C.331188, Rec.p.4023., pt 23.

(131) CJ.C.E, 5 mai 1998. National Farmers' Union, Aff.C.l57/96. Rec.p.2259., pt 62 à 65. Pour

une confirmation, voir T.P.1., 16 juillet 1998, Bergaderm. Aff.T.l99/96, Rec.pol011.

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l'inverse, il aurait été également disproportionné de décider d'abattre l'intégralité des

troupeaux nourris avec des farines animales non chauffées (132).

Enfm, l'avocat général G.Tesauro énonce que "se contenter d'interdire les farines était

insuffisant, puisque malgré cette interdiction, qui remontait à juillet 1988, la maladie de la

vache folle avait progressé, ce qui tendait à indiquer que la contagion pouvait avoir lieu par

d'autres voies" (133). ,....

91. Après trois ans d'embargo sur le bœuf britannique, la Commission européenne a

décrété, après une mission d'inspection vétérinaire européenne d'avril 1999, que celui-ci

pouvait être levé, sous strictes conditions (134).

H) La levée de l'embargo et la résistance française

92. Le 5 mai 1999, la Commission décide de réduire de 32 millions d'euros son aide au

plan britannique d'abattage des bovins. En effet; elle s'était engagée à fmancer 70% du coût

des animaux abattus. Mais, le programme britannique a montré des carences, à savoir une

insuffisance des méthodes comptables qui a rendu impossible la vérification par la

Commission du nombre précis d'animaux abattus, des contrôles déficients sur le mouvement

eUe stockage des carcasses et du matériel équarri, et du retard dans la destruction du matériel

à risque. Cette décision viént donc sanctionner les carences de ce programme relevées lors de

l'inspection menée par l'Union (135).

93. Malgré cela, le 14 juillet 1999, la Commission décide de lever partiellement l'embargo

qui avait été décidé sur le fondement du principe de précaution en mars 1996. De plus, le 23 .

juillet, la Commission prend une décision fixant la date à laquelle l'expédition à partir du

Royaume-Uni de produits bovins, dans le cadre du régime d'exportation, peut commencer

(136). La levée de l'embargo a été rendue possible grâce aux différentes mesures prises par le

(132) NOIVILLE C., op.cit. • supra note na 1qg, pAS.

(133) Conclusions de l'avocat génér.al G.TESA URO, op.cit.. supra note na III, p.223 1., pt 34.

(134) RAUX A., op.cit.• supra note na 117, p.2.

(135) GERY Y., Carences dans le système d'abattage, 7 jours Europe, 10 mai 1999, na 353, p.6.

(136) Décision de la Commission 1999/514 du 23 juillet 1999, JOCE na L 195 du 24 juillet 1999, pA2.

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Royaume-Uni depuis le début de la crise. C'est-à-dire que des millions de bovins ont été

abattus, puis incinérés, conformément aux exigences posées par l'Union. En outre, de sévères

contrôles ont été mis en place dans les abattoirs. Le travail des autorités britanniques est donc

considéré comme satisfaisant, et Londres a répondu de manière positive aux dernières

recommandations de l'Union Européenne, destinées à améliorer .encore la fiabilité du régime

(137).

94. Le Royaume-Uni a donc pu reprendre sous certaines conditions ses exportations de

viande bovine, à partir du 1er août 1999. La reprise de ces exportations s'applique seulement à

la viande désossée et à ses produits dérivés issus d'animaux nés après le 1er août 1996, date à

laquelle il fût considéré que l'interdiction des farines animales au Royaume-Uni était devenue

effective.

95. Le 1er octobre 1999, suite à un avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des

aliments (Afssa), la France suspend de façon unilatérale la levée de l'embargo. li ressort de

cet avis que les récentes avancées scientifiques ainsi que le contexte factuel soulevaient

encore des questions quant à la sécurité des produits. Les experts y font notamment valoir que

le risque de contamination des bovins pouvait provenir d'une troisième voie, et non pas

seulement de l'alimentation -ou de la transmission maternelle. La -République française a

demandé que cet avis et les données sur lesquelles il était fondé soient examinés par le Comité

scientifique directeur.

Mais, le 29 octobre 1999, ce comité juge à l'unanimité que les arguments français ne

suffisent pas à justifier un maintien de l'embargo sur le bœuf britannique (138).

96. Pourtant, de part et d'autre, ces décisions ont été prises sur fond d'une expertise

scientifique et technique des risques. Selon a.Godard, l'avis défavorable émis par l'Afssa

pouvait à bon droit se recommander du principe de précaution, puisque le risque résiduel

n'apparaissait aux experts ni nul ni complètement maîtrisé (139). Cependant, la Commission

était en droit d'estimer suffisantes les mesures de précaution prises, car le risque d'entrée de

viande contaminée dans la chaîne alimentaire, pour une viande dont le caractère contaminant"

(137) RAUX A., Bœufbritannique: l'embargo sera levé au lU août, 7 jours Europe, 20 juillet 1999, n°

363, p.l

(138) RAUX A., Près de 4 ans de crise de vache folle, 7 jours Europe, 22 novembre 1999, nO 374, p.S.

(139) GODARD O., Embargo or nol embargo ?, La Recherche, février 2001, nO 339, p.55.

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n'a jamais pu être montré, lui apparaissait si faible qu'il devait pouvoir être négligé. Or, le

principe de précaution ne saurait être confondu avec l'atteinte du risque zéro, puisqu'il en

appelle à des "mesures proportionnées à un coût économiquement acceptable" (140).

97. Dans leur rapport au Premier ministre sur ce principe, P. Kourilsky et G.Viney ont

.souligné la nécessité de graduer les réponses de précaution en fgnction du degré de

consistance scientifique des hypothèses sur le risque (141). La notion pivot à leurs yeux est

celle de plausibilité scientifique, et ils en définissent les conditions: le simple soupçon ne

pouvant suffire à déclencher la prévention, seules les hypothèses plausibles qui résultent

d'une méthode scientifique très largement acceptée pèuvent légitimement être prises en

compte pour définir ce que sont les risques potentiels.

Parmi ces derniers, il faudrait encore distinguer les risques potentiels plausibles, et les

risques potentiels étayés, dont la plausibilité est soutenue par des retours d'expérience. D'une

façon générale, les premiers devraient déboucher sur des actions de recherche, tandis que

seuls les seconds auraient à être pris en compte par des mesures de précaution visant des

produits ou des techniques.

Sur ce critère de la plausibilité, les deux comités adoptent des attitudes très

différentes : le comité européen est en phase avec les recommandations du rapport, tandis que

le comité français s'en éloigne sensiblement en demandant aux autorités de prendre des

. mesures draconiennes (refus de lever l'embargo) au vu de soupçons théoriques d'infectiosité

qui ne sont pas étayés sur des résultats expérimentaux (142). Le principe de précaution, dans la

mesure où il est ici l'objet de différentes interprétations, ne permet donc pas de départager les

deux décisions.

98. Dès début novembre 1999; la Commission, la France et le Royaume-Uni ont tenté de

régler le différend à l'amiable, mais faute d'un accord, la Commission décide le 16 novembre

1999 d'ouvrir une procédure d'infraction à l'encontre de la France. Le lendemain, elle adresse

à la République française une lettre de mise en demeure au sens de l'article 226 du T.C.E.,

elle y constate notamment que cet Etat membre a manqué aux obligations qui lui incombent

en vertu du droit communautaire. Gardienne des institutions, !a Commission a en effet pour

mission de veiller au respect de l'application d#s lois communautaires, et donc de la levée de

(140)GODARD O., Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, Editions de la

Maison des sciences de l'homme et de l'Institut national de recherches agronomiques, Paris, 1997, p.52.

(141)KOURILSKY P. el VINEYG., op cU., supra note n066.

(141)GODARD O., op.cil. , supra note nO 139, p.55.

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l'embargo (143).

Le principal problème à l'origine du conflit entre Paris et Londres 'est la question de

l'abattage des animaux contaminés. Londres s'oppose à l'abattage systématique des troupeaux

dans lesquels un cas d'E.S.B. a été diagnostiqué - pratique qui a lieu en France - en

soulignant que les mesures de précaution prises outre-manch~ ont reçu l'aval de l'Union

Européenne. La France a fait savoir qu'elle voulait sortir de la crise~jce à un accord qui

mette en avant le principe de précaution afm d'éviter toute contamination humaine.

99. Par requête déposée le 29 décembre 1999, la République française a, en vertu de

l'article 230 C.E., demandé l'annulation de la décision du 23 juillet 1999 de la Commission.

Elle estime que celle-ci méconnaît le principe de précaution, en ce qu'elle n'aurait pas tenu·

compte de l'existence éventuelle d'une troisième voie de contamination, dite "transmission

horizontale" ou "transmission par contact entre les animaux" (144). De son côté, la Commission

a soulevé une exception d'irrecevabilité, notamment pour détournement de procédure et

défaut d'intérêt d'agir.

Dans son ordonnance du 21 juin 2000, la Cour rejette le recours et décide qu'il doit

être déclaré manifestement irrecevable (145).

100. La forme humaine de la vache folle continue à faire des victimes. Les autorités

sanitaires britanniques annonçaient le 25 mai 2001 que le cap des 100' victimes de la variante

de la maladie de Creutzfeldt-Jakob venait d'être atteint dans le pays (146).

Par ailleurs, depuis 1991, des dispositions de police sanitaire sont en vigueur en

France. En dix ans, celles-ci ont conduit à l'abattage et à la destruction de près de 40 000

bovins apparemment sains, mais tenus pour potentiellement contaminés après l'identification

- ~ d'un cas de maladie dans un troupeau. L'Afssa, ayant formulé une série de, scénarios

permettant de mQdifier ces dispositions à court terme, et de passer progressivement d'un

abattage total à un abattage partiel, le Conseil national de l'alimentation fut saisi. Celui-ci,

(143)RAUX A., Bœufbritannique: la Commission ouvre une procédure d'infraction contre la France,

7 jours Europe, 22 novembre 1999, n° 374, p.S.

(144) Voir Le Particulier, Vache folle: la C../. (jE. tranchera dans deux ans, février 2000, nO 929, pA.

(14S)Ordonnance de la C.J.C.E. du 21 juin 2000, République française d Commission, Aff.C.514/99; •

site internet: http://europa.eu.intl

(146) NAD J.-Y., La forme humaine de la maladie de la vache/olle a fait cent victimes en Grande­

Bretagne, Le Monde du 26 mai 2001, pA.

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dans un avis rendu public le 6 juillet 2001, estime qu'il est prématuré d'assouplir la mesure de

précaution consistant, dans le cadre de la lutte contre les formes humaine et animale de la

maladie en question, à abattre systématiquement les troupeaux touchés par cette zoonose. Il

traite également de l'impact économique qui pourrait résulter de l'abandon de la politique de

cet abattage systématique.

Rappelant que tous les pays de l'Union Européenne pratiquent,.tabattage total - à la

différence notable de la Grande-Bretagne et du Portugal, deux des pays les plus concernés -,

le Conseil national de l'alimentation (C.N.A.) estime que les conséquences économiques

concernant le marché intérieur de la viande bovine seront très liées à la perception par

l'opinion publique de cette mesure. Aussi, le 18 juillet 2001, est rendue publique la décision

prise à l'échelon interministériel de maintenir l'abattage systématique (147).

Il est entendu de ne pas déroger au principe de précaution qui caractérise l'action

gouvernementale de lutte contre l'E.S.B. Un passage de cet abattage systématique à un

abattage partiel ne pourrait être envisagé "avant que l'Afssa ne donne un feu vert explicite"

(148).

101. La crise de la vache folle a· montré l'importance de la sécurité alimentaire pour le

citoyen européen. Celle-ci n'occupait jusqu'à cette crise qu'une place· secondaire dans

l'activité cOffiI!lunautaire, au nom du principe de subsidiarité (149). Aussi, dans l'action relative

à la prévention des risques menaçant la santé publique, à propos desquels elle ne dispose pas

de bases scientifiques satisfaisantes, ou lorsqu'il existe des doutes scientifiques, la

Commission est favorable à l'application du principe de précaution qui doit prévaloir en

matiè.re de sécurité alimentaire (150).

Comme cehl vient d'être exposé, ce principe a été développé par la Commission au ..... cours de la gestion de la crise de la vache folle. il sera également appliqué dans le cadre de la

contamination des poulets par la dioxine, et de la tremblante du mouton.

•. •. j . . .; (147)NAU J.-Y., Vache Jalle: le Conseil natlonal de l'alimentation juge pr ématurée la fin de l'abattage

systématique, Le Monde du 7 juillet 2001f.3.

(l48)GRüSRICHARD F. et NAU J.-Y., 'Vache Jolie: le gouvernement maintient l'abattage.

systématique des troupeaux, Le Monde du 20 juillet 2001, p.24.

(149)DE GRüVE-VALDEYRüN N., Libre circu{ation et protection de la santé publique: la crise de

la vache folle , RMCUE, décembre 1996, n° 403, p.767.

(lSO)BONINO E., L'Union Européenne et la sécurité alimen taire, RMUE, 1998, ng 4, p.5.

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aladies àprions

L "'g<nU d" encép"'l0l"thi" spongiformestransmissibles sont responsa­bles de maladies neurodégénératives fatales chez l'homme (mal~die de Creutzfeldt­Jakob, insomnie fatale familiale, syndrome de Getstmann-Straussler-ScheinkeJ; Kuru) et chez les animaux (tremblante ovine et caprine, encéphalopathie spongiforme bovi­ne, encéphalopathie spongiforme féline, encéphalopathie transmissible du viSon, dépérissement chronique des cervidés). L'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) est une maladie nouvelle apparue en 1985 au Royaume-Uni. Elle s'est pro­pagée ensuite dans les autres pays euro­péens et en particulier en France. La trem­

'b!ante des ovins est en revanche corinrie depuis plus de deux siècles en Europe. L'agent de l'ESB est transmissible des bovins à l'homme chez lequel il provoque une forme particulière (appelé variant) de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ). En revanche, l'agent de la tremblante ovi­ne semble sans danger pour l'homme. Pourtant, l'émergence potentielle de nou­velles formes de tremblante est une p~­cupation importante des chercheurs et des autorités sanitaires. On ne peut eXclure en

,effet que l'agent de l'BB n'ait contaminé des ovins, ni que certaines formes de trem­blante soient capables d'infeoter les ani­maux présumés résistants.

La crise de la «vache folle» Le premier cas d'ESB a été détecté en France en 1991, à la suite de la mise en place d'un système de surveillance cli­nique obligatoire fin 1990. En 2000, une étude utilisant un test rapide (de la socié­té suisse Prionics) a été réalisée sur près de 50 000 bovins morts ou euthanasiés pour maladie dans l'ouest de la France. Cette étude a montré que la surveillance cli­nique seule était insuffisante pour détec­terl'ensemble des animaux atteints. A la suite de la deuxième crise de la vache folle (novembre 2000), la France, comme l'ensemble de la CommUnauté écono­mique européenne, a mis en place un important système de surveillance active fondé sur l'utilisation de tests rapides (Prionics, Bio-rad, Enfer). A partir de janvier 2001, tous les animaux de plùs de 30 mois (et plus tard de plus de 24 mois) abattus eQ vue d'une consommation hurnaineont été testés. Enfin, à partir de janvier 2002, c'est la totalité des popu­lations dites " à risque li qui sont, à leur tour, soumises au dépistage.

L'épidémie endiguée Les données collectées depuis cette période montrent qu'environ 75% des

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cas détectés en France le sont par la sur­veillance active. Depuis 2001, on obser­ve chaque année une diminution du nombre de cas (43 en 2002, 13 en 2003), consécutive vraisemblablement au renforcement des mesures de lutte contre la maladie prises en 1996 et notamment l'interdiction des farines animales pour l'alimentation des rumi­nants. Depuis le 1cr décembre 1990, le résea u clinique a permis de confirmer 333 cas parmi plus de 1500 suspicions, avec un pic en 2000 et 2001 (102 et 91 cas contre 43 en 2002 et 13 en 2003). Plus de 9 millions de tests ont été réali­sés dans le cadre de la surveillance acti­ve, permettant de détecter 563 cas sup­plémentaires (60 en 2000, 183 en 2001,

196 en 2002, 124 en 2003). Façe à ces émergences, des systèmes de surveillance et des réglementations ont

~

Quelques aspects réglementaires

A la lumière d'avis d'expert les réglementations françaises et européennes ont évo­

lué au cours du temps et ont concerné tous les aspects de la filière.

Pour ce qui concerne l'alimentation du bétail et la commercialisation des produits

animaux, il faut retenir "interdiction d'importer les farines de viande et d'os en pre­

venance du Royaume-Uni (1989), puis "interdiction totale de l'utilisation de ces fari­

nes et de protéines d'origine animale (1990 pour les bovins, 1994 pour tous les rumi­

nants), l'embargo sur les produits d'origine bovine en provenance du Royaume-Uni

(19%), J'interdiction de tissus à risque dans l'alimentation humaine (1996), la destruction

du cerveau et de la moelle épinière des ruminants adultes (1996), le renforcement des

mesures d'interdiction des farines animales (1996}...

Pour ce qui concerne le suivi sanitaire, on notera l'inscription de l'ESS sur la lis­

te des maladies obligatoires en 1990, de la tremblante sur celle des maladies conta­

gieuses (1996), l'obligation de déclaration des suspicions de MCJ (1996) et la mise en

place des réseaux de surveillance.

Jusqu'en 2003. l'obligation d'abattage total des troupeaux au sein desquels un cas d'E5S

a été détecté, était en vigueur. Depuis, les troupeaux ne sont plus systématiquement détruit3. Seules la cohorte d€ naissance (+1 an et -1 an) du (ilS ~ sa de3cendance sont

éliminées.

4R

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.. .. été installés. Le réseau national de surveillance des maladies de Creutzfeldt Jakob et maladies apparentées fonctionne depuis 1992. Il distingue différentes for­mes de MCJ, dont le nouveau variant, qui serait transmis par l'agent de l'ESB. Six cas à ce jour de ce variant ont été détectés en France (1 en 1996, 1 en 2000, 1 en 2001 et 3 en 2002).

La tremblante du mouton Depuis 1990 la tremblante du mouton faisait l'0 bjet d'épidémio-surveillance dans le sud-est de la France. Mais la découverte du variant de la mal­adie de Creutzfeldt­Jakob vMCJ chez

.r-­ l'homme au Royau­<-C me-Uni a précipité la

mise en place d'un système de surveillan­ce national obliga­toire de cette mal­adie. Un réseau

sur la sélection d'animaux résistant à cet­te pathologie est coordonné par le minis­tère en charge de l'Agriculture (encadré).

L'appel àla recherche Le 20 mars 1996, l'annonce par les auto­rités du Royaume-Uni que 10 Britan­niques venaient de succomber à une variante de la maladie de Creutzfeldt­Jakob liée à l'ESB a entraîné une crise de confiance sans précédent des consom­mateurs. La communauté scientifique a alors été largement sollicitée; en France, cela s'est traduit, dès l'automne 1996,

par la mise en place des premiers appels

clinique est mis en de la santé publique CEA, Afssa, Inra),

d'offres de recherche.Les résultats de la L'observation

recherche rétrospecti ve des efforts consentis et

contribuent à la des résultats obtenus par les équipes desprise de décision principaux organis­

pour la protection mes de recherche (CNRS, . Inserm,

place en juin 1996 : 328 foyers sont détectés. (un foyer pouvant comporter plusieurs cas) et une surveillance active est lancée (103 cas détectés parmi 132000 tests en 2002 et 2003). Depuis 2002, un programme-national de lutte génétique contre la tremblante basé .

montre le succès de cet appel. Par ailleurs

des structures spécifiques ont été créées, aux niveaux national et européen pour institutionnaliser l'expertise (Afssa, Afsaps et INVS en France) et des moyens finan­ciers considérables ont été alloués aux travaux sur les ESST.

La réponse institutionnelle Sur le plan de l'organisation, la création des agences (Afssa en France et Efsa au niveau européen) a permis une mobili­sation d'experts scientifiques de nom­breux organismes et disciplines. Nous sommes désormais mieux armés pour collecter les informations et déclencher. les expertises (pour l'appréciation des risques et, au-delà, leur gestion). I:insti­tutionnalisation de l'expertise au sein d'agences a également procuré des gages de transparence des avis scientifi- . ques. Elle a fourni à l'expertise des moyens de fonctionnement permettant une relative focalisation des experts sur une problématique scientifique.

Les budgets Le Gouvernement français a confié à un comité interministériel d'experts puis au GIS « Prions li le soin de financer les équi­pes de recherche pour un total de 40 millions d'euros. rUnion européenne a financé 54 projets pour un montant de 50,7 millions d'euros de 1996 à 1998, 26 projets pour un montant de 30 millions d'euros entre 1998 et 2002 et 15 projets en 2003 pour un montant de

.21 millions d'euros. Un réseau d'excel­lence consacré aux recherches sur les prions est fmancé par le 6· PCRD (pro­gramme cadre de recherche et dévelop­pement) pour un montant de 15 millions d'euros. Depuis 1997, l'Inra a participé et participe à 18 projets qui ont représenté un montant global d'environ 35 millions d'euros. Encore aujourd'hui, 36 projets sont coor­donnés par l'Inra et trois nouveaux pro­

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jets soumis à l'appel d'offres 2003 du GIS Prions ont été retenus. L'Inra est impliqué comme coordinateur et/ou com­me partenaire dans 18 projets européens depuis 1998.

Les résultats La mise au point d'outils Gouy-en-Josas, Tours et Toulouse) constitue une étape initiale déterminante pour mener de nom­breux projets de recherches dans de bonnes conditions. Les recherches àl'Inra ont per­mis de produire: - des anticorps monoclonaux spécifiques de la protéine prion, susceptibles de nom­breuses utilisations ou applications ; - des modèles animaux (murin, ovin), pour l'inoculation expérimentale dans des condi­tions très contrôlées ; - des souris transgéniques rendues beau­coup plus réceptives à l'infection par le prion (incubation plus courte) ; - des lignées de cultures cellulaires rendues également beaucoup plus sensibles à l'in­fection in vitro par les prions. En outre, les principaux résultats concer­nent la mise au point de protéine prion ovine recombinante, d'approches épidé­miologiques adaptées et typage molécu­laire à très grande échelle du gène PrP. Des projets de recherches ont été dévelop­pés à l'aide de ces outils afin de mieux comprendre la maladie et l'agent qui en est responsable. Ils ont abouti à des résul­tats qui ont fait l'objet, depuis 1995, de 80 publications scientifiques dans des revues internationales de premier niveau. Enfin, un effort particulièrement consé·" quent a été fait sur le développement et la mise en commun Il d'outils »de recherche et de plate-formes technologiques. Cet

effort concerne la mise en place d'anima­leries protégées de grandes tailles pouvant héberger des espèces modèles (souris) et agronomiques (encadré).

Les enseignements àtirer de la crise Afin d'améliorer notre réactivité face aux émergences, plusieurs enseignements peu­vent être tirés des récentes crises. Sur le plan scientifique, il est important de ren­forcer nos compétences en épidémiologie. C'est une discipline indispensable pour évaluer rapidement les conséquences potentielles liées à l'émergence d'une mal­

adie. Elle permet d'étudier l'incidence de la maladie, son évolution dans le temps, sa répartition géographique et d'analyser les facteurs de risque, les sources de contamination. L'analyse épidémiologique précoce des émergences pathologiques suppose un réseau opérationnel liant acteurs de ter­rain,pouv~irs publics et scientifiques. Elle repose aussi sur un réseau d'équipes d'épidémiologie spécialisée, maîtrisant parfaitement approche de terrain et modélisation mathématique. En France, les équipes de recherche en épidémiologie

~

L~éradicdtion de la tremblante ovine

Dès 1991, sollicité par les éleveurs de la race ovine Lacaune dont certains élevages de sélection étaient atteints de tremblante, puis confronté en 1993 à une épidémie spectaculaire de cette pathologie dans un de ses troupeaux ovins expérimentaux, l'Inra développe les recherches sur cette maladie à prions. Les ovins sont plus ou moins sensibles à la tremblante selon leurs caractéristiques génétiques (ce qui n'a pas été montré pOUr les bovins face à l'ESB). Avec le soutien de l'Institut de l'élevage et des sélectionneurs, les chercheurs de l'Inra et du GIE Laboge­na ont exploré cette variabilité génétique de la résistance à la tremblante à partir d'ob­servations réalisées en fermes et dans ses propres domaines expérimentaux. A partir de 1997, les chercheurs ont évalué le degré de sensibilité des animaux à la tremblante pour

une trentaine de races ovines. Ils ont aloo proposé un plan ambitieux de contrôle et d'é­radication de la tremblante dans les troupeaux français. Adopté par la Directi~ géné­rale de l'Alimentation (ministère en charge de l'Agriculture), ce plan de 5 ans bénéfi·

cie d'un soutien financier de 15 millions d'euros. Il repose sur [a détection et l'élimination des béliers reconnus génétiquement sensibles à la tremblante et leur remplacement par des béliers reconnus génétiquement résistants. En combinant les démarches géné­

tiques et sanitaires, l'éradication totale de la tremblante ovine en France est une per­

spective raisonnable pour l'avenir. Des dispositions semblables ont été prises au Royau­me-Uni et aux Pays-Bas, et la réglementation européenne prévoit la généralisation de la démarche d'ici quelques années.

Contacts scientifiques:'----------------i Jean-Mickel Eisen, [email protected]@.fr

Francis Barilll!t. [email protected]

50

n C

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Laboratoire d'études de la tremblante du mouton dans les locaux de l'Inra de Tours. Recoupe du cerveau d'une souris infectée par la tremblante.

. 0

c

Prpe : forme cellulaire non patho­ PrpsC: forme scrapie patholo­logi~e de la protéine prion gique de la protéine prion

Mise en évidence de la protéine PrPSC (forme pathologique de la pro­téine PrP) par immunohistochimie sur coupe de cerveau dépôts bruns de Prpsc et vacuolisation des prolongements des neurones.

a>- sont peu nombreuses par rapport à celles des pays européens les plus dyna­miques en la matière (Royaume-Uni, Pays­Bas, Danemark).

Associer recherche et veille sanitaire TI convient de faciliter les contacts entre la recherche et la surveillance pour deux rai­sons majeures : • rendre compatible l'observation détaillée de cas et la gestion du risque; • profiter des avancées les plus récentes des recherches en matière de diagnostic. La crise de l'ESB a été l'occasion d'une prise de conscience de l'importance du lien entre gestionnaire du risque, recherche et expertise, se traduisant par des conven­tions· formelles sur l'échange d'informa­

tion et de produits biologiques entre la DÇJAL, l'Inra et l'Mssa.

La surveillance devrait être organisée au minimum au niveau européen (les agents infectieux ne connaissent pas les frontières). C'est dans cet esprit qu'a été constitué le réseau d'excellence du 6' PCRD, MedVet­Net, coordonné par l'Afssa et regroupant un nombre conséquent d'agences au niveau européen. Les émergences ou ré-émergences patho­logiques restent une constante du paysage sanitaire européen, d'autant plus que celui­ci s'élargit à de nombreux pays de l'Est.

~ De nombreuses ressources en ligne dans les ({ dossiers d'information scientifique »,

rubrique ({ ESB -Santé animale» http://Wvvw.inra.fr/aetualitesIDOSSIERSlindex

t~ Dossier de presse ({ Installation nationale protégée pour la recherche sur les encéphalopathies spongi­formes transmissibles» http://www.inra.fr/lnternetIDireetionsIDIClPRESSElCOMMU­NIQUE~a3prionstourslsornrnaire

~~ Site du Courrier de l'environnement de l'Inra. rubrique ft la vache folle en ligne li ''''' http://www.inrafr/lntemetlProduitsldpenvlvchfoIOO.htm

Pour leur faire face, la crise de la vache fol­le a confirmé que la capacité de réaction était largement dépendante des moyens mis en œuvre et que les liens entretenus et for­malisés entre recherche, acteurs de terrain, agence d'expertise et gestionnaires du risque étaient les garants d'une bonne réactivité face aux questions nouvelles posées. ~

D'après un texte de : Jean-Michel EIsen. directeur scientifique Animal et Produits animaux et Gilles Aumont, chef du dépane­ment de Santé animale

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r--------------------------------------------.....

Une animalerie protégée à Tours pour étudier les maladies à prions

Pour étudier les maladies à prions chez les animaux de

rente, les chercheurs doivent travailler simultanément sur

les souris, les ovins et les bovin.s. Le recours aux espèces

modèles, la souris notamment, constitue une écono­

mie de temps et de moyens considérables. Néanmoins,

l'observation directe de l'infection espèce par espèce res­

te indispensable pour une ~eilleurecompréhension de

ces maladies et pour l'évaluation sdentifique des moyens

de prévention, de diagnostic ou de thérapie.

L:étude expérimentale des maladies à prions requiert des

installations protégées de dasse 3. ATours, sur le site Inra

de Nouzilly, une animalerie de ce type est en cours de

construction et doit s'achever fin 2006. Il s'agira de la

plus importante installation de ce type en France capa­

ble d'accueillir des gros animaux.

Le principe général de ce type d'installation est d'assu­

rer un contrôle complet de tout ce qui est susceptible

d'en sortir (air, échantillons pour analyse, déchets solides,

effluents liquides) et de garantir la sécurité des per­

sonnels qui y travaillent au moyen de protections adap­

tées. Pour atteindre_ces objectifs, l'atmosphère à l'intérieur du

bâtiment est maintenue en dépression, et les entrées

(personnel, animaux, matériels, aliments) se font via

des sas étanches. L'air circule donc de l'extérieur vers les

sas puis vers la zone confinée, et ne peut ressortir que

par un filtre capable d'arrêter tous les microorganis­

mes pathogènes et les poussières.

Les animaux, une fois rentrés dans le bâtiment ne peu­

vent en ressortir vivants. Les autopsies sont effectuées sur

place, les prélèvements de tissus ou d'organes qui d6i- .

vent être analysés dans des laboratoires extérieurs sor­

tent en emballage sécurisé.

Les déchets solides (carcasses d'animaux, restes d'ali­

ments, déjections solides, litière, petit matériel plas­

tique jetable) sont incinérés sur place et les effluents

. liquides (lisiers des animaux, eaux usées) subissent un

traitement thermique afin d'assurer leur décontamina­

tion.

L'ensemble des installations disponibles à Tours sera

accessible aux chercheurs des autres équipes de recher­

che travaillant sur les maladies à prions (AFSSA, CEA,

CNRS, Inserm, Institut Pasteur, Ecoles vétérinaires...).

L'investissement s'élève à 9,15 millions d'euros, financés

pour moitié par l'Etat (ministère de la Recherche,

GIS « Infections à prions »), pour un quart par la Région

Centre et pour un quart par le Département d'Indre-et-

Contacts scientifiques: JearrMkhel Eisen, [email protected]

Frédéric [email protected]

'--------------------------~.~----------------------'

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!

: Chronologie & dates clés

Février ..... 1985 : premier cas d'encéphalopathie spongiforme bovine (E8B) identifié en Angleterre.

Juillet 1988: première mesure d'interdiction des farines animales pour les ruminants en Angleterre.

Décembre 1989 : interdiction d'importer des farines de viandes Britaniques pour l'alimentation bovine.

Juillet 1990 : première interdiction des farines animales pour les bovins en France.

Février ..... 1991 : premier cas d' E8B en France.

Mars 1991 : en Angleterre, premier cas "Naif' 1 c'est à dire né après l'interdiction des farines.

Mars 1996 : en Angleterre, 10 personnes sont touchées par un nouveau variant de la MCJ. Embargo sur le bœuf britanique dans le reste de l'Europe.

Juillet. .....2000: quatre morts dues au v.MCJ dans le petit bourg anglais de

Queniborough

Août 2000 : 79 cas, dont 70 mortels, du v.MCJ en Angleterre, 2 morts et 1 cas supposé en France.

Janvier .... 2004 : 137 morts dues au v.MCJ en Angleterre.

,.

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ESB : un constat accablant

Entre 1981 et 1988 on estime qu'il a été consommé environ 675.000 vaches infectées de la Maladie de la vache folle avant que ne commencent à se manifester les symptômes de cette maladie. Actuellement, on peut consommer des morceaux d'animaux infectés, et peut-être même de la viande et du lait, considérés exempts du virus mortel, mais quipourraient être infectés.

Entre 1988 et 1996 ... et bien, toute l'Europe a consommé des animaux qui pouvaient être contaminés. Depuis 2001, jusqu'à fin décembre 2003, plus de 8 millions de tests ont été réalisés en France et ont abouti à 195 cas positifs

". !Après mars 1996, la CEE avait décrété un embargo sur les viandes bovines en provenance du Royaume-Uni, pourtant plusieurs milliers de tonnes de viande contaminée ont pu être importées en Europe malgré l'embargo! En 2002, la France a levé son embargo.

En 2004, l'éradication de l'ESB n'est pas encore totale. Le risqu~ d'être contaminé est certes moins important, mais subsiste toujours.

Le Professeur de Microbiologie Richard Lacey pense que, si le risque de consommer du lait de bêtes infectées semble être moins grand qu'avec la viande, le risque d'infection existe quand même.

Paul Brown, de l'institut National de santé des USA a dit également, dans la revue Médicale Britannique, qu'il existe la possibilité que le virus responsable de l'ESB puisse se transmettre aux êtres humains à travers les porcs et les poulets alimentés avec des nourritures infectées

Ce que l'on sait sur l'ESB

Peut-on dépister la maladie chez t'homme? On ne sait pas pour . l'instant détecter une personne malade avant les premiers signes

visibles de la maladie (paralysie, démence...).

Mange-t-on encore des animaux infectés? On sait que des animaux atteints, mais ne présentant pas de signes visibles de la maladie, peuvent passer dans l'alimentation humaine.

La cuisson de la viande peut·elle inactiver le prion? On sait que, en laboratoire, il est possible de diminuer d'un facteur significatif l'infectiosité du prion en le maintenant pendant environ 20 minutes à une température de 133°C et une pression de 3 bars. Bon appétit!

Peut-on soigner la maladie chez l'homme? On ne sait pas pour l' instant soigner la maladie de Creutzfeldt-Jakob, il n'existe aucun traitement.

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·../ ...

4.5 Etude de cas nOS: Un processus de décision face au risque lié à l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB)

Le premier cas d' ESB est officiellement constaté en France en 1991, alors que la Grande Bretagne présente une prévalence en forte croissance depuis 1986. Si les autorités sanitaires britanniques ont pris des mesures visant à réduire la propagation de cette épizootie à partir de 1988 et la France depuis 1990, l'ESB va déterminer une succession de décisions qui s'étaleront depuis cette date jusqu'à nos jours. A partir de 1997, la lutte contre l'ESB va se doubler d'une lutte contre sa transmission humaine sous forme du vMCJ, date qui marque la reconnaissance de ce nouveau problème de santé publique. Dès lors, toute nouvelle mesure prise contre l'ESB devient indissociable des objectifs de sécurité sanitaire qui lui sont attachés.

L'histoire de la sécurité sanitaire face au prion a donc débuté avant l'élaborationde la loi de 1998. C'est pourquoi l'étude de cas concernant la sécurisation des produits alimentaires susceptibles de transmettre l'agent de l'ESB se focalise sur la période postérieure à la promulgation de la loi. De plus, elle ne prétend pas rendre compte des nombreuses mesures prises, ni de toutes les fonctions assurées par les différentes institutions concernées pour réduire ce risque pour l'homme. La décision de levée de l'embargo contre la viande britannique a été retenue comme étant exemplaire à la fois d'un temps fort de cette période et durôle de l'acteur central institué par la loi de 1998, l'Afssa. De plus, cette question de la levée de l'embargo s s'étend sur plusieurs années, puisque d'une part, l'Afssa a organisé l'expertise de 1999 ainsi que celle de 2002 qui la révise et elle a, d'autre part, émis les deux avis conformément à ses prérogatives légales.

Cette étude de cas est donc pour l'essentiel centrée sur la fonction d'évaluation du risque que la loi a attribué à l'Afssa. Son intérêt réside dans la comparaison des processus d'évaluation du risque lié à la même question sur la levée éventuelle de l'embargo sur la viande britannique posée à 3 ans d'intervalle. Après avoir situé le problème auquel sont confrontés les pouvoirs publics, la partie descriptive exposera la procédure d'expertise et l'avis de l'Afssa de 1999, avec son impact décisionnel de non levée de l'embargo suivie de la procédure d'expertise et l'avis de l'Afssa de 2002 avec son impact décisionnel de levée de l'embargo. La seconde partie proposera une analyse comparative des procédures et portera en conclusion un jugement évaluatif sur la façon dont mission a été conduite et les questions que soulèvent une telle organisation de l'expertise.

4.5.1 Le problème

Le problème qui sera examiné par l'Afssa à deux reprises peut se résumer comme suit: la France, membre de l'UE, doit-elle traduire et appliquer sur le plan national la décision prise par la Commission européenne de lever l'embargo mis en place en 1996 sur les viandes britanniques? Cette question implique de fournir une réponse la plus précise possible à une question préalable, essentielle, de nature évaluative : les mesures de sécurisation prises par les autorités britanniques sont-elles de nature à rendre les viandes importées en France consommables par les Français?

Evaluation de l'application de la lai du 1e, juillet 1998 mai 2004 re/ative au renforcement de la veille et de la sécurité sanitaires

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La nature du problème posé est à la fois classique, s'agissant de procéder à une évaluation du risque des viandes britanniques sécurisées par un certain nombre de mesures, et singulier du fait que la décision qui en découlera n'a pas pour objectif de réduire le risque pour l'homme mais de ne pas l'augmenter.

4.5.2 Descriptif

4.5.2.1 La procédure de 1999

L'annonce faite en mars 1996 par le ministre de l'agriculture anglais d'un lien probable entre l'agent responsable de l'ESB et celui du vMCr, est à l'origine de l'embargo décrété par la communauté européenne sur les viandes britanniques. A cette date, le nombre de cas d'ESB cumulés au RU est de 167498, en Irlande (république) de 188, en France de 25, au Portugal de 55, en Suisse (hors UE) de 231. De plus, à la date de la mise en place de l'embargo, Il cas britanniques de vMCr et 1 cas français ont été diagnostiqués. A partir de l'année 1996 qui marque la transformation du problème bovin en problème potentiel de santé humaine et publique, de multiples mesures seront prises en France, au "Royaume Uni et au niveau communautaire pour réduire simultanément le risque d'E8B et de transmission du vMCr' Certaines mesures le seront en relation directe avec les connaissances scientifiques qui progressivement sont disponibles, d'autres sur la base d'hypothèses et donc en référence au principe de précaution.

La décision communautaire d'embargo du 27 mars 1996, sur la viande et les produits bovins en provenance du RU (décision de la Commission et du Comité vétérinaire permanent) a été prise à un moment où le différentiel de l'incidence de l'ESB et du vMCr entre, d'Une part le Royaume Uni et d'autre part les autres pays de l'Union européenne, était donc très important. Mais aucune évaluation du risque pour la santé humaine n'avait été faite à ce moment, ni au niveau communautaire ni dans aUCun pays de l'UE. Quelques mois plus tard, au sommet de Florence (juin 1996), les chefs d'Etat des 15 pays de l'Union européenne définissent et adoptent la procédure selon laquelle pourra s'effectuer la levée de l'embargo.

La Commission et le Comité vétérinaire permanent (CVP) ont établi les conditions de levée de l'embargo. Dans un 1er temps, le RU devra faire adopter par la commission un schéma technique d'exportation définissant les critères d'éligibilité des viandes destinées· à l'exportation. Dans un second temps, et après accord sur ce point, la commission décidera du moment où la levée de l'embargo sera effective, après vérification d'une application conforme du schéma technique. Plusieurs propositions britanniques sont examinées et rejetées avant que ne soit présenté à la Commission le schéma DBES (Date Based Export Scheme ou régime d'exportation fondé sur la date) qui limite l'exportation à des animaux:

Nés après le 1er août 1996 (date considérée comme celle de l'application effective de la suppression de farines animales dans la nourriture des bovins) .

Clairement identifiable tout au long de leur vie.

Agés de 6 mois au moins et de 30 mois au plus.

Dont la mère a vécu au moins 6 mois après la naissance et n'a pas été atteinte d'ESB.

Abattus dans un établissement agréé (garantie de retrait correctement effectué des matériaux à risques spécifiés (MRS), garantie de traçabilité des viandes).

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Dont les viandes ont été désossées et dénervées.

Avant d'être validé, le projet DBES est soumis au CSD (comité scientifique directeur) en février 1998. Une inspection par l'office alimentaire et vétérinaire (DAV) du dispositif britannique est réalisée avant que le CVP ne soit saisi en novembre 1998 par la commission d'un projet de levée de l'embargo. Après vote dont il ne sort aucune majorité, la commission décide le 25/11198 la levée (ce que les textes l'autorisent à faire) sachant qu'elle ne sera effective qu'après une ultime inspection (qui aura lieu en avril 99). La France s'est abstenue lors du vote, abstention qu'elle justifie par ses doutes sur l'application effective du DBES, plus que sur sa pertinence.

Le 2317199, la Commission (démissionnaire) fixe la date de la levée de l'embargo au 1er août 1999, la France devant s'y confonner. L'Afssa, qui vient d'être mise en place, impose de subordonner la signature de l'arrêté de levée à son avis, comme le prévoit la loi, et mandate le comité Donnont (unique expertise nationale en matière de prions) pour réaliser une expertise évaluant le risque du protocole DBES. Celui-ci formule au terme de son expertise 4 remarques critiques:

Il n'y a pas d'exclusion des bovins appartenant à un troupeau dans lequel il y a eu un cas d'ESB (condition existant pour l'Irlande).

L'élimination des MRS ne peut être considérée comme totalement efficace car la distribution de l'infectiosité dans l'organisme reste insuffisamment connue.

La sélection des animaux nés après l'interdiction des farines de viandes et d'os et sans risque de transmission verticale n'élimine pas tout risque puisque l'existence d'une troisième voie de . contamination ne peut être écartée.

La fiabilité du système mis en place n'est pas démontrée notamment la traçabilité des produits dérivés fabriqués à base de viande anglaise (notamment ceux transitant par d'autres pays membres). .

Les données disponibles ne permettant pas d'estimer la prévalence de l'infection chez les animaux éligibles, le comité se limite à énoncer en conclusion que « le risque que la Grande Bretagne exporte des viandes de bovins contaminés ne peut être considéré comme totalement maîtrisé». Il n'y a pas eu de tentative d'estimation quantitative du risque résiduel d'exportation de viandes potentiellement infectieuses, ni de comparaison chiffrée entre le risque présenté par la viande anglaise soumise au DBES et le risque présenté par la viande produite en France ou ailleurs. L'Afssa reprend à son compte les remarques et les conclusions du comité Donnont et formule un avis négatif à la levée de l'embargo en indiquant que le . groupe d'experts « a procédé à l'évaluation des risques à partir des données disponibles ». Le gouvernement suit l'avis négatif de l'Afssa et décide de ne pas lever l'embargo.

4.5.2.2 La procédure de 2002

La France, menacée de contentieux par la Commission européenne, décide en juin 2002 par l'intennédiaire des ministres de l'agriculture, de la santé et de la consommation, de saisir l'Afssa afin d'évaluer de façon comparative les risques des viandes et produits bovins britanniques éligibles au DBES et français. Cette évaluation comparative se devait d'établir dans quelle mesure les niveaux de sécurité des viandes et produits bovins respectifs

différaient. Sont explicitement demandés une qualification et une quantification du risque.

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Entre 1999 et 2002, la France a mis en place un dépistage systématique des bovins âgés de plus de 24 mois à l'entrée de la chaîne alimentaire (plus de 2 millions de tests par an), alors que le Royaume Uni (RU) n'a lui effectué qu'un programme expérimental sur 28 815 animaux. Il faut noter qu'en Europe, en 2002, seules l'Allemagne et l'Italie ont -adopté la stratégie de dépistage systématique (à partir de 24 mois). Sur le plan épidémiologique, la situation a évolué dans les deux pays dans le même sens, celui de la décroissance des cas d'ESB diagnostiqués, avec toujours un différentiel important, bien qu'en forte régression: en 1999, l'écart (sur la base de la surveillance clinique qui était commune aux 2 pays) était d'un facteur 300 (650 cas/million de bovins au RU, contre 2 cas/million en France), il n'est plus en 2002 que d'Un facteur allant de 7 à 10 (la France ayant un recensement des cas quasi exhaustif du fait du dépistage par des tests dotés d'une sensibilité connue).

Le comité d'experts désigné dispose donc pour répondre à cette question precise sur le différentiel de risque de données de nature différentes (en termes de cas diagnostiquées par la surveillance clinique et active). Pour contourner cet obstacle, l'estimation quantifiée du risque sera calculée en France sur la base des données observées, tandis qu'elle sera le fruit d'une. modélisation utilisant des données partielles pour le RU. En fait, compte tenu de l'ignorance toujours présente quant à la « dose minimale infectieuse pour l'homme », les résultats vont se borner à préciser qualitativement le niveau d'exposition et non quantifier le risque qui en découle. Le calcul qui vise donc à estimer indirectement le risque résiduel dans les deux pays (à partir du nombre d'animaux infectés entrant dans la chaîne alimentaire) en tenant compte des stratégies différentes de sécurisation, aboutit aux résultats suivants : 0,42 par million de bovins pourla France, 2,42/million pour le RU en ce qui concerne les bovins âgés de 6 à 30 mois, nombre qui passerait à O,IS/million pour les bovins de 6 à 24 mois. Le comité d'experts conclu qu'au plus 1 animal sur 412000 éligibles au DBES serait susceptible d'être infectieux (et donc consommé) contre 1 sur les 2,3 millions d'animaux abattus en France et testés négativement, soit un risque relatif pour les bovins du RU de 6.

Plusieurs éclaircissements viennent compléter· ces résultats afin d'en interpréter la signification en termes d'impact sur le consommateur français. La comparaison du risque ou de l'exposition ne peut pas être calculée uniquement sur la base de la prévalence observée ou estimée. Les interrogations émises lors de l'expertise de 1999 quant aux connaissances scientifiques sur lesquelles se fondaient le DBES n'ont pas été remises en cause (existence éventuelle d'une 3ème voie, infectiosité de tissus comme le muscle). Plus important est le fait que l'estimation de 1/412 000 bovins infectieux éligibles au DBES est considérée comme négligeable si l'on tient compte du niveau d'importation de viandes du RU, probablement inférieure à ce nombre. Dans les conclusions de l'avis de l'Afssa qui reprend les conclusions des experts, le DG de l'Afssa termine en énonçant que « les estimations ne permettent pas de conclure avec le même degré de certitude, à la stricte équivalence, des niveaux de sécurité ... Pour autant, l'analyse effectuée par le comité d'experts autorise à considérer que la différence entre les risques résiduels aurait un impact négligeable sur l'exposition des consommateurs français ». En conséquence, il considère que désormais, la possibilité d'importer des viandes britanniques ne serait pas de nature à remettre en cause le niveau de . sécurité actuellement garanti au consommateur français. L'avis sera suivi par le gouvernement qui décide la levée de l'embargo sur les viandes en provenance du RU.

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4.5.3 Analyse

L'analyse sera centrée sur les processus d'expertise et sur leur organisation par l'acteur qui en a la charge, l'Afssa. Il faut néanmoins garder présent à l'esprit certains éléments du contexte qui pennettent sinon d'expliquer à elles seules certaines différences constatées, du moins de les pondérer. Ainsi, faut-il tenir compte en comparant les expertises de 1999 et de 2002 du contexte social plus apaisé en matière de perception du risque en France en 2002, de l'expérience acquise par l'Afssa qui en 1999 produisait son premier avis, de la décroissance de l'épizootie d'ESB (au RU et en France) et des prévisions aujourd'hui bien moins alarmantes en termes de cas humains de vMCJ. Si toutes ces évolutions jouent un rôle évident, c'est en fait surtout sur la décision elle-même qu'elles auraient dû s'exercer, et non sur l'expertise et sur son organisation. Aussi, l'analyse portera sur les différentes étapes communes aux deux expertises en faisant apparaître les différences et leurs impacts: la question posée aux comités d'experts; les méthodes et arguments utilisés; la continuité entre résultats et conclusions des experts; les avis de l'Afssa et leur poids respectif sur la décision finale.

Les questions posées aux experts en 1999 et en 2002 sont fondamentalement différentes, tant en termes de contenu que d'adéquation entre les compétences des experts sollicités et la nature de la question. En 1999, la question était implicite et avait été (re)formulée par le DG d~ l'agence sous la forme «Peut-on lever l'embargo comme le demande la Commission et le prévoit le projet d'arrêté? ». Les conditions singulières de la saisine de l'Afssa expliquent en grande partie que la question se résumait à une validation de la signature· imminente de l'arrêté l'autorisant: son avis n'avait pas été prévu, donc n'avait été ni préparé dans sa forme, ni organisé selon une procédure adaptée. C'est donc sous une forme à la fois binaire (oui/non) et portant sur sa finalité ultime (l'arrêté) que la question se pose aux experts qui vont se trouver quasiment en position de juger le bien fondé d'une décision de gestion du risque. A leur décharge, il faut rappeler que depuis 1996, le comité interministériel sur les ESST (ou comité Dormont) cumulait les fonctions d'expertise et de gestion du risque sans que personne n'y trouve matière à discussion. En tennes d'adéquation, les experts sollicités, biologistes, virologistes et épidémiologistes, s'éloignaient largement de leur zone de compétence: non seulement il ne leur était pas demandé explicitement d'estimer le risque de la viande sécurisée selon le DBES (et encore moins de le comparer au risque de la viande française), mais de plus, ils n'étaient pas en mesure de prendre en compte les autres dimensions (politiques, sociales, juridiques) sur lesquelles doit se fonder une décision. Néanmoins ils reformulent la question proprement scientifique sous la forme suivante: « Existe-t-il un risque résiduel d'importer de la viande du RU sous DBES ? ». Ils limitent leur réponse· à une estimation qualitative positive : la viande britannique présente bien un sur risque que la levée de l'embargo concrétiserait, estimation fondée sur la base du différentiel de prévalence de l'ESB et sur l 'hypothèse d'une application imparfaite du DBES.

En comparaison, les questions posées au comité d'experts en 2002 sont claires, précises et en adéquation avec leurs compétences. Il leur est demandé d'estimer de façon quantifiée, en fonction des mesures d'âge du DBES (6 à 30 mois) et de la stratégie française (dépistage à partir de 24 mois) la probabilité qu'un animal infecté puisse entrer dans la chaîne alimentaire. S'y ajoutent d'autres questions plus spécifiques (estimer l'impact potentiel sur l'exposition du consommateur des animaux de 24 à 30 mois abattus au RU, l'impact de l'application d'autres mesures comme le retrait des MRS), elles s'avéreront sans réelle incidence sur la réponse à la principale question. Cette estimation comparée est calculée sur la base des données existantes

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et de certaines hypothèses jugées confonnes aux faits établis. Il n'est plus question ICI

d'évoquer des hypothèses infondées auxquelles nul ne peut répondre, ou de se focaliser sur le différentiel de prévalence qui ne tient aucun compte des mesures qui visent à réduire l'exposition du consommateur.

Les méthodes utilisées en 1999 et 2002 sont profondément différentes à l'image des questions posées. En 1999 la méthode est essentiellement qualitative et fondée sur la prévalence de l'ESB au RU qui représente l'argument central. Ce n'est ni une estimation comparative de l'exposition des consommateurs français qui est réalisée, ni une estimation du ri.sque lui même qui reste hors de portée. L'accent était mis sur des dimensions inconnues (3 cmc voie, qualité inconnue de l'application des mesures de retrait des MRS, infectiosité inconnue de certains tissus comme le muscle) et sur la nécessaire prudence (référence est faite au principe de précaution) qui devrait découler de cette ignorance. En 2002, ces dimensions n'entrent plus en considération dans la mesure ou aucune donnée scientifique depuis 2 ans n'est venue les étayer, et la même méthode est appliquée pour estimer le risque résiduel propre à chacun des deux pays. Le fait que dans le cas britannique la quasi absence de diagnostic actif (test) a rendu nécessaire de recourir à la modélisation n'a pas représenté un obstacle insurmontable, l'incertitude la caractérisant ayant été quantifiée et laissée à l'appréciation des gestionnaires du risque.

Les conclusions de l'expertise sont également différentes et pas seulement en termes de contenu mais aussi de nature. En 1999, la principale conclusion «le risque que la Grande. Bretagne exporte des viandes de bovins contaminés ne peut être considéré comme totalement maîtrisé» est à la fois juste, ouverte à l'interprétation et reflétant ooe conception du risque comme «tout ou rien ». Les conclusions de 2002, d'une part confirme cet énoncé, le risque existe, mais le relativise en ajoutant qu'il existe également au niveau français (même si il est moindre) et que c'est bien le différentiel qui peut être considéré comme négligeable. Là se situe l'apport de la quantification du risque sans laquelle tout risque en seraitun à maîtriser· jusqu'à sa suppression (risque zéro 1).

Les deux avis de r Afssa qui prolongent les expertises de 1999 et 2002 et déterminent les décisions soulèvent plusieurs questions.

L'organisation des expertises et leur impact sur les avis rendus. Face à un même problème, la question posée différemment aux experts en 1999 et 2002 a conduit àdes conclusions différentes: en 1999, il est admis qu'un risque supplémentaire existait alors qu'en 2002, le différentiel d'exposition n'est plus considéré comme étant significatif en termes de risque pour le consommateur français. L'avis qui les prolonge se justifie moins par un souci de fidélité aux conclusions de l'expertise, que dans les conditions contextuelles qui entourent la période. En 1999, reprendre dans l'avis final l'énoncé des experts (il subsiste un risque), sans le relativiser, impliquait qu'une levée de l'embargo augmenterait le risque du consommateur français en sachant que cela serait considéré comme inacceptable. Pourtant, les multiples expertises réalisées au niveau communautaire auraient pu être mobilisées pour en atténuer la portée. Mais la crédibilité de la toute jeune Afssa en aurait été probablement compromise: qu'aurait été sa crédibilité si son avis s'était limité à la simple validation d'un choix établi antérieurement par d'autres acteurs? Dans l'avis de 2002, le contexte a changé, tant sur le plan de l'épizootie que sur la nécessité d'existence de l'Afssa. Non seulement en 2002 l'agence est reconnue, mais de plus elle n'est plus en concurrence ni confrontée à un besoin d'existence.

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