mÉmoire & vigilance isÈre editorial - afmd.asso.fr · agissant dans l’ombre nécessaire à...

12
Directeur de la publication : Michel RAHON - Réalisation : Imprimerie GRAFI MÉMOIRE & VIGILANCE EN ISÈRE Bulletin semestriel de l’AFMD Isère Maison des associations - Boîte n°69 - 6, rue Berthe de Boissieux - 38000 Grenoble Editorial ASSURER ENSEMBLE LA DÉFENSE DES VALEURS DE LA FNDIRP ET DE LA FMD par Michel RAHON, Président AFMD Isère C’est avec une grande satisfaction que j’ai lu l’éditorial du Patriote Résistant national du mois d’octobre 2012, journal édité par la Fédération Nationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes (F.N.D.I.R.P), plus particu- lièrement la conclusion de Robert Créange, le secrétaire national de la F.N.D.I.R.P. Je le cite : “Notre devoir est de tout faire pour que demeure l’essentiel : la poursuite de nos combats pour les idéaux qui ont toujours été les nôtres, qui le restent, qui sont ceux de la Fondation et de l’Association des Amis : la lutte contre le négationnisme, le racisme, quelle que soit la forme qu’il prenne, pour le respect de l’autre, le droit à la différence, la défense de la paix, et l’enseignement aux nouvelles générations de ce que furent la résistance et déportation, pour qu’elles tirent les leçons qui permettront de construire la France, l’Europe et le monde dont nous avons toujours rêvé”. Cet éditorial confère à la Fondation et par conséquent à l’Association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation de grandes responsabilités et un immense travail. L’AFMD Isère est depuis longtemps en phase avec les valeurs de la F.N.D.I.R.P, il suffirait de reprendre les rapports d’activités de ces dernières années votées en assemblée générale. Mais pour l’heure le bilan d’une partie des actions de l’AFMD Isère 2012 ainsi que les articles de ce bulletin montrent bien que nous avons engagé le travail sur les valeurs qui sont chères à la F.N.D.I.R.P. Faisons un tour d’horizon de nos projets, travaux et actions Concernant l’enseignement aux nouvelles générations : - Participation à l’élaboration du sujet académique du concours de la résistance et de la déportation 2012, - Conférences auprès de 800 lycéens et collégiens organisées dans le cadre de la semaine “Mémoires et Résistances” en partenariat avec la ville de Seyssins, l’association des Amis du Musée de la Résistance et de la Déportation, l’Association des Anciens Combattants de la Résistance et les amis de l’ANACR avec la participation de Marie-Jo Chombart de Lauwe, présidente de la Fondation et Roger Bordage, président du comité international du camp de Sachsenhausen sur le thème du concours, - Réédition du livret “Struthof, après l’ère des témoins”: à ce jour plus 1500 livrets diffusés ou vendus notamment au Centre Européen du Résistant Déporté au Struthof, - Edition pour la fin 2012 de 1000 livrets “Buchenwald, après l’ère des témoins”, - Conception d’un nouveau livret “Ravensbrück, après l’ère des témoins”, …/… Sommaire RÉSISTER EN ISÈRE DE 1940 À 1944 2 à 4 Sociologie et motivations des résistants-es ECHOS DE L ’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE PÉRIGUEUX 5 L'EXTRÈME DROITE RESSURGIT EN EUROPE6 RASSEMBLEMENT CITOYEN SUR LE PLATEAU DES GLIÈRES LES 26 ET 27 MAI 2012 7 à 8 L’AFMD ET L ACTUALITÉ DU PROGRAMME DU CNR 8 à 9 UNE PLAQUE “MARIE-CLAUDE V AILLANT -COUTURIERAU CAMP DE RAVENSBRÜCK 10 JUSTES DE L ’ISÈRE 11 une exposition organisée par le MRDI NOTES DE LECTURE 11 Hammerstein ou l’Intransigeance BULLETIN DADHÉSION 12 Bulletin n° 19 2 ème semestre 2012

Upload: dangngoc

Post on 14-Sep-2018

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Directeur de la publication : Michel RAHON - Réalisation : Imprimerie GRAFI

MÉMOIRE & VIGILANCEEN ISÈRE

Bulletin semestriel de l’AFMD IsèreMaison des associations - Boîte n°69 - 6, rue Berthe de Boissieux - 38000 Grenoble

EditorialASSURER ENSEMBLE LA DÉFENSE DES VALEURS

DE LA FNDIRP ET DE LA FMDpar Michel RAHON, Président AFMD Isère

C’est avec une grande satisfaction que j’ai lu l’éditorial du Patriote Résistantnational du mois d’octobre 2012, journal édité par la Fédération Nationaledes Déportés, Internés, Résistants et Patriotes (F.N.D.I.R.P), plus particu-lièrement la conclusion de Robert Créange, le secrétaire national de laF.N.D.I.R.P. Je le cite : “Notre devoir est de tout faire pour que demeure l’essentiel : lapoursuite de nos combats pour les idéaux qui ont toujours été les nôtres, quile restent, qui sont ceux de la Fondation et de l’Association des Amis : la luttecontre le négationnisme, le racisme, quelle que soit la forme qu’il prenne, pourle respect de l’autre, le droit à la différence, la défense de la paix, et l’enseignementaux nouvelles générations de ce que furent la résistance et déportation, pourqu’elles tirent les leçons qui permettront de construire la France, l’Europe etle monde dont nous avons toujours rêvé”.Cet éditorial confère à la Fondation et par conséquent à l’Association des Amisde la Fondation pour la Mémoire de la Déportation de grandes responsabilitéset un immense travail.L’AFMD Isère est depuis longtemps en phase avec les valeurs de laF.N.D.I.R.P, il suffirait de reprendre les rapports d’activités de ces dernièresannées votées en assemblée générale. Mais pour l’heure le bilan d’une partiedes actions de l’AFMD Isère 2012 ainsi que les articles de ce bulletin montrentbien que nous avons engagé le travail sur les valeurs qui sont chères à laF.N.D.I.R.P. Faisons un tour d’horizon de nos projets, travaux et actions

Concernant l’enseignement aux nouvelles générations : - Participation à l’élaboration du sujet académique du concours de la

résistance et de la déportation 2012, - Conférences auprès de 800 lycéens et collégiens organisées dans le cadre de

la semaine “Mémoires et Résistances” en partenariat avec la ville de Seyssins,l’association des Amis du Musée de la Résistance et de la Déportation,l’Association des Anciens Combattants de la Résistance et les amis de l’ANACRavec la participation de Marie-Jo Chombart de Lauwe, présidente de la Fondationet Roger Bordage, président du comité international du camp de Sachsenhausensur le thème du concours,

- Réédition du livret “Struthof, après l’ère des témoins”: à ce jour plus 1500livrets diffusés ou vendus notamment au Centre Européen du Résistant Déportéau Struthof,

- Edition pour la fin 2012 de 1000 livrets “Buchenwald, après l’ère des témoins”,- Conception d’un nouveau livret “Ravensbrück, après l’ère des témoins”,

…/…

Som

mai

re

RÉSISTER EN ISÈREDE 1940 À 1944 2 à 4Sociologie et motivations des résistants-es

ECHOS DE L’ASSEMBLÉEGÉNÉRALE DE PÉRIGUEUX 5

L'EXTRÈME DROITE RESSURGITEN EUROPE… 6

RASSEMBLEMENT CITOYENSUR LE PLATEAU DES GLIÈRESLES 26 ET 27 MAI 2012 7 à 8

L’AFMD ET L’ACTUALITÉ DUPROGRAMME DU CNR 8 à 9

UNE PLAQUE “MARIE-CLAUDEVAILLANT -COUTURIER” AUCAMP DE RAVENSBRÜCK 10

JUSTES DE L’ISÈRE 11une exposition organisée par le MRDI

NOTES DE LECTURE 11Hammerstein ou l’Intransigeance

BULLETIN D’ADHÉSION 12

Bulletin n° 192ème semestre 2012

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 1

2 Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°19

Résister en Isère de1940 à 19441

Sociologie et motivations des résistants-es

par Michèle Gabert, historienne, secrétaire nationale de l’AFMD,

secrétaire de l’AFMD Isère

Editosuite

…/…

- Participation de 300 jeunes élèves de CM2 auxateliers du Musée de la Résistance et de laDéportation de l’Isère pour écouter les histoiresde résistants et déportés que l’AFMD a demandéà l’artiste Claudie Rajon de conter.- Dans ce bulletin, les publications de l’articlesur la sociologie des résistants en Isère deMichèle Gabert, secrétaire nationale de l’AFMD,docteur en histoire, et de l’article sur le ConseilNational de La Résistance préfigurant le70ème anniversaire de celui-ci, par OlivierVallade, historien. Concernant la vigilance : la lutte contre leracisme et le négationnisme- Participation de l’AFMD au rassemblementcitoyen au plateau des Glières, où il a été questionde solidarité, de la Charte des Nations Unies, dela Déclaration Universelle des Droits de l’Hommedont l’article 1er stipule que “tous les êtres humainsnaissent libres et égaux en dignité et en droits”,des Conventions de Genève sur le Droit Internatio-nal Humanitaire et des autres traités internatio-naux, de réflexion sur l’Europe, le Monde, - Projection /débat du film “Des Français sanshistoires” pendant la semaine “Mémoires etRésistances”, débat auquel ont assisté des gitanset des gens du voyage avec Raymond Gurême etla famille Jussi au mois de Mars, - Dans ce bulletin, la publication de l’article deJean Paul Giroud, membre du bureau départe-mental sur la montée des groupes, partis d’extrêmedroite et néo nazis en Europe.Depuis sa création l’AFMD Isère n’a cessé dedire mais surtout de prouver par ses actions etses projets son attachement aux valeurs défenduespar la F.NDIRP.

Pour l’avenir, les déportés de la F.N.D.I.R.Pont créé, dès 1990, la Fondation pour laMémoire de la Déportation. Alors sans crainte, chers déportés, chers amiset chers camarades de la F.ND.I.R.P soyezconfiants car nous sommes responsables etgarants des valeurs que vous avez toujoursdéfendues et que vous nous avez transmises . Nous devons les promouvoir ensemble.Familles et amis de la F.N.D.I.R.P, rejoignez-nous, nous avons besoin de votre expériencede militants de la mémoire pour construiredes projets.

Maquis du Vercors, groupes de la MOI (Main d’Œuvre Immigrée) dans lesvilles…; explosion du polygone d’artillerie à Grenoble, voies ferrées sabotéesdans tout le département, gare de triage de La Buisseratte plastiquée, fabricationet distribution de la presse clandestine, hébergements de Juifs, de Résistants…:les lieux et les formes d’actions de la Résistance sont bien connus. Ceux quiont exécuté ces dernières le sont souvent moins, parce que nombreux etagissant dans l’ombre nécessaire à l’illégalité de leurs actes. Les hommes et les femmes qui se sont engagés dans le combat résistant dansle département de l’Isère peuvent être connus grâce aux témoignages dessurvivants bien sûr. Mais cette source ne donne qu’une vision fragmentairede la population résistante. Les archives de la police sont indigentes, ce quiprouve l’efficacité de la clandestinité. Restent les archives des mouvements,des réseaux et les dossiers CVR (Combattant Volontaire de la Résistance)2.C’est en croisant toutes ces sources que l’historien connaît la sociologie desRésistants. C’est par l’interview et la lecture de leurs écrits que sont connuesleurs motivations d’entrée dans la Résistance.

Une approche quantitative générale, sur les quatre années de combat, montreen Isère une minorité3 urbaine, masculine, jeune. La chronologie est nécessairepour cerner au plus près les différentes vagues de résistants.

1940-1941 : le temps des bâtisseursLes résistants sont alors peu nombreux, moins d’une centaine en 1940, le doubleen 1941, d’après les dossiers CVR. Ce sont essentiellement des urbains, desmembres des professions libérales, des ingénieurs, des cadres et des militaires4.

Des militaires, des ingénieurs et des cadres, ce recrutement pourrait surprendretant il est éloigné de l’image d’une résistance ouvrière, mais il s’expliquepar la place et le rôle de chacune de ces catégories. Seuls des militaires pouvaientadopter une position de résistance à la situation dans l’optique de poursuivrele combat, comme les y invita d’ailleurs le général De Gaulle dans son allocu-tion du 18 juin 1940. Seuls les ingénieurs et les cadres pouvaient influer surla production de guerre. La classe politique aurait pu prendre une pareilleposition, mais aucun appel de cette nature ne vit le jour dans l’été 40.

…/…

1 Pour une étude détaillée voir : Michèle Gabert, Entrés en Résistance, Isère, des hommes et des femmes dansla Résistance, PUG, 2000.2 Combattant Volontaire de la Résistance, titre attribué aux personnes qui en ont fait la demande auprès del’Office Départementale des Anciens Combattants en apportant la preuve de leur activité dans la Résistance.3 Il est vain d’espérer qu’un chiffre exact du nombre de résistants puisse jamais être fourni. L’histoire quantitativea des limites. Mais tous les historiens s’accordent pour dire que les résistants furent une minorité.4 Résultat obtenu par comparaison des pourcentages respectifs de chaque catégorie socioprofessionnelle concernéeà leur place réelle dans la population active de l’époque. L’étude quantitative met en évidence les caractèresgénéraux et gomme les cas individuels. Il y eut, bien sûr, des ouvriers parmi les précurseurs.

COLL. AFMD ISÈRE

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 2

Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°19 3

…/…

L’engagement des politiques fut individuel, à l’image du votedes députés SFIO (Section Française de l’InternationaleOuvrière) de l’Isère, Léon Martin, Séraphin Buisset et LucienHussel, qui refusèrent de voter les pleins pouvoirs à Pétain le10 juillet 1940.La plupart de ces bâtisseurs sont des hommes dans la maturité,puisque plus de la moitié d’entre eux a plus de 30 ans. Ce sontessentiellement des urbains et plus de la moitié est originairede Grenoble. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette pré-pondérance. Le chef-lieu du département était un ancien fiefsocialiste. L’ancien maire SFIO, le député Léon Martin, constituarapidement un petit groupe de réflexion qui s’étoffa en 1941.Le deuxième facteur est d’ordre militaire. Grenoble était uneimportante ville de garnison qui abritait les casernes de plusieursrégiments et l’important Parc d’artillerie. C’était enfin une villeuniversitaire. Les premiers résistants se recrutèrent égalementparmi les professeurs et les étudiants, les uns et les autres souventpréalablement engagés dans la lutte antifasciste.Ces précurseurs se regroupèrent “par connaissance, par affinitéspolitiques. Trouver quelques copains pour former un noyau etl’élargir dans la mesure de nos amitiés politiques”5. Pour certains,le refus s’inscrivit dans la poursuite d’un combat antifasciste initiéavec la guerre d’Espagne comme pour Pierre Fugain : “La luttecontre les nazis me parait élémentaire”6. Les prises de positioncontre Pétain émanaient essentiellement des antifascistes d’avantguerre. Elles furent le fait d’hommes, et de quelques femmes.René Gosse en est la parfaite illustration. Antifasciste desannées 30, Vichy le révoqua en décembre 1940 de toutes sesfonctions, après qu’il eut ainsi exhorté ses étudiants, lors de laséance d’ouverture des cours de l’Ecole Polytechnique : “Vos aînésont choisi librement leur carrière, mais à vous une seule passions’impose : la Libération de la France”7. A son image, l’universitéde Grenoble devint très vite un pôle de résistance à Vichy.Cette opposition politique se retrouve chez certains communistes,bien que leur analyse, à l’époque, restât confuse. Les militantscommunistes étaient en effet désorganisés par la répression et lacoupure d’avec les organes centraux du parti. Les engagementsfurent le fait d’individus, tel Pierre Fugain qui refusa de seconstituer prisonnier sur parole, déserta et entra dans le combatrésistant dès l’été 1940. Ces oppositions politiques conduisirent à la construction desprincipaux mouvements de résistance du département aucours de l’automne et de l’hiver 1941 qui virent apparaîtreFront National, Combat, Libération et Franc-Tireur.

1942 : l’année charnièreLe recrutement s’étoffe, l’éventail des catégories socioprofes-sionnelles s’ouvre : deux événements permettent d’expliquer ce

développement. L’arrivée des Allemands en zone sud d’abord,consécutivement au débarquement des Alliés en Afrique duNord, produisit un choc profond. Jusqu’alors, l’absence del’occupant avait pu laisser croire aux Français de la zone dite“libre” qu’ils vivaient dans une relative normalité. L’invasionde la zone non occupée brisa cette image. Dans le départementde l’Isère, selon les accords d’armistice, ce furent les Italiens quioccupèrent la majeure partie du territoire. Les habitants de larégion de Vienne connurent, en revanche, la présence allemande.Ensuite, la mise en place de la Relève puis, en fin d’année, lapublication des premières mesures sur le service du travailobligatoire (S.T.O), bousculèrent l’ensemble des Français. LaRésistance fut étoffée par ces événements et les conséquencesqu’ils entraînèrent.1942 est également une année charnière par le nombrepuisque le recrutement devint régulier, augmentant chaquemois la troupe des illégaux. Ce rythme s’accéléra au mois denovembre par le doublement des effectifs, consécutif auxmesures sur le S.T.O. Une année charnière par le renouvelle-ment de la population résistante également, l’arrivée des jeunesbousculant sa composition : plus de 40 % des nouveaux arrivéssont dans les tranches d’âge 15-30 ans.Concomitamment, la géographie du recrutement connut uneextension. Les résistants proviennent toujours en majorité desvilles (67 %). Outre Grenoble, sont concernées Bourgoin, LaTour du pin, Vienne, Voiron et Vizille. Tous les cantons dudépartement sont représentés.De nouveaux chemins d’entrée dans la résistance apparaissent.Si dans les 18 mois précédents les bâtisseurs étaient dans unedémarche individuelle, à partir de 1942, les organisations“recrutent”, les nouveaux résistants disent tous qu’ils ont été“contactés par”.

1943-1944 : la levée en masse ?C’est au cours de ces 18 derniers mois que la résistance iséroiserecruta la majorité de ses troupes. Les mesures sur le STO etleurs corollaires : l’hébergement et le ravitaillement des réfrac-taires, puis l’imminence du débarquement, constituèrent lesdeux principaux moteurs du recrutement. Ce recrutement, malgréson développement, resta le fait d’une minorité, puisquemoins de 3000 personnes rejoignirent les rangs de la Résistance.Les nouveaux venus forment une population jeune, les troisquarts ayant moins de 30 ans. Le recrutement est dominé parle monde de l’usine et du bureau. Sur le plan géographique, lesvallées industrielles fournissent l’essentiel de la troupe.Les motivations d’entrée dans la Résistance se simplifient : ils’agit d’échapper au travail en Allemagne. Certains très jeunes,non concernés par le STO, rejoignirent pourtant le maquis,parfois pour retrouver un frère ou un copain.

…/…

FRANÇOIS AMOUDRUZ AU PLATEAU DES GLIÈRES 15 MAI 2011

COLL.AFMD 38

5 Interview de Pierre Jay, août 1991.6 Interview de Pierre Fugain, août 1991.7 Cité par Lucienne Gosse, René Gosse, 1883-1943, Bâtisseur de l’Université, Résistant des années noires, PUG, 1994.

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 3

…/…

Et les femmes ?Le lecteur non averti pourrait déduire à juste titre de ce quiprécède que la Résistance a été affaire d’hommes, puisque affaireessentiellement politique et militaire. Les femmes, alors, n’avaientpas d’existence politique, privées qu’elles étaient du droit devote, reléguées à la sphère privée, à la cuisine et aux soins desenfants. Exclues de la vie politique, elles ne le furent pourtantpas de la Résistance : elles constituèrent une minorité dans laminorité que furent les résistants : “elles furent admirables, nosfemmes” déclarent souvent les résistants dans un discours d’oùun certain paternalisme n’est pas absent.Dès 1940, quelques-unes s’engagèrent dans le refus du régime deVichy. En général plus âgées que les hommes, elles se recrutèrentdans des milieux parfois différents. Certaines sont issues desmêmes catégories socioprofessionnelles et partagent les mêmesmotivations. Marie Reynouard était professeur de lettres aulycée de jeunes filles de Grenoble. Elle s’engagea très tôt dansla clandestinité. Sa cuisine abrita la naissance du mouvementCombat. Antifasciste, elle mourut à Ravensbrück quelques moisavant la libération du camp. Marie Louise Buisson8, sur le plateaudu Vercors, fabriquait des faux papiers à la mairie, comme denombreuses autres secrétaires dans diverses administrations.Une des motivations, qu’elle partagea avec d’autres femmes,est originale : l’amour. C’est en effet par amour qu’elle aidason fiancé et entra ainsi dans la Résistance.A la Poste, les demoiselles du téléphone écoutaient les conver-sations, procurant ainsi de très nombreux renseignements auxdifférents réseaux. Les gardes barrières des chemins de fer,dont de nombreuses femmes informées des horaires précis ainsique de la nature des convois, permirent de nombreux sabotages.A l’image de Madame Cloître9, c’était leur patriotisme, forte-ment teinté d’hostilité aux Allemands, qui les conduisirent sur leschemins du renseignement.Les commerçantes pouvaient héberger des résistants, permettrela tenue de réunions secrètes. Certaines tenancières de barservaient de “boîte aux lettres”, permettant ainsi aux résistantsde transmettre ordres ou renseignements.

Plus original fut le recrutement de mères de famille, de femmesau foyer qui servirent la Résistance. Ainsi Madame Gonnet,mère de neuf enfants, fut l’instigatrice du mouvementLibération en 1941. Arrêtée en 1942, elle fut condamnée àdeux ans de prison avec sursis et rejoignit le maquis duGrésivaudan. D’autres femmes rejoignirent la Résistance “pouraider” comme Madame Joséphine Berthon10, mère de cinqenfants, qui recueillit et soigna des résistants blessés, ravitaillades maquis. Ou comme Yvonne Bonthoux11, qui, choquée devoir des enfants manger des épluchures de pomme de terre, àla préfecture, se lança, après avoir participé à une manifestation,aux côtés de son mari, dans le plasticage des industries ettransformateurs électriques….D’autres firent preuve de la même intrépidité. MoniqueRolland12, animée d’un fort sentiment “anti boche”, portait lesordres FTPF (Francs Tireurs et Partisans Français) dans tout ledépartement, pédalant inlassablement sur sa bicyclette.Geneviève Blum-Gayet13, jeune fille tranquille en apparence, sil’on en croit les rapports des renseignements généraux, futpourtant un agent essentiel pour le Vercors, parcourant, àpied, en train, la région sud est, portant des plis, transportantun appareil de transmission radio…

La paix revenue et le moment de la reconnaissance des actionsrésistantes venu, les femmes, plus que les hommes, rencontrèrentdes difficultés pour obtenir la carte CVR. La commission del’époque, chargée de statuer sur les dossiers déposés par lescandidats à la reconnaissance, était dominée par la stature d’uncertain résistant, misogyne, anticommuniste et anticlérical quiexclut ainsi de nombreuses femmes, d’anciens FTP et des clercs.L’historien rencontre ainsi, au cœur des archives, les freins à laconnaissance de la réalité des faits. Aux côtés des hommes et des femmes reconnus officiellement,il faut ajouter toutes celles et tous ceux qui, par leur action(hébergement, ravitaillement, distribution de la presse, detracts…), permirent le développement de la lutte et la participa-tion à la libération du territoire national. L’action est en effet essentielle pour définir la Résistance.

Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°174

8 Interview de Marie Louise Buisson, octobre 1991.9 Interview de Madame Cloître, octobre 1991.10 Interview de Joséphine Berthon, octobre 1991.11 Interview d’Yvonne Bonthoux, octobre 1991.12 Interview de Monique Rolland, novembre 1991.13 Interview de Geneviève Blum-Gayet, novembre 1991.

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 4

Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°19 5

Voici un rapide bilan du déroulement et des décisions prises aucours de cette assemblée générale.42 DT étaient représentées et 758 Amis ont participé au vote,soit directement soit par mandat.

Résultat des votes Rapport d’activité :- pour : 428 - contre : 34 - abstentions : 296Les différents rapports financiers ont été votés à l’unanimité.

Ont été élus au Conseil d’administration pour le tiers sortant :M. LamaÏ Becher, M. Roger Bordage, M. Eric Brossard, Mme Suzanne Charpentier, M. Serge Chupin, Mme Dorlayne Durel, M. Michel Rahon, M. Jean VionEt pour les nouvelles candidatures : Mme Claude Epaud, M. Christian Lambart, M. Théo Robichet.

Composition du bureau :Président : M. Serge Chupin Vice Président : M. André LassaguesVice présidente : Mme Françoise BuffaySecrétaire générale : Mme Michèle GabertSecrétaire général adjoint : M. Eric BrossardTrésorier : M. Henri WilkowskyTrésorier adjoint : M. Roger Gauvrit

Membres du bureau national :Mme Danielle Baron, M. Roger Bordage, M. Dominique Durand, Mme Dorlayne Durel, M. Serge Nail

Directeur de publication de Mémoire et Vigilance :M. Serge ChupinResponsable de rédaction : M. Dominique Durand.

Au lendemain de son élection, la nouvelle secrétaire généraleélue, Michèle Gabert, s’est adressée en ces termes à toutes lesDT : “Nouvelle secrétaire générale beaucoup d’entre vous neme connaissent pas. J’ai 64 ans, je suis retraitée après avoirenseigné 40 ans en tant qu’agrégée d’histoire, au lycée puisdans la formation des enseignants. J’ai en outre soutenu unethèse de doctorat d’histoire contemporaine sur la sociologiedes Résistants de l’Isère.Je suis secrétaire de l’AFMD de l’Isère.En tant que secrétaire générale, je suis au service del’Association et de chacune des délégations territoriales qui enaura besoin. Je vous salue ainsi que tous les membres de votrebureau en vous souhaitant bon courage et réussite dans vosprojets.”

L’assemblée générale annuelle de notre association s’est déroulée les 22, 23 et 24 juin 2012 à Périgueux en Dordogne.

Echos de l’Assemblée Générale de Périgueux

COLL. AFMD ISÈRE COLL. AFMD ISÈRE

COLL. AFMD ISÈRE

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 5

Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°196

L’extrême droite ressurgit en Europe…

Par Jean Paul Giroud,membre du bureau de l’AFMD Isère

Dans la plupart des pays européens, on assiste à la renaissancede partis extrémistes de droite et de ses corollaires, essentielle-ment depuis la chute du mur de Berlin et la fin des régimes poli-tiques des pays de l’Est.En outre, la crise économique qui favorise la xénophobie, lessentiments hostiles à l’immigration, les réactions identitaires,l’euroscepticisme face à la technocratie bruxelloise, n’arrangentpas les choses …Les pays socialistes constituaient, malgré leurs innombrablesdéfauts, un idéal pour beaucoup face à la mondialisationcapitaliste.

En Europe de l’EstEn Hongrie, le mouvement pour une meilleure Hongrie, ouver-tement fasciste, antisémite, ultranationaliste, crée des milices :La Garde Hongroise, rappelle tristement celle des CroixFléchées. Dans le même temps, Victor Orban, leader del’Union Civique Hongroise, installe une droite dure au pouvoiret revendique les territoires de la langue hongroise…En Roumanie, Le parti de la Grande Roumanie et en Bulgarie,le parti ATEKA , sont nationalistes, antisémites et anti-Roms.

En Europe de l’OuestEn Italie, La Ligue du Nord, populiste, a participé au gouver-nement Berlusconi et l’Alliance Nationale (ex M.S.I.) a fusionnéavec le Peuple de la liberté.En Belgique, le Bloc Flamand prône la séparation entre laFlandre et la Wallonie.Au Pays-Bas, le Parti pour la liberté, ouvertement d’extrême-droite, islamophobe, perdure.En Suisse, L’Union Démocratique du Centre s’oppose à touteimmigration maghrébine et s’avère le parti le plus à droite dela Confédération.

Dans les Pays Scandinaves, nullement épargnés, prospèrent lespartis populistes :Parti du Peuple DanoisParti Démocrate de SuèdeParti des vrais FinlandaisParti du Progrès (Norvège)En Autriche, le parti Pour la liberté de Jörg HAIDER (décédé),a participé au pouvoir avec la droite conservatrice.En Angleterre, le Parti National Britannique existe toujours.En Grèce, face à la crise que traverse le pays, Aube Dorée, prochedu nazisme, a fait son entrée au Parlement et forme des milicesanti-étrangers.En Allemagne, l’islamophobie gagne également du terrainet un nouveau parti a vu le jour : le Parti de la Liberté quiambitionne une progression sur l’ensemble du territoire national.

En FranceLe Front National, parti fascisant et populiste par excellence,prône la préférence nationale, s’oppose viscéralement àl’immigration, en particulier des pays de l’islam, s’oppose dansses discours à la mondialisation libérale qui crée des fluxmigratoires. Il est devenu, en frôlant les 20 % des suffrages, latroisième force du pays.De dangereux groupes s’activent dans cette mouvance :- Les jeunesses nationalistes - Le Bloc Identitaire réuni en convention à Orange et où sous lesovations, un leader d’extrême-droite italien criait : “Vive les Blancsde l’Europe, Vive notre Identité, Notre Identité, Notre Race”.

En toutes circonstances, notre association informe, alerteet agit pour dénoncer ces résurgences fascistes, porteuses debarbarie.

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 6

Rassemblement citoyen sur le plateau des Glières

les 26 et 27 mai 2012

Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°19 7

3500 personnes étaient présentes. Des "Paroles de Résistances" provenant de France, de Grèce ou de Hongrie, pleine d’émotionet de combativité, ont résonné contre les falaises du Plateau pendant près de deux heures.La veille, 2000 personnes étaient venues assister aux "Forums des Résistances" à Thorens-Glières.

Parmi les interventions nous reproduisons ici le discours deSerge WOURGAFT, délégué de la FNDIRP :

“Mesdames, Messieurs, chers amis,En prenant la parole je voudrais, au nom de la FédérationNationale des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes, m’associerà l’hommage rendu au grand résistant et défenseur des valeurs dela Résistance que fut notre ami Raymond Aubrac.L’épopée du Plateau des Glières fut à la fois symbolique et impor-tante par la suite qu’elle a déclenchée. Ce qui nous rassembleaujourd’hui, toutes générations confondues, a fait de ThorensGlières un haut lieu de la Résistance, mais aussi celui d’un combatpour la défense des principes et des valeurs du Programme duConseil National de la Résistance.Au cours des années passées, certains discours officiels ont faitréférence à ce Programme mais en le considérant avant tout etsimplement comme un document mémoriel et à ce titre digned’entrer dans notre Patrimoine commun qu’est l’histoire.Dés lors on voulait bien admettre que ce programme, vieux depresque trois quarts de siècle, et adopté dans des circonstances toutà fait particulières, méritait que l’on rende hommage officiellementà ses auteurs.Mais envisager de l’appliquer dans le monde d’aujourd’hui, sidifférent de celui des années quarante, relevait alors dans l’espritdes mêmes d’une touchante naïveté et d’un attachement un tantinetutopique certes respectable à l’expérience vécue d’un passé révolu.Pour d’autres, la référence aux travaux du CNR constituait un alibicommode pour justifier les positions en contradiction fondamentaleavec les principes mêmes de ces travaux.Finalement un secteur de l’opinion si je puis dire a toutefois étépleinement conscient de l’actualité du programme et du dangerqu’il représenterait, et s’est évertué à ce que non seulement l’espritmais aussi le programme soit “détricoté” et a œuvré dans ce sens.L’appel de Thorens Glières adopté ici en mai 2011, les mesuresqu’il préconise pour apporter dans l’esprit du CNR une solutionaux problèmes que connaissent la France et l’Union Européenned’aujourd’hui, les mesures qui vont dans le même sens que cellesdu programme du nouveau Président de la République confirméeset développées dans ses discours et dans les premières décisions duGouvernement, constituent une affirmation claire de l’actualitédu programme du CNR, un démenti cinglant aux fossoyeurs del’histoire.

Je voudrais m’attarder sur les conditions dans lesquelles ceprogramme a été conçu, élaboré et adopté, et en tirer deuxenseignements car je crois que ces conditions si singulières consti-tuent aussi un exemple à suivre pour répondre aux doutes, auxpeurs, au pessimisme qui sévissent particulièrement en France eten Europe.Le premier enseignement : voir loin !!!Il fait souligner en effet le formidable pari sur l’avenir des membresdu CNR, ainsi que l’espoir, le courage et la lucidité dont ils ontfait preuve dans leur démarche.Rappelons-nous que les discussions sur le programme se sontdéroulées de 1943 jusqu’à mars 1944 alors que l’issue de la guerreet la victoire des nations alliées étaient encore loin d’être assurées,que l’organisation de chaque réunion et sa tenue représentaientdes risques et le danger permanent pour les participants del’irruption de la gestapo, de la torture et de la mort Beaucoup dans ces circonstances, auraient pu se dire, “consacronsnous d’abord au plus urgent, c’est à dire à la première partie duprogramme, le plan d’action immédiat pour chasser les occupantsnazis et pour la victoire”.Mais non, pour les représentants de tous les mouvements de résistanceet de différents horizons politiques réunis au CNR, il fallait allerplus loin et donner son sens complet à l’action de la résistance,c'est-à-dire construire une société de liberté, de progrès social etde justice dans une France libérée mais gravement atteinte parl’occupation nazie. Et pour cela, malgré une situation risquée etprécaire, préparer les mesures institutionnelles économiques etsociales à court, à moyen et aussi à long terme et se projeter dansl’avenir.C’est le premier enseignement ; voir loin, avoir une vision !!!Le second enseignement que je voudrais relever est que dans cettepréoccupation générale deux notions essentielles sous tendent leprogramme : celle de la solidarité et celle du respect de la dignitéde la personne humaine, des notions auxquelles les anciens déportésau travers de leur expérience vécue ont été particulièrement attachés.Dans ces grandes usines à déshumaniser que constituaient les campsde concentration nazis et les commandos qui en dépendaient, toutétait conçu et planifié pour favoriser les divisions entre les déportés,encourager les réactions primaires du cerveau reptilien, créer desconditions extrêmes pour pousser chacun à lutter pour sa seule survie,même au détriment des autres. …/…

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 7

…/…

La solidarité, consistant justement à se préoccuper aussi de l’autre etd’affirmer ainsi la dignité humaine, a constitué un moyen efficace,dans cet univers de non-droit absolu, pour faire échec à ladéshumanisation.Je ne parle pas ici des camps d’extermination où le laps de tempsentre l’arrivée des déportés et leur assassinat rendait toute solidaritépratiquement impossible.Le traitement des déportés dans les camps nazis concrétisant ladoctrine nazie a contribué à faire du respect de la dignité unimpératif de la vie nationale et internationale.

Qu’il s’agisse de la Charte des Nations Unies, de la DéclarationUniverselle des Droits de l’Homme dont l’article 1er stipule que“tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et endroits”, des Conventions de Genève sur le Droit InternationalHumanitaire et des autres traités internationaux, tous mettent aupremier plan le respect de la dignité.Cette dignité correspond aussi à l’aspiration profonde des peupleset des individus.C’est elle qui les a conduits à lutter pour leur indépendance.C’est elle qui constitue une des revendications du monde du travail.C’est elle qui a été un des moteurs du Printemps arabe.C’est elle qui, ici, sur le Plateau des Glières, a été l’une des sourcesde l’ouvrage de Stéphane Hessel, Indignez-Vous, de son retentisse-ment mondial et de la création spontanée des mouvements des“indignés” contre les atteintes à la liberté et à la justice sociale.Face aux désordres économiques et aux tendances, notammentdans les pays de l’Union européenne, au repli dans un dangereuxnationalisme xénophobe, le programme du CNR, par les différentsaspects de son contenu, des conditions dans lesquelles il a étéconçu, est encore bien vivant pour inspirer, en particulier par lerecours aux moyens modernes de communication et les réseauxsociaux, la mise en œuvre de ses principes mais aussi pour générerl’espoir, et pour lutter pour le développement durable et la paix enEurope et dans le reste du monde.Je vous remercie !”

Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°198

L’AFMD et l’actualité du programme du CNRPar Olivier Vallade,

historien

COLL. AFMD ISÈRE

Deux projets dans lesquels est impliquée l’AFMD-Isère en cemoment nous invitent à rappeler les grandes lignes de l’histoiredu programme du Conseil National de la Résistance : l’appo-sition par la Ville de Grenoble d’une plaque en hommage àJean Moulin et au CNR, prévue pour 2013, d’une part, etd’autre part la semaine Mémoires et Résistances qui auralieu à Seyssins du 11 au 16 mars prochain dont l’une desthématiques est consacrée au travail.

Evoquer le programme du CNR, c’est parler d’un textefondateur de ce que l’on a coutume d’appeler le “pacte social”dans la vie politique française. D’où tire-t-il cette légitimité ?Qu’est-ce qui, dans son contenu, permet qu’il ait conservé unesi grande actualité?

Les fondements du CNRPour tenter d’apporter une réponse à ces deux questions, il fautrevenir aux origines, c'est-à-dire au deuxième semestre de l’an-née 1942. Durant cette période, la guerre mondiale connait unchangement de rapports de forces vainqueurs / vaincus au profitdes Alliés. En France, l’opinion réalise pleinement la duperie

de la politique de collaboration du régime de Vichy et lesmouvements de résistance se structurent. La promulgation duService du Travail Obligatoire (S.T.O) en février 1943 a pourconséquence l’arrivée dans les maquis de nombreux réfractairesqu’il va falloir encadrer. C’est dans ce contexte que De Gaullemissionne Jean Moulin pour unifier les différents mouvementsde résistance autour d’objectifs et de lignes de fonctionnementcommuns.Après plusieurs missions et de nombreux contacts aves lesresponsables de mouvements, la première réunion du ConseilNational de la Résistance se tient le 27 mai 1943 rue du Fourà Paris. Jean Moulin a réussi à réunir autour d’une table lesreprésentants de l’ensemble des mouvements de Résistance deszones nord et sud, de tous les partis politiques, de gauche commede droite non compromis dans la politique de collaboration,et de deux grandes centrales syndicales : la CGT et la CFTC.Cette réunion n’est pas la seule, mais la première d’une séried’autres qui vont inscrire le CNR comme une véritable forcedans les combats vers la Libération, et ce malgré la disparitionde Jean Moulin en juillet 1943.

…/…

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 8

Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°19 9

…/…L’un des premiers objectifs que va se fixer cette instance estd’établir une “feuille de route”, un texte qui lui permette deguider et faire connaître son action. Durant 9 mois, au prix dela clandestinité et des risques qu’elle implique, après 5 versionsamendées, les membres du CNR réunis le 15 mars 1944adoptent à l’unanimité un texte qui sera très vite baptisé“programme du CNR” et diffusé par voix de presse clandestine.Il est composé de deux parties, la première, intitulée “pland’action immédiate”, la seconde “mesures à appliquer dès lalibération du territoire”.Cette dernière est sans doute la plus connue aujourd’hui, maison aurait tort de faire l’impasse sur la première, la plus longueet sans doute la plus urgente à appliquer pour les auteurs dutexte. Elle prévoit le fonctionnement du CNR, en coordinationavec De Gaulle et la France Libre, mais surtout en appui surdes comités départementaux et locaux de libération, affirmantainsi clairement que la Résistance émane de la base et non pasde décisions venues “d’en haut”. Cela va se traduire rapidementdans les faits, et en dépit de quelques aléas locaux, l’organisationde ces comités va permettre à la Libération le rétablissementdes libertés républicaines, les commissaires de la Républiqueassurant la coordination avec l’Etat.

La légitimité du CNRC’est l’application avec succès de cette première partie duprogramme qui va asseoir un peu plus la légitimité de celui-ciet inciter ses auteurs à mettre en application la seconde.Il faut noter d’ailleurs que certains commissaires accèderont à desfonctions gouvernementales, tel Georges Bidault, successeurde Jean Moulin, qui deviendra Ministre des Affaires étrangères.Le contexte politique de consensus autour de l’épuration légaleet de la restauration de la République est aussi un élémentfondamental pour favoriser la mise en œuvre de la deuxièmepartie du programme du CNR Quelles en sont les mesures ?

Le fondement de cette partie est l’avènement d’une ”démocratieéconomique et sociale”; les différentes mesures et leur applicationpourraient être énoncées mécaniquement mais cela s’avèreraitfastidieux tant les trois concepts : démocratie, économie et socialsont liés, et ce n’est pas chose innocente.

L’actualité du programme du CNRCinq idées forces donnent à ce texte sa portée si actuelle :

La restauration des libertés fondamentales : le suffrage uni-versel et la liberté de la presse.Le suffrage universel est rétabli par un décret du 21 avril 1945,qui établit le vote des femmes ; les premières élections muni-cipales se déroulent en avril 1945, suivies par des électionsgénérales pour l’Assemblée Constituante en octobre 1945.Le programme prévoit qu’il faut rétablir “la liberté de la presse,son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puis-sances d’argent et des influences étrangères.” Dès le 22 juin1944, une ordonnance sur la presse est promulguée, bientôtsuivie par d’autres, et l’Agence France Presse est créée.

L’essor et l’indépendance économique associés à des conditionsde travail décentes.C’est la mise en place par Jean Monnet d’un plan de moder-nisation et d’équipement, fruit d’un consensus entre forcespolitiques, syndicats et patronat. L’objectif étant de favoriserl’investissement productif et une forme de croissance dont lesgains doivent se retrouver dans l’élévation générale du niveaude vie. Cela est assorti de plusieurs mesures : un syndicalisme

indépendant, les comités d’entreprise, le rétablissement de lasemaine de 40 heures, un salaire minimum.

La solidarité avec la mise en place de la Sécurité Sociale.Il s’agit de créer une institution de protection des citoyens contreles risques de santé, fondée sur quatre principes essentiels : unelégislation unique pour tous les systèmes existants, une gestionpar les représentants des assurés, un système par répartitionpour financer les retraites et un financement par des contributionsdu patronat et des salariés. Elle est mise en place par deux textes, l’ordonnance de base dela Sécurité Sociale des 4 et 19 octobre 1945 et la loi du 22 mai1946, le nouveau régime se réclame du principe générald’universalité de la protection sociale pour tous les salariés, avantde l’être pour l’ensemble de la population, conformément auprogramme du CNR.

L’intérêt du service pour tous plutôt que le profit de quelques uns.A travers les nationalisations, c’est, pour reprendre le texte duprogramme : “le retour à la Nation des grands moyens de pro-duction monopolisés, fruit du travail commun, des sourcesd’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assuranceet des grandes banques”.Sont ainsi nationalisés : la Banque de France et 4 banques dedépôt (mais pas les banques d’affaire), les grandes entreprisesde transport : Air France, Air Bleu, la SNCF, la MarineMarchande, les grandes entreprises productrices d’énergie : lesHouillères du Nord, EDF, le gaz, les combustibles minéraux,Charbonnages de France.

L’accès pour tous à l’éducation et à la culture.Le nouveau ministère de l’Éducation nationale va englober éga-lement une “Direction de l’éducation populaire et des mouve-ments de jeunesse”. Les principes d’accès à tous à la formationet à la culture avaient été initialisés sous l’Occupation par lacréation en 1943, dans la clandestinité, de Peuple et Culture.

Ce programme tire donc sa force du fait qu’il émane dereprésentants de l’ensemble des mouvements, de partis politiqueset de syndicats engagés dans la Résistance. Il a été adopté à l’una-nimité par ceux-ci, qui ont eu à cœur de mettre en applicationles mesures pour restaurer les libertés républicaines. Forts decela, ils ont - par l’application de la seconde partie - fondé unedémocratie économique et sociale, dont les principes ont étérepris dans le préambule de la IVème République. Ce préambule,qui fut adossé de nouveau à la Constitution de la Ve Républiqueen 1958, fait partie de ce que le Conseil constitutionnel a appeléle “bloc de constitutionnalité” : toute loi ayant des dispositionscontraires à ces principes est donc anticonstitutionnelle…

Ainsi, l’article premier de la Constitution de 1958 déclare : “La France est une République indivisible, laïque, démocratiqueet sociale”, ces deux derniers principes étant particulièrementchers aux auteurs du programme du CNR.

Beaucoup de ces acquis ont été et sont remis en causeaujourd’hui au nom d’un réalisme économique et d’unemondialisation fondée sur le seul profit financier.

Et pourtant, l’AFMD à travers ses actions militantes, défend cesvaleurs atemporelles de démocratie, de non-subordination desfemmes et des hommes à l’économie, de la garantie de leursdroits au travail, de solidarité, de partage des moyens vitauxd’énergie et de transport, d’une éducation pour tous, valeurstoujours inscrites dans le texte fondateur de la République.

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 9

Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°1910

Ses anciennes camarades entendent ainsitransmettre aux nouvelles générations laprésence d’une femme remarquable quia fait preuve dans toute son existence, etparticulièrement dans la déportation, d’ungrand courage et a incarné les valeurs dela Résistance.

La résistante Dès l’âge de vingt ans, lors d’un séjour enAllemagne, elle avait découvert la fanati-sation de la jeunesse et l’endoctrinementraciste : reporter photographe, elle prendle risque de photographier les premierscamps : Dachau et Oranienburg. En France,elle entre en résistance, elle contribue àla publication de textes réaffirmant lesprincipes des droits de l’homme et de laRépublique française que récusait lenazisme. Elle participe à diverses actionsqui aboutissent à son arrestation en février1942. Elle est alors emprisonnée à la prisonde la Santé, dans la division où se trouventdes condamnés à mort et des otages. C’estlà que je l’ai aperçue pour la première fois.Dans cette prison où régnait la faim, lavermine, l’attente de la mort, se sontrévélés les aspects les plus grands de l’êtrehumain : des hommes et des femmessimples et dignes qui acceptaient demourir pour libérer leur patrie et leursfrères opprimés : gaulliste, communistesde croyances différentes, unis dans leuridéal commun, soudés par une profondeamitié. Marie-Claude évoquait ce souvenirdans la dégradation que nous imposait lerégime des camps nazis.

La militante dans la déportationLe 24 janvier 1943, un convoi de 130femmes est dirigé vers Auschwitz, oùelles arrivent trois jours plus tard. Le spec-tacle qu’elles découvrent est atroce, ellesperçoivent qu’elles vont vers la mort,alors elles chantent la Marseillaise,comme à la Santé lorsqu’on emmenait

les hommes vers le peloton d’exécution.Les déportées qui les entendent ont décritle choc qu’elles ressentent alors et qui lesfait revivre : “Je vois l’armée infinie etdécidée, les partisans, les martyrisés, lesblessés qui tombent invaincus… Et je merends compte subitement que le mondene finit pas avec les barbelés de notre campni avec les flammes du crématoire…”A Auschwitz, Marie-Claude découvrel’horreur, les gazages en masse, elle ne secache rien pour pouvoir témoigner. Saconnaissance de l’allemand est précieuse,elle comprend et aide. Au cours de l’été 1944, les survivantesdes 31 000 (convoi du 24 janvier 1943)sont transférées à Ravensbrück : elles nesont plus que 49. Marie-Claude loge aublock 32, celui des NN, et travaillecomme secrétaire. D’un block demalade. Là encore elle veut tout voir, etforce la soviétique médecin du block àgarder les yeux ouvert quand le camionvient chercher les malades pour la chambreà gaz. Elle a visité la kinderzimmer, etconstaté l’état effroyable des nouveaux-nés. Elle a réussi à sauver de la mort troisAutrichiennes qui devaient être exécutéesen organisant leur transfert dans uneautre baraque que la leur, en changeant leur numéro et en faisant supprimer parune de nos camarade médecin leurtatouage d’Auschwitz. Solidarité, amitié, Marie-Claude a incarnéces valeurs jusque dans la fin deRavensbrück. Le 22 avril 1945, commencela libération, suite aux négociationsentre le Comte Bernadotte et Himmler.Les premiers camions blancs de la CroixRouge arrivent. Les libérations vont sepoursuivre en plusieurs vagues. Puis l’arméesoviétique libère définitivement le camp.Il reste des déportées malades,intransportables. Marie-Claude, quiparle aussi le russe, organise leur survie

Elle est aidée par une autre femmeremarquable, le Dr Heidi Hautval, donton associe aussi la mémoire à celle deMarie-Claude Vaillant-Couturier. Plusieursfois, on propose à Marie-Claude de rentreren France, mais elle restera jusqu’à ceque le dernier survivant soit rapatrié.

Le témoin à NurembergSon expérience des crimes nazis, laconnaissance qu’elle en a volontairementmémorisée, lui a valu d’être choisiecomme unique témoin au procès desdirigeants du système nazi à Nurembergen janvier 1946, où elle tint le rôle deporte-parole de la déportation. Par la suite et tout au cours de sa vie,Marie-Claude a agi pour maintenir etfaire progresser les valeurs fondamentalesqu’elle a incarnées : le respect de toutêtre humain, la justice, la solidarité. Ellea œuvré pour que la mémoire des campssoit maintenue vivante et contribue à laformation civique des jeunes générations.Elle avait donc été choisie commeprésidente de la Fondation pour laMémoire de la Déportation, créée en1990. Porteuse de cette mission.

Ici, à Ravensbrück, la plaque que lesanciennes du camp déposent devra inciterles visiteurs à approfondir la mémoire dela déportation.

Une plaque “Marie-Claude Vaillant-Couturier”

au camp de Ravensbrück

Par Marie-Jo Chombart de Lauwe,Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation

Cette plaque que nous déposons aujourd’hui inscrit de façon indélébile la mémoire de Marie-Claude Vaillant-Couturier

dans l’histoire de Ravensbrück.

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 10

Justes de l’Isère, une exposition organisée par le MRDI

HAMMERSTEIN OU L’INTRANSIGEANCE

Une histoire allemande

Editions : GallimardAuteurs : Hans Magnus Enzensberger

Kurt von Hammerstein, chef d’état major général de la Reichswehr,fut un aristocrate prussien d’ancienne lignée. Il tourna le dos àl’Allemagne nouvelle et à Hitler, prodigua des avertissements qui nefurent pas entendus. Puis, de complot en dissidence, il tenta de frei-ner le désastre. Homme indépendant, jusqu’à sa mort en 1943, il pré-serva son indépendance.Ses sept enfants eurent également des destinés singulières.

Ce livre n’est une biographie qu’en apparence. C’est en fait unefresque de l’histoire allemande où se croisent destins individuels etdevenir collectif.

L’auteur livre un ouvrage passionnant.

Notes de lecture

Mémoire et Vigilance en Isère - Bulletin n°19 11

Justes de l’IsèreLe sauvetage des Juifs, 1940-1944

Exposition présentée du 23 novembre 2012 au 20 mai 2013

Plus d’une centaine d’Isérois ont été faits “Justes parmi les nations” par leMémorial de Yad Vashem, à Jérusalem. Cette distinction honore au nomde l’État d’Israël ceux qui ont mis en danger leur existence durant laSeconde Guerre mondiale afin de sauver des Juifs. À l’heure où les derniersde ces Justes sont encore en vie, le musée souhaite leur consacrer une expositionpour rappeler leur engagement pendant les années sombres et plus largementrendre hommage à celles et ceux qui, souvent restés anonymes, ont tentéd’empêcher les persécutions. Face à la barbarie nazie, les solidarités dont lapopulation juive a pu bénéficier durant la guerre demeurent encore tropméconnues.

En partenariat avec le Comité français pour Yad VashemAvec le concours du B’nai B’rith, du Centre culturel Juif, du Cercle BernardLazare, du Conseil représentatif des institutions juives de France, de l’associationMémoires de Fontaine, du service départemental des Anciens Combattants etVictimes de Guerre de l’Isère et de nombreux enseignants-chercheurs.

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 11

CONTACTS : DELEGATION TERRITORIALE DE L’ISERE - Maison des Associations 6, rue berthe de Boissieux Boite n°69 38000 GrenobleAFMD - 31 boulevard Saint Germain - 75005 Paris - www.afmd.asso.fr / Fondation pour la Mémoire de la Déportation - 30 boulevard des Invalides - 75005 Paris - www.fmd asso. fr

MEMOIRES ET VIGILANCE N°19 27/12/12 10:11 Page 12