memoire collectif vf (1)

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Mémoire présenté dans le cadre des travaux sur Les enjeux liés à l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste dans le shale d'Utica des basses-terres du Saint-Laurent à la Commission d’enquête du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement Gouvernement du Québec Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Québec www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com 29 mai 2014

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  • Mmoire prsent dans le cadre des travaux sur

    Les enjeux lis

    l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste dans le shale d'Utica des basses-terres du Saint-Laurent

    la Commission denqute

    du Bureau daudiences publiques sur lenvironnement Gouvernement du Qubec

    Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec

    www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com

    29 mai 2014

  • 1

    Table des matires

    propos du Collectif scientifique

    p. 2

    Lavis du Collectif scientifique p. 4

    1. Perspective conomique p. 5

    2. Risques technologiques p. 12

    3. Perspective cologique p. 15

    4. Risques et atteintes la sant publique et la qualit de vie p. 23

    5. Enjeux lis loccupation du territoire et du paysage p. 25

    6. Perspective sociale p. 27

    7. Aspects politique et juridique p. 30

    Conclusion

    p. 38

  • 2

    propos du Collectif scientifique www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com Le Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec sest mis en place en fvrier 2011 en vue dexercer une vigile critique sur le projet de dveloppement de la filire du gaz de schiste, au regard de lensemble de la question nergtique au Qubec. Le Collectif regroupe 169 scientifiques de diffrents champs disciplinaires, rattachs en poste actuel ou retraits une institution d'enseignement suprieur ou une structure de recherche indpendante de l'industrie gazire et ptrolire. Depuis trois ans, le Collectif exerce une constante recension dcrits scientifiques et rend accessible de linformation scientifique sur la question. On trouve sur son site plus de 500 documents dans la section Textes choisis . Le Collectif participe aux dbats et consultations publiques, organise des confrences et produit des analyses sur diffrents aspects de la problmatique. Le Collectif a ainsi contribu

    aux audiences du BAPE 2010; aux travaux de lvaluation environnementale stratgique (ES, 2012-2013); la Consultation sur les enjeux nergtiques du Qubec (2013); divers autres espaces de dlibration.

    Depuis 2011, le Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec sest exprim travers plusieurs documents (disponibles en ligne) : http://www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com/communiques-commentaires-lettres.html Mmoire du Collectif scientifique sur la question des gaz de schiste sur le projet de loi 37 :

    Loi interdisant certaines activits destines rechercher ou exploiter du gaz naturel dans le schiste, fvrier 2014.

    Pour une responsabilit collective en matire dnergie. Rponse au Manifeste en faveur de l'exploitation ptrolire au Qubec, janvier 2014.

    Mmoire dpos la Commission sur les enjeux nergtiques du Qubec, 19 octobre 2013. O en est-on? Communiqu, 24 octobre 2012. Projet type et scnarios de dveloppement. Participation au premier Comit miroir mis en

    place dans le cadre de lvaluation environnementale stratgique. Commentaire du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec, 25 septembre 2012.

    Gaz de schiste : un plan d'accommodements? Commentaire du Collectif scientifique sur le plan rvis de ralisation du comit delvaluation environnementale stratgique (ES), 18 avril 2012.

    Commentaire sur le Plan de ralisation de lvaluation environnementale stratgique (ES) sur les gaz de schiste, 15 janvier 2012.

    Commentaire sur le projet de rglement modifiant la Loi sur la qualit de l'environnement. Lettre au Ministre du Dveloppement durable, de lEnvironnement et des Parcs, 6 juin 2011.

    L'valuation environnementale stratgique: rigueur ou imposture ? Lettre ouverte, 1er juin 2011.

    Lettre aux dputs de l'Assemble Nationale, 13 avril 2011. Aprs les rapports du BAPE et du Commissaire au Dveloppement durable, une rigoureuse

    enqute sur les premiers forages simpose. Communiqu, 4 avril 2011. Prise de position sur le caractre inacceptable du projet de dveloppement de la filire du

    gaz de schiste et en faveur dune nouvelle politique nergtique axe sur lefficacit et les nergies renouvelables. Manifeste du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste, 28 fvrier 2011.

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    Coordination de la rdaction du mmoire : Lucie Sauv, Johanne Bliveau, Pierre Batellier quipe de rdaction :

    Pierre Batellier M.Sc., charg de cours, HEC, Universit de Montral Johanne Bliveau MA (histoire environnementale) Marc Brullemans Ph. D., chercheur (biophysique) Daniel Chapdelaine Ph.D., Professeur, Directeur des programmes de 1er cycle de chimie et

    biochimie, UQAM Kim Cornelissen M.Sc. tudes Urbaines, ESG, UQAM, Prix 2008 de l'Institut de

    recherche en conomie contemporaine Robert Desjardins Professeur honoraire, associ au Dpartement de gographie, UQAM Marc Durand Doct-Ing en gologie applique, Professeur retrait, Dpartement des

    sciences de la Terre, UQAM lyse-Ann Faubert M. Sc., Professeure, Dpartement de biologie, Collge douard-

    Montpetit Richard Langelier LL.D., Charg de cours, Dpartement de sociologie, UQAM Bernard Saulnier Ing., chercheur, Institut de Recherche d'Hydro-Qubec, 1977-2006, co-

    auteur du livre L'olien au coeur de l'incontournable rvolution nergtique

    Lucie Sauv Ph.D., professeure titulaire, Directrice du Centre de recherche en ducation et formation relatives l'environnement et l'cocitoyennet, UQAM

    Collaboration : Hugue Asselin, tudiant la matrise en sciences de l'environnement, Institut des sciences de l'environnement, UQAM ; assistant la coordination du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste. Corinne Ct, MA (communication), tudiante en sciences de lenvironnement, UQAM; assistante la coordination du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste.

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    Lavis du Collectif scientifique De trs nombreuses tudes ont t menes sur les diffrents aspects de la question du gaz de schiste, au Qubec et dans dautres contextes, en particulier aux tats-Unis o les effets et impacts du dveloppement de cette filire ont commenc se manifester. Outre les 77 recherches commandes par la rcente ES, le site de notre Collectif scientifique comporte plus de 500 articles arbitrs, rapports ou autres publications issus dune recension dcrits spcialiss et slectionns en fonction de limportance des recherches en question (recherches large spectre ou portant sur un lment cl). Ces documents sont classs par thmes : http://collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com/gaz-de-schiste-textes-choisis.html Au terme dune synthse du gisement des donnes disponibles et malgr les angles morts de la recherche actuelle, le Collectif scientifique considre quil existe actuellement suffisamment de connaissances sur la question du gaz de schiste pour statuer sur la non pertinence, voire sur le caractre inacceptable de ce projet au Qubec. Il importe de dcrter un moratoire permanent et complet sur cette filire comme sur toute activit de fracturation sur lensemble du territoire du Qubec. Dans un contexte o il nous faut intensifier rapidement la lutte aux changements climatiques et acclrer le dveloppement de lalternative nergtique, le choix de sengager dans les filires dhydrocarbures est proscrire. Si des ressources doivent tre attribues la poursuite de recherches dans le domaine de lnergie, il conviendra de les allouer dautres fins que lvaluation des risques et la recherche daccommodements au dveloppement du gaz de schiste, et de favoriser le dploiement de stratgies et de filires permettant dentrer vritablement en transition nergtique. Notre Collectif scientifique appuie sa position sur un ensemble de raisons qui sont justifies au fil des pages de ce mmoire, structur en fonction des principaux aspects de la question :

    - Le mirage conomique; - Les risques technologiques; - Les impacts cologiques; - Les risques datteintes la sant; - Linvasion territoriale et paysagre; - Les problmes sociaux; - Labsence de politiques publiques appropries; - Les vides ou contraintes juridiques.

    Par ses impacts environnementaux gnriques, le bilan socital de ce type dactivit industrielle a plus que largement justifi les raisons d'en questionner la pertinence sur lensemble du territoire, sur terre comme en mer, en regard des risques inacceptables (et pour beaucoup irrversibles) qu'ils font peser sur la sant publique, l'conomie rgionale et nationale, et la vitalit prenne des communauts, alors que d'autres options nergtiques offrent des solutions nettement plus robustes et largement moins risques tous gards. Le Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste ajoute sa voix celles de milliers de Qubcoises et Qubcois pour rclamer que la Commission recommande un mouvement de transition plus vigoureux vers les nergies renouvelables et labandon du projet dexploration/exploitation du gaz de schiste, comme de toute forme dhydrocarbures par fracturation. Le Collectif recommande du mme souffle labandon de tout projet dinfrastructure favorisant laccroissement de la production et consommation de produits ptroliers ou gaziers.. Avec la longueur davance de son nergie hydrolectrique, ses gisements inpuisables de vent, son ensoleillement avantageux (latitude de Bordeaux au sud et effet albedo de la neige), son gradient gothermique de pays tempr et la formidable capacit dinnovation cosociale et technologique, le Qubec peut aisment devenir un leader de lalternative nergtique.

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    1. Perspective conomique Nous dbutons en examinant la faiblesse des arguments dordre conomique qui sont gnralement utiliss pour justifier la mise en place et lexpansion du gaz de schiste et autres filires dextraction dhydrocarbures au Qubec. 1.1 La conjoncture internationale Bien que laventure commerciale de lextraction du gaz de schiste stende sur environ une dcennie peine, de nombreux commentateurs et organisations envoient dj de puissants signaux dalarme. Certains nhsitent pas lier cette activit une bulle spculative (Auzanneau, 2013).

    The possibility that few wells will exhibit the hyperbolic production curves that are used to describe trends across wells in a shale play adds to the uncertainty for investors and operators. And because shale plays may not produce the long-term results indicated by the hyperbolic curves used by the industry to describe production (and encourage investment), adding to the financial risks already attendant to shale gas drilling, the HVHF boom in the US shows evidence of a speculative bubble. (Christopherson et Rightor, 2011, p. 10)

    Incidemment, des travaux mettent en vidence le dclin rapide de la production des puits individuels et celui des formations rocheuses en entier pouvant se matrialiser sur des horizons infrieurs une dcennie (David Hughes, 2013). Cela sest produit au Texas dans les formations de Haynesville et de Barnett, bien que la cadence de forage demeurait leve (prix lev du gaz sur les marchs). Les rendements doivent des compagnies comme Shell qui se voit contrainte de supprimer des emplois et suspendre des investissements dans ce secteur (Osborne, 2014).

    Pour sassurer des rsultats stables, les exploitants vont devoir forer presque mille puits supplmentaires chaque anne sur le mme site. Soit une dpense de 10 12 milliards de dollars par an. Si on additionne tout cela, on en arrive au montant des sommes investies dans le sauvetage de lindustrie bancaire en 2008. O est-ce quils vont prendre tout cet argent ? (Arthur Berman, gologue, cit par Ahmed, 2013)

    Notons que certaines formations de schiste se rvlent particulirement difficiles lextraction de gaz ou de ptrole. Aussi, des entreprises comme Exxon Mobil ou Talisman ont jet lponge en Pologne. Dernirement, on apprenait que la formation du schiste de Monterey, pourtant trs prometteuse, surpassant mme celle du Bakken, venait de voir ses rserves rcuprables fondre dun facteur 25 (Martenson, 2014). Il sagit certes de ptrole de schiste, mais il est ais de concevoir que la technique de fracturation hydraulique ne parvient plus extraire quune faible fraction, en dcroissance continue, des rserves d'hydrocarbures du shale, et ce, au prix d'impacts territoriaux sans cesse croissants. Par ailleurs, on constate que lOrganisation des Nations Unies (ONU, 2011, 2014), la Banque Mondiale (2012, 2014), lAgence internationale de lnergie (AEI, 2012) et des firmes telles Pricewaterhouse Coopers (PWC, 2013) expriment en termes conomiques lurgence dagir afin de contrer un drapage climatique. cet effet, les organisations jugent imprudent dinvestir dans les hydrocarbures, fut-ce du gaz naturel, et recommandent plutt un virage vers les nergies renouvelables.

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    Quelques rfrences Agence internationale de lnergie (AEI). (2012). World Energy Outlook 2012. Rsum (traduction franaise). OCDE/AEI.

    En ligne. Consult le 12 mai 2014. http://www.iea.org/publications/freepublications/publication/French.pdf Agence internationale de lnergie (AIE). (2013). Redrawing the Energy Climate Map 2013. En ligne. Consult le 22 mai

    2014. http://www.iea.org/publications/freepublications/publication/name,38764,en.html Ahmed, NafeezMosaddeq. (2013). Gaz de schiste, la grande escroquerie, Le Monde Diplomatique. En ligne. Consult le

    22 mai 2014. http://www.monde-diplomatique.fr/2013/03/AHMED/48823 Auzanneau, Mathieu. (2013). Climat : des investisseurs long terme redoutent une bulle carbone . Le Monde. 22

    novembre 2013. En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://petrole.blog.lemonde.fr/2013/11/22/climat-des-investisseurs-a-long-terme-redoutent-une-bulle-carbone/) Banque mondiale. (2014). Changement climatique. Vue densemble. En ligne. Consult le 12 mai

    2014.http://www.banquemondiale.org/fr/topic/climatechange/overview Banque Mondiale. (2012) Turn Down the Heat. En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://www.worldbank.org/en/news/feature/2012/11/18/Climate-change-report-warns-dramatically-warmer-world-

    this-century) Christopherson, S. et Rightor, N. (2011). How Should We Think About the Economic Consequence of Shale Gas

    Drilling ?City and Regional Planning.Cornell University. En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://greenchoices.cornell.edu/downloads/development/shale/Thinking_about_Economic_Consequences.pdf Hughes, David. (2013). Drill, baby, drill. Can unconventional fuels usher in a new era of Energy Abundance ? Post Carbon

    Institute, 166 p. En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://www.postcarbon.org/reports/DBD-report-FINAL.pdf Sommaire excutif : http://www.postcarbon.org/drill-baby-drill/es Martenson, C. (2014). The US Shale Oil Miracle Disappears. The Monterey formation was just down graded by 96%.

    PeakProperity. En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://www.peakprosperity.com/blog/85555/us-shale-oil-miracle-disappears Organisation des Nations Unis (ONU). (2014). Agir sur les changements climatiques. En ligne. Consult le 22 mai 2014.

    http://www.un.org/fr/climatechange/news.shtml ONU. (2011). Bridging the Emissions Gap. En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://www.unep.org/pdf/unep_bridging_gap.pdf Osborne, A. (2014). Shell cuts spending and jobs at US shale gas arm. The Telegraph, 13 mars 2014. En ligne. Consult

    le 22 mai 2014. http://www.telegraph.co.uk/finance/newsbysector/energy/oilandgas/10696415/Shell-cuts-spending-and-jobs-at-US-

    shale-gas-arm.html Pricewaterhouse Coopers.(2013). Too late for two degrees? En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://www.pwc.com/gx/en/sustainability/publications/low-carbon-economy-index/index.jhtml); Pricewaterhouse Coopers. (2013). Busting the Carbon Budget. En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://www.pwc.co.uk/sustainability-climate-change/publications/low-carbon-economy-index-2013-overview.jhtml Voir aussi : Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec. Textes choisis. http://www.collectif-scientifique-gaz-de-

    schiste.com/gaz-de-schiste-textes-choisis

    1.2 Pertinence socio-conomique et analyse cots-avantages

    L'analyse cots-avantages (ACA) peut fournir une premire base dvaluation de la pertinence socio-conomique large du point de vue de la socit, notamment du fait de sa perspective globale ou sociale . Cependant, celle-ci doit tre mene de manire rigoureuse et il est important d'en souligner galement les limites et les moyens d'y remdier.

    L'une des premires difficults lies ce niveau trs large danalyse est le fait que si lACA permet de rendre compte d'une ventuelle cration de richesses nette, elle ne permet pas de mettre en perspective et de traiter des questions de rpartition et de distribution de cette richesse. Sil ny a pas de cration de richesse globale nette tel que cela semble tre le cas dans lACA ralise dans le cadre de lES (Bernard, 2014) , cette rpartition est moins urgente analyser. A contrario, derrire des rsultats globaux positifs peuvent se cacher de potentiels transferts majeurs de richesse entre acteurs (par exemple, entre entreprises, propritaires fonciers et membres des communauts daccueil). Une analyse financire par partie prenante (tat, entreprises, communauts daccueil) permettrait de mettre en vidence des flux financiers et des situations inacceptables. De la mme manire, lanalyse conomique trs agrge de lACA ne rend pas compte des enjeux de concentration de richesses et des enjeux de rapport de force et de pouvoir entre les acteurs quune modification de la rpartition de la richesse peut gnrer. Ces dimensions, tout comme les engrenages

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    conomiques et la force dinertie propres aux projets qui atteignent une certaine chelle, doivent tre prises en considration et manquent encore lanalyse des enjeux de lindustrie du gaz de schiste.

    Un autre enjeu majeur de la qualit d'une analyse cots avantages pour juger de la pertinence socio-conomique est le choix des critres gnraux d'analyse inclus et par extension les critres exclus et non calculs. Cela soulve tant la question de la rigueur de la dmarche que du rapport l'incertitude et de notre volont et de notre capacit collectives valuer de manire quantitative ou qualitative certains lments complexes, avec peu de donnes pralables disponibles et existantes ou peu contextualises au Qubec et lindustrie des gaz de schiste. Le rflexe dfensif actuel (fort problmatique) est leur exclusion, laissant dans lombre nombre dexternalits ngatives non values faute de donnes ou en labsence dun degr de certitude suffisamment lev pour tre juges scientifiques .

    1.3 Des avantages relativiser

    Plusieurs avantages pourraient dcouler du dveloppement dune industrie du gaz de schiste au Qubec. Cependant plusieurs nuances importantes doivent tre apportes.

    En ce qui concerne les revenus de ltat, le nouveau rgime de redevances sur les hydrocarbures de 2011 a bonifi le rgime prexistant particulirement favorable aux acteurs de lindustrie et permettrait selon les simulations effectues daller chercher des sommes entre 100 et 300 M$ par anne. Cependant son mode de calcul progressif li aux prix du march et aux volumes de production est trs incertain et collectivement risqu. Dailleurs, les prix et volumes choisis comme base de cette grille de redevances progressive mriteraient dtre questionns et justifis (sont-ils survalu ou favorisent-ils un taux de redevance artificiellement bas?) et de faire lobjet dune analyse de sensibilit.

    Quant aux impts corporatifs et tel que prcis dans lanalyse de lindustrie pour lES (Bernard, 2014) une partie importante des impts corporatifs quitteront le Qubec. Aussi, quand bien mme certaines entreprises juniors sont qubcoises, ce sont leurs sous-contractants principalement non qubcois qui effectuent les principales oprations et gnrent les principaux revenus, exportant ainsi une part significative des revenus. Quant la vente de permis et droits, malgr une modification du rgime (vers un rgime denchres) et des loyers associs ces permis modifis, il semble peu probable, tant donn les stratgies de conservation des permis par les entreprises, quune rente ex-ante soit envisageable alors que dautres tats ou provinces canadiennes (Colombie-Britannique) y sont alls chercher leur principale source de revenus. Enfin, les frais annexes (demandes de permis, autorisations, traitements divers) et les redevances sur leau ont t bonifies depuis 2010 et viennent couvrir une partie des cots, mais lchelle du projet, ils demeurent des lments relativement marginaux.

    En ce qui concerne les communauts daccueil, plusieurs ventuels avantages peuvent tre envisageables. Dans certains cas, des impacts structurants sur lconomie locale pourraient se concrtiser avec une nergie meilleur march pour une communaut qui ny aurait pas pralablement accs (secteurs non desservis), une petite part des emplois crs pourrait aller au profit de la main-duvre locale ainsi quune partie des bnfices aux fournisseurs locaux. Pourraient sajouter les redevances et contributions ngocies pour la communaut : redevances locales verses par ltat (cots pour ltat), contrats privs avec propritaires fonciers, ventuelle redevance volontaire verse par lentreprise et des lments de taxes foncires dont dailleurs les modalits restent prciser.

    Cependant la prudence reste de mise et il faut souligner limportance de lanalyse diffrentielle notamment sur la question des emplois crs et des retombes conomiques (activit conomique, nouvelles entreprises, emplois crs et taxes la consommation, etc.). Il

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    faut toujours diffrencier lanalyse de retombes conomiques lies au projet (telle que mene par le ministre des Finances) qui propose des gains bruts (sans prise en compte des interactions) de lanalyse cots-avantages qui sinscrit dans une perspective globale. Sans nier qu'il puisse y avoir une ventuelle cration nette d'emplois ou dinvestissements, les retombes nettes sont moindres que les chiffres bruts gnralement mis de l'avant par l'industrie et les promoteurs du projet quand elles ne sont pas considres comme marginales ou nulles

    En effet, cause du caractre trs spcialis des emplois proposs dans ce secteur industriel, la proportion de ces emplois qui pourraient tre attribus de la main-duvre locale est difficile tablir. De plus, en termes comptables, seules les retombes qui rsultent demplois qui sajoutent aux emplois existants, ou qui deviendraient par ailleurs disponibles, devraient tre compts. Par exemple, un simple transfert de main-duvre du secteur mtallurgique du Qubec vers le secteur gazier ne constitue pas un gain net pour notre socit qubcoise. Il ne fait quaffaiblir le secteur mtallurgique pour pourvoir le secteur gazier. Dautres secteurs pourraient galement se trouver affaiblis dautant plus quils sont plutt en proie des difficults pour recruter de la main-duvre : agriculture, transports et constructions, soit des secteurs au cur mme du dynamisme conomique de plusieurs rgions et communauts. Si certaines rgions du Qubec demeurent plus que dautres affectes par le chmage, le taux de chmage actuel dans lensemble du territoire et notamment dans les Basses-Terres du Saint-Laurent se situe un niveau relativement bas. Plus encore, nos dmographes nous informent qu compter de maintenant, plus de personnes quitteront le march de lemploi quil ny aura de personnes qui chercheront sy intgrer. Nous estimons que ces impacts intersectoriels et la prise en compte de la ralit particulire de ces secteurs et des communauts au Qubec notamment au niveau de la main-duvre sont largement sous-valus au Qubec.

    Plusieurs tudes rcentes viennent galement relativiser ces gains :

    I find that a large increase in the value of gas production caused modest increases in employment, wage and salary income, and median household income. The results suggest that each million dollars in gas production created 2,35 jobs in the county of production, which led to an annualized increase in employment that was 1,5% of the pre-boom level for the average gas boom county. Comparisons show that ex-ante estimates of the number of jobs created by developing the Fayetteville and Marcellus shale gas formations may have been too large. (Webber, 2012)

    Dans certains cas, des biais mthodologiques auraient conduit au gonflement des projections d'emplois de l'industrie (Food & Water Watch, 2011). Entre 2005 et 2012, pour les immenses gisements gaziers dans les bassins de Marcellus et Utica, on constate que seulement 3,7 emplois ont t cres en moyenne par puits, soit presque dix fois moins que prdit par les tudes finances par lindustrie (Colinas, 2014). Les communauts locales risquent de tirer peu davantages du contexte de Boom &Bust , qui caractrise ce type dindustrie, favorisant une main-doeuvre migrante et spcialise et offrant peu demplois permanents. Le dveloppement de filires dnergie renouvelables serait susceptible de gnrer plus demplois que les industries dnergie fossile et des emplois plus avantageux pour les communauts locales (Colinas, 2014).

    1.4 Largument de lindpendance nergtique

    Un autre argument rgulirement mobilis par les promoteurs de l'industrie est la question de l'indpendance nergtique souvent autour de lide principale de la mobilisation dune source dapprovisionnement local et de limpact ventuel sur la balance commerciale. Il faut souligner qu'il nexiste pas dacception largement reconnue de ce que couvre la notion d'indpendance nergtique. Aussi, au-del de la question de la source de lapprovisionnement, cette notion interpelle galement la scurit dapprovisionnement, les alternatives disponibles, les opportunits de leadership international sur une filire (contrle, matrise et exportation des technologies clef) ou dappui des industries stratgiques existantes, le contrle gnral sur les

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    marchs et les prix, la souverainet (ide de contrle et dautonomie) des acteurs locaux et nationaux et, bien sr, lenjeu de la dpendance aux nergies fossiles. Une fois ces critres contextualiss au Qubec et compars avec ceux d'autres rgions, cela ne met pas en lumire davantage significatif pour le Qubec de se lancer dans la filire du gaz de schiste.

    En effet, le Qubec ne fait pas face une situation dinscurit nergtique majeure court et moyen terme en raison entre autres des contrats de long terme sur le march rgional nord-amricain, notamment avec lOuest canadien pour le gaz. Le Qubec dispose dune grande scurit pour sa production lectrique grce ses surplus dhydrolectricit, contrairement aux autres rgions productrices (Colombie-Britannique, Alberta, Pennsylvanie, Texas, etc.). Le dveloppement local du gaz ne permettra pas au Qubec davoir plus dinfluence ou de contrle sur les prix du gaz naturel (marchs rgionaux) du fait notamment de son faible poids relatif sur le march nord-amricain, au-del de limpact limit concernant la rduction du transport. Par ailleurs, cder des compagnies principalement trangres des droits sur l'essentiel de notre territoire habit, en limitant significativement les autorits locales quant leur mot dire sur les activits de dveloppement gazier, ne renforce en rien notre souverainet. Au contraire, cela cre un sentiment dalination sur les territoires, dincertitude et de tensions sociales qui peuvent nuire la lgitimit des autorits publiques et la scurit de manire plus gnrale. Enfin, un tel dveloppement a au bilan peu d'impact sur la vraie dpendance nergtique aux nergies fossiles, notamment au ptrole, pour le transport des automobiles. Enfin, le Qubec a trop de retard et le rattrapage semble improbable pour dvelopper un vritable leadership stratgique sur cette filire du gaz de schiste mme propre largement domine par certains acteurs amricains et ouest-canadiens. Au contraire, il dispose par exemple dune telle opportunit stratgique concernant llectrification des transports.

    Quant la balance commerciale, si la facture entre 1 et 2 G$ de gaz naturel disparaissait de la balance au Qubec, elle ne disparatrait pas pour autant des dpenses des mnages, des institutions, des commerces et des industries qui continueront faire les mmes chques des entreprises toujours essentiellement trangres. Par contre, nous aurons donn ces entreprises des claims , droits exclusifs d'exploration et d'exploitation, sur une grande partie du territoire habit sans qu'aucune autorit locale nait eu de droit de veto sur un tel projet. Au gaz import se substituera une importation de services, de matriel et de main-duvre spcialiss pour assurer les principales oprations sans compter les cots environnementaux et socio-conomiques voir section suivante galement imports.

    1.5 Un ensemble large et complexe de cots valuer L'autre ct de la balance celui des cots doit aussi faire l'objet d'un examen critique. Si un certain nombre dlments lis, entre autres, aux externalits ont t mieux identifis et caractriss suite plusieurs tudes rcentes notamment dans le cadre de l'valuation environnementale stratgique, il demeure que la plupart des tudes sont restes au stade de l'identification et non de l'valuation de ces impacts et du chiffrage de leurs cots, l'exception de certaines dpenses directes de ltat et des enjeux en matire de qualit de l'air ou de gaz effet de serre qui ont pu tre montariss et inclus dans l'analyse cots-avantages. Cependant dautres lments doivent tre valus et intgrs lquation. Pour ltat, outre les analyses pralables (dont les audiences du BAPE), le contrle de lexploitation monitoring, une estimation claire des diffrentes mesures fiscales incitatives, notamment les crdits d'impt et les programmes d'acquisition de connaissances dveloppes par les ministres (donnes de recherche en gologie, ptrole et gaz et autres) devraient tre plus finement valus pour tre intgrs dans les cots. Plus encore les externalits suivantes ne sont que partiellement chiffres : couverture dassurance risques en cas de contamination (risques jugs non assurables par les entreprises gazires), cots dusage des infrastructures, cots de sant relis aux impacts sur les citoyens et assums par ltat, ainsi que les cots relis la fracture

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    sociale (ensemble de cots qui dpasse la simple question de la qualit de lair). En effet, les tensions et lopposition ces projets gnrent des cots de scurit et de gestion des conflits. De manire plus large, il faut ajouter aussi la dtrioration gnrale de la valeur touristique des rgions qui affecte lattrait gnral du Qubec. cela sajoute la question - laisse dans lombre suite un projet-type centr sur lactivit dune entreprise gazire se terminant avec la fermeture du puits - de la gestion post-fermeture et du suivi des puits (qui diffre de la gestion des puits orphelins et de la restauration des lieux en cas de faillite). On sait pourtant que cette dernire phase est lune des plus problmatiques (dgradation long terme de la structure des puits, migration du gaz, gestion des fuites la surface, etc.) et potentiellement coteuses pour ltat en labsence actuel de mcanisme de garanties financires permettant linternalisation totale de ces externalits par les acteurs privs. Par ailleurs, pour la socit qubcoise, nous devons aussi mettre en perspective les cots dopportunit dun dveloppement de cette filire dans les annes venir :

    Le confort relatif et phmre de lnergie fossile (filire actuellement agressive et soutenue) ou lavenir de lconomie verte ? Rien ne nous dit quen misant sur notre gaz pour prolonger la survie dune conomie base sur les nergies fossiles, nous ne soyons pas en train de priver notre socit des innovations qui lui seront ncessaires pour demeurer comptitive dans un monde qui se construit autour des concepts de dveloppement durable. Dans ce cas, notre projet gazier serait davantage destructeur de lemploi de demain que crateur demploi aujourdhui et sans doute nuisible au dveloppement de lindustrie de lnergie renouvelable dj bien installe au Qubec.

    En exploitant maintenant en contexte de prix bas avec une technologie dangereuse et peu productive (faible taux de rcupration), le Qubec renonce des revenus futurs potentiellement beaucoup plus levs et brade une partie de sa scurit nergtique en vendant nos rserves de gaz avant den avoir vritablement besoin (voir la section sur lindpendance nergtique).

    Le cot de limpact sur les revenus dHydro Qubec doit galement tre valu de manire srieuse.

    lchelle des communauts daccueil, dautres externalits prennent toute leur signification et sont cumulativement trs lourdes. Au premier titre, latteinte au droit de proprit avec la dprciation des valeurs foncires des proprits riveraines des puits qui, malgr son importance et sa capacit tre mesure, est rgulirement vacue faute dinvestissement de ressources pour la chiffrer. On peut citer ensuite comme externalits la baisse des investissements locaux pour cause de dtrioration environnementale et dincertitude (par exemple, agriculture biologique, politiques environnementales de rduction GES, de gestion de la consommation deau, dembellissement, etc.). Il faut prvoir ensuite les cots publics et privs de ramnagement de certains services tels les garderies et les coles, les cots dusage des infrastructures (routes, eau), mais aussi les conflits dusage potentiels : agriculture (pertes des revenus dusage des terres utilises lexploitation gazire), industrie, commerces de proximit, curies, verger, cabane sucre, Bed & Breakfast, rablires, etc. Au niveau social, le stress citoyen li la perte de quitude, le sentiment invasion, la perte de contrle, etc. ainsi que lincertitude et les ingalits de traitement peuvent gnrer des conflits, forcer une modification des modes de vie et crer une fracture sociale (tissu social), dont les cots sont directement assums par les citoyens. Et nous navons pas encore trait des pollutions et nuisances lies aux activits rgulires et des risques de dommage la nappe phratique ou daccident majeur (risque de perte totale ) quassument indirectement les citoyens (incendie). Ces externalits ne sont ni des cots qui nexistent que dans limaginaire dopposants professionnels toute forme de dveloppement, non plus que des lments improbables impossibles traduire en termes montaires. Ce sont des cots bien rels que la science actuelle est tout fait en mesure destimer avec un degr raisonnable de prcision et dobjectivit. Ce sont possiblement des cots dont les retombes pourraient bnficier directement aux promoteurs du projet, tout en tant majoritairement assums par la collectivit.

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    Certes, ce travail de chiffrage est considrable et il demande beaucoup de temps et lintervention de nombreux experts. Tout cela suppose des moyens financiers importants que nont pas les victimes potentielles de nos grands projets de socit, tout comme cela requiert une objectivit que nont pas les promoteurs privs de ces projets, qui, eux, ont les moyens de ces tudes. Seul ltat a la fois les moyens financiers, les moyens lgaux et lindpendance ncessaire pour faire en sorte que ces calculs soient faits et le soient en toute objectivit. Au bilan, linstar du Commissaire gnral au dveloppement durable, et malgr les avances permises par les tudes menes et prsentes lors de la premire partie du BAPE, nous estimons que la dmonstration des bnfices pour la socit qubcoise demeure insuffisante et quil ny a actuellement pas de vritable pertinence conomique dmontre pour lindustrie du gaz de schiste au Qubec.

    Quelques rfrences Batellier, Pierre et Fortin, Jacques. (2012). Analyse des cots et bnfices d'une filire du gaz de schiste au Qubec:

    pistes de rflexion. Prsentation diaponumrique en ligne. Montral. Prsente au Comit d'valuation Environnementale Stratgique sur le dveloppement durable de l'industrie du gaz de schiste au Qubec. En ligne. Consult le 14 mai 2014.

    http://collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com/images/pdf/GDS_Analyse_Couts_BeneficesVEESfinal.pdf Bernard, Jean-Thomas. (2014).Gaz de schiste Analyse avantages-cots Prsentation du rapport prliminaire,

    17 octobre 2013. Document dpos la Commission denqute du Bureau daudience publique sur lenvironnement sur Les enjeux lis l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste dans le shale d'Utica des basses-terres du Saint-Laurent (BAPE-DB71). En ligne. Consult le 22 mai 2014.

    http://www.bape.gouv.qc.ca/sections/mandats/gaz_de_schiste-enjeux/documents/liste_doc-DA-DB-DC.htm#DB Colinas, Juliette. (2014). Gaz de schiste: dautres alternatives de dveloppement conomique peuvent tre envisages.

    Institut de recherche et dinformations socio-conomiques (IRIS). En ligne. Consult le 14 mai 2014. http://www.iris-recherche.qc.ca/blogue/gaz-de-schiste-dautres-alternatives-de-developpement-economique-peuvent-etre-envisagees

    Ferland, Anne-Marie. (2008). Guide de lanalyse avantages-cots des projets publics en transport - Partie 1 - Prcis mthodologique. Ministre des Transports du Qubec. http://www.mtq.gouv.qc.ca/portal/page/portal/Librairie/Publications/fr/centre_affaire/analyse_avantages_couts_projets_publics/guide_analyse_projets_1_precis.pdf

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    http://www.foodandwaterwatch.org/reports/exposing-the-oil-and-gas-industrys-false-jobs-promise/ Lire le rapport entier: http://www.foodandwaterwatch.org/tools-and-resources/exposing-the-oil-and-gas-industrys-

    false-jobs-promise/ Fortin, Jacques. (2011). Le gaz de schiste, une perspective comptable, Voix dexperts, HEC Montral, 1er fvrier 2011. Christopherson, S. et Rightor, N. (2011). How Should We Think About the Economic Consequence of Shale Gas

    Drilling ?City and Regional Planning.Cornell University.34 p. En ligne.Consult le 23 mai 2014. http://greenchoices.cornell.edu/downloads/development/shale/Thinking_about_Economic_Consequences.pdf Lipscomb, Cl ifford A., Yongsheng Wangb et Kilpatrick, Sarah J. (2013). Unconventional Shale Gas Development and

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    Wyoming. Energy Economics, 34(5) : 1580-1588. En ligne. Consult le 14 mai 2014. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0140988311002878 Voir aussi : Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec. Textes choisis. http://www.collectif-scientifique-gaz-de-

    schiste.com/gaz-de-schiste-textes-choisis.

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    2. Risques technologiques La littrature produite par lindustrie et les tudes commandes par lES posent souvent les principaux dfis de lexploration et lexploitation des hydrocarbures, dont le gaz de schiste, en termes de problmes techniques rsoudre. Dans ce discours, on rduit les enjeux une gestion des risques reposant souvent sur les avances technologiques. Or la technologie apparat impuissante ou dsarme face un problme majeur associ au gaz de schiste. 2.1. Un problme insoluble Aucune technique ne peut garantir lintgrit des puits et cela souvent ds leur mise en service. Les donnes de lindustrie indiquent quaprs quelques annes, on trouve de plus en plus de puits qui fuient. Compte tenu des matriaux utiliss, aciers des tubages et coulis de ciment pour les remplissages annulaires, il est impossible de garantir lintgrit des puits, court, moyen et encore plus long termes. Il y a bien certainement des techniques de rparation, complexes et coteuses, mais lintgrit des rparations elles-mmes ne peut tre garantie non plus. En effet, si le bouchon initial de bton des puits se retrouve inoprant aprs 20 ans dabandon par exemple, linstallation dun nouveau bouchon est possible, mais ce nouveau coulis se dgradera son tour sur une dure de temps du mme ordre. This raises the possibility of needing to monitor wells in perpetuity because, even after leaky older wells are repaired, deterioration of the cement repair itself may occur (CAC 2014, p.193). Les impacts des fuites de mthane et les cots associs la surveillance et lidentification des parties responsables long terme sont des problmes que la technologie ne peut rsoudre. Rappelons quau Qubec 19 des 31 puits dexploration prsentaient des fuites de gaz. Celles-ci reprsentent un problme qui est connu de longue date, mais qui reste non rsolu et continue de dfier les ingnieurs , reconnaissait rcemment le Conseil des acadmies canadiennes (2014). Le Conseil poursuit en affirmant : Les proccupations concernant lintgrit sappliquent tous les puits, y compris les puits de ptrole et de gaz classiques existants et abandonns. Toutefois, comme la mise en valeur du gaz de schiste ncessite une densit leve des puits, lintgrit de ces derniers devient plus importante, surtout dans les rgions qui dpendent des eaux souterraines pour lapprovisionnement en eau potable. Mais ce nest pas l la seule spcificit du risque nouveau que pose lexploitation du gaz de schiste. La fracturation met en branle un processus dont la dure est d'ordre gologique: le dbit aux puits de gaz est trs lev la premire anne ; mais il diminue trs rapidement par la suite. La coupure qui marque la fin de la rentabilit dans ces courbes de production se situe un niveau qui laisse encore en place dans le shale modifi par ces nouvelles fractures, plus de 80% du gaz (et plus de 98% dans le cas du ptrole, dont nous ne traiterons pas dans ce texte). Les puits sont bouchs et l'industrie lgue le tout l'tat en fin d'opration aprs avoir satisfait quelques rgles lies la fermeture dfinitive des puits. Le processus gologique de la migration du mthane quant lui se poursuit pendant un temps incommensurablement plus long que la dure de vie technologique de ces puits bouchs. La dure de vie technologique des puits bouchs en fin de production pose le problme de leur gestion par la collectivit, leur rparation, puis rparation de rparation, in perpetuity selon les termes de ltude CAC 2014.

    Creuser de milliers de puits pour rejoindre et fracturer lensemble du volume dun gisement dhydrocarbure de roche mre, cest implanter des milliers douvrages quil est impossible de dmanteler (sauf la tte de puits). La fracturation du shale est une modification irrversible, permanente dun trs grand volume de roc pour chaque puits, ce qui est trs nouveau et trs diffrent par rapport aux puits dans des gisements conventionnels. Cette fracturation artificielle du shale ajoute un facteur trs aggravant dans le devenir des puits aprs ltape de lexploitation.

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    Quadviendra-t-il de ces puits abandonns et bouchs qui arriveront ensuite en fin de vie technologique? Ils deviendront des conduits entre les nappes, latmosphre et les immenses volumes de shale contenant encore en fin de production commerciale 80% du gaz initialement prsent.

    Lanalyse comparative des donnes disponibles celles des gisements conventionnels versus celles des gisements de roche mre mne une vidence : les risques technologiques dans les nouvelles formes dexploitation du gaz vont tre beaucoup plus intenses et beaucoup plus tendus dans le temps comme dans lespace. Lvaluation de ce risque technologique na pas t pris en compte par lES dont les tudes se sont limites aux tapes dfinies dans le projet-type (ES rapport M-2 du CIRAIG). Cette tude initiale a list les tapes que lindustrie ralise successivement. Se limiter aux tapes associes aux activits de lindustrie, cest cependant se calquer sur une vision trs troite de la ralit : celle par laquelle lindustrie se dfinit elle-mme. Cette description limitative se rpercute ensuite dans toutes les autres tudes; par exemple ltude R2-1 a pour titre : Analyse des risques technologiques associs aux activits dun projet type de gaz de schiste. LES et beaucoup dtudes passent ct de la prise en considration dun risque technologique spcifique aux cas de lexploitation par fracturation des gisements dhydrocarbures de roche mre, un risque nouveau dimportance cruciale et de dure illimite (Durand 2014). Une analyse le moindrement sommaire des cots et des impacts des fuites prvisibles qui surviendront aprs lexploitation des hydrocarbures de roche mre, pourrait dmontrer coup sr la non rentabilit de lexploitation de lUtica. Cette analyse na pas t faite lES, car on sest limit l aussi aux tapes dfinies dans le projet-type. 2.2. Autres considrations Les rponses technologiques apportes pour rsoudre certains problmes qui ont merg des activits de production de cet hydrocarbure extrme (risques de contamination de leau par exemple) semblent sinscrire dans un engrenage technologique qui engendre dautres difficults. Que dire de linjection des eaux de reflux en puits profonds que lon associe la production de secousses sismiques (Seismological Society of America, 1er mai 2014)? Que dire du recours au propane pour remplacer leau dans les fluides de forage, ce qui implique la production accrue dhydrocarbures visant extraire dautres types dhydrocarbures, contribuant ainsi encore davantage lmission de gaz effet de serre?

    2.3 Mythe des meilleures pratiques

    Quand on examine la convergence des facteurs qui ont men la tragdie du puits Macondo (Golfe du Mexique), on trouve des causes techniques, mais la plupart concernent des drives comportementales, de la formation insuffisante, des communications mdiocres et la bonne vieille confusion. (Tainter et Patzek, 2012)

    Certes, lindustrie annonce des correctifs ce type de situation et promet des dveloppements technologiques qui permettront de contourner les problmes signals. Mais, considrant le dsengagement de ltat en matire de surveillance, peut-on croire que lindustrie assurera elle seule les meilleures pratiques , dautant plus que celles-ci semblent tre dfinies par lindustrie elle-mme ? Adopter de meilleures pratiques en matire dnergie, cest plutt de se tourner vers lalternative nergtique (voir section7.4).

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    Par ailleurs, comme le souligne Alain Papaux (2014), axer des choix socitaux fondamentaux sur la gestion des risques par de bonnes pratiques , plutt que sur les finalits collectives des projets en question, relve dune logique indfendable.

    Limmense majorit des politiques publiques environnementales des tats occidentaux sarticule autour de la gestion des risques dont elles constituent le principal instrument collectif. Les termes utiliss montrent quel degr lesprit demeure riv sur les moyens, qui plus est de lutte, pense domine par la perspective du management () en oubli des finalits collectives, de la principale dentre elles en particulier : pour-quoi courons-nous ces risques. La question connexe pour-quoi acceptons-nous de les courir nous semble en grande partie dpasse car maintes catastrophes sont dj en cours de ralisation, reues dans un demi-sommeil tant leur avnement manque du fracas de lala, de laccident violent : puisement des ressources, rchauffement climatique, perte de biodiversit, acidification des ocans funeste litanie laquelle nous navons jamais vritablement consentis. Mme Fukushima naura dur que le temps mdiatique dun feu de paille, la catastrophe devenue quotidienne ayant en cela mme perdu toute pertinence mais pas toute ralit. Le dogme de la gestion du risque manifestement nous aveugle bien plus quil nous prpare. (Alain Papaux, 2014)

    Quelques rfrences Conseil des acadmies canadiennes (CAC). (Mai 2014). Incidences environnementales lies lextraction du gaz de

    schiste. Points saillants du rapport, 2-3. En ligne. Consult le 12 mai 2014. http://sciencepourlepublic.ca/uploads/fr/assessments%20and%20publications%20and%20news%20releases/shale

    %20gas/shalegas_rif_fr.pdf Durand, Marc. (2014). Les risques technologiques lis la fracturation du shale dUtica. Mmoire dpos au BAPE - Les

    enjeux lis l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste dans le shale d'Utica des basses-terres du Saint-Laurent, 36 p.

    Papaux, Alain.(2014). Politiques publiques en matire denvironnement : de la gestion illusoire du risque laffrontement moral de la menace. thique publique, 16(1). 83-102.

    Seismological Society of America. (2014). Wastewater disposal may trigger quakes at a greater distance than previously thought. Man-made quakes need to be included in seismic hazard planning say experts. San Francisco. En ligne. Consult le 12 mai 2014.

    http://www.eurekalert.org/pub_releases/2014-05/ssoa-wdm041814.php Tainter, J.A. et Patzek,T.W. (2012). The Gulf Oil Debacle and our energy dilemma. NY: Springer Science and Business

    Media. Copernicus Books,

    Voir aussi : Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec. Textes choisis. http://www.collectif-scientifique-gaz-de-

    schiste.com/gaz-de-schiste-textes-choisis.

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    3. Perspective cologique Le contexte de crise engendr par les changements climatiques remet en question de faon fondamentale la pertinence de dvelopper les projets dexploration et dexploitation du gaz de schiste et autres hydrocarbures. Par ailleurs, chaque semaine, la presse amricaine et canadienne rapporte des accidents, dversements et autres problmes lis ces projets qui ont souvent des impacts ngatifs srieux court et long terme sur leau, lair, les sols et la biodiversit. 3.1 Le contexte des changements climatiques Dans une perspective macro, les rapports tels que ceux du GIEC (2014), de lONU (2014) et de la Banque mondiale (2014) se multiplient et sajoutent au message de 21 prix Nobel (Shields, 2013) pour dclarer lurgence de la situation et prconiser la rduction de la production de gaz effet de serre qui contribuent au rchauffement climatique mondial. Selon lAgence internationale de lnergie (AEI, 2012, p. 4), pour atteindre l'objectif mondial de 2 C [de rchauffement], notre consommation d'ici 2050, ne devra pas reprsenter plus d'un tiers des rserves prouves de combustibles fossiles (...) . Il faudrait donc laisser le 2/3 des rserves de combustibles fossiles enfouies sous la terre. Renaud Gignac (2014) montre lampleur du dfi que nous devons relever : Compte tenu du budget carbone du Qubec, cest--dire de la quantit de GES que nous pouvons mettre dans latmosphre afin dviter de contribuer au dpassement de la limite scuritaire de 2 C, nos missions par habitant.e doivent passer de 8,5 tonnes de CO2 1,4 t. en 2050. Il sagit dune rduction de 84 % de nos missions de GES, en moins de 40 ans. Lengagement responsable du Qubec doit se traduire par une diminution de la consommation dhydrocarbures, mais aussi par labandon de projets visant laugmentation de la production dhydrocarbures, comme celle du gaz de schiste. Toute activit dexploration ou de production de gaz naturel issue du schiste se traduira par une augmentation des missions de GES sur son territoire constate le comit charg de lES dans son rapport de janvier 2014. On y lit aussi que Le dveloppement grande chelle de la filire du gaz de schiste au Qubec pourrait affecter considrablement le bilan du Qubec, selon les hypothses retenues, et compromettre latteinte des cibles de rduction de GES. (Comit de lvaluation environnementale stratgique ES, 2014, p. 129). Selon le Conseil des acadmies canadiennes (2014, p. 3.), le rle que joue la mise en valeur du gaz de schiste dans le changement climatique dpend de sa contribution nette aux missions de GES lchelle mondiale, chose quil sera possible de dterminer uniquement par une analyse de cycle de vie de lutilisation du gaz de schiste par comparaison avec les autres sources dnergie . Cest dailleurs en observant ce cycle de vie, notamment laspect des fuites de mthane, que des chercheurs en viennent considrer le gaz de schiste comme plus polluant que le charbon (Physicians Scientists & Engineers for Healthy Energy - PSE, 2012). Contrairement limage parfois vhicule, le gaz de schiste semble loin dtre la source dnergie plus propre qui faciliterait la transition vers une socit plus cologiquement responsable : In some cases the volume of seeping methane, a greenhouse gas that traps heat 25 times more effectively than carbon dioxide, is so high it challenges the notion that shale gas can be a bridge to a cleaner energy future, as promoted by the government of British Columbia and other shale gas jurisdictions (Nikiforuk, 2014).

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    Quelques rfrences Agence internationale de lnergie (AEI). (2012). World Energy Outlook 2012. Rsum (traduction franaise). OCDE/AEI.

    En ligne. Consult le 12 mai 2014. http://www.iea.org/publications/freepublications/publication/French.pdf Banque mondiale. (2014). Changement climatique. Vue densemble. En ligne. Consult le 12 mai

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    stratgique. Gouvernement du Qubec, p. 129. En ligne. Consult le 26 mai 2014. http://ees-gazdeschiste.gouv.qc.ca/wordpress/wp-content/uploads/2014/02/EES-rapport-synthese_final_web_janv-

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    En ligne. Consult le 12 mai 2014. http://www.iris-recherche.qc.ca/publications/budgetcarbone Gignac, Renaud. (2014). Le Qubec complice de la crise climatique ? Institut de recherche et dinformations socio-

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    rglements.) Shields, Alexandre. (2013). 21 prix Nobel demandent lEurope de tourner le dos aux sables bitumineux. Le Devoir, 7

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    temprature de la plante Rsum analytique. Rapport prpar pour la Banque mondiale par le Potsdam Institute for Climate Impact Research et ClimateAnalytics. En ligne. Consult le 12 mai 2014.

    http://www-wds.worldbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2013/03/26/000445729_20130326121410/Rendered/PDF/632190WP0Turn000Box374367B00PUBLIC0.pdf

    Voir aussi : Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec. Textes choisis. http://www.collectif-scientifique-gaz-de-

    schiste.com/gaz-de-schiste-textes-choisis. 3.2 Leau : risques potentiels et avrs Toutes les tapes dexploration et dexploitation du gaz de schiste comportent court terme, et souvent long terme, des risques pour leau dont voici les principaux. Les prlvements deau en trs grande quantit (environ 21 710 m3 par puits, selon le rapport de lES, p. 88), dont 50 70 % ne revient pas la surface, impliquent de fortes pressions sur la ressource, particulirement dans certains bassins versants et durant les priodes de scheresse (voir les cas actuels de pnurie au sud des tats-Unis). Les aquifres (eau de surface, eaux souterraines) risquent dtre contamins par des composs dj prsents dans le sous-sol. Tout dabord, des tudes revues par des comits de pairs et publies dans des revues scientifiques rigoureuses (Osborne et al., 2011) ont dmontr que leau des aquifres situe proximit des puits dextraction de gaz de schiste aux .-U. contenaient des quantits anormalement leves de mthane et autres hydrocarbures lgers. Ces concentrations leves (entre 10 et 29 mg/L) ont t identifies dans 13 des 60 sites

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    examins, ce qui montre que ces vnements ne sont pas exceptionnels et quils ne rsultent pas daccidents particuliers, mais bien de lexploitation normale de cette industrie. Plus prcisment, 85 % des puits deau potable investigus taient contamins et la concentration observe moyenne en mthane (19,2 mg/L) tait 17 fois plus leve que celle mesure dans des puits situs plus dun kilomtre des sites dexploitation (1,1 mg/L). Des analyses de signature gochimique et isotopique ont dmontr hors de tout doute que ces hydrocarbures lgers retrouvs dans les puits provenaient de source thermognique et non biognique, mettant donc en cause lactivit gazire et non la dcomposition de matire organique de surface. Si ltude dOsborne et al. (2011) na pas permis de faire la lumire sur les processus de contamination qui sont impliqus, elle a montr que cette contamination existe et quelle est une consquence systmatique de la pratique dexploitation des gaz de schiste. Ltude a par ailleurs dmontr que la composition des hydrocarbures retrouvs dans les puits des aquifres contamins correspondait la composition du gaz naturel extrait par les entreprises actives prs du site investigu. Une enqute mene par lEPA la demande de rsidants de la rgion de Pavillon (Wyoming) se plaignant de la qualit de leur eau a men des conclusions semblables : les concentrations de mthane sont anormales (atteignant 19 mg/L) dans plusieurs des 40 puits observs, gnralement plus leves dans les chantillons prlevs proximit des sites dexploitation (DiGiulio et al., 2011). Le mthane, qui nest pas considr comme un compos toxique ces concentrations dans leau, peut constituer un risque dexplosion lorsquil saccumule dans des rsidences sapprovisionnant via des puits contamins. Mais aussi et surtout, la prsence de gaz montre que les puits dexploitation pourraient laisser des composs schapper au niveau de laquifre. Le mthane constituerait en ce sens un compos sentinelle pour signaler la contamination qui pourrait ne pas se limiter ce seul compos. Non seulement les sites industriels peuvent contaminer les aquifres avec des hydrocarbures lgers en provenance du sous-sol qui taient dj prsents, mais dautres composs sont galement prsents au niveau des profondeurs que rejoignent les forages, par exemple les saumures, qui sont des substances inorganiques tels des mtaux prsents sous forme de sels dissous. Selon la formation gologique en prsence, on peut y retrouver des mtaux lourds, de larsenic et mme des lments radioactifs comme le radium-226. Ces saumures comportent parfois des taux de concentration atteignant des centaines de grammes de sels dissous par litre de saumure. Le risque de voir ces saumures contaminer laquifre dpend de leur composition et de la toxicit de ces composs. Sans vouloir gnraliser pour tous les sites exploitables du Qubec, on sait que les rsidus issus de lexploration/exploitation du gaz de schiste au Qubec ont fait tat de la prsence de plusieurs mtaux, par exemple le cadmium et le nickel, qui possdent des niveaux de cancrognicit reconnus ou fortement suspects (BAPE, 2010). Quant aux mcanismes possibles de contamination, on doit valuer deux possibilits : lexploitation intrinsque via forage, fracturation et autres procds, ainsi que les dversements accidentels des eaux de reflux. Si aucune tude jusqu maintenant na dmontr de contamination lors doprations normales, certaines contaminations de la nappe phratique ont t observes, notamment suite un dversement dimportants volumes des eaux de reflux Leroy Township (PA). Des concentrations nettement plus leves en matires dissoutes (barium, calcium, chlore, manganse, magnsium, potassium, sodium, fer et lithium) que les niveaux historiques ont t trouves dans la nappe phratique (ATSDR, 2011). Dans ce cas particulier, mme si aucun des sels mesurs ne possde de caractristiques hautement toxiques, les concentrations de sodium retrouves dans leau des puits investigus (21 g/L) taient assez importantes pour nuire la sant (par exemple, favorisant lhypertension artrielle) de certains groupes dindividus qui lauraient consomm. Il y a galement risque de contamination par les intrants chimiques, par les eaux de reflux et du gaz ou autre hydrocarbure, ou par dautres sous-produits lors du transport (via pipeline, camion ou autre), de la manipulation (activits de forage et de fracturation) et durant lentreposage sur place (camion-citerne, bassin de rtention). Dans la pratique actuelle, dnormes quantits (millions de litres par puits) de fluide doit tre utilis pour la

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    fracturation hydraulique, comportant outre de leau et du sable, 1 2 % dadditifs, soit des intrants chimiques. Tout dabord lindustrie est assez opaque quant la divulgation et la caractrisation (chimique, physique et toxicologique) de ces intrants et on doit dplorer que les gouvernements, en particulier les ministres de lenvironnement amricains, canadiens ou qubcois nont que trs peu demprise sur la divulgation de ces recettes considres comme des secrets industriels . Pourtant, les lois sur la qualit de lenvironnement devraient obliger la divulgation de tout intrant, tant donn dune part, quenviron 80 % de ces fluides demeureront dans le puits vertical et/ou horizontal et que, dautre part, les 20 % restants (eaux de reflux) devront tre traits avant dtre disposs dans lenvironnement. Il se trouve donc que 80 % des intrants sont littralement disposs directement dans lenvironnement (le sous-sol en fait partie!) sans aucun traitement et sans quon en connaisse la composition et le 20 % qui est rcupr ne pourra probablement pas recevoir un traitement de dcontamination adquat en labsence dinformation sur sa composition initiale pr-injection. En effet, que valent les critres chimiques comme Composs Organiques Volatils ou encore Demande Chimique en Oxygne , ainsi que les critres toxicologiques comme la toxicit aige chez la daphnie et la truite, appliqus actuellement, si on met dans la mme catgorie un additif plutt bnin tel que le mthanol, avec des additifs dmontrs comme cancrognes, tels que lacide trinitriloactique, lacrylamide, lalcool propargylique, le benzne, le dibromoactonitrile, le d-limonne, lthylbenzne, la formaldhyde, le naphtalne et le nitrilotriactate de trisodium? Ces composs, que lon retrouve dans la liste des additifs divulgus par lindustrie (au Canada et au Qubec), sont connus pour leur caractre cancrogne avr ou fortement suspect (INSPQ, 2010). Ils mritent donc dtre quantifis et caractriss en propre, au lieu dtre noys dans une catgorie plutt gnrique. Lindustrie gazire nest pas la seule utiliser une foule de composs toxiques dans ses procds, cest le cas de la presque totalit des industries chimiques et lindustrie lourde en gnral. L o lindustrie gazire devrait nous inquiter, cest dans le fait que ces composs sont injects sous terre, o il sera pratiquement impossible de les rcuprer, ou mme de suivre lvolution de leur parcours gographique. Les risques de contamination de laquifre sont divers : allant de la migration des intrants par des fuites des puits comme tel, la migration de ces fluides via les plans de faille et fractures naturellement prsents dans la roche, additionns des rseaux de fissures crs par la fracturation hydraulique. Dabord les puits ne sont pas parfaitement tanches, lorigine de leur conception, mais plus encore au fil du temps; soumis la saumure et des pressions leves, ils vont inluctablement se dgrader et laisser fuir des gaz et aussi des fluides (Osborn et al., 2011; Jackson et al., 2013; US EPA, 2012). Plus prs de nous au Qubec, on sait que 50 % des puits dexploration laissent fuir des gaz (Holzman, 2011). Les migrations via les failles et fractures, cres ou existantes, ainsi que la prsence de puits abandonns est confirme par des tudes rcentes (Jackson et al., 2013; Warner et al., 2013) . On sait dune part, que plusieurs composs (jusqu 900 connus; Colborn, 2011) sont utiliss comme additifs dans les oprations de forage et de fracturation; dautre part, on sait que plusieurs sont toxiques pour lenvironnement et la sant humaine via la consommation; enfin, peut suspecter plusieurs voies de contamination possibles pour laquifre (US EPA, 2012). Il faut galement signaler les problmes lis au traitement inadquat et incomplet, puis au rejet dans les cosystmes des eaux de reflux et autres sous-produits comme les boues de forages. lexamen, plusieurs nouvelles technologies proposes pour le traitement des eaux de reflux se rvlent souvent exprimentales, non viables sur une large chelle ou trs onreuses. Dans son rapport prliminaire de 2010, lINSPQ dplorait le manque de donnes pour donner un avis clair sur les risques sur la sant de la population que constituent les puits dexploitation de gaz de schiste dans lenvironnement. Il est clair que le nombre dtudes est encore faible ce jour, mais en se basant sur les conclusions de 18 nouveaux documents apparus entre 2010 et 2012, lINSPQ affirme dans sa mise jour de 2013 que les possibilits de contamination des eaux souterraines sont relles . Ces contaminations ont notamment t provoques suite

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    des dfaillances en cours de fracturation hydraulique ou dextraction du gaz. LINSPQ (2013) remarque que des problmes dtanchit des coffrages des puits dextraction taient lorigine de cas de contamination survenus dans des conditions normales dopration . Rappelons que des chappements incontrls de mthane ont t dtects dans 19 puits sur les 31 puits fors au Qubec (61 %) (Shields, 2014). Selon le Conseil des acadmies canadiennes (mai 2014, p. 2), La menace la plus srieuse aux eaux souterraines vient des fuites de gaz des puits. Lorganisme sinquite aussi du manque de surveillance mthodique et du manque de fiabilit des prvisions vis--vis la fiabilit des puits. Les eaux souterraines potables peuvent galement tre exposes un risque sil existe, en profondeur, des voies de migration pour les gaz, et peut-tre aussi les fluides salins et les produits chimiques de fracturation , affirme le Conseil. En somme, lindustrie du gaz de schiste, qui utilise un procd relativement nouveau et diffrent des forages conventionnels, soit le forage horizontal et la fracturation hydraulique, comporte des risques srieux pour la ressource quest lEAU. En effet, en plus des accidents potentiels inhrents toute activit industrielle pouvant entraner des dversements occasionnels, le procd pose des dangers de faon intrinsque. De nombreux composs toxiques, se trouvant dj naturellement dans le sous-sol ainsi que dautres qui sont ajouts principalement lors de la fracturation, risquent de se retrouver dans laquifre en raison de puits non tanches et de migration travers les diffrentes strates se roche. Des exemples de contamination de leau ont dj t recenss aux tats-Unis et il est clair que leur nombre est dabord sous-estim, mais galement que dautres cas sont latents et ne pourront tre observs que plus tard dans la vie des puits actifs ou abandonns. Il sera malheureusement trop tard pour ragir, les mlanges chimiques se retrouvant des centaines de mtres sous la surface seront videmment hors de toute possibilit de contrle. Quelques rfrences ATSDR (2011). Heath consultation (Chesapeake ATGAS 2H Well Site, Leroy Hill Road, Leroy, Leroy Township, Bradford

    County, PA). En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://www.atsdr.cdc.gov/hac/pha/ChesapeakeATGASWellSite/ChesapeakeATGASWellSiteHC110411Final.pdf). BAPE. (2010). Tableau synthse des rsultats de caractrisation des eaux uses rsultant de la fracturation hydraulique

    des puits de gaz de schiste, DB11, Dpos dans le cadre des Audiences publiques sur le dveloppement durable de lindustrie des gaz de schiste au Qubec, le 6 octobre 2010. En ligne. Consult le 22 mai 2014.

    Colborn T., Kwiatkowski C., Schultz K. etBachran M. (2011). Natural gas operations from a public health perspective. Human & Ecological Risk Assessment, 17(5), 1039-56.

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    http://ees-gazdeschiste.gouv.qc.ca/wordpress/wp-content/uploads/2014/02/EES-rapport-synthese_final_web_janv-2014.pdf

    Conseil des acadmies canadiennes. (2014). Incidences environnementales lies lextraction du gaz de schiste. Points saillants du rapport, p. 2-3. En ligne. Consult le 12 mai 2014.

    http://sciencepourlepublic.ca/uploads/fr/assessments%20and%20publications%20and%20news%20releases/shale%20gas/shalegas_rif_fr.pdf

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    lies au gaz de schiste et la sant publique. Mise jour. Direction de la sant environnementale et de la toxicologie. En ligne. Consult le 9 mai 2014.

    http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/1749_EtatConnRelaActGazSchisteSantePubl_MAJ.pdf. Institut national de sant publique du Qubec INSPQ. (2010). Rapport prliminaire publi, Tableau 1, 22-28. Osborn SG., Vengosh A., Waner NR. et Jackson, RB. (2011). Reply to Saba and Orzechowski and Schon: Methane

    contamination of drinking water accompanying gas-well drilling and hydraulic fracturing. Proc Natl Acad Sci USA. 108(37): E665-E666.

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    Shields, Alexandre. (2014). Des risques la sant publique bien rels, prvient lINSPQ . Le Devoir. En ligne. Consult le 9 mai 2014.

    US EPA.(2012). Study of the Potential Impacts of Hydraulic Fracturing on Drinking Water Resources. Progress Report, US Environmental Protection Agency, Office of Research and Development, Washington, DC., Report EPA/601/R-12/011, En ligne. Consult le 22 mai, 2014. http://www2.epa.gov/hfstudy.

    Warner,NR., Jackson, RB., Darrah, TH., Osborn, SG., Down, A., Zhao, K., White A. et Vengosh A. (2012). Geochemical evidence for possible natural migration of Marcellus Formation brine to shallow aquifers in Pennsylvania. Proc Nat Acad Sci U.S.A. 109(30): 11961-6.

    Voir aussi : Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec. Textes choisis. http://www.collectif-scientifique-gaz-de-

    schiste.com/gaz-de-schiste-textes-choisis.

    3.3 Le sol et lagriculture: risques potentiels et avrs Lexploration et lexploitation dhydrocarbures et particulirement celles du gaz de schiste et du ptrole de schiste posent dimportants risques de contamination des sols, non seulement lors de dversements accidentels, mais au cours des activits normales associes lextraction du gaz. large chelle, des milliers de sites en plein coeur des zones agricoles risquent dtre contamins. Aux tats-Unis, cette question est source dinquitude:

    Without complete transparency (disclosure of all chemicals used and outlawing nondisclosure agreements in cases involving public health) and complete testing, science cannot proceed unimpeded. Without careful science demonstrating, not the absence of proof of harm, but rather the clear absence of harm to public health, neither state nor federal regulations can assure that the food supply and the health of individuals living near gas drilling and processing operations will be protected. (Bamberger et Oswald, 2012).

    La simple prsence en territoire agricole dun type dindustrie dont les manations peuvent se rpandre dans les environs devient une menace pour ltablissement et le maintien de lagriculture biologique. Cela met aussi en pril la qualit des cultures et de llevage en mode conventionnel. Lpandage potentiel des boues et autres rsidus de forage sur les routes et sur les terres agricoles risque dtendre de larges zones, la pollution des sols. Rappelons que dans la valle du Saint-Laurent, les terres sont satures dengrais chimiques, de pesticides et autres contaminants, au point o au lieu dtre absorbs, ces produits ruisslent vers les cours deau. La pollution des sols et des eaux est dj trs problmatique dans les terres les plus fertiles. Lexposer un autre risque signifie moyen terme de lourdes pertes pour le potentiel des terres et pour la qualit de vie. Quelques rfrences Bamberger, Michelle et Oswald, Robert E. (2012). Risk and Responsibility: Farming, Food, and Unconventional Gas

    Drilling. Independent Science News. En ligne. Consult le 22 mai 2014. http://www.independentsciencenews.org/health/risk-and-responsibility-farming-food-and-unconventional-gas-drilling/ Voir aussi : Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec. Textes choisis. http://www.collectif-scientifique-gaz-de-

    schiste.com/gaz-de-schiste-textes-choisis.

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    3.4 La biodiversit : risques potentiels et avrs Les deux rgions administratives vises principalement par l'exploitation des gaz de schiste, soit le Centre-du-Qubec et la Montrgie, possdent dj un environnement fortement sous pression. Suite aux nombreux dveloppements immobiliers (hausse de la population), commerciaux et industriels, aux autoroutes, etc., moins de 30 % de la Montrgie est encore couverte par des forts, ce qui reprsente une situation critique pour le maintien de la biodiversit qui dpend de forts saines. Une tude du MRNF de 2010 mentionnait que le seuil critique de biodiversit des forts qubcoises pouvait se maintenir si le pourcentage du couvert forestier tait prserv au-del de 40 %. En Montrgie, on retrouve plus de 140 cosystmes forestiers exceptionnels, ce qui correspond 30 % de l'ensemble de ceux du Qubec. Une grande biodiversit animale y trouve refuge, notamment plus de 90 espces de poissons dulcicoles ainsi que pas moins de 300 espces d'oiseaux. Plusieurs de ces espces (170) sont dj dsignes menaces ou vulnrables, ou sont sur le point de l'tre. Le statut de Rserve mondiale de la Biosphre par l'UNESCO du Mont-Saint-Hilaire na pas protg ce dernier de l'industrie des gaz de schiste: en effet, un puits de gaz a dj t for dans la zone de coopration entourant ce joyau naturel. Le Centre-du-Qubec possde quant lui une fort plus tendue (environ 50 %), cependant trs morcele. Il ne reste dans cette rgion que 25 % des milieux humides d'origine, milieux pourtant critiques pour la survie de certaines espces. Cette rgion, qui accueille plusieurs rserves cologiques ainsi que la rserve mondiale de la Biosphre du Lac Saint-Pierre, possde galement son lot d'espces en pril (63). Divers impacts environnementaux sur cette biodiversit exceptionnelle, dont les consquences n'ont pas t mesures, sont donc prvoir. Les puits de forage, mais aussi les routes ncessaires l'exploitation et le passage des gazoducs occasionneront une perte directe d'habitat, sinon un morcellement de ce qui en reste. Limplantation de sites de forages trs large chelle et le quadrillage des terres par un rseau extensif de pipelines auraient pour consquence de fragmenter les habitats fauniques et de briser des corridors fauniques. Aux tats-Unis, des chercheurs du Dpartement de la pche et de la faune sinquitent de ces perturbations sur lhabitat et de la prsence humaine accrue particulirement en priode de reproduction de certaines espces (U.S. Department of the Interior Fish and Wildlife Service, 2013). Un phnomne de diminution du ratio d'intrieur (coeur) de fort par rapport aux bordures de fort est prvoir, occasionnant par le fait mme une augmentation de la surface de contact avec les routes et autres infrastructures pouvant nuire la faune. Certaines espces ncessitent pour vivre de se retrouver en coeur de fort (par exemple le renard roux, le cerf de Virginie, etc.) En bordure, on peut anticiper des changements dans les microclimats dont dpendent certaines populations animales et vgtales pour survivre. Par exemple, des changements thermiques, hydriques ou d'ensoleillement, ou encore concernant la qualit du sol, sont prvoir. Lors de la phase active des travaux d'exploration et dexploitation, qui devrait durer quelques mois, on s'attend des effets du bruit sur les animaux qui dpendent du chant pour protger leur territoire ou pour se reproduire, tels que les oiseaux chanteurs, certains insectes et certains amphibiens. La lumire accrue durant la nuit, les poussires et autres dbris gnrs par les travaux augmenteront l'impact indirect des travaux de forage sur les milieux environnants. Cette pression sur les populations animales pourrait entraner des migrations, qui modifieront assurment les rseaux trophiques dont ces espces font partie, par exemple par une prdation accrue certains endroits.

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    Il est prvoir aussi une augmentation des espces invasives sur les sites des travaux et sur les routes qui y mneront, cause notamment du transport routier qui sera occasionn. De plus, ces nouvelles routes augmenteront potentiellement la mortalit animale (roadkill). Les bassins de dcantation exposent la faune et lenvironnement immdiat dimportants risques de contamination, via notamment lvaporation et la dissmination dans lair. Ils sont galement vulnrables des surverses en cas de pluie et mme des dversements, car ces bassins souvent faits de membranes, dont la rsistance est inadquate pour contenir sans risque les liquides pouvant tre fortement contamins. De plus, on rapporte que les oiseaux migrateurs cherchent souvent se poser sur leau de ces bassins. En somme, ces diffrents facteurs affecteront la diversit gntique des espces, tant animales que vgtales, qui peuplent ces milieux. Un morcellement du territoire viendra augmenter des phnomnes comme l'endogamie, la consanguinit et la drive gntique en amoindrissant les tailles des populations, ce qui entranera une perte de diversit gntique les fragilisant. Des espces seront particulirement touches par ces perturbations, notamment celles longue dure de vie, possdant ainsi un taux de reproduction plus lent, ou encore les espces qui ont des besoins spcifiques quant leur habitat cologique. Selon la Loi du dveloppement durable, le principe de prcaution prvaut dans le cas o il y a risque de dommage grave ou irrversible la biodiversit du territoire qubcois, spcialement dans les deux principales rgions qui sont dans la mire de l'industrie des gaz de schiste. Quelques rfrences Bamberger, M. et Oswald, R.E. (2012). Impacts of gas drilling on human and animal health. New Solutions, 22(1), 51-77. Howarth, R.W., Santoro, R. etIngraffea, A. (2011). Methane and the greenhouse-gas footprint of natural gas from shale

    formations. Climatic Change Letters, 106(1). Nol, Marie-Odile. (2012). Les risques pour la biodiversit de lexploitation des gaz de schiste dans la valle du Saint-

    Laurent. Essai, UQAM (section Regards du site du Collectif scientifique). En ligne. Consult le 21 mai 2014. Osborn, S.G., A. Vengosh, Warner, N.R. et Jackson, R.B. (2011). Methane contamination of drinking water accompanying

    gas-well drilling and hydraulic fracturing. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(20): 8172-8176. Racicot, A. et al, (2014) Framework to Predict the Impacts of Shale Gas Infrastructures on the Forest Fragmentation of an

    Agroforest Region. Environmental Management, DOI 10.1007/s00267-014-0250-x The Endocrine Disruption Exchange (TEDX). (2012). Chemicals in natural gas operations. En ligne. Consult le 21 mai

    2014. http://www.endocrinedisruption.com/chemicals.introduction.php. U.S. Department of the Interior Fish and Wildlife Service. (2013). Endangered and Threatened Wildlife and Plants;

    Endangered Status for Gunnison Sage-Grouse; Proposed Rule. Federal Register 78( 8), 11janvier 2013, 50 CFR, Part 17, 2486-2538. En ligne. Consult le 21 mai 2014.

    Wood, R., Gilbert, P., Sharmina, M., Anderson. K., Footitt, A., Glynn, S. et Nicholls, F. (2011). Shale gas: a provisional assessment of climate change and environmental impacts. A research report by the Tyndall Centre, University of Manchester.

    Voir aussi : Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste au Qubec. Textes choisis. http://www.collectif-scientifique-gaz-de-

    schiste.com/gaz-de-schiste-textes-choisis.

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    4. Risques et atteintes la sant publique et la qualit

    de vie Voir galement lannexe ce mmoire Lexploration et lexploitation du gaz de schiste au Qubec grande chelle exposeraient un grand pan de la population des risques pour la sant, particulirement les populations vivant proximit des sites dextraction. Aux tats-Unis, on calcule que plus de 15 millions de personnes habitent moins de 1,5 km dun puits de ptrole ou de gaz. Lexpansion du rseau de pipelines travers le territoire pour desservir les sites de gaz de schiste tendrait encore davantage cette zone de risque. Le Collectif scientifique a collig plusieurs textes publis par des regroupements de mdecins exprimant leurs inquitudes concernant les impacts de cette filire sur la sant de la population. galement, nous avons t trs attentifs au rapport de lInstitut national de sant publique du Qubec (INSPQ, 2013), qui fait tat de risques technologiques, des risques lis la contamination de leau, la pollution de lair ainsi que des risques deffets sur la qualit de vie. LINSPQ (2013) identifie des risques technologiques comme les explosions, les incendies, les fuites et les dversements de matires dangereuses. Les contaminations peuvent survenir lors daccidents, mais aussi lors des oprations normales lies lextraction du gaz de schiste. Or, les connaissances de la nature, des quantits, des procdures de manipulation et de transport des substances chimiques utilises par lindustrie gazire demeurent encore incompltes. Ce manque de connaissances fait en sorte quil nest pas encore possible dvaluer le niveau potentiel dexposition tant des travailleurs que de la population environnante ces substances et de faire lvaluation des risques , nous dit lINSPQ. Nous savons cependant qu'aux tats-Unis, o cette exploitation est en cours depuis plusieurs annes, les accidents sont nombreux. Seulement en 2011, 666 infractions portant atteinte l'environnement et/ou la sant publique ont eu lieu sur une priode de 6 mois, sur les 65 000 puits en Pennsylvanie. Ces accidents o des produits toxiques sont dverss dans le milieu peuvent causer de nombreux problmes de sant, que l'exposition aux contaminants soit par l'air (particules en suspension manant des sites de forage) ou dans l'eau (infiltration de la nappe phratique par des composs chimiques plus ou moins dilus, par exemple). Ces divers composs, tels que relevs dans le mmoire des Mdecins pour un environnement sain dpos au BAPE en 2010, comportent des risques importants court ou long terme: allergies, cancer, affections pulmonaires, leucmie, toxicit neuronale, atteintes de divers organes, dont le foie, les reins, etc. En ce qui concerne plus spcifiquement la pollution de lair, des modlisations permettent de prvoir des augmentations locales des concentrations de certains polluants et en particulier, celles des particules fines et de lozone et de ses prcurseurs (c.--d. COV) (INSPQ, 2013), mettant risque la sant cardiorespiratoire. Selon une tude arbitre et publie dans le Journal Human and Ecological Risk Assessment (Colborn, T. et coll., 2012), more than 50 NMHCs (non methane hydrocarbons) were found near gas wells in rural Colorado, including 35 that affect the brain and nervous system . Certains ont t dtects des niveaux suffisamment levs pour affecter potentiellement des enfants qui y sont exposs avant leur naissance. Dautres chercheurs amricains affirment: A number of studies suggest that shale gas development contributes to levels of ambient air concentrations known to be associated with increased risk of morbidity and mortality (Shonkoff et al, 2013). La question des perturbateurs endocriniens est galement critique. Plusieurs produits utiliss par l'industrie sont reconnus comme des perturbateurs endocriniens, tels que le xylne, le benzne, ou le dimthylformamide (Shonkoff et autres, 2014, p.10; Kassotis et autres, 2014;

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    Picot, 2012; Colborn et al., 2011). Ici, la dose ne fait pas le poison, car on sait maintenant qu'une dose minime peut entraner des effets importants sur le systme endocrinien, mais aussi d'un point de vue de l'expression gnique (pigntique), sur le long terme, ou encore en ce qui concerne l'effet de bioamplification de ces produits. Par ailleurs, un ensemble de nuisances (augmentation du bruit, de la poussire, des vibrations, clairage intense et prolong, pollution visuelle, etc.) lies aux activits de forage, de fracturation, dentreposage, de transport et de circulation peuvent affecter ngativement la qualit de vie des populations vivant prs des puits et des routes daccs. On craint aussi les impacts socioconomiques, culturels et psychologiques lis au phnomne boomtown tel quobserv dans plusieurs communauts tatsuniennes o sinstallent les industries de gaz de schiste. Pnuries de logements, augmentation du prix des biens et des services et augmentation des tensions et des conflits peuvent tre source de stress, danxit, dangoisse, de sentiments de perte de confiance et de perte de contrle chez certaines personnes, nous dit lINSPQ (2013). Limpact ngatif sur les activits existantes sur le territoire (par exemple, les entreprises touristiques) peut sans doute aussi contribuer au stress dans la communaut. (Voir galement la section 6. Perspective de loccupation du territoire et du paysage) Encore une fois, le principe de prcaution de la Loi sur le Dveloppement durable devrait imprativement s'appliquer, d'autant plus que la protection des ressources vitales comme leau et lair est largement prioritaire l'extraction des nergies fossiles, quil importe de remplacer au plus vite par des sources alternatives. Quelques rfrences Bamberger, M. et Oswald, R.E. (2012). Impacts of gas drilling on human and animal health. New Solutions, 22(1), 51-77. Colborn, Theo et coll. (2012). An Exploratory Study of Air Quality near Natural Gas Operations. Human and Ecological

    Risk Assessment: An International Journal. En ligne. Consult le 9 mai 2014. Direction de la sant environnementale et de la toxicologie. (2013). tat des connaissances sur la relation entre les

    activits lies au gaz de schiste et la sant publique. Mise jour. Institut national de sant publique du Qubec (INSPQ). En ligne. Consult le 9 mai 2014.

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    formations.Climatic Change Letters, 106 (1). Kassotis, Christopher D., Tillitt, Donald E., Davis,J. Wade, Hormann, Annette M. et Nagel, Susan C. (2014). Estrogen and

    Androgen Receptor Activities of Hydraulic Fracturing Chemicals and Surface and Ground Water in a Drilling-Dense Region. Endocrinology, 155(3). En ligne. Consult le 12 mai 2014.

    http://press.endocrine.org/doi/abs/10.1210/en.2013-1697 Nikiforuk, Andrew. (2014). Shale Gas Plagued By Unusual Methane Leaks. Scientists investigate high levels of damaging

    gas released in fracked areas. TheTyee.ca. En ligne. Consult le 9 mai 2014. http://thetyee.ca/News/2014/05/06/Shale-Gas-Methane-Leaks/ Osborn, S.G., Vengosh, A., Warner, N.R. et Jackson, R.B. (2011). Methane contamination of drinking water

    accompanying gas-well drilling and hydraulic fracturing. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108(20), 8172-8176.

    Picot, Andr