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MEDECINE DE L’HOMMERevue du Centre Catholique des Médecins Français
CCMF Nouvelle série N°11 - Décembre
Editorial Michel de Boucaud Psychiatrie carcérale Jean-Benoît Linsmaux
Psychiatrie et migrants Christophe LagabriellePsychiatrie et neurosciences André GalinovskiTroubles de l’identité sexuée Bernard Cordier
La psychiatrie française : hier, aujourd’hui et demain Marc-Louis Bourgeois
Notes de lecture
Evénements
Les évolut ions actuel les de la psychiatr ie (2 )
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CCMFCentre Catholique des Médecins Français
Conseil national du CCMF• Président : Dr. Bertrand Galichon (Paris)• Vice-président : Pr. Christophe de Champs (Reims)• Secrétaire Général : Dr. Stanislas Faivre d’Arcier (Paris)• Trésorier : Pr. Christian Brégeon (Angers)• Aumônier National : Père Jacques Faucher• Autres Membres : Dr. François Blin (Saint Witz), Pr. Michel de Boucaud (Bordeaux), Dr. Françoise Gontard (Paris), Dr. Solange Grosbuis (Garches), Dr. Bernard Guillotin (Paris), Pr. Jean Michel Rémy (Garches), Dr. Dominique Yeme (Dijon).
◊
Comité de Rédaction de Médecine de l’Homme
Directeur de la publication : Dr. Bertrand Galichon.Dr. Bernard Ars, Père Olivier de Dinechin, Dr. François Blin, M. Etienne de Blois, Pr. Michel de Boucaud, Pr. Christian Brégeon, Pr. Christophe de Champs, M. Philippe Cottard, M. David Doat, Père Jacques Faucher, Dr. Solange Grosbuis.
◊
HistoriqueSeptembre 1884 : Le Dr. Le Bele, du Mans,
disciple de Claude Bernard, fonde la première association de médecins catholiques, sous le nom de « Société Saint Luc, Saint Côme et Saint Damien ». Le Dr. Le Bele répond ainsi au désir d u P a p a L é o n X I I I , d a n s s o n encyclique « Humanum Genus » (20 avril 1884), demandant aux catholiques de s’unir contre le rationalisme et le matérialisme athées qui imprègnent la société. Par la suite, de nombreuses
associations sont créées en France et dans divers pays, mais leurs actions restent dispersées.
1907 : En France, une association nationale est créée. Des associations du même type voient le jour en Europe et à travers le monde ;
1924 : Le Dr. Octave Pasteau, de Paris, organise, avec l’approbation du Pape Pie XI, un Secrétariat central des sociétés nationales de médecins catholiques.
1930 : Les Congrès de Budapest (1930) et de Paris (1934) amorcent la formation de la FIAMC (Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques) qui sera officiellement créée en 1966 au Congrès de Manille. En 1962, au congrès de Lourdes, création de la FEAMC (Fédération Européenne des Associations de Médecins Catholiques).
20 Octobre 1963 : Les membres de « la Société Saint Luc, Saint Côme et Saint Damien » réunis en congrès à Nantes réorganisent leur association qui devient le CCMF (Centre Catholique des Médecins Français).
Après 1968 : La revue trimestrielle « Médecine de l’Homme » est publiée jusqu’en 2001. Un bulletin trimestriel de liaison la « Lettre de l’Espérance » vient la relayer.
En 2010, sous format électronique, ce bulletin est remplacé par la « Lettre Saint Luc » et la publication trimestrielle la revue « Médecine de l’Homme » est reprise. Le site « ccmf.fr » outre l’accès à notre revue permet aux internautes d’accéder à une base de données, de connaître l ’ agenda du CCMF, de fa i re par t de manifestations qu’ils organisent et enfin d’adhérer au CCMF.
En 2011, le CCMF participe à la création de la Conférence Chrétienne des Associations de Professionnels Dans la Santé (CCADPS).
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SOMMAIRE
Editorial : Les évolutions de la psychiatrie (2) Pr. Michel de Boucaud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Psychiatrie carcérale 3+1 : les chemins de la souffrance en prisonDr. Jean-Baptiste Linsmaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Psychiatrie et migrantsDr. Christophe Lagabrielle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Psychiatrie et neurosciences Pr. André Galinovski . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22
Troubles de l’identitée sexuée
Dr. Bernard Cordier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
la psychiatrie française : hier, aujourd’hui et demain Pr. Marc-Louis Bourgeois. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
Notes de lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55
Guy Avanzini et François Hochepied, Les cultures du corps et les pédagogies chrétiennes XIXe et XXe
Rémi Brague, Le propre de l’homme, sur la légitimité menacée
Evénements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
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Les évolutions actuelles de la psychiatrie (2)
Pr. Michel de Boucaud,
Comme nous l’avions annoncé, nous sommes heureux de vous présenter le deuxième numéro concernant les évolutions actuelles de la Psychiatrie. Il n’est certainement pas possible de considérer l’intégralité des secteurs d’une discipline qui s’est considérablement diversifiée. Mais nous nous sommes efforcés de prendre en compte quelques aspects marquant de la Psychiatrie actuelle posant des problématiques scientifiques et humanistes.
La Psychiatrie Française Hier aujourd’hui et demain (Pr M. Bourgeois) fait un tableau global des évolutions, l’organisation institutionnelle, l’émergence des progrès scientifiques et les développements humanistes permettant d’avoir une certaine conception de l’avenir
Dans « Psychiatrie et Neurosciences « le Pr A. Galinowski (INSERM-ORSAY) nous éclaire sur les grandes dimensions des neurosciences capables de nous apporter les meilleures connaissances sur les fondements somato-fonctionnels des troubles mentaux. Et leurs relations avec les dimensions psychopathologiques et psychiatriques.Les rapports entre Psychiatrie et milieu carcéral nous amèneront, avec le Dr J.B. Linsmeaux aux problématiques très actuelles. La Psychiatrie est actuellement dans une phase où les relations entre les progrès scientifiques et les dimensions cliniques nécessitent de constantes approches épistémologiques et éthiques en particulier dans certains domaines sensibles actuellement. Ce sont les problèmes de l’autisme, par exemple, où nous pouvons constater l’estompage de la polémique au profit de positions constructives. Ce sont les problèmes de la Dangerosité avec leurs dimensions médicolégales et juridiques capitales. Ce sont les problématiques de prévention des troubles de la personnalité rejoignant les domaines de la dangerosité. Ce sont la prévention et la prise en charge des troubles déficitaires. Ce sont toutes les perturbations d’addiction chez les jeunes et les moyens de prévention qui ne trouveront certainement pas leur solution dans une facilitation des conduites actives. Dans toutes ces questions, nous rencontrons la problématique de la fonction du Médecin et du Psychiatre face à la dangerosité au milieu de beaucoup d’autres situations. Le psychiatre a une double fonction très exigeante sociale et personnelle. Il a la fonction sociale de participer à la sécurité des groupes sociaux et il a la fonction très personnalisée de prendre en compte dans sa très grande profondeur la personne humaine et la dignité de son existence. La psychiatrie a précisément la mission et le projet de répondre à ces deux modalités d’exigence essentielle. Et dans la compréhension de ces deux fonctions il est toujours nécessaire de mettre en œuvre les dynamiques de l’intégration qui permettent de prendre en compte depuis la magistrale conception toujours vivante de Henri Ey les multiples dimensions du corps, du psychisme et de l’esprit dans le respect de la dignité de l’être humain, et dans le souci fondamental de son développement.
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Psychiatrie carcérale: 3+1,
les chemins de souffrance en prison
Dr. Jean-Benoît Linsmaux, psychiatre Médecin responsable durant plusieurs années des sections psychiatriques de deux des plus grandes prisons belges, j'ai pu me rendre compte des différents visages que la souffrance peut revêtir non seulement en prison, mais aussi en dehors de la prison.
Par ce titre quelque peu flou, je voudrais attirer l'attention sur les différentes
souffrances rencontrées dans le monde carcéral, souffrance dont certaines sont
parfois insoupçonnées et insidieuses
3+1
Pourquoi 3 ? Il y a trois types de souffrance qui apparaissent rapidement en
prison, souffrances que je tiens à distinguer d’un quatrième type de souffrance.
Commençons par le 1 contenu dans le 3.
1
Etre en prison, privé de liberté et de symboles de dignité est une souffrance. Pour
s’en faire une idée, rien de tel que le récit de mes premiers jours de travail au sein
d'un établissement carcéral. Tout d'abord, l’entrée dans la prison : un système de
fouille avec appareil à rayons X, détecteurs de métaux, carte d'accès,... Nous
sommes "au portier". Dès cet instant, commence une subtile discrimination.
Toute personne travaillant en prison sait "ce qui sonne au détecteur" et qui doit
être scanné séparément, ce qui aboutit rapidement à ne pas s'encombrer d'objets
inutiles, à la différence des familles de détenus qui doivent se soumettre aux
même contraintes. Ils passent et repassent au détecteur de métaux avec aussi
toutes les complications que l'on peut imaginer. Ensuite, la tenue vestimentaire et
l’identification : chaque personne doit être photographiée afin d’être reconnue,
notamment par le système de vidéosurveillance interne, pas question pour les
familles de s’aventurer en dehors des zones autorisées. Là se pose le problème du
voile islamique. Si une seule femme en porte un, elle peut le garder car sera
repérée comme telle. S’il y a deux candidates, l’une doit enlever son voile ou
s’abstenir de visite ce jour-là. Nouvelle source de conflit.
De plus, une différence de traitement évidente existe entre le personnel habituel
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de la prison qui a droit à un bonjour voire une blague et les familles qui passent
ce genre de « douane » dans la plus grande froideur humaine. La souffrance due
à l'incarcération dans la prison vient de partout: bruit des grilles, les ordres criés
dans les sections, les caméras omniprésentes, les regards suspicieux, la hiérarchie
interne aux détenus qui va de la moquerie au racket et même au meurtre, les
menottes, le passage par « le bain » pour un nouveau détenu, les points de
contrôle,…
Lorsque je m'occupais des détenus atteints de trouble psychiatrique de la prison
de Lantin, la plus grande du pays, je passais pas moins de 19 points de contrôles
avant d'arriver à mon bureau!
Je me rappelle particulièrement d'un évènement qui m'a marqué à la prison de
Forest à Bruxelles, évènement touchant la dignité humaine: le passage au bain.
S’il y avait bien jadis un passage par un bain à l'époque, cette étape désigne
aujourd'hui le transfert du détenu de l'autorité de la Police à l'Administration
pénitentiaire. Concrètement, le passage par le bain signifie que le détenu
abandonne ses effets civils pour revêtir la tenue des détenus avec son numéro de
matricule et une caisse contenant un minimum d'affaires de toilette, moment
particulièrement déshumanisant. Un homme avec ses vêtements et tout ce qu’ils
peuvent dire de lui, ses clefs, son téléphone, son portefeuille,…se retrouve en
quelques minutes en tenue de détenu. A priori, un numéro parmi d’autres ! A
côté, un couloir où passe librement le personnel souvent indifférent à cet instant
douloureux de l’incarcération.
Enfin, en cellule dans la section psychiatrique, c’est la promiscuité, sa place à
trouver dans la hiérarchie avec les autres détenus, l’hygiène douteuse de certains
à supporter, les symptômes de leur maladie mentale, leur discours parfois
déstructuré ou marqué par la folie. A part l’aspect psychiatrique, il en va de
même pour les détenus considérés comme non-malades mentaux qui arrivent
dans les autres sections de la prison.
2
Après quelques jours, voire quelques semaines, le contact avec les détenus
permet de casser la glace. Ils commencent à repérer qui dans l'établissement peut
être bienveillant pour eux. Souvent, le médecin en fait partie. Je dois mentionner
que deux types de psychiatres coexistent dans les prisons belges : les psychiatres
de soins, dont je faisais partie, qui ont peu de contact avec le Tribunal
d’Application des Peines (le tribunal qui décide des sorties, congés pénitentiaires,
…) et les experts-psychiatres qui rendent un avis souvent décisif pour la sortie du
détenu.
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Il n'est pas rare pour un psychiatre carcéral de soins d'aborder la question de la
présence du détenu dans l'établissement, donc des faits commis envers les
victimes, les victimes: deuxième chemin de souffrance. Combien de fois me suis-
je demandé comment pourraient se reconstruire, se relever des personnes ayant
subi agressions, traumatismes, tortures, vol,... Je me rends compte aussi de la
difficulté d'infliger une sanction juste au regard des faits. C'est aussi un chemin
d'humilité. Je ne suis pas juge, je ne dois pas me réjouir de la souffrance d'un
détenu, sachant de plus que cela peut produire l'effet inverse. Infliger une
souffrance dépourvue de sens induit davantage d’agressivité. Il ne s’agit pas alors
d’une sanction.
L’écoute. Combien de fois des détenus m'ont dit le bien que cela leur fait d'être
simplement écoutés comme des personnes humaines, sans jugement en leur
accordant la même dignité qu'à tous. Cela passe souvent par des détails: un
bonjour, une invitation à s'asseoir, de l’humour, une poignée de main. Cela
n'empêche pas non plus le contre-transfert parfois, c'est-à-dire les sentiments
négatifs qu'une personne peut induire chez le soignant de par son comportement
ou via faits commis. Comme père de 5 enfants, il est clair que j'ai toujours eu
plus de mal avec les personnes ayant commis des faits sur des enfants, mais la
gestion du contre-transfert est l’affaire du médecin. Si ce contre-transfert
interfère avec les soins, il convient de passer la main à un autre confrère afin de
ne pas tomber dans la maltraitance.
3
1 : Le chemin de souffrance de l'incarcération, 2 : Le chemin de souffrance des
victimes. Que reste-t-il? Le moment où un jour une phrase commence par:
"Docteur, vous savez, quand j'étais petit,...", récits parfois de vies sans histoires,
mais aussi récits de vie d'horreurs. Maltraitance, insultes, alcoolisme et
toxicomanie chez les parents, abus, placements précoces par la justice, brimades
à l'école, échecs scolaires, échecs professionnels. Le tout sous le feu nourri du
marketing, « il faut posséder pour exister », ou de réflexion comme : « J'ai le droit
d’être heureux, j’ai droit à mon plaisir, bien ou mal j'y ai droit, même si je le
trouverai dans la destruction gratuite du bonheur de l'autre, bonheur
insupportable pour moi dans une société qui ne m'a rien donné ».
Pour le thérapeute, à nouveau, un chemin de l'humilité: écouter, ne pas juger et
souvent se demander s'il y avait une alternative à la voie prise par le détenu et
puis l'étonnement à l'écoute des projets des détenus, des projets pas si différents
des miens: un travail, une famille,...
Ce que je sais en revanche, c'est que la libération tellement idéalisée durant la
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détention est synonyme de retour dans son milieu d'origine. Certains
environnements sont protecteurs et soutenants, d’autres sont dévastateurs et
précipitent parfois à terre en quelques jours à peine le travail de plusieurs mois.
Peu ont le courage de rompre si nécessaire avec leur entourage pour évoluer
positivement,…retour au milieu des loups.
et le +1 ?
Comme si tout cela n'était pas encore assez, un chemin de souffrance non
négligeable pour le détenu est l'univers kafkaien dans lequel il va devoir évoluer
pour trouver un avocat, commis d'office ou privé, élaborer un plan de
reclassement avec suivi médical, logement, travail. La première difficulté pour le
détenu est de ne pas se cantonner à une passivité basée rapidement sur la pensée
magique que demain, dehors, tout ira bien « car c’est dehors », se dire que
dehors, cela ne peut aller que mieux. Je reprends ces mots de Victor Hugo qui
décrivent si bien cette situation : « L’avenir est un fantôme plein de promesses, qui arrive
toujours les mains vides ».
Ensuite, quand la mise en place de la réinsertion commence, combien j'ai vu de
portes se refermer à la seule évocation de l’incarcération ? Un ancien détenu, un
« ex-taulard », comme voisin, comme collègue, comme ouvrier, comme
locataire ? Il va de soi que les candidats ne se bousculent pas au portillon pour les
accueillir !
Pour les détenus atteints de pathologies mentales, il y a la condition
supplémentaire de devoir se faire soigner à l’extérieur et d’être assez améliorés
ou stabilisés dans leur pathologie pour sortir. En sachant que la Loi sur les Droits
du Patient, qui s’applique aussi en prison, autorise quiconque à refuser des soins
médicaux hors d’un état de nécessité. Cela revient à dire qu’un détenu atteint de
schizophrénie qui refuse le traitement, s’il est menaçant, sera traité de force car il
représente un danger pour autrui et de ce fait, ne pourra pas sortir et qu’un
détenu atteint de schizophrénie qui refuse le traitement et qui est calme, ne sera
pas traité de force, mais ne pourra pas sortir non plus car il est toujours
symptomatique. La nosognosie (c’est-à-dire la conscience de la maladie) et la
compliance au traitement (le suivi et la prise correcte du traitement) sont donc
des conditions sine qua non pour que le dossier soit examiné par le Tribunal
d’Application des Peines. Souvent, le détenu bénéficiera d’abord de congés
pénitentiaires. S’ils se passent bien, il sera libéré sous conditions puis
définitivement.
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Durant un congé pénitentiaire ou une libération sous condition, le détenu n’a
droit à aucune erreur. Là où n’importe qui hausserait le ton, le détenu doit rester
calme. Un exemple me vient à l’esprit : un détenu en libération conditionnelle
avait claqué de colère la porte du centre public d’aide sociale (CPAS) car pour en
bénéficier, il faut un domicile personnel et tant qu’il est incarcéré, le détenu est
domicilié à l’établissement pénitentiaire. Sans juger de sa réaction, sans doute
effrayée par tout ce que le fait d’être incarcéré peut véhiculer dans l’inconscient
individuel ou collectif, l’employée du centre d’aide sociale a averti la police qui a
ramené le détenu en prison. Alors que son dossier était déjà complet puisqu’il était
en libération conditionnelle, ce dossier n’a été examiné à nouveau que deux ans
plus tard, faute de magistrats pour traiter ce type de dossier. L’arriéré judiciaire est
passé par là. Pour le détenu, cela revient à deux ans de prison ferme pour une
porte claquée ! Ne devrait-on pas se ré-interroger sur le bien-fondé de pareille
situation ? Bien sûr que si, diront tous les acteurs du milieu judiciaire. Seulement,
chacun parle, partant de son propre paradigme. Le paradigme de la justice :
sanctions et protection de la société ; le paradigme de la prison : sécurité dans et
autour de l’établissement pénitentiaire ; le paradigme médical : les soins. Chacun
a son paradigme, sa logique. Partant d’une volonté de bien faire, ces différents
acteurs plongent parfois des patients atteints de maladie mentale dans des
situations inextricables, comme ce détenu étranger, atteint d’une forme légère de
schizophrénie qui doit purger sa peine en Belgique car Amnesty international a
déclaré qu’il ne pourrait pas recevoir des soins de qualités dans son pays s’il y
purgeait sa peine. Par ailleurs, l’Office des Etrangers a émis un avis d’expulsion
pour lui avec effet suspensif car son pays d’origine est toujours en guerre.
Conclusion pour lui, s’il se soigne et que la guerre cesse, il retourne dans son pays
en ruine, s’il ne se soigne pas ou que la guerre se poursuit dans son pays, il reste en
prison. Quel espoir lui apporter ? De quelle lumière lui parler, moi qui sort tous
les jours de cette prison pour retrouver l’extérieur librement ? Comment s’étonner
de mutineries dans ces conditions, de suicides ? Pourquoi même n’y en a-t-il pas
plus me suis-je même demandé ?
Quand la chimie adoucit la peine
La consommation de psychotropes sédatifs est la plus haute dans les prisons et la
distinction n’est pas évidente à faire entre le détenu qui veut se défoncer en
journée, le véritable insomniaque, le détenu qui veut dormir un maximum « pour
faire passer sa peine plus vite » et celui qui ne dort plus du fait des non-sens du
système.
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Quand la présence adoucit la peine
A côté de la solution chimique, j’ai découvert avec joie combien des personnes
oeuvrent, souvent en silence, pour les détenus ; que ce soit pour une aide
concrète ou pour leur dignité. J’ai vu des agents pénitentiaires passer une demi-
heure à discuter avec un détenu pour l’apaiser ou pour qu’il prenne un
traitement, j’ai vu des visiteurs de prisons venir inlassablement écouter, donner
de leur temps, donner de la dignité aux détenus. « J’étais en prison et vous êtes venus
jusqu’à Moi ! (Mat. 25 :31-46) ». J’ai vu des Juges encourageant plutôt que
réprimandant, des détenus eux-même s’entre-aidant.
Conclusion
Pendant que s’interrogent les instances du Ministère de la Justice, je voudrais
insister sur ces dernières notes positives car tous les intervenants sont utiles au
détenu et au fonctionnement du système. Le travail de chacun accompli avec le
souci du respect de la dignité de chacun (dignité entre intervenants et détenus,
dignité entre intervenants, dignité entre détenus) est actuellement le moins cher
et le plus accessible des moyens pour que les prisons soient des lieux qui
remettent sur le droit chemin des êtres humains et non des machines produisant
des criminels. Car en me mettant à l’extérieur du système, je pense, comme
beaucoup d’autres j’espère, que quelqu’un qui a trébuché et qui s’est relevé
mérite une main tendue. En revanche, un criminel non-repenti, je dois m’en
éloigner et protéger ma famille. Cercle vicieux, cercle vertueux : entre les deux,
la dignité dans son travail envers autrui.
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Psychiatrie et migrants
Dr. Christophe LagabrielleAuteurs associés Dr Marine Barault-Hereau, psychiatre et Sylvain Macalli, psychologue.Tous appartiennent à l’EMPP - Equipe Mobile de Psychiatrie et Précarité, Hôpital Charles Perrens de Bordeaux
Deux cent mille étrangers environ, entrent chaque année en France
depuis vingt ans, sans que ce chiffre n’augmente, malgré les annonces que l'on en
fait par voie politique ou par voie de presse, lors de chavirages dramatiques
d’embarcations de fortune par exemple. Ces personnes tentent de rentrer en
Europe et plus précisément dans l'espace Schengen, le plus souvent pour fuir des
conditions de vie difficiles, des maltraitances familiales, politiques ou religieuses,
bien plus que pour atteindre un eldorado.
Nous vous proposons de différencier deux grands groupes de migrants.
Ceux pour lesquels la migration se fait de façon préparée, anticipée, avec un
accueil sur le territoire européen et français (étudiants, rapprochement familial,
accueil par un « cousin ») ; ceux-là préparent et organisent un pont, un lien entre
les deux continents, les deux cultures, celle d’origine et celle d’accueil. Il y a aussi
tous les migrants qui quittent leur pays la plupart du temps contraints et forcés,
sans lieu, ni personne pour les accueillir. C’est principalement de ces derniers
dont nous parlerons ici, à propos de migrants et psychiatrie.
Pour les premiers, la nécessaire mise en concordance et intégration de
deux cultures différentes, avec leurs points de frottement, leurs conflits et la
nécessaire double appartenance qui doit progressivement être réalisée : intégrer
une nouvelle culture tout en conservant la culture d'origine. On est ici dans une
problématique psychologique, plus ou moins complexe et plus ou moins durable
selon les personnes et les situations. Il arrive cependant pour ces personnes, en
raison de la fragilité de leur personnalité, qu’ils mettent à jour une pathologie
psychiatrique que l'on nomme trouble de l'adaptation. Il s’agit de troubles anxio-
dépressifs qui sont en lien avec la difficulté à intégrer et à s'intégrer dans un
nouveau pays et une nouvelle culture.
Les migrants appartenant au deuxième groupe sont des personnes ayant
dû quitter leur pays parce qu'ils ont été pourchassés, menacés, persécutés et
contraints à quitter leur pays, le plus souvent pour des raisons politiques ou
religieuses, ou les deux associées. Ce sont des migrants dits exilés. Quand leurs
voyages de migration se font par voie terrestre et maritime et non par avion, ils
sont amenés à rencontrer des évènements de vie extrêmement traumatiques au
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cours desquels ils croisent le regard de la mort, que ce soit pour eux-mêmes ou
pour leurs compatriotes : vision de squelettes dans le désert, viols pour les femmes,
chavirages dans la Méditerranée. Ce voyage de migration, pendant de longs mois
voir plusieurs années laisse une ou des traces traumatiques. À l’arrivée en Europe
et en France, les difficultés des conditions de vie qui leurs sont réservées,
extrêmement précaires, viennent potentialiser la rupture et la perte de leurs liens
avec leur milieu familial, culturel, social et géographique. Ils déclenchent alors des
pathologies psychiatriques qui sont le plus souvent dépressives et surtout post-
traumatiques. On appelle ces dernières, les syndromes de stress post-traumatiques
que les anglais nomment Post-Traumatic Stress Disorder (PTSD). L’école
française du traumatisme donne le terme, à notre sens plus juste, de
psychotraumatisme, qui n'est pas reconnu par la nosographie psychiatrique
internationale mais très employé par les psychologues.
C'est de ce deuxième sous groupe des exilés que nous parlerons
principalement, à savoir les personnes qui, lors de leur arrivée en Europe et en
France présentent des troubles psychiatriques souvent sévères liés à leur migration,
c'est à dire dans la période des trois ans qui suivent leur arrivée sur le
territoire.Notre équipe, l'Equipe Mobile de Psychiatrie et Précarité (EMPP) de
Bordeaux, intervient dans ce contexte sur l'ensemble de la Communauté Urbaine.
Elle est rattachée à l'Hôpital Charles Perrens et a ses locaux au coeur du centre
ville. Elle a pour mission de délivrer des soins en santé mentale aux personnes en
situation de précarité en se rendant au-devant d’eux dans les structures sociales. A
ce titre 50% des patients reçus par notre équipe sont d'origine étrangère et arrivés
sur le territoire depuis moins de trois ans.
Nous les rencontrons principalement lors de nos permanences dans les
structures sociales où ils sont accueillis et hébergés et où les travailleurs sociaux
nous les signalent. La deuxième manière d'accéder aux soins en santé mentale se
fait par nos partenaires médicaux : des médecins généralistes privés, ceux
d’associations humanitaires (Médecins du Monde, …) et des PASS (permanences
d'accès aux soins de santé), des différents hôpitaux de la ville. Le troisième mode
d’entrée, qui ne cesse de croître, est l'entrée directe, par le bouche à oreille, tant le
milieu de la précarité fonctionne sur ce mode. Il est aussi motivé par le fait que le
soin et la pathologie pourraient leur permettre d'accéder à des papiers pour
résider en France en situation régulière.Les troubles de l'adaptation, c’est-à-dire
les syndromes anxieux dépressifs conséquences des difficultés d'intégration liés à la
migration, sont des pathologies réactionnelles. Souvent un accompagnement
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psychologique, sans médicalisation psychiatrique est suffisant. Les autres
pathologies présentent souvent un caractère de gravité et d'intensité qui nécessitent
une prise en charge la plus précoce possible, extrêmement contenante, donc
pluridisciplinaire. Il s'agit principalement d'épisodes dépressifs majeurs d'intensité
sévère - c’est-à-dire avec des idées suicidaires - associés à des éléments
psychotiques - c'est à dire à des hallucinations auditives, des hallucinations
somesthésiques, ou des idées délirantes. Il s'agit aussi parfois de troubles bipolaires
de l'humeur. Ils s'expriment par des accès maniaques qui prennent souvent des
formes théâtrales, très clownesques, qui diffèrent le diagnostic tellement leurs
présentations sont caricaturales et laissent à penser à une composante
manipulatoire envers l'équipe soignante.Plus de la moitié de ces migrants
présentant une pathologie psychiatrique souffre d’un syndrome de stress post-
traumatique. Il s'agit des conséquences de tortures, d'avoir été témoin d'un
meurtre d’une personne de leur famille (père, mère, soeur, frère), ou de viols. C’est
aussi la conséquence de séjour en prison, même de quelques jours, durant lesquels
les personnes, hommes ou femmes, sont violés et battus afin de les faire taire c’est-
à-dire leur faire interrompre leurs activités politiques et/ou religieuses. Les
conséquences de leur voyage de migration sont aussi en cause, quand ils sont le
témoin de la mort de leur compère de migration par déshydratation, par
agressions ou par chutes de véhicules. Sont en cause aussi, tout le monde le sait, les
chavirages dramatiques lors de la traversée du Détroit de Gibraltar ou de la
Méditerranée. Il peut y avoir enfin, lors de l'arrivée en France un travail de
prostitution qui devient traumatique lorsqu’il s’accompagne de maltraitances
physiques : les jeunes femmes sont battues ou forcées à réaliser des pratiques
qu'elles ne souhaitent pas. Enfin, les facteurs de précarité sont eux en cause dans le
déclenchement des syndromes de stress post-traumatique et dans l’aggravation de
leurs symptômes. Les migrants dorment dehors, ou font le 115 avec souvent une
absence d’hébergement proposé pour de très nombreux appels faits tous les jours.
Nous nous retrouvons devant des patients, hommes et femmes, qui
présentent des reviviscences c’est-à-dire le fait de revivre en images, comme des
diapositives apparaissant sur un écran, la scène traumatique à laquelle ils ont
assisté, suivi du même cortège émotionnel de peurs et de terreur, que lors de
l'évènement initial. Ces reviviscences ont lieu la journée et elles sont diurnes, ou la
nuit sous formes de cauchemars qui sont éveillants : le sujet se réveille dans un état
de terreur, parfois sans se souvenir de son cauchemar et des raisons de son éveil. Il
présente parfois une sensation d'étouffement important ou est en sueurs. Il a alors
beaucoup de difficulté à se rendormir par peur d'être à nouveau confronté à cette
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terreur, dans un autre rêve, et lutte pour ne pas se rendormir. Les sujets présentent
donc des insomnies massives sources de troubles mnésiques, de majoration des
deux autres symptômes du syndrome de stress post-traumatique que sont
l'hypervigilance (irritabilité) et l'évitement qui leurs font éviter les situations qui
réactivent le rappel mnésique de l'évènement traumatique et génèrent des
réviviscences.Ce syndrome de stress post-traumatique peut être associé à des
éléments dissociatifs : hallucinations auditives, la plupart en rappel avec les sons,
les cris ou les bruits d'armes entendus lors de l'évènement traumatique. Il peut
être également associé à des troubles somatisation : des douleurs au point d'impact
des coups reçus, des douleurs abdominales, des céphalées avec des trajets
atypiques et non systématisés. Enfin la composante dépressive, si elle n'est pas
présente au début, s'installe rapidement avec très souvent des idées suicidaires. La
comorbidité liée à la consommation de substance est extrêmement rare chez les
migrants, sans doute pour des raisons culturelles. Quand l’alcool, le cannabis ou
l’héroïne sont consommés, ils majorent de façon extrêmement importante le
triptyque symptomatique du PTSD. Elles doivent à ce titre, être traitées en
priorité, par la recherche de l’abstinence ou la mise en place de traitement de
substitution.
On nomme ce tableau composé de cette association syndrome de stress
post-traumatique, épisode dépressif majeur d'intensité sévère avec éléments
psychotiques et troubles somatisation, le syndrome de stress post-traumatique
complexe, comme l'on décrit les auteurs que son Herman (Herman, 1992), Van
der Kolk (Van der Kolk, 2005) et Cloitre (Cloitre, 2009), tous les trois dans le
Journal of Traumatic Stress. Cet entité nosographique concerne les personnes
ayant subi des traumatismes intentionnels (les exilés) et les enfants ayant subi des
maltraitances sexuelles répétées.
En synthèse on peut dire que, devant ce tableau, alors que l'on pourrait penser
avoir en face de soi une personne atteinte d'un trouble schizophrénique, il s'agit en
fait, d'un syndrome de stress post-traumatique complexe, pour lequel le
diagnostic, la prise en charge psychothérapeutique et surtout l'évolution sont
différentes. En effet, l’évolution des PTSD complex, comme le nomme les trois
auteurs cités plus haut, est beaucoup plus favorable et moins chronique que celle
des troubles schizophréniques.Cet élément amène à faire la distinction entre les
syndromes de stress post-traumatiques complexes, les épisodes dépressifs majeurs
sévères avec éléments psychotiques associés, les troubles somatisation et les
troubles de l'adaptation. Ces trois pathologies ne sont pas différentes de celles que
l'on rencontre en psychiatrie générale mais elles présentent des spécificités dans
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leurs associations, leurs combinaisons et leurs évolutions, qui méritent d'être
soulignées lorsque l'on parle de psychiatrie chez les migrants. Un élément
diagnostique important est à souligner : le diagnostic différentiel entre trouble
somatisation - rattaché aux troubles anxieux du DSMIV- et les hallucinations
somesthésiques. En effet, il est souvent difficile de les différencier, et il est
important de savoir que c'est la récurrence de l'apparition des troubles
somatisation, leur fixité dans le temps - c’est-à-dire leur chronicité - et la
désorganisation et les éléments délirants qui leurs sont souvent associés, qui
orientent vers le diagnostic d’hallucination somesthésique, plus que vers celui d’un
trouble anxieux (trouble somatisation). Il ne faut pas oublier dans ce cas-là, de
penser à un trouble schizophrénique. Ce dernier aura alors commencé avant le
voyage de migration, et il faut absolument en rechercher les symptômes dans
l’anamnèse.Il est bien évident qu'il est important de dépasser un entretien réalisé
avec quelques mots basiques de français et beaucoup de gestes. Ces quelques mots
de français ne sont souvent même pas présents avec des migrants parlant le russe,
le géorgien ou l'arménien. Il s'agit ici de souligner l'importance capitale en
psychiatrie, d'avoir recours à des traducteurs. Eux seuls peuvent restituer une
parole fiable provenant du soignant ou du migrant. C'est de cet espace de parole,
triangulé par le traducteur, que peut naître un espace commun de
compréhension, de parole et de rencontre. Il est donc fondamental d’utiliser des
dispositifs de traduction sur ordinateur, ou téléphonique ou mieux d'un
traducteur. Ce dernier doit être formé à être fiable c’est-à-dire fidèle et précis dans
sa traduction. Il ne doit pas appartenir à l’entourage de la personne reçue. Il est
aussi important qu’il est un espace de régulation de ces vécus des entretiens qui
sont souvent chargés émotionnellement.
La massivité et l'intensité des tableaux psychiatriques rencontrés, particulièrement
en début de prise en charge, nécessitent la mobilisation d'une équipe
pluridisciplinaire qui permette une continuité du soin dans le temps, une
multiplicité des regards et des approches et un espace de régulation.
Il s'agit de psychiatres qui connaissent les spécificités cliniques des
pathologies que peuvent présenter ces populations, de leurs diagnostics et de leurs
traitements.
Il est recommandé que les psychologues possèdent des approches
psychothérapeutiques qui correspondent aux problématiques - le plus souvent
traumatiques - et qui prennent en compte les phénomènes culturels des patients
de chaque continent, pays ou ethnie. En effet, ces représentations culturelles
brouillent dans les premiers temps les outils thérapeutiques habituels, tant les
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représentations culturelles du patient ne les orientent pas d’emblée vers la
recherche de la causalité et du sens des symptômes. Les patients recherchent
souvent une solution immédiate face aux souffrances endurées ou cherchent à
témoigner des dommages subis. Cependant la thérapeutique éclairée par la
psychanalyse, reste une approche précieuse, tant par ses apports conceptuels que
par ses modalités d’écoute non formalisées ou contraintes.
Les infirmiers, grâce aux entretiens de soutien, jouent un rôle
extrêmement important dans la prise en charge. Ils permettent la continuité du
soin entre les consultations psychiatriques, souvent distantes de un à deux mois. Ils
aident à la collecte, à la prise du traitement, avec un rôle éducatif et de soutien
important.
Nous recommandons pour constituer une équipe d'associer des
thérapeutes formés à des thérapies à médiations corporelles ou à médiations
culturelles et artistiques. L'intensité des symptômes de nature post-traumatique ou
dépressive, empêche souvent toute mise en représentation ou mise en mots. Il est
alors souvent utile d'avoir recours à des thérapies qui permettent d'exprimer des
affects et des émotions en utilisant d'autres médias que la parole. Les
psychomotriciens et les plasticiens, sont à ce titre en première ligne.
Au-delà de cette équipe spécifique en santé mentale, il est important
d'avoir au sein même de l'équipe, ou à l’extérieur, en partenariat, un médecin
généraliste pour rechercher et explorer les troubles somatisation et notamment les
questions des douleurs exprimées par les patients.
Plus largement il est fondamental de former un réseau de relations de
travail avec l'ensemble des structures sociales qui gèrent toutes les problématiques
sociales, qui sont ici colossales : l’accès à l'hébergement à défaut de l’accès au
logement, l’accès aux droits à la santé et l’accès aux formalités
administratives.Nous avons fait le choix de ne pas avoir d'assistante sociale
directement intégrée au sein de notre équipe. Nous adressons ainsi les patients
pour leurs démarches sociales, à nos différents partenaires sociaux. L'idée est
d'ouvrir autant que faire ce peu, un espace dans notre équipe qui soit dédié à une
forme de recul et de décalage par rapport aux problèmes sociaux qui sont
systématiquement mis en avant en début d’entretien, tant leurs conséquences sur
leurs vécus du quotidien sont grands. Le travail sur les vécus subjectifs des patients
est notre champ d’intervention. Nous mettons en place les conditions de leur
abord et de leur expression. Cependant leurs conditions de vie et leur culture
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rendent cette approche très difficile, ce qui nécessite un volontarisme persévérant
de tous les jours.
Pour revenir à cette question du partenariat et du travail en réseau avec les
structures sociales, il est une nécessité d’articuler cette composante sociale avec le
soin. Nous travaillons ainsi avec différentes associations qui s'occupent du
logement, de haltes de jour, de distribution de repas et de vêtements. Elles sont un
soutien fondamental pour ces personnes en errance dans la cité. Il s'agit de
former avec l'ensemble de ces associations, de ses travailleurs sociaux, un maillage
qui crée une enveloppe contenante venant faire rempart à la dislocation
traumatique et à la solitude liée à la perte d’appartenance à une communauté de
vie.Il s'agit enfin de travailler avec des juristes, qu’ils appartiennent à des
associations telle la Cimade, ou qu’ils soient des professionnels (avocats). Ils gèrent
les problématiques d'accès au droit administratif et leurs formalités pour les
demandeurs d'asile, les demandes de titre provisoire de séjour pour étrangers
malades et les titres de séjours.Nous conseillons donc de constituer dans l’idéal,
une équipe pluridisciplinaire qui forme un premier noyau. Celui-ci doit être
entourée d'une constellation de partenaires, dans laquelle les patients vont se
déplacer de l’un à l’autre, d'un lieu à un autre, d’une personne à une autre. Ces
déplacement dans ce maillage de structures habitées de personnes, créé ainsi les
conditions d'une reconstruction, via son appartenance à une communauté, une
communauté de professionnelles ou de bénévoles certes, mais une communauté
de vie, celles des migrants en errance dans un pays, une ville, une culture et une
langue. Voyons maintenant quels sont les facteurs de pronostics de l'évolution de
ces patients migrants qui présentent des pathologies sévères, post-traumatiques et/
ou dépressives. Plus la personne accède aux soins rapidement après le
déclenchement de sa pathologie, plus rapide et meilleure sera son évolution.
Deuxièmement, plus elle a tendance, de par sa personnalité, à se tourner vers les
autres pour instaurer et maintenir des liens, meilleure sera son évolution. Nous
évoquons ici des liens avec des professionnels, ou des compatriotes ou des
communautés d’appartenance (églises diverses, compatriotes d’un même pays). À
l’inverse, plus la personne se renferme, reste solitaire, en marge de toute
socialisation, plus son tableau reste avec une symptomatologie intense et se
chronicise. Elle conduit alors à se structurer sous forme de troubles graves de la
personnalité dites secondaires à un traumatisme , ou à des tableaux que l’on
assimile à des troubles schizophréniques. Troisièmement, l’accès à un logement,
au-delà d’un hébergement non pérenne, apporte de la sécurité au patient et
favorise la réduction de sa symptomatologie. Quatrièmement l’obtention de
documents associés à une autorisation de travailler, est lui aussi très bénéfique, via
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le travail, pour sa socialisation, son intégration et en conséquence pour sa santé
mentale. On peut recommander, en plus de ce travail pluridisciplinaire en groupe
et en réseau, de se placer dans la durée dans les accompagnements. Les patients
nous investissent quelles que soient nos fonctions dans l'équipe, comme personne
de confiance. La stabilité de ce lien est un facteur important de l'évolution positive
de ces patients.Enfin à l’intérieur de cette pluridisciplinarité dans l’équipe, il est
important, lors de réunions, d'effectuer un travail de mise en commun
d’informations sur les situations. Il est aussi important de réfléchir ensemble, de
manière interdisciplinaire, c’est-à-dire avec le point de vue conceptuel de chacun
des corps de métier représenté, sur la compréhension des problématiques posées
par les patients, dans le but d’en dégager les orientations thérapeutiques qui
semblent les plus pertinentes. Ce travail d’échange et de réflexion en groupe
permet d'éviter les contre-transferts négatifs à type de surinvestissement (aides
diverses de type social plutôt que de santé mentale), de rejets à type de contre-
investissement négatif, ou enfin de technicisation ou de fonctionnarisation de son
travail. Cette dernière approche laisse le patient à distance comme seul objet
d’observation, sans se laisser aborder et attaquer par les affects et récits des
patients. Il s'agit enfin de tenter de supporter l'insupportable que parfois les vécus
et les situations de vie de ces patients nous renvoient. En effet, la conjonction de la
précarité sociale et de l'atrocité de leurs récits de vie vient s’ajouter à la gravité de
leur pathologie psychiatrique. Ils rendent alors parfois l’accompagnement de ces
migrants difficilement supportable sans sortir de sa position affectée mais
suffisamment distanciée pour qu’émerge une forme de subjectivité de leurs vécus.
Il faut parler enfin du titre provisoire de séjour pour soins, dit « étranger malade »,
qui est pour nous médecins généralistes et psychiatres, un élément thérapeutique
important car il permet de placer le patient dans une sécurité qui lui permet de se
restaurer, de penser ses problèmes dans l’idée de s'en dégager en les subjectivant.
Il permet aussi d’obtenir conjointement une autorisation de travailler, source de
revenus. Dans le même temps, on le comprend aisément, ce dispositif d’accès à
une régularisation sur le territoire, même transitoire, nous met en position d'être
instrumentalisé, tant les patients sont conscients de l’immense bénéfice
administratif qu’ils peuvent en retirer. La demande d’un titre provisoire de séjour
pour soins est souvent, lors de l’échec en recours à la CNDA (Cours Nationale du
Droit d’Asile), l’unique moyen d’éviter pour eux d’être expulsés ou de rester en
France en situation irrégulière. Les patients ont donc tendance à majorer leurs
symptômes, voir à « ne pas aller mieux », pour leur permettre d'accéder à ce
dispositif.
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On peut dire à ce titre là, que les critères de la loi pour bénéficier du statut
d’« étranger malade » sont liés à une pathologie dite « d’une exceptionnelle
gravité ». Cette exceptionnelle gravité est à évaluer dans le cas d’un défaut de
prise en charge, c’est-à-dire dans le cas d’un retour dans le pays d’origine, s’il est
accompagné d’une impossibilité pour le patient, d’accéder aux soins qui lui sont
nécessaires. Il s’agit donc d’évaluer la gravité des symptômes de la pathologie,
quelque soit le diagnostic retenu. La plupart du temps, les tableaux de syndromes
de stress post-traumatique complexe, les épisodes dépressifs majeurs d'intensité
sévère (avec idées suicidaires) et les troubles schizophréniques recoupent ces
critères de gravité. Le trouble de l'adaptation, qui lui est transitoire et réactionnel,
est le plus souvent difficilement intégrable dans ce dispositif étranger malade.
Dans les cas litigieux, la décision doit être prise après discussion en équipe, afin de
confronter les points de vue , de partager la responsabilité de la décision de faire
ou non un certificat médical, et d’être dans une situation qui soit la moins injuste
possible et la moins projective possible. Il faut toujours avoir à l'idée que les
patients, au bout de douze mois de titre provisoire de séjour pour soins,
demanderont une prolongation qu’il sera difficile de refuser même en cas
d'amélioration clinique. Dans cette optique, autant se montrer très prudent pour
instaurer le premier titre provisoire de séjour pour soins psychiatriques. Il est aussi
important de savoir refuser de les prolonger lorsque les symptômes ne le justifient
plus, pour les orienter vers des titres de séjours non provisoires, via l’ancienneté
sur le territoire français (cinq ans) et le travail.
En conclusion nous pouvons retenir les grandes idées-forces suivantes :
- la nécessité d’une traduction et si possible de traducteurs présents, pour
créer un espace commun d'échange et de compréhension avec le patient ;
- la nécessité de s'intéresser à l'histoire politique et religieuse et à la culture
du pays ;
- la nécessité de partager les situations difficiles avec des collègues, si possible
de disciplines différentes ;
- la nécessité de garder dans la durée, c’est-à-dire deux ou trois ans, le lien
avec les patients, car l'investissement comme personne de confiance est
source de sécurité, d’identification et de subjectivation de ses symptômes et
de ses difficultés ;
- la nécessité de connaître les spécificités des pathologies liées à ces
populations de migrants, et notamment le syndrome de stress post-
traumatique complexe et ses diagnostics différentiels avec les pathologies
dépressives et schizophréniques ;
- enfin, la nécessité d’un accompagnement psychothérapeutique.
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Enfin, nous vous proposons de finir avec une note d'espoir, en disant que ces
patients qui ont des tableaux extrêmement péjoratifs en début de prise en charge,
accèdent, deux ou trois ans après, pour la grande majorité, à une intégration par
le travail, à une intégration dans une communauté de vie, à une vie de couple, ou
à des engagements religieux ou politiques. Un petit nombre d'entre eux restent
fixés dans leurs symptômes et se structurent dans des pathologies mentales
chroniques relevant des dispositifs de droits communs en psychiatrie. Nous ne
sommes finalement que des passeurs entre deux continents, entre deux cultures,
entre leur passé et leur présent, entre leur vie « d’avant » et leur vie « d’après ».
Jessie : de Lagos à Bordeaux, via Tétouan
Jessie est née à Lagos, au Nigeria. Tous les matins elle est allée à l’école, puis au lycée, conduite par le chauffeur de
son père, un homme politique important de sa ville. Alors qu’elle a vingt-deux ans, ses parents sont assassinés pour des motivations politico-religieuses, un conflit entre chrétiens du sud du pays et musulmans du nord. Cette fille unique, devenue brutalement orpheline, décide de fuir son pays et la haine qui habite les gens de son peuple et qui maintenant
la terrorise. Elle gagne alors par les routes et les pistes du désert, le Niger, puis l’Algérie et enfin le Maroc. Là, elle réside de longs mois, attendant de trouver le passeur qui la fera gagner le sud de l’Espagne grâce à la traversée nocturne du détroit de Gibraltar, à bord d’un zodiac bondé poussé par un moteur poussif. Un jour de printemps, dans les quartiers de la ville de Tétouan, elle est embarqué par plusieurs hommes, des africains et des arabes, me dira-t-elle.
Pendant vingt-quatre heure, dans une baraque à l’écart de la ville, ils la violeront à tour de rôle, masqués de cagoules noires, insatiables. Elle finira un peu plus tard par arriver en France.
Lorsque nous la rencontrons, elle est en France depuis deux ans. Elle parle par onomatopées, a perdu son anglais, fait des gestes désordonnés dans une danse choréique dépourvue de chorégraphie. Elle lutte pour ne pas dormir la nuit, apeurée par l’idée de revoir devant elle le visage cagoulé de ces hommes, dans un cauchemar récurrent. La journée de
nombreuses voix de ces hommes font suite à ces mêmes réviviscences. Elle est triste, pleure : « I am alone, Dad and Mam are died ». Elle se plaint de céphalées intenses, fréquentes et invalidantes. Elle ferme les yeux pour tenter de réduire ses réviviscences et ses hallucinations, sans succès. Régulièrement, dans l'appartement du compatriote qui l'héberge avec affection, elle prend un couteau, et résiste à l'idée de se faire du mal, de se tuer. Parfois, elle casse tout
dans l'appartement dans une crise incontrôlable.
De nombreux mois d’accompagnement commencent, bientôt trente six à ce jour. Le psychiatre, une infirmière, la
secrétaire et une assistance sociale de la PASS de notre hôpital (Permanence d’Accès aux Soins de Santé) se succèdent et s’accordent pour l’accueillir dans sa différence : elle est très bizarre, très désorganisée, son discours est fait de barrages et de petits cris enthousiastes, sa présence entrecoupées de déréalisations synonymes de réviviscences. Nous ne
nous lassons pas non plus d’accueillir ses peurs, le récit affreux de son viol parfois, ses nuits hantées, sa mère qui l’appelle pour la rejoindre dans le monde des morts, dans des rêves mélancoliques. Infailliblement nous écoutons et nous nous adressons à la jeune fille de bonne famille, intelligente, polie, joyeuse et pleine d’humour qui resurgit parfois et de plus en plus souvent au fil des mois. Inlassablement nous tissons le lien entre son passé d’avant son viol et son
présent morcelé par sa pathologie. Inlassablement nous l’invitons à sortir du fond de la faille traumatique dans laquelle les réviviscences la ré-aspire dans une chute sans fin. Nous ne nous lassons pas. Elle nous donne l’espoir.
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Trois ans ont passé. Elle est hébergée chez une amie. Elle touche l’AAH (allocation adulte handicapée) car elle est encore à ce jour dans l’incapacité de travailler malgré son désir. Elle sourit souvent, très souvent. Elle a retrouvé son anglais. Ses gestes choréiques ont cessé. Elle a des cauchemars de son viols trois nuits par semaine, mais se rendort une heure après. Quand elle est seule et inactive, elle entend la voix de sa mère qui lui parle et lui dit qu’elle est
vivante : « I love so much my mother ». Elle voudrait un enfant, fait le geste de porter un bébé sur ses genoux : « I would like a baby to hold my mother in my hand ». Elle ajoute aussi en français : « je hais les hommes ». L’accompagnement se poursuit, long équilibre de vie à retrouver, sans ses parents, elle la fille unique gâtée, sans sa
ville de Lagos, avec le souvenir inoubliable de son viol. Et comme elle le dit en français : « quand ma mère me parle, elle est dans ma mémoire ».
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Psychiatrie et neurosciences
Pr André GalinovskiPsychiatre et INSERM - CEA U 1000Unité de recherche "Imagerie et Psychiatrie", Orsay
Le développement de nouvelles disciplines par la médecine expérimentale
à partir de la fin du 19e siècle, dont Claude Bernard (1865) est le représentant le
plus connu, a permis de mieux comprendre la physiologie de l'organisme en
général et des fonctions cérébrales en particulier. La neurophysiologie et la
biochimie se sont différenciées progressivement de la physiologie et de la chimie,
la psychopharmacologie est née dans les années 1950, puis, à partir des années
1970, les neurosciences se sont rapidement imposées dans le champ de la
recherche en psychiatrie (Clarac et Ternaux, 2008). Alors que la psychiatrie a
pour point de départ l'homme malade, les neurosciences appliquent des disciplines
biologiques parfois éloignées de l'humain à l'étude du système nerveux. Elles ont
recours à des méthodes d'analyse quantitatives issues de modélisations
mathématiques de plus en plus sophistiquées. Les microélectrodes implantées et
couplées à des systèmes d'amplification des activités électriques cérébrales ont pris
la suite de l'électro-encéphalographie. Les techniques de bioprinting permettent
déjà de fabriquer du tissu vivant in vitro en projetant des cellules en suspension
sur une matrice extracellulaire. Certains pensent que les cellules souches pourront
corriger les anomalies du tissu cérébral. Les méthodes de la biologie moléculaire,
de la génétique et de l'imagerie fonctionnelle, ont réduit la place de la
neurophysiologie classique dans l’enseignement même de la médecine. Cette
approche descriptive se concentre davantage sur le plus petit (cellules, molécules..)
que le plus grand (l’organisme dans son entier). Elle ne se conçoit pas sans des
hypothèses sur la fonction, souvent inspirées par des innovations technologiques
qui bénéficient de l’autorité des sciences dures sur les sciences molles.
L’application des neurosciences à la psychiatrie fait courir le risque d’ une
conception technique de la maladie, au détriment de la personne du malade dans
son environnement social. La part réservée aux sciences humaines et sociales dans
les études de médecine en France est d’ailleurs réduite et on ne les différencie pas
de la psychiatrie et de la santé publique (Lefève et Mino, 2011). On s’interroge
trop peu sur la relation de soin elle-même et sur la place de la psychiatrie ainsi
modernisée dans une société régie par des pouvoirs et des valeurs souvent
étrangers à l’intérêt des patients. Le modèle des neurosciences s’est imposé en
raison des succès de la psychopharmacologie et des classifications internationales
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reposant sur des critères diagnostiques précis qui permettent le recueil de données
comparables. Mais la rigueur scientifique peut nous éloigner de la réalité clinique.
Le jugement d'un expert se situe-t-il vraiment à un « niveau de preuve » inférieur
à un protocole contrôlé randomisé contre placebo chez des sujets sélectionnés
selon des critères a priori, dans des conditions éloignées de la complexité du
quotidien ? Les progrès des neurosciences ont contribué à faire de la psychiatrie
une discipline scientifique mais aussi à la naturaliser, voyant l’homme seulement
comme un produit de la nature. Cette conception a ses limites. Après avoir donné
une idée évidemment incomplète de l’apport des neurosciences (Galinowski,
2012), nous tenterons de définir la particularité des sciences humaines dans la
recherche en psychiatrie et de proposer une vision critique de l’évolution de notre
discipline.
1- Les apports des neurosciences
1.1. Psychopharmacologie: traitements efficaces, outils de recherche.
Alors que la psychiatrie des aliénistes était restée à l’écart des autres disciplines
médicales, l’efficacité des psychotropes l’a rapprochée de la médecine
expérimentale. Le contrôle de l'agitation et l'effet antidélirant des premiers
composés antipsychotiques ((Delay et coll, 1952) a permis la généralisation des
soins ambulatoires chez des patients clairement améliorés. Mais si la découverte
de la chlorpromazine a profondément influençé non seulement les soins mais la
recherche, c'est que ses auteurs ont su transformer une observation fortuite en
une méthode d'analyse des comportements. Ils ont en effet jeté les bases de la
classification des psychotropes selon leur effet:
-psychosédatif
-psychostimulant
-psychodysleptique (qui trouble l'activité normale comme les drogues)
-normothymique (thymorégulateur)
Dans la perspective des symptômes-cibles identifiés par l'analyse sémiologique, les
psychotropes sont bien des outils d'aide au diagnostic des maladies mentales. Un
psychostimulant provoque un état délirant chez un patient prédisposé. Un
thymorégulateur comme le lithium stabilise un malade bipolaire. Au-delà des
catégories diagnostiques traditionnelles, l'approche transnosographique, dégage les
dimensions que l'on cherche à traiter grâce aux effets spécifiques des
psychotropes, mettant parfois en lumière de nouvelles entités diagnostiques
(troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité, paradoxalement améliorés
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par un psychostimulant). On constate aujourd’hui que des médicaments
« antipsychotiques » sont utilisés aussi bien pour traiter la schizophrénie que pour
prévenir les récidives des troubles bipolaires ou encore la potentialisation des
antidépresseurs en dehors de tout contexte psychotique. Cette recherche, dont on
voit qu’elle peut déconcerter en mettant à mal les diagnostics traditionnels et la
codification de leurs traitements, s’est développée grâce à la mise au point de
modèles animaux et d'échelles évaluant les effets des psychotropes.
1.2 Modèles animaux
L'animal de laboratoire est un intermédiaire entre la clinique et la
psychopathologie expérimentale.
Le chercheur peut par exemple étudier une lignée génétiquement prédisposée à la
« maladie », comme les rats FLS (Flinders Sensitive Line) dont le comportement
(ralentissement moteur, difficultés d'apprentissage), les rythmes biologiques (avance
de phase du sommeil), les systèmes neurotransmetteurs (sérotonine, acétylcholine)
et la sensibilité aux composés antidépresseurs se retrouvent chez les patients
déprimés.
Les comportements provoqués reproduisent un aspect de la maladie mentale
comme l'apragmatisme. L'activité motrice de l'animal, qui se mobilise avant de se
résigner, est prolongée par un antidépresseur potentiel dans le test de la nage
forçée; ce test permet de screener des molécules qui seront ensuite étudiées chez
l'homme.
On peut aussi manipuler l'équipement génétique dans l'embryon d'un rongeur,
ce qui est évidemment impossible chez l’homme. Le comportement de l'animal
adulte dit transgénique nous informera par exemple sur le rôle d'un gène de la
sérotonine, neurotransmetteur impliqué dans de nombreuses pathologies
psychiatriques.
Les études longitudinales de facteurs étiologiques précoces, comme les facteurs de
stress in utero, sont plus faciles chez l'animal dont la maturation est rapide, ce qui
évite de longues et coûteuses études épidémiologiques. On peut contrôler ces
facteurs et étudier leurs conséquences neurobiologiques et comportementales,
mettant au jour de possibles facteurs de vulnérabilité à la maladie.
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Entre l’animal et l’homme, il ne s’agit que d’analogies. L'extrapolation des
résultats à la clinique peut être erronée en termes d'efficacité et d'effets
secondaires. La toxicologie animale donne une idée des risques potentiels des
psychotropes et peut amener à les retirer du marché mais il n'y a pas de parallèle
absolu entre l’animal et l’homme, alors que le modèle biologique, seul guide en la
matière, n’introduit entre espèces que des degrés de complexité et non de
nature .
Les modèles animaux s'appliquent mal à l'étude des psychoses, même s'ils sont
utilisés pour tenter de comprendre certains comportements élémentaires (comme
le PPI: Prepulse Inhibition, défaut d'inhibition comportementale de la réaction de
sursaut à un stimulus inattendu) . Ils sont plus pertinents pour l'étude de certaines
pathologies qui semblent moins spécifiques de l’humain, comme le stress, la
dépression et les addictions.
1.3. Echelles d'évaluation
Wittenborn, publie dans les années 1950 aux Etats-Unis les premières échelles
d'évaluation destinées à la psychiatrie. Son objectif est de mesurer l'effet des
nouveaux psychotropes.
L'observation clinique est ici codifiée selon un certain nombre d'items
(symptômes fréquents ou spécifiques dans une pathologie donnée). Quantitatives,
les échelles mesurent la variation d'intensité de cette pathologie mais
l'équidistance entre les degrés est rarement vérifiée comme dans une échelle
d'intervalle qui permettrait une quantification indiscutable du changement.
Si les qualités métrologiques (sensibilité, spécificité) d'une échelle se vérifient, la
validité (mesure-t-elle ce qu'elle est censée mesurer?) est plus difficile à établir. On
se contente généralement de montrer qu'elle varie dans le même sens qu'une
échelle de référence (validité concourante). A propos du quotient intellectuel qu’il
avait mis au point Binet déclarait : « J’appelle intelligence ce que mesurent mes
tests ». Cette boutade sur l’aspect réducteur du QI et de la quantification
s’applique aux échelles d’évaluation. Les psychiatres savent qu’un score élevé à
une échelle de dépression ne signifie pas toujours que le patient soit porteur du
diagnostic. Le quantitatif n’est pas le qualitatif.
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1.4. Le diagnostic en psychiatrie : le rôle des critères.
La psychiatrie, éloignée de la conception de Virchow (la maladie se définit par
un syndrome, un mécanisme physiopathologique et un agent causal selon le
modèle de la tuberculose) se prête mal à l'identification de « cas pathologiques ».
L'élaboration, par des psychiatres experts, de critères diagnostiques ( DSM III aux
Etats-Unis en 1980; Classification Internationale des Maladies par l'OMS en
1978, suivis de nombreuses éditions) idéalement obtenus au terme d'entretiens
structurés, a réduit les biais liés à la subjectivité des chercheurs. Ces diagnostics
sont ensuite mis à l’épreuve du terrain (field trials) : ceux qui ne correspondent pas
une réalité clinique, associée à un certain nombre d’indices, sont écartés ou mis
sur une liste d’attente, en annexe de la classification. Par exemple, la personnalité
dépressive, défendue par certains psychiatres, reste en attente de validation.
La modification des critères d'une édition à l'autre du DSM donne lieu à d'âpres
discussions car les diagnostics d'études antérieures doivent alors être rediscutés.
L’enjeu de la publication en mai 2013 du DSM-5 par l’Association Américaine de
Psychiatrie, modèle de la classification CIM de l’OMS, est d’autant plus grand
que cette classification donne accès aux remboursements des traitements par les
compagnies d’assurance américaines. Les prises de position de la psychiatrie
académique ont un retentissement économique, sans parler du cadre médico-légal
que la classification impose à la psychiatrie. Il est difficile à un psychiatre formé à
l’Evidence Based Medicine (médecine fondée sur des preuves) de sortir des guidelines
et de pratiquer une médecine personnalisée comme un art.
1.5. La neurobiologie: à la recherche de marqueurs
La neurobiologie cherche à expliquer les observations macroscopiques (les
symptômes par exemple) par des aspects microscopiques (le fonctionnement
moléculaire et à classer les comportements à l'aide de marqueurs biologiques.
L'impossiblité avant les progrès de l'imagerie d'accéder in vivo au système nerveux
central chez l'homme a d’abord orienté les explorations biochimiques vers la
périphérie (liquide céphalorachidien, éléments figurés du sang pris pour modèles
du neurone...). Les études ont d'abord porté sur: − les mononamines cérébrales (noradrénaline, dopamine, sérotonine) et les
neuropeptides ainsi que leurs enzymes de synthèse/dégradation.− La physiologie des membranes neuronales (récepteurs, sites de liaison de
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diverses molécules)− les systèmes neuroendocrinien et immunitaire.
Historiquement, la chronobiologie a ensuite établi des profils individuels en termes
des rythmes biologiques, une avance de phase expliquant par exemple l'insomnie
matinale dans la dépression, et de profils de réponse à une stimulation (aux
médicaments pour la pharmacogénomique).
En dépit de nombreux travaux, des pathologies cliniquement aussi bien définies
que la schizophrénie ne peuvent être diagnostiquées par des examens
complémentaires, la variance inter-sujets des variables biologiques étant trop
importante et leur spécificité trop faible.
La recherche génétique étudie le rôle des gènes dans la transmission des maladies
mentale. Les marqueurs phénotypiques qu'il est pertinent de leur associer, les
endophénotypes, mesurables, héritables et spécifiques du trouble (Gottesman et
Gould, 2003), sont malheureusement rares. L'exploitation de si grandes bases de
données, à la suite du séquençage de l'ensemble du génome humain, fait appel à
des méthodes bioinformatiques de Data Mining comme l'analyse HPM (Haplotype
Pattern Mining) qui peuvent être mises en oeuvre sans conception
physiopathologique très élaborée. Selon le principe des « puces » qui peuvent
identifier 500 000 ADN en une seule expérience, on découvre des protéines
jouant un rôle dans le système nerveux central (comme les facteurs de croissance
neuronale). Il arrive qu’on mette en évidence des gènes dont on ne connaît pas le
rôle: il faut alors étudier par des méthodes plus traditionnelles la protéine codée
par ce gène et comprendre sa fonction.
Si les méthodes de laboratoire peuvent guider la recherche, elle peuvent
heureusement s’intégrer dans un modèle à plusieurs portes d’entrée. Le Prepulse
Inhibition ou PPI (capacité à inhiber une réaction) que nous avons mentionné plus
haut et dont le défaut est caractéristique de la schizophrénie, est observé chez
plusieurs espèces et peut constituer un endophénotype. En cas de mutation au
niveau du gène NR4A2 de la protéine du récepteur nucléaire NURR1, les taux de
dopamine dans les régions mésocorticale et mésolimbique sont diminués et si les
animaux sont en plus isolés à la naissance, on observe un déficit du PPI (Eells et
col., 2006). La mutation génétique seule ou l'isolement à la naissance ne
conduisent pas à eux seuls à un déficit du PPI. Cette expérience met en lumière
l'intervention d'un facteur environnemental sur un terrain génétique ayant une
traduction neurochimique. Secondairement (second hit), des facteurs peuvent se
combiner à la susceptiblité génétique : environnementaux (infections in utero) et
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épigénétiques (c'est à dire modulant la structure des gènes, ainsi par méthylation
de l'ADN ). Au sein même de la neurobiologie, c'est les recoupement des preuves
(modèles animaux, biologie cellulaire, imagerie, étude post-mortem chez
l'homme…) qui valide les résultats. Les anomalies observées doivent être
interprétées avec prudence car elle peuvent n'être qu'une adaptation à un
processus encore inconnu. Une connaissance de ces mécanismes biologiques,
dont la biologie moléculaire décrit les voies de signalisation intracellulaires,
permet déjà de prédire l'évolution de certaines affections neuropsychiatriques et
suggère de nouvelles cibles thérapeutiques.
1.6. Neurophysiologie, imagerie cérébrale
L'approche peut être structurelle ou fonctionnelle, à des niveaux d'observation
allant de la cellule isolée au cerveau dans son ensemble. Un grand nombre de
techniques invasives ne peuvent être utilisées in vivo chez l'homme mais seulement
chez l'animal; elles nous informent cependant sur des systèmes biologiques
communs.
1.6.1.Niveau structurel
Aujourd'hui l'imagerie cérébrale imagerie par résonance magnétique nucléaire ou
IRM (montrant par exemple une dilatation ventriculaire dans la schizophrénie) et
l'imagerie du tenseur de diffusion (DTI) qui in vivo quantifie et analyse
l'ultrastructure de la substance blanche reliant les régions cérébrales, sont des
interventions non invasives répétables dans les études longitudinales (Martinot,
2007 et 2011).
1.6.2. Niveau fonctionnel
1.6.2.1. La neurogénèse
Découvertes dans le cerveau adulte des mammifères, des cellules souches de type
embryonnaire pourraient venir réparer des lésions neurodégénératives si l'on
facilite leur prolifération et leur différenciation. La neurogénèse (division de
cellules souches puis différenciation en neurones) suscite l'intérêt des psychiatres
en raison de l'atrophie du noyau hippocampique des patients souffrant de
dépressions répétées et d' animaux soumis à des facteurs de stress. Cette atrophie
est partiellement corrigée par certains antidépresseurs chez l'animal.
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1.6.2.2. Neurophysiologie des fonctions cérébrales
La « localisation » des fonctions cognitives, support d'une nouvelle psychologie
des facultés (Fodor, 1983) devient envisageable, même s'il s'agit de réseaux et non
de régions cérébrales spécifiques. La circulation de stimulations élémentaires vers
des structures distantes est établie: l'identification de sons rares parmi des sons
fréquents permet d'étudier les capacités attentionnelles (par exemple onde P300
des potentiels évoqués cognitifs) dans plusieurs pathologies avec une résolution
temporelle (quelques ms) meilleure que par imagerie fonctionnelle.
La découverte des neurones mirroirs a donné lieu à une théorie transposable dans
le champ psychiatrique. En 1996, Rizzolati et coll. à Parme observent l'aire F5 du
lobe frontal des singes macaques (équivalente à l'aire de Broca chez l'homme):
l'activité électrique de certains neurones prémoteurs augmente quant l'animal
dirige sa main vers une cible, mais aussi lorsqu'il observe un autre individu
exécutant le même geste, raison pour laquelle ces neurones ont été appelés
«neurones miroirs». Plus tard, on constate que des neurones du cortex pariétal
postérieur, connectés avec les neurones de l'aire F5, présentent la même activation.
Un réseau neuronal similaire entre en activité chez l'observateur et l'acteur. Ce
mécanisme constitué au cours de l'évolution est une des bases de la théorie de
l'esprit, permettant de se représenter autrui et de saisir ses intentions, au moins si
l'on considère que les mouvements et les affects sont liés. On rapprochera ces
observations, dont l'interprétation reste toutefois discutée, des travaux sur le défaut
de reconnaissance des émotions chez les patients schizophrènes.
Une application pratique de la neurophysiologie est représentée par la stimulation
cérébrale profonde implantée : en cas de résistance avérée dans les troubles
obsessionnels-compulsifs et la dépression, elle permet de moduler de façon
continue le réseau neuronal en jeu. Une machine pourrait corriger les émotions et
les comportements.
1.6.2.3. Imagerie cérébrale
La fixation des psychotropes sur les différents récepteurs cérébraux conduit à des
réceptogrammes qui peuvent orienter le choix des médicaments. Ces études sont
réalisées sur le cerveau des rongeurs. Pour les récepteurs techniquement
accessibles, l’imagerie PET (tomographie par émission de positrons) chez
l’homme, met en évidence l’action des psychotropes au niveau central, mais reste
une technique trop coûteuse pour être proposée en pratique clinique.
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La technique la plus largement utilisée en psychiatrie est l’Imagerie par
Résonance Magnétique Nucléaire fonctionnelle ou IRMf. Son développement
montre la place du progrès technique dans notre meilleure compréhension du
cerveau. S'appuyant sur le phénomène de la résonance magnétique nucléaire
entre le moment magnétique des atomes de l'organisme et un champ magnétique
externe, l’IRM a connu de nombreux développements en physique avant que
Lauterbur (1973), s'inspirant de la reconstruction tomodensitométrique, ne réalise
la première coupe virtuelle d'un objet en deux dimensions. Le codage du signal ne
cesse alors de s'améliorer. Au Japon, Ogawa, constatant que le signal émis par le
sang oxygéné diffère de celui qu'émet le sang désoxygéné (le magnétisme de
l'hémoglobine étant différent selon qu'elle porte ou non de l'oxygène), mesure
l'augmentation du débit sanguin liés à l'activité cérébrale qui consomme de
l'oxygène. Le signal BOLD (blood oxygen level dependence), grâce à l'acquisition
successive d'images à un rythme élevé, permet ainsi de suivre le métabolisme, c'est
à dire l'activité, d'une aire cérébrale au cours d'une tâche cognitive (par exemple
augmentation du débit occipital lors d'une tâche visuelle) et d'établir une carte
fonctionnelle du cerveau.
Méthode non invasive, l’imagerie fonctionnelle permet de visualiser la carte des
états mentaux en temps réel au niveau cérébral. Ainsi, chez des sujets déprimés
comparés aux témoins normaux, la confrontation à des visages tristes active
davantage l'amygdale,un noyau limbique qui échappe au contrôle frontal
(proportionnellement moins actif ). Certaines anomalies persistent après la
guérison, marqueurs de traits pouvant donner des indications sur l'évolution
(imagerie pronostique). L’imagerie fonctionnelle permet aussi de visualiser le
fonctionnement de la conscience.
1.6.2.4. Imagerie cérébrale fonctionnelle de la conscience
L'inconscient cognitif (Naccache, 2006) interprète le réel en fonction des messages
que lui envoie le système nerveux. En cas de message subliminal, un sujet tient
compte de l'information dont il n'est pas conscient. Si l'on présente à un sujet des
images de visages anxieux visibles pendant un temps très court suivis de visages
neutres, les seuls perçus consciemment car présentés plus longtemps, l'IRM
fonctionnelle met en évidence une hyperactivité de l'amygdale, sensible à l’anxiété.
Lors d’une perception, des circuits neuronaux longs, visualisés en imagerie,
communiquent en dernier lieu l’information au cortex préfrontal et pariétal. Cette
embrasement neuronal quasi généralisé, que Changeux et Dehaene (2008)
appellent GNW (Global Neuronal Workspace) correspondrait à la conscience :
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il est diminué au niveau du cortex préfrontal chez les patients schizophrènes qui
conservent néanmoins les capacités moins élaborées de perception subliminale.
2- Neurosciences et sciences humaines
Les neurosciences s’appuient sur une méthode hypothético-déductive.
L'hypothèse, c'est à dire la question posée, est déterminante. Elle peut naître de
l'observation, par exemple l'effet inattendu d'un médicament (action
thymorégulatrice des anticonvulsivants). Elle peut aussi se déduire d'une théorie
(le suicide envisagé comme une mauvaise décision selon la théorie des jeux). Cette
hypothèse doit être confirmée par un protocole expérimental, mais le progrès,
confirmation ou rejet statistique du résultat déduit de l’hypothèse, provient
toujours d'une réexamen du savoir antérieur. Les articles soumis aux revues
internationales suivent toujours le même plan: élaboration d'une hypothèse à
partir des données connues, vérification de sa significativité statistique et
discussion du sens des résultats, qui renvoient à de nouvelles questions. Cet
enchaînement indéfini des causes a été justement critiqué lorsqu'on étudie la
maladie mentale. La philosophie des sciences oppose à cette naturalisation du
psychisme une recherche des « raisons » qui conduisent à l'assentiment plus qu'à
la preuve, lorsque la complexité du réel semble irréductible aux lois de la biologie.
Le philosophe Wittgenstein propose ce mode de pensée pour la recherche en
psychanalyse, qu'il compare à l'esthétique dont la valeur échappe au raisonnement
causal.
A mi-chemin entre causes et raisons, les états psychologiques dans leur contexte
historique et social , nécessitent d'aborder la complexité par les méthodes des
sciences humaines.
Durkheim (1897) a le premier montré que l'incidence du suicide, accrue au
moment de la révolution industrielle, était liée à un type d'organisation sociale
autant qu'à des facteurs psychologiques individuels. Les hypothèses posées à partir
d'une problématisation initiale peuvent être testées, avec des mesures quantifiées
(par exemple sondage). Cependant, plus qu'à la méthode hypothético-déductive
utilisée par les neurosciences, les sciences humaines font appel à la méthode
inductive: les observations sont généralisées et conduisent à une théorie.
Leur méthodologie, souvent qualitative, utilise toutes sortes de matériaux
( fragments d'entretien, archives..). Elle est souvent exploratoire. Des entretiens
prolongés avec un nombre limité de sujets ont permis de catégoriser les
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« événements de vie » qui sont ensuite classés selon leur impact et utilisés dans la
recherche biologique sur le stress. L'accent est mis sur le sens des phénomènes et la
subjectivité du chercheur.
La méthodologie quantitative n’est pas pour autant absente dans l’analyse
sociologique qui peut par exemple s'appuyer sur le pourcentage de la variance
qu'un modèle n'explique pas pour affiner puis tester les hypothèses (association
avérée entre dépression à l'âge adulte et abus sexuel dans l'enfance ; puis
introduction de la variable précurseur ou médiatrice : précarité économique,
permettant d'expliquer un plus fort pourcentage de la variance).
Si la neurobiologie insiste sur l'homogénéité des échantillons comparés, l'approche
inductive en sciences humaines construit sa théorie progressivement en
accumulant les données observées, plus hétérogènes, jusqu'à la saturation (on
n'observe plus de données vraiment nouvelles), dans un va et vient entre le terrain
et l' élaboration théorique, les observations inattendues (cas négatifs) permettant
de rectifier les hypothèses.
Un courant de la sociologie des sciences, les STS (Science and Technology
Studies) montre aussi que les découvertes ne reposent pas tant sur l'évidence de la
preuve que sur des paradigmes sous-jacents (la génétique aujourd'hui) variant
selon les époques (Kuhn, 1989) et selon la technologie disponible (le DSM
américain conçu dans la perspective d'une informatisation du diagnostic). De
nouveaux syndromes, comme les personnalités multiples qui ont été observés aux
Etats-Unis et non en Europe, sont évidemment le reflet d'une culture. D'autres,
comme le syndrome de stress post-traumatique apparaissent avec la naissance la
victimologie et le rôle des associations de patients. Des recherches proches du
constructivisme social (I. Hacking, B. Latour) pour qui la connaissance s'édifie en
fonction de son environnement et des outils avec lesquels chaque discipline
administre les preuves de vérité (Latour, 1979, Pestre, 2013), attirent notre
attention sur les conséquences éthiques des progrès scientifiques assortis d'un
contrôle social et économique: la pharmacogénomique permettrait de savoir à
quels patients il conviendrait d’administrer tel médicament à telle dose, et le
génotype deviendrait un code-barre définissant pour chacun les risques
présumés de toute son existence.
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3-Les limites des neurosciences
3.1. La naturalisation comme modèle épistémologique
Les méthodes des sciences humaines tracent les limites de la naturalisation qui fait
de l’homme une espèce parmi d’autres. Pourtant cette naturalisation s’est imposée
comme le modèle épistémologique dominant. La frontière entre les neurosciences
et les comportements, qu’ils soient individuels ou sociaux, est de plus en plus
perméable ainsi qu’en témoigne l’usage de néologismes comme neurolinguistique,
neuropsychanalyse ou plus récemment neuroéconomie (Prochiantz, 2012). La
neuroéconomie a l’ambition de comprendre la décision du consommateur et de
valider, en fonction de la biologie du système nerveux central, la théorie du choix
rationnel, fondée sur un calcul coût-avantage propre au raisonnement
économique. Cette métaphore a par exemple été proposée pour tenter de
comprendre les troubles des conduites alimentaires, les expériences réalisées
portant sur la réponse à un choix et sa visualisation en IRM fonctionnelle (Petit et
coll, 2011).
La référence en psychiatrie est de moins en moins l’homme « assujeti » à son
inconscient ou victime d’une société malade comme on le disait dans les années
1970 (Wolf, 2012). Le choix de l’explication biologique est lourd de conséquences.
De nouvelles connaissances sont possibles, mais ce modèle inconstestablement
heuristique ne signifie pas que la réduction au biologique soit une approche
suffisante, surtout dans le domaine des soins, alors même que de l’avis général les
découvertes en psychopharmacologie marquent le pas (Gonon, 2011). Si l’on
souligne parfois l’usage incorrect qu’elles font de leurs propres méthodes (Button
et al, 2013), la rationnalité des neurosciences est érigée en méthode thérapeutique
dominante. Il n’est pas exceptionnel qu’un patient déprimé exprimant sa douleur
morale s’entende dire simplement, avec la bonne foi d’une réponse rationnelle qui
apaisera son angoisse, que le niveau de la sérotonine dans son système nerveux est
trop bas, ce qu’un traitement viendra corriger. L’absence d’une hiérarchie qui
placerait l’homme non pas au milieu mais aussi en dehors de la nature ne permet
pas d’affirmer que nous nous distinguons des autres espèces autrement que sur le
plan quantitatif (ainsi par le développement du télencéphale ou la complexité du
génome). Si Descartes a tort de séparer le corps et l’esprit (Damasio, 1995) et si le
corps seul est objet de connaissance, le post-humanisme est prêt à effacer une
autre frontière, entre le naturel et l’artificiel puisque l’esprit peut être incarné dans
un autre support matériel (Besnier, 2012). Dans cette perspective, la stimulation
cérébrale profonde destinée à améliorer certains comportements pathologiques
(comme des compulsions résistant à toute autre thérapeutique) et qui serait
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utilisée par un opérateur acquis au seul modèle biologique, préfigurerait une
humanité de science fiction.
A cette approche moniste, on opposera le modèle dualiste prédominant il y a une
trentaine d’années (Wolf, 2012). La nature avait sa place et imposait des lois
universelles, mais coexistait avec la culture, caractérisée par l’absence de règle
universelle (on a discuté l’universalité de l’interdit de l’inceste) et donc évolutive.
Pour la psychanalyse, l’appareil psychique se conçoit indépendamment de la base
biologique que, selon le Freud de l’esquisse d’une psychologie scientifique, l’avenir lui
donnera. Pour la théorie de l’esprit en revanche, les cognitions sont des
phénomènes naturels ce que la cartographie de l’imagerie cérébrale illustre déjà.
L’esprit incarné dans un corps gagne en unité mais perd son irréductible unicité.
Son mode de fonctionnement n’est plus compris selon ses lois propres, comme par
exemple l’organisation de l’appareil psychique pour la psychanalyse, mais selon les
lois de la nature.
Les conséquences de l’innéisme défendu par les neurosciences sont aussi sociales.,
Il y aurait peu à investir en dehors des neurosciences pour venir en aide à des
patients atteints de pathologies pour le moment incurables (autisme,
schizophrénie…) : ils doivent attendre les progrès de la biologie. Certes, les
patients ne sont plus responsables de leurs échecs et sont moins culpabilisés, mais
le travail sur soi-même est moins crédible. Ainsi un comportement dangereux
renvoie-t-il à une dangerosité considérée comme innée. La loi de rétention de
sûreté du 25 février 2008 permet de restreindre la liberté de malades potentiellement
dangereux. On en rapprochera l’emploi courant à la place d’ abus sexuel sur mineur
du terme de pédophilie, qui pourtant ne qualifie pas un comportement mais une
pulsion. C’est pourtant le comportement et non le risque qui est condamnable
(Wolf, 2012). Le patient est considéré comme dangereux « par nature » et
inaccessible à la psychothérapie.
3.2 La place de la psychothérapie
Les limites de l'Evidence Based Medicine en psychiatrie sont visibles dans
l'évaluation des psychothérapies avec les critères des disciplines scientifiques.
Multiplier les sources d'information (le patient, le thérapeute, le coût/bénéfice...)
amène déjà à des résultats contradictoires. On propose de travailler sur le
discours des patients enregistré verbatim (narratives) pour apprécier l'amélioration
de l'insight en cours de traitement. Certes, les thérapies comportementales et
cognitives très structurées (brèves, focalisée sur un problème clinique) qui se
contentent souvent de quantifier les effets les plus objectivables comme
l'amélioration des symptômes, satisfont aux critères d’objectivité des
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neurosciences, mais aborder les aspects qualitatifs de la relation
psychothérapique, c’est étudier un processus. On a tenté de quantifier le
changement par des indicateurs comme le PQS (Psychotherapy-Q-Set de EE Jones)
qui intègre tout au long du traitement les caractéristiques techniques et
relationnelles des diverses psychothérapies. Si l'accordage entre patient et thérapeute
apparaît toujours comme essentiel, il est difficile d'objectiver l'effet d'interventions
spécifiques (interprétation par exemple) qui ne sont jamais utilisées isolément,
quelle que soit la référence théorique du psychothérapeute. L'étude des pratiques
grâce à des réseaux de psychothérapeutes coordonnés par des chercheurs est
souvent la réponse empirique apportée dans ce domaine qui échappe aux
neurosciences (Thurin, 2009).
3.2 Le problème du libre-arbitre
Puisque les phénomènes naturels ont des explications déterministes, la vision
naturaliste entre en contradiction avec l’existence d’un libre arbitre que Searle
(2004) range parmi les problèmes apparemment insolubles. Deux positions sont
contradictoires et nous ne voulons renoncer ni à l’une ni à l’autre : nature et
culture, corps et esprit, cerveau opposé à l’ensemble « conscience, intentionalité et
décision ». Searle prend l’exemple du jugement de Paris invité à désigner la plus
belle des trois déesses : Héra, Aphrodite et Athéna. Il tend la pomme à Aphrodite,
non pas pour désigner la plus belle des trois, enjeu apparent du jugement, mais en
fonction de la récompense que chacune lui promet. Sa décision se fonde sur ses
propres critères et dépend d’une délibération intérieure. Son libre arbitre, s’il n’est
pas illusoire, tient dans l’écart entre deux états cérébraux dont le premier ne
détermine pas entièrement le second. Comme le dit Searle, l’ontologie en
première personne de la conscience, n’est pas réductible à l’ontologie en troisième
personne du fonctionnement neuronal concomitant.
Conclusion
On a reproché à Henri Ey de proposer avec l’organo-dynamisme une synthèse
impossible entre l’organique et le psychique (Chebili, 2012). Réintégrer ainsi la
psychiatrie dans le champ de la médecine a représenté un effort de clarification de
la psychopathologie et ouvert la voie à des connaissances vérifiables et à des
traitements incontestablement efficaces. Mais le prisme des neurosciences limite
les soins à leurs aspects opératoires. Que faire lorsqu’on ne peut apporter au
mieux que des réponses symptomatiques en l’absence de guérison ou que les
troubles résistent à toutes les thérapeutiques ? La souffrance des patients heurte
notre volonté et notre conscience car elle représente ce que nous ne pouvons ni
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maîtriser ni tout à fait comprendre, ce qui en fait un objet de scandale ou conduit
à un retrait défensif dans la technicité médicale. Lorsque les neurosciences
s’imposent comme une théorie qui n’intègre plus les aspects irréductiblement
humains d’une psychiatrie ne pouvant se réduire à une neurologie des
comportements, il est légitime de ne pas définir la psychiatrie en ces termes mais
de s’interroger sur les termes utlisés pour la définir. Pour reprendre l’image de
Teilhard de Chardin, l’observateur engagé dans un monde qui n’est pas
« disjoint » « transporte avec soi, où qu’il aille, le centre du paysage qu’il
traverse » (1955). L’insatisfaction laissée par l’hégémonie des neurosciences
explique la vogue de techniques de soins (EMDR, méditation de pleine
conscience…) dont la base scientifique est faible et qui pourtant tentent de trouver
dans les neurosciences une explication qui les légitimerait, sans posséder la portée
générale et la richesse des courants qui ont marqué la psychiatrie du 20ème siècle.
Notre époque s’interroge sur une nouvelle définition du soin, comme en
témoigne le terme difficilement traduisible de C’est dans le domaine
thérapeutique que les neurosciences, malgré leurs succès et leurs promesses,
laissent la plus large place à une autre approche des patients, lorsque les
croyances ne se réduisent pas à la suggestion, l’empirisme à un défaut de
rationnalité et les relations entre les individus à des données mesurables.
Bibliographie
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Troubles de l’identité sexuée
Dr. Bernard Cordier, Psychiatre des Hôpitaux - Hôpital Erasme (Antony), Hôpital Foch (Suresnes), Vice-Président de la SOFECT (Société Française d’Etude et de prise en Charge de Transsexualisme)
Résumé
Dans le contexte d’un étrange débat sur le sexe et le genre, il est proposé une mise
au point sur le sens de ces mots puis une approche de la construction de l’identité
sexuée avant un chapitre médical plus classique touchant au diagnostic et au
traitement de ce trouble.Le titre de cet article met d’emblée l’accent sur la
sexuation plutôt que sur la sexualité. Nous sommes actuellement confrontés à un
étrange débat sur le « genre », source d’amalgames et de confusions qui nuisent à
l’image du transsexualisme, mais aussi à la compréhension de ses aspects cliniques,
de la lancinante souffrance qu’il induit et du traitement singulier qui la
soulage.Mais, avant l’approche médicale du problème, il nous paraît nécessaire de
se pencher sur le sens des termes utilisés dans ce domaine, en particulier celui des
mots « genre » et « sexe ». Nous proposerons ensuite une réflexion sur notre
pratique pluridisciplinaire et sur ses perspectives.
I – Des Mots et des quiproquos
1)Sexe et genre
a. Le sens usuel
Le mot SEXE, outre l’appareil génital externe, désigne, selon le dictionnaire
Larousse « l’un ou l’autre des deux types morphologiques et physiologiques,
respectivement dits mâle et femelle auxquels appartient la moitié environ des
individus adultes dans l’espèce humaine, dans de nombreuses espèces animales et
dans de rares espèces végétales et qui ont un rôle propre dans la reproduction de
ces espèces ». L’adjectif « sexué » veut dire « qui possède la marque distinctive
d’un sexe et d’un seul ».Le mot GENRE, dans le dictionnaire Littré, a dix
significations voisines mais différentes. On retiendra ici que ce mot désigne :
• Soit un rassemblement à partir de caractéristiques qui se ressemblent, abstraites
ou concrètes.
• Soit ce qui a un rapport avec l’apparence, l’allure.
• Soit un sens grammatical.
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b. Ainsi les mots « genre » et « sexe » n’ont pas le même sens en langue française
mais, à partir du mot anglais « gender », on a assisté à une extension voire un
néologisme qui est en fait un anglicisme, attribuant au mot genre l’un des sens du
mot sexe.
2) Orientation sexuelle et identité sexuée
On observe une fréquente confusion entre l’orientation et l’identité dites sexuelles
alors même que la distinction entre les deux est évidente, ne serait-ce que parce
que, a priori, seuls les problèmes d’identité requièrent l’intervention de la
médecine. Rappelons que l’identité répond à la question « qui suis-je ? » et
l’orientation à une autre question « avec qui vais-je ? ». Précisons enfin que les
termes « d’identité sexuée » qu’il faut attribuer à C. CHILAND, désignent la
« gender identity » des anglophones devenu en français l’identité de genre ou
l’identité sexuelle, confirmant la confusion actuelle, liée à un mouvement sociétal,
entre sexe et genre.
II – La « pré assignation sexuelle »
On entendra par « pré assignation » ce qui détermine et désigne le sexe avant la
construction de l’identité sexuée ou identité de genre.
1)Aspects biologiques
Notre espèce est sexuée, c’est un fait incontestable sur le plan biologique, nos
chromosomes sont homo ou hétérogamétiques, XX et XY. Lors de la fécondation,
c’est « la roulette sexuelle », catégorie chance simple, c’est-à-dire une chance sur
deux. Il y a néanmoins 105 naissances de garçons pour 100 naissances de filles,
répartition qui s’inverse au cours de la vie, notamment en raison d’une plus
grande résistance du « sexe faible ». Tel un logiciel, la séquence XY ou XX va
dérouler un programme général de masculinisation ou de féminisation : il dessine
les différences anatomiques internes et externes et détermine le type d’hormone
sécrétée ; il en découle d’innombrables différences scindées en :
• caractères sexuels primaires, en rapport direct avec la fonction de
reproduction
• caractères sexuels secondaires, sans rapport directe avec celle-ci : pilosité,
squelette, larynx, glandes mammaires…
On parle également de caractères sexuels tertiaires pour désigner les vêtements, la
coiffure, les bijoux, le fard, qui varient en fonction du contexte socioculturel.
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On peut aussi évoquer ici le « dimorphisme cérébral sexué » fonctionnel et
anatomique, sans pouvoir, en l’état actuel des connaissances, évaluer l’incidence de
l’inné et de l’acquis, évaluation qui doit prendre en compte les récentes
découvertes sur la plasticité cérébrale.
2)Aspects psychologiques
Il faut tout d’abord mentionner la fréquente « pré assignation parentale » avant
même la fécondation qui s’est longtemps concrétisée par des méthodes plus ou
moins illusoires : régimes, recettes, heure et position de la fécondation, etc… puis il
y a eu la fécondation in vitro offrant la réelle possibilité de choisir le sexe de
l’enfant. Mais ce qui a le plus bouleversé cette pré assignation, c’est la révélation
prénatale du sexe par l’échographie, susceptible de favoriser une forme de
« discrimination » objective (prénom, couleurs, vêtements…) et subjective par les
multiples projections dans l’imaginaire des parents.Après la naissance, l’enfant va
tenter de « reprendre la main » et se forger progressivement une identité de genre
qui, selon STOLLER, est contemporaine de l’acquisition du langage, acquisition
qui, on le sait, permet à l’enfant de structurer sa personnalité en prenant
conscience de lui, du monde dans lequel il vit et de sa place dans celui-ci. Cette
identité est forcément influencée par les précédents facteurs, auxquels s’associent
l’inévitable sexuation de l’éducation et de l’environnement, même les jouets ont un
sexe !
La « théorie du genre », source de polémiques, ce qui est peut-être l’un de ses
objectifs, veut que ces facteurs d’éducation et d’environnement soient prévalents
dans la construction de cette « identité de genre ».
3)Aspects sociologiques
A quelques exceptions près, depuis que les humains se sont organisés socialement,
la différenciation sexuelle a été appliquée. Avant l’achèvement de l’Etat civil, il y
avait déjà le vêtement, la parure, les fonctions, les tâches respectives… Il s’agit là
de lourdes contraintes mais à priori librement consenties. Comme l’écrit Judith
Butler, « les normes nous produisent autant que nous les produisons ». Quoi qu’il
en soit, depuis qu’il existe, l’état civil est sexué en droit français et en vertu du
principe de droit de l’indisponibilité de l’état des personnes, il est définitif et ne
peut être modifié que par procédure civile. Et pourtant, il n’est fixé que par
l’aspect des organes génitaux externes ! Il est renforcé en France par le numéro de
sécurité sociale, par l’appellation (Monsieur, Mademoiselle, Madame) et il a
longtemps orienté les études et l’éventail des choix professionnels.
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III – Le transsexualisme
1)Identification progressive du concept
En 1580, dans son « Journal de voyage en Italie », Montaigne raconte qu’on lui a
parlé d’une jeune fille qui était vêtue en homme et exerçait le métier de tisserand
dans un village français. Etant tombée amoureuse d’une femme, elle l’avait
épousée mais au bout de 4 mois, une personne de son village d’origine l’ayant
reconnue et l’ayant dénoncée à la justice, elle fut condamnée à être pendue.
Quatre siècles plus tard, le 25 mars 1992, c’est la France qui a été condamnée par
la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour avoir refusé le changement
d’état civil à un transsexuel opéré !C’est au XIXème siècle que ce type de trouble
entre dans le champ de la médecine. Les « aliénistes » le classent dans le cadre des
monomanies et l’assimilent donc à une psychose (Esquirol 1838, Marc 1840…).
Avec Kraft-Ebing (1869), la notion d’« effémination » chez l’homme et celle de
« viraginité » chez la femme sont assimilées à des perversions sexuelles. En 1910,
Hirschfeld distingue le travestissement et l’homosexualité. Dans le groupe des
travestis, il distingue le transvestisme avec implication érotique, l’éonisme sans
érotisation et l’inversion esthéticosexuelle qui consiste pour un homme à se
complaire dans la parure féminine de manière ostentatoire. C’est en 1949 que
Cauldwell créé le mot « transsexualisme » mais c’est à Benjamin (1954) que l’on
doit l’autonomisation du concept en référence au trouble de l’identité qu’il
distingue du travestissement fétichiste ou homosexuel. En 1953, Hamburger opère
un transsexuel et publie son observation. Il s’ensuit une avalanche de demandes
de réassignation. Peu après, Stoller publie plusieurs ouvrages sur l’identité de
genre mais c’est Fisk en 1973 qui propose le concept de dysphorie de genre.
Breton (1985) le définit comme l’état de tous les sujets, transsexuels compris, qui
souffrent de leur statut social relatif au sexe, mais ne souhaitent pas
obligatoirement en changer.
1) Définitions et diagnostic
⁃ Selon le même J. BRETON, l’une des originalités du transsexualisme est
de pouvoir être défini différemment selon la manière d’aborder le
problème.
o Définition non médicale :
Un transsexuel est une personne qui, préférant appartenir au sexe
opposé à celui de son corps et de son état civil, réclame un
changement de morphologie et qui, au nom d’une liberté nouvelle,
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celle de choisir son propre sexe, entend bien bénéficier des progrès
techniques de la médecine et de la chirurgie, d’ailleurs considérables
en ce domaine.
o Définition médicale :
Un transsexuel est une personne qui, bien que présentant en l’état
actuel des connaissances, des caractères sexuels biologiques et
morphologiques normaux, se sent appartenir à l’autre sexe. Dans
cette discordance entre psyché et soma, a priori c’est la psyché qui
est perturbée : le transsexualisme est donc un trouble psychique et
l’intervention du psychiatre est indispensable à l’établissement du
diagnostic.
⁃ Dans les classifications internationales (CIM10 et DSM4 bientôt remplacé
par le DSM5) il est opposé des critères positifs et négatifs pour établir le
diagnostic :
o Critères positifs :
§ Souffrance, malaise, inconfort, inadéquation, inadaptation
par rapport au sexe (genre) § Identification à l’autre
sexe (genre) § Désir de vivre, d’être reconnu de
l’autre sexe (genre) après transformation hormono-
chirurguicale (THC).
o Critères négatifs : Absence de schizophrénie et d’anomalies
génétiques.
De nombreux spécialistes ont retenu une forme primaire de transsexualisme
correspondant à une inversion précoce, profonde, constante et inébranlable de
l’identité sexuée ou identité de genre. Cette inversion se manifeste dans le
comportement, les goûts, les choix vestimentaires, les intérêts prévalents et
l’orientation sexuelle. Certes, il s’agit de manifestations qui peuvent être inspirées
par les stéréotypes sexuels mais la constance de ce tableau psycho-biographique
confère une valeur sémiologique à ces caractéristiques du transsexualisme
primaire.La forme secondaire correspond à une demande tardive de THC après
une période de vie apparemment conforme au sexe génétique mais comportant
assez souvent, pour les hommes, un travestissement confidentiel et ce qu’il faut
appeler une homo ou bi sexualité.
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2) Diagnostics différentiels
a. Etats intersexuels organiques :
⁃ Les dysgénésies gonadiques correspondant à des anomalies ou à une
absence de gonade : syndrome de Turner (45X0) et syndrome de
Klinefelter (47 XXY).
⁃ Hermaphrodisme avec la coexistence de tissus ovariens et testiculaires.
⁃ Pseudo-hermaphrodismes masculins par déficit en testostérone, par déficit
en facteur antimullerien ou par insensibilité périphérique aux
androgènes.
⁃ Pseudo-hermaphrodisme féminin correspondant le plus souvent à une hyperplasie congénitale des capsules surrénales.
b. Ambiguïtés psychosexuelles :
⁃ Dans les psychoses où il s’agit d’un délire de changement de sexe, soit d’un
délire de filiation, soit d’un délire à thème hypocondriaque.
⁃ Chez les homosexuels masculins ou féminins : c’est un diagnostic
différentiel plus fréquent chez les femmes et il est parfois difficile de
distinguer une homosexuelle de tempérament masculin qui assume mal le
statut social que lui confère son orientation sexuelle et un trouble de
l’identité de genre. Dans le cadre des différentes formes de
travestissement : le diagnostic différentiel est difficile chez les hommes
travestis fétichistes, souffrant d’une véritable paraphilie, longtemps
contenue avant d’être « débridée » et d’aboutir à une demande de THC.
c. Comorbidités psychiatriques :
Equivalents dépressifs, dysmorphophobies génitales, impuissance psychique…
d. Transsexualisme suggéré :
Certains pensent que c’est l’offre d’une THC qui a suscité et suscite toujours la
demande de « réassignation » et il s’agirait donc d’une pathologie iatrogène ou
« médiagène ».
IV – La transformation hormono chirurgicale (THC)
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Elle ne peut être envisagée qu’après une évaluation psychiatrique, psychologique,
endocrinologique et chirurgicale. Elle doit être aussi précédée d’une « real life
experience » c’est-à-dire l’adoption de l’apparence de l’autre sexe pendant au
moins un an.La décision de THC est collégiale et pluridisciplinaire, plusieurs
équipes françaises ont adopté la procédure de RCP (Réunion de Concertation
Pluridisciplinaire) telle qu’elle est pratiquée en cancérologie.La décision d’initier
un traitement hormonal peut être prise après seulement une année d’évaluation et
comporte deux phases : la première prévoit un traitement anti-hormonal, anti-
androgénétique chez l’homme et progestatif puissant bloquant la stimulation
ovarienne chez la femme. Les effets de ces deux traitements sont réversibles. La
deuxième phase comporte une oestrogénothérapie chez l’homme et la
prescription de testostérone chez la femme. Ces prescriptions peuvent avoir des
effets irréversibles ou partiellement réversibles. Elle doit reposer sur des critères
diagnostics tout aussi rigoureux et répondre à une véritable indication
thérapeutique afin d’éviter les dérives trop souvent observées.Quant aux
interventions chirurgicales qui ne peuvent être réalisées qu’après 2 années
d’évaluation : Chez l‘homme, il s’agit d’une castration bilatérale (ablation des
testicules, des corps caverneux et spongieux) suivie de la création d’un néo-vagin
tapissé par la peau pénienne retournée en doigt de gant et de grandes lèvres à
partir du scrotum. Il est réalisé un néo-clitoris grâce à un lambeau en îlot
neurovasculaire taillé au niveau du gland et une urétrostomie périnéale. Chez la
femme, il s’agit d’une mammectomie et d’une hystéro-ovariectomie non
conservatrice. Elle est éventuellement complétée par une phalloplastie. Quelle que
soit la méthode de cette dernière, les résultats sont plus satisfaisants sur le plan
morphologique que sur le plan fonctionnel ; il est à noter qu’elle n’est pas exigée
pour obtenir le changement d’état civil.
V – Réflexions et perspectives
1) Légitimité de la THC
a. Du point de vue éthique :
Elle repose sur la mise en évidence par des médecins compétents d’une anomalie
de l’identité sexuée à l’origine d’une souffrance psychique qui, en l’état actuel des
possibilités thérapeutiques, ne peut être soulagée que par cette THC. La légitimité
de celle-ci n’exige pas d’avoir découvert l’étiopathogénie de cette anomalie et il ne
serait pas éthiquement valable d’en priver des patients dans l’attente de cette
découverte. Elle suppose aussi que les bénéfices thérapeutiques compensent
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largement les risques encourus. Elle suppose donc une évaluation catamnestique
dont les résultats seraient suffisamment probants pour valider les critères
diagnostics qui avaient abouti à l’indication d’une telle thérapeutique. En d’autres
termes, cette pratique ne peut être poursuivie sans que soit menée parallèlement
une recherche dans tous les domaines, aussi bien étiologique que thérapeutique,
par tous les moyens, de la psychanalyse jusqu’à la neuro-endocrinologie.
b. Du point de vue déontologique :
Selon l’article 4 de notre code « aucune intervention mutilante ne peut être
pratiquée sans motif médical très sérieux » en l’occurrence si le consentement
éclairé du patient (article 36) est évidemment indispensable avant une telle
intervention, sa volonté n’est pas suffisante. Le fait qu’il demande à la subir ne
constitue pas « un motif médical très sérieux » et on en revient à l’importance des
critères d’évaluation psychiatrique et psychologique qui doivent convaincre le
chirurgien du but thérapeutique de son intervention, qui n’est plus alors une
mutilation.
2) Résultats
Une enquête a été récemment réalisée par L. KARPEL, psychologue de l’équipe
parisienne. Elle a adressé un questionnaire à 266 patients pris en charge entre
1989 et 2009. Elle a obtenu 76 % de réponses (n = 204). L’étude des réponses est
encourageante car 95 % des patients ne regrettent absolument pas la THC et les
5 % de regret concernent surtout les résultats chirurgicaux et non le changement
de sexe.Rappelons que l’on peut estimer à 1 pour 50 000, l’incidence du
syndrome transsexuel avec une progression vers la parité, autant de M→ F que F
→ M.
3)Perspectives
L’expérience montre que la qualification s’avère essentielle et nous préconisons la
spécialisation de quelques équipes pluridisciplinaires. Selon le modèle qui régit
l’assistance médicale à la procréation, des centres spécialisés, dont la compétence
serait reconnue sur un plan national, seraient les seuls habilités à décider et
pratiquer la THC d’une personne souffrant de troubles de l’identité de genre.
POUR CONCLURE
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L’auteur de cet article, après plus de 20 années d’expérience dans ce domaine,
propose les conclusions provisoires suivantes :
⁃ Le transsexualisme est un état pathologique dont les manifestations, par
leur invariabilité, en font une véritable entité nosographique.
⁃ En l’état actuel des connaissances, même si l’étiologie de ce problème
demeure une énigme, il est raisonnable de pencher pour une bio-psycho-
genèse du trouble, c’est-à-dire l’impact entre d’une part une tendance très
précoce, probablement congénitale, à se comporter puis à se sentir dans le
sexe opposé et d’autre part l’attitude de l’entourage face à ce
comportement.
⁃ Nous traversons actuellement quelques « turbulences » sociétales autour
du « gender » mais un tel phénomène est déjà apparu transitoirement à
d’autres époques. Il reflèterait un besoin de « flirter » avec la
« dédifférenciation » des sexes pour s’émanciper du carcan de la nature
mais le socle culturel du sexe est solide et son ancrage biologique
profond.
⁃ Enfin, la THC réalise malgré tout la solution thérapeutique la plus
appropriée à cet état et, associée au changement d’état civil, elle aboutit à
une véritable réhabilitation psychosociale des patients transsexuels.
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La psychiatrie française : hier, aujourd’hui et demain
Pr. Marc-Louis Bourgeois, Institut Pitres et Régis, hôpital Charles Perrens, Bordeaux
Hier « médecine mentale », la psychiatrie est devenue une spécialité
médicale autonome en France, détachée de la Neurologie à l’occasion des
turbulences sociopolitiques de mai mille neuf cent soixante huit. Elle suivait en
cela d’autres pays modernes. Sous la forte pression de divers groupements
professionnels, spécialement des médecins des hôpitaux psychiatriques, la
psychiatrie a donc été séparée de la Neurologie.
Auparavant, la formation et la qualification en Neuropsychiatrie
dépendaient des chaires universitaires de Neuropsychiatrie. Il existait chaque
année un concours national écrit (complété par un oral), qui conférait le CES
(Certificat d’Etudes Spéciales) de Neuropsychiatrie. Les internes des hôpitaux dont
le nombre était restreint, étaient qualifiés d’office après un certain nombre de
stages en CHU.
Il existait une autre filière, celle des hôpitaux psychiatriques (HP), dans
lesquels pourtant se trouvait l’immense majorité des malades mentaux proprement
dits, mais qui ne conféraient pas automatiquement la qualification, ce qui était
source de vives tensions professionnelles catégorielles. Libérée de l’emprise de la
Neurologie universitaire, la psychiatrie fit alors le grand écart vers les « sciences
humaines », les hôpitaux psychiatriques, les écoles de psychanalyse ou même
l’anti-psychiatrie. La « psychothérapie institutionnelle » vint aussi occuper une
place importante.
Avant le XIXème siècle existaient diverses institutions (religieuses)
accueillant des malades mentaux chroniques. La loi de 1838, impulsée par
Esquirol, a imposé la création des « asiles d’aliénés », avec progressivement
création d’un HP dans chacun des départements français. Ces établissements
étaient gérés par le Ministère de l’Intérieur, les aliénés y étaient admis sur ordre du
préfet en suivant les termes de la loi de 1838. Les aliénés y passaient pratiquement
leur vie. On pouvait trouver 2 fonctions majeures à ces établissements : 1° assurer
aux aliénés une protection, des conditions de vie acceptable et des soins, 2° une
mise à l’écart de la communauté sociale, généralement loin des villes. Les asiles
d’aliénés sont devenus « hôpitaux psychiatriques » en 1936 sous l’impulsion du Dr.
Toulouse. Ils sont alors passés dans le giron du Ministère de la Santé. Il existait
aussi des cliniques privées pour la clientèle « favorisée ».
On date souvent de 1800 le début de la psychiatrie moderne avec la
publication du livre de Philippe Pinel (cf. infra), et son geste historique, avec son
surveillant Pussin, de libération des aliénés enchaînés. En réalité dans toute
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l’Europe le siècle des Lumières avait initié ce mouvement philanthropique. En
1843 J. Baillarger, fondait les Annales Médico-Psychologiques qui est la plus
ancienne revue psychiatrique du monde, dans laquelle ont été publiés nombre de
textes fondateurs (cf. M. Masson à paraître, 2013).
Pierre Pichot, se basant sur les effectifs de la Société Medico Psychologique
en 1880 estimait le nombre des psychiatres à la fin du XIXème siècle aux
alentours de 120 psychiatres. L'association mutuelle des aliénistes comptait 120
membres la même année (fondée sous l’impulsion de Baillarger). Il y eut donc une
multiplication par 100 en un siècle (en 2001 on recensait 13 250 psychiatres en
France soit 22 pour 100 000 habitants ce qui classait notre pays au 2ème rang
derrière la Suisse, 24 pour 100 000). Depuis lors un certain reflux est en voie
d’accélération.
Dans la plupart des pays modernes il y a eu une explosion du nombre des
personnes internées. Ainsi en France, le nombre des lits est passé en un siècle de
moins de 10 000 au début du XIXème à plus de 100 000 au début du XXème.
Il existait une tradition du milieu asilaire avec des médecins et des soignants
vivant à l’intérieur des institutions avec les malades internés. Il y avait une filière
de formation et des concours propres pour devenir assistant puis médecin des
hôpitaux psychiatriques. Chaque année le CPNLF réunissait les médecins « du
cadre », c’était l’occasion d’une mise au point centrée sur 1° la Psychiatrie, 2° la
Neurologie, 3° la Législation et l’Assistance. Les lieux de réunion étaient des villes
francophones, parfois exotiques, Saint Petersbourg, Tunis etc. etc.
En deux siècles divers ouvrages ont représenté la référence principale en
psychiatrie pour la France. Il y eut d’abord le livre fondateur de Pinel : « Etude
médico-philosophique de l’aliénation mentale ou de la manie » (1800) puis celui
de son élève Esquirol en 1838 « Des maladies mentales considérées sous le rapport
médical, hygiénique, et médico-légal ». Pour la suite on peut citer les ouvrages de
Morel ; les éditions successives du Manuel de Régis ; puis celui de Guiraud. Une
figure centrale au milieu du XXème siècle fut celle de Henri Ey avec ses célèbres
« Etudes Psychiatriques » (1950-1954) qui représentent une recollection de tous les
travaux de l’ère préthérapeutique. Selon Lantéri-Laura, Henri Ey tenta la grande
synthèse « organo-dynamique » sur le modèle du neurologue Hughling Jackson,
« dernière synthèse grandiose qui vise à rendre compte du champ de la psychiatrie
dans sa totalité ». Pour Ey les maladies psychiatriques étaient une « pathologie de
la liberté » impliquant une destructuration globale du système nerveux (conscience
ou personnalité) tandis que la neurologie est le domaine des destructurations
partielles ou locales. Il reprenait ce qu’avait déjà suggéré les stoïciens, le concept
de corps psychique.
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Si la France est souvent considérée (surtout par les français) comme la mère
patrie de la psychiatrie, Pichot souligne que dans le dernier tiers du XIXème siècle
le leadership passa dans le domaine germanique, en particulier en raison de la
multiplication des chaires universitaires de psychiatrie, avec des figures
marquantes et novatrices telles que Griesinger, Kahlbaum, Kraepelin, Schneider,
Heckel, Jasper…. Le catalan Ramon Sarró disait que la psychiatrie était une
science franco-germanique…
Au cours du XXème siècle le leadership est passé dans le monde anglo-
saxon, en particulier aux USA où il y a environ 40 000 psychiatres dont la réunion
annuelle de leur association (APA) est universellement courue avec plus de 20 000
participants. C’est de l’APA qu’est né le DSM III en 1980 qui représenta un choc
culturel mondial et suscita beaucoup de réactions négatives, en particulier dans la
psychiatrie française alors fortement marquée d’une part par la psychanalyse et
d’autre part par la révolution de la médecine communautaire, de l’approche
psychosociale du secteur psychiatrique. La nouveauté du DSM-III résidait dans
l’inventaire systématique des « troubles mentaux » définis par une série de critères
diagnostiques et l’organisation de 5 axes définissant chaque malade : 1° le
diagnostic catégoriel, 2° la pathologie de la personnalité, 3° les facteurs organiques
éventuellement associés, 4° les évènements et facteurs de stress psychosociaux, 5°
l’évaluation globale de fonctionnement (psychologique, social, professionnel etc.).
Cet ensemble représente une évaluation exhaustive de la situation clinique
de chaque patient. Elle est à la fois contraignante et objectivante, elle n’est guère
appliquée intégralement que dans les travaux de recherche.
L’abord des troubles mentaux en 2 siècles a correspondu à diverses
conceptions, par exemple à la suite de Morel (1862) c’est la « dégénérescence » qui
a cru pouvoir rendre compte des psychoses, modèle repris par Valentin Magnan
en particulier pour les délires chroniques.
Au plan historique Lantéri Laura proposait 4 stades successifs avec
prédominance d’un modèle paradigmatique :
- l’aliénation mentale (Pinel)
- les maladies mentales (JP Falret)
- le modèle psycho-dynamique freudien (et Janet)
- l’athéorisme des DSM III et IV, avec retour au « descriptivisme
français » (néo esquirolien)
On décrit aussi trois révolutions thérapeutiques pour la pathologie mentale :
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1° le traitement moral (Pinel) louangé et célébré par Hegel, insistant sur la
part restée saine du psychisme de l’aliéné (donc accessible a un traitement
relationnel)
2° les psychothérapies psychodynamiques à partir de Freud et Janet
3° la psychiatrie biologique avec au milieu du XXème siècle l’invention des
psychotropes : Lithium, neuroleptiques (CPZ), IMAO, puis antidépresseurs,
anxiolytiques, période qui coïncida d’ailleurs avec le développement des
neurosciences.
On insistera aussi sur la « révolution cognitive » qui commença à la même
époque, nouvelle conception des processus de pensée inspirée par les théories de
l’information, paradigme psychologique qui succéda au behaviorisme du début du
XXème siècle (ascèse intellectuelle qui refusait toute divagation sans preuve sur les
processus intra psychiques, telle que l’introspection)
L’éclatement prévisible de la psychiatrie
D’ors et déjà les psychiatres se spécialisent dans des activités de prise en
charge et de soins différents. On peut distinguer :
- la psychiatrie d’HP et de secteur quadrillant théoriquement l’ensemble du
territoire découpé en secteurs géographiques pour assurer la prise en charge des
troubles mentaux dans les CMP. Il s’agit souvent de gérer des problèmes
psychosociaux, de chronicités pathologiques, de désocialisation etc.
- la pédopsychiatrie dont s’est détachée la psychiatrie périnatale et les
réseaux mère-enfant.
- la gérontopsychiatrie promise à un avenir important compte tenu du
vieillissement des populations européennes et de la prolifération des EHPAD
avec le risque croissant de démence (Alzheimer et autres), de détérioration
cognitive…
- la psychiatrie de liaison oeuvrant avec chacune des autres spécialités
médicales. On peut y associer la « médecine psychosomatique ».
- la pharmacothérapie avec l’exigence accrue des connaissances neuro
chimiques, et pharmacologiques.
- enfin et surtout le vaste domaine aux limites imprécises des
psychothérapies réglées.
La psychanalyse et ses diverses écoles continuent d’occuper une place
importante dans les pratiques actuelles en France, essentiellement sous forme de
« psychothérapie d’inspiration analytique ». Il semble néanmoins que les jeunes
générations soient formées différemment avec un recentrage plus médical et
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biologisant et un intérêt plus marqué pour les nouvelles techniques
psychothérapiques du type TCC (Thérapie Cognitivo Comportementale) et ce
que l’on appelle les 3ème et nouvelles vagues ACT, méditation en pleine conscience
(mindfullness) etc.
Une pathologie très fréquente (épidémiologie)
Tels qu’ils sont définis désormais, les troubles mentaux sont d’une extrême
fréquence dans la population. Il s’agit évidemment d’une conception très élargie
définissant comme trouble mental toute souffrance bio-psycho-sociale qui pourrait
être améliorée par une prise en charge spécialisée (écoute, psychothérapie,
pharmacothérapie, etc.). On est là dans le registre quasi utopique de la « santé
mentale » entrant dans la définition générale OMS de la santé comme état
généralisé de bien-être…
En effet, les grandes études épidémiologiques (ECA et NCS aux USA ; et
ESMeD en Europe) donnent une prévalence sur la vie entière de plus de 30 %.
Ainsi une personne sur trois pourrait bénéficier d’une prise en charge
psychiatrique. Les troubles les plus fréquents sont : anxiété chronique, trouble
panique, phobie sociale, alcoolisme, addiction. L’état dépressif concernerait
presque une femme sur 2 et un homme sur 3 !
Les formes les plus invalidantes de troubles mentaux classiques sont
représentés par les schizophrénies : au moins 400 000 personnes pour la France
dont 10% seulement travaillent. Un suicide sur 4 en France serait lié à cette
pathologie. On a aussi démontré la fréquence des pathologies du spectre bipolaire
dont 1% pour la forme classique type I maniaco-dépressive, et 5% pour
l’ensemble du spectre bipolaire.
Psychiatrie, Neurologie et Gérontologie se partagent l’essentiel des troubles
démentiels dont la prévalence augmente régulièrement avec le vieillissement
croissant de la population.
Un coût humain et financier considérable
La pathologie mentale, outre la souffrance individuelle des patients, est aussi
un malheur pour l’entourage. A ce coût humain s’ajoute un coût financier
considérable qui a été évalué. L’université Harvard en association avec la Banque
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Mondiale et l’OMS ont calculé l’impact économique de l’ensemble des maladies.
On trouvera ci-dessous la liste des 10 affections les plus coûteuses pour la
collectivité (perte de rendement et coût médicaux, invalidité etc.)
Causes principales de handicap
OMS – Banque Mondiale – Harvard 1990
Total % du total
1. Dépression majeure unipolaire2. Anémie par déficit en fer3. Chute4. Alcoolisme5. Pneumopathies obstructives chroniques6. Troubles bipolaires7. Anomalies congénitales8. Maladie ostéo articulaires9. Schizophrénie 10 Trouble obsessionnel compulsif
Autres causes
50,822,022,015,814,714,113,513,312,110,2
472,7
10,74,74,63,33,13,02,92,82,62,2
On voit que 4 des 10 pathologies sont d’ordre psychiatriques : dépression,
trouble bipolaire, addiction, TOC….
L’essence de la psychiatrie
Pendant très longtemps la psychiatrie s’est inspirée de la philosophie. Le
texte fondateur de Pinel portait d’ailleurs comme titre « traité médico-
philosophique… ». Désormais c’est plutôt la psychiatrie qui inspire la philosophie
moderne.
Tout psychiatre se doit de connaître la psychologie, que ce soit de façon
formelle (en faisant des études de psychologie) ou comme c’est le cas le plus
souvent de façon intuitive et informelle. Il y a d’ailleurs souvent confusion entre les
connaissances populaires d’une certaine psychanalyse et ce qu’on croit être la
psychologie.
Le champ de la psychiatrie est progressivement envahi par ce qu’on appelle
la psychopathologie quantitative et les échelles d’évaluation (cf. JD. Guelfi).
Les travaux de recherche actuels reposent sur l’utilisation des critères
diagnostiques des catégories nosographiques des DSM IV et V et des CIM -10 et
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Le DSM V comporte 420 catégories diagnostiques ce qui laisse une large
marge pour l’étiquetage nosographique, le plus souvent le tableau clinique associe
plusieurs diagnostics dans ce qu’on appelle une comorbidité.
Toutes les spécialités médicales sont définies et centrées sur un organe et/ou
une fonction physiologique. Le laboratoire et les examens para-cliniques jouent un
rôle essentiel pour les diagnostics et le suivi sous traitement à telle enseigne que la
présence même du patient ne soit plus réellement nécessaire. Tout pouvant être
réglé sur consultation du dossier médical et des résultats du laboratoire.
C’est exactement l’inverse que l’on observe en psychiatrie. Pour l’instant les
examens de laboratoire restent secondaires et c’est la présence et l’échange avec le
patient qui restent l’essentiel du bilan clinique, ceci fait la singularité de la
psychiatrie. Au point que l’on définit encore cette spécialité comme pathologie de
la personne humaine, pathologie de la relation, pathologie de la rencontre.
Néanmoins dans certains services considérés comme à la pointe du progrès et de
la recherche, les patients ne sont plus rencontrés par les seniors, ils font l’objet d’un
inventaire symptomatique systématisé, transmis par écran au responsable des
unités qui jugent de l’évolution sous traitement, traitement inspiré par les
algorithmes ou guidelines (en particulier proposés par l’HAS). Même dans cette
spécialité la personne malade est progressivement évacuée du bilan. C’est une
façon pour la psychiatrie de rejoindre les autres spécialités médicales. C’est peut-
être aussi le danger de perdre son âme.
Les interventions se situent schématiquement à différents niveaux
1° la machinerie cérébrale : fonctionnement des réseaux neuronaux, des
synapses, des neurotransmetteurs etc.
2° La machinerie mentale telle qu’elle est supputée et modélisée par les
sciences cognitives (ou bien encore la topologie freudienne).
3° l’expérience relationnelle de la rencontre interhumaine hic et nunc
4° l’inscription dans une histoire personnelle et un projet de vie
Chaque praticien choisira plus ou moins consciemment et volontairement
son niveau d’approche. En toute rigueur il devrait faire part à son patient de ses
repères théoriques de sa formation spécifiques et de ce qu’il peut proposer au plan
diagnostic et thérapeutique.
Pour les autres spécialités médicales, l’HAS donne désormais des modèles de
conduite à tenir. Progressivement il en va de même pour la pratique psychiatrique.
Le futur de la psychiatrie
Le nombre des psychiatres en France va progressivement baisser. Pour des
raisons démographiques et économiques, une partie des tâches psychiatriques
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seront dévolus aux psychologues et autres acteurs de la santé mentale. Il y a
environ 30 000 0 40 000 psychologues en France sans compter les innombrables
tradi-praticiens de médecines parallèles….
BIBLIOGRAPHIE
• Bourgeois ML, 2000 ans de psychiatrie, 2 vol. NHA communication 2000
• Bourgeois ML, Le DSM III en français, Ann. Med. Psychol. 1984
• Ey H, Etudes psychiatriques 2 vol, Desclée de Brower, 1950, 1954
• Ey H., Bernard P, Brisset Ch, Manuel de Psychiatrie, 1ère ed 1960, Masson Paris,
6ème ed. 1989, rééd. 2010
• Foucault M., Folie et déraison, histoire de la folie à l’âge classique.
• Gardner H., Histoire de la révolution cognitive, La nouvelle science de l'esprit, The Mind's
New Science, A history of the cognitive revolution (1985), Trad. française,
Payot, 1993 ;
• Guelfi JD, Rouillon F., L’avenir de la psychiatrie, ch. 28 in Manuel de Psychiatrie 2ème
ed. Elsevier Masson 2nd ed ; 2012.
• Kraepelin E., Histoire de la Psychiatre, 1 vol. Mollat (Trad. Marc Gérault)
• Lanteri-Laura G. Essai sur les paradigmes de la psychiatrie moderne, Editions du
Temps, 1998.
• Masson M., 20 textes fondateurs de la psychiatrie, à paraître Armand Colin ed.
• Pelicier Y., Histoire de la psychiatrie, PUF 1971
• Pichot P., Un siècle de psychiatrie, les empêcheurs de penser en rond, Paris, 1 vol., 1888
• Postel J, Nouvelle histoire de la psychiatrie, un vol. Privat, 1983
• Quetel C., Histoire de la folie de l’Antiquité à nos jours, Taillandier, 2009
• Semelaigne R. Les pionniers de la psychiatrie française Tome II, 1932 (Baillière)
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Guy Avanzini et François Hochepied, Les cultures du corps et les pédagogies chrétiennes XIXe et XXe, Ed. Don Bosco, Paris, 2010par Michel de Boucaud Cet ouvrage aborde les questions de grande actualité concernant les jeunes et leur santé physique et psychique. Guy Avanzini, professeur de Sciences de l’Education à l’Université de Lyon s’est entouré de personnalités très diversifiées, historien, agrégé d’éducation physique et sportive, formateur Salésien, docteurs en psychologie, responsables nationaux du Scoutisme et de la Fédération Sportive et Culturelle de France. Le professeur Gérard Cholvy, célébre historien du Catholicisme, part dans sa préface du rapport au corps dans le Christianisme, des conceptions éducatives et des évolutions actuelles. L’ouvrage comporte trois parties : les acteurs, les Institutions, les pratiques du corps et l’anthropologie chrétienne.
Les premiers chapitres sur les acteurs nous font connaître les pionniers dans ces domaines : Les activités corporelles chez les Salésiens et dans la pédagogie de Don Bosco. Le rôle du Père Didon, premier fondateur de jeux Olympiques et collaborateur de Pierre de Coubertin. L’action de René Barbier de La Serre (Vice-recteur de l’Institut Catholique de Paris) pour le développement considérable de la Fédération Gymnastique et Sportive des patronages de France et de l’UGSEL. Le rôle très déterminant à partir de Marseille du Père Timon-David (en instance de béatification)
La deuxième partie concerne les Institutions : Jeux, éducation physique et sport au XXème Siècle : quelle culture du corps pour la fédération des Patronages ? Sport et violence dans les institutions catholiques du XXème Siècle. La formation spécifique des professeurs d’éducation physique dans l’enseignement secondaire catholique.
La troisième partie apporte de nombreux axes de réflexion sur l’Anthropologie Chrétienne : La culture du sport dans le Scoutisme. L’évolution des conceptions allant du « sport chrétien « à l’éducation chrétienne par le sport dans les institutions. Les valeurs humaines du sport dans l’éducation des jeunes et l’influence des exigences de l’Olympisme et de son fondateur. On dispose aussi d’une étude sur l’originalité de la pensée du philosophe Jacques Maritain sur la place des pratiques corporelles dans l’éducation nouvelle.
NOTES DE LECTURE
La note de lecture est une forme de compte rendu pour résumer les résultats d’une lecture, ainsi que l’œuvre lue. Il s’agit d’un résumé des concepts traités dans l’œuvre, des thèses développées par l’auteur ainsi qu’une analyse succincte. Elle peut être linéaire ou thématique.
Elle permet à celui qui la lit de se passer de la lecture de l’œuvre, et paradoxalement donne envie de lire le texte traité.
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Les deux dernières études nous font réfléchir sur les fondements de la rencontre de l’autre dans l’éducation où est bien précisée la triple alliance de l’éducateur avec les autres, avec soi et avec un plus grand que soi.
La conclusion aborde les grands défis actuels lancés à l’Eglise dans l’éducation des jeunes : la sécularisation, la nomadisation et la médiatisation. Elle amène son auteur (Aumônier général de la Fédération Sportive et Culturelle de France) à proposer quelques orientations théologiques à partir du Concile Vatican II pour notre période actuelle : Les activités corporelles et les loisirs comme lieu de sens. La lecture de l’histoire du Salut pour l’épanouissement de la personne ouvrant à la grâce et au donné de la Création. La possibilité de vivre la communion en couple, en famille, dans le réseau des amis. Le sens de l’Alliance des hommes entre eux, et la manifestation de l’Alliance qui est en Dieu - Père- Fils et Esprit. Cet ouvrage nous apporte de multiples ouvertures sur les enjeux actuels de l’éducation du corps du psychisme et de l’esprit, sur les enjeux de la trajectoire des personnes dans toutes les dimensions de leur vie.
Rémi Brague, Le propre de l’homme, sur la légitimité menacée, Flammarion, Paris, 2013par Bertrand Galichon
Ce livre est à mettre dans la perspective de ceux de Joseph Moingt (Croire quand même), Maurice Bellet (La quatrième hypothèse) et Joseph Doré (Peut-on vraiment rester catholique ?). Nous tenons là une réflexion philosophique sur la responsabilité des chrétiens et des conditions de leurs engagements.
Rémi Brague commence sa réflexion par une description rapide de l’ascension de l’humanisme et de sa chute plus récente avec l’arrivée des Dieux liés à l’extension de notre savoir scientifique et technique. Cette première partie aboutit à l’évocation, comme les trois autres auteurs cités, des 4 hypothèse de l’avenir des Chrétiens : disparition pure et simple, reliquat historico-culturel, replis communautaire, investissement évangélique au risque de l’institution.
L’auteur nous explique pourquoi aujourd’hui l’humain est menacé. Il considère que le savoir est une abstraction de la connaissance comme fruit de l’expérience humaine. Le savoir met ce « vivre humain » à distance pour en déterminer les lois qui le régissent. Le savoir évalue le comment mais aucunement le pourquoi, la question fondamentale du sens est repoussée. Le savoir ne répond pas à la justification de la présence de l’homme sur terre et sa place particulière dans la création. Par ailleurs, l’extension du savoir techno-scientifique rend l’homme biologique de plus en plus superflu. Ceci explique que nous sommes tentés de trouver des justifications morales dans ce corpus de savoir dominant. L’homme se trouve dans cette posture schizophrénique qui tend à le rejeter. L’auteur décrit cette évolution par la volonté de l’homme de tuer Dieu, de sa volonté de se justifier par lui-même ce qui le conduit à sa propre perte. L’homme a donc besoin d’un élément extérieur supérieur créateur qui justifie sa présence et sa place sur terre. L’Avènement de Dieux
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divers de plus en plus avides à l’instar du « Veau d’or » ne font que potentialiser ce mouvement de déshumanisation.
La dignité de l’homme, valeur statique, peut opérante à l’inverse de sa légitimité, valeur dynamique. Trois lieux de légitimité critiquée : 1, l’action de l’homme sur la nature, loin d’être positive ; 2, la présence de l’homme sur terre pouvant être considérée comme liée à l’accident d’une chute ; 3, l’existence même de l’homme qui réalise l’union des contraires : incarnation et immatérialité de l’âme.
Suit un chapitre consacré au poète russe Alexandre Blok, inventeur du mot « antihumanisme » au début du XX° siècle, largement lu en Russie à l’aube de la Révolution d’Octobre et compris dans la philosophie de Marx. Rémi Brague montre que cette contestation de l’humanisme est poursuivie par des auteurs plus proches de nous comme Michel Foucault. Ce dernier y est largement critiqué considérant l’humanisme comme une « souveraineté soumise » en contradiction avec ce que nous dit la Bible de la vocation « plénipotentiaire » de l’homme.
Avec le philosophe allemand Blumenberg, Rémi Brague pose la question de la légitimité des Temps Modernes qui s’autodéfinissent comme une volonté de rupture avec le Moyen Age et comme le temps de l’affirmation autonome de l’homme « maître et possesseur de la nature » (Descartes). Quid de la légitimité de l’homme ?
Dans les deux derniers chapitres, Rémi Brague analyse de façon affirmative que seul un supra humain peut porter sur l’humain un jugement impartial. Pour cela il fait appel au premier récit de la Genèse ce qui nous renvoie à « L’aujourd’hui de la Création » d’Antoine Nouis, légitimant l’homme dans un tout. Le Pentateuque vient légitimer l’Etre humain par le Bien. L’auteur en appelle à la médiation de la raison pour l’établissement d’un rapport à la transcendance respectant l’homme en ce qui constitue son humanité.
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Session 2013
Lundi 25 novembre de 9h30 à 12h30 et de 14h à 17hMardi 26 novembre de 9h à 12h30 et de 14h à 17h
Le « temps du mourir ». Représentations, pratiques et enjeux
CENTRE SÈVRES – FACULTÉS JÉSUITES DE PARIS35 bis, rue de Sèvres – 75006 Paris – www.centresevres.com
Métro : Sèvres-BabyloneÉtablissement privé d’enseignement supérieur
En collaboration avec la Maison Médicale Jeanne Garnier
Dr Marie-Sylvie RICHARDDr Anne CHAPELLDr Clément NGUYEN
Dr Nicole PÉLICIERBruno SAINTÔTPatrick VERSPIERENPr. Agata ZIELINSKI
Encore plus d’événements sur :
http://www.centresevres.com
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35, bis rue de Sèvres - 75006 Paris - Tel. : 01 44 39 75 00 - Fax. : 01 45 44 32 06
Établissement privé d’enseignement supérieur
www.centresevres.com
Cycle de conférences « Médecine, bioéthique et société »
de lutter contre le tabagisme ?
Mercredi 11 décembre
de 19h30 à 21h
Les dernières enquêtes épidémiologiques établissent que le tabagisme est
la cause de 73 000 morts par an en France. Près d’un fumeur sur deux
meurt du fait du tabac. Comment expliquer ces chiffres alors que, depuis la
loi Veil, la lutte contre le tabagisme est devenue un enjeu de santé publique ?
expliquer qu’ils ne soient pas mieux connus et suivis d’effets malgré les
dans le tabagisme et comment agissent-ils ? L’État est-il éthiquement fondé
comment expliquer que le tabagisme continue de progresser dans notre pays,
notamment chez les jeunes et chez les femmes ?
tabagisme ?
Que faut-il penser de la cigarette électronique ?
La perspective d’une société libérée du tabac que préconise l’Organisation
mondiale de la santé en évoquant la « dénormalisation » du tabac est-elle
Avec :
Alfred SPIRA,
spécialiste des questions de santé publique ;;
Esmeralda LUCIOLLI,
publiques de lutte contre le tabagisme commandée par l’Assemblée
nationale.
Soirée du Département Éthique biomédicale
Libre participation aux frais
Débat animé par Jean PICQ
Encore plus d’événements sur :
http://www.centresevres.com
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• Cotisation annuelle : 50 € • Interne ou Chef de clinique : 25 € • Etudiant : 15 €
• Soutien : 50 € + . . . . . . (à votre convenance)
Dr, Mr, Mme, Mlle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Spécialités : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . (Privé / Public)
Adresse : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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