maquette fr:mediterra 2012 fr - ciheam.org · >l’édition 2012 de mediterrafonde sa réflexion...

> Ldition 2012 de Mediterra fonde sa rflexion sur le potentiel mobilisateur dela dite mditerranenne en proposant un itinraire multidimensionnel qui faitappel lhistoire, la sociodmographie, la sant, lcologie, lentreprise, la goconomie et linitiative citoyenne.

> Aspirs par les dynamiques de lurbanisation et de la mondialisation deschanges agricoles, les consommateurs du pourtour mditerranen ont progres-sivement modifi leurs pratiques alimentaires. Socle identitaire et richesse de cetespace, la dite mditerranenne y est pourtant de moins en moins observe. Les tensions sur les ressources naturelles et lmergence de nouveaux acteursprivs catalysent la complexit des enjeux lis aux rgimes alimentaires.

> Alors quelle fait lobjet de nombreux dbats et recherches sur le plan socio-culturel et scientifique, la dite mditerranenne mrite dtre reconsidre surle terrain politique lheure o lon constate de nouveau la dimension stratgiquede lagriculture et le rle central de lalimentation pour la stabilit et le dvelop-pement des socits. Reconnue pour ses vertus sanitaires, inscrite au patrimoineculturel immatriel de lhumanit, la dite mditerranenne interroge dsormaisles champs de la responsabilit environnementale et de laction politique en faveurdune plus grande coopration rgionale.

Cet ouvrage est plac sous la direction du Centre international de hautes tudes agronomiquesmditerranennes (CIHEAM), organisation intergouvernementale pour la formation, la recherche et la coopration sur les questions agricoles, alimentaires et de dveloppementrural durable en Mditerrane.

LA DITE MDITERRANENNEPOUR UN DVELOPPEMENT RGIONAL DURABLE

www.ciheam.org www.fdmed.org www.iemed.org ISBN 978-2-7246-1247-9 - SODIS 729 283.5

2012 2012

LA DITE MDITERRANENNEPOUR UN DVELOPPEMENT

RGIONAL DURABLE

Hm

isphres &

Cie

T.V.A. 5,5%

32,54 TTC

T.V.A. 7%

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mediterr_2012_FR_Mise en page 1 23/02/12 15:31 Page1

Medi

CENTRE INTERNATIONAL DE HAUTES TUDES AGRONOMIQUES MDITERRANENNES

PRESSES DE SCIENCES PO

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1Catalogage lectre-Bibliographie (avec le concours de la Bibliothque de Sciences Po)Mediterra 2012. La dite mditerranenne pour un dveloppement rgional durable / Centreinternational de hautes tudes agronomiques mditerranennes (CIHEAM). Paris : Pressesde Sciences Po, 2012.ISBN 978-2-7246-1247-9ISSN 1960-8527RAMEAU : Alimentation : Mditerrane (rgion) Acides gras insaturs dans lalimentation humaine Agriculture : Mditerrane (rgion) Dveloppement rural : Mditerrane (rgion)DEWEY : 338.1 : conomie de la production agricole (produits agricoles) 363.3 : Protection de lenvironnement Problmes sanitaires 333.3 : conomie des ressources naturellesLa loi de 1957 sur la proprit intellectuelle interdit expressment la photocopie usage col-lectif sans autorisation des ayants droit (seule la photocopie usage priv du copiste est autorise).

Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, du prsent ouvrage estinterdite sans autorisation de lditeur ou du Centre franais dexploitation du droit de copie(CFC, 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris).

2012 PRESSES DE LA FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES

Maquette_FR:Mediterra_2012_FR 22/02/12 10:28 Page 2

12MediLA DITE MDITERRANENNE

RGIONAL DURABLE

CENTRE INTERNATIONAL DE HAUTES TUDES AGRONOMIQUES MDITERRANENNES

PRESSES DE SCIENCES PO

POUR UN DVELOPPEMENT


Le Centre international de hautes tudes agronomiques mditerranennes (CIHEAM) at cr en 1962 sous lgide du Conseil de lEurope et de lOCDE. Cest une organisationinter gouvernementale qui runit aujourdhui treize tats membres du bassin mditerranen(Albanie, Algrie, gypte, Espagne, France, Grce, Italie, Liban, Malte, Maroc, Portugal,Tunisie et Turquie).

Avec au cur de sa mission de coopration trois grandes activits complmentaires (for-mations spcialises post-universitaires, recherches en rseau et animation du dbatpolitique rgional), le CIHEAM constitue une rfrence dans son domaine dactivits :lagriculture, lalimentation et le dveloppement rural durable en Mditerrane.

Le CIHEAM se structure autour de quatre Instituts agronomiques mditerranens (IAM),localiss Bari (Italie), Chania (Grce), Montpellier (France) et Saragosse (Espagne),et dun Secrtariat gnral situ Paris (France). Actuellement, Adel El-Beltagy etFrancisco Mombiela sont respectivement Prsident du conseil dadministration et Secr -taire gnral du CIHEAM.

En 2012, le CIHEAM clbre son 50e anniversaire avec confiance et esprance. Confiancecar elle est essentielle pour dvelopper le partenariat mditerranen. Le CIHEAM aimeainsi rappeler quil ne travaille pas sur mais pour et avec la Mditerrane dansun esprit de coopration. Esprance aussi, pour poursuivre la route dj trace en sadap-tant aux nouvelles tendances politiques et financires qui se dessinent dans cette rgion.

Le CIHEAM regarde ces dfis comme de formidables opportunits pour le futur. Lactualitnous indique chaque jour que lagriculture, lalimentation et la gestion durable des res-sources naturelles constituent des terrains propices pour encourager la solidarit entreles peuples de la Mditerrane.

www.ciheam.org

Ce rapport a t ralis en partenariat avec :


1

PRFACE 15

LES CONTRIBUTEURS 17

INTRODUCTION 21

Des Mditerranes dans son assiette 21 Un nouvel itinraire parcourir 22 La dite mditerranenne, entre inquitudes et esprances 23 Une expertise pluridisciplinaire pour un rapport transversal 24 Huit tapes pour un seul itinraire 25

ORIGINESet construction de la dite mditerranenne 27

> CHAPITRE 1La dite mditerranenne : donner un nom au futurJoan Reguant-Aleix 29

Au-del des mots 29 La Mditerrane, bien plus quune mer 30 Un espace aux confins mouvants 31 Un paysage taill au burin 33 Une mer de russites 35 La dite mditerranenne, bien plus quun modle

nutritionnel 38 La Mditerrane, vivante et dynamique 41 Ancel Keys revisit 43 Les voix de la Mditerrane aujourdhui 47

> CHAPITRE 2Histoire des alimentations mditerranennesMohamed Yassine Essid 53

Retour sur le pass 53 Les pratiques culinaires 63

Table DES MATIRES


2

Au confluent des traditions 64 Conclusion 67

> CHAPITRE 3Un modle alimentaire construit par les scientifiquesSandro Dernini, Elliot M. Berry, Anna Bach-Faig, Rekia Belahsen, LorenzoM. Donini, Denis Lairon, Llus Serra-Majem et Carlo Cannella 73

Du concept au dveloppement 74 Quelques dfinitions de nutritionnistes 77 Dite mditerranenne et sant 78 Les pyramides de la dite mditerranenne 80 Conclusion 84

ALIMENTATIONet dynamiques socioculturelles 93

> CHAPITRE 4Les mutations des socits mditerranennesSenn Florensa et Xavier Aragall 95

Changements de valeurs et impact de la mondialisation 96 Le rle central de la transition dmographique

en Mditerrane 103 Les flux migratoires en Mditerrane 107 Conclusion 115

> CHAPITRE 5La dite mditerranenne : consommation, cusines etpratiquesIsabel Gonzlez Turmo 121

La dite mditerranenne : les raisons dun intrtmajeur 121

Lalimentation des Mditerranens : raret desressources et got pour la diversit 122

Les cuisines mditerranennes 127 Marchs, cuisines, identits et consommateurs 132 Conclusion 136

> CHAPITRE 6La mditerranisation des modes alimentaires dansle mondeGiulia Palma et Martine Padilla 141

Quest ce que la mditerranisation delalimentation ? 141

8 MEDITERRA 2012


4

3

La convergence vers la dite mditerranenneest-elle une ralit ? 142

La forte rgression de la qualit de lalimentation,surtout en Mditerrane 147

Les bnficiaires de la mditerranisation 150 Des dynamiques inverses 158

ENVIRONNEMENTet biodiversit 161

> CHAPITRE 7La consommation durable peut-elle protger le paysagemditerranen ?Rami Zurayk 163

Lagriculture capitaliste et la nouvelle question agraire 164 Projection spatiale de la question agraire 168 La main invisible du march peut-elle prserver les

paysages ruraux agricoles ? 172 Conclusion 176

> CHAPITRE 8Ressources naturelles et alimentation en MditerraneRoberto Capone, Hamid El Bilali, Abderraouf Elferchichi, NicolaLamaddalena et Lamberto Lamberti 181

Ressources foncires et hydriques dans lespays mditerranens 182

Diversit des plantes, cultures et systmesagricoles en Mditerrane 182

Les principaux impacts environnementaux de laconsommation alimentaire en Mditerrane 186

Conclusion 197

RESPONSABILITsociale des acteurs 205

> CHAPITRE 9La responsabilit sociale en agricultureCatherine Rivoal 207

Les terres de la prcarit ou lenvers du dcor de ladite mditerranenne 207

Risques et opportunits des migrations saisonniresagricoles 212

Conclusion 218

9Table des matires


5

> CHAPITRE 10

La responsabilit sociale dans la distribution alimentaireLuis Miguel Albisu 223

Distribution alimentaire dans la zone mditerranenne 224 Responsabilit sociale des entreprises (RSE) 227 Responsabilit sociale du secteur public 231 Les solutions de lUnion europenne 233 Tendances futures 235 Conclusion 236

> CHAPITRE 11La consommation responsableRoberto Burdese 241

Associations de consommateurs : un peu dhistoire 241 Les paradigmes de la consommation 245 La dite mditerranenne : par nature ou par choix 250 Le client a-t-il toujours raison ? 252 Est-il possible de revenir une dite mditerranenne

authentique ? 254 Conclusion 256

PRODUCTEURSet distributeurs de lalimentation 259

> CHAPITRE 12Organisations de producteurs et offre alimentaireHiba El Dahr 261

La ncessit dorganisations agricoles fortes etstructures 262

Producteurs, organisations paysannes et gouvernancedes filires 263

Le terroir comme outil de structuration des filires 268 Les organisations de producteurs comme acteurs cls

de linnovation et vecteurs de changement 270 Et si le dveloppement rgional passait aussi par les

organisations agricoles ? 274

> CHAPITRE 13Produits alimentaires mditerranens : recherche etdveloppementDimitrios Boskou 279

Produits alimentaires mditerranens 280

10 MEDITERRA 2012


Prparations sant et bien-tre base de produits et desous-produits mditerranens 287

La fonctionnalisation des aliments 290 Nouveaux antioxydants extraits des herbes et des plantes 291 Recherche et dveloppement 292 Conclusion 294

> CHAPITRE 14Stratgies commerciales des agro-industries : lexpriencede la TurquieAhmet Ali Ko 299

Principaux indicateurs agro-alimentaires 300 Dbouchs pour les entreprises agro-alimentaires en

Mditerrane 304 Conclusion 312

> CHAPITRE 15Produits traditionnels mditerranens : marchs etgrande distributionFatiha Fort 321

Produits traditionnels : de la construction linformation 322 Les marchs des produits traditionnels 328 tude de cas au Maroc et en Tunisie 333 Conclusion 337

DROITet commerce 341

> CHAPITRE 16La protection juridique des produits mditerranensAnnarita Antonelli et Hlne Ilbert 343

Trajectoire historique des compromis institutionnels 344 Asymtrie du march des signes distinctifs et enjeux

de pouvoir 348 Perspectives et conclusions 355

> CHAPITRE 17Mondialisation agricole et produits mditerranensJos Maria Garca lvarez-Coque, Victor Martinez-Gomez et Josep MariaJordn Galduf 361

Les changes agricoles dans le monde et dans le bassinmditerranen 362

6

Table des matires 11


8

7

La rponse de lOMC 370 Les mesures non tarifaires 372 Lagriculture et le partenariat euro-mditerranen 376 Le rle des politiques 379 Conclusion 381

SANTet sret alimentaires 385

> CHAPITRE 18Protger les consommateurs europens des risquesassocis lalimentationAnne-Laure Gassin, Davide Arcella, Ariane Titz, Finn Sheye,James Ramsay et Cline Kalatzis 387

Le systme europen de scurit des aliments 388 Le travail de lEFSA dans le domaine de la nutrition 401 Comprendre la perception de lalimentation par les

Europens 410 Conclusion 416

POLITIQUESet actions publiques 419

> CHAPITRE 19Refonder lducation alimentaireHabiba Hassan-Wassef 421

Sduquer dans un monde en mutation 422 Mise en application des nouvelles connaissances et

des progrs scientifiques 424 Interventions en matire d'ducation alimentaire au

cours de la vie 428 Intgrer les proccupations environnementales 432 Communiquer avec le consommateur 433 Lducation alimentaire au XXIe sicle 435 Implications en matire de politique et des programmes 437 Les scnarios possibles 439 Conclusion 441

> CHAPITRE 20Alimentation, tourisme et collectivits territorialesmilie Vandecandelaere et Sbastien Abis 447

Dynamiques du tourisme 448

12 MEDITERRA 2012


Dynamiques des collectivits territoriales et de lacoopration dcentralise 454

Les produits du terroir : levier pour le dveloppement localet outil privilgi de coopration 459

Quelques pistes suivre 462

> CHAPITRE 21Politiques et rglementations en Mditerrane :complmentarit et cohrenceGiulio Malorgio et Laura Solaroli 467

Changement des politiques agricoles : volution vers leconsommateur et lenvironnement 468

La politique de qualit dans les pays de lUE et du Sud de laMditerrane 473

Rglementation de la qualit et accs au march 479 Complmentarits et cohrence de la politique agricole 481 Conclusion 484

> CHAPITRE 22La dite mditerranenne, patrimoine culturel immatrielde lhumanitJoan Reguant-Aleix et Francisco Sensat 491

La dmarche de la candidature 491 Une mer de patrimoines 498 Au-del de linscription 504 Conclusion 508

BIOGRAPHIES 511

LISTE DES DOCUMENTS 523

13Table des matires

Les opinions exprimes dans cet ouvrage nengagent que la responsabilit desauteurs et ne reprsentent en aucun cas des positions officielles du CIHEAM.

La rdaction de ce rapport sest acheve lautomne 2011. Il ne prend doncen compte que les lments antrieurs cette date.


PRFACE

Agriculture, alimentation et environnement. Ces trois mots ne peuvent plus tre dis-socis tant les interdpendances se renforcent dans un monde o tout est li, toutsacclre et tout se transforme.

La question de lalimentation sera toujours essentielle parce quelle est au cur de lac-tivit humaine. Dans une Mditerrane, o les ressources naturelles souffrent des pressionsclimatiques et dmographiques, la production agricole doit composer de plus en plusavec limpratif de la qualit, que des socits en qute de responsabilisation revendi-quent travers des modes de consommation en mutation et des attentes nouvelles vis--visdu contenu de leurs assiettes. Pour la sant de la plante et celle des hommes, les pro-duits alimentaires doivent prsenter des caractristiques de plus en plus tournes vers ladouble exigence de scurit sanitaire et de durabilit environnementale. Lespace mdi-terranen, dont lhistoire sest toujours faite en simprgnant du dfi alimentaire et ducommerce des produits, ne fait pas exception cette tendance globale.

Mediterra 2012, consacr la dite mditerranenne, constitue le treizime rapport rgio-nal du CIHEAM, institution qui clbre cette anne son 50e anniversaire. En rapprochantles individus des territoires, la dite mditerranenne rvle fort bien comment la ques-tion de lalimentation doit tre analyse du paysage la table , selon lexpressionconsacre de ce rapport, cest--dire en examinant toutes les dynamiques, tant politiquesque sociales, culturelles, conomiques ou juridiques, de ce vaste champ thmatique.

Lance en 2010 en partenariat avec lInstitut Europen de la Mditerrane (IEMed) etla Fondation Dite Mditerranenne (FDM), la construction de ce nouveau Mediterraaura mobilis un rseau scientifique compos dexperts internationaux et prsentant desprofils aussi diversifis que complmentaires. Cette pluridisciplinarit tait ncessairepour apprhender les diffrentes composantes de la dite mditerranenne, tant celle-cidoit tre analyse avec une approche transversale et intersectorielle. Dans ce rapport, lesarticles sont volontairement synthtiques et les plus didactiques possibles. Adoptant dif-frentes chelles danalyse (globales, nationales, locales), ils visent stimuler lapprochergionale des questions poses. Au-del des tendances lourdes quils dcryptent, les arti-cles dclent les phnomnes mergents ou les ruptures possibles court et moyen terme.


Ce Mediterra, comme dans les ditions prcdentes, offre des cls de lecture et des ana-lyses destination du grand public et de la communaut dacteurs oprant en rgionmditerranenne. Il se veut la fois outil pdagogique et catalyseur de dcisions. Pluslargement, Mediterra cherche positionner les thmes de lagriculture et de lalimen-tation au centre des dbats scientifiques et politiques sur la Mditerrane et placerune rflexion sur cet espace stratgique au cur des discussions sur la scurit alimen-taire et le dveloppement agricole dans le monde.

Francisco MombielaSecrtaire gnral du CIHEAM

16 MEDITERRA 2012


LES CONTRIBUTEURS

Comit de pilotage

Directeur de la publication

Francisco Mombiela, secrtaire gnral du CIHEAM

Directeur scientifique et technique

Sbastien Abis, administrateur, CIHEAM-Secrtariat gnral

Comit de rdaction

Javier Albarracn, directeur du Dpartement du dveloppement socio-conomique,Institut Europen de la Mditerrane (Espagne)

Luis Miguel Albisu, directeur du Dpartement agro-alimentaire et des ressourcesnaturelles, Centre de recherche agro-alimentaire et technologique de lAragon(Espagne)

Pierre Blanc, enseignant-chercheur, CIHEAM-Secrtariat gnral

Roberto Capone, administrateur principal, CIHEAM-IAM de Bari (Italie)

Panagiotis Kefalas, administrateur principal, CIHEAM-IAM de Chania (Grce)

Martine Padilla, administrateur principal, CIHEAM-IAM de Montpellier (France)

Joan Reguant-Aleix, conseiller, Fondation Dite Mditerranenne (Espagne)


Auteurs

Sbastien Abis, CIHEAM-Secrtariat gnral

Luis Miguel Albisu, Centre de recherche agro-alimentaire et technologique de lAragon(Espagne)

Annarita Antonelli, CIHEAM-IAM de Bari (Italie)

Xavier Aragall, Institut Europen de la Mditerrane (Espagne)

Davide Arcella, Autorit europenne de scurit des aliments (EFSA)

Anna Bach-Faig, Fondation Dite Mditerranenne (Espagne)

Rekia Belahsen, Universit Chouab Doukkali, Facult de sciences dEl Jadida (Maroc)

Elliot M. Berry, Facult de mdecine de Jrusalem (Isral)

Dimitrios Boskou, Universit Aristote de Thessalonique (Grce)

Roberto Burdese, Slow Food (Italie)

Carlo Cannella ()

Roberto Capone, CIHEAM-IAM de Bari (Italie)

Sandro Dernini, Forum sur les cultures alimentaires mditerranennes et Centre inter -national interuniversitaire dtudes des cultures alimentaires mditerranennes (Italie)

Lorenzo M. Donini, Universit La Sapienza de Rome (Italie)

Hamid El Bilali, CIHEAM-IAM de Bari (Italie)

Hiba El Dahr, consultante (France / Liban)

Abderraouf Elferchichi, CIHEAM-IAM de Bari (Italie)

Mohamed Yassine Essid, Facult des sciences humaines et sociales de Tunis (Tunisie)

Senn Florensa, Institut Europen de la Mditerrane (Espagne)

Fatiha Fort, Universit Montpellier SupAgro (France)

Jos Maria Garca lvarez-Coque, Universit polytechnique de Valence (Espagne)

Anne-Laure Gassin, Autorit europenne de scurit des aliments (EFSA)

Isabel Gonzlez Turmo, Universit de Sville (Espagne)

Habiba Hassan Wassef, consultante (gypte)

Hlne Ilbert, CIHEAM-IAM de Montpellier (France)

Josep Maria Jordn Galduf, Universit de Valence (Espagne)

Cline Kalatzis, Autorit europenne de scurit des aliments (EFSA)

Ahmet Ali Ko, Universit Akdeniz-Antalya (Turquie)

Denis Lairon, Universit dAix-Marseille (France)

Nicola Lamaddalena, CIHEAM-IAM de Bari (Italie)

Lamberto Lamberti, CIHEAM-IAM de Bari (Italie)

Giulio Malorgio, Universit de Bologne (Italie)

Victor Martinez-Gomez, Universit polytechnique de Valence (Espagne)

Martine Padilla, CIHEAM-IAM de Montpellier (France)

Giulia Palma, CIHEAM-IAM de Montpellier (France)

James Ramsay, Autorit europenne de scurit des aliments (EFSA)

Joan Reguant-Aleix, Fondation Dite Mditerranenne (Espagne)

Catherine Rivoal, journaliste (France)

Francisco Sensat, Fondation Dite Mditerranenne (Espagne)

Llus Serra-Majem, Fondation Dite Mditerranenne (Espagne)

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Les contributeurs 19

Finn Sheye, Autorit europenne de scurit des aliments (EFSA)

Laura Solaroli, Universit de Bologne (Italie)

Ariane Titz, Autorit europenne de scurit des aliments (EFSA)

milie Vandecandelaere, Organisation des Nations unies pour lagriculture etlalimentation (FAO)

Rami Zurayk, Universit amricaine de Beyrouth (Liban)

> Retrouvez la biographie des auteurs la fin de louvrage.

TraducteursCristina Affre (chapitres 1, 5 et 22), Neil Charlton (chapitres 4 et 17), Clara Guelbenzuchapitres 1, 5 et 22), Peter Gosling (chapitres 2, 6 et 12), Carolyn Loane (prface etintroduction, chapitres 9, 15, 16 et 20, rvision gnrale des chapitres 3, 7, 8, 10, 11, 13,14, 19 et 21 pour langlais), Micah Reverdy (chapitres 4 et 17), Marie-Louise Tall(chapitres 1, 5 et 22), Jean-Pierre Vogel (chapitres 3, 7, 8, 10, 11, 13, 14, 19 et 21).

Partenaires ditoriauxColette Alcaraz, Paula Cus, Fabien Crespin, Fabienne Fontan-Kiss, Antonio Lpez-Francos, Ana Prez, Marie-Genevive Vandesande.


Des Mditerranes dans son assietteSur le plan gographique, la Mditerrane est dabord une mer, ou plutt une successionde mers selon lheureuse expression de Fernand Braudel, pour lequel tout qualificatifassoci la Mditerrane devait tre conjugu au pluriel. Reprsentant peine 0,7 %de la superficie maritime mondiale, la Mditerrane nen est pas moins ce continentliquide aux contours solidifis1, o la distance entre les rives nest jamais suprieure quelques centaines de kilomtres en ses points les plus extrmes. Et il nest gure fortuitquelle tire son nom du latin mediterraneus2 qui signifie au milieu des terres .

Cest prcisment cela qui fait de la Mditerrane un espace semblable nul autre : unesituation la jonction de trois continents, leuropen, lafricain et lasiatique; une interfacedynamique et un creuset de civilisations, capable dinciter aux migrations et aux voyages,et donc de stimuler brassages humains, changes conomiques et circulation des ides.La description de lespace rend charmeuse la lecture des manuels de gographie : ondiscute de configuration en rivages, dtirement longitudinal, de trois pninsulesseptentrionales (ibrique, italienne et balkanique) et dinnombrables les invitant lescale. Offrant dincomparables paysages, o se mlent troitement histoires, socitset natures, faonne par la main et lesprit des hommes, la Mditerrane est espace vcu.

Si bien que mmoire et projet semblent deux matres mots pour dire la Mditerrane,univers en somme complexe, charg dhistoire, et donc de transformations, de ruptureset de gopolitique. Changements mais permanence, mouvements mais immobilisme,autant de paradoxes soulevs par cette Mditerrane, vritable bouillonnement culturelque les sicles ont su mtisser : cest bien la diversit, et non lunit, qui caractriselespace mditerranen3. Aussi convient-il dinsister sur cette rencontre incessante entrelhistoire et la gographie quand il sagit dapprhender les phnomnes luvre enMditerrane ; mer ferme certes, mais largement ouverte sur le monde.

Toutes ces particularits se manifestent travers de puissantes cultures alimentaires. Etsi lon peut parfois questionner lexistence de valeurs ou encore dune identit mditer -ranenne, force est dadmettre que le rapport la nourriture, la table et donc la terre

> INTRODUCTION

1 - Gabriel Audisio, Jeunesse de la Mditerrane, Paris, Gallimard, 1935.2 - Cette expression est attribue au gographe romain Solin (C. Julius Solinus), qui vcut au iiie sicle aprs J.-C.3 - David Abulafia, The Great Sea. A Human History of the Mediterranean, Londres, Penguin Books, 2011.


reprsente un lien tenace que lattachement la famille, au partage et la convivialitne fait que renforcer. Lalimentation et le got des produits, voil bien un langagecommun entre les socits des diffrents pays riverains. Dtachement et dsintrt ysont rarement observs quand il sagit du contenu des assiettes.

Le constat est universel, mais il vaut trs fortement en Mditerrane, prcisment parceque cette alimentation a volu, sest mlange au fil du temps, au point darriver de nosjours des cuisines trs diversifies. Cette dimension historique et interculturelle constituelune des richesses de lespace mditerranen, dont le reflet se retrouve autant dans lespaysages que dans les assiettes. Peu peu sest ainsi forge une mythologie autour de ladite mditerranenne, dont ltymologie, daita en grec, voque, rappelons-le, un modede vie localis reposant sur des comportements la fois physiques et alimentaires.

Un nouvel itinraire parcourirLalimentation mditerranenne fait et a fait lobjet de nombreux dbats et recherches,beaucoup dentre eux orients sur le terrain de la sant et de la nutrition. On ne peutcependant ignorer les travaux scientifiques sur le comportement des consommateurs,confronts aujourdhui, en Mditerrane ou ailleurs, au dilemme frquent de devoirconcilier tradition et modernit, autrement dit produits de lagriculture et produitsindustriels. Il faut dire que le spectaculaire accroissement de bouches nourrir, danscette rgion au cours des dernires dcennies, obligeait un devoir de production etdonc de mise en march des aliments. Ne pas articuler la rflexion avec les grands enjeuxrgionaux que connat cet espace serait insuffisant. On ne peut en effet raisonner surles dfis sanitaires ou nutritionnels sans les combiner avec ceux de la dmographie, delenvironnement, de lconomie, de linnovation et de laction publique.

Parce que les enjeux alimentaires sont facteurs de tensions diverses (sur les ressources, surles socits et parfois mme entre tats), le monde redcouvre limportance de lagriculture.De nombreux dcideurs publics dclarent vouloir en faire un sujet prioritaire dans lactionpolitique, sur les plans local, national et international, tandis que les populations,sensibilises aux problmatiques de lenvironnement et de la sant, semblent se soucierdavantage de leurs comportements individuels et de leurs modes de consommation. EnMditerrane, il ne fait pas doute que les modles de dveloppement devront rintgrerles variables agricoles, alimentaires et environnementales, car, dans cette rgion sans cesseen effervescence, lagriculture et lalimentation constituent des domaines stratgiquespour les socits, les conomies, les territoires et les expressions culturelles.

Observer le bassin mditerranen, et plus particulirement ses rives sud et est, faitapparatre un concentr de la problmatique alimentaire mondiale, que lon peut rsumerautour dune interrogation aussi simple en apparence que complique en ralit :comment nourrir une population croissante dans un contexte trs contraint de ressourceshydriques et foncires, o par ailleurs lorganisation des filires agricoles nationales etlintgration rgionale des agricultures demeurent dficientes ? Face cette questioncruciale pour le devenir de la rgion, le temps de la production doit ncessairement seconjuguer avec celui de la consommation. La chane alimentaire reprsente un systmeo chaque maillon se trouve en situation dinterdpendance vis--vis des autres.

22 MEDITERRA 2012


Pour ces raisons, notre objectif ne sera pas de revenir sur les dynamiques agricoles,alimentaires et rurales de la Mditerrane, mais plutt de proposer un nouvel itinrairetransversal, et de sillonner les multiples ruelles thmatiques allant du paysage la table.

La dite mditerranenne, entre inquitudes etesprancesLes pistes que suggre la dite mditerranenne savrent passionnantes. Du paysage la table, se rvlent les dfis de la rcolte, du stockage, du transport, de la distribution,de la promotion et de la nutrition, auxquels sajoutent videmment les grands enjeuxde durabilit des ressources, de responsabilit sociale et environnementale, de biodiversitet des transformations au sein des socits, plaant la dite mditerranenne au curdes rflexions en cours sur la ncessit de mettre en uvre des modles d conomieverte en rgion mditerranenne. La dite mditerranenne, savoir lensemble despratiques agronomiques, socioculturelles et culinaires des pays mditerranens,constituerait en cela une pice essentielle du dveloppement durable de la Mditerrane.

Cependant, malgr les hritages gohistoriques qui permettent encore de clbrer la vita-lit et la richesse des cuisines mditerranennes4, laffirmation de la dite mditerranennerelve, dans les faits, davantage de lambition que de la ralit. Certes, cette dite sest lar-gement diffuse au-del des contres mditerranennes, trouvant un cho manifesteparmi dautres pays du monde, sensibles la connotation dittique que vhiculent sesproduits. Mais outre le fait quelle se polarise sur ses aspects nutrition-sant, cette diffu-sion mondiale montre aussi quel point la Mditerrane na pas su faire de ce thme lundes points cardinaux de sa promotion linternational. Laura extra- mditerranennedont bnficient les produits de la rgion met davantage en exergue les drives au seinmme de lespace mditerranen. Dabord sur le plan de la consommation, puisque lespopulations, effectuant leur transition alimentaire marche force, dlaissent souventcertaines traditions, pour adopter des rgimes alimentaires qui divergent avec les prin-cipes rgissant globalement la dite mditerranenne; tel point que certains questionnentlexistence mme de cette dite lheure actuelle5. Drives ensuite sur le plan gopoli-tique, puisque la dite mditerranenne, incarnant sa manire ce que la Mditerranepossderait duniversel en son sein, symbolise surtout lincapacit des pays riverains sassocier collectivement pour en promouvoir efficacement toutes ses dimensions.

Et pourtant ! Nombreuses sont les raisons de croire au potentiel mobilisateur qui sedissimule derrire la dite mditerranenne, au moment o les socits de cette rgionmanifestent de nouvelles aspirations et o il faut raffirmer lexistence de certains levierspour stimuler le vivre-ensemble. Car loin de ces pages lide qui consisterait prsenterla dite mditerranenne comme un modle vocation mondiale. Lenjeu est au contrairedinsister sur les opportunits quelle dessine, du paysage la table, et pas uniquement de la ferme la fourchette , pour contribuer au dveloppement rgional durable delespace mditerranen. Aprs avoir t reconnue comme lun des modles nutritionnelsde rfrence par lOrganisation mondiale de la sant (OMS) en 1994 et inscrite au

23Introduction

4 - Clifford A. Wright, Mediterranean Feast : The Story of the Birth of the Celebrated Cuisines of the Mediterranean, New York(N. Y.), William Morrow Cookbooks, 1999.

5 - Annia Ciezadlo, Does the Mediterranean Diet Even Exist ? , The New York Times, 1er avril 2011.


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patrimoine culturel immatriel de lhumanit par lUnesco en 2010, la dite mditer -ranenne peut aussi tre considre comme un levier daction susceptible de modifierles trajectoires du dveloppement humain et conomique dans les pays de la rgion.

Une expertise pluridisciplinaire pour unrapport transversalPour tracer cet itinraire, lexercice se doit dtre autant scientifique que politique :

> scientifique, car la dite mditerranenne soulve des questions majeures pour lanutrition, la qualit des produits, la recherche et linnovation, la construction dunmodle alimentaire, mais aussi pour la prservation de la biodiversit et des res-sources naturelles. Par ailleurs, cest galement interroger les temps, parfois trs longs,de lhistoire, et rvler les mutations dmographiques et socioculturelles luvredans la rgion ;

> politique, car traiter le sujet de la dite mditerranenne, cest susciter un dbat surla responsabilit sociale dans la production, la distribution et la consommation, maiscest aussi favoriser la nutrition prventive pour la sant de lhomme, questionnerlorganisation des filires, sonder les opportunits commerciales et les risques juri-diques, scruter la globalisation des changes ou encore dbattre de laction publiqueen matire dalimentation (ducation, collectivits, rglementations).

Cest pourquoi, travers les articles qui le nourrissent, le rapport Mediterra 2012 cherche fournir des lments de comprhension dans trois directions majeures :

> La dite mditerranenne tant un concept multidimensionnel, ses auteurs seffor-cent de traiter tous les enjeux qui gravitent autour de la problmatique, de lcono-mie la socit, du culturel au commerce, de la dmographie lenvironnement, dela consommation lintelligence conomique, de lducation laction politique.

> La dite mditerranenne tant un concept pluriel, le rapport permet de rvler lescontroverses que celle-ci suscite pour nourrir les discussions scientifiques. Il contrasteles points de vue afin de montrer les freins mais aussi les forces quelle peut engen-drer, dans le cadre du dbat sur la mise en uvre dalimentations durables.

> La dite mditerranenne tant un concept mobilisateur, lensemble des contribu-tions souligne le rle quelle peut jouer dans la recherche dun systme alimentaireplus durable et dune plus grande coopration rgionale, notamment comme vec-teur dans la mise en place de stratgies de dveloppement responsable, en partici-pant la fois la lutte contre le changement climatique et lattnuation des ins-curits alimentaires.

En dpit dune unit de plus en plus virtuelle, constat de diversits relles, le sentimentdune Mditerrane cratrice dchanges et de partages, de rencontres et de mtissages,ne doit pas sessouffler. La dite mditerranenne peut ce titre reprsenter un sujetsur lequel la recherche et la coopration sont au service dun dveloppement responsabledans les pays de la rgion.


Huit tapes pour un seul itinraireLa dite mditerranenne tant une question multidimensionnelle, le rapport la dclineen huit parties. la fois hritire des temps longs de lhistoire et manation du regarddes chercheurs, il paraissait vident de faire de ces considrations historiques et scienti -fiques un point de dpart avant de drouler les autres lments de la rflexion. Productionhumaine, on sattachera analyser les transformations, voire les mutations des socitsmditerranennes qui en sont le rceptacle ; cela pour constater un dcalage, voire unedrive par rapport aux hritages alimentaires mditerranens, alors que dautres socitsen empruntent parfois les chemins. Clbre comme un modle favorable la santhumaine, la dite mditerranenne attire en effet au-del de sa matrice originelle.

Cependant, une chose est de produire une alimentation quilibre avec le succs quelon connat au-del des rivages mditerranens, une autre est de voir quelles pressionselle exerce sur les ressources. Cest sur cet aspect que le rapport revient dans la troisimepartie, ainsi que sur limpact que le dveloppement de la dite mditerranenne (ou aucontraire son retrait) peut avoir comme incidences sur les paysages mditerranens. Silalimentation mditerranenne soulve donc des questions en termes de durabilitenvironnementale, elle en pose galement en termes de durabilit sociale. Elle met eneffet en scne des producteurs, des distributeurs et des consommateurs, dont la quatrimepartie analyse laction au prisme de leur responsabilit sociale.

Par ailleurs, ces intervenants dans le domaine de lalimentation mditerranenne innoventsur le plan technique et organisationnel pour rendre plus oprantes leurs activits ; cestdonc cela que la cinquime partie de louvrage est consacre, avant quil ne revienneensuite sur le suivi de la qualit sanitaire des aliments, essentiellement dans lespaceeuropen. Les produits de lalimentation mditerranenne sont naturellement vouspour lessentiel la commercialisation. La septime partie est ainsi ddie lanalyse dela place des produits mditerranens dans le commerce agricole ; de mme, le rapportrevient ici sur les stratgies de protection de ces produits dans un march o des stratgies dimitation ont galement cours. Si ce dernier point emprunte aux politiquespubliques, cest essentiellement la dernire partie qui est consacre aux politiquesconduites pour promouvoir la dite mditerranenne. En particulier, le rapport revientsur lducation et le tourisme qui peuvent savrer trs efficaces pour permettre unereconqute alimentaire. Enfin, clef de vote de ces politiques de promotion, le processusdinscription de la dite mditerranenne sur la liste reprsentative du patrimoineculturel immatriel de lhumanit mritait galement que le rapport lui rserve sonchapitre final.

25Introduction


1 PREMIRE PARTIEORIGINES

et construction dela dite mditerranenne


CHAPITRE 1

LA DITE MDITERRANENNE :DONNER UN NOM AU FUTUR

Joan Reguant-AleixFondation Dite Mditerranenne, Espagne

Au-del des motsvoquer la dite mditerranenne, cest faire appel deux termes et plus prcisment leur assemblage, dont les contenus, immenses, sont perus ou compris de manire biendiverse. Aujourdhui, cette expression fait largement parler delle dans les mdias, susci-tant lintrt de scientifiques, damateurs passionns et dorganisations uvrant dans denombreuses branches du savoir. rige en icne sociale, son amplification est alle cres-cendo depuis le dernier tiers du XXe sicle, particulirement dans le domaine que nousappelons la culture occidentale, mais sans doute aussi partout ailleurs dans le monde.

Lexpression dite mditerranenne associe un espace en mouvement complexe etmillnaire, la Mditerrane, et un style de vie lvidence dynamique, celui des indivi-dus et des peuples qui lont habit ou travers, en interagissant avec cet espace pour sefaonner mutuellement et inlassablement. Pour nous en tenir aux mots, il sagirait doncde cette dite1 qui est le fait de la Mditerrane2. Autrement dit, un processus, avectout ce quil comporte de pas en avant et de retours en arrire, de traditions et dinno-vations, de dynamiques endognes et exognes, auquel nous avons donn un nom uninstant donn de son cheminement incessant.

Nulle futilit dans ce questionnement. Aucun des deux termes ne possde une identitadmise unanimement; ils font au contraire lobjet de perceptions ou de dfinitions diffrenteset souvent contradictoires, et sont analyss sous des points de vue galement divers, toutceci pouvant facilement engendrer des distorsions multiples. Le caractre singulier grammaticalement parlant de lexpression conduit souvent un dbat bipolaire, exprimde faon trs synthtique, et pas toujours rigoureux portant sur les diffrences versusluniformit de ce petit univers (ou non) que lon appelle Mditer rane. Enfin, les deux

1 - Ce terme sera examin plus loin.2 - Il est indispensable de prciser que lorsque nous parlons de dite mditerranenne, nous nous rfrons celle qui a lieu

en Mditerrane. Le fait que ce style de vie soit adopt ailleurs est une tout autre question, qui nexclut ni ne modifie ceque nous venons de souligner. Nous ne nous rfrons pas non plus aux quatre autres rgions du monde bioclimat mdi-terranen (rgion du Cap, zone littorale californienne, Chili central des plaines, littoral australien de Perth et dAdlade).Comme il est ais de le comprendre, au-del de cette concidence climatique due des paysages semblables, les proces-sus dacculturation et danthropisation ne prsentent pas la moindre ressemblance.


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3 - Aristote, Physique, Ph. 3.5 (204b), Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. Bibliothque des textes philosophiques-Poche , 1999.

termes dsignent des choses aux limites floues, difficiles ancrer, et plus encore silfaut rechercher laccord de plusieurs parties. Le risque est grand de tomber dans unsentiment de vertige aristotlique: si la dfinition du corps est ce qui est limit par unesurface, il ny aura pas de corps infini, ni intelligible ni sensible3. Dune certaine manire,nous sommes des cartographo-dpendants pour qui tout ce qui ne permet pas unelimite gomtrique, ou ne peut pas tre exactement cartographi, nexiste quasiment pas.

La Mditerrane, bien plus quune merLe terme Mditerrane est utilis pour se rfrer la mer proprement dite mais sur-tout lespace que forment cette mer et les terres qui lentourent. La Mditerrane atranscend le milieu gographique pour lever le terme la catgorie dide, de concept,de personnalit historique, de lieu charg de reprsentations, en hsitant souvent entrele mythe et la ralit. De nos jours, il est en effet rare, lorsque lon voque la Mditer -rane sauf si lon se rfre de faon explicite un aspect maritime prcis , que lonenvisage, de manire automatique, la mer seule ou mme un territoire plus ou moinsdfini, la mention de ce terme impliquant gnralement une rfrence immdiate, nonpas tellement lespace physique en soi, mais un ensemble de qualits tangibles etintangibles, plus ou moins relles et plus ou moins idalises.

la croise de trois continents, Europe, Afrique et Asie, et relie au Nouveau Monde partir du xvie sicle, la fois berceau et creuset de la civilisation occidentale, la Mditer -rane, tout au long des millnaires, sest construite par le biais dchanges de toute sorte,matriels et immatriels, pacifiques et violents, gaux et ingaux, durables et piso-diques, proches et lointains, directs et par personne interpose. Trop troite pour nepas se ressembler, trop vaste pour tre la mme chose. Trop proches pour ne pas se croi-ser et, de temps en temps, se percuter. Si proches et pourtant ne se connaissant que peules uns et les autres.

Au fil de ce brassage permanent, chacun a emprunt quelque chose de lAutre et voitdans lAutre quelque chose en quoi se reconnatre. Les vestiges ne sauraient tromper,la toponymie et les patronymes lattestent chaque pas, le paysage le manifeste, les dieuxle consacrent. Les ftes le clbrent et le calendrier en marque la succession des saisons.Peut-tre plus fortement dans certaines zones, en Mditerrane aucun recoin ni personnenchappe ce va-et-vient incessant des flux dindividus, de produits et dides, autoch-tones et venus dailleurs, qui alimentent et donnent corps un espace singulier. Voyageren Mditerrane cest trouver le monde romain au Liban, la prhistoire en Sardaigne, lesvilles grecques en Sicile, la prsence arabe en Espagne, lislam turc en Yougoslavie (Braudel,1985) et, pourrions-nous ajouter, une oasis africaine Elche dans le Levant espagnol.

Nul en Mditerrane ne possde la Mditerrane, mais tous ses habitants contribuent la composer, toutes les rives contiennent une part de soi et de son histoire et de saculture (Chikhi, 2001). Chacun en est la synthse rduite autant que llment indispensable pour la dfinir et la dcrire dans son entier. Aucun peuple ne rassembletous les traits mditerranens: ils sont rpandus dun bout lautre de la Mditerrane(Matvejevitch, 1992). La Mditerrane, univers de voisinages o chacun est ncessaire


au mme titre que les autres pour lexpliquer, nest pas non plus celui dune demi-douzaine de dogmes, mais plutt celui dune constellation de dtails. Sommeinterminable de hasards, daccidents, de russites rptes (Braudel, 1985), la Mditer -rane bouge, la Mditerrane vit ; mme sil nous semble parfois appartenir diffrentsmillnaires (2012, 1433, 5772), nous partageons un mme temps, sur un espace commun.

Un espace aux confins mouvantsPaul Czanne disait : les contours me fuient; et Aristide Maillol sexclamait : la natureest mobile et changeante. Vous faites un contour : un lger dplacement, un rien vousempche de le retrouver une heure aprs. Nimporte quel rudit du paysage sait com-bien il est difficile de cartographier les limites, entre le tangible et lintangible. Le pay-sage, loin dtre fig, est en mutation incessante et les changements et transformations,lextensibilit, ne font pas bon mnage avec les cartes qui cherchent consacrer des ra-lits thoriquement indiscutables et immuables (ou presque), notamment les limitesentre eaux et terres, ou entre les territoires politiques.

De ce point de vue, le sens juridique est pratique, sa dfinition de la mer nadmettantprobablement pas de discussion. En droit international, la mer est la surface dfinie parla ligne de mare basse, autrement dit, le territoire qui est toujours recouvert par leseaux. Mais, comme laffirme Predrag Matvejevitch, si les ctes tracent les limites de lamer, elles ne tracent pas celles de la Mditerrane. Prcisment, les ctes, dans lAntiquit,servaient aussi segmenter la Mditerrane et en dsigner de nombreuses portions,daprs les noms des terres quelles baignaient, ainsi, au temps de Pline, dHispana, deGallica, de Ligustica, de Tyrrhena, de Cretica, etc., dont la plupart sont parvenus jusqunos jours. Et cette mer a donc trouv son nom dans les terres : Mditerrane, Mediter -raneus4, mer au milieu des terres

Depuis Fernand Braudel, la Mditerrane est ce personnage historique aux confinsterrestres mouvants. Comme la si bien dit lhistorien, ce sont les terres et la mer quiforment la Mditerrane, mais jusquo lintrieur des terres? Voil une question restesans rponse, ou donnant lieu peut-tre de nombreuses rponses sans quaucune nesoit concluante ni convaincante. En premier lieu, parce quil nexiste pas de Mditerraneoriginelle ou authentique nombreux sont ceux qui la recherchent avec obsessionmais sy perdent , mais une infinitude de Mditerranes successives et mallables, offrantau fil du temps et chaque instant un profil et un caractre dtermins, fruits dnergiesmulticulturelles internes et externes. Inutile de rechercher une Mditerrane retenircomme modle intemporel et ternel, pas plus qu une Mditerrane aux limitescartographiques nettes, sauf vouloir dfinir une Mditerrane5 spcifique, parconvention, dans le cadre de telle ou telle discipline, ou en fonction dun besoin prcis.Diffrentes dynamiques ont produit et ne cessent de produire des contours plus ou moins

La dite mditerranenne : donner un nom au futur 31

4 - Ce terme apparat pour la premire fois dans les tymologies de saint Isidore de Sville, crites entre 627 et 630. Mediterraneus, quia per mediam terram usque ad orientem perfunditur, Europam et Africam Asiamque disterminans (saint Isidore de Sville, Etimologas, vol. II, Madrid, Biblioteca de Autores Cristianos, 1983).

5 - LAtlas Ambiental de la Mediterrnia considre comme faisant partie de ce territoire (nous transcrivons littralement) Albanie, Algrie, Bosnie-Herzgovine, Croatie, gypte, Espagne, France, Grce, Isral et Autonomie Palestine, Italie,Yougoslavie (Serbie et Montngro), Jordanie, Liban, Libye, Macdoine, Malte, Maroc, Slovnie, Syrie, Tunisie, Turquieet Chypre, plus les micro-tats dAndorre, Monaco, Saint-Marin, et Vatican, et la colonie britannique de Gibraltar ; 17 %de tout le territoire de ces tats peuvent tre considrs mditerranens proprement parler. Et il ajoute: Par assimilation,


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le bassin de la mer Noire est rattach la Mditerrane orientale ; dans ce cas participent aussi de lespace mditerranenla Bulgarie, la Gorgie, la Moldavie, la Roumanie, la Russie et lUkraine. Le Portugal na pas de littoral mditerranen etnappartient pas hydrographiquement au bassin, mais une grande partie de son territoire est bionomiquementmditerranenne (Ramon Folch [dir.], Mediterrnia. Territori i Paisatge. Atlas Ambiental de la Mediterrnia, Barcelone,Fundaci Territori i Paisatge, 1999).

saturs, effacs ou diffus. Envisage sous diffrents angles ou disciplines, la Mditerraneslargit ou sallonge, sagrandit ou rapetisse. Il en va de mme lorsquon lobserve diffrentes priodes.

La Mditerrane est dune petitesse absurde ; cest par la dure et le caractre gran-diose de son histoire que nous la rvons plus grande quelle nest , constate LawrenceDurrell dans son Balthazar. En effet, cest parce que la Mditerrane est bien plus quunegographie, travers lhistoire millnaire quelle porte sur ses paules, quelle confre cet espace une dimension hors du commun. Cette immensit historique, FernandBraudel lentrevoyait dj : lhistoire entire de la Mditerrane [] cest une massede connaissances qui dfie toute synthse raisonnable (Braudel, 1985). qui PredragMatvejevitch rpond en cho : Nous ne savons pas avec certitude jusquo va laMditerrane, quelle part du littoral elle occupe, o elle finit sur terre comme sur mer.[] Par endroits, le continent ne sallie pas la mer []. Ailleurs, le caractre mdi-terranen embrasse de plus vastes portions de continent, les pntre davantage de soninfluence. La Mditerrane nest pas seulement une gographie []. Cercle de craie quisans cesse se trace et sefface, que vagues et vents, uvres et inspirations largissent ourestreignent [] (Matvejevitch, 1992).

On a souvent recours aux limites climatiques pour borner la Mditerrane, mais celles-ci prsentent des faiblesses: le milieu biographiquement mditerranen dborde largementle Bassin mditerranen sans pour autant le recouvrir entirement. Ainsi, le dsert arrivejusquaux ctes libyennes, faisant que ce pays du Bassin mditerranen nappartienne pasen termes biogographiques au domaine mditerranen, tandis que certains territoiresgographiquement trs loigns du Bassin mditerranen classique sont bioclimatiquementmditerranens. Les limites dordre purement historique ne sont pas non plus pour noussatisfaire : lEmpire romain, considr comme une vaste tendue unifie autour de laMditerrane sur une longue priode, correspond approximativement au biome mditer -ranen, mais il englobe galement des territoires septentrionaux franchement distauxainsi quune modeste frange sur le littoral mridional.

On a aussi essay de faire appel aux limites agricoles ou agropastorales. Dans ce cas, loliviersemble tre le grand dnominateur commun de dlimitation bien quil prsente descontraintes, comme par exemple son altitude maximale de culture. Faire concider leslimites de la culture de lolivier avec celles de la Mditerrane a souvent t le choix deshistoriens, des anthro pologues ou des hommes de lettres. Fernand Braudel crit ainsi : la Mditerrane court ainsi du premier olivier atteint quand on vient du nord auxpremires palmeraies compactes qui surgissent avec le dsert. Igor de Garine affirme poursa part : Nous pouvons aisment dfinir laire mditerranenne comme tant celle quipermet sans risques la culture des crales, de la vigne et de lolivier, en mme tempsquun levage auparavant transhumant et actuellement sdentaire, o dominent lesanimaux des espces ovine et caprine. Georges Duhamel constate quant lui que lo lolivier renonce, sachve la Mditerrane. Cest sans doute la superposition de toutes


ces tentatives de dlimitation et de bien dautres encore, qui permet le mieux de composerune image de type densimtrique, o continueraient de toute faon se ctoyer des limitesplus ou moins imprcises, ce qui parat raisonnable et nous dlivre des chimres striles.

Un paysage taill au burinAu-del de ces considrations de primtres, la Mditerrane renvoie une rgion mar-que par lempreinte de lhomme depuis les temps les plus reculs. De nos jours, elle estencore plus fortement anthropise. Puisque paysage culturel , cest--dire rsultantdune interaction permanente et intense entre lhomme et la nature, il ne subsiste enMditerrane aucun bout de terrain naturel , lartificialisation atteignant des degrsnotables. On pourrait ainsi affirmer que la Mditerrane est un paysage entirement taillau burin au cours de milliers dannes, en un processus inlassable, o les communica-tions et les infrastructures, lagriculture autant traditionnelle quindustrielle, la singularitet la spcificit de ses processus doccupation du territoire et durbanisation ou les com-plexes industriels, ont laiss au fil du temps des traces singulires et diffrenciatrices.

La Mditerrane est en grande partie un paysage alimentaire, reflet dune histoire lie lagroforesterie, llevage et la pche, vieille de plusieurs millnaires, qui sest dabordforg sur les confins orientaux. Ces avances presque incroyables de lagriculture et dellevage dans des territoires impossibles annonaient dj la configuration future duterritoire du bassin tout entier, jusqu le transformer en un paysage caractristique etsingulier. Un paysage la fois fragile et obstin, aussi austre que gnreux, fonction-nellement dlicat et presque toujours la limite de ses capacits.

Que lon pense ces ouvrages colossaux que sont les terrasses et leurs murets de pierresche, destins transformer en superficies cultivables des milliers de versants impra-ticables et rocailleux. Dans un milieu aussi minuscule lchelle mditerranenne quele territoire vitivinicole de lAOP Banyuls, dans le Roussillon franais, on a recens plusde 6000 kilomtres (la Mditerrane, dans sa plus grande longueur, dEst en Ouest, nat-teint pas 4000 kilomtres) de murs de pierre sche dune hauteur moyenne de 0,80 mtre.Le rsultat : un paysage dune grande beaut, dune forte harmonie, mais aussi duneimmense efficacit technique tout en tmoignant dun exercice de respect environne-mental et de durabilit, dadaptation prcise au lieu et aux ressources disponibles6.Encore ingals aujourdhui, dirons-nous.

Cette agriculture minutieuse est un chant une sage configuration des chelles, leffort, la tnacit, o les oliviers, la vigne, les amandiers, les figuiers trouvent leur place. Etceci est vrai de Banyuls dans le Sud de la France jusquen Palestine, des Cinque Terre enItalie jusquen Kabylie au Nord de lAlgrie, partout o se trouve un versant o installercette forme singulire de culture. La Mditer rane est une mer de pierre sche ; unpaysage de pierre sche, cest la pierre sche faite paysage (Reguant-Aleix, 2005), traitessentiel de son caractre et lun de ses nombreux langages et rcits. Comme la trs

33La dite mditerranenne : donner un nom au futur

6 - Cest au cur de ce paysage de pierre sche du Roussillon quAristide Maillol (1861-1944) a cr deux de ses chefs-du-vre La Mditerrane (1900-1902) et Harmonie (1940-1944), cette dernire tant, selon les mots de ric Elevergeois, unemusique accorde au monde quil faut couter infiniment, pour accder une forme dharmonie des premiers temps,surgie en plein vingtime sicle (http://elevergois.over-blog.com/article-l-harmonie-la-derniere-statue-d-aristide-maillol 43786750.html). Je voulais reproduire, dans un dispositif antique, une forme moderne dira Maillol. Racines,crativit et futur.


justement fait remarquer Matvejevitch, on a vers plus de sueur dfricher les coteauxpour les ceps qu btir les pyramides .

La mer au milieu des terres demeure depuis lAntiquit la mer au milieu des villes.Celles-ci, surgies avec les premiers balbutiements de la Mditerrane, ont survcu auxempires, aux colonisations et aux tats7. La Mditerrane est une mer de villes qui, telun chapelet, entourent et ponctuent toutes ses ctes et, comme une toffe, structurentles territoires qui les treignent. Par leur ensemble, elles constituent un trait essentieldu paysage et du caractre mditerranen. Hier tats-villes ou villes-tats (il en sub-siste encore quelques rares exemples), aujourdhui ples fondamentaux, au-del destats auxquels elles appartiennent et des dynamiques socio-conomiques et culturellesde cette mer. Aujourdhui comme jadis, foyer dides, dintelligence, dinnovation et decrativit, de culture urbaine mditerranenne. Certaines dentre elles, importantes enleur temps, ne nous ont lgu pour comprendre notre prsent que des vestiges et letmoignage dpisodes passs. Dautres, nombreuses, continuent daccumuler des si-cles dhistoire, en expliquant en direct la Mditerrane. En inventant son avenir.

Cest dans ces villes mditerranennes, compactes et composites, lieux de mtissages,riches dhistoire et dexpriences, de traces et dtymologies diverses, preuve de la diver-sit de lunivers mditerranen, que rside de faon privilgie lhistoire de la Mditer -rane, car cest probablement lhistoire des villes plus quaucune autre qui reflte prcisment celle des hommes : La nature divine cra les champs, et lart des hommesles villes8 (Varron). Cest dans ces villes que se droulent toujours une grande partiedes incessants changes dides, de savoirs, de techniques et de produits. Les villes, leurshalles, leurs marchs, leurs ports, mais aussi leurs acadmies, ont t des lments fon-damentaux pour les changes et lintgration de produits alimentaires, et pour ladap-tation et linterprtation de techniques et de prparations culinaires. Cest au sein desvilles quont t penses les cuisines et les tables, quun style de vie sest amplifi et pro-pag et que la transmission du savoir traditionnel a t favorise tout autant que lau-dace stimulante de linnovation.

Cest ce dynamisme urbain mditerranen que la dite mditerranenne doit unepartie importante de sa varit et de sa richesse, en produits, en techniques mais aussien gestes et en coutumes. Toutefois, et peut-tre aujourdhui plus que jamais, les villesdoivent la dite mditerranenne la visibilit dun trait central de leur identit et decelle du bassin auquel elles appartiennent : celle dune singulire manire de vivre quisimprgne matriellement dans le paysage et que lon retrouve jusque sur la table ; objetde fiert pour ses populations, vecteur de fusion et de dialogue, de promotion de sesfilires productives et de ses services ; ainsi quattrait de premier ordre pour les voya-geurs qui se rendent dans cette rgion.

Dans ces villes, grandes, moyennes ou petites, situes sur le littoral ou dans larrire-pays, un espace millnaire mrite une mention spciale : le march. Le terme voque

7 - Nombreux sont les exemples de villes qui aujourdhui sont toujours vibrantes et qui, telles un mille-feuille, montrent lestraces de millnaires faits dune multitude de cultures et de peuples divers. Beit Shean, au Proche-Orient, est un exem-ples parmi tant dautres, qui plonge ses racines dans le ve millnaire avant J.-C., avec ses restes de lge de Bronze, sonimprgnation de lunivers gyptien, biblique, hellnistique, romain, byzantin, celui des Omeyyades, des croiss, desMamelouks, lEmpire ottoman

8 - Marcus Terentius Varro (116-27 av. J.-C.), Rerum Rusticarum libri.

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9 - Claude Lvy-Strauss, Les Structures lmentaires de la parent, Paris, La Haye, Mouton-De Gruyter, 2002 [2e d.].

dj dans toutes ses dclinaisons beaucoup dautres dnominations historiques oucontemporaines (emporium, agora, forum, bazar, souk, place), qui nous sont toutesfamilires, puisquaucun des espaces quelles reprsentent ne nous fait sentir trangers.Le march est un autre signe didentit de la Mditerrane et de la dite mditerra-nenne, la fois lieu et temps fondamentaux : cest une immersion dans la culturemditerranenne et ses emblmes (Kanafani-Zahar, 2004). Espace nvralgique de touteville ou village, point o tout converge et o tous se croisent.

Sumer dj, dans la Msopotamie mridionale, lidogramme Y dsignait le march,le point la croise des chemins. Lespace que lon accorde aux marchs peut tre com-par celui occup par les institutions les plus importantes : mairies ou citadelles, gliseset cimetires (Matvejevitch, 1992). Quils soient permanents ou phmres, quotidiensou hebdomadaires, les marchs dynamisent, rassemblent et suscitent la joie de vivre.lments cls du tissu social des villes et de leurs faubourgs, ils sont des espaces cultu-rels et civiques de rencontre, dchange de savoirs, dapprentissage, dintgration et desociabilit, o se conjuguent bien souvent les activits commerciales, sociales, ludiqueset culturelles. Cest sur les marchs que lon apprend et que lon pratique lentente, laconfiance, le voisinage. Les marchs sont des guerres rgles de faon pacifique ; lesguerres sont le rsultat de transactions malheureuses9. Les marchs des villes consti-tuent de grandes vitrines qui mettent en scne la campagne et la mer, et donnent voirles identits, les paysages, la fracheur, les couleurs, les saveurs et les armes. Espacesdidactiques, mtronomes du calendrier des saisons et des ftes, voire en exagrant (oupeut-tre sans exagrer), cathdrales de la dite mditerranenne.

Une mer de russitesLa Mditerrane est emblmatique dun type de mers, celles qui sont connectes unocan travers un troit passage deau. Elle est tel un lac (qui met quatre-vingt-dix ans renouveler ses eaux), dont la seule ouverture naturelle sont les 14,4 kilomtres dudtroit de Gibraltar qui permet aux eaux de lAtlantique de lalimenter pour viter quellene se dessche (car lapport hydrique de ses fleuves est infrieur son vaporation). Elleest galement, depuis 1869, relie la mer Rouge par le canal de Suez, donnant lieu une nouvelle donne gopolitique, commerciale, voire environnementale. Elle comptepresque 4 000 kilomtres dEst en Ouest, 850 kilomtres dans sa plus grande largeur etune surface deau de 2,9 millions de km2, lquivalent de la superficie du Maghreb his-torique (Maroc, Algrie, Tunisie), avec une profondeur moyenne de 1430 mtres et uneprofondeur maximale de 5 121 mtres dans la dpression ionienne face la cte occi-dentale du Ploponnse. Avec plus de 2000 les, dont plusieurs centaines habites et cer-taines ayant une grande importance historique et stratgique, linsularit est une autrecaractristique de cette mer aux 46 000 kilomtres de ctes, en gnral abruptes. Unegrande varit de paysages sur la terre ferme ainsi quun caractre nettement accidentfavorisent ou renferment des microclimats particuliers, presque toujours marqus parune pluie capricieuse et des tempratures contraignantes. Ce climat mditerranen sus-cite depuis toujours langoisse des agriculteurs et des marins. Voil lunit essentielle decette mer, selon Fernand Braudel.



Sur ce quasi-lac dbouchent aujourdhui une trentaine (ou presque) dtats, cest--direplus de 450 millions dhabitants dont un tiers sur le littoral. Un chiffre immense au regardde la taille minuscule de la mer (0,7 % de la surface totale des ocans et des mers), etencore plus si nous rglons le zoom lchelle des dizaines et des dizaines de rgions ouautres divisions infrieures, dont un grand nombre ont diffrents niveaux dautonomieou de dcentralisation, mettant en relief la dense et complexe mosaque aux mille cou-leurs quest cette mer. Les 300 millions de visiteurs (un tiers environ du tourisme mon-dial) pour la plupart concentrs sur une frange du littoral de moins de 100 mtres et les plus de 220000 navires qui sillonnent annuellement cette mer dans tous les sens,contribuent la rendre bigarre et pas seulement sur le plan chromatique. Dans le Phdonde Platon, Socrate voquait dj cette image en se rfrant aux habitants de la Mditer -rane : ceux qui habitent entre Phasis et les colonnes dHercule, sur une petite languede terre bordant la mer, tels des fourmis ou des grenouilles autour dune mare.

En 1995, Paul Theroux, dans son voyage autour de la Mditerrane publi sous le titreLes Colonnes dHercule, a de ce littoral une vision plus constructiviste que celle duphilo sophe grec : Le paysage tait oblitr et, du bord de la Mditerrane jusquauxarides et svres versants intrieurs, il y avait des villas de couleur blanchtre. On ny ren-contrait pas de collines dignes de ce nom, seulement des successions de maisons qui sedressaient comme un promontoire, comme un gteau de mariage sur le point de sef-fondrer. Le problme de la littoralisation de cette mer se posait dj, et le tourisme demasse a contribu accrotre ce phnomne aux retombes coteuses, en termes de pay-sage, denvironnement, dconomie et de qualit de vie, et plus coteux encore pour lecorriger et y remdier. La crise actuelle a mis ce processus en vidence.

Ce stress territorial, paysager et environnemental, nest pas sans engendrer un lourdtribut. La Mditerrane, bien que reprsentant seulement 0,7% de la superficie des eauxsales terrestres, concentre prs de 25 % du trafic maritime plantaire et environ 30 %du trafic en hydrocarbures. Ce dernier suffit lui seul pour que soient rpandues chaqueanne dans la mer plus de 300000 tonnes de ptrole. Si nous ajoutons les dversementsindustriels, les eaux uses mal pures et les rsidus solides, dont les plastiques, la fac-ture environnementale est douloureuse. Les taux de mercure (jusqu 1,2 mg / kg,pratiquement le double du taux autoris) dtects chez les poissons destins la consom-mation humaine ne laissent persister aucun doute.

Sur les terres mditerranennes extrmement fragiles, la pression se fait sentir de manirenotable pour la biodiversit, les habitats naturels, le paysage qui perd en nettet etgagne en confusion , les territoires agricoles et en particulier les ressources en eau. Pourne citer que quelques exemples de ces dynamiques prilleuses : la moiti des 46000 kilo-mtres de ctes sont menacs par la littoralisation et la forte mtropolisation; le littorala perdu plus de 75 % des cosystmes dunaires et plus dun million dhectares dhabi-tats naturels ces soixante dernires annes ; plus de 50 % des terres sont touches parlrosion dont 30% prsentent des pertes suprieures 15 tonnes par hectare et par an.Et pourtant car la Mditer rane est aussi un paradoxe , cette rgion constitue lunedes 25 zones hautement exceptionnelles de la plante en raison de la distribution de sesespces vgtales et animales et de son importante biodiversit. Sur plus de 25000 espcesde plantes maritimes recenses, la moiti ne se rencontre que dans cette mer.

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10 - Rome, Universit La Sapienza (exposition Rome organise par le Dipartimento di Scienze della Terra), Barcelone,Universit de Barcelone (exposition ralise par CEIPAC ; http://ceipac.gh.ub.es/MOSTRA/e_expo. htm).

11 - Les amphores constituent de vritables archives car elles portent des inscriptions et contiennent des informations dtail-les et prcieuses : propritaire de lhuile, noms des producteurs, four de fabrication de lamphore, lots des amphores, jouret anne de fabrication et noms de ceux qui contrlent la production, nom du marchand, poids net. Ainsi tiquetes, lesamphores taient soumises aux contrles des prposs aux impts. Ceux-ci, une fois les vrifications de poids effectues,notaient en caractres italiques, gnralement sous lune des anses, le nom du lieu de contrle, lanne consulaire, le poidsexact et le nom du contrleur (Rome, Universit La Sapienza [exposition organise par le Dipartimento di Scienze dellaTerra], Barcelone, Universit de Barcelone [exposition ralise par CEIPAC; http://ceipac.gh.ub.es/MOSTRA/e_expo. htm]).

On nous dira que ce va-et-vient du Nord au Sud, dEst en Ouest, a toujours exist enMditerrane, depuis la nuit des temps. Cela est certes vrai et ne constitue probablementpas seulement un signe didentit mais aussi un vecteur dterminant pour le faonnagedu paysage et de ses habitants et pour la configuration de cet espace. Cela tant dit, pourtre pris au srieux, une approche rigoureuse devra en dterminer lchelle, car les menacessur lcosystme mditerranen rsultant des activits humaines sont objectivables.

Dans cette perspective, le tmoignage du Monte Testaccio10 reste difiant. Cette surl-vation, situe sur les berges du Tibre Rome, a commenc tre tudie en 1872 parLuigi Bruzza et Heinrich Dressel. Ce mont artificiel de 22 000 m2, de 50 mtres de hau-teur et dun kilomtre et demi de primtre, peut-tre la premire grande dchargecontrle de lhistoire, rsultat de la mondialisation avec traabilit incluse de lan-cien monde mditerranen, recelait 24750000 amphores11 dargile (contenants perdusprovenant 80 % de la Btique, 15 17 % de lAfrique, et 3 5 % de vinaires gauloiseset romaines, rcipients pour garum et amphores orientales), soigneusement et intelli-gemment empiles, recouvertes de chaux et finalement de terre.

Des navires romains dpassant rarement 40 mtres de longueur avaient transport, lorsdes mois de mare apertum, 173 250 000 kilos dhuile dolive vers Rome, entre le ier et leiiie sicle aprs J.-C. Le nombre impressionnant ne concerne pourtant que cette seulerive de la Mditer rane et ce seul produit. Beaucoup dautres routes semblables, pourle grain gyptien et africain, le vin grec et bien des matires premires, des produits ali-mentaires labors, dont lomniprsent garum, des produits et matriaux de toute sorte,ont t dcouvertes et documentes, rvlant un immense travail de production, deconditionnement, de cabotage, darrimage et de dchargement, de stockage, de(re)distribution, de comptabilit, de contrle et de recyclage.

Aujourdhui toutefois, un Suezmax de plus de 250 mtres de longueur (et ce nest pasle plus grand du genre), lun des plus grands ptroliers capables de traverser le canal deSuez, peut transporter en un seul trajet lquivalent liquide de 1 million de barils, autre-ment dit 159 millions de litres ou un poids en huile quivalant 146 280 000 kilos, soitpas trs loin des 173 millions de kilos qui selon nos calculs ont t transports dans lesamphores entasses dans le Monte Testaccio entre le ier et le iiie sicle de notre re. Leschelles ont leur importance, et mme une importance majeure. Dans les temps bibliques,on avait dj imagin un navire de grandes dimensions. LArche de No, qui reut lamission dembarquer un chantillon complet du monde vivant, mesurait 300 coudes(environ 150 mtres) de longueur, 50 de largeur et 30 de hauteur (Gense, VI, 15).

Si la Mditerrane na pas chang de taille, lanthropisation laquelle elle est soumise etles nouvelles dynamiques luvre ont, elles, augment exponentiellement, dune faonsaisissante. Ce petit coin de la plante supporte une pression au cm2 qui grandit de jour



12 - Joan Corominas, Breve diccionario etimolgico de la lengua espaola, Madrid, Gredos, 2000 [3e d.].

en jour. Les terres ainsi que la mer de cet espace que nous appelons Mditerrane sontdune grande fragilit et de dimensions relativement rduites ; les ressources naturelles,en particulier hydriques, y sont limites, et leur rsilience faible. Pourtant, cet espace fra-gile et actuellement sous tension environnementale et paysagre continue dtre le subs-trat ncessaire et indispensable de la dite mditerranenne. Car dans cet espace o sontgraves les annales de son histoire (Lefebvre, 1981) saccumule aussi son grand capital :le paysage, ce produit inlassablement actualis, rsultat du dialogue entre le territoire etses habitants. Le paysage, naturel, agricole, urbain ou autre, est aujourdhui lune desvaleurs les plus estimables et les plus prometteuses, quoique, ne loublions pas, limiteet non renouvelable.

Un capital est un pont temporel entre le pass et le futur qui est valu dans le prsent(Meyer-Bisch, 2009). Il est donc impratif de prendre aujourdhui les bonnes dcisionset les bonnes solutions, de les adapter aux caractristiques et aux singularits de laMditerrane, ses chelles et ses valeurs, et non linverse, en sabstenant de la plier nos dsirs et de la dfigurer comme sous leffet dune commande distance pourrespecter des paramtres non cohrents avec son profil et ses valeurs. De la qualit dece paysage dpendra sa valorisation et surtout sa capacit crer des opportunits. Unedite ou un style de vie de qualit ne saurait exister dans un paysage mditerranendform et mdiocre. Un environnement de qualit est de nos jours le moteur duneconomie prospre, et pour la majorit, un environnement ou un paysage est agrableparce quil possde une forte dimension historique et culturelle et quil rvle un passlisible et prsent (Fairclough, 2009).

Le paysage mditerranen, paradigme dun paysage alimentaire global, depuis la vallela plus recule jusqu la place la plus cosmopolite, est le reflet de sa table, de mme quesa table voque ce paysage, en montrant une manire de vivre peut-tre plus facile dcouvrir et ressentir qu expliquer et dfinir. Ce paysage possde ses quilibres, seschelles, ses contrastes, ses dtails spcifiques. Dans la sagesse de son amnagement, dansle respect de ses valeurs et de ses spcificits, dans la confiance en ses potentialits et danslinvestissement des efforts ncessaires, se trouve la cl dun futur raisonnable et digne.

La dite mditerranenne, bien plus quunmodle nutritionnelAu cours des dernires dcennies, le terme de dite a connu une diffusion extraordinaire.Comme lexpliquent la plupart des dictionnaires et le manifeste le discours des mdias,ce mot est en gnral utilis pour dsigner des rgimes alimentaires spcifiques prescritspar un professionnel de la sant (quoique pas toujours), ayant la plupart du temps uncaractre limitatif et visant une finalit thrapeutique et/ou esthtique. Voil lacceptionla plus mdiatique et la plus gnralise parmi le grand public de ce terme. Dans un sensbien plus large, il renvoie au style dalimentation quadopte normalement un individu ouune communaut plus ou moins grande en termes de population ou de territoire.

Mais voyons-en la racine. tymologiquement, le mot vient du latin diaeta qui lui-mmedcoule du grec daita, manire de vivre, rgime de vie12. Anatole Bailly, hellniste

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13 - Anatole Bailly, Le Grand Bailly Dictionnaire grec-franais, Paris, Hachette ducation, 2000.14 - Aucun doute sur le caractre holistique quil attribue ce terme, qui comprend autant les aspects tangibles quintangibles.

reconnu, traduit dans son dictionnaire grec-franais13 (1895, 1901) le terme daita pargenre de vie et prcise (comme premire acception): en gnral, lensemble des habi-tudes du corps et de lesprit, les gots, les murs, etc.14. Des auteurs antiques utilisaientdj ce terme selon la signification que lui attribue Bailly. Ainsi, Aristote : le mode devie (daita) des phores nest pas en conformit avec lobjectif de ltat (Politique, II,127b); Platon, dans La Rpublique et Les Lois ; Hrodote dans son Histoire ; Pindare, dansPythiques ; etc., et bien videmment Hippocrate dans ses travaux mdicaux et dittiques,non dnus de philosophie. Cette manire de vivre est ce que nous connaissonsaujourdhui sous lexpression style de vie , qui caractrise les individus, les groupes,les communauts ou les peuples, les rend semblables ou les diffrencie les uns des autres.La dite mditerranenne est donc ce style de vie, lvidence dynamique, autrementdit non immuable, qui est le fait de la Mditerrane, dans toute sa diversit, cest--direnon uniforme, avec toutes ses tonalits et ses accents. La dite mditerranenne refusetoutes les acceptions restrictives du terme de dite pour lenvisager dans son sens holis-tique et transversal, en incluant les aspects et valeurs la fois matriels et immatriels.

Dautres appellations ont coexist, voire prcd celle de dite mditerranenne : ali-mentation mditerranenne, style alimentaire mditerranen, cuisine mditerranenne.Certains pluriels sont galement apparus : dites mditerranennes, cuisines mditer-ranennes. Dans le premier cas, lacception mdicale ou le caractre restrictif du termepeuvent freiner lusage de dite mditerranenne. Dans le second, les pluriels sont lersultat du choix argument de ceux qui considrent quon ne peut pas parler dunedite, mais quil existe de nombreuses dites en Mditerrane, et quil en va de mmepour les cuisines. Un dbat ternel, valable aussi pour la Mditerrane, daprs ceux quiconsidrent quil nest pas pertinent den parler comme dun seul tout.

Ce chapitre ne prtend aucunement trancher ce dbat. Nous ne serions pas en mesurede le faire. Nous estimons tout de mme que lon a souvent recours dans ce cadre deschelles inappropries, ou si lon veut, que le zoom est rapproch ou loign sans beau-coup d-propos. De mme, certains choix qui se prsentent nous comme des optionscontradictoires ou antagonistes, sont nonobstant parfaitement compatibles. Nous savonstous quil existe une gamme trs vaste de livres, de programmes mdiatiques, decours, etc., qui aborde lalimentation ou la cuisine il est plus rare de se centrer sur lesstyles de vie des niveaux trs diffrents. Chaque niveau infrieur est contenu danscelui qui lui est suprieur, modifiant ainsi sa visibilit ou sa nettet, pour une simplequestion dchelle et de grain, cest--dire de dfinition.

Prenons lexemple de lalimentation grecque : celle-ci comprend lalimentation conti-nentale et lalimentation insulaire, qui pourtant sont censes tre trs diffrentes. Sinous envisageons demble lalimentation grecque continentale, nous verrons alorsapparatre des alimentations rgionales susceptibles dtre considres, leur tour, trsdiverses les unes des autres. Nous pourrions ainsi continuer indfiniment, du niveaumacro au niveau micro, dans la dissociation ou le regroupement. Le ct positif estquaucun niveau ne fait disparatre lautre, tous demeurent et existent, en parallle oupoursuivant leurs propres dynamiques. Il sagit seulement dactiver chaque niveau selonnotre bon vouloir ou autant que de besoin. Il ny a ni exclusion ni conflit. Selon que



15 - Dans les prochains paragraphes seront examines certaines contributions dAncel Keys.

notre approche, notre intention ou nos objectifs prfixs seront plus ou moins perti-nents, les uns et les autres se feront plus ou moins visibles. Il en va de mme pour les styles de vie .

La dite mditerranenne est une dnomination qui renvoie un complexe culturelmditerranen dynamique, cest--dire en mouvement perptuel, prsentant un grandnombre dchelles de lecture possibles et qui, depuis des millnaires et du paysage latable, se forme et volue. En tant que patrimoine commun des peuples mditerranens,elle est appele jouer un rle fondamental en matire de construction et de consoli-dation identitaires (Fairclough, 2009) et, par consquent, en tant que facteur dintgra-tion et de dialogue mais aussi de connaissance et dpanouissement. Ce patrimoine acommenc exister lorsque les premires communauts se sont fixes autour du bassinoriental de la Mditerrane. La trame fine et fragile des dbuts est devenue aujourdhuiun tissu trs dense, lhritage sans gal de paysages, de lieux, de connaissances, de savoirs,de technologies, de produits, de mythes et de croyances, daccents, de crativit, dhos-pitalits et de collisions, qui donnent corps un capital commun auquel tous ont par-ticip et dans lequel nous nous reconnaissons tous, dont le premier lment du nomest un mot manant de nos racines et le deuxime est lponyme de lespace que nouspartageons. En dfinitive, la dite mditerranenne est un langage ou peut-tre le langage commun des peuples de la Mditerrane.

Ce nest que dune priode relativement rcente que date cette comprhension holis-tique, intgre et intgratrice, de la dite mditerranenne pour en faire bien plus quunmodle nutritionnel, incorporant dautres aspects que ceux purement matriels. Lechercheur Ancel Keys15, travers ses travaux et ses publications mais aussi grce sasensibilit, sa capacit dobservation et sa curiosit, a non seulement rvl le lien majeurentre alimentation et maladies cardiovasculaires mais aussi dcouvert et diffus avecpassion un style de vie qui, outre le fait de le fasciner, tait ses yeux indissociable etformait la substance mme de tout ce quil investiguait en Mditerrane. Cest cettechaleur qui avait envahi tout son corps et qui ne devait plus le quitter, fruit du soleilet du milieu humain et environnemental, quil a ressentie lorsquil est venu pour la pre-mire fois en Mditerrane. Ses disciples et dautres chercheurs, ayant poursuivi sonchemin plus avant, ont contribu ces dernires dcennies largir la signification de ladite mditerranenne. Linterdisciplinarit sous langle de laquelle elle a t abordedernirement (sociologie, anthropologie, conomie, agronomie, biologie) a par ail-leurs fortement aid rendre bien plus vaste sa sphre de perception.

Autre jalon important dans cet largissement de la signification, linscription de la ditemditerranenne sur la Liste du patrimoine culturel immatriel de lhumanit parlUnesco, en novembre 2010, loin dtre une tape finale, est simplement un engage-ment supplmentaire uvrer la sauvegarde de ce patrimoine. Cet ouvrage est sansdoute la contribution la plus frache cette transversalit. La mission nest gure nou-velle pour le CIHEAM, pour qui agriculture, alimentation, durabilit et scurit ali-mentaire ont toujours constitu la trame de ses publications. Le rapport Mediterra de2008 et lAtlas Mediterra publi en 2010 comportaient dj des articles sur les diffrentsaspects de la dite mditerranenne prise au sens large et ouvert. Des institutions inter-

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16 - Edgar Morin, Matrice de cultures, zone de temptes. Mre Mditerrane , Le Monde diplomatique, aot 1995.

nationales comme lOMS ou la FAO ont reconnu les vertus importantes de sa transver-salit. Nombreuses sont aussi les autres organisations qui contribuent, de faon plus oumoins sectorielle et dans tous les coins de la Mditerrane, entriner cette nouvelledimension.

La Mditerrane, vivante et dynamiqueLa dite mditerranenne est un hritage auquel les habitants et les peuples de laMditerrane, comme des abeilles ou des fourmis, ajoutent ou rvoquent des pratiques,des savoirs, des symboles, des produits, des gots, des apprciations et bien dautres l-ments tangibles et intangibles. La perception ressentie dpend de la vitesse laquelle ceschangements ont lieu, de leur importance, du degr de visibilit, de notre degr de sen-sibilit lgard de ce qui est modifi, des contretemps de toutes sortes que ces modifi-cations pourraient nous faire subir, de notre capacit danalyse continue, des jugementsde valeur et des influences mdiatiques les concernant Il en va ainsi du paysage jusqula table et il ne saurait en tre autrement puisque cela confirme que par l mme cet hri-tage est vivant. Jean Bottro, lun des premiers traducteurs du code dHammurabi, avaitpour habitude de dire quil noserait pas prparer, mme son pire ennemi, certaines desrecettes datant de la Msopotamie du deuxime millnaire avant J.-C., quil avait lui-mme dchiffres. Autrefois, il fallait gnralement un temps assez long pour quunemutation devienne perceptible. Les changements se produisaient avec une telle lenteurquils pouvaient demeurer invisibles pour des gnrations entires.

De nos jours, le graphique du changement ressemblerait plutt ce que tracerait le sis-mographe dune zone en activit. Vitesse et ampleur des changements, positifs ou nga-tifs, pourraient nous donner le tournis. Autant pour la rcupration que pour laban-don dlments, mme si ces modifications ne sauraient justifier les mauvaises dcisionsou actions. Et pourtant, certaines productions, techniques ou savoir-faire sont restspratiquement inchangs.

Dans tout le bassin, on gaule encore les olives avec des cannes dans des centainesdexploitations, pareillement ce qui est reprsent sur les amphores grecques figuresnoires du vie sicle avant J.-C. ; il est toujours possible aujourdhui de voir des laboursavec une paire de bufs comme sur la reprsentation trouve en gypte et date entrele dbut du troisime millnaire et la fin du deuxime avant J.-C. Les exemples sontnombreux et constituent la preuve de lancestralit de cet hritage. Les paroles dEdgarMorin, telles un psaume, en sont une illustration parfaite : Mes gnes vous diraientque toutes ces identits mditerranennes successives se sont unies, symbiotises enmoi, et, au cours de ce priple bimillnaire, la Mditerrane est devenue une patrie trsprofonde. Les papilles de ma langue sont mditerranennes, elles appellent lhuile dolive,elles sexaltent daubergines et de poivrons grills, elles dsirent tapas ou mzs. Mesoreilles adorent le flamenco ! et les mlopes orientales. Et dans mon me, il y a ce je-ne-sais-quoi qui me met en rsonance filiale avec son ciel, ses les, ses ctes, ses aridits,ses fertilits16.



17 - Lucien Febvre, Annales, XII, 29.

Pour revenir lagriculture et lalimentation, afin dillustrer ce qui a t voqu dansla premire partie du paragraphe prcdent, lisons lhistorien Lucien Febvre17 qui dcritun priple imaginaire que ferait de nos jours Hrodote (480-420? av. J.-C.) travers laMditerrane: Que dtonnements! Ces fruits dor, dans ces arbustes vert sombre, oran-gers, citronniers, mandariniers, mais il na pas le souvenir den avoir vu de son vivant.Parbleu ! Ce sont des extrme-orientaux, vhiculs par les arabes. Ces plantes bizarresaux silhouettes insolites, piquantes, hampes fleuries, noms trangers, cactus, agaves, alos,figuiers de Barbarie mais il nen vit jamais de son vivant. Parbleu ! Ce sont des amri-cains. Ces grands arbres au feuillage ple qui, cependant, portent un nom grec, eucalyptus:oncques nen a contempl de pareils. Parbleu ! Ce sont des australiens. Et les cyprs,jamais non plus, ce sont des persans. Tout ceci pour le dcor. Mais, quant au moindrerepas, que de surprises encore quil sagisse de la tomate, cette pruvienne ; de lauber-gine, cette indienne ; du piment, ce guyanais ; du mas, ce mexicain ; du riz, ce bienfaitdes Arabes, pour ne pas parler du haricot, de la pomme de terre, du pcher, montagnardchinois devenu iranien. Aujourdhui, ils sont tous terriblement mditerranens.

Aussi bien pendant les priodes polythistes que monothistes, le sacr et le liturgiqueont grandement influenc lalimentation, les productions et les habitudes. Entre cl-brations et ftes des dits, la yumuaa, le shabbat, la dominica, ftes du martyrologue etautres jours fris, la Mditerrane a pass la moiti de sa vie en offrandes ou en priresou se disputer le monopole de la vrit divine. Les aliments ont ici t levs au rangdu sacr. Parmi tous, le pain, le vin et lhuile occupent une place privilgie. Cest la triade alimentaire mditerranenne . Lhuile sert oindre le nouveau-n, le roi et lemoribond; lolivier dAthna qui a prsid la fondation de villes-tats sest avr lof-frande la plus utile pour lhumanit ; la colombe avec son rameau dolivier annona lafin du Dluge universel ; lolivier du Coran est un arbre bni qui nest ni dOrient nidOccident dont lhuile semble clairer sans mme que le feu la touche ; le vin et lepain de la Sainte Cne sont le corps et le sang de Jsus-Christ ; et ainsi de suite en uneliste interminable, pour tous les peuples du bassin et de tout temps. De nos jours, nousavons presque oubli quen parlant dun compagnon nous voquons le cum panis,cest--dire celui avec qui partager le pain .

Philosophes, penseurs, crivains, artistes, se sont depuis longtemps penchs sur ce com-plexe quest la dite mditerranenne. Par leurs ouvrages, ils ont non seulement attestmais aussi prserv cet hritage colossal. Ce nest gure un hasard si lon cultive lafois la terre et lme cultura animi , si savoir et saveur ont la mme racine ou si lemot got est autant le fait dapprcier les saveurs que de ressentir la beaut ou lart. Ilexiste une vaste littrature, outre celle qui a t perdue et les textes sacrs, pour toutesles poques, depuis des traits dagriculture jusqu des rituels de la table, en passantpar les prparations, l

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