mallarmé, stephan. l'après-midi d'un faune

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  • 8/3/2019 Mallarm, Stephan. L'Aprs-midi d'un faune

    1/5

    L'Aprs-midi d'un faune

    E glogue

    Le Faune

    Ces nymphes, je les veux perptuer.

    Si clair,

    Leur incarnat lger, qu'il voltige dans l 'air

    Assoupi de sommeils touffus.

    Aimai-je un rve?

    Mon doute, amas de nuit ancienne, s'achve

    En maint rameau subtil, qui, demeur les vrais

    Bois mme, prouve, hlas! que bien seul je m'offrais

    Pour triomphe la faute idale de roses.

    Rflchissons...

    ou si les femmes dont tu gloses

    Figurent un souhait de tes sens fabuleux!

    Faune, l'illusion s'chappe des yeux bleus

    Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste:

    Mais, l'autre tout soupirs, dis-tu qu'elle contraste

    Comme brise du jour chaude dans ta toison?

    Que non! par l'immobile et lasse pmoison

    Suffoquant de chaleurs le matin frais s'il lutte,

    Ne murmure point d'eau que ne verse ma flte

    Au bosquet arros d'accords; et le seul vent

  • 8/3/2019 Mallarm, Stephan. L'Aprs-midi d'un faune

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    Hors des deux tuyaux prompt s'exhaler avant

    Qu'il disperse le son dans une pluie aride,

    C'est, l'horizon pas remu d'une ride

    Le visible et serein souffle artificiel

    De l'inspiration, qui regagne le ciel.

    O bords siciliens d'un calme marcage

    Qu' l'envi de soleils ma vanit saccage

    Tacite sous les fleurs d'tincelles, CONTEZ

    Que je coupais ici les creux roseaux dompts

    Par le talent; quand, sur l'or glauque de lointaines

    Verdures ddiant leur vigne des fontaines,

    Ondoie une blancheur animale au repos:

    Et qu'au prlude lent o naissent les pipeaux

    Ce vol de cygnes, non! de naades se sauve

    Ou plonge...

    Inerte, tout brle dans l'heure fauve

    Sans marquer par quel art ensemble dtala

    Trop d'hymen souhait de qui cherche le la:

    Alors m'veillerai-je la ferveur premire,

    Droit et seul, sous un flot antique de lumire,

    Lys! et l'un de vous tous pour l'ingnuit.

    Autre que ce doux rien par leur lvre bruit,

    Le baiser, qui tout bas des perfides assure,

    Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure

    Mystrieuse, due quelque auguste dent;

  • 8/3/2019 Mallarm, Stephan. L'Aprs-midi d'un faune

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    Mais, bast! arcane tel lut pour confident

    Le jonc vaste et jumeau dont sous l'azur on joue:

    Qui, dtournant soi le trouble de la joue,

    Rve, dans un solo long, que nous amusions

    La beaut d'alentour par des confusions

    Fausses entre elle-mme et notre chant crdule;

    Et de faire aussi haut que l'amour se module

    vanouir du songe ordinaire de dos

    Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos,

    Une sonore, vaine et monotone ligne.

    Tche donc, instrument des fuites, maligne

    Syrinx, de refleurir aux lacs o tu m'attends!

    Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps

    Des desses; et par d'idoltres peintures

    leur ombre enlever encore des ceintures:

    Ainsi, quand des raisins j'ai suc la clart,

    Pour bannir un regret par ma feinte cart,

    Rieur, j'lve au ciel d't la grappe vide

    Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide

    D'ivresse, jusqu'au soir je regarde au travers.

    O nymphes, regonflons des SOUVENIRS divers.

    Mon oeil, trouant les joncs, dardait chaque encolure

    Immortelle, qui noie en l'onde sa brlure

    Avec un cri de rage au ciel de la fort;

    Et le splendide bain de cheveux disparat

  • 8/3/2019 Mallarm, Stephan. L'Aprs-midi d'un faune

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    Dans les clarts et les frissons, pierreries!

    J'accours; quand, mes pieds, s'entrejoignent (meurtries

    De la langueur gote ce mal d'tre deux)

    Des dormeuses parmi leurs seuls bras hasardeux;

    Je les ravis, sans les dsenlacer, et vole

    ce massif, ha par l'ombrage frivole,

    De roses tarissant tout parfum au soleil,

    O notre bat au jour consum soit pareil.

    Je t'adore, courroux des vierges, dlice

    Farouche du sacr fardeau nu qui se glisse

    Pour fuir ma lvre en feu buvant, comme un clair

    Tressaille! la frayeur secrte de la chair:

    Des pieds de l'inhumaine au coeur de la timide

    Qui dlaisse la fois une innocence, humide

    De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.

    Mon crime, c'est d'avoir, gai de vaincre ces peurs

    Tratresses, divis la touffe chevele

    De baisers que les dieux gardaient si bien mle:

    Car, peine j'allais cacher un rire ardent

    Sous les replis heureux d'une seule (gardant

    Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume

    Se teignt l'moi de sa soeur qui s'allume,

    La petite, nave et ne rougissant pas: )

    Que de mes bras, dfaits par de vagues trpas,

    Cette proie, jamais ingrate se dlivre

    Sans piti du sanglot dont j'tais encore ivre.

  • 8/3/2019 Mallarm, Stephan. L'Aprs-midi d'un faune

    5/5

    Tant pis! vers le bonheur d'autres m'entraneront

    Par leur tresse noue aux cornes de mon front:

    Tu sais, ma passion, que, pourpre et dj mre,

    Chaque grenade clate et d'abeilles murmure;

    Et notre sang, pris de qui le va saisir,

    Coule pour tout l'essaim ternel du dsir.

    l'heure o ce bois d'or et de cendres se teinte

    Une fte s'exalte en la feuille teinte:

    Etna! c'est parmi toi visit de Vnus

    Sur ta lave posant tes talons ingnus,

    Quand tonne une somme triste ou s'puise la flamme.

    Je tiens la reine!

    O sr chtiment...

    Non, mais l'me

    De paroles vacante et ce corps alourdi

    Tard succombent au fier silence de midi:

    Sans plus il faut dormir en l'oubli du blasphme,

    Sur le sable altr gisant et comme j'aime

    Ouvrir ma bouche l'astre efficace des vins!

    Couple, adieu; je vais voir l'ombre que tu devins.