malika amrane - peindre la souffrance: picasso et une esthétique de la violence

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Page 1: Malika Amrane - Peindre la souffrance: Picasso et une esthétique de la violence

« Dans mon art, on peut lire le rythme du paroxysme de la violence […] » (Porzio et Valsecchi 87).

La violence est omniprésente dans l’art occidental. En effet, la Grèce antique illustre

ses guerres mythologiques et historiques par la représentation de statues dont la gestuelle

exprime la convulsion et la douleur. Par ses bois polychromes, sa peinture et ses vitraux, le

Moyen-âge nous donne à contempler un art sanguinaire, de la crucifixion du Christ à la

torture des martyrs. Les églises exhibent une violence morbide afin d’inciter le croyant à se

repentir de ses péchés. Plus tard, à la Renaissance et jusqu’à la fin du XIXème siècle,

l’engouement pour les martyrs grecs et latins poursuit cette tradition qui consiste à représenter

des scènes avec des corps torturés ou sacrifiés. Quant à la peinture d’Histoire, elle déploie

souvent toutes les violences pour magnifier une victoire militaire ou au contraire dénoncer les

horreurs de la guerre. On retrouve cette idée dans l’art du XXème siècle qui exploite avec une

grande complexité les multiples formes de la violence en prenant la psychanalyse ou le corps

comme matériau. En effet, en abolissant l’unité du sujet conscient, pour révéler un sujet clivé

entre le « moi » et les différentes instances inconscientes, la peinture peut évoquer l’acte

violent et son plaisir, des violences masquées ou sublimées. Pour Picasso, le corps est une

machine à souffrir. Mettre le corps à mal pour le délivrer et se libérer de toute oppression

morbide permet à l’artiste de maîtriser ses pulsions. Ainsi, sa représentation torturée,

déformée, atrophiée, comme « sublime violence du vrai » engendre une énergie concentrée

qui s’apparente avec l’infini pour mieux nous faire sentir que nous sommes vivants. C’est ce

qui motive la création d’œuvres aux mises en scène violentes où le caractère sacrificiel ouvre

la voie à un processus de libération. Pour cela, le maître andalou imagine un lieu entre

peinture et théâtre où il peut réaliser des actions générant un état de fascination et de

perturbation chez le spectateur. Ce dernier participe au rite sacrificiel et acquiert par là même

une chance de rédemption. Le rapport entre le corps de l’artiste et son espace pictural existe,

et il est unique, intime et solitaire.

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Peindre la souffrance: Picasso et uneesthétique de la violence

Malika Amrane, PhD.

Page 2: Malika Amrane - Peindre la souffrance: Picasso et une esthétique de la violence

En effet, c’est l’investissement du corps de l’artiste qui matérialise la pensée créatrice, et c’est

l’investissement de son esprit qui se concrétise en sensibilité sur la surface picturale. Par

conséquent, c’est l’essence même de son expressivité et de son émotivité qu’il schématise sur

la toile et qu’il nous transmet ensuite. La pulsion de vie et de mort qui nourrit sa création est à

la mesure de son angoisse existentielle : entre les deuils, les crises passionnelles et

l’expérience traumatique de la vieillesse, l’impulsion créatrice se confond souvent avec la

pulsion destructrice. Mais son art est également le miroir de son temps. Le poids de l’Histoire

avec ses conflits et ses deux guerres mondiales a incité le peintre à donner forme à cette

violence pour exprimer les peurs et les souffrances. Ainsi, en dépit de l’aspect brutal et

chaotique des œuvres que nous avons choisi pour illustrer notre thématique, la qualité de la

création nous permet de parler d’une esthétique de la violence. Son univers pictural manifeste

un regard sensible aux réalités de son époque et sur sa propre vie car selon le peintre « un

tableau vit sa vie comme un être vivant, subit les changements que la vie quotidienne nous

impose » (Porzio et Valsecchi 80).

***

La mort du proche : ambivalence du deuil (culpabilité) et souffrance.

« La peinture pour lui, c’est la femme avec qui on couche, les amis qu’on perd, c’est

la peur et la maladie, ce sont les larmes et les rires, c’est l’angoisse et la mort. On

peint pour exprimer, pour protester, pour dire » (Fermigier 152).

Picasso, Pablo. La mort de Casagemas. 1901. Huile sur bois. Musée Picasso, Paris.

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Souvent associé à la souffrance, le deuil est aussi considéré comme un processus

nécessaire à la délivrance, nommé résilience. Pour la personne affectée par la perte définitive

d’un être cher, cela consiste à prendre acte de l’évènement traumatique pour ne plus vivre

dans la douleur. Le deuil peut être réalisé par le biais de tous moyens d’expression permettant

de se libérer de cette souffrance par la commémoration. Il ne s’agit donc pas d’oublier mais de

voir sa peine s’atténuer puis disparaître. C’est par l’intermédiaire de la création que Picasso a

trouvé un moyen d’extérioriser sa souffrance en dédiant aux êtres perdus certaines de ses

œuvres afin de célébrer leur mémoire. En effet, plusieurs deuils ont frappé le peintre depuis

son plus jeune âge. La mort de sa sœur Conchita, emportée par une diphtérie en 1895, qui le

touche au plus profond de son être ; celle de son meilleur ami Carlos Casagemas qui se

suicide par désespoir amoureux en février 1901 et qui laisse l’artiste empreint de culpabilité;

celle de son père don José Ruiz Blasco qui meurt en 1913 et qui le plonge dans une profonde

tristesse ; celle de sa compagne Eva Gouel emportée par la maladie en 1915, qu’il aimait

profondément ; sans oublier la guerre avec son cortège de morts qui ne l’épargnera pas non

plus car il perdra de nombreux amis comme Guillaume Apollinaire en 1918. La Mort,

« éternelle fiancée des Espagnols », sera omniprésente tout au long de sa vie et par conséquent

dans son œuvre, car l’œuvre et la vie du peintre sont intimement liées. Aussi, l’annonce du

suicide de son ami Carlos Casagemas fut pour le peintre un véritable choc. Ils s’étaient

rencontrés à Barcelone dans un cabaret qui était le lieu de rendez-vous favori des artistes de la

nouvelle génération, « Els Quatre Gats. » Lors d’un séjour à Paris, où les deux hommes

avaient loué un atelier commun, Casagemas s’éprit d’une femme de petite vertu, Germaine

Gargallo, qui posait pour lui comme modèle. Mais cette dernière n’éprouvait à son égard

aucun sentiment amoureux. Désespéré, il mettra fin à ses jours violemment, en se tirant une

balle dans la tempe. Picasso, hanté par son ami mort, doit se libérer sur la toile de cette

obsession et de son sentiment de culpabilité. Il doit retrouver une image positive de lui-même

car il se sent en partie responsable de la disparition tragique et prématurée de son jeune ami,

insouciant et fougueux, séduit par cette vie parisienne débridée où les mœurs ignoraient toutes

contraintes. L’euphorie de ces moments heureux laisse ainsi place à la gravité picturale.

Durant l’été 1901, il peint une série de portraits du défunt dont La mort de Casagemas,

Casagemas dans son cercueil (Picasso, Pablo. 1901. Huile sur bois. Collection Sotheby’s) et Le suicidé

(Casagemas) (Picasso, Pablo. 1901. Huile sur bois. Musée Picasso, Malaga).

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Mais il se sera passé six mois avant que l’artiste prenne acte de l’évènement traumatique dans

sa réalité. Ce n’est qu’à la fin de ce processus de reconnaissance qu’il pourra exprimer sa

peine. Seul avec ses remords et son chagrin, il revit le suicide de son ami. Et la couleur bleue

s’impose alors dans la palette du peintre. Une froideur bleutée qui gagne progressivement ses

toiles, trahissant la souffrance et devenant la transcription plastique de la tristesse et de la

douleur de cette période de deuil. «J’ai commencé à peindre en bleu lorsque j’ai pris

conscience que Casagemas était mort » (Walter 15). Dans le portrait intitulé La mort de

Casagemas, le rayonnement explosif de la flamme, en illuminant le visage macabre du défunt,

rend palpable l’angoisse et la souffrance qui se dégagent de cette peinture. Le rouge sombre

revêt ici une signification funéraire et l’impact rouge de la balle témoigne de la violence de la

scène. La présence de la bougie est symbolique, car allumée elle manifeste la persistance d’un

souffle de vie supérieur à tout ce qui fut déjà vécu. L’orsqu’elle brûle auprès du défunt, la

flamme qui monte vers le ciel symbolise la lumière de l’âme dans sa force ascensionnelle.

Cette toile, nourrit de la culpabilité dont souffre Picasso, est un moyen de faire le deuil,

d’apaiser sa souffrance en conservant vivace le souvenir de son ami disparu. Mais il faut

encore qu’il l’enterre dignement.

Ainsi, dans L’enterrement de Casagemas ou Évocation (Picasso, Pablo. 1901. Huile sur

toile. Musée d’Art Moderne, Paris) de la même année, il lui offre des funérailles majestueuses en

s’inspirant du tableau du Greco L’enterrement du Comte d’Orgaz (El Greco. 1586-1588. Huile sur

toile. Église de Santo Tomé, Tolède). Mais le caractère blasphématoire de l’œuvre de Picasso ne

manque pas de nous rappeler les circonstances de la mort de son ami. En effet, au lieu du

chœur des anges qui forment la cour de l’âme, ce sont des prostituées nues qui l’accueillent

dans les cieux. Son âme, emportée par un cheval blanc, reçoit une dernière étreinte de

Germaine avant de rejoindre le paradis qui promet de lui apporter les joies et plaisirs dont il a

été privé sur terre. Dans la partie inférieure de la toile, les participants manifestent leur

douleur par des gestes pathétiques. Picasso est présent, il tient à la main un haut-de-forme. Le

maître dit adieu à son ami. L’étirement des figures et l’allongement des corps traduisent la

transcendance de l’évènement dessiné. Ce tableau, né de la souffrance du peintre, emprunte

l’esthétique violente des œuvres des maîtres espagnols tels que Zurbarán ou El Greco.

L’expérience de cette mort tragique l’a bouleversée et il exprime symboliquement sur la toile

son souhait que Casagemas trouve la paix et le bonheur dans les cieux.

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Page 5: Malika Amrane - Peindre la souffrance: Picasso et une esthétique de la violence

« Une souffrance communiquée est moins douloureuse, car elle emprunte des circuits

permettant qu’elle se décharge en chemin de sa prétendue vérité au contact de l’altérité »

(Royol 30). Ainsi, à chaque fois qu’un évènement important survient dans sa vie, comme une

nouvelle passion amoureuse, il demande à la création d’exprimer ses pulsions afin de mieux

les maîtriser.

Eros et Thanatos: pulsions destructrices et manifestation sublimée du désir en

souffrance.

« La contorsion, la distorsion, la destruction apparentes, auxquelles le peintre soumet

les corps dans l’amour, sont telles qu’il est difficile d’y voir autre chose que la

passion, la furie, la joie, la tristesse, la grâce, la lassitude, la vie et la mort, en un mot,

le franc combat amoureux dans la plénitude de ses belles et terribles possibilités

stratégique » (Alberti 72).

Picasso, Pablo. Grand nu dans un fauteuil rouge. 1929. Huile sur toile. Musée Picasso, Paris.

L’art d’Occident est d’essence misogyne. Dès lors qu’il y est question de lien sexuel,

la femme y tient constamment le rôle de souffre-douleur. Art d’hommes, fait par des hommes,

pour le désir des hommes : cet art est phallique. Peu d’artistes ont décrit le rapport des sexes

avec autant de fureur que Picasso. « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-

fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas » (Breton).

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Page 6: Malika Amrane - Peindre la souffrance: Picasso et une esthétique de la violence

L’association de ces trois termes : convulsive, érotique et explosante traduit l’idée que pour

Picasso, le sexe n’existe pas sans violence. L’étreinte est un combat. Aussi, il choisira la

figure du Minotaure pour incarner ses instincts bestiaux et y concentrer ses pulsions de vie et

ses angoisses de mort. La représentation de la sexualité culmine avec le viol, stade suprême et

motif ultime de la souffrance érotique. Or, l’artiste a fait du coït le principe actif d’un rituel où

culmine la frénésie pulsionnelle dans les formes du viol. Dans Minotaure et nu (Le viol)

(Picasso, Pablo. 1933. Crayon, encre de chine et encre lavis sur papier. Musée Picasso, Paris), le fantasme

latent d’une harmonie des sexes sert à cautionner par contraste la violence phallique du

monde mâle où les deux sexes fusionnent. En effet, le dos musculeux de la bête, où vibre le

trait, éloge appuyé de l’emportement passionnel, se perd dans les contours de la victime. Nous

avons du mal à distinguer le prédateur de sa proie tant son étreinte est violente. La

musculature « est le principe corporel de la pulsion d’emprise, qui projette à l’extérieur

l’agressivité sadique du sujet (mâle) » (Freud 34). Mais l’un ne devient jamais l’autre et

encore moins neutre. Car dans un art brutal, où le sexe est la force, la femme n’accède à la

subjectivité que sur le mode paradoxal de la souffrance. Là est bien le propre de son statut de

victime. Elle n’existe qu’en martyre. Et sur la toile, sa physionomie ne reflète aucune

jouissance mais bien de la souffrance. L’extrême torsion de sa tête, rejetée en arrière, indique

un désir de fuite. Ainsi, de la femme au Minotaure, la domination du muscle impose aux deux

morphologies le même canon. C’est là un des paradoxes pervers de Picasso dans cette

thématique du viol : il ne montre la femme que pour mieux la nier. De même, si le viol se

définit par la pénétration, parfois ce n’en est pas un. Car on ne sait plus très bien si l’activité

manuelle de l’agresseur est encore une activité sexuelle. La violence corporelle est comme

détachée de son substrat sexuel. Ce qui importe, c’est l’exercice solitaire d’une manumission

souveraine, par où l’un s’approprie le corps de l’autre. Plus de viol, mais de la possession. La

négativité du sujet femelle ne produit que la négation de la différence. Le modèle de la toile

est Marie-Thérèse Walter. Rencontrée en 1927, elle aura une liaison amoureuse avec le

peintre et lui inspirera des toiles où exploseront sa blondeur et ses formes pleines et

voluptueuses. Elle incarne ici la jeune fille qui était sacrifiée au Minotaure. Dans son rôle de

jeune maîtresse, elle se doit de rester cachée et de satisfaire aux désirs sexuels de son amant.

Pourtant, ce n’est pas vraiment le sexe que l’artiste montre, mais le pouvoir, sur le mode le

plus primitif et le plus immédiat, où triomphe toujours la loi du plus fort, qui est la loi du mâle

tout puissant.

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Page 7: Malika Amrane - Peindre la souffrance: Picasso et une esthétique de la violence

Le coït pictural se confond avec le coït sexuel, soulignant ainsi la tension agressive du sujet,

le désir de jouissance et de destruction de la chair féminine. Dans cet acte de possession

bestiale, dans ce corps à corps sans concessions, Picasso ne s’encombre pas d’allusions. Il

trace des contours et des lignes dynamiques qui entraînent le spectateur dans un viol oculaire.

Car le fantasme que l’artiste partage avec l’amateur d’art consiste à « s’estimer en droit de

contrôler et de posséder le corps des femmes » (Nochlin 65).

Chez Picasso, la féminité est menaçante. Il aime les femmes mais la peur qu’elles lui

inspirent inconsciemment s’exprime dans la vigueur frénétique avec laquelle il réalise ses

toiles. En effet, « […] jamais peintre n’a à ce point aimé, détesté, craint les femmes, n’a été à

ce point obsédé par elles et n’a mis autant d’acharnement à les détruire […] Il aime

intensément et tue ce qu’il aime » (Gateau 79). Grand nu dans un fauteuil rouge fait partie des

peintures du maître dont la cruauté plastique, visuelle, fait mal par le seul pouvoir de son

image. Cette toile est de ces œuvres de douleur qui atteignent en nous la part de souffrance

intériorisée dont la seule image concrète possible, la seule expression physique est celle de

l’effondrement viscéral et du cri d’angoisse muet. Cette œuvre clôt de manière symbolique le

cycle du bonheur conjugal et bourgeois avec sa femme Olga Khoklova. En effet, vers la fin

des années vingt, Olga est profondément affectée par l’échec de son mariage avec Picasso.

Cette cruelle métamorphose est le reflet de sa douleur, qu’elle exprime par de fréquentes

colères dont l’artiste est le spectateur impuissant. La tension est quotidienne dans leur couple.

Le maître cherche alors un exutoire pour extérioriser les violentes émotions qui le tiraillent.

Toute la transcription plastique tend à exprimer l’idée de souffrance : la tête, réduite à un

gouffre denté, une bouche castratrice, le rétrécissement du corps comme vidé de sa substance

vitale. La couleur introduit une dimension métaphorique et une volonté expressive. Le rouge

est ici lié à l’individualisme, à l’agressivité et au bruit. Les scènes de jalousie d’Olga se font

de plus en plus violentes et sont ponctuées de cris et de larmes. Le violet peut être interprété

comme une couleur de soumission. On peut évoquer la coutume française qui consiste à

attacher au cou des enfants une pierre violette non seulement pour les protéger de la maladie

mais aussi pour les rendre dociles et obéissants. Á cela s’ajoute une symbolique funèbre car le

violet est la couleur des martyrs, du sacrifice. Elle désigne également l’autorité dans le rituel

catholique. L’artiste, par la métamorphose qu’il opère sur sa figure, soumet Olga à ses

pulsions destructrices. Le noir est insécurisant et absorbant.

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En effet, on a l’impression que le fauteuil est attiré vers l’arrière, vers le néant et la négation.

Picasso veut passer à autre chose et c’est ce qu’il va faire puisqu’il commence une relation

extraconjugale avec Marie-Thérèse Walter. La violence que suscitent les plaisirs de la chair,

et les pulsions meurtrières que ces plaisirs soulèvent (Eros et Thanatos), sont décrites avec

une brutalité qui transparaît dans la vibration des couleurs qui exclue toute concession au

plaisir de l’œil. Le cri muet qui secoue le personnage se heurte à la stabilité étouffante du

décor. L’opposition radicale entre la figure et le cadre qui l’abrite illustre le sentiment de

révolte du peintre qui exprime ainsi son angoisse car il ne supporte plus la monotonie de sa

vie rangée avec Olga. En insistant sur l’expression plutôt que sur la représentation, « Picasso

essaie, avec son œuvre, de produire une impression, non pas par le sujet, mais par la manière

dont il le transcrit […] » Car « il pense qu’un tableau doit donner l’équivalent pictural de

l’émotion suscitée par le sujet. »1 L’aspect choquant de l’œuvre réside dans l’allégorie avec

laquelle l’artiste compare la crise personnelle qu’il traverse à une femme agonisante. Pourtant,

peindre la colère et la douleur de sa femme lui permet de dépasser sa propre souffrance face à

la situation. L’art devient thérapie.

La thérapie par l’art: exhiber les peurs et les souffrances permet leur dépassement.

« En face de ses propres souffrances ou des souffrances étrangères, l’homme ne

dispose que de trois sentiments : la peur, la terreur et la pitié, c’est-à-dire le

pressentiment inquiet d’un malheur qui s’approche » (Goethe 210).

Ces représentations du corps, en exhumant des anatomies étrangement faites ou

défaites, dénude la figure dans un déchirement sous l’érosion des déformations et des

métamorphoses. Le corps laisse échapper la figure. Dans une perspective théâtralisée par le

rideau qui se fait ligne d’horizon dans son œuvre, l’artiste met en scène des personnages dont

l’anatomie sert à transcrire l’univers psychologique et émotif de l’humain. « Il y a tout un

domaine que Picasso a ouvert et qui, dans un certain sens, n’a pas été exploré : une forme

organique qui se rapporte à l’image humaine mais qui en est une complète distorsion »

(Deleuze 43).

1 Extrait d’un entretien entre Marius de Zayas et Pablo Picasso à New York à l’automne 1910.

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Cette affirmation de Francis Bacon nous montre que le maître espagnol lui a ouvert la voie

dans la mise en scène du terrible, du sensible et de l’âme. C’est ainsi que Bacon se met à

peindre le corps réel de l’angoisse et de la peur. Le pinceau de l’artiste n’est plus un outil

servile d’une fausse représentation mais devient une baguette magique qui dévoile la réalité

au-delà des apparences. Dans La suppliante (Picasso, Pablo. 1937. Gouache et encre de chine sur

panneau de bois. Musée Picasso, Paris), dépassant la figuration sans se tourner vers l’abstraction,

Picasso s’attache à la sensation. « La sensation, c’est ce qui est peint. Ce qui est peint dans le

tableau c’est le corps, non pas en tant qu’il est représenté comme objet, mais en tant qu’il est

vécu comme éprouvant telle sensation » (Deleuze 56). Cette œuvre est une véritable

désacralisation de la représentation du corps féminin qui dénonce les canons de la beauté

qu’impose la société moderne et nous renvoie à la question de savoir qu’est-ce que l’être ? La

figure dessinée est celle d’une femme, suppliant les bras levés vers le ciel, et la bouche tordue

dans un cri. Malgré les déformations que le peintre fait subir au personnage, on reconnaît le

modèle qui est Dora Maar, image de la victime par excellence pour l’artiste. Paul Éluard

présente la jeune femme à Picasso en 1936. Photographe et peintre, belle et sophistiquée, elle

sera sa muse pendant les terribles années de la Seconde guerre mondiale. À travers cette

peinture de corps déformé, l’artiste en éprouve toutes les convulsions. L’intensité de la

souffrance se ressent dans la réduction des contrastes de couleurs. La beauté est sacrifiée au

déchirement par l’intermédiaire de ce corps disproportionné où seul le sein qui pend possède

la couleur de la chair et nous rappelle la féminité. Les mains ressemblent aux pattes d’un

animal féroce, et la bouche aux lèvres retroussées et aux dents acérées est semblable à une

mâchoire prête à mordre. L’humanité entière semble se tordre de douleur dans l’espace

dépouillé de cette toile où aucun décor ne permet de situer la scène. Des lignes diagonales et

verticales, où la peinture s’étale uniformément, forment l’arrière-plan et délimitent l’espace de

la mise en scène terrible du corps. La figure communique un sentiment de déchirement

profond. L’artiste parvient à suggérer par les moyens de la mise en forme, ou plutôt de la

déformation, la sensation de la souffrance. Le personnage n’est plus qu’un cri sourd et muet

qui nous regarde et nous interpelle. Peindre la souffrance plutôt que l’horreur de la guerre,

c’est aussi en cela que consiste le génie de Picasso. Le maître andalou perçoit la réalité au

travers des sensations essentiellement affectives que lui procurent les objets et les personnes

qui l’entourent, sans s’attarder sur les données objectives ou anatomiques.

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Aussi, dans ses portraits, la ressemblance du modèle n’est qu’accessoire car tous les détails

inutiles à la retransmission des affects sont évacués. Il ne reste que la réalité pure.

Dans La femme qui pleure (Picasso, Pablo. 1937. Huile sur toile. Tate Modern, Londres), un

nouveau langage de la souffrance est exposé, qui se voit mais ne s’entend pas, qui se ressent

mais ne se formule pas. Car c’est bien la force même de ce que le peintre souhaite exprimer

sur la toile qui supplée à la difficulté de la technique employée. Dans cette œuvre, il s’agit

d’exprimer « avec le rouge et le vert les terribles passions humaines ». Sans doute pouvons-

nous faire de cette citation de Van Gogh, une légende du tableau de Picasso où l’objectif

premier de l’artiste est de libérer les démons qui le hantent. Encore une fois, le salut vient par

la peinture qui, en exhibant les peurs et les souffrances permet leur dépassement. Dans ce cas,

ne pourrait-on pas dire que l’art est un problème moral? Picasso, l’homme comme l’artiste,

baigne dans les déchirements, les expériences douloureuses, où la vie personnelle et les

problèmes liés au contexte de l’époque rejoignent l’art. Nous pouvons considérer le tableau

comme une femme, ou la femme comme un tableau, où les sentiments sont des lignes et les

couleurs des souffrances. C’est ainsi que dans la Femme qui pleure, la tristesse et la douleur

du maître, suite au bombardement de la ville de Guernica, s’impriment sur le visage de Dora

Maar. L’éclatement d’une partie du faciès en grand nombre de plans aigus et pointus, dont les

couleurs stridentes agressent littéralement le regard du spectateur, illustre la violence subie et

le sentiment de souffrance. La forme déchiquetée du mouchoir est une pure métaphore de la

douleur. Le résultat est une composition qui communique l’essence des pleurs comme

expression d’une crise émotionnelle profonde. De ce fait, c’est le déchirement formel qui

devient l’indicateur du déchirement émotionnel. Si la souffrance que transmet cette image est

en dehors du temps, le paroxysme de sa violence dénonce et trahit notre époque en

s’inscrivant dans le parcours de son auteur. Ce portrait de Dora Maar, dans sa réelle

inquiétude spirituelle, incarne toutes les peurs de Picasso : « Pour moi c’est une femme qui

pleure. Pendant des années, je l’ai peinte en femme torturée, non par sadisme ou par plaisir.

Je ne faisais que suivre la vision qui s’imposait à moi. C’était la réalité profonde de Dora »

(Gilot et Carlton 221). Car bien que le visage soit un dévoilement incomplet et passager de la

personne, c’est la partie la plus vivante que l’on présente à autrui, la plus sensible en tant que

siège des émotions et des pulsions perçues à travers son mouvement. C’est le « moi » intime,

partiellement ou entièrement dénudé, infiniment plus révélateur que le reste du corps.

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Le portrait n’est donc pas pour soi, il est pour l’autre. Et Picasso a revendiqué à travers ce

portrait de Dora Maar le droit de projeter ses peurs et sa souffrance personnelle sur son

modèle. De ce fait, l’artiste justifie les propos de Léonard de Vinci selon lequel l’artiste se

peint toujours lui-même.

La vieillesse et la mort : expérience du « corps-vieux » souffrant et autoportrait.

« Le miroir est le scalpel de l’âme : Picasso se regarde dans son miroir, et voit à

l’intérieur de lui-même un cadavre » (Ferrier 198).

Picasso, Pablo. Autoportrait. 1972. Crayons de couleur. Fuji Television Gallery, Tokyo.

Vers la fin de sa vie, à l’approche de ses quatre-vingt-dix ans, Picasso s’attarde sur

l’image de l’homme et du peintre vieillissant. Sa peur de la déchéance physique se manifeste

dans la réalisation d’autoportraits comme pour conjurer le mauvais sort. Comme Van Gogh

ou Rembrandt, le maître andalou, toujours aussi excessif et violent, indifférent à la beauté

physique, à la séduction charnelle, s’est servi de son visage pour refléter les différentes étapes

de son existence. « Je regardai le dernier autoportrait de Rembrandt : laid, brisé affreux et

désespéré ; et si merveilleusement peint […] Et je compris : être capable de se regarder soi-

même et disparaître dans le miroir- ne plus rien voir- et se peindre comme le « néant », la

négation de l’homme. Quel miracle et quel symbole » (Ferrier 194).

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Mais bien que ses derniers autoportraits montrent son obsession à propos du vieillissement de

son corps, la quantité des œuvres tardives témoigne d’une grande vitalité intellectuelle. Elles

se définissent par un expressionnisme dramatique brutal: saisir la tension pathétique dans son

paroxysme pour traduire la réalité concrète des choses. Ces toiles, peintes avec des coulures,

des configurations primitivistes, des tonalités qui confinent à la limite de la souffrance

visuelle reflètent non pas une impuissance quant à leur conception formelle, mais démasquent

l’expression d’une impuissance physique qui ne cesse d’augmenter à mesure qu’il avance en

âge. Ainsi, dans le Vieil homme assis (Homme au chapeau dans un fauteuil) (Picasso, Pablo.

1970. Huile sur toile. Musée Picasso, Paris), la pose est celle d’un vieillard, avec la main posée à plat

sur le genou. La toile nous montre un Picasso ventripotent, au regard émouvant, se liquéfiant

en même temps que sa peinture. Les coulures sur le visage s’apparentent à des chairs tombant

en lambeaux. La prédominance de la teinte orange en arrière-fond accentue l’impression de

décrépitude. Encore une fois, la couleur assume pleinement une fonction dramatique. Elle

confère une vitalité au tableau qui contraste avec le thème de la déchéance physique. En outre,

l’orangé symbolise le point d’équilibre de l’esprit et de la libido. Mais cet équilibre est si

difficile à maintenir que la couleur devient alors l’emblème de la luxure. Or, l’accumulation

obsessionnelle des représentations sexuelles dans les dernières années de sa vie nous fait

penser qu’elles permettaient à l’artiste de surmonter les « fantasmes de la sénilité » (Scarpetta

26-27). L’intensification expressive due à un emploi conséquent de couleurs et de formes

dénote une évidence brutale mais ne contredit en rien la conception d’un art de l’esthétique

qui se propose de refléter la réalité aussi violente soit-elle. L’Autoportrait du 30 juin 1972, à

la fois fascinant et effrayant, traité au crayon à la cire dans une palette de teintes pourpre,

bleue et verte, est un miroir dans lequel se reflètent l’angoisse et la peur de la mort. La

dominante chromatique froide ne manque pas de nous rappeler le bleu endeuillé des peintures

dédiées à son ami Casagemas. En montrant ce tableau à Pierre Daix lors d’une de ses visites à

Mougins, Picasso dira : « J’ai fait un dessin hier […] Je crois que j’ai touché là quelque

chose […] Ça ne ressemble à rien de déjà fait » (Ferrier 197). Une esthétique de la souffrance

qui s’exprime à travers une facture picturale violente. En effet, on est immédiatement attiré

par le regard fixe du personnage. Les yeux, dont les pupilles troubles et irrégulièrement

dilatées semblent hypnotisés, trahissent un esprit préoccupé et expriment à la fois la

vulnérabilité et la terreur.

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La tête, coiffée d’un fin duvet dont le sommet est aplati, paraît démesurée et lourde par

rapport à la fragilité des épaules qui la soutiennent. La masse crânienne est semblable à un

bloc en équilibre. Monumentalité et instabilité vont ici de pair pour évoquer la réalité cachée

sous ce visage terrifié, qui met à nu le plus intime de son être. Car l’autoportrait ne révèle pas

le modèle, sinon une dimension du visible découverte par le peintre, qui s’efforce par

l’organisation des formes et des couleurs de l’offrir à notre regard. On note également une

entaille verticale qui part du sommet du crâne jusqu’à l’œil droit. La bouche est constituée de

deux lignes dures et fermes. Le nez est immense et aplati, les narines proéminentes. Les rides

prononcées sous les yeux et sur les joues marquent le passage du temps sur ce visage ravagé

par la peur. Or symboliquement, la ride qui s’installe, c’est la révolte qui éclate, le

renoncement qui s’inscrit. Refuser de vieillir, c’est refuser de mourir, refuser d’aller contre la

vie. Pourtant, quelques mois plus tard Picasso nous quittait. En projetant dans ce masque ses

souffrances afin de mieux les affronter, cette œuvre aura été sa dernière « toile d’exorcisme. »

***

« Si nous donnons une forme aux esprits menaçants, nous devenons indépendants. Les

esprits, l’inconscient, l’émotion, c’est la même chose. J’ai compris pourquoi j’étais

peintre » (Malraux 18).

Violente, la peinture de Picasso l’est, tout comme l’homme peut l’être au niveau de

l’instinct. Seules les choses vues constituent pour l’artiste la connaissance et le savoir. De ce

fait, son regard est en perpétuel éveil. Il scrute les objets, les expressions, les évènements,

pour en dévoiler toute la profonde nature, l’intacte et souvent insoupçonnable réalité. Et son

besoin de transparence va le hanter jusqu’à la fin de sa vie, à travers un combat d’une

prodigieuse vitalité pour exprimer tout ce qu’un être humain peut connaître à chaque moment

de son existence. Le penchant à l’introspection, à l’examen de soi est perceptible dans toute sa

création. C’est ainsi que la maladie et la mort, les crises personnelles, les années noires de la

guerre, se traduiront dans son œuvre coïncidant avec sa vie et son époque. Car Picasso est un

« peintre d’humeur. » Lorsque s’accumulent les malheurs, il se retrouve au diapason de la

sensibilité et demande à la création d’exprimer la souffrance aussi violemment qu’il l’a

ressent.

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Les formes, les lignes, et les couleurs torturées sont la projection simple et directe sur la toile

du déchirement qui devient une image concrète. De ce fait, Picasso accomplit pleinement la

fonction de la peinture signalée par Lacan: combler du manque à voir. Donner à voir ce qui

n’aurait pu être vu si cela n’avait pas été peint. Aussi, les visages déformés et les corps

bouleversés se situent au-delà de l’art car ils sont le portrait moral d’une société de bourreaux

et de victimes. Dans l’échantillon d’œuvres que nous avons choisi pour illustrer notre étude,

Picasso fait appel aux émotions du spectateur. Pour produire leur impression, les œuvres du

maître s’adressent à nos sentiments profonds. Sur la toile, l’artiste laisse s’exprimer librement

son inconscient car « l’art est le lieu de la liberté parfaite » (Suarès). Le thème joue alors le

rôle de déclencheur d’une chaîne d’associations renvoyant à une connaissance émotionnelle et

reliée aux conditions psychiques d’un être humain dirigé par ses pulsions. L’appel aux

émotions a donc pour fonction de déclencher un conflit intérieur voire un choc émotionnel car

pour Picasso, la peinture est associée aux pulsions vitales les plus intenses. Cette frénésie

créatrice qui l’animera toute sa vie témoigne d’un instinct de survie qui n’aura cessé d’être

présent jusqu’aux derniers instants de son extraordinaire existence. Le maître andalou ne

pouvait « surmonter [ses] frayeurs qu’en leur donnant couleur et forme » (Gilot et Carlton

249). Une esthétique de la violence qui polarise aujourd’hui l’attention du monde

contemporain comme pour mieux dévoiler sa sensibilité au monde entier.

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Page 15: Malika Amrane - Peindre la souffrance: Picasso et une esthétique de la violence

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