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MALÉDICTION

À CHINATOWN

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R o m a i n S l o c o m b e e t E t i e n n e Lavault

Un i l lustrateur-écrivain et u n commissai re de

police, voilà u n e associat ion dé tonnan t e ! Ro- m a i n Slocombe et Et ienne Lavaul t o n t pour - t a n t bien des po in t s c o m m u n s : ces deux amis, pa r i s i ens de longue date, p a r t a g e n t la même pas s ion p o u r l'Asie, en pa r t i cu l i e r le J a p o n où ils o n t séjourné. Voilà p o u r q u o i ils on t choisi, d a n s l eu r p r e m i e r r o m a n à q u a t r e mains, de s ' intéresser a u q u a r t i e r chinois de Par i s : Malé- diction à Chinatown é ta i t né. Si R o m a i n Slo-

combe y a déployé ses talents d 'écr ivain p o u r adul tes et adolescents... et d ' i l lustrateur, bien sûr, Et ienne Lavau l t a, lui, appor té sa connais- sance d u « milieu » : d u r appor t de police a u r o m a n policier, il n 'y a p a s si loin, se plaît-il à souligner...

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ROMAIN SLOCOMBE / ÉTIENNE LAVAULT

M A L É D I C T I O N

À C H I N A T O W N

IMAGES DE ROMAIN SLOCOMBE

H HACHETTE

Jeunesse

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© Hachette Livre, 1994. 79, boulevard Saint-Germain, Paris VI

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1

LE TRIANGLE JAUNE

Fascinée, Mylène observait le Chinois. Le vieillard se déplaçait au ralenti — ses

mains décrivaient une série de cercles har- monieux tandis qu'il avançait, reculait, pivo- tait sur un talon, donnait un lent coup de pied, bras tendus. Dans le parc, les prome- neurs se retournaient, surpris, avant de pour- suivre leur chemin. Seule Mylène ne pouvait se résigner à quitter des yeux le gymnaste insolite.

« Tu viens ? On va être en retard. »

Son amie Agnès s'impatientait. Pour elle, le spectacle n'avait rien d'extraordinaire. Chinoise par sa mère, elle avait grandi au milieu de la communauté asiatique de Paris.

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Mylène la rejoignit à regret. « Mais qu'est-ce qu'il fait ? On dirait de la

danse. »

Agnès rit, passant les doigts dans ses che- veux noirs pour les ramener en arrière. Cet après-midi, avec son maquillage accentuant l'amande de ses yeux bridés, elle parut à Mylène encore plus chinoise que d'habitude.

« Cet honorable vieux monsieur pratique le Tai chi chuan, une très ancienne gymnas- tique apparentée au Kung fu. Tu n'en as jamais vu des images dans les films docu- mentaires, à la télé ? A Pékin ou à Shanghai, à l'aube, les habitants sont dans les rues, ils répètent les mouvements en groupe. Il paraît que c'est excellent pour la santé.

— Ah si ! A présent, je me souviens. En tout cas, c'est très beau. Ça donne une impression de sérénité, de calme... »

Mylène se retourna, une dernière fois. Le vieil homme vêtu de blanc poursuivait sa danse dans la lumière du soleil. Un chat noir, sorti d'un buisson, vint se frotter contre ses jambes.

Les deux amies, la brune et la blonde, quittèrent le square pour traverser la rue de Tolbiac. Devant elles, les tours du 13 arron- dissement et les deux avenues d'Ivry et de Choisy délimitaient un triangle exotique et

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mystérieux — le quartier le plus secret de la capitale. Mylène entrait pour la première fois dans Chinatown.

Mylène Delvaux était en quatrième au lycée Montaigne. Juste après les vacances de Noël, une nouvelle élève avait fait son appa- rition dans la classe. Elle s'appelait Agnès Ollier.

Le nom et le prénom étaient français, le visage nettement asiatique. Une métisse ? se demanda Mylène, l'observant à la dérobée pendant le cours. La nouvelle venue s'installa au fond, où restait une table libre. L'air sérieux, réservé, elle était vêtue d'une jupe étroite et d'un pull noirs. Noirs également, avec des reflets bleus, les cheveux qui lui descendaient à la taille. Mylène aussi venait d'arriver à Montaigne et n'avait guère eu le temps de se faire des amis. Elle se promit de lui adresser la parole dès la sortie du lycée.

A la sonnerie de cinq heures et demie, elle suivit Agnès Ollier dans la foule qui envahis- sait les escaliers et les couloirs, se bousculant vers le portail. Rue Auguste-Comte, une Mer- cedes blanche stationnait au milieu des cyclomoteurs et des vélos.

Un chauffeur, chinois ou vietnamien, attendait, impassible, au volant. Un second

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Asiatique, à la carrure impressionnante, ouvrit la portière à Agnès qui s'assit, son cartable sur les genoux. La portière claqua. L'homme contourna vivement la voiture et, après un rapide coup d'œil à droite et à gauche, s'installa près du chauffeur. La Mer- cedes bondit, manquant heurter les lycéens qui s'écartèrent en criant. Stupéfaite, Mylène la regarda disparaître au coin de la rue.

Mylène, qui avait hérité de son père, auteur de romans policiers, une imagination galo- pante, eut du mal à s'endormir ce soir-là. Pourquoi Agnès Ollier avait-elle besoin de gardes du corps ? Ses parents étaient-ils donc si riches ? Craignaient-ils un enlèvement ? Le lendemain matin, elle rejoignit Agnès dans la cour et se décida à l'aborder.

« Bonjour ! Moi, c'est Mylène. Mylène Del- vaux. »

Un peu surprise, la nouvelle élève la dévi- sagea avant de répondre, d'un ton posé :

« Moi, c'est Agnès Ollier. — Je sais. J'ai bien entendu ton nom, hier,

quand la prof de français t'a présentée. Tu es de quelle origine ?... Je veux dire, euh... »

Mylène s'interrompit. Agnès sourit de son embarras.

«Je suis eurasienne. De père français et de mère chinoise. Maman a vécu au Viêt-nam

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jusqu'à la fin de la guerre. Moi, je suis née à Paris. »

Mylène ne put se retenir de l'interroger sur les deux h o m m e s venus la che rche r en

l imousine . O n aurai t dit des gangs ters . L'Eurasienne éclata de rire.

« Tinh et Binh, des gangsters ! C'est drôle... Non, ce sont deux employés vietnamiens de la société de mon grand-père. Grand-père Dong m'aime beaucoup, il a peur quand je rentre seule. Alors, pour lui faire plaisir, je suis bien obligée de me faire escorter. »

Mylène rit à son tour, confuse. Encore un tour de son imagination ! Mais la glace était rompue entre les deux filles. Elles rejoi- gnirent leur classe en bavardant. Pendant les jours qui suivirent, Agnès Ollier répondit volontiers aux quest ions de Mylène, qui s'intéressait à l'Extrême-Orient...

« Tu tombes bien : grand-père Dong dirige un supermarché asiatique dans le 1 3 arron- dissement, et Maman tient un restaurant rue

Saint-Jacques. — C'est vrai ? Je demanderai à mon père

de m'y emmener. » Agnès sourit. « Si tu veux... D'ici là, j'ai une meilleure

idée : une copine de mon frère donne une b o u m d imanche soir, dans u n e tour de

Chinatown. Ça te dit, de venir avec moi ? »

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L'avenue d'Ivry coupe l'ancien quartier du 13 depuis le carrefour de Tolbiac jusqu'aux boulevards extérieurs, mêlant au béton des tours banlieusardes la gaieté de ses enseignes colorées, couvertes d'idéogrammes. Passé la rue Baudricourt, on s'aventure pour de bon dans Chinatown. Mylène croisait des lycéens gominés qui roulaient des mécaniques, des livreurs déchargeant des sacs de riz, des vieux Indochinois au visage raviné par la guerre et l'exil. Les noms des restaurants fai- saient rêver : My-Canh, Royal-Saigon, Sara- w a n Seuls Européens, excepté Mylène, un agent de police et une contractuelle exami- naient, curieux, la vitrine d'une pâtisserie.

Mylène s'arrêta net. « Mmm !... Chaussons à l'ananas, crème de

lotus, nougats au sésame ! » Les filles poussèrent la porte vitrée, se ser-

virent sur des plateaux à l'aide de pincettes en bois. Elles ressortirent ravies, enfournant gâteau sur gâteau et riant la bouche pleine.

Une bourrasque les saisit sur l'avenue. L'enseigne posée contre une bijouterie s'écroula avec fracas. Le patron, un petit Lao- tien ventru, la remit en place en grommelant et leva la tête, étonné.

Entre le béton gris des tours, les nuages

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menaçaient, larguant déjà des traînées sales sur le bleu du ciel. Le tonnerre roula. Mylène remonta la fermeture de son anorak, Agnès boutonna son très chic manteau noir. De

grosses gouttes mouchetaient le sol. La lumière baissait rapidement.

Les filles firent les derniers cent mètres en

courant, jusqu'à la tour Rossini. L'avenue d'Ivry s'était vidée en quelques secondes. Isolée dans l'espace vert au milieu des tours, une ménagère cantonaise gambadait parmi les flaques, poursuivant son parapluie retourné par le vent. L'objet termina son vol contre un buisson. Là, Mylène remarqua deux yeux jaunes luisant dans l'ombre, ceux d'un matou réfugié sous le feuillage.

Haletante, trempée, Agnès consultait la liste des locataires :

« Hum... Lam, Luu, Young, Wong, Tsui, Voo... Ah, voilà ! Liu. Ascenseur C, 3 1 étage, appartement 365.

— Tu n'es donc jamais venue ? s'étonna Mylène.

— Non. Angela Liu est surtout copine avec mon frère Loïc. Il sera là, je te le présenterai. »

Deux gamines en patins à roulettes et un Asiatique au béret ruisselant attendaient l'ascenseur C. Enfin, la porte coulissante libéra une foule bruyante. Incroyable qu'une

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cabine aussi étroite pût contenir autant de monde ! Mylène s'adossa à la paroi du fond. L'ascenseur démarra en sursaut, monta en flèche. Le cœur et l'estomac de Mylène bon- dirent aussi. Impossible de s'arrêter avant le 2 1 où la cabine stoppa brutalement pour libérer l'homme au béret. Re-départ en sur- saut, et coup de frein. Les fillettes aux patins à roulettes descendaient au 2 5 étage. Lorsque, enfin, les portes s'ouvrirent sur le 3 1 étage de la tour Rossini, Mylène avait les jambes flageolantes et mal au cœur.

« Qu'est-ce qui se passe ? Ça ne va pas ? s'inquiéta Agnès.

— Si, si. Ça va mieux maintenant. Tu as déjà vu un ascenseur aussi dingue ? Moi, jamais. »

Agnès rit et s'engagea dans le couloir vert sombre. Elle sonna au 365. Un morceau de rock pulsait lourdement de l'intérieur. Mylène démêla en hâte ses cheveux collés par la pluie.

Une Chinoise ouvrit. La cinquantaine envi- ron, vêtue à l'européenne. Dans le salon, la chaîne hi-fi fonctionnait à plein volume. Le centre de la pièce servait de piste à quatre ou cinq couples de danseurs. Les autres se tenaient sagement debout contre les murs, un verre à la main. Age moyen : dix-sept ou

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dix-huit ans, et uniquement des Asiatiques. Sur la table couverte d'une nappe transpa- rente, un copieux buffet : ananas, rouleaux de printemps, crevettes, li-tchis, et friandises non identifiables. Agnès servit d'autorité à Mylène un grand verre de liquide blanc où flottaient des glaçons.

« Merci. Qu'est-ce que c'est ? — Jus de coco. Goûte, c'est rafraî-

chissant... Ah, Angela ! » Une grande fille osseuse, aux cheveux fri-

sés, robe de satin blanc très voyante, serra la main d'Agnès, froidement. Mylène la trouva antipathique. Elle s'éloigna de quelques pas et vint se poster près d'une fenêtre. La pluie ruisselait contre les vitres.

Du 3 1 la vue était impressionnante. Des rafales ébranlaient la tour, isolée comme un navire pris dans un cyclone. Les nuages noyaient l'horizon. En bas, la circulation se réduisait à une procession de véhicules- jouets avançant au milieu de gerbes d'eau.

Soudain, la fenêtre s'ouvrit toute seule, repoussant violemment Mylène et renversant un guéridon avec son vase de fleurs.

Les danseurs s'immobilisèrent et tout le monde se retourna vers Mylène d'un air sur- pris. La malheureuse redressa le guéridon pour se donner une contenance, tandis

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qu'Angela Liu venait refermer la fenêtre, sans un mot. Un jeune homme à lunettes s'appro- cha et s'inclina poliment devant Mylène, en rougissant. Son costume trois-pièces gris clair était trop serré, et sa cravate trop large.

« Ma sœur m'a beaucoup parlé de vous. Je me présente : Loïc Nguyen. »

La poignée de main du jeune homme fut franche et ferme. Mylène s'étonna du nom de famille, Nguyen.

« En fait, je suis le demi-frère d'Agnès. Je viens du Viêt-nam.

— Vous êtes venus en bateau ? » hasarda

Mylène qui avait vaguement entendu parler des Boat people.

Loïc eut un sourire amusé. «Oh, non... en avion. Ma famille a de

l'argent. » Un ange passa. Mylène ne savait pas trop

quoi dire. « La France vous plaît ? lança-t-elle enfin, à

court d'imagination. Je veux dire, vous êtes heureux ici ?

— Oui, bien sûr. Vous savez... ou plutôt tu sais, je n'avais que cinq ans quand nous sommes partis. Je me souviens à peine du Viêt-nam : de la chaleur, beaucoup de ver- dure, même dans les villes. Le goût des bananes que je cueillais, l'odeur des fleurs... »

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Loïc regarda par la fenêtre. « Mais je n'oublierai jamais les premières

heures sur le sol français. Maman et moi, nous avons débarqué à Roissy en plein hiver. Je portais une chemisette — nous ne nous attendions pas à un tel froid. Les gens aussi m'ont paru froids. C'était triste. Un temps gris, sombre, comme ce soir. Heureusement, grand-père Dong était là, il nous attendait dans le hall de l'aéroport... »

C'était la troisième fois au moins que Mylène entendait parler de « grand-père Dong ». Elle interrogea Loïc, qui sourit :

« Oh, c'est un très, très vieux Chinois. Le grand-père de ma mère, en réalité. Il est arrivé ici pendant la guerre de quatorze. Vous aviez besoin de main-d'œuvre, à l'époque, pour remplacer les hommes partis au front. Trente mille ouvriers chinois ont

donc été "importés" de la région de Wen Zhou.

— Ah ? Je ne savais pas... — Ça ne m'é tonne pas, on ne vous

apprend pas ça, à l'école. Après la guerre, grand-père Dong s'est mis à ramasser des bouts de cuir que jetaient les usines, et il a fabriqué des porte-monnaie avec. Bientôt il a eu sa boutique de maroquinerie. Il a fini par devenir riche, aujourd'hui il possède une chaîne de supermarchés, avec des centaines

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d'employés. Le magasin principal est au pied de cet immeuble. Regarde, on le voit d'ici. »

Loïc désignait un vaste hangar recouvert de tôle ondulée et de plastique, et surmonté de lettres de néon rouges. Mylène déchiffra, à l'envers : ASIA-SUPER DONG. Elle entendit à

peine le téléphone qui sonnait, recouvert par la voix de Madonna. Angela Liu finit par aller répondre. Elle fit signe à Loïc de la rejoindre. Livrée à elle-même, Mylène erra autour du buffet. Elle ne connaissait pratiquement per- sonne ici, quelle barbe ! Et Agnès qui dansait sans s'arrêter... Mylène grignota un gin- gembre confit. Houlà ! c'était fort. Elle reprit du coco glacé pour éteindre l'incendie.

Au téléphone, Loïc semblait absorbé dans une violente discussion. Sitôt le combiné rac-

croché, il alla cueillir Agnès parmi les dan- seurs. Frère et sœur se chamaillèrent en chinois avec véhémence. Agnès, blême de rage, vint chercher Mylène.

« Allez, on s'en va. — Mais qu'est-ce qui se passe ? — Grand-père Dong. Il paraît que je n'ai

pas le "droit" d'être ici. Il envoie Tinh et Binh me chercher ! »

Déjà Agnès enfilait son manteau dans l'entrée, tremblante de colère. Très gêné, Loïc escorta les filles sur le palier. Agnès appuya

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avec insistance sur le bouton de l'ascenseur, comme s'il s'agissait d'un ennemi personnel. Mylène ne put s'empêcher de rire :

« Laisse-lui le temps d'arriver ! » Quittant l'appartement voisin, une jeune

Asiatique en ciré noir vint attendre elle aussi, avec à son bras une petite vieille au visage déformé par une horrible cicatrice. La cabine arrivant, Mylène s'effaça pour les laisser pas- ser les premières. Puis elle se rappela l'expé- rience désagréable de la montée.

« Vous n'entrez pas ? » La jeune femme leur souriait, maintenant

l'ouverture des portes coulissantes. « Hem, non... Allez-y, je vous remercie. » Mylène tira Agnès par le bras. « Viens. On prend l'escalier de service ! » Exaspérée, son amie s'indigna : « Trente et un étages ! Mais tu es folle ou

quoi ? » Mylène fut la première à s'apercevoir qu'il

se passait quelque chose d'anormal. Un bruit étrange... un claquement dans les hauteurs de l'immeuble, du côté de la machinerie, puis les hurlements stridents des prisonnières de l'ascenseur. La cabine folle plongeait vers le sol avec un raclement terrifiant. Mylène bous- cula Agnès et commença à descendre quatre à quatre. Horrifiées, les filles entendirent le

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« Ah, mon Mao ! Il est en pleine forme, vois comme son poil est brillant ! Il mange peut-être un peu trop... »

UN PEU trop ? Mylène n'avait jamais ren- contré de matou aussi bedonnant. L'animal

était probablement atteint de boulimie, et il manquait d'exercice.

« Il ne se sauve plus dans les escaliers, ajouta la vieille. Hein, petit voyou ! »

Elle lui assena une légère tape entre les oreilles. Mao bâilla, se roula en boule, ron- ronna.

Mylène réfléchit. Puis, prenant son cou- rage à deux mains :

«Madame, euh. . . je voudra is vous demander... »

La petite dame sourit, inoffensive. Son agressivité de l'autre fois avait entièrement disparu. Mylène continua, encouragée.

«Je me rappelle que... vous m'aviez parlé d'un magicien, qui s'était réveillé au fond des "sources jaunes". Quelque part sous les tours. »

Le sourire sur le visage ridé se figea. La Vietnamienne répondit, en regardant ail- leurs :

«Je pense que tu te trompes, My-Liên. Je ne connais pas de magicien.

— Mais... Si, j'en suis certaine, vous

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disiez même qu'il était... "trop fort pour vous". »

La vieille éclata d 'un rire sec.

«Je vois... Tu vis dans un monde de rêve, My-Liên. Parmi les magiciens, les fan- tômes.. . Cela peut devenir dangereux. Qu 'es t -ce q u ' u n e enfant comme toi comprend à ces choses ? »

Vexée, la jeune fille rougit. Mao se réveilla, sauta à terre et se frotta

amoureusement contre les chevilles de

Mylène qui recula sur le banc, prudente. « Tu as toujours peur de mon petit tigre,

My-Liên ? Souviens-toi qu'il ne faut jamais avoir peur. Les chats ne sont que des tigres nains. N'est-ce pas, mon Mao ? Laisse la Française tranquille, elle a peur de toi. Je crois qu'à Chinatown, elle a rencontré trop de tigres et de dragons. »

Un peu estomaquée, Mylène ne sut quoi répondre. Elle regarda l 'étrange vieille dame se lever, prendre son chat dans les bras et s'éloigner lentement en direction des tours. Mylène la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle eût quitté le square.

De l'autre côté de la rue de Tolbiac, le supermarché Liudong était recouvert de bâches et d'échafaudages. Deux grues sur- plombaient le chantier, et le quartier réson-