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m NATHALIE kft* PARAIN par Michel Defourny V A l'émerveillement de découvrir la belle exposition « Ronds et Carrés » présentée à Orly*, s'ajoutait, le soir de l'inauguration, le plaisir d'écouter la conférence que Michel Defourny a consacrée à Nathalie Parain. En voici le texte : pour pénétrer dans l'univers d'une grande artiste, comprendre comment elle se situe dans l'effervescence des courants artistiques de son temps et comment son oeuvre inscrite au coeur du projet éditorial du Père Castor stimule aujourd'hui le regard des petits et des grands. I mpossible d ' a b o r <l e r l'oeuvre 1 de Natha- lie Parain sans la mettre en relation avec les courants d'avant-earde de l'époque. Je pense bien sûr ici au bouillonnement artistique que Natalia Tchel- panova a connu en Union Soviétique, avant son arrivée en France. Mais également à d'autres mouvements dont son art est proche, au Stijl en Hollande et au Bauhaus en Allemagne. Impossible d'aborder l'oeuvre de Nathalie Parain sans évoquer son principal foyer de rayonnement, à savoir « Les Albums du Père Castor ». Si quelques-uns de ses livres sont parus chez Galli- mard, la plupart onl *** publiés ^ ans ^ es toutes nouvelles collec- tions ' l '"' '''''''' Paul Faucher chez Flammarion. Je j-^ mgs maS q Ues en 1931 est le premier ouvrage publié par le Père Castor. Impossible d'aborder l'oeuvre de Nathalie Parain sans évoquer les options fondamen- taies de « La Nouvelle Education » dont Paul Faucher est un parfait représentant. Nathalie Parain est née en 1897 à Kiev, en Ukraine, sur les rives du Dnieper. La jeune fille qui a suivi son père, professeur de phi- * Voir « Echos » page 56. 1. D ne sera question ici que de la première partie de l'oeuvre de Nathalie Parain (1931-1935), l'exposition mettant principalement l'accent sur les oeuvres antérieures à la collaboration avec Marcel Aymé. Comme on ne peut passer sous silence Les Contes du chat perché, je me permettrai de renvoyer à l'étude de Claude-Anne Parmegiani qui leur consacre une analyse à la fin de son beau livre Les Petits Français illustrés, Cercle de la librairie. 74 / LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS

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Page 1: m NATHALIE kft* PARAIN - CNLJcnlj.bnf.fr/sites/default/files/revues_document_joint/... · 2017. 11. 27. · j-^ mgs maSqUes en 1931 est le premier ouvrage publié par le Père Castor

m NATHALIEkft* PARAIN

par Michel DefournyV

A l'émerveillement de découvrir la belle exposition « Ronds etCarrés » présentée à Orly*, s'ajoutait, le soir de l'inauguration,

le plaisir d'écouter la conférence que Michel Defourny a consacréeà Nathalie Parain. En voici le texte : pour pénétrer dans l'univers

d'une grande artiste, comprendre comment elle se situedans l'effervescence des courants artistiques de son temps

et comment son œuvre inscrite au cœur du projet éditorial du PèreCastor stimule aujourd'hui le regard des petits et des grands.

I m p o s s i b l ed ' a b o r <l e r

l'œuvre1 de Natha-lie Parain sans lamettre en relationavec les courantsd'avant-earde del'époque. Je pensebien sûr ici aubouillonnement artistique que Natalia Tchel-panova a connu en Union Soviétique, avantson arrivée en France. Mais également àd'autres mouvements dont son art estproche, au Stijl en Hollande et au Bauhausen Allemagne.Impossible d'aborder l'œuvre de NathalieParain sans évoquer son principal foyer derayonnement, à savoir « Les Albums du PèreCastor ». Si quelques-uns de ses livres sont

parus chez Galli-mard, la pluparto n l *** publiés^ a n s ^es t o u t e s

nouvelles collec-t i o n s ' l '"' ''''''''Paul Faucher chez

Flammarion. Jej - ^ mgs maSqUes

en 1931 est le premier ouvrage publié par lePère Castor.Impossible d'aborder l'œuvre de NathalieParain sans évoquer les options fondamen-taies de « La Nouvelle Education » dont PaulFaucher est un parfait représentant.

Nathalie Parain est née en 1897 à Kiev, enUkraine, sur les rives du Dnieper. La jeunefille qui a suivi son père, professeur de phi-

* Voir « Echos » page 56.1. D ne sera question ici que de la première partie de l'œuvre de Nathalie Parain (1931-1935), l'exposition mettantprincipalement l'accent sur les œuvres antérieures à la collaboration avec Marcel Aymé. Comme on ne peut passersous silence Les Contes du chat perché, je me permettrai de renvoyer à l'étude de Claude-Anne Parmegiani quileur consacre une analyse à la fin de son beau livre Les Petits Français illustrés, Cercle de la librairie.

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losophie, à Moscou, fait des études artis-tiques à l'Institut des Arts décoratifs etappliqués Stroganov, dans l'atelier de Kont-chalovski. Elle parachève sa formation auxVhoutemas, avec Chterenberg, pour la pein-ture (ce dernier défend la peinture de cheva-let alors fortement contestée, parce queconsidérée comme bourgeoise) et Favorski,pour les arts graphiques. « Favorski, a-t-onpu écrire, cherche à faire du livre une unité àla fois fonctionnelle et esthétique, un outil delecture et une œuvre d'art. »

Les avant-gardes russesMoscou et Saint-Pétersbourg connaissent àl'époque une effervescence artistique éton-nante.

Avant, pendant et après la révolution de1917, les artistes explorent des voies nou-velles. Cézanne et Matisse avaient exercé uneinfluence considérable sur les jeunes généra-tions. L'espace s'était aplati. Le primitivismeavait conduit vers des formes simplifiées,libres de tout artifice. « Broderies sibé-riennes, jouets, moules à pâtisseries, lubokfurent, selon Camilla Gray, source d'inspira-tion pour des artistes tels que Larianov etGontcharova. » Le cubisme et la décomposi-tion des formes avaient fasciné Tatline quiavait fait le voyage jusqu'à Paris pour ren-contrer Picasso.

Kasimir Malevitch, sous l'influence du cubo-futurisme, opère une géométrisation defigures paysannes massives, puis il opte pourdes combinaisons de formes abstraites,suprématistes.Malevitch a marqué profondément l'histoirede l'art moderne avec des tableaux aussiimportants que Carré noir sur fond blanc oula série Blanc sur blanc.Parallèlement se développent le constructi-visme de Tatline (assez personnel - avec desformes plus organiques), celui d'El Lissitzky

et de Rodchenko (plus géométrisant, plusabstrait). Il s'agit pour ces « artistes-ingé-nieurs » de créer cet art industriel auquelnous donnons aujourd'hui le nom de design.On s'occupe alors de l'environnement quoti-dien : de la chaise au vêtement de travail, enpassant par la typographie, l'art de la miseen pages et celui de l'affiche.

La typographie commence à préoccuper lesartistes. « Ce n'est pas par le canal desoreilles, mais par celui des yeux que le livretrouve son chemin vers le cerveau. Sur cettevoie les ondes affluent avec une rapidité etune intensité beaucoup plus grande que surla voie acoustique » écrivait El Lissitzky, en1920, dans « Ounovis ».

El Lissitzky qui s'est lui-même défini « archi-tecte, peintre, photographe, typographe »publie en 1922 un livre pour enfants (et pourtous), L'Histoire de deux carrés. Le livreparaît à Berlin, assemblé par l'auteur pourSythian Press, précise la dernière page ; puisen seconde édition dans la revue hollandaiseDe Stijl, dans le numéro d'octobre-novembre1922. L'année suivante, El Lissitzky proposeune anthologie de poèmes de Maïakovski, « Alire à haute voix », un chef-d'œuvre danslequel lettres et signes, entre abstraction etfiguration, s'architecturent en compositionque l'artiste considère comme un accom-pagnement musical. Je rêve que ce chef-d'œuvre soit réédité un jour.

Bauhaus et StijlKandinsky, l'un des principaux fondateursde l'art abstrait, qui a d'abord été membreinfluent du Blaue Reiter, a publié en 1912 unlivre qui a fait grand bruit De la spiritualitédans l'art, dans lequel il s'attachait notam-ment aux formes géométriques, le carré, lecercle, le triangle, le losange, le trapèze,« êtres purement abstraits, écrivait-il, quipourtant vivent, agissent et exercent uneinfluence. » II poursuivait : « Toutes ces

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formes sont citoyennes du royaume de l'abs-trait ». Wassili Kandinsky développera sesidées au Bauhaus de Weimar, l'écoled'architecture fondée par Walter Gropius etdans laquelle de nombreux maîtres de l'artcontemporain enseigneront, au nombre des-quels Paul Klee, Moholy-Nagy, OskarSchlemmer, Marcel Breuer et plus tard Lud-wig Mies Van de Rohe...

Le Bauhaus est fasciné par les formes origi-nelles. Walter Gropius affirme que toutecréation humaine repose sur la trilogie géo-métrique, cercle, triangle, carré, qui avaleur éternelle et universelle. Paul Klees'interroge sur la genèse de ces formes. PourJohannes Itten, elles expriment des mondesdifférents : le carré = la pesanteur ou la sta-bilité ; le cercle = monde spirituel des senti-ments, de l'air mouvant, de l'eau fluide ; letriangle = monde intellectuel logique,concentration, lumière, feu. En 1923, Was-

Histoire de deux carrés, El Lissitzky

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sili Kandinsky associe à chacune de celles-ciune couleur déterminée : triangle jaune,carré rouge, cercle bleu, soit du chaud aufroid, du clair au sombre, de l'actif au pas-sif.

Au Bauhaus, idées et projets fusent de toutesparts. En liaison avec les formes élémen-taires colorées, on retiendra ici dans ledomaine de l'ameublement le berceau dePeter Keler (1922) qui, vu de face, présenteune forme triangulaire, dont la pointe estbien sûr orientée vers le bas, le triangle lui-même étant inscrit dans un cercle qui permetle balancement. Et dans le domaine dujouet, le superbe jeu de cubes (1923) d'AlmaBuscher-Siedhof, réédité depuis quelquesannées chez Naef.

Les recherches du Bauhaus sont proches decelles d'un autre mouvement, De Stijl. EnHollande, autour de Piet Mondrian et deThéo Van Doesburg, des artistes et desarchitectes cherchent « la beauté pure »,affranchie de tout lyrisme individuel.« Nous voulons donc une esthétique nouvellebasée sur les rapports purs de lignes et decouleurs pures, parce que seuls les rapportspurs, d'éléments constructifs purs, peuventaboutir à la beauté pure... » (Mondrian,Réalité naturelle et réalité abstraite, 1919-1920). Ainsi donc les tableaux de Mondriansont construits sur la rectangularité, souli-gnée par des traits noirs, tandis que seulessont utilisées les couleurs fondamentales oule blanc, le noir et le gris. Un différendopposera ultérieurement Mondrian et VanDoesburg, ce dernier se faisant le défenseurde la ligne à 45° qu'il considère comme plusdynamique et plus moderne. Cette fameusediagonale est omniprésente chez lesconstructivistes ; souvenons-nous du projetde tribune métallique avec ascenseur conçupar El Lissitzky.

Revenons au Stijl. L'architecte Rietveldnous intéresse directement ici dans la mesure

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:

Brouette de Rietveld, & photo Samuel Defourny

où, dans son mobilier, il s'est plu à joueravec des plans rectangulaires, quelquefoiscirculaires, colorés de rouge, jaune, bleu etnoir - comme dans la chaise rouge et bleue(1918), dans la petite table - ou noir, gris,blanc - comme dans la chaise de Berlin(1925). Créant également des jouetsd'enfant, il construit une brouette qui utilisele cercle rouge pour la roue, le triangle jaunepour les faces latérales, et le rectangle bleuet noir pour le fond ; le noir et le blanc étantutilisés pour les bras.

Le livre pour enfants en UnionSoviétique, après la révolutionDu côté du livre de jeunesse, on savait enFrance, depuis l'exposition organisée parBiaise Cendrars et Povolovski, en 1928, à laGalerie Bonaparte à Paris, que le jeune Etatsoviétique avait développé un remarquableprogramme d'édition en direction del'enfance. Comme tant d'autres avant moi, jerépéterai les mots de l'auteur de La Prose duTranssibérien : « Tout le monde sait qu'enRussie les enfants sont les seuls " profiteursde la Révolution ", les seuls. Tout leurappartient, le pays, les villes, les trains, les

avions, l'avenir... Ne serait-il pas temps dedemander aux petits enfants russes de nousfaire voir leurs beaux livres d'images, denous apprendre à lire, à nous grandes per-sonnes déraisonnables de l'Occident ? » Cesont ces propos qui accueillaient le visiteurau moment où il entrait dans la remarquableexposition présentée récemment par laBibliothèque de l'Heure Joyeuse, en l'Hôtelde Sens. Reportez-vous à l'important ouvragepublié à cette occasion par Françoise Lévèqueet Serge Plantureux. Ce Dictionnaire desillustrateurs de livres d'enfants russes, demême que l'exposition, permettait de mesu-rer le foisonnement de la production etd'apprécier son niveau artistique. Dans l'undes articles liminaires du Dictionnaire,Madame Tatiana Maillard-Parain présente lacollection que Nathalie Parain, alors jeunemaman, avait constituée. Cette dernièreavait demandé à son mari, Brice Parain,envoyé en mission diplomatique en URSS, delui rapporter quelques titres et elle-même,lors d'un séjour familial à Moscou en 1930,avait complété sa bibliothèque. CitonsMadame Tatiana Maillard-Parain : « Elleindiqua de loin à son mari les noms desartistes dont elle avait vu les travaux pen-

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dant ses études d'art ou quand elle ensei-gnait le dessin aux écoliers moscovites :Natalia Ouchakova, Evguénia Evenbach,Lidia Popova. Et elle lui demanda desalbums déjà disponibles de Samouïl Mar-chak, illustrés par Vladimir Lébédev, et ceuxde Korneï Tchoukovski avec les dessins deVladimir Konachévitch. Brice Parain se pro-cura en outre Le Cheval de feu de VladimirMaïakovski qu'il avait rencontré lors de sonséjour précédent en URSS ainsi que deuxrecueils de chansons anonymes. En 1930,Nathalie Parain passa le mois de juillet danssa famille. Elle avait laissé sa petite fille enFrance. Mais elle ne l'oubliait pas. Elleacheta pour elle tous les nouveaux petitslivres qu'elle put trouver dont Mes jouets deDavid Chterenberg qui avait été son profes-seur aux Vhoutemas. »

Le Père CastorSi Nathalie Parain était attentive aux livrespour enfants qui venaient de son pays d'ori-gine, c'était certes parce qu'elle était àl'époque jeune mère et qu'elle voulait offrirà sa petite fille des livres dans sa proprelangue ; c'était également en raison de saformation artistique et de ses préoccupationspédagogiques (l'un de ses maîtres aux Vhou-temas, Chterenberg, avait lui-même publiédes livres pour enfants - pas moins de qua-torze, paraît-il). Mais c'est sans doute aussiparce que, à l'époque, c'est-à-dire en 1930,Nathalie Parain est devenue elle-même créa-trice de livres pour enfants. En tout cas, sonpremier livre, Mon Chat, est paru cetteannée-là chez Gallimard. Par ailleurs, PaulFaucher, un ami de son mari, lui a demandéde collaborer à son programme éditorial.

A différentes reprises^, le Père Castor sou-ligne l'importance qu'a eue Nathalie Parain,

au sein de sa maison. « J'ai commencé lesalbums avec une illustratrice qui apportaitun style nouveau et un don très sûr de lacouleur : Nathalie Parain » déclare-t-il àMarc Soriano. À Zurich, Paul Faucher estplus net encore : « J'eus la chance de ren-contrer Nathalie Parain, alors inconnue, etdont le talent influença par la suite bien desillustrateurs. C'est elle qui fit les images despremiers albums. Attirés par ce nouveaustyle, d'autres vinrent à nous qui n'avaientpas songé jusqu'alors que le livre d'enfantétait digne de leur talent. »

Nathalie Parain a contribué à la constitutionde l'équipe d'artistes immigrés d'originerusse qui gravite autour du Père Castor. Ellea présenté à Paul Faucher nombre de futurscollaborateurs, mais surtout les cinq pre-miers titres du Père Castor ont été réaliséspar elle-même, sans doute parce que, sur leplan pédagogique et artistique, il y avaitcommunauté de vue.

Les premiers albums du PèreCastorJe fais mes masques paraît en 1931. C'estle tout premier livre édité par le Père Cas-tor. C'est le second livre de NathalieParain. (Nous reviendrons sur le premier,dans un instant.) L'enfant y est moins lec-teur que constructeur. « C'est parce queces livres apportaient des jeux constructifsque ces albums furent placés sous le signed'un animal voué d'instinct à la construc-tion : le castor », a expliqué Paul Faucher(Girenbad 1957). Cette orientation devaitcertainement séduire une artiste qui avaitvécu dans le climat constructiviste. Je vousrenvoie ici aux animaux de forme géométri-sée réalisés en papier par Varvara Stepano-va et photographiés avec jeux d'ombre et

2. Aussi bien dans l'interview qu'il accorde à Marc Soriano pour le numéro spécial « Les Livres pour enfants »de la revue Enfance, en 1956, que dans sa conférence de Girenbad, en 1957.

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MASQUES

' : : s — . . • • • • . • • • • : • '

Je fais mes masques, ill. N. Parain, Flammarion éditeur

lumière par son mari Alexandre Rodtchen-ko, sous le titre Samozveri ou Animaux faitssoi-même.

Par ailleurs, le jeu avec le papier, notam-ment le découpage des ombres chinoises oula confection de ribambelles en frises, rele-vait des pratiques traditionnelles ainsi quenous le rappelait récemment encore Eliza-beth Ivanovsky, l'une des illustratricescontemporaines de Nathalie Parain. Auterme d'un habile découpage, de pliages soi-gneux, suivis d'un assemblage solidifié parquelques points de colle, l'enfant peutprendre le visage d'autres habitants de laplanète, voire s'y identifier. Grâce auxmasques de Nathalie Parain, le petit Fran-çais prendra les traits d'un Indien d'Amé-rique, d'un Esquimau ou d'un Africain.D'emblée, le Père Castor affiche une orien-tation humaniste et planétaire. Sans quel'éditeur en ait peut-être une consciencenette, les semences de la future collectionLes Enfants de la Terre sont jetées.

Quant à la couverture du livre, elle invite audynamisme. Les quatre visages, ceux de lafillette et du garçon, auxquels il convientd'ajouter les deux masques tenus par cha-cun, forment une diagonale qui incited'autant plus à l'action que le masque dugarçon est brandi à bout de bras, dans ungeste ostentatoire. La couverture n'est,somme toute, pas très éloignée de l'art del'affiche.

Nathalie Parain reviendra aux masques en1933, dans Masques de la Jungle, qui don-nent un visage aux principaux acteurs duLivre de la Jungle de Kipling.

Je découpe paraît la même année. Pour com-menter cet ouvrage, donnons la parole àClaude-Anne Parmegiani qui a été la premièreà se pencher sérieusement sur l'œuvre deNathalie Parain. C'est pour moi une manièrede rendre hommage à ses brillantes analysesdont je me sens proche parfois. Elle écritdans Les Petits Français illustrés 1860-1940(p.278) : « Dans la série d'albums-jeux réali-sés à la demande de Paul Faucher, lesciseaux et le papier sont à la fois l'instru-ment de la procédure employée par l'imageet le sujet de la technique proposée par lelivre ; activités de découpage, illustrées parun type d'image fabriqué à l'aide de papiersdécoupés ou de leur équivalent visuel.Papier et ciseaux constituent donc le déno-minateur commun du signifiant plastique etde la situation pédagogique (...). L'objectifpédagogique, mis en œuvre par l'expressiongraphique, fournit son premier titre à lasérie Je découpe. »

La mise en pages est équilibrée ; les formessimplifiées parlent directement à l'enfant.L'univers est familier, affectif presque :lapins, cochons, oiseaux, trains, bateaux, etc.J'aime particulièrement le bouquet defleurs, une composition articulée autourd'une diagonale posée sur un cercle, la tigeet le vase. Tout au long de l'élaboration de ce

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Je découpe, iïl. N. Parain, Flammarion éditeur

livre, et des suivants, Nathalie Parain etPaul Faucher échangent une correspondanceriche d'enseignements. Tandis que l'éditeurinsiste sur les contraintes techniques à res-pecter, l'artiste propose différents accompa-gnements textuels pour ses compositions,phrases descriptives, remarques éducatives,lecture décalée de l'image, comme cettelégende à propos de lapins et de carottes :« Us ont bien mangé les gourmands, il nereste plus que deux carottes » !

Mon ChatCes deux livres avaient été précédés parMon chat, ouvrage écrit par André Beucler,auteur presque oublié aujourd'hui. Le texteest magnifiquement typographie en lettresd'un noir profond, aux arrondis généreux,qui s'harmonisent avec les illustrations.Claude-Anne Parmegiani parle avec raisonde statut iconique des pavés typographiquesde cet album.

Comme dans Babar, son contemporain, lelivre s'est affranchi du cadre.Texte et images se déploient librement surl'espace-page, au point d'en sortir, en en

dépassant les limites matérielles. Est-ce pourtirer davantage parti de cette absence decadre ? Toujours est-il que Nathalie Parainutilise admirablement le hors champ, commedans cet épisode où l'un des personnages esttronqué. Le haut du corps est coupé ; seulsle bas du tablier et une paire de pantouflessignalent sa présence. Une audace inimagi-nable à l'époque ! D'influence japonaise ?On retrouvera cet emploi de la silhouettetronquée dans Bonjour-Bonsoir, à la planchede la promenade.

Faudrait-il voir une influence japonaise éga-lement lorsque le support-papier s'intègre àl'image ? Chaque fois que du blanc entredans la composition de celle-ci, c'est la pagequi offre sa matérialité et sa blancheur entreles formes ; ces dernières conférant à leurtour comme une forme au vide.

L'artiste a soigneusement évité de marquerau trait le contour de ces nouvelles formesissues des espaces entre les surfaces colo-rées ; ce qui accentue la fusion de l'image etdu papier et donne à l'ensemble de la com-position une grande légèreté.

Le chat quant à lui est représenté de manièreréaliste, tout en souplesse ou en mouvement.La perspective classique est respectée ; sonvolume est rendu, de même que la douceuret l'éclat de son poil. Le chat contraste avecles autres éléments constitutifs des images. Sinous choisissons la page qui montre la filletteet le chat en train de boire leur lait, chacuntourné dans une direction opposée, noussommes impressionnés par la simplificationdes formes, d'une part, et par la tendanceau réalisme, de l'autre.

Notre regard est d'emblée attiré par le rondrouge à peu près au milieu de la page, dou-blement décalé vers le haut et vers la droite.Cette forme plate apparaît comme suspen-due... elle pourrait presque tomber surl'animal, en longeant le bord droit du pavé

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Non cliat se meten boule, .«'arronditet s'élance, mais si

«pie fe n'ai pttule temps <te le voir.

Mon Chat, ill. N. Parain, Gallimard

Bibliothèque L'Heure Joyeuse - Paris

typographique ! Mais elle paraît si immaté-rielle que tout risque est écarté. Cette figureabstraite en aplat représente une balle, jouetmomentanément délaissé par les deuxacteurs de la scène, absorbés par leur activi-té du moment. Est-ce le rayonnement decette balle qui a engendré les courbes qui serépondent dans toute la composition, le dos-sier du tabouret, la tablette de la petite tablebleu clair, le double bord du bol ? L'éléphantlui-même qui décore le mobilier bleu répèteces courbes... et à l'endroit et à l'envers,tandis que, dans le bas de la page, le chatboit son lait dans une écuelle... arrondie évi-demment. La composition subjugue par sonéquilibre et sa beauté.

Nathalie Parain combine ici plusieurs tech-niques, notamment le papier découpé quiefface tout relief et la peinture en aplat.Arrêtons-nous encore pour le plaisir à l'unedes dernières pages de l'album. La coupe à

fruits toute ronde est vue d'en haut et l'unedes trois pommes est maintenue artificielle-ment en équilibre sur le bord du plat ; leverre et la cuillère sont traités de façoncubiste, la réfraction de la lumière renduepar les variations de tons de la gouache.Admirons ce superbe triangle qui représentela nappe et la chute de celle-ci.

/année 1932L'année 1932 est particulièrement riche. Sesuccèdent Crayons et ciseaux, Baba Yaga,dont le texte est écrit par Rosé Celli ; puisparaissent Ribambelles, Album magique, encollaboration avec Hélène Guertik, et Rondset carrés, sans doute l'une des réalisationsles plus significatives de l'artiste.

Dans Ribambelles, après avoir initié l'enfantà la technique du pliage et du découpage quipermet déploiement et répétition du motif,Nathalie Parain, joue sur le plein et le vide,une manière d'entrer dans le monde dupochoir auquel les étudiants russes étaientformés dans les écoles d'art.

Crayons et ciseaux affine la démarche miseen place dans Je découpe. À une phased'entraînement où le rôle de l'enfant se limiteà la reproduction, fait suite une phase decomplexification qui favorise l'initiative etl'autononùe.

Les grandes images de Nathalie Parain sonttrès fortes. Regardez la planche IX, l'orage :papier collé avec la stylisation des formesqu'impose cette technique, notamment dansl'expression du geste souvent démonstratif ;utilisation du support-papier pour le rendude certaines formes suggérées ; utilisation ducrayon de couleur entre abstraction et figu-ration, là c'est la pluie, là c'est le tourbillondu vent... La perspective est absente, la pro-fondeur de l'espace est rendue par I'étage-ment et la réduction de la taille des person-nages ou des surfaces.

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Album magique se regarde à l'aide delunettes rouge et verte ; il a été réalisé avecHélène Guertik (1897-1937), elle aussi d'ori-gine russe. Nathalie Parain avait présentéson amie à Paul Faucher. Entre 1932 et1937, date de sa mort (à l'âge de 40 ans),Hélène Guertik a réalisé de superbes albumsà colorier pour Paul Faucher. Souhaitonsune réédition de ceux-ci aux Amis du PèreCastor. Dans Y Album magique, deux imagesse superposent ; les lunettes permettent deles voir, l'une puis l'autre, presque en mou-vement. Elles rendent perceptibles en unefraction de seconde deux moments différentsplus ou moins éloignés dans le temps, deuxphases d'une transformation, ou tout sim-plement un couple oppositionnel : ainsi peut-on voir l'hiver et le printemps, la chenillemétamorphosée en papillon, le paon aurepos puis qui fait la roue, ou encore le petitEsquimau et le petit Noir.

Baba YagaAvec Baba Yaga, c'est l'aventure de l'illus-tratrice qui se poursuit. Commencée avecMore Chat, elle se prolongera dans les Contesdu Chat perché. Baba Yaga est un contetypiquement russe. Il raconte l'histoired'une gentille petite fille mal aimée par samarâtre qui l'envoie chez une ogresse. Lafillette fait face aux épreuves et reçoit lesobjets magiques qui l'aideront à triompherdes puissances du mal. L'artiste travaille lepapier découpé coloré ou à motifs, les aplatsà la gouache, le pochoir probablement et lescrayons de couleur. Elle utilise toutes les res-sources de la grande page, à commencer parsa blancheur ; comme dans Mon Chat, levide s'insinue dans les compositions, sépa-rant les formes et en créant d'autres, sansqu'aucun contour ne souligne celles-là. Seulsles éléments significatifs du récit ont été rete-nus. Tout pittoresque qui aurait distrait del'action a été volontairement gommé. Formes

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fe

Baba Yaga, Ul. N. Parain. Flammarion éditeur

simples et diagonales structurent le plus sou-vent une mise en pages extrêmementdépouillée.

Cercles : l'album s'ouvre sur une ronde defilles de village aux larges robes. Celles-ciforment un cercle coloré qui se superpose àune autre forme ronde de couleur verte quise dilue peu à peu, au fur et à mesure quel'on s'éloigne du centre, transposition géo-métrisante du pré où jouent les gamines.

Rectangles et triangles composent la cabanede la Baba Yaga. Nathalie Parain et RoséCelli n'ont pas fait référence aux représen-tations de tradition russe selon lesquellesces habitations qui tournaient sur elles-mêmes étaient posées sur une patte depoule. Derrière cette cabane au pignon tri-angulaire, proche des maisons de Chagall,la silhouette de deux sapins : formes trian-gulaires dont les bords sont évidés « trian-gulairement ». On retrouvera ces sapins tri-angulaires agrandis et en grand nombre,verts et noirs, lorsque le peigne, objetmagique, jeté par la fillette, se métamor-phosera en forêt fatale à la sorcière. Tri-

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angles encore formés par les pieds de latable à broder, elle-même rectangulairecomme le tabouret sur lequel la petite fille estassise.

Diagonales : elles structurent la mise enpages à plusieurs reprises, tout en conden-sant l'action. Voyons la quatrième image, aumoment où l'héroïne interrompt la broderieet dialogue avec la servante (invisible) àlaquelle elle offre son fichu. Les trois pointsforts de l'épisode correspondent aux troistaches rouges ordonnées le long d'une diago-nale ascendante qui entraîne notre regardvers le haut. Le renversement de la situationest amorcé et confirmé par l'image suivantetraversée elle aussi par une diagonale, des-cendante cette fois, qui nous attire vers lebas. La tension chute momentanément, lechat ayant déchargé son agressivité sur lemorceau de jambon ; ce qui le détourne de lafillette.

Examinons maintenant les images de fuite.Elles sont jumelles, comme le texte qui jouesur une répétition à variations. Chacune desdeux se déploie sur une double page et offreune extraordinaire subtilité de composition,nourrie peut-être par les recherches menéessur les perceptions visuelles et le mouve-ment, dans le cadre de Y Album magique.Sur ces deux doubles pages, l'avant etl'après sont présentés simultanément.L'héroïne apparaît en début et en fin deséquence. D'abord, sur la page de gauche,moitié supérieure, avec la taille qui a été lasienne tout au long de l'album ; à cet instant,elle jette l'objet magique, l'écharpe puis lepeigne. On l'aperçoit également dans le coininférieur droit, juste avant qu'elle ne sedérobe à notre vue. En raison de l'éloigne-ment et de la distance parcourue, elle esttoute petite, (cf. ill. p. 67).

Entre-temps, soit entre les deux représenta-tions de la gamine, l'obstacle issu de la méta-morphose de l'objet magique a envahi

l'espace, large rivière sinueuse ou épaisseforêt. Tandis que les sapins imposent leurverticalité, rappelant les dents du peigne, larivière ondulante traverse la page selon unediagonale orientée dans la direction opposée,comme pour contrer davantage les poursui-vants.

Ronds et carrés

Nous voilà en face d'un chef-d'œuvre. Lasimplification et la géométrisation des formessont menées à leur accomplissement. Natha-lie Parain produit une œuvre parallèle auxrecherches des avant-gardes évoquées plushaut. En feuilletant cet album, on ne peuts'empêcher de penser aux travaux d'El Lis-sitzky, de Gerrit Rietveld ou des artistes duBauhaus. On pourrait comparer les deuxbrouettes, le jouet de Rietveld et la composi-tion de Nathalie Parain...

Ronds et carrés, ill. N. Parain, Flammarion éditeur

N°186 AVRIL 1999/83

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Dans son souci de dépouillement, l'artiste aréduit sa palette à deux couleurs, le rouge etle noir, si souvent utilisées dans la typogra-phie des constructivistes, auxquels il fautajouter un pointillé noir assez dense surfond blanc. Elle a opté pour deux formes debase : le rond et le carré, matrices desautres formes : rectangles, triangles, tra-pèzes, losanges. Pour obtenir celles-ci, ilsuffit de juxtaposer ou de diviser ronds etcarrés, comme indiqué dans la premièrepage de l'album. Il est aussi possible de tra-vailler sur les rapports de ces formes entreelles, en jouant de l'inclusion ou de ladécoupe. On dispose alors de formes nou-velles et la création peut intégrer l'opposi-tion vide/plein...

Le foisonnement des combinaisons possiblesdonne le vertige. En même temps, toute réa-lité paraît réductible à une structure géo-métrique, ce qui conduit à une stylisationdes formes. La simplification oriente soitvers l'abstraction qui aboutit au design ouau signe, soit à l'art populaire qui nousentraîne vers le monde des jouets ou desmotifs folklorisants.

Au terme du parcours, les formes géomé-triques sont devenues des unités d'un langageuniversel auquel le Père Castor invite seslecteurs à s'initier. Chaque unité se charged'une signification précise en fonction desrelations qu'elle entretient avec les autres.Tel rectangle allongé, à proximité d'une sil-houette de bateau, n'est plus un rectangle, ilest devenu d'évidence une barque, et telautre aux dimensions plus réduites une bar-quette. Tel rond devient tantôt visage, tan-tôt pomme, tantôt roue... Pour permettre àchacun de maîtriser ce nouveau langage,tant sur le plan de la réception que de laproduction, des planches à découper sontproposées en fin d'album. Elles ressemblentà un jeu de construction en deux dimen-sions, bien rangé dans sa boîte.

Faisons notre marché, ill. N. Paraiii, Flammarion éditeur

Sous le signe de la couleur et dujeu d'associationsNous ne passerons pas en revue de façonaussi attentive les autres livres de NathalieParain.

Dans Allons vite (1933), la couleur à laquellel'artiste avait renoncé dans Ronds et Carrésest omniprésente, traduisant une gaieté,voire une jubilation que l'on retrouvera dansLes Jeux en images (1933), dans Bonjour-Bonsoir (1934) et plus encore dans Faisonsnotre marché (1935) où elle culmine à laplanche Bazar-Couleurs, aux teintes particu-lièrement vives. Le rouge, le vert et le jaunes'y étalent en triangles et carrés d'Arlequin,créant un rythme fantaisiste et contrasté. Descouleurs de chacune des boutiques émaneune atmosphère particulière, éveillant toutun monde de sensations. Une saveur froma-gère est associée au bleu et au lacté de la cré-merie. La chaleur et l'éclat rayonnent del'étal de fruits où se marient le jaune et lerouge, avec une touche de vert. Une impres-sion de fraîcheur vous saisit devant la pois-

84 / LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS

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sonnerie au bleu froid. La boulangerie vousouvre l'appétit avec sa couleur de pâte doréeet croustillante associée au chocolat. Danstous ces livres, l'artiste reste fidèle à elle-même et à ses techniques, compositionsstructurées, efficacité formelle du papierdécoupé, utilisation d'aplats colorés auxformes arrondies ou allongées pour figurerdes sols, valorisation du support-papier,pochoir, alternance d'ombre et de lumière...

Je terminerai par Bonjour-Bonsoir (1934) quivient d'être réédité en fac-similé avec l'accorddes éditions Flammarion, par l'Associationdes Amis du Père Castor, avec le concours del'Agence Culturelle de Paris et celui duConseil général de la Nièvre. Réjouissons-nous d'une pareille initiative et souhaitonsque, dans un avenir proche, des chefs-d'œuvre comme Ronds et carrés puissent êtreréédités avec la perfection qu'ils exigent.

Bonjour-Bonsoir appartient à la catégorie deslivres de jeu de reconnaissance et d'associa-tions. Faisons notre marché (1935), Jeu descris et des bruits (1938) appartiennent à cettemême veine. Ils annoncent lointainement lefameux Imagier du Père Castor de 1953.

Lisons le mode d'emploi : « Les images à déta-cher de cet album constituent pour les " toutpetits " un jeu de " reconnaissance ". »Entendez par là qu'ils reconnaîtront, pourla première fois peut-être, la figure d'objetsfamiliers. » Et Paul Faucher de rendre hom-mage aux images de Nathalie Parain, aprèsavoir insisté sur l'importance des premièresreprésentations offertes à l'enfant. « Lesdessins qui tels ceux de Nathalie Parain,communiquent à l'image la plénitude, la cou-leur et la poésie des choses, ne peuvent inci-ter l'enfant qu'à mieux voir et à mieux sen-tir. » C'est en effet la poésie du réel, la beau-té du quotidien que nous fait contemplerNathalie Parain dans ces images qui présen-tent des moments apparemment banals de lajournée d'un enfant, du lever au coucher.Les ustensiles du quotidien, une bassine, unecruche, une table avec boulier, un siège, lesjouets, un arrosoir, une pelle, objets trèsproches parfois de ceux qui étaient apparusdans Ronds et Carrés, tous nous touchentpar leur pureté formelle.La plénitude confine au recueillement,lorsque Nathalie Tchelpanova-Parain nousfait l'émouvant portrait d'une enfant qui

Bonjour, Bonsoir, Flammarion éditeur, 1934 - Réédité en 1998 par Les Amis du Père Castor (diffusé par Flammarion)

N-I86AVRIL1999/85

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découvre le monde dans un univers à samesure.

Après Bonjour-Bonsoir et Faisons notremarché, Nathalie Parain renoue avec la nar-ration, elle illustre une nouvelle de Tchekov,Châtaigne, puis Histoires vraies de Tolstoï.Enfin succédant au peintre Nathan Altman,russe comme elle, puis à Madeleine Parry,elle se lance dans l'aventure des Contes duChat perché de Marcel Aymé, tout en illus-trant entre autres Le Beau chardon d'AliBoron et Noix de Coco, pour le Père Castor.

Hommage à Nathalie Parain, dansla correspondance de MarcelAyméAu moment où la Bibliothèque de la Pléiaderééditant les histoires de Delphine et Mari-nette a commis l'immense erreur de sacrifierles images de Nathalie Parain, je voudraispour finir citer quelques extraits de lettresde Marcel Aymé dans lesquelles celui-ci sou-ligne l'influence profonde de son illustratricesur sa propre écriture ; pour lui le texte etles images étaient devenus indissociables.

Dans les premières lettres qu'il adresse àNathalie Parain, Marcel Aymé admire letalent de l'artiste, lui faisant part de sa grandesatisfaction. Citons un extrait de cette lettredu 22 juillet 1939 : « J'ai vu vos illustrationsavant mon départ en vacances et j'en ai étéenchanté. C'est une réussite, car les cygnessont des oiseaux sévères et vous avez su don-ner aux vôtres une mélancolie charmantesans rien de pesant. Je vous en remercie detout cœur. J'ai hâte de voir la mise en pagesqui donnera aux dessins toute leur valeur. »Un peu plus tard, le 7 décembre 1940, l'écri-vain reconnaît combien la vision de l'illustra-trice l'influence désormais : « Je vous doisbeaucoup de remerciements et davantageque vous ne pensez. Je n'écris plus un Contedu Chat Perché sans penser à vos dessins, si

Les Contes du Chai perché, ill. N.Parain, Gallimard

bien que vous êtes maintenant responsabledu texte et des illustrations. » Le 30 mai1943, envoyant un nouveau conte à NathalieParain, Marcel Aymé réaffirme la complé-mentarité du texte et de ses illustrations :« Tant que vos images ne sont pas là, lescontes n'ont pas encore de véritable exis-tence. » Enfin, après avoir appris un peutardivement le décès de Nathalie Parain,Marcel Aymé a écrit en présentant sescondoléances à Brice Parain et à sa filleTatiana, le 14 mars 1958 : « Quand on meparlait des Contes du Chat Perché quiétaient à elle autant qu'à moi, je pensais tou-jours à Nathalie Parain. J'y penserai main-tenant plus que jamais et avec quelleamitié. » I

Je voudrais remercier Madame TatianaMaillard-Parain qui m'a permis de consul-ter cette correspondance et nous a autorisésà en reproduire des extraits ici.

I LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS