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Lycée Arcisse de Caumont 3 rue Baron Gérard 14400 BAYEUX 1 ES 1

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Lycée Arcisse de Caumont3 rue Baron Gérard14400 BAYEUX

1 ES 1

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SEQUENCE 1 Incendies (2003) de Wajdi Mouawad, une tragédie engagée

Objet d'étude : théâtre, texte et représentation (oeuvre intégrale)

Problématique : comment la pièce Incendies renouvelle-t-elle le genre tragique ?

Perspectives d'étude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres etregistres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

1. Le notaire (scène 1).

2. Les amants maudits : "ce qui est là" (scène 5).

3. La scène de l'autobus : "les pelouses de banlieue" (scène 19).

4. Lettre d'une mère à ses enfants (scène 38).

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :• Groupement de textes 1 : textes de Wajdi Mouawad : "Une consolation

impitoyable", préface de l'édition Incendies ; "Le Scarabée" (2015)• Groupement de textes 2 : entretien avec le metteur en scène Stanislas Nordey• Groupement de textes 3 : l'intertextualité avec Shakespeare, Sophocle et Ovide

: William Shakespeare, Roméo et Juliette (1597), acte II, scène 2 ; Sophocle, Oedipe-roi (Vème s.av. J.-C.) ; Ovide, «Pyrame et Thisbé», Métamorphoses (an 1), livre 4, v. 55-166– lectures d'images :

• Deux mises en scène d'Incendies : Wajdi Mouawad (2003 et 2009) et Stanislas Nordey(2007).

• Incendies (2010) de Denis Villeneuve, flm d'après la pièce de Wajdi Mouawad, notamment ledébut et la fn du flm.

• La couverture de l'édition Babel, l'affche du flm de Denis Villeneuve• Valse avec Bachir (2008) d'Ari Folman.

- Lectures cursives : • Oncle Vania (1897) d'Anton Tchekhov• Prix Godot des lycéens : en collaboration avec le Panta théâtre de Caen, les élèves ont dû

lire plusieurs pièces contemporaines– autres activités :

• Wajdi Mouawad, un auteur contemporain à la croisée des cultures : l'identitélibanaise, l'héritage grec et la création canadienne

• Le contexte historique (l'histoire du Liban) et les sources de la pièce (Souha Bechara)• Les personnages : Nawal, Jeanne et Simon ; le personnage de Nihad et la musique

(Police, "Roxane" ; Supertramp, "The logical song").• La structure de la pièce : les quatre "incendies"• Une tragédie contemporaine : la tragédie grecque et la notion d'hybris ; infuence de

Sophocle sur l'écriture de Mouawad ; le mythe de Pyrame et Thisbé ; les références à Œdipeet aux bergers qui l’ont recueilli, à Roméo et Juliette, au jeune Moïse et à la louve romaineallaitant Romulus et Rémus.

• Les élèves ont assisté à une représentation de la pièce Espía a una mujer que se mata deDaniel Veronese (d’après Oncle Vania de Tchekhov), au Panta théâtre

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________________________________________________________________________________Activités conduites en autonomie par l'élève : recherches TICE :

• les mises en scène : sur les sites www.theatre-contemporain.net et crdp.ac-paris.fr/piece-demontee, les élèves ont dû chercher des images des mises en scène de Wajdi Mouawa et deStanislas Nordey, puis les confronter.

• étudier la construction d'un personnage : les élèves se sont appuyés sur le très grandnombre de documents consacrés à Souha Bechara (témoignages, articles de journaux,images et vidéos) pour analyser comment Wajdi Mouawad s'est emparé de cette fgure afnd'élaborer le personnage fctif de Nawal.

SEQUENCE 2 "Les yeux se rencontrèrent",

scènes de première vue et de demande en mariage

Objet d'étude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours (groupement de textes)

Problématiques : par quels moyens ces différents textes traitent-ils des topoï de la rencontreamoureuse et de la demande en mariage ? Par quels principaux procédés chaque texte fait-ilcomprendre l’importance de cette rencontre pour les personnages ?

Perspectives d'étude : étude de l'histoire littéraire et culturelle ; étude des genres et des registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

5. Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Confessions (1782), la rencontre avec Madame de Warens

6. Gustave FLAUBERT, L'Education sentimentale (1869), extrait du chapitre 1 de la premièrepartie, la rencontre de Madame Arnoux

7. Guy de MAUPASSANT, Bel-Ami (1885), deuxième partie, chapitre 8, la demande enmariage de Georges Duroy.

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : scènes de demande en mariage : Madame de La FAYETTE, LaPrincesse de Clèves, 1678 ; Guy de MAUPASSANT, Pierre et Jean, 1888 ; Albert CAMUS, L'Étranger,1942.

• Lecture cursive : Honoré de Balzac, La Duchesse de Langeais, chapitre III, 1834.– lectures d'images :

• Étude d'une scène de cinéma : comparaison de l'extrait de La Duchesse de Langeais (1834) deBalzac et de deux adaptations télévisées et cinématogaphiques : La Duchesse de Langeais (1942) deJacques de Baroncelli et Ne touchez pas la hache (2007) de Jacques Rivette.– autres activités :

• Rousseau, Flaubert et Camus : éléments biographiques et bibliographiques• Deux mouvements littéraires : le réalisme et l'absurde• Le topos de la rencontre amoureuse : caractéristiques et évolution• Défnitions : les focalisations dans le roman ; les paroles rapportées ; la mise en abyme.

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Activité conduite en autonomie par l'élève : sujet de dissertation : Dans Deux défnitions duroman (1866), Emile ZOLA déclarait : « le premier homme qui passe est un héros suffsant ».

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SEQUENCE 3Un Roi sans divertissement (1947) de Jean Giono,

entre roman policier et chronique

Objet d'étude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours (oeuvre intégrale)

Problématique : quelles visions de l'homme et de la société de son temps Jean Giono offre-t-il àtravers Un Roi sans divertissement ?

Perspectives d'étude : genres et registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

8. L'incipit, jusqu'à « ... il passe ses vacances là, à sa maison »

9. Le hêtre de la scierie, de « Le hêtre de la scierie n'avait pas encore ... » jusqu'à «... comme desbouchers.»

10. La battue au loup, de « Les foulées, naturellement toujours d'une fraîcheur exquise... » jusqu'à«... l'encaisseur de mort subite ! »

11. L'explicit, de « Bon. Alors, qu’est-ce qu’il t’a dit ?... » jusqu'à la fn.

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : d'Un Roi sans divertissement à Noé : Jean Giono, Noé,Bibliothèque de la Pléiade, Édition Gallimard, pp. 611-612 et pp. 615-616.

• Groupement de textes : l'intertextualité : Chrétien de troyes, Perceval (1162) ; Gérard deNerval, Chimères, "Artémis"(1853) ; Pascal, Pensées, "Divertissement" (1670).

• Goupement de textes : Jean Giono et le projet des Chroniques : entretiens de Jean Gionoavec Jean et Taos Amrouche, 1953 (reproduits dans le commentaire de Un roi sans divertissement parMireille Sacotte, Gallimard, coll. Foliothèque (n°42), Paris, 1995) ; la préface de 1962 desChroniques.

• Goupement de textes : figures maternelles : Colette, Sido (1930) ; John Steinbeck, Les Raisinsde la colère (1939) (traduit de l’anglais par M. Duhamel et M.- E. Coindreau) ; Jean Giono, Un Roisans divertissement (1947).

– Lectures cursives : Guy de MAUPASSANT, Bel-Ami (1885)

– lectures d'images :

• Histoire des arts : Albrecht Dürer, La Melencolia (1514). • Un flm : la scène fnale de Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard

– autres activités :

• Jean Giono, un écrivain qui dépeint la condition de l'homme dans le monde• Le sens du roman : le titre et l'épigraphe ; les divertissements ; une esthétique de la cruauté• Les personnages : Langlois, les villageois, les trois compagnons de Langlois (le procureur,

Saucisse et Mme Tim), M. V., Delphine• La structure du roman : les trois parties ; les narrateurs• Les lieux, réels et imaginaires

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Activité conduite en autonomie par l'élève : étude comparée du roman et de l'adaptationcinématographique d'Un Roi sans divertissement (1963), de François Leterrier, scénario de Jean Giono.

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SÉQUENCE 5 Traité sur la tolérance (1763) de Voltaire : une affaire exemplaire ?

Objet d'étude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du moyen-âge à nos jours (oeuvre intégrale)

Problématique : en quoi le Traité sur la tolérance permet-il l’élaboration d’un jugementargumenté ?

Perspective(s) d'étude : étude de l'argumentation et de ses effets sur les destinataires

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

12. Le supplice de Jean Calas, de « Il semble que... » jusqu'à «... pardonner à ces juges »(chapitre I)13. «Lettre écrite au jésuite Le Tellier par un bénéfcier, le 6 mai 1714» (chapitreXVII) 14. «De la tolérance universelle", du début jusqu'à «... souffrir de contradiction» (Chapitre XXII)15. «Prière à Dieu» (chapitre XXIII).

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : les combats des Lumières : César Chesneau Dumarsais,article « philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772) ; Emmanuel Kant, Qu’est ce queles lumières ? (1784).

• Lecture cursive : Candide (1759) de Voltaire

– lectures d'images :

• Histoire des arts : le Frontispice de l’Encyclopédie, dessiné par Charles-Nicolas Cochin(1715-1790)

• Un flm : L'Affaire Calas (2007) de Francis Reusser et Alain Moreau– autres activités :

• Voltaire, le polémiste engagé• L'affaire Calas• La construction du livre• Les procédés de persuasion : comparaison du sermon du prêtre et du discours de

Voltaire racontant le supplice de Calas, dans le flm L'Affaire Calas (2007) de FrancisReusser et Alain Moreau

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ACTIVITES CONDUITES EN AUTONOMIE PAR L'ELEVE

• Reconstitution en classe d'un procès de cour d'assises, l'affaire Turquin. Laclasse a été divisée en deux groupes, l'un favorable à la thèse de la culpabilité de J.-L. Turquin, l'autre favorable à la thèse de l'innocence de J.-L. Turquin. Les rôles ont étéensuite distribués : le juge et ses deux assesseurs, les 10 jurés (préparation de questions), legreffer (qui doit préparer et lire un résumé circonstancié des faits), l'avocat général(rédaction d'un réquisitoire réclamant une condamnation lourde), l'avocat de la défense(rédaction d'une plaidoirie réclamant l'acquittement), l'accusé (qui clame son innocence), lestémoins à charge et à décharge (la femme de Turquin, ses beaux-parents, un ami intime,

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etc). Les élèves ont préparé le procès à partir de deux émissions télévisées : « Faites entrerl'accusé » (Fr 2, 2002) et « L'affaire Turquin » (Fr 3, 2001).

• "Le siècle des Lumières : un héritage pour demain" : les élèves ont naviguélibrement sur le site de la bibliothèque nationale de France (BNF), consacré au mouvementlittéraire et philosophique : http://expositions.bnf.fr/lumieres/

SEQUENCE 6Indignez-vous !

Objet d'étude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du moyen-âge à nos jours (groupement de textes)

Problématiques : Comment l'écriture dans ses diverses formes sert-elle l'expression de la dénonciation ou la révolte ? Le recours à la fction est-il un moyen effcace pour diffuser ses idées ?

Perspective d'étude : étude de l'argumentation et de ses effets sur les destinataires

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

16. Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3 (extrait) (1781)

17. Victor Hugo, Le Dernier jour d'un condamné, la préface de 1832, extrait, de « Qu'avez-vousà alléguer pour la peine de mort ? ... » à « le Mardi gras vous rit au nez »

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : utopies : Thomas More, Utopie, 1516 ; François Rabelais, Gargantua,chapitre 57, 1534 ; Voltaire, Candide ou l’optimisme, 1759, chapitre XVIII ; Georges ORWELL, LaFerme des animaux, 1945.– lectures d'images :

• Histoire des arts : Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830).• Visionnage d’extraits de flms : trois flms sur l'égalité entre les hommes et les

femmes : Pomme d'Adam (2008) de Jerome Genevray, Majorité opprimée (2010) de Eléonore Pourriat etJacky au royaume des flles (2013) de Riad Sattouf

• Visionnage d’extraits de flms : trois dystopies : Animal farm (1954) de John Halas et JoyBatchelor ; Fahrenheit 451 (1966) de François Truffaut ; 1984 (1984) de Michael Radford.

– autres activités :

• Beaumarchais et Hugo : des auteurs engagés• Les Lumières et leur héritage ; l'utopie• L'indignation aujourd'hui : les motifs d'indignation selon Stéphane Hessel

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Activité conduite en autonomie par l'élève : visite virtuelle de l'exposition Victor Hugo, l'homme océan, surle site de la BNF : http://expositions.bnf.fr/hugo/expo.htm

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SEQUENCE 6 Alcools (1913) de Guillaume Apollinaire : entre tradition et modernité

Objet d'étude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours (oeuvre intégrale)

Problématiques : en quoi Apollinaire est-il à la fois l'héritier d’une tradition etl'expérimentateur de nouveautés ? En quoi la poésie d'Alcools est-elle moderne ? Qu'est-cequ'un recueil poétique ?

Perspective d'étude : étude de l'intertextualité et de la singularité des textes ; étude de l'histoire littéraire et culturelle

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

18. « Zone» , du début à « l’avenue des Ternes » (vers 1 à 24)

19. « Le Pont Mirabeau»

20. « La Loreley »

21. « Nuit rhénane »

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : les fgures féminines en poésie : Arthur Rimbaud, « Ophélie »,Poésies, 1871 ; Aloysius Bertrand, « Ondine », Gaspard de la Nuit, 1842 ; Guillaume Apollinaire, « LaLoreley », Alcools, 1913 ; Jean Lorrain, « Mélusine », L'Ombre ardente, 1897.

• Lecture cursive : Le Spleen de Paris (1862) de Charles Baudelaire– lectures d'images :

• Histoire des arts : Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire, 1914– autres activités :

• Guillaume Apollinaire : une fgure de la poésie au XXe siècle• Le contexte historique : le dadaïsme, le futurisme, le cubisme et le surréalisme• Le sens du titre Alcools ; la genèse et l’organisation du recueil• Les thèmes à l'oeuvre dans le recueil : les thèmes de l’alcool, de l’eau, du feu, de l’automne

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Activités conduites en autonomie par l'élève :

• Réalisez une anthologie illustrée de poèmes d'Apollinaire et de Baudelaire, précédée d’un titrerendant compte de l’harmonie de votre anthologie et d’une préface dans laquelle vous justiferez lethème de votre recueil ainsi que le choix de chaque poème et de chaque illustration.

• Mise en voix et en musique d'une sélection de poèmes, appris par les élèves.

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Le professeur : Le chef d’établissement :

Objet d'étude : théâtre, texte et représentation

Lectures analytiques

Oeuvre intégrale : Incendies (2003), de Wajdi Mouawad

Textes : - texte 1 : le notaire (scène 1) ; - texte 2 : les amants maudits : "ce qui est là" (scène 5). ;- texte 3 : la scène de l'autobus : "les pelouses de banlieue" (scène 19) ;

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- texte 4 : lettre d'une mère à ses enfants (scène 38).

Lecture analytique n° 1 : la scène d'exposition

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1. Notaire

Jour. Été. Bureau de notaire.

HERMILE LEBEL. C’est sûr, c’est sûr, c’est sûr, je préfère regarder le vol des oiseaux. Maintenantfaut pas se raconter de racontars : d’ici, à défaut d’oiseaux, on voit les voitures et le centre d’achats.Avant, quand j’étais de l’autre côté du bâtiment, mon bureau donnait sur l’autoroute. C’était pas lamer à voir, mais j’avais fni par accrocher une pancarte à ma fenêtre : Hermile Lebel, notaire. A l’heurede pointe ça me faisait une méchante publicité. Là, je suis de ce côté-ci et j’ai une vue sur le centred’achats. Un centre d’achats ce n’est pas un oiseau. Avant, je disais un zoiseau. C’est votre mère quim’a appris qu’il fallait dire un oiseau. Excusez-moi. Je ne veux pas vous parler de votre mère àcause du malheur qui vient de frapper, mais il va bien falloir agir. Continuer à vivre comme on dit.C’est comme ça. Entrez, entrez, entrez, ne restez pas dans le passage. C’est mon nouveau bureau.J’emménage. Les autres notaires sont partis. Je suis tout seul dans le bloc. Ici, c’est beaucoup plusagréable parce qu’il y a moins de bruit, l’autoroute est de l’autre côté. J’ai perdu la possibilité defaire de la publicité à l’heure de pointe, mais au moins je peux garder ma fenêtre ouverte, et commeje n’ai pas encore l’air conditionné, ça tombe bien.Oui. Bon.C’est sûr, c’est pas facile.Entrez, entrez, entrez ! Ne restez pas dans le passage enfn, c’est un passage !Je comprends, en même temps, je comprends qu’on ne veuille pas entrer.Moi, je n’entrerais pas.Oui. Bon.C’est sûr, c’est sûr, c’est sûr, j’aurais bien mieux aimé vous rencontrer dans une autre circonstancemais l’enfer est pavé de bonnes circonstances, alors c’est plutôt diffcile de prévoir. La mort, ça ne seprévoit pas. La mort, ça n’a pas de parole. Elle détruit toutes ses promesses. On pense qu’elleviendra plus tard, puis elle vient quand elle veut. J’aimais votre mère. Je vous dis ça comme ça, delong en large : j’aimais votre mère. Elle m’a souvent parlé de vous. En fait pas souvent, mais elle m’adéjà parlé de vous. Un peu. Parfois. Comme ça. Elle disait : les jumeaux. Elle disait la jumelle,souvent aussi le jumeau. Vous savez comment elle était, elle ne disait jamais rien à personne. Jeveux dire bien avant qu’elle se soit mise à plus rien dire du tout, déjà elle ne disait rien et elle ne medisait rien sur vous. Elle était comme ça. Quand elle est morte, il pleuvait. Je ne sais pas. Ça m’a faitbeaucoup de peine qu’il pleuve. Dans son pays il ne pleut jamais, alors un testament, je ne vousraconte pas le mauvais temps que ça représente. C’est pas comme les oiseaux, un testament, c’estsûr, c’est autre chose. C’est étrange et bizarre mais c’est nécessaire. Je veux dire que ça reste un malnécessaire. Excusez-moi.

Il éclate en sanglots.

Wajdi Mouawad, Incendies (2003), "1. Notaire".

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Lecture analytique n° 2 : "ce qui est là"

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5. Ce qui est làAube. Forêt. Rocher. Arbres blancs. Nawal (14 ans). Wahab.

NAWAL. Wahab ! Ecoute-moi. Ne dis rien. Non. Ne parle pas. Si tu me dis un mot, un seul, tu pourrais metuer. Tu ne sais pas encore, tu ne sais pas le bonheur qui va être notre malheur. Wahab, j’ai l’impression qu’àpartir du moment où je vais laisser échapper les mots qui vont sortir de ma bouche, tu vas mourir toi aussi. Jevais me taire, Wahab, promets-moi alors de ne rien dire, s’il te plaît, je suis fatiguée, s’il te plaît, laisse lesilence. Je vais me taire. Ne dis rien. Ne dis rien.

Elle se tait.

Je t’ai appelé toute la nuit. J’ai couru toute la nuit. Je savais que j’allais te trouver au rocher aux arbres blancs.Je voulais le hurler pour que tout le village l’entende, pour que les arbres l’entendent, que la nuit l’entende,pour que la lune et les étoiles l’entendent. Mais je ne pouvais pas. Je dois te le dire à l’oreille, Wahab, après, jene pourrai plus te demander de rester dans mes bras même si c’est ce que je veux le plus au monde, même sij’ai la conviction que je serai à jamais incomplète si tu demeures à l’extérieur de moi, même si, à peine sortiede l’enfance, je t’avais trouvé, toi, et qu’avec toi je tombais enfn dans les bras de ma vraie vie, je ne pourraiplus rien te demander.

Il l’embrasse.

J’ai un enfant dans mon ventre, Wahab ! Mon ventre est plein de toi. C’est un vertige, n’est-ce pas ? C’estmagnifque et horrible, n’est-ce pas ? C’est un gouffre et c’est comme la liberté aux oiseaux sauvages, n’est-cepas ? Et il n’y a plus de mots ! Que le vent ! Quand j’ai entendu la vieille Elhame me le dire, un océan a éclatédans ma tête. Une brûlure.

WAHAB. Elhame se trompe peut-être.

NAWAL. Elhame ne se trompe pas. Je lui ai demandé : « Elhame, tu es sûre? » Elle a rigolé. Elle m’a caresséle visage. Elle m’a dit qu’elle a fait naître tous les enfants du village depuis quarante ans. Elle m’a sortie duventre de ma mère. Elhame ne se trompe pas. Elle m’a promis qu’elle ne dira rien à personne. « Ce ne sontpas mes affaires, elle a dit, mais dans deux semaines au plus tard, tu ne pourras plus le cacher. »

WAHAB. On ne le cachera pas.

NAWAL. On nous tuera. Toi le premier.

WAHAB. On leur expliquera.

NAWAL. Tu crois qu’ils nous écouteront ?

WAHAB. De quoi as-tu peur, Nawal ?

NAWAL. Tu n’as pas peur, toi ? (Temps)

Pose ta main. Qu’est-ce que c’est ? Je ne sais pas si c’est la colère, je ne sais pas si c’est la peur, je ne sais pas sic’est le bonheur. Où serons-nous, toi et moi, dans cinquante ans ?

WAHAB. Nawal, écoute-moi. Cette nuit est un cadeau. Je n’ai peut-être pas de tête pour dire ça, mais j’ai uncœur, et il est solide. Il est patient. Ils crieront, nous les laisserons crier. Ils injurieront, nous les laisseronsinjurier. Peu importe. A la fn, après leurs cris et leurs injures, il restera toi, moi et un enfant de toi et moi.

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Ton visage, mon visage dans le même visage. J’ai envie de rire. Ils me frapperont mais moi, toujours, j’auraiun enfant au fond de ma tête.

NAWAL. Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux.

WAHAB. Nous serons toujours ensemble. Rentre chez toi, Nawal. Attends qu’ils se réveillent. Quand ils teverront, à l’aube, assise à les attendre, ils t’écouteront parce qu’ils sauront que quelque chose d’important estarrivé. Si tu as peur, pense qu’au même moment je serai chez moi, attendant que tous se réveillent. Et je leurdirai. L’aube n’est pas loin. Pense à moi comme je pense à toi, et ne te perds pas dans le brouillard. N’oubliepas : maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux.

Nawab part.

Wajdi Mouawad, Incendies (2003), "5. Ce qui est là".Lecture analytique n° 3 :

la scène de l'autobus

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JEANNE. Qu’est-ce qu’elle vous a dit exactement au sujet de l’autobus ?SIMON. Tu vas faire quoi ? Fuck ! Tu vas aller le trouver où ?JEANNE. Qu’est-ce qu’elle vous a dit ?SAWDA (hurlant). Nawal !SIMON. Laisse tomber l’autobus et réponds-moi ! Tu vas le trouver où ?Bruit de marteaux-piqueurs.JEANNE. Qu’est-ce qu’elle vous a raconté ?SAWDA. Nawal !HERMILE LEBEL. Elle m’a raconté qu’elle venait d’arriver dans une ville…SAWDA (à Jeanne). Vous n’avez pas vu une jeune flle qui s’appelle Nawal ?HERMILE LEBEL. Un autobus est passé devant elle…SAWDA. Nawal !HERMILE LEBEL. Bondé de monde !SAWDA. Nawal !!HERMILE LEBEL. Des hommes sont arrivés en courant, ils ont bloqué l’autobus, ils l’ont aspergéd’essence et puis d’autres homes sont arrivés avec des mitraillettes et…Longue séquence de bruits de marteaux-piqueurs qui couvrent entièrement la voix d’Hermile Lebel. Les arrosoirscrachent du sang et inondent tout. Jeanne s’en va.NAWAL. Sawda !SIMON. Jeanne ! Jeanne, reviens !NAWAL. J’étais dans l’autobus, Sawda, j’étais avec eux ! Quand ils nous ont arrosés d’essence j’aihurlé : « Je ne suis pas du camp, je ne suis pas une réfugiée du camp, je suis comme vous, je cherchemon enfant qu’ils m’ont enlevé ! » Alors ils m’ont laissé descendre, et après, après, ils ont tiré, etd’un coup, d’un coup vraiment, l’autobus a fambé avec tous ceux qu’il y avait dedans, il a fambéavec les vieux, les enfants, les femmes, tout ! Une femme essayait de sortir par la fenêtre, mais lessoldats lui ont tiré dessus, et elle est restée comme ça, à cheval sur le bord de la fenêtre, son enfantdans ses bras au milieu du feu et sa peau a fondu, et la peau de l’enfant a fondu et tout a fondu ettout le monde a brûlé ! Il n’y a plus de temps. Le temps est une poule à qui on a tranché la tête, letemps court comme un fou, à droite à gauche, et de son cou décapité, le sang nous inonde et nousnoie.SIMON (au téléphone). Jeanne ! Jeanne, je n’ai plus que toi. Jeanne, tu n’as plus que moi. On n’a pasle choix que d’oublier ! Rappelle-moi, Jeanne, rappelle-moi !

Wajdi Mouawad, Incendies (2003), "19. Les pelouses de banlieue" (extrait) .

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Lecture analytique n° 4 : la scène fnale

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Simon ouvre l’enveloppe.

NAWAL. Simon,Est-ce que tu pleures ?Si tu pleures ne sèche pas tes larmesCar je ne sèche pas les miennes.L’enfance est un couteau planté dans la gorgeEt tu as su le retirer.À présent, il faut réapprendre à avaler sa salive.C’est un geste parfois très courageux.Avaler sa salive.À présent, il faut reconstruire l’histoire.L’histoire est en miettes.DoucementConsoler chaque morceauDoucementGuérir chaque souvenirDoucementBercer chaque image.

Jeanne,Est-ce que tu souris ?Si tu souris ne retiens pas ton rireCar je ne retiens pas le mien.C’est le rire de la colèreCelui des femmes marchant côte à côte

Je t’aurais appelée SawdaMais ce prénom encore dans son épellationDans chacune de ses lettresEst une blessure béante au fond de mon cœur.Souris, Jeanne, sourisNotre famille, Les femmes de notre famille, nous sommes engluées dans la colère.J’ai été en colère contre ma mèreTout comme tu es en colère contre moiEt tout comme ma mère fut en colère contre sa mère.Il faut casser le fl,Jeanne, Simon,

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Où commence votre histoire ?À votre naissance ?Alors elle commence dans l’horreur.À la naissance de votre père ?Alors c’est une grande histoire d’amour.Mais en remontant plus loin,Peut-être que l’on découvrira que cette histoire d’amourPrend sa source dans le sang, le viol,Et qu’à son tour,Le sanguinaire et le violeurTient son origine dans l’amour.Alors,Lorsque l’on vous demandera votre histoire,Dites que votre histoire, son origine, Remonte au jour où une jeune flleRevint à son village natal pour y graver le nom de sa grand-mère Nazira sur sa tombe.Là commence l’histoire.Jeanne, Simon,Pourquoi ne pas vous avoir parlé ?Il y a des vérités qui ne peuvent être révélées qu’à la condition d’être découvertes.Vous avez ouvert l’enveloppe, vous avez brisé le silenceGravez mon nom sur la pierreEt posez la pierre sur ma tombe.Votre mère.

SIMON. Jeanne, fais-moi encore entendre son silence.

Jeanne et Simon écoutent le silence de leur mère. Pluie torrentielle.

Wajdi Mouawad, Incendies (2003), "38. Lettre aux jumeaux".

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Objet d'étude : théâtre, texte et représentation

Documents complémentaires

Oeuvre intégrale : Incendies (2003), de Wajdi Mouawad

• Groupement de textes 1 : textes de Wajdi Mouawad : "Une consolation impitoyable", préface de l'édition Incendies ; "Le Scarabée" (2015)

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• Groupement de textes 2 : entretien avec le metteur en scène Stanislas Nordey• Groupement de textes 3 : l'intertextualité avec Shakespeare, Sophocle et Ovide

: William Shakespeare, Roméo et Juliette (1597), acte III, scène 3 ; Sophocle, Oedipe-roi ; Ovide, «Pyrame et Thisbé», Métamorphoses, livre 4, v. 55-166

– lectures d'images : • Deux mises en scène d'Incendies : Wajdi Mouawad (2003 et 2009) et Stanislas Nordey (2007).• La couverture de l'édition Babel, l'affche du flm de Denis Villeneuve• Valse avec Bachir (2008) d'Ari Folman.

Textes de Wajdi Mouawad

Textes :- texte 1 : "Une consolation impitoyable", préface de l'édition Incendies ; - texte 2 : "Le Scarabée" (2015), page d'accueil du site de l'auteur (http://www.wajdimouawad.fr/)

Texte 1 : "Une consolation impitoyable"Incendies est le second volet d’une tétralogie amorcée avec l’écriture et la mise en scène de

Littoral en 1997. Sans en être une suite narrative, Incendies reprend la réfexion autour de laquestion de l’origine. Même si j’ignore encore exactement vers où ira la suite, et quand elle sera ànouveau abordée, je sais que, depuis peu, un mot encombre ma tête, peut-être est-ce un titre, peut-être est-ce un décor, peut-être est-ce un premier mot, je ne sais pas, mais ce mot étrange appartient,je le sens bien, à la troisième partie. Ce mot est Forêts.

Tout comme Littoral, Incendies n’aurait jamais vu le jour sans la participation des comédiens.En ce sens, la manière dont la pièce fut écrite et mise en scène constitue aussi une suite de Littoral,puisque, là aussi, le texte fut écrit à mesure des répétitions échelonnées sur une période de dix mois.[...]

L’écriture s’est alors mise en marche et le travail de répétition a suivi. Le travail descénographie aussi eut à s’adapter au fait que le texte s’écrivait à mesure et, tout au long de cettepériode, j’ai eu le sentiment qu’il était question avant tout d’une troupe de théâtre, avec sestechniciens et ses comédiens, qui œuvraient pour dégager le chemin à l’écriture. Sans cette écoute,sans cette participation, sans cet engagement actif de la part de chaque membre de l’équipe, jen’aurais pas pu écrire. C’est important à dire, important à faire entendre : Incendies est né de cegroupe, son écriture est passée à travers moi. Pas à pas jusqu’au dernier mot.

Wajdi Mouawad23 mars 2003

préface de l'édition Incendies

Texte 2 : "Le Scarabée" (2015)Le scarabée est un insecte qui se nourrit des excréments d’animaux autrement plus gros que

lui. Les intestins de ces animaux ont cru tirer tout ce qu’il y avait à tirer de la nourriture ingurgitéepar l’animal. Pourtant, le scarabée trouve, à l’intérieur de ce qui a été rejeté, la nourriture nécessaireà sa survie grâce à un système intestinal dont la précision, la fnesse et une incroyable sensibilitésurpassent celles de n’importe quel mammifère. De ces excréments dont il se nourrit, le scarabée tirela substance appropriée à la production de cette carapace si magnifque qu’on lui connaît et quiémeut notre regard : le vert jade du scarabée de Chine, le rouge pourpre du scarabée d’Afrique, lenoir de jais du scarabée d’Europe et le trésor du scarabée d’or, mythique entre tous, introuvable,mystère des mystères.

Un artiste est un scarabée qui trouve, dans les excréments mêmes de la société, les alimentsnécessaires pour produire les œuvres qui fascinent et bouleversent ses semblables. L’artiste, tel un

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scarabée, se nourrit de la merde du monde pour lequel il œuvre, et de cette nourriture abjecte ilparvient, parfois, à faire jaillir la beauté.

WM.

Page d'accueil du site de l'auteur (http://www.wajdimouawad.fr/)

Entretien avec le metteur en scène Stanislas Nordey

Comment avez-vous géré les époques et les lieux différents qui coexistent souvent sur scène ?

S.N. – Il fallait trouver un principe simple qui puisse permettre aux spectateurs de ne pas être noyés,de ne pas être perdus. Pendant les répétitions, nous avons longtemps cherché comment permettreaux spectateurs de se repérer rapidement. Par exemple, nous avons pensé choisir une couleur decostume pour chaque époque ou encore pensé mettre les dates de chaque scène... mais tout cela nemarchait pas.

Finalement, nous nous sommes rendu compte que les trois Nawal (Nawal 20 ans, Nawal 40 ans etNawal 60 ans) synthétisaient l’ensemble. Nous avons donc décidé d’ouvrir le spectacle par uneprésentation toute simple des personnages. Au début, les acteurs arrivent sur scène puis disent qui ilssont. La première à se présenter est la comédienne qui joue Nawal 20 ans, elle dit : « NawalMarwan, 20 ans ». La seconde s’avance et dit : « Nawal Marwan, 40 ans ». La troisième : « NawalMarwan, 60 ans ». À partir de ce moment-là, le spectateur se repère avec ces trois visages defemme. Ce geste tout simple de mise en scène sufft à rendre clair. Le public voit d’emblée lasingularité du spectacle : il va suivre un personnage à travers trois époques.

Les lieux où se déroule l’histoire semblent fragmentés ou indéfnis. Plusieurs villes du Liban sontcitées mais le pays n’est pas nommé. Est-ce que vous tenez compte de cet aspect ?

S .N. – Nous nous sommes beaucoup interrogés et avons assez vite compris que ce n’étaitévidemment pas un hasard si Wajdi Mouawad avait décidé de ne pas forcément citer le lieu où celase passe, pourquoi, etc. Dans les premières versions (très précieuses) du texte, dans ces étatsantérieurs de l’écriture, Wajdi Mouawad fait énormément références au confit israelo-palestinien,puis il a presque tout gommé. Ce geste dans la construction dramaturgique est donc vraimentvolontaire. Oui, cette guerre se passe au Sud, oui, il y a une guerre civile, mais elle est générique detoutes celles qui se passent dans tous les pays du monde. Finalement, ce sont les drames individuels àl’intérieur de cela qui intéressent l’auteur, le petit homme face à l’Histoire avec un grand H.

Est-ce que vous retranscrivez cela au niveau du choix du décor ?

S.N. – Le décor est très simple, c’est un espace blanc, presque un espace de danse. Je ne voulais pasun décor réaliste mais plutôt un lieu dans lequel tout soit possible. Je pense que Wajdi est trèsinfuencé par Shakespeare, Sophocle et par cette façon qu’ont les grands auteurs classiques dedéfnir un lieu en disant au début : « Nous sommes dans une forêt » et il n’y a pas besoin dereprésenter la forêt. Le fait de le dire sufft. J’ai donc volontairement travaillé sur un espace blancdans lequel l’imaginaire est libre de projeter tout ce qu’il veut.

Cela rejoint aussi l’aspect générique de cette guerre dont vous parliez.

S.N. – Tout à fait... Encore une fois, je crois que ce qui intéresse vraiment l’auteur ce sont leshumanités bousculées. Il y a chez lui un travail sur le gros plan que j’essaie de rendre dans la miseen scène. La lumière dans le spectacle est assez importante. Tout près du public, des rampes de

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lumière assez fortes sont dirigées vers les acteurs et je leur ai demandé sans cesse de venir s’y brûlercomme des papillons, c’est- à-dire d’être le plus proche possible du public pour raconter l’histoire.Ce qui fait la particu- larité des pièces de Wajdi Mouawad, c’est un très fort désir de raconter, ce quise rapproche énormément du conte. Il n’y a pas de décor dans les spectacles de conte, seulement laparole du griot. Aussi, le fait que l’imaginaire ne soit pas écrasé par une représentation quelconqueétait très important.

Pensez-vous que les arbres blancs de la scène 5 entre Nawal et Wahab renvoient à une forêt deconte ? S.N. – Les troncs blancs sont ceux que l’on trouve au Liban. Ce sont, je crois, des arbresbrûlés par la guerre. Je pense qu’ils représentent la vie et qu’en même temps ils sont développéscomme des fgures fantomatiques. En tout cas, c’est comme cela que je les entends. Pendant lesrépétitions, nous en avons mis sur le plateau, évidemment le fait de les représenter enlevaitl’imaginaire. Ils ont été retirés très vite.

Les titres de certaines sections paraissent métaphoriques, Un couteau planté dans la gorge par exempleou encore les différents incendies (Incendie de Nawal, Incendie de l’enfance...) Est-ce une dimension quevous avez réinvestie dans la mise en scène ?

S.N. – À un moment donné de la recherche, nous projetions les titres comme les chapitres d’unlivre. Mais à la toute fn nous les avons enlevés car cela interrompait un peu l’action. Nous avonscompris que les chapitres ne s’adressaient pas aux spectateurs mais aux lecteurs : ce sont des guidesmais ils n’ont pas d’importance dans la représentation. Wajdi s’est préoccupé du fait que des gensallaient lire son texte.

Page 85, la didascalie semble suggérer plus qu’elle ne montre : « Il pose le nez de clown. Il chante.Nawal (15 ans) accouche de Nihad. Nawal (45 ans) accouche de Jeanne et Simon. Nawal (60 ans)reconnaît son fls. Jeanne, Simon et Nihad sont tous trois ensemble. » Comment avez-vous monté cepassage ?

S.N. – Étant donné que Wajdi Mouawad a monté lui-même ses pièces, la plupart des didascaliessont en fait des descriptions de sa propre mise en scène. J’ai vu Incendies et il se passait effec- tivementcela, d’une manière poétique, mais il y avait les accouchements. Je lui ai demandé très vite s’ilvoulait que l’on respecte absolu- ment ses didascalies comme par exemple celle du marteau-piqueurdans la scène de l’autobus et du notaire. Nous avons d’abord essayé mais cela ne nous plaisait pas,n’avait pas de sens dans notre mise en scène. Je l’ai appelé et lui ai demandé : « Si j’enlève lemarteau-piqueur, est-ce que c’est un drame ? » Il m’a répondu qu’il s’agissait bien d’indications desa propre mise en scène. Ce sont des choses dont il faut toujours se méfer quand les auteurs-metteurs en scène publient leurs textes, les didascalies correspondent souvent à ce qu’ils ont fait eux-mêmes et ne sont pas forcément une demande vis-à-vis d’autres metteurs en scène. Donc trèsconcrètement, on a gardé le nez rouge.

Si vous deviez défnir le spectacle à l’aide de trois objets, lesquels choisiriez-vous ?

S.N. – Un nez de clown, une ceinture d’explosifs et un testament.

Quel rôle auriez-vous aimé jouer dans la pièce ?

S.N. – Bonne question... les rôles de femme sont les plus beaux. Wajdi Mouawad est vrai- ment unécrivain qui écrit pour les femmes. Je pense que Nawal 60 ans est la plus belle partition. Et si c’étaitun rôle masculin, je crois que je choisirai le notaire parce qu’il joue un peu un rôle de metteur enscène, de monsieur Loyal. Il a aussi une fonction comique. Au milieu de ce texte si violent et sitragique, il crée tout à coup des respirations.

Propos recueillis par Cécile Roy, le 28 juin 2008

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L'intertextualité avec Shakespeare, Sophocle et OvideTextes : - texte 1 : William Shakespeare, Roméo et Juliette (1597), acte II, scène 2 ; - texte 2 : Sophocle, Oedipe-roi (Vème s. av. J.-C.) ; - texte 3 : Ovide, «Pyrame et Thisbé», Métamorphoses (an 1), livre 4, v. 55-166

Texte 1 : William Shakespeare, Roméo et Juliette (1597), acte II, scène 2

JULIETTE, ROMEO. Juliette paraît à une fenêtre

JULIETTE - Ô Roméo, Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo !Renie ton père et refuse ton nom,Ou, si tu ne veux pas, fais-moi simplement vœu d'amourEt je cesserai d'être une Capulet.

ROMÉO, bas. - Écouterai-je encore, ou vais-je parler?

JULIETTE - C'est ce nom seul qui est mon ennemi.Tu es toi, tu n'es pas un Montaigu.Oh, sois quelque autre nom. Qu'est-ce que Montaigu ?Ni la main, ni le pied, ni le bras, ni la face,Ni rien d'autre en ton corps et ton être d'homme.Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que l'on appelle une roseAvec tout autre nom serait aussi suave,Et Roméo, dit autrement que Roméo,Conserverait cette perfection qui m'est chèreMalgré la perte de ces syllabes. Roméo,Défais-toi de ton nom, qui n'est rien de ton être,Et en échange, oh, prends-moi tout entière !

ROMÉO - Je veux te prendre au mot.Nomme-moi seulement « amour », et que ce soitComme un autre baptême ! Jamais plusJe ne serai Roméo.

JULIETTE - Qui es-tu qui, dans l'ombre de la nuit,Trébuche ainsi sur mes pensées secrètes ?

ROMÉO - Par aucun nomJe ne saurai te dire qui je suis,Puisque je hais le mien, ô chère sainte,

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D'être ton ennemi.Je le déchirerais Si je l'avais par écrit.

JULIETTE - Mes oreilles n'ont pas goûté de ta boucheCent mots encore, et pourtant j'en connais le son.N'es-tu pas Roméo, et un Montaigu ?

ROMÉO - Ni l'un ni l'autre, ô belle jeune flle,Si l'un et l'autre te déplaisent.

JULIETTE - Comment es-tu venu, dis, et pourquoi ?Les murs de ce verger sont hauts, durs à franchir,Et ce lieu, ce serait ta mort, étant qui tu es,Si quelqu'un de mes proches te découvrait.

ROMÉO - Sur les ailes légères de l'amour,J'ai volé par-dessus ces murs. Car des clôtures de pierreNe sauraient l'arrêter. Ce qui lui est possible,L'amour l'ose et le fait. Et c'est pourquoiCe n'est pas ta famille qui me fait peur.

JULIETTE - Ils te tueront, s'ils te voient.William SHAKESPEARE, Roméo et Juliette (1597)

traduction d'Y. Bonnefoy – éditions Gallimard

Texte 2 : Sophocle, Oedipe-roi (Vème s. av. J.-C.)Dans le premier prologue, le prêtre de Zeus expose la situation à Oedipe : la ville de Delphes subit une peste

qqui rend les hommes stériles ; dans le second prologue de la pièce, Créon rapporte à Oedipe la réponse de l'oracle deDelphes : les Thébains doivent laver la "souillure criminelle" et punir le meurtre du roi Laïos...

CRÉON. - Eh bien ! voici quelle réponse m'a été faite au nom du dieu. Sire Phoebos nous donnel'ordre exprès "de chasser la souillure que nourrit ce pays, et de ne pas l'y laisser croître jusqu'à cequ'elle soit incurable".OEDIPE. - Oui. Mais comment nous en laver ? Quelle est la nature du mal ?CRÉON. - En chassant les coupables, ou bien en les faisant payer meurtre pour meurtre, puisquec'est le sang dont il parle qui remue ainsi notre ville.OEDIPE. - Mais quel est donc l'homme dont l'oracle dénonce la mort ?CRÉON. - Ce pays, prince, eut pour chef Laïos, autrefois, avant l'heure où tu eus toi-même àgouverner notre cité.OEDIPE. - On me l'a dit jamais je ne l'ai vu moi-même.CRÉON. - Il est mort, et le dieu aujourd'hui nous enjoint nettement de le venger et de frapper sesassassins.

Texte 3 : Ovide, «Pyrame et Thisbé», Métamorphoses (an 1), livre 4, v. 55-166Pyrame et Thisbé effaçaient en beauté tous les hommes, toutes les flles de l'Orient. Ils habitaient deux

maisons voisines dans cette ville que Sémiramis entoura, dit-on, de superbes remparts. Le voisinage favorisaleur connaissance et forma leurs premiers nœuds. Leur amour s'accrut avec l'âge. Le mariage aurait dû lesunir ; leurs parents s'y opposèrent, mais ils ne purent les empêcher de s'aimer secrètement. Ils n'avaient pourconfdents que leurs gestes et leurs regards ; et leurs jeux plus cachés n'en étaient que plus ardents.

Entre leurs maisons s'élevait un mur ouvert, du moment qu'il fut bâti, par une fente légère. Des siècless'étaient écoulés sans que personne s'en soit aperçu. Mais que ne remarque point l'amour ? Tendres amants,vous observâtes cette ouverture ; elle servit de passage à votre voix ; et, par elle, un léger murmure voustransmettait sans crainte vos amoureux transports.

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Souvent Pyrame, placé d'un côté du mur, et Thisbé de l'autre, avaient respiré leurs soupirs et leurdouce haleine : "Ô mur jaloux, disaient-ils, pourquoi t'opposes-tu à notre bonheur ? pourquoi nous défendstu de voler dans nos bras ? pourquoi du moins ne permets-tu pas à nos baisers de se confondre ? Cependantnous ne sommes point ingrats. Nous reconnaissons le bien que tu nous fais. C'est à toi que nous devons leplaisir de nous entendre et de nous parler".

C'est ainsi qu'ils s'entretenaient le jour ; et quand la nuit ramenait les ombres, ils se disaient adieu, ets'envoyaient des baisers que retenait le mur envieux. Le lendemain, à peine les premiers feux du jour avaientfait pâlir les astres de la nuit ; à peine les premiers rayons du soleil avaient séché sur les feurs les larmes del'Aurore, ils se rejoignaient au même rendez-vous.

Un jour, après s'être plaints longtemps et sans bruit de leur destinée, ils projettent de tromper leursgardiens, d'ouvrir les portes dans le silence de la nuit, de sortir de leurs maisons et de la ville ; et, pour ne pass'égarer dans les vastes campagnes, ils conviennent de se trouver au tombeau de Ninus ; c'est là que doit leurprêter l'abri de son feuillage un mûrier portant des fruits blancs, et placé près d'une source pure.

Ce projet les satisfait l'un et l'autre. Déjà le soleil, qui dans son cours leur avait paru plus lent qu'àl'ordinaire, venait de descendre dans les mers, et la nuit en sortait à son tour ; Thisbé, tendrement émue,favorisée par les ténèbres, couverte de son voile, fait tourner sans bruit la porte sur ses gonds ; elle sort, elleéchappe à la vigilance de ses parents ; elle arrive au tombeau de Ninus, et s'assied sous l'arbre convenu.L'amour inspirait, l'amour soutenait son courage. Soudain s'avance une lionne qui, rassasiée du carnage desbœufs déchirés par ses dents, vient, la gueule sanglante, étancher sa soif dans la source voisine. Thisbél'aperçoit aux rayons de la lune ; elle fuit d'un pied timide, et cherche un asile dans un antre voisin. Maistandis qu'elle s'éloigne, son voile est tombé sur ses pas. La lionne, après s'être désaltérée, regagnait la forêt.Elle rencontre par hasard ce voile abandonné, le mord, le déchire, et le rejette teint du sang dont elle estencore souillée.

Sorti plus tard, Pyrame voit sur la poussière les traces de la bête cruelle, et son front se couvre d'uneaffreuse pâleur. Mais lorsqu'il a vu, lorsqu'il a reconnu le voile sanglant de Thisbé : "Une même nuit, s'écrie-t-il, va rejoindre dans la mort deux amants dont un du moins n'aurait pas dû périr. Ah ! je suis seul coupable.Thisbé ! c'est moi qui fus ton assassin ! c'est moi qui t'ai perdue ! Infortunée ! je te pressai de venir seule,pendant la nuit, dans ces lieux dangereux ! et n'aurais-je point dû y devancer tes pas ! Ô vous, hôtes sanglantsde ces rochers, lions ! venez me déchirer, et punissez mon crime. Mais que dis-je ? les lâches seuls se bornentà désirer la mort".

À ces mots il prend ce tissu fatal ; il le porte sous cet arbre où Thisbé avait dû l'attendre ; il le couvrede ses baisers, il l'arrose de ses larmes ; il s'écrie : "Voile baigné du sang de ma Thisbé, reçois aussi le mien". Ilsaisit son épée, la plonge dans son sein, et mourant la retire avec effort de sa large blessure.

Il tombe ; son sang s'élance avec rapidité. Telle, pressée dans un canal étroit, lorsqu'il vient à serompre, l'onde s'échappe, s'élève, et siffe dans les airs. Le sang qui rejaillit sur les racines du mûrier rougit lefruit d'albâtre à ses branches suspendu.

Cependant Thisbé, encore tremblante, mais craignant de faire attendre son amant, revient, le chercheet des yeux et du cœur. Elle veut lui raconter les dangers qu'elle vient d'éviter. Elle reconnaît le lieu, ellereconnaît l'arbre qu'elle a déjà vu ; mais la nouvelle couleur de ses fruits la rend incertaine ; et tandis qu'ellehésite, elle voit un corps palpitant presser la terre ensanglantée. Elle pâlit d'épouvante et d'horreur. Ellerecule et frémit comme l'onde que ride le zéphyr. Mais, ramenée vers cet objet terrible, à peine a-t-ellereconnu son malheureux amant, elle meurtrit son sein ; elle remplit l'air de ses cris, arrache ses cheveux,embrasse Pyrame, pleure sur sa blessure, mêle ses larmes avec son sang, et couvrant de baisers ce front glacé :"Pyrame, s'écrie-t-elle, quel malheur nous a séparés ! cher Pyrame, réponds ! c'est ton amante, c'est Thisbéqui t'appelle ! entends sa voix, et soulève cette tête attachée à la terre !"

À ce nom de Thisbé, il ouvre ses yeux déjà chargés des ombres de la mort; ses yeux ont vu sonamante, il les referme soudain. L'infortunée aperçoit alors son voile ensanglanté ; elle voit le fourreau d'ivoirevide de son épée; elle s'écrie : "Malheureux ! c'est donc ta main, c'est l'amour qui vient de t'immoler ! Ehbien ! n'ai-je pas aussi une main, n'ai-je pas mon amour pour t'imiter et m'arracher la vie ? Je te suivrai dansla nuit du tombeau. On dira du moins, Elle fut la cause et la compagne de sa mort. Hélas ! le trépas seulpouvait nous séparer : qu'il n'ait pas même aujourd'hui ce pouvoir ! Ô vous, parents trop malheureux ! vous,mon père, et vous qui fûtes le sien, écoutez ma dernière prière ! ne refusez pas un même tombeau à ceuxqu'un même amour, un même trépas a voulu réunir ! Et toi, arbre fatal, qui de ton ombre couvres le corps dePyrame, et vas bientôt couvrir le mien, conserve l'empreinte de notre sang ! porte désormais des fruits

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symboles de douleur et de larmes, sanglant témoignage du double sacrifce de deux amants" ! Elle dit, etsaisissant le fer encore fumant du sang de Pyrame, elle l'appuie sur son sein, et tombe et meurt sur le corps deson amant.

Ses vœux furent exaucés, les dieux les entendirent : ils touchèrent leurs parents ; la mûre se teignit depourpre en mûrissant ; une même urne renferma la cendre des deux amants.

Traduction de G.T. Villenave – 1806

Deux mises en scène d'Incendies :Wajdi Mouawad (2003 et 2009) et Stanislas Nordey (2007).

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La couverture de l'édition Babel, l'affche du flm de Denis Villeneuve

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Objet d'étude : Le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours.

Lectures analytiquesGroupement de textes : "Les yeux se rencontrèrent", scènes de première vue

et de demande en mariage

Textes : - texte 5 : Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Confessions (1782), la rencontre avec Madame de Warens ; - texte 6 : Gustave FLAUBERT, L'Education sentimentale (1869), extrait du chapitre 1 de la première partie, la rencontre de Madame Arnoux ;- texte 7 : Guy de MAUPASSANT, Bel-Ami (1885), deuxième partie, chapitre 8, la demande en mariage de Georges Duroy.

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Lecture analytique n° 5 : la rencontre de Madame de Warens

Après avoir raconté son enfance dans le livre premier, Jean-Jacques Rousseau consacre son second livre de sonautobiographie à la seule année 1728 pour marquer l'importance de cette période. C'est l'année de ses 16 ans, il ferades rencontres déterminantes, notamment avec une jeune femme chargée de le convertir : Mme de Warens.

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J'arrive enfn ; je vois Mme de Warens. Cette époque de ma vie a décidé de mon caractère ;je ne puis me résoudre à la passer légèrement. J'étais au milieu de ma seizième année. Sans êtrece qu'on appelle un beau garçon, j'étais bien pris dans ma petite taille ; j'avais un joli pied, lajambe fne, l'air dégagé, la physionomie animée, la bouche mignonne, les sourcils et les cheveuxnoirs, les yeux petits et même enfoncés, mais qui lançaient avec force le feu dont mon sang étaitembrasé. Malheureusement je ne savais rien de tout cela, et de ma vie il ne m'est arrivé de songerà ma fgure que lorsqu'il n'était plus temps d'en tirer parti. Ainsi j'avais avec la timidité de monâge celle d'un naturel très aimant, toujours troublé par la crainte de déplaire. D'ailleurs, quoiquej'eusse l'esprit assez orné, n'ayant jamais vu le monde, je manquais totalement de manières, etmes connaissances, loin d'y suppléer, ne servaient qu'à m'intimider davantage, en me faisantsentir combien j'en manquais

Craignant donc que mon abord ne prévînt pas en ma faveur, je pris autrement mesavantages, et je fs une belle lettre en style d'orateur, où cousant des phrases des livres avec deslocutions d'apprenti, je déployais toute mon éloquence pour capter la bienveillance de Mme deWarens. J'enfermai la lettre de M. de Pontverre1 dans la mienne, et je partis pour cette terribleaudience. Je ne trouvai point Mme de Warens ; on me dit qu'elle venait de sortir pour aller àl'église. C'était le jour des Rameaux de l'année 1728. Je cours pour la suivre : je la vois, je l'atteins,je lui parle... Je dois me souvenir du lieu ; je l'ai souvent depuis mouillé de mes larmes et couvertde mes baisers. Que ne puis-je entourer d'un balustre d'or cette heureuse place ! que n'y puis-jeattirer les hommages de toute la terre ! Quiconque aime à honorer les monuments du salut deshommes n'en devrait approcher qu'à genoux.

C'était un passage derrière sa maison, entre un ruisseau à main droite qui la séparait dujardin, et le mur de la cour à gauche, conduisant par une fausse porte à l'église des Cordeliers.Prête à entrer dans cette porte, Mme de Warens se retourne à ma voix. Que devins-je à cette vue !Je m'étais fguré une vieille dévote2 bien rechignée ; la bonne dame de M. de Pontverre nepouvait être autre chose à mon avis. Je vois un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleinsde douceur, un teint éblouissant, le contour d'une gorge enchanteresse. Rien n'échappa en rapidecoup d'oeil du jeune prosélyte3, car je devins à l'instant le sien, sûr qu'une religion prêchée par detels missionnaires ne pouvait manquer de mener au paradis. Elle prend en souriant la lettre que jelui présente d'une main tremblante, l'ouvre, jette un coup d'oeil sur celle de M. de Pontverre,revient à la mienne, qu'elle lit tout entière, et qu'elle eût relue encore si son laquais ne l'eût avertiequ'il était temps d'entrer. "Eh ! mon enfant, me dit-elle d'un ton qui me ft tressaillir, vous voilàcourant le pays bien jeune ; c'est dommage en vérité" . Puis, sans attendre ma réponse, elle ajouta: " Allez chez moi m'attendre ; dites qu'on vous donne à déjeuner ; après la messe j'irai causeravec vous. "

Jean-Jacques ROUSSEAU, Les Confessions (1782), la rencontre avec Madame de Warens

1 M. de Pontverre : en 1728, Jean-Jacques Rousseau, âgé de seize ans s’enfuit de Genève où il travaille comme apprenti chez un maîtregraveur. C’est à Confgnon, en Savoie, à cette époque, qu’il est accueilli par le curé M. de Pontverre qui lui recommande de se rendre àAnnecy chez Madame De Warens.2 Une dévote est une personne attachée aux pratiques religieuses.3 Le prosélyte est le nouvel adhérent à une foi, un jeune converti.

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Lecture analytique n° 6 : la rencontre de Madame Arnoux

Cet extrait de L'Education sentimentale, roman de Flaubert publié en 1869, se trouve au premierchapitre de la première partie. Un jeune homme, Frédéric, rentre chez lui à Nogent. Sur le bateau il rencontre unefemme mariée dont il tombe instantanément amoureux.

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Ce fut comme une apparition :Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans

l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; ilféchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.

Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrièreelle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas etsemblaient presser amoureusement l'ovale de sa fgure. Sa robe de mousseline claire, tachetée depetits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nezdroit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l'air bleu.

Comme elle gardait la même attitude, il ft plusieurs tours de droite et de gauche pourdissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et ilaffectait d'observer une chaloupe sur la rivière.

Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette fnessedes doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement,comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Ilsouhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avait portées, les gensqu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plusprofonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites.

Une négresse, coiffée d'un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite flle, déjàgrande. L'enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s'éveiller. Elle la prit sur sesgenoux. " Mademoiselle n'était pas sage, quoiqu'elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l'aimeraitplus ; on lui pardonnait trop ses caprices. " Et Frédéric se réjouissait d'entendre ces choses,comme s'il eût fait une découverte, une acquisition.

Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresseavec elle ?

Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage decuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sataille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, ilallait tomber dans l'eau ; Frédéric ft un bond et le rattrapa. Elle lui dit :

- Je vous remercie, monsieur. Leurs yeux se rencontrèrent. - Ma femme, es-tu prête ? cria le sieur Arnoux, apparaissant dans le capot de l'escalier.

Gustave FLAUBERT, L'Education sentimentale (1869), extrait du chapitre 1 de la première partie

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Lecture analytique n° 7 : la demande en mariage de Georges Duroy

Georges Duroy est un jeune journaliste qui a gravi tous les échelons dans son journal, notamment grâce à sesrelations amoureuses. Durant une réception organisée chez M. Walter, son patron, il se met à rêver d’épouser SuzanneWalter, leur flle, non par amour mais par ambition...

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Il prononça, comme si on lui eût arraché un secret du fond du coeur :" J'ai... j'ai... j'ai que je suis jaloux de lui. "

Elle s'étonna modérément : " Vous ? -- Oui, moi ! -- Tiens. Pourquoi ça ? -- Parce que je suis amoureux de vous, et vous le savez bien, méchante ! "

Alors elle dit d'un ton sévère : " Vous êtes fou, Bel-Ami ! "

Il reprit : " Je le sais bien que je suis fou. Est-ce que je devrais vous avouer cela, moi, un homme marié, àvous, une jeune flle ? Je suis plus que fou, je suis coupable, presque misérable. Je n'ai pas d'espoirpossible, et je perds la raison à cette pensée. Et quand j'entends dire que vous allez vous marier, j'aides accès de fureur à tuer quelqu'un. Il faut me pardonner ça, Suzanne ! "

Il se tut. Les poissons à qui on ne jetait plus de pain demeuraient immobiles, rangéspresque en lignes, pareils à des soldats anglais, et regardant les fgures penchées de ces deuxpersonnes qui ne s'occupaient plus d'eux.

La jeune flle murmura, moitié tristement, moitié gaiement : " C'est dommage que vous soyez marié. Que voulez-vous ? On n'y peut rien. C'est fni ! "

Il se retourna brusquement vers elle, et il lui dit, tout près, dans la fgure : " Si j'étais libre, moi, m'épouseriez-vous ? "

Elle répondit, avec un accent sincère : " Oui, Bel-Ami, je vous épouserais, car vous me plaisez beaucoup plus que tous les autres. "

Il se leva, et balbutiant : " Merci..., merci..., je vous en supplie, ne dites " oui " à personne ? Attendez encore un peu. Jevous en supplie ! Me le promettez-vous ? "

Elle murmura, un peu troublée et sans comprendre ce qu'il voulait : " Je vous le promets. "

Du Roy jeta dans l'eau le gros morceau de pain qu'il tenait encore aux mains, et il s'enfuit,comme s'il eût perdu la tête, sans dire adieu.

Tous les poissons se jetèrent avidement sur ce paquet de mie qui fottait n'ayant point étépétri par les doigts, et ils le dépecèrent de leurs bouches voraces. Ils l'entraînaient à l'autre bout dubassin, s'agitaient au-dessous, formant maintenant une grappe mouvante, une espèce de feuranimée et tournoyante, une feur vivante, tombée à l'eau la tête en bas.

Guy de MAUPASSANT, Bel-Ami (1885), deuxième partie, chapitre 8.

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Objet d'étude : Le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours.

Documents complémentairesGroupement de textes : "Les yeux se rencontrèrent", scènes de première vue

et de demande en mariage

Textes : • scènes de demande en mariage : Madame de La FAYETTE, La Princesse de Clèves, 1678

; Guy de MAUPASSANT, Pierre et Jean, 1888 ; Albert CAMUS, L'Étranger, 1942.• Lecture cursive : Honoré de Balzac, La Duchesse de Langeais, chapitre III, 1834.

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Scènes de demande en mariage

Textes : Texte A : Madame de La FAYETTE, La Princesse de Clèves, 1678.Texte B : Guy de MAUPASSANT, Pierre et Jean, 1888Texte C : Albert CAMUS, L'Étranger, 1942.

Texte A : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves.

[L 'histoire se passe à Paris, dans le milieu de la cour, au XVIème siècle, sous le règne d'Henri Il. Mlle deChartres a essayé d'épouser le cousin germain du roi, mais celui-ci s'est vivement opposé à cette tentative de mariage.]

Personne n'osait plus penser à Mlle de Chartres, par la crainte de déplaire au roi ou par lapensée de ne pas réussir auprès d'une personne qui avait espéré un prince du sang. M. de Clèves nefut retenu par aucune de ces considérations. La mort du duc de Nevers, son père, qui arriva alors, lemit dans une entière liberté de suivre son inclination1 et, sitôt que le temps de la bienséance du deuilfut passé, il ne songea plus qu'aux moyens d'épouser Mlle de Chartres. Il se trouvait heureux d'enfaire la proposition dans un temps où ce qui s'était passé avait éloigné les autres partis et où il étaitquasi assuré qu'on ne la lui refuserait pas. Ce qui troublait sa joie, était la crainte de ne pas lui êtreagréable, et il eût préféré le bonheur de lui plaire à la certitude de l'épouser sans en être aimé.

Le chevalier de Guise2 lui avait donné quelque sorte de jalousie ; mais comme elle étaitplutôt fondée sur le mérite de ce prince que sur aucune des actions de Mlle de Chartres, il songeaseulement à tâcher de découvrir s'il était assez heureux pour qu'elle approuvât la pensée qu'il avaitpour elle. Il ne la voyait que chez les reines3 ou aux assemblées ; il était diffcile d'avoir uneconversation particulière. Il en trouva pourtant les moyens et lui parla de son dessein et de sapassion avec tout le respect imaginable ; il la pressa de lui faire connaître quels étaient les sentimentsqu'elle avait pour lui et il lui dit que ceux qu'il avait pour elle étaient d'une nature qui le rendraientéternellement malheureux si elle n'obéissait que par devoir aux volontés de madame sa mère.

Comme Mlle de Chartres avait le cœur très noble et très bien fait, elle fut véritablementtouchée de reconnaissance du procédé du prince de Clèves. Cette reconnaissance donna à sesréponses et à ses paroles un certain air de douceur qui suffsait pour donner de l'espérance à unhomme aussi éperdument amoureux que l'était ce prince; de sorte qu'il se fatta d'une partie de cequ'il souhaitait.

Elle rendit compte à sa mère de cette conversation, et Mme de Chartres lui dit qu'il y avaittant de grandeur et de bonnes qualités dans M. de Clèves et qu'il faisait paraître tant de sagesse pourson âge que, si elle sentait son inclination portée à l'épouser, elle y consentirait avec joie. Mlle deChartres répondit qu'elle lui remarquait les mêmes bonnes qualités ; qu'elle l'épouserait même avecmoins de répugnance qu'une autre, mais qu'elle n'avait aucune inclination particulière pour sapersonne.

Dès le lendemain, ce prince ft parler à Mme de Chartres ; elle reçut la proposition qu'on luifaisait et elle ne craignit point de donner à sa flle un mari qu'elle ne pût aimer en lui donnant leprince de Clèves. Les articles4 furent conclus; on parla au roi, et ce mariage fut su de tout le monde.

1. inclination : penchant, désir.2. ll est tombé amoureux de Mlle de Chartres peu après son ami Clèves dont il est ainsi devenu un rival.3. Il s'agit de quatre reines : la femme du roi (Catherine de Médicis), la favorite du roi (Diane de Poitiers), la sœur du roi et l'épouse du fls du roi.4. Les articles : écrits offciels faisant offce de contrat.

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Texte B : Guy de Maupassant, Pierre et Jean.

[Monsieur et Madame Roland sont des bourgeois aisés du XIXème siècle. Avec leurs deux fls, Pierre et Jean,ils vont passer une journée, en compagnie d'une amie de la famille, Madame Rosémilly, sur une plage de Normandie.Jean, le frère cadet, qui se prépare à vingt-cinq ans à devenir avocat, parvient à s'isoler du groupe, avec MadameRosémilly, une jeune veuve de vingt-deux ans. Ils essaient tous deux de pêcher des crustacés entre les rochers. MadameRosémilly, « adroite et rusée », vient justement d'en attraper plusieurs.]

Jean maintenant ne trouvait rien, mais il la suivait pas à pas, la frôlait, se penchait sur elle,simulait un grand désespoir de sa maladresse, voulait apprendre.

- Oh ! montrez-moi, disait-il, montrez-moi !

Puis, comme leurs deux visages se refétaient, l'un contre l'autre, dans l'eau si claire dont lesplantes noires du fond faisaient une glace limpide, Jean souriait à cette tête voisine qui le regardaitd'en bas, et parfois, du bout des doigts, lui jetait un baiser qui semblait tomber dessus.

- Ah ! que vous êtes ennuyeux, disait la jeune femme ; mon cher, il ne faut jamais faire deux chosesà la fois.

Il répondit :

- Je n'en fais qu'une. Je vous aime.

Elle se redressa, et d'un ton sérieux :

- Voyons, qu'est-ce qui vous prend depuis dix minutes, avez-vous perdu la tête ?

- Non je n'ai pas perdu la tête. Je vous aime, et j'ose, enfn, vous le dire.

Ils étaient debout maintenant dans la mare salée qui les mouillait jusqu'aux mollets, et lesmains ruisselantes appuyées sur leurs flets, ils se regardaient au fond des yeux.

Elle reprit, d'un ton plaisant et contrarié :

- Que vous êtes malavisé de me parler de ça en ce moment ! Ne pouviez-vous attendre un autre jouret ne pas me gâter ma pêche ?

Il murmura :

- Pardon, mais je ne pouvais plus me taire. Je vous aime depuis longtemps. Aujourd'hui vous m'avezgrisé à me faire perdre la raison.

Alors, tout à coup, elle sembla en prendre son parti, se résigner à parler d'affaires et àrenoncer aux plaisirs.

- Asseyons-nous sur ce rocher, dit-elle, nous pourrons causer tranquillement.

Ils grimpèrent sur un roc un peu haut, et lorsqu'ils y furent installés côte à côte, les piedspendants, en plein soleil, elle reprit :

- Mon cher ami, vous n'êtes plus un enfant et je ne suis pas une jeune flle. Nous savons fort bien l'unet l'autre de quoi il s'agit, et nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes. Si vous vousdécidez aujourd'hui à me déclarer votre amour, je suppose naturellement que vous désirezm'épouser.

ll ne s'attendait guère à cet exposé net de la situation, et il répondit niaisement :

- Mais oui.

- En avez-vous parlé à votre père et à votre mère ?

- Non, je voulais savoir si vous m'accepteriez.

Elle lui tendit sa main encore mouillée, et comme il y mettait la sienne avec élan :

- Moi, je veux bien, dit-elle. Je vous crois bon et loyal. Mais n'oubliez point que je ne voudrais pas

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déplaire à vos parents.

- Oh ! pensez-vous que ma mère n'a rien prévu et qu'elle vous aimerait comme elle vous aime si ellene désirait pas un mariage entre nous ?

- C'est vrai, je suis un peu troublée.

Ils se turent. Et il s'étonnait, lui, au contraire, qu'elle fût si peu troublée, si raisonnable. Ils'attendait à des gentillesses galantes, à des refus qui disent oui, à toute une coquette comédied'amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l'eau ! Et c'était fni, il se sentait lié, marié, envingt paroles. Ils n'avaient plus rien à se dire puisqu'ils étaient d'accord et ils demeuraientmaintenant un peu embarrassés tous deux de ce qui s'était passé, si vite, entre eux, un peu confusmême, n'osant plus parler, n'osant plus pêcher, ne sachant que faire.

Texte C : Albert Camus, L'Étranger.

[L'histoire se déroule dans la première moitié du XXème siècle. Le narrateur, Meursault, vit et travaille àAlger. Le lendemain de l'enterrement de sa mère, il rencontre Marie Cardona, une ancienne collègue de bureau, et passela nuit avec elle. Au chapitre V, il ne la connaît que depuis une dizaine de jours.]

Le soir, Marie est venue me chercher1 et m'a demandé si je voulais me marier avec elle. J'aidit que cela m'était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si jel'aimais. J'ai répondu comme je l'avais déjà fait une fois2, que cela ne signifait rien mais que sansdoute je ne l'aimais pas. « Pourquoi m'épouser alors ? » a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n'avaitaucune importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D'ailleurs c'était elle qui ledemandait et moi je me contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chosegrave. J'ai répondu : « Non. » Elle s'est tue un moment et elle m'a regardé en silence. Puis elle aparlé. Elle voulait simplement savoir si j'aurais accepté la même proposition venant d'une autrefemme, à qui je serais attaché de la même façon. J'ai dit : « Naturellement. » Elle s'est demandéalors si elle m'aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce point. Après un autre moment desilence, elle a murmuré que j'étais bizarre, qu'elle m'aimait sans doute à cause de cela mais quepeut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais, n'ayant rien àajouter, elle m'a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu'elle voulait se marier avec moi.

J'ai répondu que nous le ferions dès qu'elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la propositiondu patron3 et Marie m'a dit qu'elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j'y avais vécu dansun temps et elle m'a demandé comment c'était. Je lui ai dit : « C'est sale. Il y a des pigeons et descours noires. Les gens ont la peau blanche. »

Puis nous avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles etj'ai demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m'a dit que oui et qu'elle me comprenait. Pendantun moment, nous n'avons plus parlé. Je voulais cependant qu'elle reste avec moi et je lui ai dit quenous pouvions dîner ensemble chez Céleste4, Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nousétions près de chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m'a regardé : « Tu ne veux pas savoir ce quej'ai à faire ? » Je voulais bien le savoir, mais je n'y avais pas pensé et c'est ce qu'elle avait l'air de mereprocher. Alors, devant mon air empêtré, elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement detout le corps pour me tendre sa bouche.

1. Marie est venue chercher Meursault sur son lieu de travail.

2. Elle lui a posé la même question le samedi précédent, après une journée à la plage.

3. Son patron lui a proposé le matin même un poste à Paris.

4. Il s'agit d'un restaurant où se rend souvent Meursault.

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I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la questionsuivante (4 points) : Vous comparerez ces demandes en mariage en mettant enévidence la façon dont elles caractérisent les personnages de roman suivants :Mademoiselle de Chartres et le prince de Clèves ; Jean et Madame Rosémilly ;Meursault et Marie.

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

• Commentaire Vous commenterez le texte de Maupassant (Texte B).

• Dissertation Comment, à travers les relations qu'il établit entre sespersonnages, un roman peut-il construire une vision du monde particulière ?Vous traiterez ce sujet en vous appuyant sur les textes du corpus, les textesétudiés en classe et vos lectures personnelles.

• Invention Marie Cardona, de retour chez elle, raconte dans son journal intimele moment passé avec Meursault. Vous imaginerez et rédigerez ce passage dujournal, en précisant les pensées, les impressions, les interrogations et lessentiments que vous prêtez à la narratrice.

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Honoré de Balzac, La Duchesse de Langeais

[Antoinette de Langeais a, pour satisfaire son orgueil, séduit Armand de Montriveau, héroïque général del'armée de Bonaparte. Elle est parvenue à se l'attacher en le rendant fou d'amour pour elle. Mais parce qu'elle veut «posséder sans être possédée », elle refuse de s'offrir à lui. Un soir, le général se rend chez elle, décidé à la faire céder àson désir.]

- Si tu disais vrai hier, sois à moi, ma chère Antoinette, s'écria-t-il, je veux.- D'abord, dit-elle en le repoussant avec force et calme, lorsqu'elle le vit s'avancer, ne me compromettez pas. Ma femme de chambre pourrait vous entendre. Respectez-moi, je vous prie. Votre familiarité est très bonne, le soir, dans mon boudoir1 ; mais ici2, point. Puis, que signife votre je veux ? Je veux ! Personne ne m'a dit encore ce mot. Il me semble très ridicule, parfaitement ridicule. - Vous ne me céderiez rien sur ce point ? dit-il.

- Ah ? vous nommez un point, la libre disposition de nous-mêmes : un point très capital, en effet ; et vous me permettrez d'être, en ce point tout à fait la maîtresse. - Et si, me fant en vos promesses, je l'exigeais ? - Ah ! vous me prouveriez que j'aurais eu le plus grand tort de vous faire la plus légère promesse, je ne serais pas assez sotte pour la tenir, et je vous prierais de me laisser tranquiIle.

Montriveau pâlit, voulut s'élancer; la duchesse sonna, sa femme de chambre parut, et cette femme lui dit en souriant avec une grâce moqueuse : - Ayez la bonté de revenir quand je serai visible3.

Armand de Montriveau sentit alors la dureté de cette femme froide et tranchante autant quel'acier, elle était écrasante de mépris. En un moment, elle avait brisé des liens qui n'étaient forts que pour son amant. La duchesse avait lu sur le front d'Armand les exigences secrètes de cette visite, et avait jugé que l'instant était venu de faire sentir à ce soldat impérial que les duchesses pouvaient bien se prêter à l'amour, mais ne s'y donnaient pas, et que leur conquête était plus diffcile à faire que ne l'avait été celle de l'Europe. - Madame, dit Armand, je n'ai pas le temps d'attendre. Je suis, vous l'avez dit vous-même, un enfantgâté. Quand je voudrai sérieusement ce dont nous parlions tout à l'heure, je l'aurai.- Vous l'aurez ? dit-elle d'un air de hauteur auquel se mêla quelque surprise. - Je l'aurai. - Ah l vous me feriez bien plaisir de le vouloir. Pour la curiosité du fait, je serais charmée de savoir comment vous vous y prendriez.- Je suis enchanté, répondit Montriveau en riant de façon à effrayer la duchesse, de mettre un intérêt dans votre existence. Me permettrez-vous de venir vous chercher pour aller au bal ce soir ? - Je vous rends mille grâces, monsieur de Marsay vous a prévenu4, j'ai promis.

Montriveau salua gravement et se retira. - Ronquerolles5 a donc raison, pensa-t-il, nous allons jouer maintenant une partie d'échecs.

Honoré de Balzac, La Duchesse de Langeais, chapitre III, 1834.

1 - boudoir : petit salon élégant de dame.2 - Montriveau a fait irruption, sans se faire annoncer, dans la chambre à coucher de !a duchesse.3 - quand je serai visible : quand je vous y autoriserai.4 - vous a prévenu : m'a déjà proposé de venir me chercher.5 - le marquis de Ronquerolles est un « galant », un homme à femmes. C'est lui qui a encouragé Montriveau à se montrer plus exigeant vis-à-vis de la duchesse de Langeais.

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Objet d'étude : Le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours.

Lectures analytiques

Oeuvre intégrale : Un Roi sans divertissement (1947) de Jean GionoTextes : - texte 8 : l'incipit, jusqu'à « ... il passe ses vacances là, à sa maison » ; - texte 9 : le hêtre de la scierie, de « Le hêtre de la scierie n'avait pas encore ... » jusqu'à «... comme des bouchers.» ;- texte 10 : la battue au loup, de « Les foulées, naturellement toujours d'une fraîcheur exquise...»jusqu'à «... l'encaisseur de mort subite ! » ) ; - texte 11 : l'explicit, de « Bon. Alors, qu’est-ce qu’il t’a dit ?... » jusqu'à la fn.

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Lecture analytique n° 8 : l'incipit

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Frédéric a la scierie sur la route d'Avers4. Il y succède à son père, à son grand-père, à sonarrière grand-père, à tous les Frédéric.

C'est juste au virage, dans l'épingle à cheveux5, au bord de la route. Il y a là un hêtre ; je suisbien persuadé qu'il n'en existe pas de plus beau : c'est l'Apollon-citharède6 des hêtres. Il n'est paspossible qu'il y ait, dans un autre hêtre, où qu'il soit, une peau plus lisse, de couleur plus belle, unecarrure plus exacte, des proportions plus justes, plus de noblesse, de grâce et d'éternelle jeunesse :Apollon exactement, c'est ce qu'on se dit dès qu'on le voit et c'est ce qu'on se redit inlassablementquand on le regarde. Le plus extraordinaire est qu'il puisse être si beau et rester si simple. Il esthors de doute qu'il se connaît et qu'il se juge. Comment tant de justice pourrait-elle êtreinconsciente ? Quand il sufft d'un frisson de bise7, d'une mauvaise utilisation de la lumière du soir,d'un porte-à-faux8 dans l'inclinaison des feuilles pour que la beauté, renversée, ne soit plus du toutétonnante.

En 1843-44-45, M.V. se servit beaucoup de ce hêtre. M.V. était de Chichiliane, un pays9 àvingt et un kilomètres d'ici, en route torse10, au fond d'un vallon haut. On n'y va pas, on va ailleurs,on va à Clelles (qui est dans la direction), on va à Mens, on va même loin dans des quantitésd'endroits, mais on ne va pas à Chichiliane. On irait, on y ferait quoi ? On ferait quoi àChichiliane ? Rien. C'est comme ici. Ailleurs aussi naturellement ; mais ailleurs, soit à l'est ou àl'ouest, il y a parfois un découvert, ou des bosquets, ou des croisements de routes. Vingt et unkilomètre, en 43, ça faisait un peu plus de cinq lieues11 et on ne se déplaçait qu'en blouse, en botteset en bardot12 ou pas. C'était donc très extraordinaire, Chichiliane. Je ne crois pas qu'il reste des V. à Chichiliane. La famille ne s'est pas éteinte mais personnene s'appelle V. : ni le bistrot, ni l'épicier et il n'y en a pas de marqué sur la plaque du monumentaux morts. Il y a des V. plus loin si vous montez jusqu'au col de Menet (et la route, d'ailleurs, vous faittraverser des foules vertes parmi lesquelles vous pourrez voir plus de cent hêtres énormes ou trèsbeaux, mais pas du tout comparables au hêtre qui est juste à la scierie de Frédéric), si vousdescendez sur le versant du Diois13, eh bien, là, il y a des V. La troisième ferme à droite de la route,dans les prés, avec la fontaine dont le canon14 est fait de deux tuiles emboîtées ; il y a des roséstrémières dans un petit jardin de curé et, si c'est l'époque des grandes vacances, ou peut-être mêmepour Pâques (mais à ce moment là il gèle encore dans les parages), vous pourrez peut-être voir,assis au pied des roses trémières15, un jeune homme très brun, maigre, avec un peu de barbe, cequi démesure ses yeux déjà très larges et très rêveurs. D'habitude (enfn quand je l'ai vu, moi) il lit,il lisait Gérard de Nerval16 : Sylvie. C'est un V. Il est (enfn il était) à l'école normale17 de, peut-êtreValence ou Grenoble. Et, dans cet endroit-là, lire Sylvie, c'est assez drôle. Le col de Menet, on lepasse dans un tunnel qui est à peu près aussi carrossable18 qu'une vieille galerie de mine

4 Avers : village situé dans la région de Trièves, à environ soixante kilomètres au sud de Grenoble. Toutes les autres localités citées dans le roman se trouvent également dans cette région des Alpes.

5 Epingle à cheveux : tournant brutal.6 Apollon : dans la mythologie grecque, dieu des arts et de la beauté. Souvent représenté avec une cithare (une lyre), il

est alors appelé Apollon-citharède.7 Bise : vent froid venu du nord.8 Porte-à-faux : déséquilibre.9 Pays : ici, village.10 Torse : tortueuse, sinueuse.11 Lieues : la lieue est une ancienne unité de distance équivalant à quatre kilomètres.12 Bardot : petit mulet.13 Diois : région située au sud du Trièves.14 Canon : extrémité creuse et cylindrique du tuyau par lequel arrive l'eau.15 Rose trémières : plantes fleuries, fréquentes dans les jardins.16 Gérard de Nerval (1808-1855) : écrivain et poète romantique français ; « Sylvie » est la plus célèbre nouvelle de son

recueil Les Filles du feu (1854).17 Ecole normale : école où l'on formait les futurs instituteurs.18 Carrossable : praticable, où les voitures peuvent circuler.

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abandonnée et le versant du Diois sur lequel on débouche alors c'est un chaos de vaguesmonstrueuses bleu baleine, de giclements noirs qui font fuser des sapins à des, je ne sais pas moi, là-haut ; des glacis19 de roches d'un mauvais rosé ou de ce gris sournois des gros mollusques, enfn, enterre, l'entrechoquement de ces immenses trappes d'eau sombre qui s'ouvrent sur huit mille mètresde fond dans le barattement20 des cyclones. C'est pourquoi je dis, Sylvie, là, c'est assez drôle ; car laferme qui s'appelle les Chirouzes est non seulement très solitaire mais, manifestement à ses mursbombés, à son toit, à la façon dont les portes et les fenêtres sont cachés entre les arcs-boutants 21

énormes, on voit bien qu'elle a peur. Il n'y a pas d'arbres autour. Elle ne peut se cacher que dans laterre et il est clair qu'elle le fait de toutes ses forces : la pâture22 derrière est plus haute que le toit.Le jardin de curé est là, quatre pas de côté, entouré de fl de fer, il me semble, et les roses trémièressont là, on ne sait pas pourquoi, et V. (Amédée), le fls, est là, devant tout. Il lit Sylvie, de Gérard deNerval. Il lisait Sylvie de Gérard de Nerval quand je l'ai vu. Je n'ai pas vu son père, sa mère ; je nesais pas s'il a des frères ou des sœurs ; tout ce que je sais, c'est que c'est un V., qu'il est à l'écolenormale de Valence ou de Grenoble et qu'il passe ses vacances là, à sa maison.

Jean GIONO, Un Roi sans divertissement (1947).

19 Glacis : partie pentue de la roche, soumise à l'érosion.20 Barattement : action de battre la crème, dans une machine cylindrique, pour en extraire le beurre (sens

métaphorique).21 Arcs-boutants : piliers se terminant en arcs de cercle pour soutenir un mur ou une voûte.22 Pâture : pré où broutent les bêtes.

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Lecture analytique n° 9 :le hêtre

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Le hêtre de la scierie n'avait pas encore, certes, l'ampleur que nous lui voyons. Mais, sajeunesse (enfn, tout au moins par rapport avec maintenant) ou plus exactement son adolescenceétait d'une carrure et d'une étoffe qui le mettaient à cent coudées au-dessus de tous les autresarbres, même de tous les autres arbres réunis. Son feuillage était d'un dru, d'une épaisseur, d'unedensité de pierre, et sa charpente (dont on ne pouvait rien voir, tant elle était couverte etrecouverte de rameaux plus opaques les uns que les autres) devait être d'une force et d'une beautérares pour porter avec tant d'élégance tant de poids accumulé. Il était surtout (à cette époque) pétrid'oiseaux et de mouches ; il contenait autant d'oiseaux et de mouches que de feuilles. Il étaitconstamment charrué23 et bouleversé de corneilles, de corbeaux et d'essaims ; il éclaboussait àchaque instant des vols de rossignols et de mésanges ; il fumait de bergeronnettes et d'abeilles ; ilsouffait des faucons et des taons ; il jonglait avec des balles multicolores de pinsons, de roitelets, derouges-gorges, de pluviers et de guêpes. C'était autour de lui une ronde sans fn d'oiseaux, depapillons et de mouches dans lesquels le soleil avait l'air de se décomposer en arcs-en-ciel comme àtravers des jaillissements d'embruns. Et, à l'automne, avec ses longs poils cramoisis, ses mille brasentrelacés de serpents verts, ses cent mille mains de feuillages d'or jouant avec des pompons deplumes, des lanières d'oiseaux, des poussières de cristal, il n'était vraiment pas un arbre. Les forêts,assises sur les gradins des montagnes, fnissaient par le regarder en silence. Il crépitait comme unbrasier ; il dansait comme seuls savent danser les êtres surnaturels, en multipliant son corps autourde son immobilité ; il ondulait autour de lui-même dans un entortillement d'écharpes, sifrémissant, si mordoré24, si inlassablement repétri par l'ivresse de son corps qu'on ne pouvait plussavoir s'il était enraciné par l'encramponnement25 de prodigieuses racines ou par la vitessemiraculeuse de la pointe de toupie sur laquelle reposent les dieux. Les forêts, assises sur les gradinsde l'amphithéâtre des montagnes, dans leur grande toilette sacerdotale26, n'osaient plus bouger.Cette virtuosité de beauté hypnotisait comme l'œil des serpents ou le sang des oies sauvages sur laneige. Et, tout le long des routes qui montaient ou descendaient vers elle, s'alignait la procession 27

des érables ensanglantés comme des bouchers.

Jean GIONO, Un Roi sans divertissement (1947).

23 Charrué : labouré (sens métaphorique).24 Si mordoré : aux reflets si dorés.25 Encramponnement : fait d'être relié, fixé par des crampons (néologisme).26 Dans leur grande toilette sacerdotale : ayant revêtu tous les ornements propres au culte religieux (sens

métaphorique).27 Procession : cortège religieux (sens propre), alignement (sens figuré).

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Lecture analytique n° 10 : la battue au loup

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Les foulées, naturellement toujours d'une fraîcheur exquise et si claires que tout le monde lesvoit, ne dénotent aucune inquiétude. Elles sont franches et sans retour. Peut-être que le Monsieurjoue au plus fn28 ? Tout le monde y joue : Dieu luimême. Mais le Monsieur y joue avec un sacréestomac29. Qu'est-ce qu'il espère ? Qu'une porte de sortie s'ouvrira dans le mur ? A point nommé ?Et, dites donc, est-ce qu'il ne serait pas beaucoup plus instruit que nous ? Est-ce que nous neserions pas les dindons de la farce30, nous autres, dans cette histoire, avec nos cors et nosfanfreluches ? Et nos pas pelus31 et (pour nous on peut le dire) notre angoisse ?

Est-ce que, par hasard, le Monsieur n'attendrait pas tout simplement la mort que nous luiapportons sur un plateau ? Ça, comme porte, vous avouerez que ça serait même un portail, un arcde triomphe ! Et ça expliquerait pourquoi, d'après les foulées que nous suivons, il est allé toutsimplement se placer de lui-même au pied du mur, sans esquiver, ni de droite ni de gauche.

Que ce soit ce que ça voudra, nous avançons. Et brusquement nous dépassons les dernierstaillis. Nous sommes devant cette aire nue qui va jusqu'au pied du mur.

D'abord, nous ne voyons rien. Langlois, en trois pas rapides, s'est mis devant nous. De sesbras étendus en croix et qu'il agite lentement de haut en bas comme des ailes qu'il essaie, il nousfait signe : stop et, tranquille !

Nous entendons craquer les pantalons des porteurs de torches qui traversent les taillis, lesgrosses ouatines32 de la capitaine et de Saucisse.

Le voilà, là-bas ! Nous le voyons ! Il est bien à l'endroit où je craignais qu'il soit. A l'endroitvers lequel, depuis ce matin, à grand renfort de fanfares, de télégraphes et de cérémonies, nousnous sommes efforcés de le pousser.

Eh bien, il y est. Et, si c'était un endroit qu'il ait choisi lui-même, il n'y serait pas plustranquille.

Il est couché dans cet abri que l'aplomb même du mur fait à sa base. Il nous regarde. Il clignedes yeux à cause des torches ; et, tout ce qu'il fait, c'est de coucher deux ou trois fois ses longuesoreilles.

Sans Langlois, quel beau massacre ! Au risque de nous fusiller les uns les autres. Au risquemême, au milieu de la confusion des cris, des coups, des fumées et (nous nous serions certainementrués sur lui de toutes nos forces) des couillonnades33, au risque même de lui permettre le saut decarpe qui l'aurait fait retomber dans les vertes forêts.

— Paix ! dit Langlois.

Et il resta devant nous, bras étendus, comme s'il planait.

Oh ! Paix ! Pendant que recommence à voltiger le va-et-vient des torches-colombes.

Langlois s'avance. Nous n'avons pas envie de le suivre. Langlois s'avance pas à pas.

Au milieu de cette paix qui nous a brusquement endormis, un fait nous éclaire surl'importance de ce petit moment pendant lequel Langlois s'avance lentement pas à pas : c'est lalégèreté aéronautique avec laquelle le fameux procureur royal fait traverser nos rangs à son ventre.

Nous voyons aussi que, devant les pattes croisées du loup, il y a le chien de Curnier, couché,

28 Joue au plus fn : cherche à se montrer plus malin que les autres. 29 Estomac : courage (sens fguré, familier).30 Les dindons de la farce : les victimes de l'affaire, les objets de la moquerie générale. 31 Pelus : sournois, hypocrites.32 Ouatines : tissus molletonnés, rembourrés de coton.33 Couillonnades : sottises, bêtises (familier).

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mort, et que la neige est pleine de sang.

Il s'en est passé des choses pendant le silence !

Langlois s'avance ; le loup se dresse sur ses pattes. Ils sont face à face à cinq pas. Paix !

Le loup regarde le sang du chien sur la neige. Il a l'air aussi endormi que nous.

Langlois lui tira deux coups de pistolet dans le ventre ; des deux mains ; en même temps.

Ainsi donc, tout ça, pour en arriver encore une fois à ces deux coups de pistolet tirés à ladiable, après un petit conciliabule muet entre l'expéditeur et l'encaisseur de mort subite !

Jean GIONO, Un Roi sans divertissement (1947).

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Lecture analytique n° 11 : l'excipit

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— Bon. Alors, qu’est-ce qu’il t’a dit ?— Il m’a dit : « Est-ce que tu as des oies ? » J’y ai dit : « Oui, j’ai des oies ; ça dépend. » – « Vam’en chercher une. » J’y dis : « Sont pas très grasses », mais il a insisté, alors j’y ai dit : « Eh bien,venez. » On a fait le tour du hangar et j’y ai attrapé une oie. Comme elle s’arrête, on lui dit un peu rudement :— Eh bien, parle.— Bien, voilà, dit Anselmie… C’est tout.— Comment, c’est tout ?— Bien oui, c’est tout. Il me dit : « Coupe-lui la tête. » J’ai pris le couperet, j’ai coupé la tête à l’oie.— Où ?— Où quoi, dit-elle, sur le billot34, parbleu35.— Où qu’il était ce billot ?— Sous le hangar, pardi.— Et Langlois, qu’est-ce qu’il faisait ?— Se tenait à l’écart.— Où ?— Dehors le hangar36.— Dans la neige ?— Oh ! il y en avait si peu.— Mais parle. Et on la bouscule.— Vous m’ennuyez à la fn, dit-elle, je vous dis que c’est tout. Si je vous dis que c’est tout, c’est quec’est tout, nom de nom. Il m’a dit : « Donne. » J’y ai donné l’oie. Il l’a tenue par les pattes. Ehbien, il l’a regardée saigner dans la neige. Quand elle a eu saigné un moment, il me l’a rendue. Ilm’a dit : « Tiens, la voilà. Et va-t’en. » Et je suis rentrée avec l’oie. Et je me suis dit : « Il veut sansdoute que tu la plumes. » Alors, je me suis mise à la plumer. Quand elle a été plumée, j’ai regardé.Il était toujours au même endroit. Planté. Il regardait à ses pieds le sang de l’oie. J’y ai dit : « L’estplumée, monsieur Langlois. » Il ne m’a pas répondu et n’a pas bougé. Je me suis dit : « Il n’est passourd, il t’a entendue. Quand il la voudra, il viendra la chercher. » Et j’ai fait ma soupe. Est venucinq heures. La nuit tombait. Je sors prendre du bois. Il était toujours là au même endroit. J’y ai denouveau dit : « L’est plumée, monsieur Langlois, vous pouvez la prendre. » Il n’a pas bougé. Alors,je suis rentrée chercher l’oie pour la lui porter, mais, quand je suis sortie, il était parti.

Eh bien, voilà ce qu’il dut faire. Il remonta chez lui et il tint le coup jusqu’après la soupe. Ilattendit que Saucisse ait pris son tricot d’attente et que Delphine ait posé ses mains sur ses genoux.Il ouvrit, comme d’habitude, la boîte de cigares, et il sortit pour fumer.

Seulement, ce soir-là, il ne fumait pas un cigare : il fumait une cartouche de dynamite. Ceque Delphine et Saucisse regardèrent comme d’habitude, la petite braise, le petit fanal de voiture,c’était le grésillement de la mèche.

Et il y eut, au fond du jardin, l’énorme éclaboussement d’or qui éclaira la nuit pendant uneseconde. C’était la tête de Langlois qui prenait, enfn, les dimensions de l’univers. Qui a dit : « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères »37 ?

Manosque, 1er sept.-10 oct. 46.Jean GIONO, Un Roi sans divertissement (1947).

34 Billot : bloc de bois servant à découper ou à trancher.35 Parbleu, pardi : jurons qui soulignement ironiquement une évidence.36 Dehors le hangar : à l'extérieur du hangar (familier).37 « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères » : citation extraite des Pensées (1670, posth.) deBlaise Pascal (1623-1662).

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Objet d'étude : Le personnage de roman du XVIIe siècle à nos jours.

Documents complémentaires

Oeuvre intégrale : Un Roi sans divertissement (1947) de Jean Giono

Groupement de textes : d'Un Roi sans divertissement à Noé : Groupement de textes : l'intertextualité : Chrétien de troyes, Perceval (1162) ; Gérard deNerval, Chimères, "Artémis"(1853) ; Pascal, Pensées, "Divertissement" (1670).Goupement de textes : Jean Giono et le projet des Chroniques : entretiens de JeanGiono avec Jean et Taos Amrouche, 1953 (reproduits dans le commentaire de Un roi sansdivertissement par Mireille Sacotte, Gallimard, coll. Foliothèque (n°42), Paris, 1995) ; la préface de1962 des Chroniques.Goupement de textes : figures maternelles : Colette, Sido (1930) ; John Steinbeck, Les Raisinsde la colère (1939) (traduit de l’anglais par M. Duhamel et M.- E. Coindreau) ; Jean Giono, Un Roisans divertissement (1947).Histoire des arts : Albrecht Dürer, La Melencolia (1514). Un flm : la scène fnale de Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard

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D'Un Roi sans divertissement à Noé

Texte 1Aussitôt après avoir achevé Un roi, Giono se met à la rédaction d'un roman nouveau, Noé. Mais son

imagination est encore habitée par les personnages et le décor d'Un roi. Le livre s'ouvre donc sur la scène même quiclôt Un roi, le suicide de Langlois, et le créateur s'interroge sur le parti qu'il aurait pu tirer de l'une de ses créaturesDelphine, face au cadavre de Langlois. D'autre part, les quinze premières pages de Noé mettent en récit le processuscurieux par lequel, quand Giono composait Un roi, l'univers du roman était venu se superposer imaginairement àl'univers domestique du romancier.

Je venais de fnir d'écrire Un roi sans divertissement. La tête de Langlois venait à peine d'éclatersur mon papier que je me suis dit (et très violemment) : «Tu as mené ce personnage jusqu'au boutde son destin. Il est mort, maintenant. Il est là, étendu par terre dans son sang et sa cervellerépandus. Là-bas, Delphine et saucisse viennent d'ouvrir la porte du bongalove ; elles appellentLanglois comme si elles espéraient qu'il va encore pouvoir leur répondre. Et, est-ce qu'il ne leurrépond pas, tel qu est là ? Est-ce que ce n'est pas une réponse suffsante ? Si tu fais tant qud'attendre que Delphine arrive au bord du carnage avec ses petits souliers fns ; si tu fais tant qued'essayer de la décrire, retroussant ses jupes au-dessus du sang et de la cervelle de Langlois commeau bord d'une faque de boue, tu vas voir que Delphine va vivre. Alors, tu n'as pas fni. Tu saisbien qu'elle est toute neuve. Est-ce qu'elle était préparée à cet éclat ? Non. Tu l'as dit toi-mêmeelle avait rangé soigneusement les boîtes à cigares de chaque côté de la glace de la cheminée. Etn'oublie pas que tu as parlé de ce tablier blanc (impeccable, à bavette brodée qu'elle faisait porterà sa petite bonne dans la maison de Grenoble. Tout ça, ce sont des signes. Amène-la seulementjusqu'ici; attends qu'elle ait traversé le labyrinthe de buis (où tu entends déjà qu'elle court enfrappant les dalles de ses talons de bottines comme une biche frappe les rochers de ses sabots et tuverras qu'elle va vivre. Termine-moi ça rondo, pour le moment. Tu ne peux pas te payer le luxed'une Delphine. Tu n'as pas parlé de ses beaux yeux d'amande verte, de ses épais cheveux noirs,de sa peau pâle, bleutée comme un lait reposé, de tout ce que Saucisse n'a pas vu, ou n'a pasvoulu voir, ou n'a pas voulu dire, et qui est dans son buste, dans ses hanches de chat, dans safoulée (ce pas, trop long, et qui l'emporte toujours au-delà, semble-t-il, s'il n'est qu'un pas defemme). Mais tu sais bien que tout cela existe (...).

Jean Giono, Noé, Bibliothèque de la Pléiade, Édition Gallimard, pp. 611-612.

Texte 2Le passage le plus signifcatif est celui où le romancier au travail coïncide imaginairement avec l'assassin M.

Nous voyons ici à l'oeuvre le processus de superposition, concernant cette fois des êtres, et non plus des objets. Orl'identifcation est elle-même une des clés psychologiques d'Un roi : Langlois s'identife à M. V et le lecteur estinvité à s'identifer à Langlois.

A la place de la fenêtre sud, en face de ma table, j'ai installé la place du village avec le nuageau ras des toits ; je vois, d'enflade, la route qui s'en va à Pré-Villars et à Saint-Maurice ; à gauche,de biais, j'aperçois le porche de l'église (à peu près à l'endroit où, dans la soi-disant réalité, setrouve la villa) à droite, en belle vue, la porte du Café de la Route avec, au-dessus, au premierétage, la fenêtre de la chambre que Langlois a habitée si longtemps, et, en bas, la porte vitrée de lacuisine de Saucisse, à travers laquelle j'ai pu voir tout son trafc son raccommodage de bas et degilets de fanelle, et toute la mimique de ses conversations avec Mme Tim. Vers moi, c'est-à-direvers la table où j'écrivais, en venant de la fenêtre vers moi, se trouve le commencement de la routequi mène au Jocon, à l'Archat, aux montagnes, l'itinéraire de fuite de M. V. Quand M. V. en a euterminé avec Dorothée, quand il est descendu du hêtre (qui est dans le coin, en face de moi, entrela fenêtre sud et la fenêtre ouest ; c'est-à-dire sur cette portion de mur blanc qui sépare les deuxfenêtres), en descendant du hêtre, j'ai dit qu'il avait mis le pied dans la neige, près d'un buisson deronces. Ça, c'est l'histoire écrite. En réalité, il a mis le pied sur mon plancher, à un mètre

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cinquante de ma table, juste à côté de mon petit poêle à bois. J'ai dit qu'il était parti vers l'Archat.En réalité, il est venu vers moi, il a traversé ma table; ou, plus exacte- ment, sa forme vaporeuse (ilmarchait droit devant lui sans se sou cier de rien, je l'ai dit) sa forme vaporeuse a été traversée parma table. Il m'a traversé, ou, plus exactement, moi qui ne bougeais pas (ou à peine ce qu'il fautpour écrire) j'ai traversé la forme vapo- reuse de M. V. A un moment même, nous avons coincideexacte- ment tous les deux ; un instant très court parce qu'il continuait à marcher de son pas etque, moi, j'étais immobile. Néanmoins, pendant cet instant pour court qu'il ait été - jétais M. V. ;et cest moi que Frédéric II regardait ; Frédéric II qui venait d'apparaître derrière le tuyau depoêle à bois (c'est là qu'est la scierie Puis, M. V. m'a dépassé et, dans mon dos, il a continué saroute, montant dans l'Archat (qui est dans ma bibliothèque), vers Chichilianne (qui est au-delà,dehors, dans mon dos, de l'autre côté du mur, dans la propriété voisine, un très joli petit parcsauvage entre parenthèses). Du côté de mes chevaux mongols, c'est là que se trouve la hauteur surlaquelle Langlois a bâti son bongalove. C'est donc là que Delphine guette le parapluie rouge ducolporteur, pendant qu'il va de ferme en ferme dans les fonds (des fonds qui se trouveraient parconséquent en bas, au premier étage, à peu près à l'endroit où est la chambre de ma flle Aline).C'est là, entre le cheval rouge et le cheval blanc, que se trouve le labyrinthe de buis dans lequelSaucisse se dispute avec Delphine ; c'est là aussi qu'elle fait ses confdences aux vieillards quiensuite me racontent l'histoire. C'est entre le cheval blanc et le commutateur électrique, près dema porte, que j'ai installé la terrasse sur laquelle Langlois fume les cigares, puis la cartouche dedynamite; et, à l'endroit du beau cheval noir, c'est là que se trouve le bongalove lui-même, avec sachambre à coucher et la glace de la cheminée, de chaque côté de laquelle Delphine avaitsoigneusement rangé les boîtes à cigares.

Jean Giono, Noé, Bibliothèque de la Pléiade, Edition Gallimard, pp. 615-616.

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L'intertextualité

Textes :- texte 1 : Chrétien de Troyes, Perceval ou le conte du Graal (1182) ; - texte 2 : Gérard de Nerval, Chimères, "Artémis"(1853) ; - texte 3 : Pascal, Pensées, "Divertissement" (1670).

Texte 1 : Chrétien de Troyes, Perceval ou le conte du Graal (1182).C’est l’hiver, Le roi Arthur et ses chevaliers viennent de quitter le château de Carlion, la nuit venue, ils s’arrêtent et dresse

leur camp dans une prairie près de la forêt. Perceval qui se trouve à proximité regarde un vol d’oie sauvage, l’une d’elle est attaquéepar un faucon, blessée elle gît à terre, Perceval est subjugué par la vue du sang sur la neige...

" [...] Cette oie était blessée au col d’où coulaient trois gouttes de sang répandues parmi tout le blanc.Mais l’oiseau n’a peine ou douleur qui la tienne gisante à terre. Avant qu’il soit arrivé là, l’oiseau s’est déjàenvolé ! Et Perceval voit à ses pieds la neige où elle s’est posée et le sang encore apparent. Et il s’appuiedessus sa lance afn de contempler l’aspect, du sang et de la neige ensemble. Cette fraîche couleur lui semblecelle qui est sur le visage de son amie. Il oublie tout tant il pense car c’est bien ainsi qu’il voyait sur le visagede sa mie, le vermeil posé sur le blanc comme les trois gouttes de sang qui sur la neige paraissaient.

[...] il est si perdu dans ses pensées devant les trois gouttes de sang qu’il ne connaît plus rien au monde.[...] Perceval ne quittant des yeux les trois gouttes de sang encore s’appuie sur sa lance.[...] le chevalier toujours appuyé sur sa lance, ne paraissant point se lasser d’un rêve auquel il se complaît.Mais à cette heure-là déjà le soleil brillant a fait fondre deux des trois gouttes de beau sang qui avaient faitrouge la neige et la troisième pâlissait.

Perceval sort de son penser. C’est lors que messire Gauvain met à l’amble son cheval et s’approche trèsdoucement de Perceval comme un homme bien de chercher querelle. Il dit :

" Sire, je vous aurais salué si je connaissais votre nom comme je connais le mien. Mais tout au moins, jepuis vous dire que je suis messager du roi ; que de sa part je vous demande et vous prie que vous veniez à sacour pour lui parler.

- Deux hommes sont déjà venus. Et tous deux me prenaient ma joie et ils voulaient m’emmener, metraitant comme prisonnier. Ils ne faisaient pas pour mon bien. Car devant moi, en cet endroit je voyais troisgouttes de sang illuminer la neige blanche. Je les contemplais. Je croyais que c’était la fraîche couleur duvisage de mon amie. Voilà pourquoi je ne pouvais m’en éloigner."

Texte 2 : Gérard de Nerval, Chimères, "Artémis"(1853).

Artémis

La Treizième revient... C'est encor la première ;Et c'est toujours la Seule, - ou c'est le seul moment :Car es-tu Reine, ô Toi ! la première ou dernière ?Es-tu Roi, toi le seul ou le dernier amant ? ...

Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ;Celle que j'aimai seul m'aime encor tendrement :C'est la Mort - ou la Morte... Ô délice ! ô tourment !La rose qu'elle tient, c'est la Rose trémière.

Sainte napolitaine aux mains pleines de feux,Rose au coeur violet, feur de sainte Gudule,As-tu trouvé ta Croix dans le désert des cieux ?

Roses blanches, tombez ! vous insultez nos Dieux,Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :- La sainte de l'abîme est plus sainte à mes yeux !

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Texte 3 : Pascal, Pensées, "Divertissement" (1670).Contrairement à Montaigne, Pascal considère que le divertissement est néfaste pour l’homme, car s’il nous permet de nous

échapper de notre misérable condition, il nous éloigne des vraies valeurs et de Dieu, seule quête essentielle dans la vie d’un homme. 168 : Divertissement

"Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et lespeines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions,d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’uneseule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.

[...]Quelque condition qu’on se fgure, où l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la

royauté est le plus beau poste du monde. Et cependant, qu’on s’en imagine [un] accompagné de toutes lessatisfactions qui peuvent le toucher. S’il est sans divertissement et qu’on le laisse considérer et faire réfexionsur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point. Il tombera par nécessité dans les vues qui lemenacent des révoltes qui peuvent arriver et enfn de la mort et des maladies, qui sont inévitables. De sortequ’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux et plus malheureux que le moindre de sessujets qui joue et qui se divertit.[...]

Ce n’est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu’onrecherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penseret nous divertit. _ Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise.

De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement. De là vient que la prison est unsupplice si horrible. De là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et c’est enfn leplus grand sujet de félicité de la condition des rois de ce qu’on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurertoutes sortes de plaisirs. - Le roi est environné de gens qui ne pensent qu’à divertir le roi et à l’empêcher depenser à lui. Car il est malheureux, tout roi qu’il est, s’il y pense.[...]

B. Ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui par l’état de sa complexion. Et il est si vain qu’étant de mille causes essentielles d’ennui, la moindre chose comme un billardet une balle qu’il pousse suffsent pour le divertir.

C [...] Tel homme passe sa vie sans ennui en jouant tous les jours peu de choses. Donnez-lui tous les matinsl’argent qu’il peut gagner chaque jour, à la charge qu’il ne joue point, vous le rendez malheureux. On dirapeut-être que c’est qu’il recherche l’amusement du jeu et non le gain. Faites-le donc jouer pour rien, il ne s’yéchauffera pas et s’y ennuiera. Ce n’est donc pas l’amusement seul qu’il recherche, un amusementlanguissant et sans passion l’ennuiera, il faut qu’il s’y échauffe et qu’il se pipe lui-même en s’imaginant qu’ilserait heureux de gagner ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui donnât à condition de ne point jouer, afn qu’il seforme un sujet de passion et qu’il excite sur cela son désir, sa colère, sa crainte pour l’objet qu’il s’est formé,comme les enfants qui s’effraient du visage qu’ils ont barbouillé.

Doù vient que cet homme qui a perdu depuis de mois son fls unique et qui est accablé de procès etde querelles était ce matin si troublé et n’y pense plus maintenant ? Ne vous en étonnez pas, il est tout occupéà voir par où passera ce sanglier que les chiens poursuivent avec tant d’ardeur depuis six heures. Il n’en fautpas davantage. L’homme, quelque plein de tristesse qu’il soit, si on peut gagner sur lui et le faire entrer enquelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là. Et l’homme quelque heureux qu’il soit, s’iln’est diverti ou occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l’ennui de se répandre, serabientôt chagrin et malheureux. [...] "

Fragment 169 : Divertissement

" La dignité royale n’est-elle pas assez grande d’elle-même pour celui qui la possède, pour lerendre heureux par la seule vue qu’il est ? Faudra-t-il le divertir de cette pensée comme les gens ducommun ? Je vois bien que c’est rendre un homme heureux que de le divertir de la vue de ses misèresdomestiques pour remplir toute sa pensée du soin de bien danser, mais en sera-t-il de même d’un roi, etsera-t-il plus heureux en s’attachant à ses vains amusements qu’à la vue de sa grandeur, et quel objet plussatisfaisant pourrait-on donner à son esprit ? Ne serait-ce donc pas faire tort à sa joie d’occuper son âme àpenser à ajuster ses pas à la cadence d’un air ou à placer adroitement une barre, au lieu de la laisser jouiren repos de la contemplation de la gloire majestueuse qui l’environne ? Qu’on en fasse l’épreuve. Qu’onlaisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans l’esprit, sans compagnie,

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penser à lui tout à loisir, et l’on verra qu’un roi sans divertissement est un roi plein de misères ( c’est moiqui souligne) Aussi on évite cela soigneusement et il ne manque jamais d’y avoir auprès des personnes desrois un grand nombre de gens qui veillent à faire succéder le divertissement à leurs affaires, et quiobservent tout le temps de leur loisir pour leur fournir des plaisirs et des jeux, en sorte qu’il n’y ait pas devide. C’est-à-dire qu’ils sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux de prendre garde que leroi ne soit seul et en état de penser à soi, sachant bien qu’il sera misérable, tout roi qu’il est s’il y pense."

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Goupement de textes : Jean Giono et le projet des Chroniques

Textes :- texte 1 : entretiens de Jean Giono avec Jean et Taos Amrouche, 1953 (reproduitsdans le commentaire de Un roi sans divertissement par Mireille Sacotte,Gallimard, coll. Foliothèque (n°42), Paris, 1995) ; - texte 2 : la préface de 1962 des Chroniques.

Texte 1 : entretiens de Jean Giono avec Jean et Taos Amrouche (1953). JEAN GIONO — Après la prison de 1939, j'ai écrit Pour saluer Melville ; après la prison de 1944, j'ai écrit Unroi sans divertissement. Dans Un roi sans divertissement, nous trouvons précisément les pensées auxquelles je me suislivré pendant toute cette période d'expériences. C'est, en tout cas, un livre dans lequel j'essaie de voirl'homme avec des yeux différents.JEAN AMROUCHE — Quel est le thème de ce livre ?J. G. — Eh bien, c'est tout simplement le drame du justicier qui porte en lui-même les turpitudes qu'il entendpunir chez les autres. Il ne se livre à aucune turpitude, et au moment même où il sent qu'il est capable de s'ylivrer, il se tue ! Il n'est pas dans une situation sans issue, il est dans une situation qui laisse encore l'issue deMonsieur X, l'issue de tuer. C'est celle-là qu'il refuse.J. A. — J'ai l'impression que vous indiquez le thème sous une forme peut-être trop abstraite.J. G. — Au début de ce livre, nous avons vu des crimes accomplis par un paysan [sic], des crimesparfaitement gratuits. Il a pris du plaisir à tuer, il a pris du plaisir à cacher dans les feuillages du hêtre lescadavres de ses victimes, il prend à ce simple fait de tuer et de cacher ses victimes un énorme plaisir qui lecontente. C'est Monsieur X qu'on cherche d'abord et que, fnalement, Langlois suit à travers la forêt et fnitpar trouver chez lui. Nous le voyons après qu'il a fait justice de ce criminel en le tuant de ses propres mains.Puisqu'il avait fait des aveux complets, qu'il avait vu de quelle façon ce personnage se conduisait, il était enprésence d'une sorte de bête féroce, comme plus tard il va être en présence du loup, il a vu qu'il était toutsimple de le tuer et que l'affaire était terminée. Mais après, nous voyons Langlois le justicier revenir dans lamaison de Monsieur X. Il s'aperçoit que Monsieur X avait une vie normale, qu'il avait une femme, que cettefemme l'aimait, qu'il avait un petit garçon, que ce petit garçon vraisemblablement l'aimait, et que dans lagrande pièce où il est en train de faire l'endormi, il y a un magnifque portrait de l'assassin, qu'on vénèreencore la mémoire de cet homme qui, pour lui, était une bête féroce. Il se rend compte là, que ce personnagequi lui paraissait si extraordinaire, a été pour une certaine partie de la population, et notamment sa famille,un personnage ordinaire. À partir de ce moment-là, il se demande si lui-même, qui est aussi un personnageordinaire, n'a pas les réactions de cet homme. Après avoir tué le loup, qui est une sorte de symbole dupremier assassin, il essaie de se distraire, de se divertir, selon Pascal, et de trouver quelque chose quil'empêche d'avoir son esprit constamment porté vers les pensées qui pourront l'amener peut-être un jour, luiaussi, à tuer et à cacher des cadavres, à tuer pour le simple plaisir de tuer. « Puisque Monsieur X était unpersonnage ordinaire, aimé de sa famille et absolument normal, moi, se dit-il, qui suis également unpersonnage normal, je peux être aussi demain pris par la folie ou par le tempérament de tuer et prendre monplaisir au sang. » À ce moment-là, que fait Langlois ? Il essaie de se distraire par des divertissementshabituels. Il essaie, par conséquent, de se marier. Le mariage ne lui apporte pas la distraction nécessaire. Peuaprès ce mariage, et après avoir amené sa femme dans ce pays, en allant chez une femme qui vient de tuerune oie, il voit le sang de l'oie sur la neige et il constate que le rapport du rouge et du blanc lui donne une joiesi indicible que, à partir de ce moment-là, il n'y a plus d'autre issue que de participer à cette joie ou de sesupprimer, et il se supprime. C'est au fond lui le justicier qui avait jugé qu'après avoir entendu et vu l'assassinil n'y avait qu'à le supprimer purement et simplement pour que le monde continue. Il s'aperçoit que le mondecontinue quand même avec l'assassin. Par conséquent, il porte en lui-même la turpitude qu'il a entendu punirchez l'autre. Autrement dit, il s'applique sa propre justice, la justice qu'il avait appliquée aux autres. Il estjusticier. Ne perdons pas de vue que Langlois est, d'un autre côté, un capitaine de gendarmerie, c'est unhomme qui a l'habitude d'appliquer la loi. Il l'applique, cette loi, à lui-même, qui est un assassin en puissance.

Le hêtre comme point de départ de la création romanesqueJ. A. — Quand je vous ai demandé si vous commenciez à écrire vos livres pour ainsi dire tout de go, ou biensi, avant d'écrire un livre, vous aviez déjà une certaine idée de ce que serait son tempo particulier, le ton, la

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clé dans lequel il serait écrit, si sa place, dans l'économie générale de votre œuvre n'était pas déjà marquée,vous m'avez dit à ce moment-là : « Non, je n'ai pas de plan. J'écris. »J. G. —Vous savez très bien que nous ne pouvons pas donner, ici, des règles formelles, ni parler en absolu, etil y a des quantités de travaux, de livres qui sont différents de ce que je vous dis. Maintenant, je vais vousparier d'un fait précis, et démontrer pour vous, précisément pour vous montrer que quelquefois, la créationpart d'une chose extraordinairement fne, banale, presque rien du tout. Mais est-ce que véritablement nousarriverons au néant, au départ ? Je ne sais pas si ça sortira véritablement de rien. Je vais essayer de vousexpliquer comment s'est créé Un roi sans divertissement. Le livre est parti parfaitement au hasard, sans aucunpersonnage. Le personnage était l'Arbre, le Hêtre. Pourquoi ? C'est parce que, au moment où j'ai écrit celivre-là, j'étais à ma ferme, à la Margotte, je passais des vacances admirables avec Élise. Comment j'aicommencé ce livre ? Au départ, je suis allé me promener, dans un endroit qui est très extraordinaire, et où ily a un hêtre magnifque. En retournant, j'ai commencé à écrire sur ce hêtre. Et, si l'on examine bien lespremières pages d'Un roi sans divertissement, on pourra constater qu'à ce moment-là ma pensée tourne en rond,ou peut-être en spirale, jusqu'à un centre qu'elle imagine, qui va, peut-être, lui donner le départ. Le départ,brusquement, c'est la découverte d'un crime, d'un cadavre qui se trouve dans les branches de cet arbre. Àpartir de ce moment-là, Langlois est venu. Mais, au début, c'était surtout l'assassin qui m’intéressait.Remarquez, il n'est plus le personnage principal, il s'efface presque tout de suite, il a été remplacé par lepersonnage de Langlois, qui, lui, portait exactement ce que je voulais dire. Il est arrivé, non pas en second,mais en trois ou quatrième, il y a eu d'abord l'Arbre, puis la victime, nous avons commencé par un êtreinanimé, suivi d'un cadavre, le cadavre a suscité l'assassin tout simplement, et après, l'assassin a suscité lejusticier. C'était le roman du justicier que j'ai écrit. C'était celui-là que je voulais écrire, mais, en partant d'unarbre qui n'avait rien à faire dans l'histoire.J. A. —Ce hêtre qu'il vous a semblé rencontrer tout d'un coup, qui vous a donné une espèce de révélation, ilme semble que c'est un hêtre que vous connaissiez.J. G. — Mais oui, je le connaissais depuis très longtemps. Il avait suscité déjà, pour ne rien vous cacher, dixou douze autres histoires qui n'ont pas été écrites, et il a fguré comme décor très souvent dans des livresécrits. Il a dû fgurer dans Le Chant du monde et encore une fois dans Batailles dans la montagne. Il était placé dansun autre paysage, mais c'était le souvenir de cet arbre-là qui avait suscité, non seulement le hêtre, mais laforêt de hêtres. Par conséquent, c'était un hêtre que je connaissais parfaitement. Pourquoi, ce jour-là, le hêtrea suscité la victime qu'il portait dans ses branches ? Pourquoi a-t-il suscité, par la suite, l'assassin et lejusticier ? Ça, je suis incapable de vous l'expliquer, parce que ce sont des notes qui jouent, ce sont des pincesde cordes extraordinairement légères.

Ennui et divertissementVous partez d'une idée fausse en croyant que j'invente pour créer les personnages de roman. C'est

beaucoup plus important que ça. Si j'invente des personnages et si j'écris, c'est tout simplement parce que jesuis aux prises avec la grande malédiction de l'univers, à laquelle personne ne fait jamais attention: c'estl'ennui. Au fond, pour moi, si on voulait une description de l'homme, l'homme est un animal avec unecapacité d'ennui. Les chiens ne s'ennuient pas, les animaux ne s'ennuient pas, les animaux domestiques nes'ennuient pas, même pas les moutons, mais les hommes s'ennuient, ils ont la capacité d'ennui. De là, lacréation de tous les vices, de là, la création de tout ce que vous pouvez imaginer, de là, les crimes, parce qu'iln'y a pas de distraction plus grande que de tuer ; c'est admirable ; la vue du sang est admirable pour tout lemonde. Lorsque vous êtes dans une ville et qu'il se produit un accident, un homme se fait écraser par untramway, par un autobus, immédiatement tout le monde s'agglutine autour. Sur les cinquante personnes quis'agglomèrent autour du blessé ou du mort, il y en a deux ou trois qui lui portent assistance, mais tous lesautres se précipitent pour regarder, pour voir. Et jamais on n'éprouve autant de plaisir qu'à tuer. C'est ça lagrande distraction. Il y a des quantités de gens qui désirent tuer ! La proportion est moins grande parce qu'ily a un petit barrage qui est la police, et que l'on craint d'être tué soi-même ! C'est tout. Enlevez la police etvous verrez si l'on s'étripaillera avec une joie sans égale !

Texte 2 : la préface de 1962 des Chroniques.Le plan complet des Chroniques romanesques était fait en 1937. Il comprenait une vingtaine de titres

dont quelques-uns étaient défnitifs, comme Un roi sans divertissement, Noé, Les Ames fortes, Les Grands Chemins, LeMoulin de Pologne, L'Iris de Suse, Les Mauvaises actions, etc. ; d'autres, provisoires, destinés à être revus et sansdoute changés : Concerto poour crieur public et orchestre, L'Age d'or, Arcadie, Fragments d'un déluge, Fragments d'un paradis ,etc. ; enfn, certains numéros du plan général n'étaient titrés que par ce numéro. Toutes les sont écrites sontmaintenant écrites, certaines sont sont publiées, d'autres n'ont pas encore atteint le degré maturité et de

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correction pour l'être.Il s'agissait pour moi de composer les chroniques, ou la chronique, c'est-à-dire tout le passé

d'anecdotes et de souvenirs de ce "Sud imaginaire" dont j'avais, par mes romans précédents posé lagéographie et les caractères. Je dis bien "Sud imaginaire", et non pas Provence pure et simple. C'est unmalentendu qu'il faudra un jour dissiper, créé par le fait que je suis né et que je n'ai pas cessé d'habiter àManosque. J'ai créé de toutes pièces pays et les personnages de mes romans. C'était non seulement mondroit, mais mon devoir ; un devoir de l'écrivain (du créateur en général) qu'on oublie trop aujourd'hui. Pourles besoins de sa cause, la politique a donné une fausse défnition de l'art d'écrire. On n'est pas le témoin deson temps, on n'est que le témoin de soi-même (ce qui est déjà très joli). On ne sert personne, au surplus.Mais ceci nous entraînerait dans des développements qui ne sont pas mon propos actuel.

J'avais donc, par un certain nombre de romans, Colline, Un de Baumugnes, Regain, Le Chant du monde, LeGrand Troupeau, Batailles dans la montagne, etc., créé un Sud imaginaire, une sorte de terre australe, et je voulais,par ces Chroniques, donner à cette invention géographique sa charpente de faits divers (tout aussi imaginaires).Je m'étais d'ailleurs aperçu que dans ce travail d'imagination, le drame du créateur aux prises avec le produitde sa création, ou côte à côte avec lui, avait également un intérêt qu'il fallait souligner, si je voulais donner àmon oeuvre sa véritable dimension, son authentique liberté de non engagement. C'est pourquoi j'avais placédans les premiers numéros du plan général un livre comme Noé, où l'écrivain lui-même est le héros, et vers lafn, plusieurs petits ouvrages : Fragments d'un délice, Fragments d'un paradis (non encore publiés) où, au contraire,il disparaissait entièrement dans sa création livrée brute, presque anonyme, composant malgré tout(puisqu'on ne peut y échapper) le "portrait de l'artiste par lui-même", mais cette fois en négatif, négatif qui estle contraire du négatif photographique. Je m'explique en quelques mots : exprimer quoi que ce soit se fait dedeux façons : en décrivant l'objet, c'est le positif, ou bien en décrivant tout, sauf l'objet, et il apparait dans cequi manque, le négatif.

Entre ces deux extrêmes, le thème même de la chronique permet d'user de toutes les formes du récit,et même d'en inventer de nouvelles, quand elles sont nécessaires ( et seulement quand elles exigées par le sujet).

Ouvrons une plus grande parenthèse pour constater avec le lecteur que, de nos jours, on ne manquepas de "formes nouvelles du récit ".Le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne sont souvent exigées par le sujet.C'est qu'en 1962 la littérature (comme la peinture, l'architecture, la musique, etc.) a une peur panique de sonpassé. Comme tous les arts quand ils sont terrifés, elle se rue dans la rhétorique. Quand on n'ose plusraconter d'histoires ou qu'on ne sait pas, on passe son temps à enfler des mots comme des perles. Pour fuirl'Angélus de Millet la peinture est tombé dans la toile cirée de cuisine de Mondrian. Pour se débarrasser,disons d'Homère, on fait raconter L'Odyssée à l'envers et par un bègue. De là l'ennui, le dégoûtqu'applaudissent immédiatement ceux qui sont intéressés à gémir en cadence sur la tristesse de la conditionhumaine ; de ces applaudissements et du succès provisoire qui suit, vient la haute opinion de soi qui empalequelques médiocres joueurs de trompettes bouchées.

On ne trouvera pas grande innovation dans les ouvrages qui constituent ce premier ensemble. Cesont des récits à la première personne : le récitant étant, suivant le cas, le héros (La Nuit du 24 décembre 1826,Une hiftoire d'amour, Les Grands Chemins), ou moi-même (Noé), ou n'importe qui (Un roi sans divertissement), ou unmédiocre (Le Moulin de Pologne), ou tout le monde (Les Ames fortes).

Je ne vais pas me mettre à expliquer la technique des récits qui suivront : Les Mauvaises Actions, LeDuché, Zéro (titre provisoire), Deux Cavaliers de l'orage, les Fragments, etc. Ce serait sans intérêt. Si on aime cetravail, on le verra, ou plutôt, j'espère qu'on le devinera à peine. Le mieux serait qu'on ne le voie pas du tout.

JEAN GIONOAvril 1962

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Figures maternelles

Textes : Texte A : Colette, Sido, 1930 ; texte B : John Steinbeck, Les Raisins de la colère, 1939 (traduit de l’anglais par M. Duhamel et M.- E. Coindreau) ; texte C : Jean Giono, Un Roi sans divertissement, 1947.

Texte A : Colette, Sido, 1930.

[La narratrice, dont la famille habite en province, évoque le souvenir de sa mère, revenant de l’un de ses séjoursà Paris.]

Elle revenait chez nous lourde de chocolat en barre, de denrées exotiques et d'étoffes encoupons, mais surtout de programmes de spectacles et d'essence à la violette, et elle commençait denous peindre Paris dont tous les attraits étaient à sa mesure, puisqu'elle ne dédaignait rien.En une semaine elle avait visité la momie exhumée, le musée agrandi, le nouveau magasin, entendule ténor et la conférence sur La Musique birmane. Elle rapportait un manteau modeste, des basd'usage, des gants très chers. Surtout elle nous rapportait son regard gris voltigeant, son teint vermeilque la fatigue rougissait, elle revenait ailes battantes, inquiète de tout ce qui, privé d'elle, perdait lachaleur et le goût de vivre. Elle n'a jamais su qu'à chaque retour l'odeur de sa pelisse en ventre-de-gris1, pénétrée d'un parfum châtain clair, féminin, chaste, éloigné des basses séductions axillaires2,m'ôtait la parole et jusqu'à l'effusion.

D’un geste, d’un regard elle reprenait tout. Quelle promptitude de main ! Elle coupait desbolducs3 roses, déchaînait des comestibles coloniaux, repliait avec soin les papiers noirs goudronnésqui sentaient le calfatage4. Elle parlait, appelait la chatte, observait à la dérobée mon père amaigri,touchait et fairait mes longues tresses pour s’assurer que j’avais brossé mes cheveux… Une foisqu’elle dénouait un cordon d’or siffant, elle s’aperçut qu’au géranium prisonnier contre la vitred’une des fenêtres, sous le rideau de tulle, un rameau pendait, rompu, vivant encore. La fcelle d’orà peine déroulée s’enroula vingt fois autour du rameau rebouté5, étayé d’une petite éclisse6 decarton… Je frissonnai, et crus frémir de jalousie, alors qu’ils’agissait seulement d’une résonancepoétique, éveillée par la magie du secours effcace scellé d’or…

1- Pelisse en ventre-de-gris : manteau en fourrure de ventre d’écureuil. - 2- Axillaire : qui vient des aisselles. Coletteévoque les odeurs de sueur. - 3- Bolduc : ruban. - 4- Calfatage : traitement des coques des navires avec du goudron pourles rendre étanches. - 5- Rebouté : réparé. - 6- Éclisse : plaque servant à étayer, c’est -à-dire à soutenir, un membrefracturé.

Texte B : John Steinbeck, Les Raisins de la colère, 1939.

[Tom Joad est de retour chez lui. Il retrouve sa famille, son père, le vieux Tom, ses grands parents, ses frèreset sœurs plus jeunes ainsi que sa mère, Man, décrite dans l’extrait suivant.]

Elle regardait dans le soleil. Nulle mollesse dans sa fgure pleine, mais de la fermeté et de labonté. Ses yeux noisette semblaient avoir connu toutes les tragédies possibles et avoir gravi, commeautant de marches, la peine et la souffrance jusqu'aux régions élevées de la compréhensionsurhumaine. Elle semblait connaître, accepter, accueillir avec joie son rôle de citadelle de sa famille,de refuge inexpugnable1. Et comme le vieux Tom et les enfants ne pouvaient connaître lasouffrance ou la peur que si elle-même admettait cette souffrance et cette peur, elle s'étaitaccoutumée à refuser de les admettre. Et comme, lorsqu'il arrivait quelque chose d'heureux ils laregardaient pour voir si la joie entrait en elle, elle avait pris l'habitude de rire même sans motifssuffsants. Mais, préférable à la joie, était le calme. Le sang-froid est chose sur laquelle on peutcompter. Et de sa grande et humble position dans la famille, elle avait pris de la dignité et unebeauté pure et calme. Guérisseuse, ses mains avaient acquis la sûreté, la fraîcheur et la tranquillité ;arbitre, elle était devenue aussi distante, aussi infaillible qu'une déesse. Elle semblait avoirconscience que si elle vacillait, la famille entière tremblerait, et que si un jour elle défaillait ou

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désespérait sérieusement, toute la famille s'écroulerait, toute sa volonté de fonctionner disparaîtrait.

1- Inexpugnable : qu’on ne peut pas prendre par la force.

Texte C : Jean Giono, Un Roi sans divertissement, 1947.

[Mme Tim est la femme du châtelain de Saint-Baudille. Autour d’elle s’organisent des fêtes familiales dont lenarrateur garde le souvenir.]

[…] Mme Tim était abondamment grand-mère. Les flles occupaient aussi des situationsdans les plaines, en bas autour.

A chaque instant, sur les chemins qui descendaient de Saint-Baudille on voyait partir lemessager et, sur les chemins qui montaient à Saint-Baudille, on voyait monter ensuite des cargaisonsde nourrices et d’enfants. L’aînée à elle seule en avait six. Le messager de Mme Tim avait toujoursl’ordre de faire le tour des trois ménages et de tout ramasser.

C’étaient, alors, des fêtes à n’en plus fnir : des goûters dans le labyrinthe de buis1 ; despromenades à dos de mulets dans le parc ; des jeux sur les terrasses et, en cas de pluie, pour calmerle fourmillement de jambes de tout ce petit monde, des sortes de bamboulas2 dans les grandscombles3 du château dont les planchers grondaient alors de courses et de sauts, comme un lointaintonnerre.

Quand l’occasion s’en présentait, soit qu’on revienne de Mens (dont la route passe enbordure d’un coin de parc), soit que ce fût pendant une journée d’automne, au retour d’une petitepartie de chasse au lièvre, c’est -à-dire quand on était sur les crêtes qui dominent le labyrinthe debuis et les terrasses, on ne manquait pas de regarder tous ces amusements. D’autant que Mme Timétait toujours la tambour-major4.

Elle était vêtue à l’opulente d’une robe de bure5, avec des fonds énormes qui se plissaient etse déplissaient autour d’elle à chaque pas, le long de son corps de statue. Elle avait du corsage et ellel’agrémentait de jabots de linon6. A la voir au milieu de cette cuve d’enfants dont elle tenait unegrappe dans chaque main, pendant que les autres giclaient autour d’elle, on l’aurait toute voulue.Derrière elle, les nourrices portaient encore les derniers-nés dans des cocons blancs. Ou bien, en serelevant sur la pointe des pieds et en passant la tête par-dessus la haie, on la surprenait au milieud’un en-cas champêtre, distribuant des parts de gâteaux et des verres de sirop, encadrée, à droite,d’un laquais (qui était le fls Onésiphore de Prébois) vêtu de bleu, portant le tonnelet d’orangeade et,à gauche, d’une domestique femme (qui était la petite flle de la vieille Nanette d’Avers), vêtue dezinzolins7 et de linge blanc, portant le panier à pâtisserie. C’était à voir !

1- Buis : arbuste. - 2- Bamboula : fête. - 3- Combles : espaces compris entre le dernier étage de la demeure et le toit.4- Tambour-major : grade militaire (sous- offcier qui commande les tambours et les clairons d’un régiment) donné ici, de façon plaisante, à Mme Tim qui commande tout. - 5- Bure : étoffe de laine brune. - 6- Jabots de linon : ornements detissu qui s’étalent sur la poitrine. - 7- Zinzolins : tissus d’un violet rougeâtre.

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4points) : Quelles sont les caractéristiques des fgures maternelles dans les textes du corpus ?

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :

• Commentaire Vous commenterez l’extrait de Jean Giono (texte C). • Dissertation Le romancier doit-il nécessairement faire de ses personnages des êtres

extraordinaires ? Vous répondrez à la question en vous fondant sur les textes du corpus ainsique sur les textes et œuvres que vous avez étudiés et lus.

• Invention Le regard que porte la narratrice du texte A sur sa mère fait de cette dernière unpersonnage fascinant. Comme Colette et en vous inspirant des autres textes du corpus, vousproposerez le portrait d’un être ordinaire qui, sous votre regard, prendra une dimensionextraordinaire.

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Histoire des arts : Albrecht Dürer, La Melencolia (1514).

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Analyse de l'image : la scène fnale de Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard

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Objet d'étude : La question de l'homme dans les genres de l'argumentation

du moyen-âge à nos jours

Lectures analytiques

Textes :

12. Le supplice de Jean Calas, de « Il semble que... » jusqu'à «... pardonner à ces juges »(chapitre I)13. «Lettre écrite au jésuite Le Tellier par un bénéfcier, le 6 mai 1714» (chapitreXVII) 14. «De la tolérance universelle", du début jusqu'à «... souffrir de contradiction» (Chapitre XXII)15. «Prière à Dieu» (chapitre XXIII).

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Lecture analytique n° 12 : le supplice de Jean Calas

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Il semble que, que quand il s’agit d’un parricide et de livrer un père de famille au plus affreuxsupplice, le jugement devrait être unanime, parce que les preuves d’un crime si inouï devraient êtred’une évidence sensible à tout le monde : le moindre doute dans un cas pareil doit suffre pour fairetrembler un juge qui va signer un arrêt de mort. La faiblesse de notre raison et l’insuffsance de noslois se font sentir tous les jours ; mais dans quelle occasion en découvre-t-on mieux la misère quequand la prépondérance d’une seule voix fait rouer un citoyen ? Il fallait, dans Athènes, cinquantevoix au delà de la moitié pour oser prononcer un jugement de mort. Qu’en résulte-t-il ? Ce quenous savons très inutilement, que les Grecs étaient plus sages et plus humains que nous.

Il paraissait impossible que Jean Calas, vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuislongtemps les jambes enfées et faibles, eut seul étranglé et pendu un fls âgé de vingt-huit ans, quiétait d’une force au-dessus de l’ordinaire ; il fallait absolument qu’il eut été assisté dans cetteexécution par sa femme, par son fls Pierre Calas, par Lavaisse, et par la servante. Ils ne s’étaientpas quittés un seul moment le soir de cette fatale aventure. Mais cette supposition était encoreaussi absurde que l’autre: car comment une servante zélée catholique aurait-elle pu souffrir quedes huguenots assassinassent un jeune homme élevé par elle pour le punir d’aimer la religion decette servante ? Comment Lavaisse serait-il venu exprès de Bordeaux pour étrangler son ami dontil ignorait la conversion prétendue ? Comment une mère tendre aurait-elle mis les mains sur sonfls ? Comment tous ensemble auraient-ils pu étrangler un jeune homme aussi robuste qu’euxtous, sans un combat long et violent, sans des cris affreux qui auraient appelé tout le voisinage,sans des coups réitérés, sans des meurtrissures, sans des habits déchirés.

Il était évident que, si le parricide avait pu être commis, tous les accusés étaient égalementcoupables, parce qu’ils ne s’étaient pas quittés d’un moment ; il était évident qu’ils ne l’étaientpas; il était évident que le père seul ne pouvait l’être; et cependant l’arrêt condamna ce père seul àexpirer sur la roue.

Le motif de l’arrêt était aussi inconcevable que tout le reste. Les juges qui étaient décidéspour le supplice de Jean Calas persuadèrent aux autres que ce vieillard faible ne pourrait résisteraux tourments, et qu’il avouerait sous les coups des bourreaux son crime et celui de ses complices.Ils furent confondus, quand ce vieillard, en mourant sur la roue, prit Dieu à témoin de soninnocence, et le conjura de pardonner à ses juges.

Voltaire, Traité sur la tolérance (1763), chapitre I.

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Lecture analytique n° 13 : lettre écrite au Jésuite Le Tellierpar un bénéfcier, le 6 mai 1714

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CHAPITRE XVII Lettre écrite au Jésuite Le Tellier38 par un bénéfcier39, le 6 mai 1714 (1)

Mon révérend père,

J’obéis aux ordres que Votre Révérence m’a donnés de lui présenter les moyens les pluspropres de délivrer Jésus et sa Compagnie40 de leurs ennemis. Je crois qu’il ne reste plus que cinqcent mille huguenots41 dans le royaume, quelques-uns disent un million, d’autres quinze centmille ; mais en quelque nombre qu’ils soient, voici mon avis, que je soumets très-humblement auvôtre, comme je le dois.

1° Il est aisé d’attraper en un jour tous les prédicants42 et de les pendre tous à la fois dansune même place, non-seulement pour l’édifcation publique, mais pour la beauté du spectacle.

2° Je ferais assassiner dans leurs lits tous les pères et mères, parce que si on les tuait dansles rues, cela pourrait causer quelque tumulte ; plusieurs même pourraient se sauver, ce qu’il fautéviter sur toute chose43. Cette exécution est un corollaire44 nécessaire de nos principes : car, s’ilfaut tuer un hérétique, comme tant de grands théologiens le prouvent, il est évident qu’il faut lestuer tous.

3° Je marierais le lendemain toutes les flles à de bons catholiques, attendu qu’il ne fautpas dépeupler trop l’État après la dernière guerre ; mais à l’égard des garçons de quatorze etquinze ans, déjà imbus de mauvais principes, qu’on ne peut se fatter de détruire, mon opinion estqu’il faut les châtrer tous, afn que cette engeance ne soit jamais reproduite. Pour les autres petitsgarçons, ils seront élevés dans vos collèges, et on les fouettera jusqu’à ce qu’ils sachent par cœurles ouvrages de Sanchez et de Molina45.

4° Je pense, sauf correction, qu’il en faut faire autant à tous les luthériens46 d’Alsace,attendu que, dans l’année 1704, j’aperçus deux vieilles de ce pays-là qui riaient le jour de labataille d’Hochstedt47.

Voltaire, Traité sur la tolérance (1763), chapitre XVII.

38 Confesseur de Louis XIV et adversaire passionne des protestants, il poussa le roi a revoquer l’Edit de Nantes en1685.

39 Possesseur d’un benefce ecclesiastique, c’est-a-dire de biens et de revenus attaches a l’exercice d’une fonction dansl’Eglise : la perception des revenus d’une abbaye ou d’un eveche constitue un benefce majeur, la perception des revenusd’une simple paroisse constitue un benefce mineur.

40 Transposition burlesque du nom de l’ordre des Jesuites : la Compagnie de Jesus.

41 Ce terme designe les protestants.

42 Ministres du culte protestant.

43 Avant tout.

44 Consequence.45 Jesuites espagnols.46 Protestants qui suivent la doctrine de l’Allemand Luther.

47 Defaite francaise qui rejeta les Francais hors d’Allemagne, en 1704, lors de la guerre de succession d’Espagne.

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Lecture analytique n° 14 : "De la tolérance universelle"

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Chapitre XXII - De la tolérance universelle (extrait)

Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que des chrétiensdoivent se tolérer les uns les autres. Je vais plus loin : je vous dis qu'il faut regarder tous les hommescomme nos frères. Quoi ! mon frère le Turc ? mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? Oui, sansdoute ; ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même Dieu ?

Mais ces peuples nous méprisent ; mais ils nous traitent d'idolâtres ! Hé bien ! je leur diraiqu'ils ont grand tort. Il me semble que je pourrais étonner au moins l'orgueilleuse opiniâtreté d'uniman ou d'un talapoin, si je leur parlais à peu près ainsi :

"Ce petit globe, qui n'est qu'un point, roule dans l'espace, ainsi que tant d'autres globes ; noussommes perdus dans cette immensité. L'homme, haut d'environ cinq pieds, est assurément peu dechose dans la création. Un de ces êtres imperceptibles dit à quelques-uns de ses voisins, dansl'Arabie ou dans la Cafrerie : "Ecoutez-moi, car le Dieu de tous ces mondes m'a éclairé : il y a neufcents millions de petites fourmis comme nous sur la terre, mais il n'y a que ma fourmilière qui soitchère à Dieu ; toutes les autres lui sont en horreur de toute éternité ; elle sera seule heureuse, ettoutes les autres seront éternellement infortunées."

Ils m'arrêteraient alors, et me demanderaient quel est le fou qui a dit cette sottise. Je seraisobligé de leur répondre : "C'est vous-mêmes." Je tâcherais ensuite de les adoucir ; mais cela seraitbien diffcile.

Je parlerais maintenant aux chrétiens, et j'oserais dire, par exemple, à un dominicaininquisiteur pour la foi : "Mon frère, vous savez que chaque province d'Italie a son jargon, et qu'onne parle point à Venise et à Bergame comme à Florence. L'Académie de la Crusca a fxé lalangue ; son dictionnaire est une règle dont on ne doit pas s'écarter, et la Grammaire deBuonmattei est un guide infaillible qu'il faut suivre ; mais croyez-vous que le consul de l'Académie,et en son absence Buonmattei, auraient pu en conscience faire couper la langue à tous lesVénitiens et à tous les Bergamasques qui auraient persisté dans leur patois ?"

L'inquisiteur me répond : "Il y a bien de la différence ; il s'agit ici du salut de votre âme : c'estpour votre bien que le directoire de l'Inquisition ordonne qu'on vous saisisse sur la déposition d'uneseule personne, fût-elle infâme et reprise de justice ; que vous n'ayez point d'avocat pour vousdéfendre ; que le nom de votre accusateur ne vous soit pas seulement connu; que l'inquisiteur vouspromette grâce, et ensuite vous condamne ; qu'il vous applique à cinq tortures différentes, etqu'ensuite vous soyez ou fouetté, ou mis aux galères, ou brûlé en cérémonie. Le Père Ivonet, ledocteur Cuchalon, Zanchinus, Campegius, Roias, Felynus, Gomarus, Diabarus, Gemelinus, y sontformels et cette pieuse pratique ne peut souffrir de contradiction."

Je prendrais la liberté de lui répondre : "Mon frère, peut-être avez-vous raison ; je suisconvaincu du bien que vous voulez me faire ; mais ne pourrais-je pas être sauvé sans tout cela ?".

Voltaire, Traité sur la tolérance (1763), chapitre XXII.

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Lecture analytique n° 15 : "Prière à Dieu"

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Ce n'est donc plus aux hommes que je m'adresse ; c'est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous lesmondes et de tous les temps : s'il est permis à de faibles créatures perdues dans l'immensité, etimperceptibles au reste de l'univers, d'oser te demander quelque chose, à toi qui a tout donné, à toidont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées ànotre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un courpour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement àsupporter le fardeau d'une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtementsqui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffsants, entre tous nos usages ridicules,entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions sidisproportionnées à tes yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguentles atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux quiallument des cierges en plein midi pour te célébrer supporte ceux qui se contentent de la lumièrede ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d'une toile blanche pour dire qu'il faut t'aimer nedétestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu'il soit égal det'adorer dans un jargon formé d'une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceuxdont l'habit est teint en rouge ou en violet , qui dominent sur une petite parcelle d'un petit tas deboue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d'un certain métal, jouissent sansorgueil de ce qu'ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu saisqu'il n'y a dans ces vanités ni envier, ni de quoi s'enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères ! Qu'ils aient en horreur la tyrannieexercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit dutravail et de l'industrie paisible ! Si les féaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, nenous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l'instant de notreexistence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta bontéqui nous a donné cet instant.

Voltaire, Traité sur la tolérance (1763), chapitre XXIII.

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Objet d'étude : La question de l'homme dans les genres de l'argumentation

du moyen-âge à nos jours

Documents complémentaires

• Groupement de textes : les combats des Lumières : César Chesneau Dumarsais,article « philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772) ; Emmanuel Kant, Qu’est ce queles lumières ? (1784).– lectures d'images :

• Histoire des arts : le Frontispice de l’Encyclopédie, dessiné par Charles-Nicolas Cochin(1715-1790)

• Un flm : L'Affaire Calas (2007) de Francis Reusser et Alain Moreau

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Groupement de textes : les combats des Lumières

Texte 1 : César Chesneau Dumarsais - Article « philosophe » (extrait) deL'Encyclopédie (1751-1772)

Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir ni connaître les causes qui les fontmouvoir, sans même songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire démêle les causes autant qu'ilest en lui, et souvent même les prévient, et se livre à elles avec connaissance: c'est une horloge qui semonte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer dessentiments qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l'être raisonnable, et cherche ceux qui peuventexciter en lui des affections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophece que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir; la raison déterminele philosophe.

Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soientprécédées de la réfexion : ce sont des hommes qui marchent dans les ténèbres; au lieu que lephilosophe, dans ses passions mêmes, n'agit qu'après la réfexion; il marche la nuit, mais il estprécédé d'un fambeau.

La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, et qu'ilcroie trouver partout; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'apercevoir. Il ne la confondpoint avec la vraisemblance; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pourdouteux ce qui est douteux, et pour vraisemblance ce qui n'est que vraisemblance. Il fait plus, etc'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif pour juger, il saitdemeurer indéterminé […]

L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout à sesvéritables principes ; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin sonattention et ses soins.

L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer ou dans lefond d'une forêt : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire et dansquelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins et le bien-être l'engagent à vivre en société. Ainsi laraison exige de lui qu'il connaisse, qu'il étudie, et qu'il travaille à acquérir les qualités sociables.

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être en paysennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avecles autres; et pour en trouver, il faut en faire ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ouson choix le font vivre et il trouve en même temps ce qui lui convient: c'est un honnête homme quiveut plaire et se rendre utile […]

Le vrai philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, et qui joint à unesprit de réfexion et de justesse les mœurs et les qualités sociales. Entez un souverain sur unphilosophe d’une telle trempe, et vous aurez un souverain parfait.

Texte 2 : Emmanuel Kant, Qu’est ce que les lumières ? , 1784.

Les lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui. Laminorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seulqu’est imputable cette minorité dès lors qu’elle ne procède pas du manque d’entendement, mais dumanque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelled’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est donc ladevise des Lumières.

La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des hommes affranchis depuislongtemps par la nature de toute tutelle étrangère, se plaisent cependant à rester leur vie durant desmineurs ; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé à d’autre de s’instituer leurs tuteurs. Il est si

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commode d’être mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi , un directeur spirituel quia de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon régime etc., je n’ai pas besoinde faire des efforts moi-même. Je ne suis point obligé de réféchir, si payer sufft ; et d’autres sechargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […]

Il est donc diffcile pour tout homme pris individuellement de se dégager de cette minoritédevenue comme une seconde nature. Il s’y est même attaché et il est alors réellement incapable dese servir de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en fait l’essai. Préceptes et formules, cesinstruments mécaniques destinés à l’usage raisonnable ou plutôt au mauvais usage de ses donsnaturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue.

Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré au-dessus du fossé mêmeplus étroit, car il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peu nombreuxceux qui ont réussi, en exerçant eux-mêmes leur esprit, à se dégager de cette minorité tout en ayantcependant une démarche assurée.

Qu’un public en revanche s’éclaire lui-même est davantage possible ; c’est même, siseulement on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujoursquelques hommes pensant par eux-mêmes, y compris parmi les tuteurs offciels du plus grandnombre, qui, après voir rejeté eux-mêmes le joug de la minorité, rependront l’esprit d’uneestimation raisonnable de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme a penser par lui-même. […]

Mais ces Lumières n’exigent rien d’autre que la liberté ; et même la plus inoffensive detoutes les libertés, c’est-à-dire celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines.

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Le Frontispice de l’Encyclopédie, dessiné par Charles-Nicolas Cochin (1715-1790)

Les grandes fgures du monde moderne, Frontispice de l’Encyclopédie, dessiné par Charles-Nicolas Cochin (1715-1790),gravé par Bonaventure-Louis Prévost, à l’eau-forte et au burin, 1772, Paris, coll. Part. Le dessin original de Cochin a été exposé au Salon de 1765 et commenté par Diderot lui-même.

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Objet d'étude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation

du moyen-âge à nos jours

Lectures analytiques

Textes : 16. Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3 (extrait) (1781)

17. Victor Hugo, Le Dernier jour d'un condamné, la préface de 1832, extrait, de « Qu'avez-vousà alléguer pour la peine de mort ? ... » à « le Mardi gras vous rit au nez »

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Lecture analytique n° 16 : Beaumarchais, Le Mariage de Figaro

L’acte V de cette comédie se passe dans le parc du château d’Aguas-Fescas, en Espagne, demeure du comte etde la comtesse Almaviva. Figaro, serviteur du comte, doit épouser Suzanne, la femme de chambre de la comtesse.Cependant, le comte est amoureux de Suzanne, dont il voudrait faire sa maîtresse. Afin de regagner l’amour de sonmari, la comtesse a imaginé un stratagème : elle a fait écrire par Suzanne un billet donnant rendez-vous au comte le soirmême sous les grands marronniers ; c’est elle qui sera au rendez-vous, déguisée en Suzanne. Mais, à l’acte IV, Figaro avu ce billet et acquis la conviction que Suzanne veut effectivement le tromper. Il attend ici l’arrivée du comte aurendez-vous donné… Dans ce long monologue, Figaro exprime son désarroi mais aussi sa colère contre l’injustice…

Figaro, seul, se promenant dans l'obscurité, dit sur le ton le plus sombre :

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Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !... Noblesse, fortune, unrang, des places, tout cela rend si fer ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donnéla peine de naître, et rien de plus : du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu !perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsisterseulement qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes48 ; et vous voulezjouter ... On vient... c'est elle... ce n'est personne. - La nuit est noire en diable, et me voilà faisant lesot métier de mari, quoique je ne le sois qu'à moitié ! (Il s'assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarreque ma destinée ? Fils de ne je sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs moeurs, je m'endégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J'apprends la chimie, lapharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d'un grand seigneur peut à peine me mettre à la main unelancette vétérinaire ! - Las d'attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jetteà corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie dans 49 lesmoeurs du sérail ; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l'instant unenvoyé... de je ne sais où se plaint que j'offense dans mes vers la Sublime Porte 50, la Perse, une partiede la presqu'île de l'Inde, toute l'Égypte, les royaumes de Barca51, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et deMaroc : et voilà ma comédie fambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, nesait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate en nous disant : chiens de chrétiens ! - Ne pouvant avilirl'esprit, on se venge en le maltraitant. - Mes joues creusaient52 ; mon terme était échu ; je voyais deloin arriver l'affreux recors53, la plume fchée dans sa perruque ; en frémissant je m'évertue. Il s'élèveune question54 sur la nature des richesses et comme il n'est pas nécessaire de tenir les choses pour enraisonner, n'ayant pas un sol, j'écris sur la valeur de l'argent et sur son produit net, sitôt je vois, dufond d'un facre, baisser pour moi le pont d'un château fort, à l'entrée duquel je laissai l'espérance etla liberté. (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur lemal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais... que les sottisesimprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, iln'est point d'éloge fatteur ; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (Il serassied.)

48 Les anciens royaumes composant l’Espagne.49 Dans : sur.50 Porte majestueuse à Istambul menant au palais du Grand Vizir, et, par extension, siège du gouvernement ottoman.51 Barca : la Cyrénaïque, au nord-est de l’actuelle Lybie.52 Se creusaient.53 Recors : huissier.54 Question : débat.

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Lecture analytique n° 17 : la préface de 1832du Dernier jour d'un condamnné

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Qu'avez- vous à alléguer pour la peine de mort ?

Nous faisons cette question sérieusement : nous la faisons pour qu'on y réponde ; nous lafaisons aux criminalistes, et non aux lettrés bavards. Nous savons qu'il y a des gens qui prennentl'excellence de la peine de mort pour texte à paradoxe comme tout autre thème. Il y en a d'autresqui n'aiment la peine de mort que parce qu'ils haïssent tel ou tel qui l'attaque. C'est pour eux unequestion quasi littéraire, une question de personnes, une question de noms propres. Ceux-là sontles envieux, qui ne font pas plus faute aux bons jurisconsultes qu'aux grands artistes. Les JosephGrippa ne manquent pas plus aux Filangieri que les Torregiani aux Michel-Ange et les Scudéryaux Corneille.

Ce n'est pas à eux que nous nous adressons, mais aux hommes de loi proprement dits, auxdialecticiens, aux raisonneurs, à ceux qui aiment la peine de mort pour la peine de mort, pour sabeauté, pour sa bonté, pour sa grâce.

Voyons, qu'ils donnent leurs raisons.

Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire. D’abord, – parce qu’ilimporte de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait luinuire encore. – S’il ne s’agissait que de cela, la prison perpétuelle suffrait. À quoi bon la mort ?Vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison ? faites mieux votre ronde. Si vous ne croyezpas à la solidité des barreaux de fer, comment osez- vous avoir des ménageries ?

Pas de bourreau où le geôlier sufft.

Mais, reprend-on, – il faut que la société se venge, que la société punisse. – Ni l’un, ni l’autre.Se venger est de l’individu, punir est de Dieu.

La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d’elle, la vengeance au-dessous. Rien desi grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas “punir pour se venger” ; elle doit corriger pouraméliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nousadhérons.

Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l’exemple. – Il faut faire des exemples ! il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter !

Voilà bien à peu près textuellement la phrase éternelle dont tous les réquisitoires des cinqcents parquets de France ne sont que des variations plus ou moins sonores. Eh bien ! nous nionsd’abord qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on enattend. Loin d’édifer le peuple, il le démoralise, et ruine en lui toute sensibilité, partant toutevertu. Les preuves abondent, et encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer.Nous signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu’il est le plus récent. Au moment où nousécrivons, il n’a que dix jours de date. Il est du 5 mars, dernier jour du carnaval. À Saint-Pol,immédiatement après l’exécution d’un incendiaire nommé Louis Camus, une troupe de masquesest venue danser autour de l’échafaud encore fumant. Faites donc des exemples ! le mardi grasvous rit au nez.

Victor Hugo, Le dernier jour d’un condamné, extrait de la préface de 1832.

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Objet d'étude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation

du moyen-âge à nos jours

Documents complémentaires

• Groupement de textes : utopies : Thomas More, Utopie, 1516 ; François Rabelais, Gargantua,chapitre 57, 1534 ; Voltaire, Candide ou l’optimisme, 1759, chapitre XVIII ; Georges ORWELL, LaFerme des animaux, 1945.– lectures d'images :

• Histoire des arts : Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830).

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Groupement de textes : utopies

Texte 1 : Thomas More, L’Utopie (Livre II) 1516, extrait, traduction M. Delcourt, éd. Gf Flammarion, 1987

Dans ce texte, Thomas More propose une ville parfaite, inspirée de la vision littéraire des villes antiques :l’urbaniste s’inspire des villes romaines et de la vie sociale des Spartes car ils mettent tout en commun.

La ville est reliée à la rive opposée par un pont qui n'est pas soutenu par des piliers ou despilotis, mais par un ouvrage en pierre d'une fort belle courbe. Il se trouve dans la partie de la villequi est la plus éloignée de la mer, afn de ne pas gêner les vaisseaux qui longent les rives. Une autrerivière, peu importante mais paisible et agréable à voir, a ses sources sur la hauteur même où estsituée Amaurote, la traverse en épousant la pente et mêle ses eaux, au milieu de la ville, à celles del'Anydre. Cette source, qui est quelque peu en dehors de la cité, les gens d'Amaurote l'ont entouréede remparts et incorporée à la forteresse, afn qu'en cas d'invasion elle ne puisse être ni coupée niempoisonnée. De là, des canaux en terre cuite amènent ses eaux dans les différentes parties de laville basse. Partout où le terrain les empêche d'arriver, de vastes citernes recueillent l'eau de pluie etrendent le même service.

Un rempart haut et large ferme l'enceinte, coupé de tourelles et de boulevards ; un fossé secmais profond et large, rendu impraticable par une ceinture de buissons épineux, entoure l'ouvragede trois côtés ; le feuve occupe le quatrième.

Les rues ont été bien dessinées, à la fois pour servir le trafc et pour faire obstacle aux vents.Les constructions ont bonne apparence. Elles forment deux rangs continus, constitués par lesfaçades qui se font vis-à-vis, bordant une chaussée de vingt pieds de large. Derrière les maisons, surtoute la longueur de la rue, se trouve un vaste jardin, borné de tous côtés par les façadespostérieures.

Chaque maison a deux portes, celle de devant donnant sur la rue, celle de derrière sur lejardin. Elles s'ouvrent d'une poussée de main, et se referment de même, laissant entrer le premiervenu. Il n'est rien là qui constitue un domaine privé. Ces maisons en effet changent d'habitants, partirage au sort, tous les dix ans. Les Utopiens entretiennent admirablement leurs jardins, où ilscultivent des plants de vigne, des fruits, des légumes et des feurs d'un tel éclat, d'une telle beauté quenulle part ailleurs je n'ai vu pareille abondance, pareille harmonie. Leur zèle est stimulé par le plaisirqu'ils en retirent et aussi par l'émulation, les différents quartiers luttant à l'envi à qui aura le jardin lemieux soigné. Vraiment, on concevrait diffcilement, dans toute une cité, une occupation mieuxfaite pour donner à la fois du proft et de la joie aux citoyens et, visiblement, le fondateur n'aapporté à aucune autre chose une sollicitude plus grande qu'à ces jardins.

Texte 2 : François Rabelais, Gargantua, chapitre 57, 1534

Pour récompenser Frère Jean des Entommeures d’avoir combattu à ses côtés, Gargantua a fait bâtir l’abbaye de Thélème.

Comment était réglé le mode de vie des Thélémites

Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté etleur libre arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger,ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et leur règlement se limitait à cette clause :

FAIS CE QUE TU VOUDRAS,

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parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu'ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice. Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile sujétion ou une contrainte, ils utilisent ce noble penchant, par lequel ils aspiraient librement à la vertu, pour se défaire du joug de la servitude et pour lui échapper, car nous entreprenons toujours ce qui est défendu et convoitons cequ'on nous refuse.

Grâce à cette liberté, ils rivalisèrent d'efforts pour faire tous ce qu'ils voyaient plaire à un seul. Si l'un ou l'une d'entre eux disait : « buvons », tous buvaient ; si on disait : « jouons », tous jouaient ; si on disait : « allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. Si c'était pour chasser au vol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées, avec leur fer palefroi, portaient chacune sur leur poing joliment ganté un épervier, un lanier, un émerillon, les hommes portaient lesautres oiseaux.

Ils étaient si bien éduqués qu'il n'y avait aucun ni aucune d'entre eux qui ne sache lire, écrire, chanter, jouer d'instruments de musique, parler cinq ou six langues et s'en servir pour composer en vers aussi bien qu'en prose. Jamais on ne vit des chevaliers si preux, si nobles, si habilesà pied comme à cheval, aussi vigoureux, aussi vifs et maniant aussi bien toutes les armes, que ceux qui se trouvaient là. Jamais on ne vit des dames aussi élégantes, aussi mignonnes, moins désagréables, plus habiles de leurs doigts à tirer l'aiguille et à s'adonner à toute activité convenant à une femme noble et libre, que celles qui étaient là.

Pour ces raisons, quand le temps était venu pour un des membres de l'abbaye d'en sortir, soità la demande de ses parents, soit pour d'autres motifs, il emmenait avec lui une des dames, celle qui l'avait choisi pour chevalier servant, et on les mariait ensemble. Et s'ils avaient bien vécu à Thélème dans le dévouement et l'amitié, ils cultivaient encore mieux ces vertus dans le mariage ; leur amour mutuel était aussi fort à la fn de leurs jours qu'aux premiers temps de leurs noces.

Texte 3 : Voltaire, Candide ou l’optimisme, 1759, chapitre XVIII. Candide et son ami Cacambo viennent d’arriver dans le pays d’Eldorado.

Candide et Cacambo montent en carrosse ; les six moutons volaient, et en moins de quatreheures on arriva au palais du roi, situé à un bout de la capitale. Le portail était de deux cent vingtpieds de haut, et de cent de large ; il est impossible d’exprimer quelle en était la matière. On voitassez quelle supériorité prodigieuse elle devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nousnommons or et pierreries. Vingt belles flles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descentedu carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d’un tissu de duvet de colibri1 ; aprèsquoi les grands offciers et les grandes offcières de la couronne les menèrent à l’appartement de samajesté au milieu de deux fles, chacune de mille musiciens, selon l’usage ordinaire. Quand ilsapprochèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand offcier comment il fallait s’yprendre pour saluer sa majesté : si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains surla tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle : en un mot, quelle était la cérémonie.L’usage, dit le grand-offcier, est d’embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. Candide etCacambo sautèrent au cou de sa majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les priapoliment à souper.

En attendant, on leur ft voir la ville, les édifces publics élevés jusqu’aux nues, les marchésornés de mille colonnes, les fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles de liqueurs decannes de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées d’une espèce depierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du girofe et de la cannelle. Candidedemanda à voir la cour de justice, le parlement ; on lui dit qu’il n’y en avait point, et qu’on neplaidait jamais. Il s’informa s’il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage,et qui lui ft le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux millepas, toute pleine d’instruments de mathématiques et de physique.

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Note : 1. Oiseau minuscule des régions tropicales américaines, au plumage éclatant.

Texte 4 : Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

La Ferme des animaux (Animal Farm) est un apologue décrivant une ferme dans laquelle les animaux se révoltent puis prennent le pouvoir et chassent les hommes

Tous les animaux étaient maintenant au rendez-vous - sauf Moïse, un corbeau apprivoiséqui sommeillait sur un perchoir, près de la porte de derrière - et les voyant à l’aise et bien attentifs,Sage l’Ancien se racla la gorge puis commença en ces termes :

« (…) Quelle est donc, camarades, la nature de notre existence ? Regardons les choses enface nous avons une vie de labeur, une vie de misère, une vie trop brève. Une fois au monde, il nousest tout juste donné de quoi survivre, et ceux d’entre nous qui ont la force voulue sont astreints autravail jusqu’à ce qu’ils rendent l’âme. Et dans l’instant que nous cessons d’être utiles, voici qu’onnous égorge avec une cruauté inqualifable. Passée notre première année sur cette terre, il n’y a pasun seul animal qui entrevoie ce que signifent des mots comme loisir ou bonheur. Et quand lemalheur l’accable, ou la servitude, pas un animal qui soit libre. Telle est la simple vérité.

« Et doit-il en être tout uniment ainsi par un décret de la nature ? Notre pays est-il donc sipauvre qu’il ne puisse procurer à ceux qui l’habitent une vie digne et décente ? Non, camarades,mille fois non ! Fertile est le sol de l’Angleterre et propice son climat. Il est possible de nourrir dansl’abondance un nombre d’animaux bien plus considérable que ceux qui vivent ici. Cette ferme à elleseule pourra pourvoir aux besoins d’une douzaine de chevaux, d’une vingtaine de vaches, decentaine de moutons - tous vivant dans l’aisance une vie honorable. Le hic, c’est que nous avons leplus grand mal à imaginer chose pareille. Mais, puisque telle est la triste réalité, pourquoi ensommes-nous toujours à végéter dans un état pitoyable ? Parce que tout le produit de notre travail,ou presque, est volé par les humains ; Camarades, là se trouve la réponse à nos problèmes. Touttient en un mot : l’Homme Car l’Homme est notre seul véritable ennemi Qu’on le supprime, etvoici extirpée la racine du mal. Plus à trimer sans relâche ! Plus de meurt-la-faim !

« L’Homme est la seule créature qui consomme sans produire. Il ne donne pas de lait, il nepond pas d’œufs, il est trop débile pour pousser la charrue, bien trop lent pour attraper un lapin.Pourtant le voici le suzerain de tous les animaux. Il distribue les tâches : entre eux, mais ne leurdonne en retour que la maigre pitance qui les maintient en vie. Puis il garde pour lui le surplus. Quilaboure le sol : Nous ! Qui le féconde ? Notre fumier ! Et pourtant pas un parmi nous qui n’ait quesa peau pour tout bien. Vous, les vaches là devant moi, combien de centaines d’hectolitres de laitn’avez-vous pas produit l’année dernière ? Et qu’est-il advenu de ce lait qui vous aurait permisd’élever vos petits, de leur donner force et vigueur ? De chaque goutte l’ennemi s’est délecté etrassasié. Et vous les poules, combien d’œufs n’avez-vous pas pondus cette année-ci ? Et combien deces œufs avez-vous couvés ? Tous les autres ont été vendus au marché, pour enrichir Jones et sesgens ! Et toi, Douce, où sont les quatre poulains que tu as portés, qui auraient été la consolation detes vieux jours ? Chacun d’eux fut vendu à l’âge d’un an, et plus jamais tu ne les reverras ! Enéchange de tes quatre maternités et du travail aux champs, que t’a-t-on donné ? De strictes rationsde foin plus un box dans l’étable ! »

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Histoire des arts : Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830)

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830)

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Objet d'étude : Ecriture poétique et quête du sens,

du Moyen Âge à nos jours

Lectures analytiques

Oeuvre intégrale : Alcools (1913) de Guillaume Apollinaire

Textes : 18. « Zone» , du début à « l’avenue des Ternes » (vers 1 à 24)

19. « Le Pont Mirabeau»

20. « La Loreley »

21. « Nuit rhénane »

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Lecture analytique n° 18 : « Zone », vers 1 à 24

Zone

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À la fn tu es las de ce monde ancien Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennesLa religion seule est restée toute neuve la religionEst restée simple comme les hangars de Port-Aviation Seul en Europe tu n'es pas antique ô ChristianismeL'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie XEt toi que les fenêtres observent la honte te retientD'entrer dans une église et de t'y confesser ce matinTu lis les prospectus les catalogues les affches qui chantent tout hautVoilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journauxIl y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventures policièresPortraits des grands hommes et mille titres divers J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nomNeuve et propre du soleil elle était le claironLes directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographesDu lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passentLe matin par trois fois la sirène y gémitUne cloche rageuse y aboie vers midiLes inscriptions des enseignes et des muraillesLes plaques les avis à la façon des perroquets criaillentJ'aime la grâce de cette rue industrielleSituée à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes

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Lecture analytique n° 19 : « Le Pont Mirabeau »

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Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienneLa joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passeDes éternels regards l'onde si lasse Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lenteEt comme l'Espérance est violente Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennentSous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure

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Lecture analytique n° 20 : « La Loreley » à Jean sève

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À Bacharach il y avait une sorcière blondeQui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l'évêque la ft citer D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des fammes et non des pierreriesJetez jetez aux fammes cette sorcellerie

Je fambe dans ces fammes ô belle Loreley Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien

Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure Si je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus làMon cœur me ft si mal du jour où il s'en alla

L'évêque ft venir trois chevaliers avec leurs lancesMenez jusqu'au couvent cette femme en démence

Vat-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblantTu seras une nonne vêtue de noir et blanc

Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatreLa Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si hautPour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le feuve Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là haut le vent tordait ses cheveux déroulésLes chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là bas sur le Rhin s'en vient une nacelleEt mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vientElle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley

Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

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Lecture analytique n° 21 : « Nuit rhénane »

Nuit rhénane

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Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une fammeÉcoutez la chanson lente d'un batelierQui raconte avoir vu sous la lune sept femmes Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une rondeQue je n'entende plus le chant du batelierEt mettez près de moi toutes les flles blondesAu regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirentTout l'or des nuits tombe en tremblant s'y reféterLa voix chante toujours à en râle-mourirCes fées aux cheveux verts qui incantent l'été

Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire

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Objet d'étude : Ecriture poétique et quête du sens,

du Moyen Âge à nos jours

Oeuvre intégrale : Alcools (1913) de Guillaume Apollinaire

Documents complémentaires

• Groupement de textes : les fgures féminines en poésie : Arthur Rimbaud, «Ophélie », Poésies, 1871 ; Aloysius Bertrand, « Ondine », Gaspard de la Nuit, 1842 ; GuillaumeApollinaire, « La Loreley », Alcools, 1913 ; Jean Lorrain, « Mélusine », L'Ombre ardente, 1897.

– lectures d'images :

• Histoire des arts : Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire, 1914

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Les fgures féminines en poésie

Textes : Texte A : Arthur Rimbaud, « Ophélie », Poésies, 1871Texte B : Aloysius Bertrand, « Ondine », Gaspard de la Nuit, 1842Texte C : Guillaume Apollinaire, « La Loreley », Alcools, 1913.Texte D : Jean Lorrain, « Mélusine », L'Ombre ardente, 1897.

Texte A : Arthur Rimbaud, « Ophélie », Poésies, 1871.

Ophélie ISur I'onde calme et noire où dorment les étoilesLa blanche Ophélia1 fotte comme un grand lys,Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...- On entend dans les bois lointains des hallalis2.Voici plus de mille ans que la triste OphéliePasse, fantôme blanc, sur le long feuve noir ;Voici plus de mille ans que sa douce folieMurmure sa romance à la brise du soir.Le vent baise ses seins et déploie en corolle3

Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ;Elle éveille parfois, dans un aune4 qui dort,Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :- Un chant mystérieux tombe des astres d'or.

IIO pâle Ophélia ! belle comme la neige !Oui tu mourus, enfant, par un feuve emporté !C'est que les vents tombant des grands monts de NorvègeT'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;C'est qu'un souffe, tordant ta grande chevelure,À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits,Que ton cœur écoutait le chant de la NatureDans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;C'est que la voix des mers folles, immense râle,Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !Tu te fondais à lui comme une neige au feu :Tes grandes visions étranglaient ta parole- Et l'lnfni terrible effara ton œil bleu !

III- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoilesTu viens chercher, la nuit, les feurs que tu cueillis,Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,La blanche Ophélia fotter, comme un grand lys.

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1 - Ophélie : personnage féminin de Hamlet, drame de Shakespeare. Devenue folle, elle se noie. 2 - Le hallali : cri qui marque la victoire imminente du chasseur sur l'animal poursuivi lors d'une chasse. 3 - Une corolle : partie de la feur formée par l'ensemble de ses pétales. 4 - Un aune (ou aulne) : arbre qui croît dans les lieux humides et marécageux.

Texte B : Aloysius Bertrand, « Ondine », Gaspard de la Nuit, 1842.

Ondine

- « Ecoute ! - Ecoute ! - C'est moi, c'est Ondine1 qui frôle de ces gouttes d'eau leslosanges sonores de ta fenêtre illuminée par tes mornes rayons de la lune ; et voici, enrobe de moire2, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et lebeau lac endormi. »

« Chaque fot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier quiserpente vers mon palais, et mon palais est bâti fuide, au fond du lac, dans le triangle dufeu, de la terre et de l'air.»

- « Ecoute ! - Ecoute ! - Mon père bat l'eau coassante d'une branche d'aulne verte, etmes sœurs caressent de leurs bras d'écume les fraîches îles d'herbes, de nénuphars et deglaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche à la ligne ! »

Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt pour êtrel'époux d'une Ondine, et de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.

Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleuraquelques larmes, poussa un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisselèrentblanches le long de mes vitraux bleus.

1 - Ondine : Nymphe ou génie féminin des eaux dans la mythologie germanique.2 - La moire : étoffe aux refets ondoyants.

Texte C : Guillaume Apollinaire, « La Loreley », Alcools, 1913.

La Loreley

À Bacharach1 il y avait une sorcière blondeQui laissait mourir d'amour tous les hommes à ta ronde

Devant son tribunal l'évêque la ft citerD'avance il l'absolvit2 à cause de sa beauté

Ô belle Lorerey3 aux yeux pleins de pierreriesDe quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont mauditsCeux qui m'ont regardée évêque en ont péri

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Mes yeux ce sont des fammes et non des pierreriesJetez jetez aux fammes cette sorcellerie

Je fambe dans ces fammes ô belle LoreleyQu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Evêque vous riez priez plutôt pour moi la ViergeFaites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointainFaites-moi donc mourir puisque je n'aime rien

Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meureSi je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus làMon cœur me fait si mal du jour où il s'en alla

L'évêque ft venir trois chevaliers avec leurs lancesMenez jusqu'au couvent cette femme en démence

Va-t-en Lore en folie va Lore aux yeux tremblantTu seras une nonne4 vêtue de noir et blanc

Puis ils s'en allèrent sur la route tous tes quatreLa Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si hautPour voir une fois encore mon beau château.

Pour me mirer une fois encore dans le feuve Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là haut le vent tordait ses cheveux déroulésLes chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là-bas sur le Rhin s'en vient une nacelles Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vientElle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

1 - Bacharach : petite ville de la moyenne vallée du Rhin. - 2 - Absoudre : pardonner les péchés dequelqu'un. - 3 - Loreley : fgure de légende, attachée à un rocher qui domine le Rhin et qui renvoie unécho aux appels venus des bateaux qui passent à sa hauteur. Le génie de ce lieu, confondu souvent avecune fée des eaux, a été célébré par le romantisme allemand. - 4 - Une nonne : religieuse qui vit dans uncouvent. - 5 - Une nacelle : petite embarcation à rames.

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Texte D : Jean Lorrain, « Mélusine », L'Ombre ardente, 1897.

Mélusine

Les bras nus cerclés d'or et froissant le brocart1

De sa robe argentée aux taillis d'aubépines,Mélusine2 apparaît entre les herbes fnes,Les cheveux révoltés, saignante et l'œil hagard.

La splendeur de sa gorge éblouit le regardEt l'émail de ses dents a des clartés divines ;Mais Mélusine est folle et fait dans les ravinesPaître au pied des sapins la biche et le brocart3.

Depuis cent ans qu'elle erre au pied des arbres fées,Elle est fée elle-même ; un charme étrange et douxLa fait suivre à minuit des renards et des loups.

Ses yeux au ciel nocturne enchantent les hibouxEt près d'elle, érigeant ses feurs en clairs trophées,Jaillit un glaïeul rose à feuillage de houx.

1 - Le brocart : étoffe de soie, brochée d'or, d'argent. - 2 - Mélusine : fée de la mythologie celtique quipouvait se métamorphoser partiellement en serpent. Les légendes du Poitou la représentent commel'aïeule et la protectrice de la maison de Lusignan. - 3 - Brocart : chevreuil, daim ou cerf d'un an.

I- Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à laquestion suivante (4 points) :

Comparez les fgures féminines et la manière dont elles sont évoquées dansles quatre textes.

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16points) :

• CommentaireVous commenterez le poème de Jean Lorrain (texte D).

• DissertationLa poésie vous semble-t-elle le genre privilégié pour évoquer l'universdu rêve et du surnaturel ? Vous justiferez votre réponse en vous appuyant sur les poèmes du corpus proposé ainsi que sur d'autres textes que vous connaissez.

• Invention

Dans un texte en prose, relatez un rêve où apparaîtra une fgureétrange ou surnaturelle.

Vous veillerez à employer des procédés et des images poétiques.

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Histoire des arts : Giorgio de Chirico, Portrait prémonitoire de GuillaumeApollinaire, 1914

Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire Giorgio de Chirico, 1914huile sur toile 81,5 x 65 M. N. A. M. , Paris