l'intérêt du jeu vidéo collaboratif pour l’apprentissage du travail en groupe chez les...
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UE85 – MÉMOIRE DE RECHERCHE
Master I CRN (2014-2015)
L’intérêt du jeu vidéo collaboratif pour
l’apprentissage du travail en groupe chez les
élèves du premier et du second degré
Natacha DUBOIS
Directeur de mémoire : Séraphin ALAVA
2.
Remerciements
J’aimerais remercier tout spécialement Séraphin ALAVA , mon directeur de
mémoire, pour ses suggestions sur la rédaction du mémoire.
Une mention particulière à ma collègue, Noëlle Sedack, pour ses précieux
conseils et son regard d’expert.
Un merci inestimable à Carole, pour ses relectures et ses corrections.
Et enfin, un grand merci à mon conjoint, Mathieu, pour son soutien, qui a
fait preuve de beaucoup de patience et de compréhension durant ces derniers
mois.
3.
Table des matières
Résumé .................................................................................................................................................... 4
Introduction ............................................................................................................................................. 5
I. L’apprentissage collaboratif et son application par le jeu. ......................................................... 7
A. Apprentissage collaboratif et apprentissage coopératif - définitions ..................................... 7
B. Les modes d’organisation du travail collaboratif à l’école .................................................... 11
C. Un exemple d’activité d’écriture collaborative : ................................................................... 11
D. La conception du jeu dans l’éducation .................................................................................. 12
II. Eléments de contexte et de réflexion sur le jeu numérique ..................................................... 17
A. Typologie des jeux numériques dans l’éducation ................................................................. 17
B. Les valeurs pédagoqiques du jeu vidéo dans les apprentissages.......................................... 18
III. Eléments de réflexion sur la conception d’un jeu pédagogique pour le travail de groupe .. 21
A. Communiquer et collaborer dans un jeu vidéo ..................................................................... 21
B. Exemples de jeux vidéo existants mettant en œuvre la collaboration entre les joueurs ..... 22
C. Les différents paramètres à prendre en compte pour la réalisation d’un serious game
collaboratif .................................................................................................................................... 23
IV. Concevoir un prototype de jeu collaboratif et le faire tester ............................................... 26
Références bibliographiques ................................................................................................................. 28
Annexes ................................................................................................................................................. 31
4.
Résumé
Cette recherche a pour objet d’étudier l’insertion progressive du travail
collaboratif dans le monde éducatif au moyen du jeu et plus spécifiquement du
jeu numérique.
Partant de la définition du travail collaboratif et de différentes
expériences menées dans le monde éducatif, il sera abordé les difficultés de sa
mise en place.
Pour les pallier, une hypothèse séduisante a été d’introduire le jeu dans
les programmes d’enseignement.
Cette recherche s’appuie sur des écrits de différents pédagogues et
d’observations menées en classe.
Il sera détaillé les différents types de jeux. Certains ne sont pas propices
à l’objectif à atteindre.
Par ailleurs, l’invasion massive des jeux numériques, vient supplanter les
jeux existants.
Ceux-ci, tout en ayant leurs mêmes avantages et inconvénients que les
jeux traditionnels ont leurs propres caractéristiques.
En raison notamment de l’engouement du jeune public envers ces jeux
mais aussi de leurs vertus pédagogiques, l’école se doit de mettre en place ces
nouveaux outils en son sein.
Pour autant, à quelles conditions l’objectif d’éveiller les élèves au travail
collaboratif par l’utilsation des jeux pourra-t-il être atteint ?
« Dans la course effrénée que vivent nos enfants aujourd’hui,
fascinés par la vie en trompe l’œil et en temps réel,
la découverte du plaisir d’apprendre reste l’acte fondateur de toute éducation. »
Philippe Mérieu
5.
Introduction
Dans le système éducatif français, bien que cela soit de plus en plus
décrié, l’apprentissage individuel et l’évaluation sommative par la note
s’instaurent dès l’école primaire. Les enseignants pratiquent encore souvent
une pédagogie basée sur le frontal où les élèves travaillent seuls sans
interaction avec leurs camarades de classe. Les élèves sont habitués très tôt à
se comparer entre eux. Certains enseignants ou parents pensent que cette
compétitivité crée une émulation chez les élèves, au niveau de la motivation et
de l’investissement.
Mais cette comparaison entre pairs peut produire l’effet inverse,
notamment pour les élèves en difficulté : elle peut provoquer un sentiment de
désarroi chez l’élève (Wahl, 2007) et une grande peur de l’échec.
Face à ce constat, depuis plusieurs années, des enseignants mettent en
application l’apprentissage collaboratif qui consiste à faire travailler les élèves
en groupe et à créer entre eux une synergie. Il se révèle bénéfique pour le
rendement scolaire, le développement des habiletés sociales et sur l’estime de
soi (Abrami et al., 1996) et aussi pour la mémorisation. Dans une structure
collaborative, les élèves sont responsabilisés dans la mesure où chaque
membre du groupe apporte sa propre contribution afin d’atteindre l’objectif
visé (Baudrit, 2005). Une interdépendance positive est créée au sein du
groupe : les élèves ont plus de chance d’atteindre un objectif quand un des
membres du groupe l’a atteint à l’inverse de ce qui est observé dans une
stucture compétitive (Abrami et al., 1996). La classe collaborative est un lieu où
sont favorisées les valeurs d’entraide entre les élèves dans les apprentissages.
Mais cela ne va pas de soi. Il ne suffit pas de mettre les élèves ensemble
pour qu’ils travaillent en groupe. Comme pour un autre savoir, il s’agit
d’apprendre aux élèves à travailler en groupe de manière collaborative : « cela
demande un travail et une implication qui correspondent à un véritable projet
devant être annoncé aux élèves pour qu’ils le partagent avec le maître » (De
Vecchi, 2006). Il s’agit de faire prendre conscience aux élèves de l’intérêt qu’il y
a à travailler en groupe.
6.
Après avoir défini l’apprentissage collaboratif, ses avantages et ses
écueils, nous verrons en quoi le jeu a une valeur d’apprentissage et qu’il peut-
être une entrée intéressante pour l’apprentissage du travail en groupe de
manière collaborative.
En seconde partie, nous verrons ensuite quelles sont les caractéristiques
du jeu numérique, comment il s’est peu à peu introduit dans l’école, et quelles
y sont ses applications.
Et enfin nous nous interrogerons sur l’intérêt pédagogique du jeu
numérique et s’il peut être le moteur d’un véritable travail collaboratif chez les
élèves.
7.
I. L’apprentissage collaboratif et son application par le jeu.
A. Apprentissage collaboratif et apprentissage
coopératif - définitions
Sous l’impulsion de Barthélémy Profit et par la suite Célestin Freinet,
l’idée de coopération se développe dans les écoles. Ces deux pédagogues
souhaitent faire développer chez les enfants « la pratique d’une nouvelle
éducation morale, le sens de la citoyenneté et de la mutualisation » (Go, 2013).
Le terme de collaboration est communément confondu à celui de la
coopération. Le travail collaboratif se distingue du travail coopératif par le fait
que le travail n’est pas morcelé en parties que chacun sera chargé de traiter et
dont il aura la responsabilité, mais bien d’un projet global à mener ensemble
(Baudrit, 2007).
Dans l’apprentissage coopératif, l’apprenant a en charge et est
responsable d’une partie du projet mais il doit apprendre à interagir avec les
autres du groupe afin que le travail final qui constitue l’œuvre collective soit
cohérent et harmonieux (Frayssinhes, 2012). Frayssinhes définit 2 principes sur
lesquels repose la pédagogie de la coopération : « l’interdépendance positive »
où les tâches de chacun sont structurées équitablement et où chaque membre
du groupe est actif et « la responsabilité individuelle ».
Dans l’apprentissage collaboratif, les membres du groupe forment un
tout. Ils deviennent « une entité à part entière et la puissance de cette dernière
représente plus que la somme des parties » (Frayssinhes, 2012). La
responsabilité n’est pas du ressort de l’individu mais du groupe entier. « Les
intéractions sont permanentes entre les membres, et c’est la cohérence du
collectif qui permet d’atteindre l’objectif final » (ibid.). Cela suppose une
convergence d’intérêts dans le travail (Go, 2013). On accepte de travailler en
collaboration car on y trouve un intérêt pour soi-même. Baudrit met en
confrontation deux types de collaboration :
D’une part, la collaboration contradictoire (psychologie piagétienne) où
« l’équilibre intellectuel de la personne est perturbé pour finalement accéder à
des connaissances ou savoirs d’un plus haut niveau ». « Les enfants peuvent
bénéficier de situations collectives de travail, d’activités groupales, dans la
mesure où elles sont propices au choc des idées qui incite à réexaminer, revoir,
8.
et justifier ses propres connaissances » (Baudrit, 2007). Ce choc des idées n’est
autre que le conflit socio-cognitif.
D’autre part, la collaboration constructive (psychologie initiée par
Vygotski (1978, 1986) et largement reprise par Bruner(1985), Cole (1985),
Rogoff (1986), Williams (1989) ou Damon et Phelps (1989)) où les
connaissances se construisent à plusieurs en coordonnant les actions
respectives sans oppositions particulières.
Mais cette méthode d’enseignement peut, elle aussi, présenter des
écueils.
Principaux écueils dans la mise en œuvre de l’apprentissage collaboratif
• La compétitivité
Les élèves ne veulent pas se retrouver avec des pairs de plus faible
niveau principalement pour conserver de meilleures notes.
• L’hétérogénéité du groupe
Pour certains projets, les élèves réunis n’ont ni le même degré de
connaissance des bases requises, ni les mêmes compétences. Le travail
collaboratif ne pourra débuter qu’après une mise à niveau des connaissances
de chacun sur le projet.
« La cohérence du système n’est assurée que dans la mesure où les
enfants au travail sont tous pourvus des mêmes aptitudes intellectuelles, tous
décidés à écouter l’autre autant qu’à faire valoir leur point de vue, et munis de
connaissances à parts égales, de telle façon que chacun apporte sa
contribution » (Meirieu, 2010).
L’apprentissage collaboratif pourrait même dans certaines conditions
(conflit sociocognitif) faire régresser les enfants « dont le niveau de
raisonnement est plus avancé que celui de leur partenaire » (Tudge, 1989).
• L’ascendant de certains élèves sur d’autres
Certains élèves plus timides ont tendance à s’effacer au sein du groupe.
A l’inverse, certains élèves auront tendance à monopoliser la parole et les
décisions et à ne pas écouter les avis et suggestions de leurs pairs.
9.
• La mauvaise répartition du travail dans l’équipe
Ce dysfonctionnement peut être lié au précédent. Des élèves se révèlent
très actifs et mènent le projet de bout en bout tandis que les autres se
contentent de le regarder faire. Philippe Meirieu (2010) pose bien la
problématique suivante : en les laissant libre d’agir au sein du groupe, est-ce
que les élèves n’établiraient pas entre eux « une division du travail confiant à
certains membres les tâches de conception, cantonnant les autres dans des
travaux subalternes » ?
• L’incapacité pour les jeunes enfants à se décentrer, prendre en compte le
point de vue de l’autre
Cette difficulté est pointée par Piaget : « L’obstacle essentiel qui
s’oppose aux progrès de la coordination intellectuelle et à la réciprocité morale
n’est autre que l’attitude la plus spontanée et la plus indéracinable (…) : c’est
l’égocentrisme ».
Le travail collaboratif ne va donc pas de soi. Il implique de s’opposer tout
en coopérant. « Il faut que les sujets s’opposent tout en acceptant de coopérer
dans la recherche d’un dépassement (…) des oppositions, avec la volonté
commune de parvenir à un accord excluant toute attitude sociale de
dépendance, concession ou compromission (Guilly, 1988). Deux autres
dimensions sont à prendre en compte : l’autonomie et l’équité entre les
différents partenaires.
Pour autant, ces difficultés peuvent être surmontées en développant les
compétences cognitives et collaboratives des individus recensées ci après :
Compétences cognitives
• Réfléchir en équipe
• Élaborer des idées et les exprimer de façon claire
• Maîtiser et exprimer ses émotions
• Être capable de justifier ses idées et ses opinions
• Nuancer son opinion
10.
• Pratiquer l'écoute active
• Poser des questions d'éclaircissement
• Respecter la décision de l'autre
• Synthétiser en dégageant l'essentiel
• Établir un consensus
Compétences collaboratives
• Travailler de façon positive
• Prendre des décisions et des responsabilités
• Exercer son droit de parole judicieusement
• Se mettre à la place des autres
• Encourager tout le monde dans le groupe
• Faire des concessions
Le développement de ces compétences requiert un véritable
apprentissage en proposant des activités allant dans ce sens (Connac, 2010).
Cette démarche est également approuvée par Gérard De Vecchi (2006) qui
écrit que le travail de groupe passe forcément par un apprentissage et par une
démarche où il s’agit « de faire éprouver le besoin d’entrer » dans une activité
de travail en groupe.
Philippe Meirieu rejoint ce propos en mettant en avant les dangers du
travail par groupes laissé libre : « s’en remettre à ce que chaque enfant désire
faire, c’est laisser jouer les inégalités, laisser la répartition des tâches se décider
à partir des expériences antérieures ». Il est donc illusoire de croire que des
groupes de travail entre élèves peuvent fonctionner directement de manière
démocratique et autonome accédant directement au savoir (Meirieu, 2010). Il
émet des doutes sur la confiance qu’accorde le pédagogue Roger Cousinet au
travail libre par groupe, en cette « confiance absolue mise dans l’enfant (…)
imperméable aux influences et déterminismes psychologiques ».
Des organisations spécifiques vont ainsi être élaborées à l’école pour
promouvoir le travail collaboratif.
11.
B. Les modes d’organisation du travail collaboratif à
l’école
Le travail collaboratif suppose que l’élève soit non seulement acteur mais
aussi auteur. L’élève prendra simultanément différents rôles : « acteur
participant », « acteur auditeur », « acteur responsable », « acteur critique »,
etc.
Des relations de mutualisation, d’entraide, d’écoute, de sollicitation et
de co-création seront déployées entre les élèves. (Go, 2013). Pour que la travail
collaboratif soit formateur à l’ensemble des apprenants, il faut « une
intervention éducative qui privilégie le progrès individuel sur le projet commun,
il ne faudrait pas faire de ce projet l’objectif du travail de groupe » (Meirieu,
2010).
L’enseignant joue un rôle essentiel : il est avant tout une « personne-
ressource ». Sans pour autant dirigier le groupe et faire en sorte que ses élèves
choisissent telle ou telle stratégie, « il doit s’assurer qu’il en existe une et
qu’elle est consciente » en posant des questions, en encourageant la
formulation d’hypothèses et enfin en structurant les savoirs. Il doit veiller
naturellement au « bon focntionnement relationnel du groupe » (De Vecchi,
2006).
Pour développer ces compétences et ainsi s’initier au travail collaboratif,
l’un des moyens va être le jeu. De plus, l’un de ses gros avantages sera
d’accroître la motivation des élèves en ajoutant du plaisir à l’apprentissage.
C. Un exemple d’activité d’écriture collaborative :
Saunders (1989), cité par Alain Baudrit (2007) décrit 5 formes différentes
de mises en œuvre sur un même type d’activité, la production d’écrit. Comme
pour d’autres types d’activités, ces différences dans la mise en forme sont
perceptibles au sein des classes. Ces 5 formes sont classées en partant de celle
qui exige le plus de collaboration à celle qui fait le moins appel à la
collaboration :
12.
• le co-writing : collaboration de tous les membres d’un groupe à la
production d’un texte : de la plannification de l’activité d’écriture à la
version finale du texte.
• Le co-publishing : coopération de chaque membre du groupe où
chacun rédige une partie du texte à écrire.
• le co-responding : écriture individuelle d’un texte mais collaboration
mise en œuvre lors de la phase de révision des textes.
• le co-editing : écriture et révision individuelle d’un texte mais
échange des textes entre les différents apprenants lors de la phase
de correction.
• writing-helping : écriture individuelle du texte mais possibilité de
demander de l’aide à ses pairs si l’on en éprouve le besoin.
Après cet aperçu du travail collaboratif, nous allons définir ce qu’est le
jeu dans le milieu éducatif, et comment il pourra amener les élèves à travailler
naturellement de manière collaborative.
D. La conception du jeu dans l’éducation
• Définition du jeu
Le jeu est « une action libre, sentie comme « fictive » et située en dehors
de la vie courante, capable néanmoins d’absorber totalement le joueur ; une
action (…) qui s’accomplit en un temps et dans un espace expressément
circonscrits » (Johan Huizinga, 1938). Il se déroule selon des règles données qui
paramètrent la difficulté du jeu mais aussi les modes de sociabilité qu’il
engendre (formes spécifiques de coopération et/ou de compétition).
Brougère établit cinq critères pour décrire le jeu :
• « le second degré » où il s’agit de faire semblant dans la situation
engagée par les joueurs,
• « la présence d’une décision » dans le cadre du jeu,
13.
• « la règle » qui est soit préalable, soit construite au fur et à mesure
du jeu,
• « la frivolité » ou l’absence de conséquence de l’activité
• et enfin « l’incertitude » où l’on ne sait pas où le jeu va nous mener.
En France, en 1957, Roger Caillois propose dans son livre, Des jeux et des
hommes, une classification des jeux encore exploitée aujourd’hui :
• les jeux d’agôn basés sur la compétition,
• les jeux d’aléa fondés sur le hasard,
• les jeux d’ilinx basés sur le vertige
• les jeux de mimicry fondés sur le simulacre.
Une classification plus récente a été élaborée au Canada par Denise
Garon (Coll. Rolande Filion, Manon Doucet, psychopédagogues et Robert
Chiasson, bibliothécaire) : la classification ESAR. Elle distingue :
• les jeux d’Exercice (jeux sensoriels et moteurs),
• les jeux Symboliques (jeux de rôle et de simulation),
• les jeux d’Assemblage (jeux de construction et de montage)
• et enfin les jeux de Règles qui regroupent notamment les jeux de
stratégie, les jeux de hasard.
Longtemps destiné exclusivement aux enfants, le jeu s’est peu à peu
popularisé et son utilisation s’est élargie à toutes les générations à partir des
années 70 avec l’arrivée des jeux vidéo, puis des jeux de rôles et des jeux de
plateau développés pour tous.
En anglais, contrairement en français, il y a deux mots pour définir le jeu :
le « game » et le « play ». Le « game » renvoie à l’objet et l’ensemble des règles
alors que le « play » renvoie à l’activité humaine de jouer. On accorde
davantage d’importance au play qu’au game en se concentrant sur les
conditions qui encadrent le jeu et l’activité du joueur (Daniel Bonvoisin, 2014).
Winnicott classe les jeux en deux catégories : les jeux libres (playing) et les jeux
plus organisés (game).
• En quoi le jeu a une valeur d’apprentissage ?
Beaucoup d’auteurs, qu’ils soient psychologues, psychanalystes,
sociologues, philosophes, enseignants et autres praticiens, s’accordent à
14.
montrer l’importance du jeu dans l’enseignement et les apprentissages.
L’enfant, par le biais du jeu, pourra exercer toutes ses pontentialités : motrices,
affectives, sociales, perceptives et mentales (Druart et Wauters,2013). Le jeu
est un vecteur de communication puissant favorisant les échanges et les
interactions entre élèves. Il est bien plus qu’un outil : « c’est une façon d’être
au monde qui permet de le comprendre, de l’expérimenter et donc de le
connaître » (Brougère, 1995).
Les points de vue divergent cependant sur le type de jeux à mettre en
place en classe ainsi que sur le statut et le rôle du jeu dans les apprentissages
scolaires. Pour Brougère, le jeu peut devenir un outil pour les apprentissages à
condition qu’il soit intégré dans une démarche pédagogique qui lui donne sens.
On peut dès lors classer les jeux en deux grandes catégories :
D’une part, les « jeux éducatifs », qui sont imaginés, développés et
déployés à des fins pédagogiques
et, d’autre part, les « jeux libres », « sans autre finalité que le jeu pour le
jeu » (Montagner, 2006).
Les jeux éducatifs sont « des produits culturels complexes, associant des
carcatéristiques propres au jeu (mais pas toutes) et des caractéristiques
propres à l’exercice scolaire », en d’autres termes, ce sont « des activités
mixtes qui conjuguent forme ludique et forme éducative » (Brougère 2005).
Laurent Lescouarch, enseignant spécialisé RASED et d’université de Rouen,
précise même qu’il y a deux types dans ce qui est appelé communément « jeux
éducatifs » :
• « les exercices à connotation ludique » où l’on habille un exercice
de façon plus attrayante en mettant en place un système de
comptage de points (réussites)
• et « les jeux de tradition instrumentalisés » pour des objectifs
scolaires.
Il n’est ainsi pas rare de voir bon nombre de jeux éducatifs de
fournisseurs de supports pédagogiques reprenant la célèbre piste du jeu de
l’oie.
15.
L’intérêt des jeux « éducatifs » pour les apprentissages scolaires est
remis en question par certains auteurs : ce sont ni plus ni moins que des
exercices déguisés qui ne reprennent pas les caractéristiques propres au jeu
naturel : gratuité et spontanéité. D’après Yann Barrère (2006), le jeu, s’il est
détourné de son sens premier qui est l’aspect ludique, perdrait sa qualité
même du jeu. Il conduirait à son instrumentalisation et à son appauvrissement.
Dans le jeu « libre », l’élève peut s’investir pleinement dans l’activité et
accepter la prise de risque car il n’y a pas d’enjeu et d’impact sur la vie réelle
(Allès-Jardel, 1996). Ce type de jeu serait bénéfique pour les apprentissages :
plus un jeu cache son côté éducatif et plus il est éducatif (Bideau, 1989). « Il est
suffisamment riche de vertus éducatives intrinsèques pour ne pas servir
uniquement de caution à des pratiques scolaires traditionnelles » (Lescouarch,
2006). Schiller pensait déjà que que « l’enfant ne joue pas pour apprendre,
mais il apprend parce qu’il joue » (1795, cité dans Druart et Wauters, 2013). Le
chercheur Clark Abt (1970, cité dans Kasbi, 2012) voit dans les jeux un support
pouvant améliorer les résultats scolaires en réduisant la frontière entre
« apprentissage scolaire » et « apprentissage informel ».
Mais le « jeu libre » est difficile à mettre en place à l’école car
contrairement à un exercice, on ne peut pas prévoir ce que l’enfant va
apprendre. « Le jeu réel (libre et gratuit) ne peut pas s’inscrire dans un cadre
pédagogique d’objectifs éducatifs préétablis » (Lescouarch, 2006).
• Quels sont les processus dans un jeu qui construisent la
compétence collaborative ?
Dans ma propre pratique de classe, de 2008 à 2013, j’avais introduit les
jeux de plateaux collaboratifs pour favoriser l’échange et l’écoute entre les
élèves et expérimenter le fait que l’on travaille mieux à plusieurs.
Cette entrée par le jeu collaboratif où tous les joueurs doivent
s’entraider pour gagner a permis de faire ressentir aux élèves l’intérêt de
travailler en groupe avec l’importance du point de vue de l’autre. Les jeux
collaboratifs montrent aussi qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des gagnants et
des perdants dans les activités à l’école.
16.
L’introduction des jeux de plateau collaboratifs non étiquetés
« éducatifs » dans ma classe avait permis de favoriser les interactions positives
entre les élèves. Ces derniers pouvaient s’engager pleinement dans l’activité et
s’autoriser la prise de risques. Dans ces situations de jeu à plusieurs, l’enfant va
échanger, confronter ses idées et tenir compte du point de vue de l’autre
(Druart et Wauters,2013).
Dans les jeux de plateaux, on retrouve cette confusion entre jeux
coopératifs et jeux collaboratifs. Les jeux sont appelés coopératifs à tort car
dans la plupart de ces jeux, les joueurs œuvrent ensemble pour réaliser un
objectif commun. Ils réfléchissent et élaborent une stratégie conjointement. Il
s’agit donc bien dissocier jeux coopératifs et jeux collaboratifs. Citons l’exemple
du jeu Pandémie1 où les joueurs doivent parcourir le monde afin d'enrayer la
propagation de virus et développer des remèdes. Pour cela, ils contrent
l'expansion des maladies en tirant profit de leurs compétences spécifiques
individuelles au service de l’ensemble des joueurs.
Dans le domaine ludique, on assiste depuis une trentaine d’années, à
l’implantation massive des jeux vidéo qui font une sérieuse concurrence aux
jeux traditionnels, jeux de plateau, jeux de cartes, etc.
L’objet vidéoludique est désormais multigénérationnel avec l’arrivée des
consoles qui ont été étudiées pour plaire au plus grand nombre comme la Wii
de Nintendo et où enfants, parents et grands-parents peuvent jouer ensemble
à des jeux abordables pour tous ainsi que la multiplication des supports : PC,
consoles, tablettes, smartphones.
Tout naturellement, les enseignants s’en sont appropriés, en particulier
pour les utiliser dans les apprentissages scolaires.
1 Pandémie est un jeu de Matt Leacock, illustré par Joshua Cappel et édité par Filosofia en 2008
17.
II. Eléments de contexte et de réflexion sur le jeu numérique
Longtemps décriés par le corps enseignant, le statut et l’image du jeu
vidéo pour l’enseignement évolue. Même si encore beaucoup incitent à la
prudence quant aux jeux vidéo, d’autres réfléchissent à sa mise en place et aux
avantages qu’ils pourraient donner dans le cadre pédagogique.
Comme pour les jeux de plateau, il y a différents types de jeux vidéo qui
pourront être introduits dans les classes.
A. Typologie des jeux numériques dans l’éducation
• les jeux ludo-éducatifs
Selon Natkin (2009), un jeu ludo-éducatif2 est un jeu vidéo qui intègre du
contenu éducatif dans des séquences ludiques. Ce type de jeu est composé
d’un ensemble de défis avec des récompenses en cas de réussite. La répétition
est sous-jacente à ce type de jeu, où les défis sont toujours du même ordre
avec une difficulté croissante : « Les tâches à effectuer sont souvent
répétitives, reposant sur le principe d'exercices à répétition et ne ciblant
qu'une seule compétence ; elles paraissent trop simples par rapport à ce que
proposent les jeux vidéo standards, et rendent ces jeux vite ennuyeux »
(Kirriemuir & McFarlane, 2004 dans Sutter Widmer, 2010).
Beaucoup d’activités sont considérées, souvent à tort, comme ludiques
sous prétexte de changer de support et d’environnement comme les nombreux
quiz que l’on peut voir en ligne sur les différentes matières à l’école, au collège
et au lycée. Mais elles ne représentent ni plus ni moins que des exercices
détournés. Elles n’exploitent pas pleinement les potentialités que le jeu peut
fournir.
• Les serious games
Julian Alvarez et Damien Djaouti (2010) retracent un historique du
serious game. Dans les années 70, un Serious Game peut être un jeu sur
ordinateur, un jeu de société, un jeu de rôle ou même un jeu de plein air.
Aujourd’hui, il est désormais considéré comme étant un jeu exclusivement
numérique.
2 Exemple de jeux ludo-éducatifs : Adibou de Mindscpae Inc.
18.
Ils reprennent la définition traduite des 2 game designers, Sande Chen et
David Michael (2005, cité dans Alvarez et Djaouti, 2010) : « jeux dont la finalité
première n’est pas le simple divertissement ». Ce sont des jeux à intention
sérieuse qui ont « pour principale vocation d’apprendre, d’informer,
d’expérimenter et de s’entraîner» avec des ressorts ludiques issus du jeu
vidéo : le game (Alvarez et Djaouti, 2010). Cela se caractérise par
l’implémentation d’un scénario utilitaire avec un habillage (sonore et
graphique) et des règles adaptées (Ibid.). « Le Serious game vise à proposer de
nouvelles modalités de médiation des connaissances et des savoirs »
(Rampnoux, 2010).
Les champs d’application du Serious Game sont nombreux. On peut le
retrouver notamment dans le secteur de la santé, de la défense, de la politique,
de la formation, de l’écologie et bien évidemment dans l’éducation. Julien
Alvarez et Damien Djaouti ont dressé un schéma pour montrer la diversité des
origines des acteurs du Serious Game (cf. annexe 1).
• Les jeux vidéo détournés de leur sens premier
Enfin, des jeux vidéo commerciaux conçus au départ comme uniquement
des produits de divertissement ont été réutilisés à des fins pédagogiques
(Squire et Barab (2004) cités par Sutter Widmer). Des jeux commerciaux
comme Civilization3 ont été utilisés avec succès en classe dans une optique
pédagogique en instrumentalisant l'histoire et la géographie au service du jeu
et en garantissant un fort engagement (Squire & Barab, 2004).
B. Les valeurs pédagoqiques du jeu vidéo dans les
apprentissages
À partir du milieu des années 90, plusieurs programmes de recherche ont
étudié la nature des mécanismes d’immersion et d’apprentissage exploités
dans les jeux vidéo ainsi que leur aspect motivationnel pour comprendre ce qui
pouvait être réinvesti en matière d’enseignement (Natkin, 2009).
3 Jeu vidéo de stratégie conçu par Sid Meier et édité par Micropose
19.
• Le flow
Julien Alvarez et Damien Djaouti expliquent d’abord que le jeu vidéo
suscite chez le joueur « le flow », notion introduite par le psychologue hongrois
Mihaly Csikszentmihalyi, qui est « un état mental atteint par une personne
lorsqu'elle est complètement immergée dans ce qu'elle fait, dans un état
maximal de concentration. Cette personne éprouve alors un sentiment
d'engagement total et de réussite »4. Cela signifie qu’« une tâche sera d’autant
plus facilement réalisée par un individu, qu’il éprouve de plaisir à le faire ».
(Alvarez et Djaouti, 2010).
Les concepteurs de serious games réfléchissent alors à un bon gameplay
(jouabilité en français) pour faire en sorte que le joueur soit pleinement investi
et immergé dans l’activité sans que la dimension sérieuse intégrée à l’univers
du jeu ne vienne faire obstacle au sentiment de plaisir et d’accomplissement de
soi du joueur. Pour atteindre le flow, Mihaly Csikszentmihalyi met en avant
certaines conditions.
Il faut d’abord que les objectifs de l’activité soit clairement définis afin
que le sujet sache comment il va s’y prendre pour les atteindre. Il faut
également que l’activité ne soit ni trop difficile, ni trop facile. Il faut trouver le
juste équilibre entre les capacités du sujet et les challenges que propose
l’activité. Il faut donc proposer des défis que peut relever le sujet. Ces défis ne
doivent pas être insurmontables car dans ce cas ils engendreraient de l’anxiété
et de la frustration chez le sujet. A l’inverse, si le défi est trop facile à relever, le
sujet risque de se lasser et s’ennuyer. Enfin, pour que le flow soit possible, il
faut que l’activité, en amont, donne envie d’être exercée.
Mihaly Csikszentmihalyi a alors introduit alors la « zone du flow », qui est
« une zone vague de sûreté dans laquelle l’activité n’est pas assez trop
complexe et trop ennuyeuse, et l’entropie psychique comme l’anxiété et
l’ennui ne pourrait se produire » (Chen, 2007) (cf. annexe 2). Cette zone du
flow dans un jeu est rendue possible par la prise en compte de l’Ajustement
Dynamique de Difficulté (A.D.D.).
4 Contributeurs à Wikipédia, 'Flow', Wikipédia, l'encyclopédie libre,
<https://fr.wikipedia.org/wiki/Flow_%28psychologie%29> [Page consultée le 26 août 2015]
20.
• L’Ajustement Dynamique de Difficulté (A.D.D.)
Une autre particularité intéressante de quelques jeux (liée au maintien
du flow explicité ci-dessus) est la difficulté croissante des challenges qu’ils
proposent en fonction de l’évolution des capacités du joueur (Levieux, 2011),
appelée « Ajustement Dynamique de Difficulté » (A.D .D.) ou certaines fois
« difficulté adaptative ». Les niveaux du jeu sont construits pour offrir au joueur
un apprentissage progressif, continu et logique, adapté aux compétences et
performances du joueur. Pour pouvoir s’adapter aux capacités du joueur, il faut
introduire dans le jeu un mécanisme d’évaluation des performances (Adams,
2008).
Astrosmash d’Intellivision est un des premiers jeux qui a mis en place
l’A.D.D. en faisant en sorte de redonner des vies si le joueur perdait trop. Mais
l’A.D.D. est difficile concrètement à mettre en place dans les jeux (Arey &
Wells, 2001 cités dans Chen, 2007) car son élaboration exige une véritable
intelligence artificielle. Par ailleurs, le game designer, Ernest Adams émet
quelques critiques sur l’implémentation d’un système d’A.D.D. dans les jeux :
« un mécanisme d'A.D.D. doit intervenir d'une façon logiquement et
émotionnellement cohérente avec l'univers du jeu » sinon le joueur risque de
se désintéresser du jeu.
• Des moyens de s’autoévaluer et de s’autoréguler
La plupart des jeux demandent aux joueurs de s’autoévaluer en
choisissant au départ un niveau de difficulté. C’est au joueur, en fonction des
premiers feedbacks qu’il reçoit, de décider s’il souhaite continuer dans ce
niveau de jeu ou en choisir un plus facile ou plus difficile.
• Des feedbacks immédiats
Les jeux vidéo offrent des feedbacks immédiats suivant les actions des
joueurs. A chaque niveau de jeu, il y a des récompenses qui peuvent être des
points d’expériences, des pièces d’or supplémentaires, des nouveaux objets…
• La motivation intrinsèque
« Les jeux de qualité se distinguent notamment par leur capacité à engager
fortement le joueur. Ils sont intrinsèquement motivants » (Malone, 1981;
Mitchell & Savill-Smith, 2004 dans Sutter Widmer, 2010). Ils sont autotéliques.
21.
C’est-à-dire qu’ils « se caractérisent par une récompense intrinsèque (self-
oriented reward) impliquant un sens profond d’enjouement, de joie et
d’enrichissement » (Csikszentmihalyi, 1990).
Ces avantages les rendent très séduisants pour envisager leur utilisation
dans l’enseignement.
III. Eléments de réflexion sur la conception d’un jeu
pédagogique pour le travail de groupe
L’enseignement utilisant le jeu vidéo a commencé à montrer ses vertus
dans certaines disciplines comme en éco-gestion par exemple, peut-il être
pensé comme outil d’éducation au travail de groupe ?
C’est ce que je tenterai de démontrer en réfléchissant à la conception
d’un jeu qui reprend l’essence d’un jeu vidéo avec son aspect ludique intégrant
le Flow et mettant en avant la communication et la collaboration entre joueurs-
apprenants. En raison de la relation spéciale entre le challenge et la capacité, le
Flow a déjà été utilisé dans des domaines tels que le le tutorat (Jenova Chen,
2007).
A. Communiquer et collaborer dans un jeu vidéo
Le jeu vidéo a longtemps été perçu comme un jeu solitaire mais il se joue
désormais en réseau. Avec la massification des jeux en ligne, il est désormais
possible de jouer avec des joueurs du monde entier en temps réel.
Parmi ces jeux, on peut distinguer d’une part les MOBA (Multiplayer
online battle arena) signifiant arène de bataille en ligne qui se jouent
généralement avec deux équipes restreintes et d’autre part, les MMOG
(Massively Multiplayer Online Games) signifiant les jeux en ligne massivement
multijoueurs et plus spécifiquement les MMORPG (Massively Multiplayer
Online Role Playing Games) signifiant les jeux de rôle en ligne massivement
multijoueurs.
Ces types de jeux « font appel au sens stratégique et diplomatique du
joueur et axent leur « gameplay» sur la coopération et l’entraide plutôt que la
violence » (Frété, 2002). Les joueurs jouent ensemble simultanément pour
22.
atteindre un but ou réaliser une quête. Ils « jouent des rôles qu’ils se sont
attribués volontairement, collectionnent des pouvoirs et des attributs qui leur
permettent de progresser dans leurs missions » (Lavergne Boudier et Dambach,
2010). Afin d’élaborer ensemble des plans d’action, ils font partie d’une guilde
et peuvent communiquer par écrit par le biais de chats et de forums ou
oralement par le biais de serveurs audios.
Certains de ces jeux « seraient tout particulièrement appropriés pour la
mise en œuvre d'une pédagogie moderne, de type socio-constructiviste,
fondée sur la collaboration entre joueurs-apprenants » (Sutter Widmer, 2010).
« Cette capacité à valoriser son capital humain dans un groupe est considérée
par certains comme une marque d’Intelligence Collective (IC) » (Frayssinhes,
2012). « Les situations de partage et d’interactions sont un des principes
constructeurs des jeux multijoueur » (Lavergne Boudier et Dambach, 2010).
Nous allons en examiner quelques-uns ci-après.
B. Exemples de jeux vidéo existants mettant en œuvre la
collaboration entre les joueurs
Certains jeux en ligne existants pourraient être utilisés comme exemple
pour l’apprentissage collaboratif. En voici trois exemples :
• League of Legends (LoL)
League of Legends un jeu d'arène de bataille en ligne multijoueurs
(MOBA) gratuit développé par Riot Games et disponible sur PC et Mac. Le jeu
se décompose en sessions, avec deux équipes qui s'affrontent par le biais de
champions invoqués par les joueurs, lesquels incarnent des invocateurs.
• World of Warcraft (WoW)
C’est un MMORPG qui se déroule dans un univers médiéval fantastique
où le but est de faire progresser son personnage en réussissant des épreuves
comme des quêtes, des donjons ou bien des raids (épreuves collectives qui
consistent à combattre différentes créatures). « L'analyse des interactions sur
le forum du jeu multijoueur World of Warcraft montre que ce type de jeu
promeut un niveau élevé de raisonnement et développe des compétences
23.
argumentatives chez les joueurs » (Steinkuehler & Duncan, 2008 dans Sutter
Widmer, 2010).
• Ingress
Ingress est un jeu en réalité augmentée (jeu en en ligne qui utilise le monde réel comme plate-forme du jeu), pour smartphones, développé par Google. Il invite les joueurs à récolter de l'énergie en effectuant des parcours dans le monde réel pour rechercher des indices et rencontrer d’autres joueurs. Ils pourront ensuite dépenser cette énergie en lançant des missions via des portails liés à des lieux publics importants (places, monuments, lieux publics, etc.) dont les écrans, les caméras et les GPS reconfigurent l’environnement urbain et social en un espace de jeu totalement ouvert.
Comme nous l’avons observé, ces jeux vidéo ne seront vraiment collaboratifs que s’ils obéissent à certains critères que nous allons examiner ci-après.
C. Les différents paramètres à prendre en compte pour la
réalisation d’un serious game collaboratif
L’analyse qui vient d’être présentée sur le potentiel pédagogique de
certains jeux vidéo et qui mettent en œuvre la collaboration (les MMOG et les
MOBA) nous amène à réfléchir sur la possibilité « d’établir une correspondance
entre des modèles génériques de gameplay et des objectifs pédagogiques »
(Lavergne Bourdier et Dambach, 2010) autrement il dit il s’agit de cibler
certaines caractéristiques de ce type de jeux dans le champ de l’apprentissage
collaboratif.
Jenova Chen (2007) met en relief 2 composantes du jeu vidéo : le
contenu du jeu et le système du jeu.
Le contenu du jeu est « l’essence d’un jeu vidéo, une expérience précise
pour laquelle le jeu a été designé à communiquer » (ibid.). Il va influer
fortement sur la capacité à engager fortement le joueur.
24.
Le système du jeu d’un jeu vidéo est « le logiciel interactif qui
communique le contenu du jeu aux joueurs à travers des visuels, l’audio et des
interactions » (ibid.).
Il s’agit de créer une méthodologie sur la mise en œuvre du flow et de
l’A.D.D. orienté joueur dans le jeu vidéo dont le système de jeu porterait
principalement sur les interactions entre les joueurs.
Bien qu’essentiel, le contenu du jeu ne fera pas partie des éléments
prioritaires à designer : « si un jeu rencontre tous les éléments fondamentaux
du Flow, tout le contenu pourrait devenir gratifiant, toute hypothèse pourrait
devenir séduisante » (Sweetser & Wyeth, 2005 cité dans Chen, 2007).
« L'intelligence artificielle adaptative est une façon de mettre en place un
A.D.D. » (trad. Guyot, Adams, 2008)
Bien que des niveaux de difficulté soient prévus dans les jeux vidéo, ces
derniers ne vont pas assez loin au niveau dans la différenciation.
A l’instar des groupes classes où l’on réunit plusieurs élèves d’une même
tranche d’âge avec des élèves qui peuvent être bons dans certaines matières et
moins bons dans d’autres, le jeu vidéo fait appel a différentes compétences
suivant les types de challenges qui ne sont pas du même ordre (résoudre une
énigme, courir le plus vite possible pour semer un ennemi, confronter des
monstres…).
Face à ce constat, le game designer Ernest Adams (2008) propose de
« mettre en place des réglages différents pour des types de difficultés
différents ». Pour illustrer son propos, il donne un exemple de jeu, Weird
Worlds : Return to infinite Space5, « qui comprend deux réglages pour la
difficulté, l'un pour le mode stratégique (voyager à travers la galaxie) et l'autre
pour le mode tactique (les combats de vaisseaux) ».
Dans d’autres jeux, les niveaux de difficulté choisis au début d’un jeu font
varier le paramètre « difficulté » dans l’ensemble du jeu : « Un mode facile
propose une augmentation très lente de la difficulté, alors qu'un mode difficile
5 Infinite Space games © copyright 1999-2014 Digital Eel
25.
propose une augmentation brutale de celle-ci (parfois décrit par le terme
« steep learning curve ») » (trad. Guyot, Adams, 2008).
Par ailleurs, afin de mettre en place l’engagement du joueur dans le jeu
non seulement quand il commence à jouer mais aussi tout au long du jeu, il
faut créer un environnement du jeu sérieux suffisamment engageant et
motivant.
Malone et Lepper (1987) cité par Sutter Widmer (2010) ont élaboré une
taxonomie des motivations intrinsèques à l'apprentissage. Ils ont identifié
quatre catégories de motivations individuelles : le défi (challenge) qui reprend
la théorie du flow vue ci-dessus, la curiosité, le monde imaginaire (fantasy) et le
contrôle.
Pour Gee (2003) cité par Sutter Widmer(2010), « plus un joueur peut
manipuler un personnage dans le jeu et prendre des décisions qui auront un
impact sur ce dernier, plus il sera motivé et s'investira dans son personnage et
dans le jeu ».
Enfin pour qu’un contenu d’apprentissage porte réellement ses fruits, il
faut qu’il soit intégré entièrement dans le contexte fictionnel du jeu. Il ne faut
pas que le contexte soit juste un prétexte pour mettre en avant le contenu
d’apprentissage mais il faut qu’il y ait un lien entre les deux. Malon et Lepper
(1987) cité par Sutter Widmer (2010) parlent alors de « fiction endogène » et à
l’inverse de « fiction exogène ». On retrouve cette même problématique dans
les jeux de plateau où la thématique du jeu est tantôt intégrée à la mécanique
du jeu (comme dans le jeu Caylus6) tantôt elle est totalement détachée et ne
sert pas à justifier la mécanique du jeu (comme dans le jeu Bora Bora7).
Pour conclure ce mémoire, afin de vérifier l’hypothèse que ces « serious
games » vont permettre aux élèves de s’initier au travail collaboratif, il convient
d’en faire l’expérimentation.
6 Jeu de société créé par William Attia et édité par Ystari Games en 2005
7 Jeu de société créé par Stefan Feld et édité par Alea en 2013
26.
IV. Concevoir un prototype de jeu collaboratif et le faire tester
L’objectif est de déterminer si le jeu a un réel effet sur le travail en
groupe de manière collaborative, cela pourra faire l’objet d’une seconde partie
d’un mémoire de recherche en master 2.
Il s’agira d’abord de développer un prototype de jeu numérique avec les
points suivants (développés dans les parties précédentes) :
• Un environnement et un scénario pertinent et engageant pour les
joueurs afin de maintenir le Flow
• Des objectifs pédagogiques clairement posés qui mobilisent
l’ensemble des joueurs
• Des niveaux de difficulté du jeu pouvant être paramétrés et
évolutifs suivant les capacités des joueurs
• Un serveur audio associé au jeu ainsi qu’un système de chat et de
forum pour que les joueurs puissent communiquer et s’entraider
• Un jeu découpé en 3 parties (Mariais, 2012 cité dans Delomier
2013) : planification et gestion des rôles de la simulation, simulation en elle-
même et étape de débriefing/métacognition.
Il s’agira ensuite de mettre en place une démarche expérimentale avec
des groupes d’élèves ayant testé le jeu et d’autre non.
Une vingtaine de groupes de 4/5 élèves (la catégorie A) n’auront pas eu
de préparation spécifique à part les recommandations générales sur la
méthodologie à adopter dans le travail de groupe, contrairement à une autre
vingtaine de groupes de 4/5 élèves (catégorie B) qui auront eu à disposition le
jeu à tester sur 3 semaines.
On proposera une activité collaborative pour l’ensemble des groupes et
on mesurera la réussite de l’activité suivant différents paramètres comme
l’engagement dans l’activité ainsi que les types d’interactions entre les
apprenants.
27.
Conclusion
Les jeux vidéo pédagogiques améliorent-ils réellement et toujours les
techniques d’apprentissage ?
Comme l’évoque Denise Sutter Widmer, beaucoup de chercheurs
tendent à critiquer les serious games pour leur manque d'efficacité
pédagogique. Ils ne motiveraient pas davantage les élèves et ne rempliraient
pas leur rôle pédagogique.
Il convient de préciser que ces jeux vidéo sont souvent mal pensés au
niveau conception du jeu et n’accomplissent pas leur tâche première qui est de
favoriser les apprentissages pour les élèves. On pense bien à prendre en
compte l’activité du sujet dans l’apprentissage mais les interactions entre les
joueurs-apprenants sont mises de côté.
Des situations qui exigent « communication, négociation, argumentation
et calcul stratégique » ne sont pas mises en œuvre spontanément dans la vie
scolaire (Lavergne Boudier et Dambach, 2010) car il est rare de voir dans les
classes un réel apprentissage au travail collaboratif. Le jeu pourrait être un des
moteurs à ce type de travail.
Un réel travail reste à faire concernant la conception même du jeu vidéo
éducatif qui ne doit pas être simplement calqué sur les jeux vidéo du marché,
mais bien élaboré en amont par une équipe à laquelle des pédagogues
participeront activement.
28.
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groupe
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30.
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• Sur la conception d’un serious game
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El Mawas, Nour. « Architecture pour la co-conception des jeux sérieux participatifs et intensifs en connaissances ». Thèse de doctorat, Université de technologie, 2013.
Marfisi-Schottman, Iza. « Méthodologie, modèles et outils pour la conception de Learning Games ». Thèse de doctorat, LIRIS - Laboratoire d’Informatique en Image et Systèmes d’information, 2012.
Marfisi-Schottman, Iza, Jean-Marc Labat, et Thibault Carron. « Approche basée sur la méthode pédagogique des cas pour créer des Learning Games pertinents dans de nombreux domaines d’enseignement ». In Environnements
Informatiques pour l’Apprentissage Humain, EIAH’2013, 67-78. France, 2013.
• Divers
Wahl, Gabriel, et Claude Madelin-Mitjavile. Comprendre et prévenir les échecs scolaires. O. Jacob. Paris, 2007.
31.
Annexes
I) Schéma sur les différents secteurs d’origine des acteurs du
Serious Game (Alvarez et Djaouti, 2010)
32.
II) Graphiques sur la relation entre la zone du Flow et
l’expérience actuelle d’un joueur (Jenova Chen, 2007)
Malheureusement, comme les empreintes digitales, des personnes différentes possèdent des compétences différentes et des zones de Flow différentes. Un jeu bien designé pourrait garder des joueurs normaux dans le Flow, mais cela ne sera pas aussi efficace pour les joueurs hardcores ou novices.
Si l’expérience actuelle s’éloigne trop de la zone de Flow, l’entropie psychique négative telle que l’anxiété et l’ennui brisera l’expérience de Flow du joueur.
Dans la figure 2, la courbe rouge représente l’expérience actuelle qu’un joueur a acquise durant un segment d’un jeu vidéo. Le joueur peut ressentir qu’une certaine partie du jeu est un peu plus difficile ou plus facile que ce à quoi il s’attendait. Mais il peut encore supporter et maintenir son expérience de Flow dans la zone de sécurité.
33.
III) Les 7 étapes de la conception d’un jeu pédagogique
(Marsifi et al., 2010)