l'implantation de jardins d'insertion · commercialisation des produits à un réseau...

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L'IMPLANTATION DE JARDINS D'INSERTION L'articulation de la politique sociale et de la gestion locale de l'espace non bâti ETUDE EXPLORATOIRE Rapport Final Septembre 1997 Etude réalisée par Daniel Cérézuelle PADES / A R G O Ile de France Ministère de l'Environnement Direction de la Nature et des Paysages Sous-Direction des Sites et Paysages Bureau des Paysages PADES Programme Autoproduction et Développement Social / ARGO Ile de France 1

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L ' IMPLANTATION

DE

JARDINS D ' INSERTION

L'articulation de la politique sociale et de la gestion locale de l'espace non bâti

ETUDE EXPLORATOIRE

Rapport Final Septembre 1997

Etude réalisée par Daniel Cérézuelle

PADES / A R G O Ile de France

Ministère de l'Environnement Direction de la Nature et des Paysages Sous-Direction des Sites et Paysages

Bureau des Paysages

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SOMMAIRE

INTRODUCTION I - UNE LOGIQUE DE LA PENURIE II - ATTRIBUTION DE JARDINS ET DISCRIMINATION ETHNIQUE III - UNE DIFFICILE APPROPRIATION PAR LES JARDINIERS IV - DE QUELQUES FACTEURS AGRAVANTS V - CONCLUSION VI - ANNEXE

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INTRODUCTION

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OBJECTIFS Depuis quelques années on voit se multiplier des expériences visant à combiner insertion sociale et jardinage collectif. Face aux logiques d'exclusion qui font basculer dans la dépendance et la marginalité des publics de plus en plus nombreux et divers, le jardinage coopératif, qu'il soit familial ou collectif, s'avère être un support particulièrement intéressant de développement social local et de lutte contre l'exclusion. Pour des ménages à faible revenus ou économiquement vulnérables, l'accès à un jardin facilite le développement des ressources pratiques, culturelles et relationnelles qui contribuent à l'autonomie en favorisant l'émergence d'une stratégie domestique cohérente, d'un projet de vie et le rétablissement de liens sociaux et communautaires. C'est ainsi qu'un mouvement de création de jardins d'insertion s'est dessiné au cours des années 1980 puis s'est développé en s'appuyant sur les opérations de Développement Social Urbain et sur les Plans Départementaux d'Insertion, selon le contexte et le public visé. Les jardins familiaux d'insertion fournissent un outil très intéressant de prévention socio-économique dans des quartiers en difficulté. C'est surtout une logique territoriale qui recommande le choix de cet équipement; Il s'agit d'une formule proche des jardins ouvriers ou familiaux classiques. On offre à des ménages (réduits parfois à une seule personne) en difficulté la possibilité de cultiver individuellement une parcelle dans un groupe de jardins à proximité du lieu d' habitation. L'auto-production y est de règle. Les jardins collectifs d'insertion proposent à un groupe de personnes en difficulté de cultiver ensemble un jardin potager et de partager entre eux la plus grande partie de la production. Celle-ci sera donc principalement autoconsommée, parfois donnée ; rien n'est vendu. Plutôt que de prévention il s'agit ici de réparation ou de réinsertion. Dans les deux cas nous assistons à l'invention d'une formule très originale d'insertion par l'économie non monétaire qui a des effets positifs en termes d'autonomisation, de qualification sociale et de redynamisation de la vie locale. C'est que confirment les évaluations menées à ce jour en Aquitaine sur plusieurs sites : Les effets positifs en termes d'autonomisation et de création de lien social sont patents. Toutefois les tentatives de création de nouveaux groupes de jardins dans le cadre des politiques d'insertion ou de Développement Social Urbain butent fréquemment sur d'importants obstacles mal identifiés, il en résulte des dérapages et des blocages qui tiennent tant à l'inexpérience des porteurs de projets qu'aux normes politiques, culturelles et techniques qui pèsent sur la vie locale et les processus de décision. L'étude exploratoire dont nous rendons compte dans les pages qui suivent a donc pour objet une première identification des enjeux et des contraintes qui pèsent sur l'implantation des jardins d'insertion, afin de faciliter une meilleure articulation entre politique sociale locale et gestion locale de l'espace urbain non bâti.

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METHODE Nous avons qualifié cette étude d'exploratoire, ce qui veut dire qu'elle ne prétend pas être complète quand au type d'opérations analysées et quand à la nature des contraintes mises en évidence. Le lecteur doit lire ce compte rendu en gardant à l'esprit que des études complémentaires pourront être ultérieurement conduites pour apporter un éclairage sur un certain nombre de questions que nous évoquerons en conclusion. Choix des terrains Nous avons décidé d'étudier un type particulier, mais c'est le plus courant, d'opérations de création de jardins d'insertion : celles qui avaient pour but la création de jardins coopératifs familiaux. Nous avons donc laissé de côté les opérations de créations de jardins collectifs d'insertion et celles qui concernent le maraîchage collectif, ou l'objectif est la commercialisation des produits à un réseau d'adhérents. Compte-tenu de la diversité des situations de terrain, des enjeux et des partenaires locaux, cette focalisation sur le type d'opération le plus courant nous a paru nécessaire pour éviter la dispersion. Les opérations étudiées ont été réalisées à proximité de cité d'habitat social bénéficiant de contrats de Développement Social Urbain : BRANDVAL Cité BOUSSENS, CABERNAY Cité WILSON et de manière moins approfondie DANGRES Cité Paul LAFARGUE. Dans les trois cas il s'agit d'agglomérations importantes ayant le statut de capitales régionales. Les analyses que nous présentons ici s'appuient sur les entretiens et les observations que nous avons pu faire sur ces trois sites. Nous avons tenu compte également des problèmes posés par la création de groupes de jardins sur d'autres sites, tant dans ces trois grandes villes que dans d'autres lieux en France et dont nous avons eu à prendre connaissance au cours des dernières années. Même si nous ne citons pas expressément toutes ces sources secondaires d'information il aurait été dommage de ne pas en tirer parti. Sources Au total vous nous appuierons sur 23 entretiens effectués avec des élus, des universitaires des porteurs de projet, des responsables associatifs, des personnels municipaux, des travailleurs sociaux des conseils généraux ou des caisses d'allocations familiales. Bien entendu nous ne les citons pas tous, nous nous bornerons dans ce rapport à illustrer nos analyses par des extraits des entretiens qui nous paraissent les plus significatifs. On trouvera en annexe la liste des personnes qui nous ont accordé un entretien. Exploitation des entretiens Sur la base de travaux déjà effectués nous pensions pouvoir mettre en évidence deux types de contraintes pesant sur les opérations de création de jardins d'insertion

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- Les contraintes liées aux normes technico administratives pesant sur la gestion locale du foncier : cadre juridique de l'utilisation des terrains, modalité d'élaboration des POS, réglementations diverses etc ... - Les contraintes liées aux normes culturelles et politiques : aux stratégies des différentes catégories d'acteurs locaux et à leurs représentations de l'usage légitime de l'espace urbain non bâti et de sa gestion

Or pour des raisons de fond il n'y a pas été possible d'avancer bien loin dans la première de ces directions, celle qui concerne les normes technico administratives. En effet dès les premiers entretiens nous nous sommes rendu compte que le poids des normes culturelles et politiques est tel que la création de jardins d'insertion est dominée par une logique du privilège octroyé et de gestion de la pénurie, de sorte que la question des normes tecnico administratives reste pratiquement insaisissable car elle joue un rôle tout à fait secondaire. Tant qu'il n'existe pas de véritable volonté politique de création de jardins d'insertion la question des normes et des contraintes technico administratives reste à l'arrière plan et ne peut être traité de manière approfondie. Ce qui est dominant ce sont les normes plus "sociales", les modèles et les représentations qui pèsent sur la création la gestion et le fonctionnement des groupes de jardin. Nous essaierons de les mettre à jour dans les pages qui suivent. Certes dans la mesure du possible nous aurons l'occasion d'évoquer le poids de certaines normes technico administratives. Mais une analyse sérieuse du poids de ces normes ne peut être conduite que sur des terrains ou le préalable de la volonté politique a été levé et ou il existe un véritable intérêt pour le jardinage d'insertion. Sur ce plan nous assistons actuellement à des évolutions favorables, y compris sur un des terrains choisis (CABERNAY). Nous ferons en conclusions des propositions dans ce sens. Principaux résultats Le lecteur verra que si l'offre de jardins créée à l'occasion d'opérations de Développement Urbain reste dérisoire c'est qu'un certain nombre de facteurs sociaux que nous allons identifier contribuent à entretenir une logique de la pénurie. Celle-ci se combine souvent, la pénurie étant à la fois cause et effet, à des pratiques de discriminations sociales et ethniques que l'on s'étonne de voir perdurer à l'occasion d'opérations de Développement Social et Urbain. De même des logiques fortes risquent, si l'on n'y prend pas garde, d'amenuiser l'intérêt social des créations de jardins en favorisant la normalisation des équipements et des usages et en soumettant les pratiques jardinières à des relations de domination culturelle. Enfin nous montrerons que les risques de dérives sont d'autant plus forts que les divers partenaires conduisent leur action en fonction d'une conception contestable du lien social et qu'ils sont mal préparés à rencontrer les difficultés que nous mettons en évidence. Pourtant l'intérêt du jardinage d'insertion reste évident et l'examen des difficultés de sa mise en oeuvre ne doit pas être l'occasion de se décourager mais plutôt de proposer des orientations susceptibles de rendre plus efficaces et conformes à leurs objectifs les actions entreprises. C'est ce que nous ferons en conclusion.

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UNE LOGIQUE DE LA PENURIE

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1ère section I - UNE LOGIQUE DE LA PENURIE I - 1) Le constat : un énorme décalage entre l'offre et les besoins A BRANDVAL Cité BOUSSENS comme à CABERNAY Cité WILSON des groupes de jardins ont été créés à proximité d'importantes cités d'habitat social vertical. Ces créations ont eu lieu à l'occasion d'opérations de développement Social Urbain (contrat de quartier, contrat ville) permettant de mobiliser des financements de la ville, du département et de l'Etat. Il en va en gros, de même pour les opérations de BRANDVAL Cité DESAIX et de DANGRES Cité Paul LAFARGUE. Rappelons que ces opérations de créations de jardins s'inscrivent dans des programmes de Développement Social Urbain parce que ces cités sont en difficulté et offrent le même tableau : problème de chômage, de pauvreté, de mauvaise intégration des populations immigrées, d'échecs scolaires etc ... Ces opérations sont récentes : 3 ou 4 ans d'ancienneté, sauf celle de BRANDVAL Cité DESAIX qui vient juste d'être inaugurée en juillet 1997. Or tant les déplacements effectués sur le terrain que les entretiens que nous avons réalisés font sauter aux yeux un énorme décalage entre l'offre et les besoins. Quelques chiffres illustrent ce constat. BRANDVAL Cité BOUSSENS : 12 000 habitants et 72 jardins, CABERNAY Cité WILSON 12 000 habitants et 85 jardins, DANGRES Cité Paul LAFARGUE 3 500 habitants et 37 jardins, BRANDVAL Cité DESAIX 12 000 habitants et 42 jardins. Le rapport jardin/habitant varie donc entre 1/150 et 1/300. Ces chiffres semblent assez dérisoires si on compte sur le jardinage pour rétablir du lien social et favoriser l'autonomie des ménages en difficultés, même s'il est évident que le jardin n'est pas un support universel d'insertion et d'intégration. Bien sûr, beaucoup d'habitants de ces cités ne demandent pas de jardins et n'en souhaitent pas mais sur chacun de ces terrains, tous les témoins insistent sur l'importance de la demande non satisfaite. Partout on nous signale que l'offre fait surgir une demande au moins deux ou trois fois plus nombreuse. Tout se passe comme si les opérations de créations de jardins dans le cadre des programmes de Développement Social Urbain seraient vouées à ne satisfaire que la partie émergée de l'iceberg des besoins locaux, besoins qui dans leur grande majorité semblent voués, eux, à n'être pas satisfaits. Il résulte de ce décalage une grande frustration chez beaucoup d'habitants, des rivalités et des ressentiments qui ne favorisent en rien le lien social et qui, de plus, ont des effets indirects très négatifs sur le fonctionnement et l'utilité sociale des jardins, comme nous le verrons plus loin. Complétons ce constat par une remarque naïve : ces opérations de création de jardins ont lieu dans un contexte communal, non pas de "sous-estimation" mais plus radicalement de "non-estimation" pure et simple des besoins en jardins collectifs. Aucune des collectivités locales ou nous avons enquêté n'a jamais procédé à une étude des besoins à l'échelle de la commune et ni à CABERNAY, ni à DANGRES ni à BRANDVAL, il n'existait d'inventaire des groupes de jardins existants. Jusqu'à ce jour le besoin en jardin n'était pas considéré comme un besoin légitime auquel la collectivité se devrait de répondre, sauf à CABERNAY ou la situation est en train de changer. Pour le moment, faute d'études sérieuses de besoins, tout ce qui a pu remonter jusqu'aux décideurs locaux, c'est une "demande" socialement construite c'est à dire médiatisée par des acteurs reconnus : associations, travailleurs sociaux, etc, à l'occasion d'une opération ponctuelle de Développement Social Urbain et ce en un temps très court . Non seulement il y a peu de chances que cette demande traduise la réalité des besoins mais en outre il y a peu de chances aussi qu'elle soit entièrement satisfaite. Les entretiens que nous avons effectués permettent d'identifier plusieurs facteurs qui contribuent à cette logique de la pénurie.

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Nous laisserons de côté la question foncière, celle-ci est, bien évidement très importante mais elle n'intervient qu'en deuxième ligne puisque tant à BRANDVAL qu'à CABERNAY et DANGRES aucun de nos interlocuteurs n'a évoqué le problème de la pénurie d'espace. Ce n'est que lorsqu'une volonté politique de développement des jardins se sera construite qu'il sera possible d'analyser les enjeux fonciers et les limites qu'en découlent pour une politique volontariste. I - 2) Signalons d'abord l'image négative qui s'attache au jardinage populaire et qui freine le développement du jardinage d'insertion. Beaucoup d'élus et de gestionnaires locaux vivent les jardins comme une nuisance esthétique et une menace de dévalorisation de l'image du territoire. Ce souci de l'image est cause de résistance aux projets. (14) "La Ville a une conception "clean" du jardin familial..en fait les jardins sont vécus comme une nuisance. C'est difficile à faire accepter." (24) "Au départ on a eu des difficultés liées à un problème d'image. Les institutions locales étaient hostiles à une activité trop dévalorisante pour la région." (23) "Il a été très difficile de sensibiliser les élus et les travailleurs sociaux. Il y a un problème d'image dans une commune touristique". Dans plusieurs villes la création de jardins pour des publics en difficulté est non seulement vécue comme une possible nuisance esthétique mais aussi comme le révélateur de difficultés sociales qu'on cherche plutôt à cacher par peur de dévaloriser l'image de la Ville. (16) "Aux Salines, lorsque le service Etude de la CAF a rendu public son diagnostic du quartier, le Dr Witmer (élu) et Mr Anglade (Chargé de Mission politique de la Ville) ont poussé à la banalisation de la synthèse. Surtout ils souhaitaient que l'on ne parle pas du problème de l'intégration des populations étrangères". I - 3) Une finalité sociale souvent mal comprise : bien évidement nous avons rencontré des porteurs de projets animés par la conviction que le jardinage peut être un bon outil de lutte contre l'exclusion. Ceci dit, même les plus convaincants ont du mal à formaliser leurs intuitions et à les traduire en un discours argumenté avec rigueur, capable de convaincre l'environnement institutionnel. Tous les responsables locaux de la politique sociale, de la politique urbaine ou de la gestion des espaces verts reconnaissent volontiers que si le jardin peut être une nuisance, le jardinage est une activité bien sympathique et même socialement utile. Mais lorsqu'on leur demande de préciser cette utilité le discours devient très vague, évoquant surtout le cadre de vie et l'aspect relationnel (5) "l'important c'est de sortir de chez soi, c'est plus important que les légumes." (7) "On crée des échanges plus nombreux entre catégories souvent cloisonnées, avec aide et entr'aide à propos du jardinage. Les agences DSU demandent des créations de jardin sur tous les sites, pour la cohésion sociale. Ca permet de faire émerger des interlocuteurs ... A mon avis les jardins sont des lieux de motivation pour d'autres projets".

Pour une approche de ce problème voir Sophie Chouzenoux Jardins Familiaux et rente foncière urbaine mémoire de DEA IERSO université DANGRES Montesquieu Septembre 1997.

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Il est évident que le projet d'avoir un jardin pour le cultiver pour soi et les siens n'est pas en soi un objectif très important et mobilisateur. L'accès à une activité productive (qui joue un rôle très important selon nos évaluations) est presque toujours passé sous silence ainsi que le rôle du jardinage dans la consolidation de la sphère domestique. Spontanément les interlocuteurs valorisent plus la dimension vie publique, voire "citoyenne" (notion très floue) qui peut se développer à propos du jardinage que la valeur intrinsèque de l'activité. Bien souvent le vocabulaire utilisé pour décrire l'utilité des jardins est à peu près le même que si on parlait d'un centre social proposant un labo photo ou bien un atelier macramé. La sympathie pour l'activité s'accompagne parfois d'une profonde incompréhension de l'intérêt social du projet et les institutions sociales sont rarement porteuses. Ainsi à CABERNAY l'élu aux Affaires Sociales est totalement désimpliqué des divers projets de création de jardins et du récent développement de la problématique du jardinage d'insertion, la Direction de l'Action Sociale également. En règle générale, sauf exceptions individuelles, les initiatives émanant des travailleurs sociaux ou des chargés de mission DSU ne suscitent qu'un appui mitigé des hiérarchies sociales qui ont du mal à s'engager dans la logique territoriale de l'insertion par le jardinage, alors qu'elles sont beaucoup plus familières des logiques délocalisées et beaucoup plus valorisées de l'insertion par l'économique. (10) "Quand on a lancé avec mon collègue le projet "jardins", les travailleurs sociaux ne nous soutenaient pas. Ni les collègues du Centre Médico Social, ni la responsable de circonscription (...) Pour les travailleurs sociaux le travail de la terre n'est pas valorisant en soi. Ce n'est pas un outil de travail professionnel". (10) "Le collègue avec qui j'avais monté le projet de jardins est en train d'en susciter à St Léon, mais là bas aussi les décideurs institutionnels ne comprennent pas bien. Il n'y a pas d'opposition, mais aucune conviction non plus. Il y a là un problème de culture "classe moyenne" pour qui le jardinage est une activité peu valorisante". De fait les cadres de la politique sociale reconnaissent bien volontiers qu'ils manquent de repères pour apprécier et accompagner de telles initiatives. "J'étais très mal à l'aise à propos des jardins de Cité BOUSSENS, pas sur l'intérêt de ces jardins, bien sûr! mais on manque de bilan, on avait du mal à savoir ce qui se passait. On n'avait pas d'éléments pour répondre aux objections. Ca m'a posé des problèmes". Ceci dit il est significatif que manquant de repères, aucune des institutions sociales ni à CABERNAY, ni à BRANDVAL, ni à DANGRES, n'a fait procéder à une évaluation des actions engagées et à une analyse de leur effet social. Il n'est donc pas étonnant que bien souvent le projet de création d'un groupe de jardin soit porté par un individu isolé. Il peut être inscrit par la Ville dans un contrat de Développement Social Urbain mais ne correspond pas à un projet porté par les institutions sociales responsables des politiques d'insertion. I - 4) Des usagers absents Il faut bien le dire, ce n'est pas la découverte de "l'éminente dignité des besoins des pauvres" ni la prise de conscience de la nécessité de prendre en compte leur demande, qui est à l'origine de la plupart des créations de jardins. Il y a des exceptions comme DANGRES ou une élue s'intéressait aux jardins de longue date mais il n'en reste pas moins qu'à DANGRES, CABERNAY ou BRANDVAL c'est l'opportunité d'un financement Développement Social Urbain qui a eu l'effet déclencheur de l'opération et ce n'est que par ricochet que la question des besoins des habitants des cités est abordée, plus souvent mal que bien comme nous l'avons signalé. PADES Programme Autoproduction et Développement Social / ARGO Ile de France 10

Ainsi à CABERNAY Cité WILSON, une fois prise la décision de créer un groupe de jardins (en 1991) la ville confie à une sociologue une "mission d'accompagnement à la définition de jardins familiaux à Cité WILSON". La première tranche de jardins devant être livrée en octobre 1994, cette mission a lieu d'avril à juin 1994. Elle comporte entre autres tâches une "analyse de la demande locale auprès des habitants et de leurs représentants", compte tenu du peu de temps disponible cette sociologue procède de manière simple. (1) "J'ai convoqué tous les jardiniers potentiellement demandeurs. J'ai fait deux semaines de permanence au siège du DSU sur le quartier. J'enregistrerais tout. Je disposais également des listes de candidats établies par l'Association des habitants du quartier de Cité WILSON". Rien de plus normal dans de telles conditions. Mais ensuite des problèmes sont fatalement apparus : l'étude de la demande ne suffit pas. (3) "Lors de l'opération DSU il n'y a pas eu d'évaluation des besoins en jardins sur le quartier. On s'est rendu compte au cours des deux premières années de fonctionnement des jardins qu'il n'y avait ni portugais ni turcs : l'information n'était pas passée. Mais après les turcs sont venus s'inscrire en masse seulement on n'avait plus de jardins à proposer, ce qui a suscité de grandes frustrations". Cette anecdote est tout à fait significative d'un problème de fond : l'accès des "pauvres" a un jardin n'est pas du tout une priorité sociale (voir plus haut) et ce n'est donc que lorsqu'une collectivité locale a la certitude de pouvoir faire payer à d'autres partenaires le coût de la réalisation d'un groupe de jardins qu'elle va consentir à s'intéresser à la demande et à la reconnaître. Bien entendu on ne cherche jamais, nous l'avons vu, à cerner l'étendue des besoins. (3) " A la Cité WILSON, c'est la possibilité d'utiliser le dispositif "convention de quartier" DSU qui a déclenché l'opération "jardins familiaux". Bien sûr il existait auparavant des demandes spontanées qui s'adressaient à l'association des habitants du quartier Cité WILSON. Ces demandeurs avaient connaissance de groupes de jardins existants ailleurs sur l'agglomération. Ils en voulaient sur leur cité". Mais tant qu'il n'y avait pas d'opportunité institutionnelle de mobiliser des financements extérieurs, ces demandes tombaient dans le vide. C'est donc l'offre institutionnelle qui donne une légitimité sociale à la demande et qui donne au besoin l'occasion de se manifester partiellement en se traduisant en demande recevable. Ceci dit il ne faut pas confondre demande exprimée et besoin. Comme le signale un chef de projet DSU travaillant sur les banlieues de Lyon, du besoin à la demande il y a souvent un abîme pour beaucoup d'habitants (22) "Il ne s'exprime pas de demande de jardins. Les gens vivent dans l'habitat collectif et n'imaginent pas qu'il pourrait y avoir des jardins. Ils maîtrisent si peu les espaces ou ils vivent qu'ils n'ont pas idée que les obstacles et les contraintes qu'ils subissent puissent être levés. De plus le monde ouvrier s'est effondré, les gens sont en déshérence, en perte de sens, se sentent vides sans identité". Et donc bien des habitants sont incapables de formuler une demande ou un projet. Cette situation est aggravée par certains traits de la culture politique française concernant la relation entre gouvernants et gouvernés. Celle-ci reste très souvent implicitement dominée par une logique d'ancien régime.

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Même dans le cadre des opérations de Développement Social Urbain dans lesquelles la rhétorique participative est de rigueur, la création de jardins relève beaucoup plus de l'octroi d'un privilège, voire d'une faveur que de la reconnaissance d'un droit légitime. Sur ce point le ton de l'échange de courrier entre un candidat jardinier de CABERNAY Cité WILSON et le Maire de CABERNAY est tout à fait significatif. La relation élu/habitant s'exerce d'emblée sur le mode du paternalisme. D'un côté l'Association demande aux élus de "bien vouloir" d'un autre côté les élus répondent que puisqu'"il rentre effectivement dans les intentions de la municipalité de développer ce type d'équipement" alors on examinera la demande. Bien entendu s'il n'avait pas été dans les intentions de la municipalité de développer cet équipement on peut imaginer le sort qui aurait été fait à cette demande. Dans cet échange rien ne renvoie à la légitimité du besoin des habitants en tant que tel comme source légitime de l'action des institutions publiques. C'est au contraire la disposition de ces institutions qui confère légitimité à la demande exprimée. Signalons également que lorsqu'il y a eu création de jardins, les élus font bien souvent sentir aux associations de jardiniers et à leurs "délégués" que compte tenu des sacrifices financiers qui ont été consentis pour créer quelques lots ils devraient être bien reconnaissants et ne pas importuner des gens sérieux avec de nouvelles demandes. Lors des visites de jardins les échanges se situent plutôt sur le mode du "alors maintenant vous devez être bien contents avec tout ce qu'on fait pour vous" plutôt que sur celui du " surtout signalez-nous tous les besoins non satisfaits ! "C'est ainsi que des municipalités montent une opération phare, payée si possible par des fonds d'autres institutions, et qui leur servent ensuite d'alibi pour ne plus rien créer pendant longtemps. I - 5) Pratiques malthusiennes des associations de jardiniers Curieusement les associations de jardinage populaire jouent un rôle dans l'occultation des besoins en jardins. Une des raisons c'est qu'elles ont intériorisé le schéma paternaliste que nous venons de décrire et qu'elles jouent un rôle de refouloir de la demande par souci d'entretenir de bonnes relations avec les élus et les institutions locales. La satisfaction d'être "bien vu" par ces institutions est une des motivations importantes des responsables associatifs, et ils ne sont pas prêts à risquer de perdre cette gratification en exerçant une trop forte pression sur les notables locaux pour faire reconnaître les besoins d'une population démunie avec laquelle ils ne tiennent surtout pas à s'identifier. C'est ainsi que plusieurs des responsables associatifs que nous avons rencontrés avaient des paroles méprisantes voire franchement racistes à l'égard de leur environnement social. Nous avons eu maintes occasions de faire le même constat sur d'autres terrains. On pourrait s'étonner que ce soient des gens si peu tolérants socialement qui investissent leur énergie et leur bonne volonté pour gérer bénévolement un équipement de proximité. Il est symptomatique que ces responsables s'appliquent à minimiser la dimension "sociale" du jardin au profit de la dimension "cadre de vie" C'est que les "délégués" ou les responsables associatifs qui émergent sur les cités sont souvent des résidents "français" qui sont animés par un souci de distinction sociale. Ils tiennent beaucoup à ne pas être confondus avec une partie de la population du quartier où leur parcours résidentiel, qu'ils vivent comme un déclassement, les contraints de vivre. L'accès à des responsabilités associatives leur permet d'échapper à ce sentiment de déclassement et ils sont d'autant plus soucieux de s'identifier au modèle (présumé) des classes moyennes.

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Ils sont donc facilement ambivalents, voir hostiles, à l'égard des groupes sociaux (immigrés, démunis, chomeurs, etc) du quartier qui leur renvoient une image dévalorisante d'eux même et à laquelle ils ont peur d'être identifiés. N'oublions pas que ces quartiers d'habitat social ou interviennent les opérations de Développement Social Urbain sont ceux ou le pourcentage de pauvres et d'étrangers sont élevés et le vote xénophobe y est souvent important (le Front National a fait 16% à CABERNAY Cité WILSON). Ainsi, pour des "petits blancs" menacés par le déclassement le contrôle des associations de jardinage est un enjeu psychologique (et parfois politique) important. C'est un moyen de reconnaissance sociale, voire d'ascension et d'affirmation d'une supériorité à travers le contrôle paternaliste de l'accès à une denrée rare. Forcément ces responsables associatifs tendent à faire écran entre les besoins locaux et les institutions en décourageant certains publics sur des critères sociaux ou ethniques. Nous verrons plus loin le problème de la discrimination ethnique qui est général. Attardons nous ici sur la discrimination sociale. Comme beaucoup de ses collègues, le Président de l'Association des Jardins Familiaux de la ville de CABERNAY ne cache pas qu'il pense que "les chômeurs et les gens aidés sont de très mauvais jardiniers". De fait les responsables des associations de jardinage supportent souvent mal le public "très social" qui les déstabilise : (6) " Les nécessiteux ne sont pas les plus travailleurs, il faudrait un accompagnement pour les aider". On fait donc tout pour s'en débarrasser. (3) "Dès qu'il y a des retards de cotisation les délégués ont tendance à exclure" nous dit un travailleur social "si je n'étais pas là, ça dériverait vers l'intolérance"," sur le quartier de LONCAY il y a création d'un groupe de jardins dans le cadre d'une opération DSU. L'association de quartier s'est positionnée pour animer la gestion et l'attribution et à nouveau ça pose des problèmes de sélection des jardiniers. Ma collègue a été prise au dépourvu". (8) "La gestion de l'association ne peut s'articuler avec le projet d'insertion et d'accompagnement social de public en difficulté, surtout en matière d'attribution. J'ai constaté une gestion personnalisée de la part du président : demandes et attributions passent par lui et sont traitées personnellement" nous dit un Chargé de Mission insertion. De fait le président ne s'en cache pas :"sur mon quartier j'ai trente demandes par an, j'en distribue 15 et au bout de quelques années les gens ne s'inscrivent plus". Un responsable de service municipal nous confie également : (7) "Le président de l'association reconnaît qu'il ne choisit pas les premiers sur la liste mais plutôt le dernier inscrit comme ça il est sûr de ne pas avoir à se compliquer la vie pour le retrouver et qu'il sera immédiatement disponible". L'effet dissuasif est assuré ! De toutes les façons, DSU ou pas, besoins sociaux ou pas, un responsable nous dit : (6) "Nous, en tant que délégués on ne veut pas d'agrandissement du groupe" "actuellement il y a plus de quarante demandes sur la liste d'attente, on ne fait pas d'information, on ne pourra satisfaire ces demandes. Une des raisons du refus d'extension c'est que initialement avec cinquante parcelles c'était bien ; maintenant le nombre de parcelles est trop important à cause du nombre. C'est plus facile de connaître tout le monde sur un groupe plus petit. Ca devient trop lourd pour les délégués et il y a moins de convivialité"

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Donc on ne demande pas d'extension, surtout si on s'aperçoit que l'implication de la ville dans les procédures DSU dépossède la vie associative de son pouvoir d'attribution au profit de critères sociaux. (5) "On nous impose un recrutement", alors on préfère rester petits mais entre soi". (7)" Ca inquiète l'association de rencontrer de nouvelles populations qui ne sont pas bonnes jardinières ....Il y a des questions qu'ils ne veulent pas et ne peuvent pas se poser". On voit donc comment les associations de jardiniers peuvent pratiquer une discrimination "sociale" qui contribue à la pénurie de jardin et à l'occultation des besoins des plus démunis en matière de jardinage. Inutile de se leurrer, cette pratique est très fréquente et contribue au dévoiement de nombreuses opérations de Développement Social Urbain. I - 6) Les services espaces verts et la tendance à l'inflation technique contribuent également à cette logique de la pénurie de plusieurs manières : Dans certains cas le service espace vert d'une municipalité fait tout pour s'opposer à la création de jardins sur des terrains municipaux. (17) "A POGNES le responsable des services techniques de la mairie fait tout pour faire capoter le projet. Il a même fait déverser un camion de gravats au lieu de terre végétale sur les terrains. A DANGRES les services techniques nous ont menti sur les disponibilités foncières, ils ont fait croire que des déchets toxiques avaient été enfouis sous les terrains attribués et n'ont cessé de multiplier les obstacles. Ils nous ont fait savoir que toute extension était exclue alors que ce n'est pas l'espace qui manque". Pour beaucoup de ces responsables qui ont une culture technicienne l'appropriation des jardins se prête à des dérives anarchiques qui constituent une nuisance qu'il faut à tout prix éviter car elle est incompatible avec une image moderniste de la ville. D'autres gestionnaires des espaces verts sont moins hostiles au développement de jardins collectifs à condition de les traiter selon une logique d'espaces publics paysagers qui impose, outre une normalisation des usages sur lesquels nous reviendrons plus loin, d'importants délais de réalisation et des surcoûts qui peuvent être importants et limitent par là le nombre de jardins réalisables pour un budget donné. La soumission des opérations de création de jardin à des contraintes esthétiques et paysagères se paye et, passé un certain point, on dérive vers des budgets incompatibles avec la vocation d'insertion de publics en difficulté, les orientations de cette tendance sont bien illustrées par un article de la gazette des communes du 21 avril 1997 qui explique que puisqu'il ne faut rien céder sur la qualité paysagère et celle des équipements il faut prévoir des budgets de l'ordre de 50 000 F par parcelle, foncier non compris. Rappelons pour mémoire que l'association les jardins d'aujourd'hui a créée les Jardins Familiaux Cité Paul LAFARGUE pour 15 000 F environ par parcelle et le résultat paysager est tout à fait satisfaisant. Mais à l'évidence les ingénieurs des services techniques espaces verts ont une culture technique qui les pousse à céder aux modèles inflationnistes, d'autant que cette même culture ne les rend pas très perceptifs à l'urgence de répondre aux besoins des habitants des cités. Certes l'article de la gazette des communes parle bien de jardinage et d'insertion mais il n'en ressort que des clichés très flous sur ce que peut être l'insertion et on voit bien qu'il s'agit plus d'adapter l'insertion aux jardins que d'adapter les jardins à l'insertion.

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De telles approches ont des conséquences très restrictives sur le développement du jardinage d'insertion, comme le montre l'exemple de la création des groupes de la Cité BOUSSENS et de la Cité DESAIX dans le cadre d'opérations DSU à BRANDVAL. Première étape : création de 72 jardins à la Cité BOUSSENS après achat par la Mairie d'un champ en bordure d'un bois à 600 mètres de la cité. Les aménagements sont très simples, les habitants participent à la pose des clôtures et des cabanes. Prix de revient de la parcelle : 7 500F. Très rapidement les jardiniers réaménagent les parcelles selon leurs besoins et leurs idées et le groupe va être stigmatisé comme "bidonville vert". (15) L'opération sera dénoncée par tous les partenaires comme "l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire". Deuxième étape : création d'un groupe de jardins à côté de la Cité DESAIX, toujours dans le cadre d'une opération DSU. Le terrain est un petit vallon au pied de la cité ou existent déjà 19 parcelles. Il est classé zone à protéger et fait partie d'une "coulée verte". Un nouvel ingénieur du service espace vert prend les choses en main. (12) "L'expérience de la Cité BOUSSENS a donné une mauvaise image des jardins, à la Cité DESAIX on a voulu restaurer auprès des élus cette image qui était mauvaise après ce qu'ils avaient vu à Cité BOUSSENS". Notons que ce qu'y font les jardiniers n'est pas évoqué. Ne compte que ce que voient les élus. (12) "La façon d'aménager les jardins qui a été utilisé à la Cité BOUSSENS c'est le principe du lotissement : Installer le maximum de gens sur la surface dont on dispose. Mais toutes les parcelles alignées avec ces abris alignés, cela rappelle le site HLM à coté. A la Cité DESAIX j'ai donc essayé de mieux intégrer les jardins au site et de ne pas reproduire le schéma "empilement" de la cité" mais la mise en oeuvre de ces excellents principes se prête à bien des dérives :"Cela suppose des contraintes financières, abris légers et clôtures légères se dégradent rapidement. Cela n'incite pas à entretenir. A la Cité DESAIX on a choisi plus noble, plus cher aussi, ce qui devrait susciter le respect". Notons que pour ce technicien ce n'est pas ce qu'on fait sur ces jardins qui devrait susciter le respect, mais leur apparence. Présupposé très discutable comme le montre une évaluation menée à DANGRES. (12) "J'ai donc conçu ces jardins en les intégrant au site, le plus possible, à proximité d'un parc. Le parc est prolongé par les jardins et les jardins sont traités comme une partie du parc ouverte aux promeneurs. Plutôt que de quadriller l'espace on a fait de petites entités de quatre parcelles avec quatre abris au milieu côte à côte. Entre ces îlots il y a le parc avec du gazon et des arbres. Ca couvre une surface très importante. Les jardins seront dans le parc comme on y trouve aussi des terrains de sport. Il n'y a aucune clôture, bien sûr ça pose des problèmes aux usagers et à l'association. C'est un pari, s'il s'avère nécessaire d'en mettre, elles seront homogènes et conçues pour s'intégrer au site. Ce sera une clôture périphérique par îlot, pour des motifs paysagers et pour affirmer l'intégration des jardins dans le parc". Notons au passage l'absence totale de référence à la parole, aux pratiques et aux besoins des jardiniers. Nous aborderons plus loin les obstacles que posent une telle approche à l'appropriation de l'équipement par les usagers, pour le moment voyons les conséquences sur le coût et donc sur le nombre de jardins crées à partir de ces principes. Comme le signale un responsable de la politique sociale locale

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(11) "A la Cité DESAIX les contraintes urbanistiques ont pesé très fort" "On a équipé 42 parcelles pour 12 000 habitants. Ce n'est qu'une première tranche ; on voulait en faire plus mais c'est plus coûteux que prévu. On est passé d'un budget initial de 1MF à 1,83MF pour l'intégration paysagère, la création d'une passerelle et la construction d'un bloc sanitaire". Rappelons toutefois qu'il n'y a eu création que de 23 parcelles puisqu'il en préexistait 19. On en arrive aussi a un coût de 1,83MF/23 soit 79 500F la parcelle créée, au lieu de 7 500F à la Cité BOUSSENS. Avec le même argent il aurait pu être créé 120 jardins à 15 000F (coût unitaire de l'association des Jardins d'Aujourd'hui à DANGRES), ou 240 jardins à 7 500 F (coût des jardins de la Cité BOUSSENS). Le responsable du service espace vert précise toutefois (12) "Bien entendu le budget de 1,8 MF ne correspond pas seulement à la création de 42 parcelles. Cela correspond aussi à l'aménagement de la coulée verte, car le site est protégé par les règlements d'urbanisme" Mais si c'est le cas, est-ce à cela que doit servir l'argent des contrats de Développement Social Urbain ? Tel n'est pas l'avis des responsables de la politique sociale (13) "On a demandé à être présents à l'appel d'offre pour les cabanes de jardins, ça a été refusé (...) Il y a un arnaque manifeste sur le coût de l'aménagement mais je ne peux pas porter la chose au tribunal administratif". Il est vrai que le coût de certaines prestations (bloc sanitaire, passerelle) ressemble beaucoup à un échange de faveurs avec les entreprises locales ! (14) "A la Cité DESAIX on a été impliqué dans le montage du projet. Les travailleurs sociaux s'y sont impliqué sur le terrain et le Conseil Général participe au financement de l'aménagement à hauteur de 350 000 F. Mais cette opération pose un gros problème :on a fait des aménagements qui n'étaient pas indispensables. Bien sûr on avait envie que ça se fasse et on était prêt à payer le tiers du budget initial de 1 MF. Pour nous c'était simple et peu coûteux. Mais très vite après l'intervention des services techniques ça a pris une allure compliquée, parce qu'ils ont un modèle "Parc public" et parce que de leur côté les élus de la ville ont des réticences à l'égard de l'image des jardins. Ca s'est fait au forceps et ça a duré quatre ans !" (14) "Les services techniques d'une commune c'est un Etat dans l'Etat. Ils sont cloisonnés sans lien avec les services sociaux, et une fois que ces derniers ont donné leur aval, la réalisation a été totalement gérée par les services techniques qui appliquent rigidement leur modèle. Résultat: le coût faramineux des sanitaires! la ville a une conception "clean" du jardin familial, et à ce prix ce n'est de si-tôt qu'ils vont en faire d'autres !" Quand à l'élu aux affaires sociales il est consterné de n'avoir pas pu empêcher que des fonds à vocation sociale soient mobilisés pour un programme d'aménagement d'espace public. (15) " Au départ le sujet proposé était de 2,4 MF, on dit non. Il a été ramené à 1,7 MF, on a encore dit non. Finalement on les a forcés à descendre à 1,1 MF. Vous me dites que c'est remonté à 1,83 MF ? Vous êtes mieux informés que moi ! (...). je suis furieuse sur cette affaire, 260 000 FRs pour un bloc sanitaire réservé aux jardiniers ! Mais c'est inadapté ! carrelages, grès, lavabos etc ... Nos services font de belles choses, mais on vit au dessus de nos moyens. Finalement, alors qu'au départ tout le monde était d'accord pour dire que les jardins de la Cité BOUSSENS sont le modèle de ce qu'il ne faut pas faire, cet élu finit par reconnaître :

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(15) "Si on en fait d'autres, il faut faire comme à la Cité BOUSSENS ! La dernière fois que j'y suis allée, avec le Secrétaire Général adjoint, on a été invité à boire le thé chez les turcs, les jardins étaient superbes" (jugement que confirme l'auteur de ces lignes). Rappelons que le Secrétaire Général voulait détruire la Cité BOUSSENS. C'est une victoire de les avoir maintenus. Les porteurs de projets de la Cité DESAIX étaient convaincus qu'il ne fallait pas faire comme à la Cité BOUSSENS. Or c'est faux, ça marche bien. Il faut étendre ces jardins. Ce qu'il ne faut pas faire c'est comme à la Cité DESAIX, soyez sûr que je le pense". Première conclusion On voit donc comment l'effet cumulé de toutes ces attitudes et représentations contribue à entretenir une logique de la pénurie. L'offre des jardins mobilisée grâce aux opérations DSU reste dérisoire face aux besoins qui existent dans les cités d'habitat social en difficulté. Entre autres, nous avons vu que cette logique de la pénurie résulte en partie de pratiques associatives, voire politiques, de discrimination sociale qui se trouve en retour renforcée du fait de cette pénurie. Nous allons voir maintenant que la création des jardins d'insertion dans le cadre des opérations de Développement Social Urbain donne aussi lieu à des pratiques de discrimination ethnique.

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ATTRIBUTION DE JARDINS

ET DISCRIMINATION ETHNIQUE

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2ème Section II - ATTRIBUTION DE JARDINS ET DISCRIMINATION ETHNIQUE II - 1) Le constat L'attribution de jardin donne lieu à d'importantes pratiques de discrimination ethnique. Ce constat est tout à fait surprenant quand on sait que les opérations de Développement Social Urbain ont pour objectif affiché de lutter contre l'exclusion et de promouvoir l'intégration sociale des différentes populations vivant dans les cités. Or presque partout nous constatons un effort pour limiter l'attribution de jardins aux candidats d'origine étrangère. Pour beaucoup de candidats, le fait d'être d'origine étrangère est souvent une cause de non-obtention d'un jardin. Plusieurs facteurs contribuent à cette pratique à laquelle participent, non seulement les associations mais aussi les élus de droite ou de gauche, les institutions et même des porteurs de projets. On verra que la logique de la pénurie qui pèse sur les pratiques d'attribution contribue insidieusement à l'aggravation de cette discrimination. II - 2) Les propensions xénophobes des associations de jardiniers Ce n'est pas une découverte, elles ont été repérées depuis longtemps. Nous avons déjà évoqué les motifs psychosociaux qui conduisent les délégués "français" à pratiquer une discrimination sociale. Les mêmes motifs (peur du déclassement, identification aux classes moyennes) les conduisent souvent à des comportements xénophobes. Dans la mesure ou le jardin est un bien rare et très recherché, ils vont favoriser les candidatures 'françaises" et décourager celles des "étrangers" et les moyens sont faciles et nombreux. Le Président de l'association des Jardins Familiaux de la ville de CABERNAY ne s'en cache pas (5) "On nous impose un recrutement. Mais sur les groupes les plus anciens il y a peu de maghrébins. Les jardiniers installés n'aiment pas ça. On en met quelques uns quand même puisqu'on n'a plus le droit d'être racistes". Une sociologue de CABERNAY précise (1) "Les responsables du groupe sont difficiles à contrôler, xénophobie, autoritarisme, etc ... Une Chargée de Mission DSU nous confie également (3) "Un jardinier me dit "on n'a pas le droit de grillager, mais je voudrais des barbelés pour empêcher les bougnoules de venir dans mon jardin". J'ai eu des discussions un peu vives avec le Président de l'association sur les "paresseux" et les "étrangers". Les délégués des jardiniers vont dans le même sens à la Cité WILSON. Il y a cinq délégués trois français dont une femme et deux algériens. Or les deux hommes français ont des propos à la limite du racisme et de l'intolérance (...) du coup c'est moi qui gère les attributions, c'est à dire pour éviter la discrimination". La tendance est la même chez les délégués jardiniers de DANGRES ; de la Cité Paul LAFARGUE ou l'animatrice nous confie qu'elle redoute de laisser les jardiniers gérer l'attribution

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(16) "Certes il existe un petit noyau constitué de français et de deux femmes turques, mais je crains la politique libre qui pourrait dévier par manque de neutralité". Quant au président du groupe de BRANDVAL Cité BOUSSENS, il se trouve que c'est un français en dépit du fait que 80 % des jardiniers sont d'origine étrangère. (10) "Sa compagne tient des propos très racistes et le trésorier qui est marocain, n'a pas pu voir les comptes de l'association. Il a fait deux attributions tout seul, ce qui n'est pas prévu par les statuts. Il aurait dû le faire en Conseil d'Administration et en tenir la Mairie informée". II - 3) Les institutions publiques et "l'équilibre ethnique" Il n'y a pas que les responsables des associations à vouloir limiter la présence de jardiniers étrangers sur les groupes de Jardins Familiaux. Elus et responsables des institutions sociales ont également peur de se laisser déborder par les populations étrangères. Sous prétexte de "brassage" ils poussent également à des pratiques discriminatoires lors de l'attribution. Comme le dit le responsable de la politique sociale de la ville de BRANDVAL (11) "A la Cité BOUSSENS, les candidats s'étaient inscrits spontanément et les attributions ont été faites au fur et à mesure des inscriptions sur la liste. A la Cité DESAIX on a voulu mixer les populations pour que la culture jardinière française fasse contrepoids, alors qu'à la Cité BOUSSENS il y a très peu de français". C'est ce que confirme l'adjoint aux affaires sociales : (15) Quand il a fallu attribuer à la Cité DESAIX, on est partie du fait que les 18 jardiniers qui occupaient antérieurement un jardin et qui en recevaient d'office un nouveau étaient tous étrangers. Du coup, pour respecter la diversité on a retenu en priorité 18 familles françaises parmi les nouveaux demandeurs. Résultat : les jardins nouvellement créés dans le cadre de cette opération sociale ont été presque tous attribués à des demandeurs français. Le principe avancé étant : (15) "Nous tenons au principe d'égalité des communautés d'origines" Notons que l'on ne sait d'où sort ce principe et quelles sont ses justifications. Pour ce qui nous concerne nous n'avons pu lui en trouver aucune et d'ailleurs le même adjoint nous déclare un peu plus loin à propos des jardins de la Cité BOUSSENS où il y a effectivement une très grande majorité "étrangère : (15) A la Cité BOUSSENS ça se passe très bien. Mais ce qui est encore plus étrange c'est la manière dont ce principe d'égalité des communautés d'origines est mis en pratique. Tout se passe comme si le monde est divisé en deux communautés : les français qui ont droit à la moitié même s'ils sont derniers sur la liste d'inscription et tous les autres qui ont droit à l'autre moitié. Evidemment, si on reconnaissait que les turcs forment une communauté, les maghrébins une autre et les gens provenant d'Asie du sud est encore une autre communauté, alors il faudrait ne réserver qu'un quart des jardins aux français, en espérant que d'autres communautés ne vont pas se révéler ! On reviendrait en gros au ratio actuel. Il n'en reste pas moins que la très socialiste et républicaine Mairie de BRANDVAL n'est pas à une inconséquence près, comme le signale un des cadres de la DISSD : PADES Programme Autoproduction et Développement Social / ARGO Ile de France 20

(13) "pour ce qui concerne le brassage des nationalités, la Mairie de BRANDVAL ne veut pas recommencer à la Cité DESAIX comme à la Cité BOUSSENS où il y a 80 % d'étrangers et 20 % de français. Il y a donc eu une commission d'attribution. Les décisions ont été prises en une soirée. Il y avait 85 candidatures, les 15 premières demandes étaient plutôt (sic) étrangères. On nous a dit de mettre des français pour assainir. Mais la plupart des autres demandes étaient d'origine étrangère. La proportion des demandeurs français était faible mais ils ont été pris (...) La Mairie a même proposé d'interrompre l'attribution pour qu'il n'y ait pas plus de 50 % d'étrangers". Notons qu'une telle approche convient tout à fait au responsable du service Espaces verts de la ville qui nous confie : (12) "A la Cité BOUSSENS il n'y a pas de mixité de population, il y a concentration de turcs et de gens d'Asie du sud-est." Comme si ce n'était pas déjà magnifique de les faire coexister par des jardins ! et il rajoute "Ca ne favorise pas le respect des choses et l'intégration dans la culture de la région". II - 4) Les porteurs de projets : Discrimination à contre-coeur Nous en arrivons maintenant au constat d'un des aspects pervers les plus étonnants de la logique de pénurie que nous avons analysée. A savoir que les porteurs de projet et les animateurs finissent par se sentir obligés de pratiquer une politique de discrimination ethnique. Nous prendrons comme illustration de cette pratique le cas des jardins de DANGRES Cité Paul LAFARGUE ou les animateurs de l'association Les Jardins d'Aujourd'hui se sentent obligés de refouler une partie de la demande étrangère. Le point de départ c'est bien la rareté des jardins qui est ressentie de manière aiguë sur la cité. Comme le signale le responsable du centre medico-social (19) " Les jardins font envie à la majorité des gens de la cité". Rappelons qu'il y a 37 jardins pour 3 500 habitants. Or cette situation de pénurie engendre des effets pervers peu compatibles avec l'objectif de restauration du lien social et de la citoyenneté dans la cité. En effet, qui dit envie, dit très vite animosité, ressentiment ou pour parler comme les habitants "jalousie", laquelle entretient des attitudes xénophobes. Car, comme presque toujours, lorsqu'il y a annonce de création de jardins, ce sont les populations fraîchement immigrées qui se portent immédiatement candidates : proches encore de leurs racines rurales elles en voient immédiatement l'utilité et elles sont plus prêtes à accepter des risques de vandalisme. Face à cette situation difficile les animateurs en sont venus à une politique de discrimination. Pour éviter les réactions racistes, ils en ont paradoxalement et avec d'excellentes intentions, intériorisé le principe : l'origine ethnique conditionne la recevabilité des demandes. (16) Comme dit l'animatrice, "quand les gens viennent s'inscrire sur la liste d'attente, ils disent "moi j'ai droit à rien et eux à tout !" On a entendu des propos racistes, on nous disait que nous avions privilégié telle ou telle catégorie. On a donc équilibré avec des français et des portugais. mais ceux-là sont plus mobiles. Les gens stables sont en majorité d'origine étrangère. Alors il faut rester vigilant pour ne pas faire des jardins turcs mais des jardins "représentatifs" de la population du quartier".

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L'animatrice reconnaît avec franchise "Au début on attribuait aux premiers inscrits et aux plus actifs dans les réunions en donnant un numéro d'ordre. Mais ensuite, ça c'est compliqué. Je maintiens une liste par ordre d'ancienneté, mais il m'arrive de privilégier des inscrits plus tardifs pour éviter un recrutement majoritairement turc. En effet, cela pourrait induire des actes de vandalisme". (16) "Actuellement j'évite d'attribuer des parcelles à des turcs". Lors de la dernière réunion il a fallu attribuer 13 parcelles alors qu'il y avait une trentaine de demandes ! On a posé les choses de manière catégorique, je ne voulais pas accroître le nombre de turcs sur le jardin. Je l'ai dit très tôt en expliquant pourquoi. J'ai donné les raisons, soucis d'équilibre, volonté de l'association que le jardin soit représentatif de la population du quartier. Il fallait éviter les difficultés qu'aurait engendré l'image d'un "jardin des turcs", difficultés qui se seraient répercutées sur le fonctionnement et l'intégration des jardins dans le quartier, car quand il y a jalousie, il y a destruction ; cela a eu lieu lors des premières attributions des jardins. Alors sur treize attributions seulement une famille turque a eu un jardin, alors qu'ils étaient les plus nombreux sur la liste d'attente". Mais il semble que tout le monde n'a pas été convaincu par la légitimité d'une telle stratégie "il y a eu un psychodrame ! Une jeune fille pleurait. C'est le seul moment où ça s'est révélé". Nous avons relevé exactement les mêmes politiques, pour les mêmes motifs, à CABERNAY Cité WILSON ou la Chargée de Mission DSU nous confie : (3) "J'ai un rôle à jouer pour maintenir une ouverture pluri-culturelle et sociale sur les jardins et je n'ai plus envie de laisser les délégués gérer tout seuls. Ici, le Front National à fait 16 % aux élections. Alors, je joue sur la liste d'attente, je fais des choses pas très honnêtes pour maintenir le pourcentage d'étrangers en dessous de 50 %. Pourtant c'est de leur part que la demande est la plus forte. Donc je triche avec la liste d'attente". A BRANDVAL une animatrice nous dit également : (10) "Il y a beaucoup de turcs sur la liste d'attente qui ne seront pas forcément pris, ils le comprennent". On voit la difficulté : pour devancer la critique xénophobe et lui couper l'herbe sous le pied, les porteurs de projets et les animateurs de jardins finissent par établir eux-mêmes des quotas ethniques et cherchent à faire admettre aux intéressés (aux victimes) le bien fondé de cette discrimination. Cette pratique est-elle compatible avec l'objectif de développement de la citoyenneté qui est un des principaux enjeux de la politique de la ville ? Est-il admissible que la mise en oeuvre d'une politique familiale (on parle de jardins familiaux) dont il est clair que les jeunes et les enfants sont les bénéficiaires (et peut-être même les principaux) soit suspendue au critère de nationalité des parents ? Les animateurs interrogés à DANGRES, à CABERNAY, à BRANDVAL sont peu satisfaits de cette situation et du rôle qu'ils jouent involontairement. Mais comment faire autrement ? Ils sont enfermés dans un dilemme dont la sortie logique serait de créer suffisamment de jardins pour répondre à toutes les demandes et désamorcer ainsi rivalités et jalousies.

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Deuxième conclusion Pour le moment, on voit que de multiples facteurs et en premier lieu la rareté des jardins conduisent à soumettre l'attribution des parcelles à une discrimination ethnique qui semble peu compatible avec les objectifs des politiques de développement social urbain. Il parait difficile de promouvoir l'intégration et la citoyenneté par l'inégalité comme le reconnaît un porteur de projets. (3) "Le critère de 50 % de jardiniers français et de 50 % de jardiniers étrangers, je l'ai décidé arbitrairement, pour éviter les dérives xénophobes. Je ne sais pas quoi en penser".

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UNE DIFFICILE APPROPRIATION

PAR LES JARDINIERS

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3ème Section III - UNE DIFFICILE APPROPRIATION PAR LES JARDINIERS III - 1) Constat On a souvent signalé le caractère très pesant des contraintes que le fait de vivre dans une cité d'habitat social impose au mode de vie des habitants. De par la morphologie de ces cités, les choix techniques qui les structurent et les règlements qu'on y impose, les habitants y sont condamnés à avoir très peu de prise sur leur habitat et on a souvent déploré qu'il s'y entretient une sorte de culture de la dépendance dont les effets s'avèrent préoccupants dès que la situation économique de la population se dégrade. C'est pourquoi beaucoup de travailleurs sociaux promeuvent les jardins comme un outil d'insertion, car ce sont des lieux qui peuvent favoriser l'apprentissage de l'autonomie à travers l'activité productrice et les relations sociales et économiques qui s'y développent. Cependant, cette vocation autonomisante du jardinage, confirmée par diverses évaluations, est souvent réduite par une très forte normalisation des usages et par les relations de domination culturelle qui s'exercent sur les jardins mis en place à l'occasion d'opérations de Développement Social Urbain. Plusieurs logiques, portées par des acteurs différents y contribuent. III - 2) Les services Espaces Verts et la normalisation des équipements En général, lorsque des travailleurs sociaux ou des Chargés de Mission de Développement Social Urbain proposent la création de Jardins Familiaux pour répondre aux difficultés sociales d'un quartier ils n'ont pas une idée précise des aspects techniques de la réalisation des jardins. Ils s'intéressent avant tout au fonctionnement et au rôle social de ces jardins une fois qu'ils seront mis en place, mais n'ont que des conceptions très floues sur la manière de les réaliser. Assez naturellement ils se déchargent volontiers du montage technique des jardins sur les services techniques municipaux, la plupart du temps le service espaces verts. Mais bien évidemment on s'aperçoit après que les choix techniques ne sont pas socialement neutres et que l'articulation entre modèles techniques et logiques d'insertion est loin d'être facile. En effet, les responsables des espaces verts ont une culture d'ingénieur, c'est à dire de celui qui connaît et applique des solutions et ils ont tendance à imposer de manière autoritaire leur conception du bon aménagement. Par formation ils sont portés à reproduire des modèles qui ont déjà été éprouvés. Du coup, ils ont souvent du mal à tenir compte de la spécificité du contexte local et à construire un projet en interaction avec les usagers. Même s'ils ont une générosité sociale, leur culture professionnelle les situe très loin de la diversité des besoins des usagers et de l'histoire des jardiniers pour lesquels on propose de réaliser des jardins d'insertion. Ainsi à CABERNAY : (3) "C'est le service Espaces Verts qui a proposé l'emplacement et qui a conçu l'aménagement" Première remarque : Les parcelles ont pratiquement toute la même surface alors que les jardiniers ont des besoins très différents, et pour certaines familles les surfaces proposées (150 m²) sont insuffisantes.

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(3) "Au début on avait pensé créer plus de parcelles de 200 m² mais on a divisé pour créer plus de parcelles (...),s'il y avait eu des parcelles de 200 m² il y aurait eu des demandes or il y a eu que deux (...). Globalement la taille convient assez bien, mais certaines familles ont rusé pour en avoir deux". Ce qui signifie bien que la surface proposée ne convient pas à tous. Même chose pour les abris de jardin (3) "Il y a un seul modèle et toute extension est interdite pour des raisons d'esthétique. Nous avons obligé les gens à se conformer aux exigences du service Espaces Verts". De fait, à CABERNAY le service Espaces Verts a défini en accord avec l'association des Jardins Familiaux un modèle unique de cabane à 4 000 Frs qui a été reproduit sur les divers sites, sauf dans deux cas d'intégration des jardins dans un espace vert. Dans ce dernier cas il n'est pas sûr que les jardiniers y gagnent en liberté : (7) "Le jardin participe au décor. Les cabanes resteront dans le temps, elles participent à l'intérêt de la promenade. Du coup la contrainte paysagère est plus forte pour les jardiniers, mais on n'accepte pas le bric à brac sur les parcelles". Cet ingénieur reconnaît cette tendance à l'uniformisation dans l'aménagement : (7) "Jusqu'à maintenant on a normalisé avec l'association des Jardins Familiaux qui nous fait intervenir quand il y a des débordements. En tant que paysagiste on aimerait la diversité mais on ne sait pas ou mettre les limites. Du coup on normalise au maximum et ça recommence à chaque création. Les gestionnaires ont toujours la même réaction négative dès qu'on sort de la norme et de plus il y a les réactions de l'environnement. Il faut tenir compte des critères d'acceptabilité des résidents". Ceci dit même lorsqu'à la Cité WILSON le groupe de jardins est hors de vue du voisinage, situé en bordure de rivière sur une zone inondable, c'est toujours le même modèle "espace public" qui va s'imposer aux jardiniers sans qu'ils aient été consultés et sans qu'on tienne compte de la diversité de leurs besoins et de leurs pratiques. L'important reste moins ce qui se fait dans les jardins que leur apparence esthétique : (3) "Le service Espaces Verts veut que les parties communes soient bien désherbées et présentables"; III - 3) Les élus et l'obsession de l'image des jardins Nous avons déjà signalé que le souci de l'image est un puissant obstacle à la création de jardins d'insertion. Mais, cette préoccupation de l'apparence pousse aussi les élus à intervenir sur le fonctionnement des jardins, parfois très violemment, en menaçant de les supprimer ou de les faire raser si leur apparence n'est pas "conforme". (15) "On a eu un problème d'environnement à la Cité BOUSSENS. Ca devenait la favella. C'était fonction de la culture des jardiniers, turcs, vietnamiens, maghrébins, etc ... : Il n'y avait aucun modèle du jardin unique. Il y a eu des constructions de fours pour faire cuire le pain turc, des clôtures faites avec des matériaux de récupération, des baignoires etc ... Certes des particuliers font la même chose dans leur jardin privé, mais à la Cité BOUSSENS ça se situe derrière un lotissement, alors là il faut faire attention (...) Le Secrétaire Général de la Mairie voulait faire raser les jardins" Cette caractérisation est complétée par la Directrice de la Politique Sociale de la Ville

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(11) "Les jardins ont fonctionné, mais il y a eu des dérives. Quand on regardait de loin, on avait l'impression d'un bidonville. Il y avait beaucoup de nationalités très diverses. Il y a eu du laisser-faire. Ils s'étaient tellement appropriés le site et le terrain que c'était devenu des résidences secondaires. Chaque communauté y mettait sa façon de vivre. Les allées avaient été incluses dans les parcelles. Les jardiniers avaient amené des matériaux récupérés, par exemple : de vieux volets, on ne voyait plus ce qui se passait derrière" "Comme il y avait des problèmes d'adduction d'eau ils avaient mis des bidons de toutes les couleurs". Etaler sa différence culturelle, organiser à sa manière le peu d'espace "libre" dont on dispose, sans que l'on puisse voir ce qui se passe derrière, voilà qui est passible du bulldozer ! (13) " Quand on a parlé d'extension du groupe de jardins il y a eu un sursaut à la Mairie ... déplorant l'état des jardins "c'est la zone !" "c'est n'importe quoi ?" Cela a créé des débats et des empoignades entre les élus, les travailleurs sociaux locaux et les habitants du quartier. Cela a causé un gel du projet d'extension. Certains élus avaient des positions dures, voulaient tout raser. Le travailleur social parlait d'appropriations mais ça ne passait pas". C'est ce que confirme le responsable de la politique sociale de la ville (11) "On a négocié avec l'association une remise en état plus conforme avec l'objectif initial du jardin familial, c'est à dire favoriser l'insertion sociale par une activité qui fait émerger leur culture, mais il ne faut pas que cette culture sorte au grand jour". Par exemple : (11) "Les serres que les jardiniers avaient construites sur les jardins ont été ramenées à une surface et à une hauteur maximale. Pour cela on s'est basé sur ce qu'on voit traditionnellement sur les jardins de la région : les abris de culture doivent servir aux semis et non à des productions. Or c'est pour produire des plantes de leurs cultures traditionnelles que les serres existaient". Bien évidemment les jardiniers ne se sont pas laissés faire facilement et ont résisté à cette conception très franco-française de l'intégration. (10) "A la Cité BOUSSENS les jardiniers ne comprenaient pas pourquoi on leur demandait de détruire les cabanes. Il y a eu une énorme perte d'énergie pour réguler le conflit entre les jardiniers et la mairie sur le problème esthétique alors que ce n'est pas l'essentiel. Cela a duré un an. C'est très lourd". Du coup lors de l'opération suivante à la Cité DESAIX toutes les précautions ont été prises pour éviter la manifestation d'une quelconque identité et des regroupements par affinités culturelles. Comme l'explique l'ingénieur du service Espaces Verts (12) "A la Cité DESAIX on a voulu la mixité des populations, un mélange de français, d'étrangers, de jeunes, de retraités, de RMIstes, de gens autonomes etc ... On n'a pas voulu les laisser se réunir en de petits ghettos. On a choisi la dispersion pour favoriser les échanges et l'intégration et les obliger d'avoir des contacts". Espaces Verts et Blouses Grises ... Il est évident que le besoin d'appropriation, de créer un lieu à soi, à son image bute sur une intolérance violente de la part des élus, et aussi des cadres techniques et administratifs, à l'égard de ce qu'ils vivent comme un désordre populaire. Dans l'espace urbain ces jardins sont tout petits. A la Cité BOUSSENS ils sont logés près d'un bois assez loin des logements. Il faut vouloir les voir.

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Mais dès qu'ils y mettent les yeux, le spectacle d'une autre manière de vivre, où l'intimité, l'organique et le désordre ne se cachent pas, est insupportable aux membres des groupes sociaux parmi lesquels se recrutent les gestionnaires. Par contre la lourdeur gigantesque des cités, des centres commerciaux et de certains équipements qui violent le paysage ne les trouble pas, car si elle est énorme, elle est géométrique, contrôlée et impersonnelle. Quoi qu'il en soit, un centre commercial n'est pas laid, mais trois cabanes en tôle sont insoutenables, littéralement offensantes. Il y a là une occasion de relations de dominations culturelles par imposition de normes qui vont fortement réduire la possibilité d'appropriation du jardin. Possibilité d'appropriation qui est pourtant une des composantes de leur valeur socialisante et autonomisante. (Bien entendu cela ne veut pas dire qu'il faut rejeter toute norme). III - 4) La normalisation Associative Bien souvent la vie associative contribue, elle aussi, à imposer un cadre très contraignant à l'usufruit d'un jardin et à faire obstacle à son appropriation. Le caractère normalisateur des associations se traduit d'abord à propos de la conception de l'équipement : "Tous pareils". La logique de blouses grises est portée non seulement par les élus et les services techniques mais aussi par les cadres associatifs. Ceux-ci tendent à imposer aux jardiniers un cadre unique et sont très réticents à gérer des équipements diversifiés. Par exemple à CABERNAY Cité WILSON ils ont insisté pour que les parcelles aient (presque) toutes la même taille. Ce ne sont pas les raisons qui manquent pour cela : (6) "C'est pour satisfaire le plus grand nombre et proposer une location accessible. Pour 150 m2 on ne demande que 405 F par an. Si c'était plus grand ce serait sélectif par le prix". "Des jardins plus grands ? Ce ne sont pas ceux qui sont dans le besoin qui sont les plus efficaces sur leur parcelle. Les chômeurs, les gens aidés sont de très mauvais jardiniers. Déjà avec 100 m2 il faut beaucoup d'efforts pour en tirer une bonne récolte. 150 m2 c'est très productif, plus grand ça permettrait un jardin-plaisir avec une tonnelle et des fleurs. Bien sûr 150 m2 ça ne permet pas une diversité d'utilisation (...) il faudrait une diversité de taille mais c'est déjà dur de bien cultiver 150 m2". (5) "150 m2 en moyenne ça suffit. Je dis que c'est bien. Quand ils ont 200 m2 ils font de grandes allées". Et puis surtout (5) "Si on peut avoir toutes les parcelles de la même taille, c'est plus facile à gérer". Car c'est bien ennuyeux, nous explique le président de l'Association, d'encaisser des loyers différents. Le résultat : (7) "Les premiers jardins créés sur la ville étaient des espaces tous semblables, gérés par une seule association avec concession de fait. Ils étaient conçus pour des jardiniers classiques, de "bons" jardiniers, restant bien entre eux". L'association ne tient pas du tout à sortir de ce modèle pour de "nouveaux jardiniers" dont elle se passerait bien. Et lorsqu'il faut bien en accepter, les responsables associatifs font tout pour soumettre les pratiques des jardiniers à des normes dont ils se sentent les garants. En effet pour les délégués et les responsables des associations, la vie associative consiste d'abord en l'intériorisation de règles, et être un responsable associatif c'est accéder au droit d'imposer des normes, qui deviennent souvent ses propres normes, qui se traduisent par autant de "ne pas".

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(6) "Les jardiniers ne se sentent pas responsables de la vie associative : planter des arbustes, désherber, ne pas cimenter les allées, ne pas agrandir les cabanes, ne pas introduire d'autres matériaux que le bois. Le règlement n'est pas bien compris ou connu. Les gens ont eu les jardins sans connaître les statuts. Ils se sentent des droits et pas des devoirs". "Certains jardiniers sont tentés de planter en dehors des limites" (mais alors pourquoi soutenir que 150 m2 suffisent ?) "Certains étrangers se soucient peu des règlements, surtout les turcs. Ils sont peu sociables, ne se sentent pas impliqués dans l'association, ne viennent pas à l'Assemblée Générale, ni à la fête ni aux formations horticoles". Or pour ce délégué, comme pour bien d'autres, et comme pour les élus et les services techniques : (6) "Ce qui est déterminant c'est l'entretien des parties communes" et le rôle de l'association c'est d'abord d'imposer l'ordre. (5) "A la Cité WILSON il n'y avait pas d'encadrement suffisant. Notre délégué a essayé de prendre ça en main, il fait respecter l'ordre". Notons au passage que si nombre de jardiniers ne se soucie guère du règlement, c'est que ce dernier ne traduit en rien une règle communément comprise et décidée. Comme toutes les normes il leur vient de haut en bas et n'a rien à voir ni avec leurs besoins, ni avec leurs pratiques, ni avec le contexte local. (6) " Le règlement a été repris tel quel de l'Association des Jardiniers de France. Il n'y a pas été réadapté, mais c'est sur lui qu'on s'appuie quand on fait un courrier à un jardinier". Le décalage entre les besoins des jardiniers, dont les pratiques sont la traduction concrète, et les modèles des responsables associatifs, est considérable. Beaucoup de jardiniers veulent un jardin à eux et ça leur suffit. Eux qui sont démunis économiquement, socialement et résidentiellement veulent un espace qu'ils puissent utiliser en fonction de leurs besoins et de leurs désirs (sur lesquels d'ailleurs personne ne se penche). Beaucoup d'entre eux sont d'excellents jardiniers et savent bien ce qu'ils veulent faire de leur jardin. La participation à la vie associative, une fois que les jardins sont créés n'a aucun sens pour eux. Leur vie sociale ne passe pas par ce genre de forme. Ce qui les intéresse c'est leur activité qui, à leurs yeux, se suffit à elle même. Ils laissent donc presque toujours aux "petits blancs" de la cité le soin de prendre en charge le rituel associatif. Par contre pour ces derniers le rôle de l'association consiste moins à rendre possible l'exercice du jardinage tel que les jardiniers souhaitent le mettre en oeuvre qu'à le couler dans un moule valorisant pour les responsables eux mêmes. En dépit de son nom l'association n'est pas là pour faciliter la mise en oeuvre des intérêts spontanés de ses membres. C'est un artifice gestionnaire qui favorise surtout la normalisation des pratiques et l'émergence de rapports de domination culturelle. Dans le contexte d'une cité en difficulté, c'est un instrument de discipline bien plus qu'un support de citoyenneté et le fonctionnement associatif concret est un frein à l'autonomisation des jardiniers. Il n'est pas du tout sûr que lorsqu'on intervient sur des territoires en difficulté, le cadre associatif, conforme à la loi de 1901, soit le plus approprié pour gérer des jardins qui s'adressent à un public hétérogène et qui n'est plus unifié par une culture ouvrière. Le développement de nouvelles formes d'exclusion n'appelle t'-il pas de nouveau outils et de nouvelles formes de gestion ?

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Troisième conclusion Si la lutte contre l'exclusion passe par l'apprentissage de l'autonomie et par l'appropriation de son cadre de vie, on voit que de fortes logiques sociales contribuent à faire des jardins familiaux des lieux de normalisation et de domination culturelle. Certes ce n'est pas toujours le cas et il n'y a là rien de fatal. Il faut bien tenir compte du fait que des évaluations montrent que ce qui fonde l'intérêt socialisant du jardin c'est que ce sont des espaces mixtes, à la fois publics et privés. Cet équilibre délicat doit être maintenu en fonction du contexte local, faute de quoi, à trop soumettre la conception des jardins et leur fonctionnement à une logique "publique", on appauvrit considérablement leur fonction de développement social.

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DE QUELQUES FACTEURS AGRAVANTS

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4ème Section IV - DE QUELQUES FACTEURS AGRAVANTS Logique de la pénurie, discrimination sociale, discrimination ethnique, normalisation et domination culturelle, autant de problèmes tenant à des normes sociales et culturelles et parfois techniques, qui rendent difficile l'articulation entre développement social local et gestion des espaces de proximité ; autant de problèmes qui limitent trop souvent l'efficacité sociale des opérations de création de jardins familiaux dans le cadre des programmes de Développement Social Urbain. Le poids de ces grandes logiques est renforcé par quelques facteurs plus secondaires dont il faut parler car c'est peut être à ce niveau qu'il est le plus facile d'introduire des correctifs et des contrepoids, afin de permettre aux jardins de jouer pleinement leur rôle d'insertion et d'outil de lutte contre l'exclusion. IV - 1) Le poids du modèle associatif Comme nous l'explique un ingénieur du service Espaces Verts de CABERNAY (7) " Jusqu'à présent ça marchait bien, sans histoires. Les jardins semblaient être des lieux de vie sans grand problème. Le loyer (...) ça n'a jamais découragé les gens. Mais, jusqu'à présent on ne s'adressait pas aux plus démunis ! Ca change ! Les agents de Développement Social Urbain demandent sur tous les sites des créations de jardins pour favoriser la cohésion sociale. Les agents DSU veulent y intégrer des gens du RMI, en relation avec les associations de quartier, les assistantes sociales, les restaurants du coeur". Or, comme le souligne notre interlocuteur (7) "Ca inquiète l'Association des Jardins Familiaux de rencontrer de nouvelles populations qui ne sont pas bonnes jardinières ( ... ), il y a des questions qu'ils ne veulent pas et ne peuvent pas se poser". Ce constat est parfaitement lucide et il est confirmé partout par un grand nombre de témoins. L'encadrement de publics en difficultés par des associations conçues sur le mode des associations traditionnelles de jardinage populaire ne marche pas. Citons un témoignage parmi une multitude d'autres : (3)" Parmi les personnes à qui on a attribué un jardin l'an dernier il y avait des gens en grande difficulté sociale qui n'ont rien fait de leur jardin, alors qu'ils en attendaient un depuis des années. Ca été un échec de plus. Il faut un accompagnement". Et cet accompagnement n'a rien à voir avec ce que peut offrir une association de jardinage populaire, même si on "désigne" (!) aux postes de responsables des retraités généreux et éclairés. Nous avons déjà signalé que la plupart des jardiniers sont complètement indifférents aux aspects associatifs de la gestion des jardins et que d'autres artifices gestionnaires leur conviendraient peut être aussi bien. Cependant, tous les partenaires institutionnels tiennent absolument à couler l'activité jardinière dans le moule associatif. C'est d'abord le cas des services techniques municipaux pour des raisons pratiques :

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(3) "Le rattachement des jardins à une association correspondait au désir du service Espaces Verts qui ne voulait louer qu'à un seul interlocuteur" C'est également le cas des élus pour des raisons complexes. Bien évidemment la gestion associative les arrange sur un plan pratique. Les associations sont là pour gérer les équipements socio culturels et du cadre de vie. Elles permettent de médiatiser la relation entre les élus et les citoyens en transformant ces derniers en "usagers" encadrés et disciplinés par leurs représentants. Bien que les opérations de développement social urbain fassent émerger de nouveaux publics et de nouveaux besoins , les élus répondent comme ils ont l'habitude de faire en plaquant le modèle "équipement + gestion associative". Il faut rappeler aussi qu'en grande partie, qu'ils soient de gauche ou de droite, les élus comprennent mal les processus d'exclusion ainsi que les modes de vie et les pratiques développées par certaines populations pour y faire face. Ils tendent à n'y voir que des comportements déviants dont il faut cacher les manifestations pour maintenir une image valorisante de la cité, image à laquelle ils s'identifient fortement ainsi que nous l'avons vu. Nous avons signalé que cet attachement à l'image et à ce qui se voit les rend peu perceptifs à l'égard de ce qui se fait dans les jardins et du coup ils n'ont qu'une vision assez superficielle de l'intérêt socialisant des jardins, des enjeux de leur conception et de leur gestion. Par contre ils sont très sensibles à la fonction disciplinaire de la gestion associative. Comme nous l'explique le directeur de la politique sociale de BRANDVAL à propos de la Cité BOUSSENS (11) "La première association était coiffée par des travailleurs sociaux. Ca a permis à l'opération de démarrer car on aurait eu du mal à créer une association assez solide pour gérer. C'est difficile à gérer ! Avec les travailleurs sociaux il a été possible de mobiliser quelques habitants mais ils sont trop restés en position d'assistés. Les travailleurs sociaux ont une vision trop sociale. du moment qu'il y a appropriation ça leur convient. les travailleurs sociaux ont eu l'impression que c'était bien. Nous on ne voit pas les choses comme çà. Il a fallu les persuader de ne pas accepter cette dérive"... "Avec un jardinier au poste du Président on va mieux responsabiliser l'association". C'est à dire contrôler les jardiniers et éviter toute apparence de désordre, signe d'une mauvaise intégration. C'est ainsi que : (11)" A la Cité DESAIX on a tiré profit de l'expérience de la Cité BOUSSENS. Pour le bureau de l'association on a voulu des jardiniers d'origine française, un ancien cadre municipal à la retraite, une directrice d'école, etc ..." Il faut donc aux élus des interlocuteurs qui leur ressemblent, que l'on imposera si besoin est, même si cela conduit à désaisir les habitants préalablement mobilisés lors de la concertation initiale. Curieusement, le caractère autoritaire et vertical de la désignation des cadres associatifs qui vont contraindre les jardiniers à suivre des normes qui ne sont pas les leurs, est présenté, probablement avec beaucoup de sincérité, par les élus comme une initiation à la citoyenneté démocratique :

(15) "A la Cité BOUSSENS, il y a une association qui gère. C'est important de laisser aux gens l'initiative (sic). Cela permet un apprentissage de la citoyenneté. Il faut que les gens gèrent l'association et prennent des décisions. Il ne faut pas qu'ils pensent que tout peut tomber du ciel ! Gérer l'association permet à un jardinier de se réinsérer".

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Pour cet adjoint aux Affaires Sociales ce n'est pas du tout la vie quotidienne sur le jardin, la possibilité d'accéder à une activité productrice et de développer à cette occasion des échanges spontanés, qui contribue à l'insertion sociale. C'est la participation au rituel associatif. (15) "L'association c'est mieux que la gestion municipale. C'est là que l'insertion se joue majoritairement. Ca oblige les gens à prendre des responsabilités". "A la Cité DESAIX le président de l'association n'est pas un travailleur social, sinon les gens pensent que le jardin c'est ce qui est donné par l'assistante sociale. Ce n'est pas bon ! Je tiens à cette démarche associative. il y a le C.A., le Bureau, ça crée une vie associative. C'est une formation à la démocratie. Ca les sort de l'exclusion et du lien individuel avec les travailleurs sociaux" Certes, mais il oublie de dire que c'est pour se soumettre à des petits notables désignés non pas par les jardiniers mais par les élus et les gestionnaires du social. Bien souvent, les élus veulent avoir affaire avec des gens qui sont comme eux ou qui sont en train de le devenir, c'est à dire des gens qui parlent pour les autres, décident pour les autres, partagent les mêmes valeurs que les élus et les imposent aux membres dociles des associations bien menées. C'est là qu'est leur modèle de l'intégration réussie, ce qui traduit une vision un peu "étroite" du lien social. (15) "A la Cité DESAIX j'ai trouvé magnifique de voir une jeune turque accepter de faire partie du bureau de l'association". Elle va accéder à l'univers et aux comportements dont les élus se font naïvement un modèle de réussite pour tous. La confusion entre ce qui leur a réussi et ce qui est bon pour les autres entretient une fascination pour le modèle associatif qui les rend souvent aveugles à la réalité de son fonctionnement et au risque de perte de sens qui peut en découler pour la création de jardins d'insertion. Il en va de même avec les porteurs de projets et les animateurs, ils sont souvent imprégnés d'une culture socio éducative qui les pousse à vouloir faire prendre à la restauration du lien social la forme de la vie associative : (1) "On m'a confié la mission de construire la demande (...), j'ai fait un travail d'harmonisation de l'arrivée des jardiniers puisqu'il y avait sur la Cité WILSON deux listes d'origines différentes. J'ai convoqué tous les jardiniers potentiellement demandeurs (...) il fallait que je fasse émerger des responsables". "J'avais le souci de faire émerger des leaders sur la base de leur potentiel et de leur savoir faire jardinier pour éviter que ce soient toujours les mêmes habitants, or l'association des habitants a inscrit des candidats en masse pour garder le leadership". (3) "A la suite de la création des trente premières parcelles je pensais qu'il serait intéressant de mettre en place un collectif local pour créer du lien social. J'ai donc suggéré la création d'une association en partie autonome, rattachée à l'association des jardins familiaux de la ville de CABERNAY, car je ne voulais pas créer une structure juridique supplémentaire. Tous les jardiniers de la Cité WILSON sont membres de cette association. On a donc créé une petite organisation informelle, avec élection de délégués, qui en fait, au départ ont été cooptés informellement avec la sociologue chargée de l'étude de besoins. D'abord l'attribution des premières parcelles s'est faite de manière collective avec les jardiniers, puis il y a eu une journée de travail collectif d'aménagement (pose des clôtures, des séparations des jardins, plantations d'arbustes pour les haies, peinture des portes, des cabanes etc ...). Ca a créé une dynamique collective et des délégués se sont alors proposés". Même chose à DANGRES où l'animatrice de la Cité Paul LAFARGUE nous confie :

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"La Mairie voudrait que des jardiniers s'autonomisent le plus possible et se constituent en association (...). On pensait au départ qu'on pourrait faire émerger une association qui s'autonomise"; De même à BRANDVAL Cité BOUSSENS, le travailleur social porteur de projet a suscité la création d'une association dont il a d'ailleurs occupé un moment le poste de président. Cette approche de la vie collective sur les jardins est sans doute fondée sur de bonnes intentions mais elle apparaît à l'usage peu réaliste car compte tenu du profil des populations sur les cités, la mise en application du modèle associatif engendre le risque de prise du pouvoir par des petits "caciques", et nous avons vu que le risque n'est pas illusoire. D'ailleurs, animateurs et porteurs de projets ont fini par le comprendre. (3) "Si je n'étais là çà dérivait vers l'intolérance. J'ai un rôle à jouer pour maintenir une ouverture pluri-culturelle et sociale et je n'ai pas envie de laisser les délégués gérer tout seul (...). L'association gère le site et les réalisations avec la ville mais elle ne gère pas l'attribution ! " nous dit le chargé de mission DSU de la Cité WILSON. A DANGRES les animateurs de l'association des Jardins d'Aujourd'hui se sont eux aussi rendu compte de l'impérieuse nécessité de faire marche arrière en matière de gestion associative (16) "Au bout de trois ans on se rend compte que ce n'est pas possible. Certes, il existe un petit noyau dur composé de français, il y a deux femmes turques mais je crains une politique libre d'attribution qui pourrait dévier par manque de neutralité" "On est là comme modérateurs, notre position extérieure a un effet apaisant pour les jardiniers" Evidemment cette réaction tardive provoque des porte-à-faux (3) "Il est donc important que je reste pour exercer un contrôle, mais ça va à l'encontre de mon discours initial aux délégués sur l'autonomie des jardiniers !" IV - 2) L'inexpérience des acteurs Nous ne nous attarderons pas longtemps sur ce point, mais il faut signaler que la plupart des acteurs rencontrés, en particulier ceux qui sont appelés à jouer un rôle technique dans la définition et l'accompagnement de ces jardins d'insertion, ne sont pas préparés à la tâche qui les attend et aux difficultés qu'ils vont inévitablement rencontrer. Les porteurs de projet et les animateurs reconnaissent souvent ce manque de préparation dont les conséquences peuvent être lourdes. (3) "Le directeur du service des Espaces Verts a négocié la construction des cabanes avec une entreprise d'insertion. on aurait voulu faire ce chantier avec des habitants mais on n'a pas pu aller jusqu'au bout (...) On était tous débutants pour négocier avec les services municipaux. Maintenant on irait plus vite (...). Le partenariat ça ne s'improvise pas. On savait mal comment formuler les demandes et à quelle porte frapper (...). On était lent à réagir" (3) "Sur le quartier de LONCAY, il y a création d'un groupe de jardins dans le cadre d'une opération DSU. L'association de quartier s'est positionnée pour assurer la gestion et l'attribution et, à nouveau, ça pose des problèmes de sélection des jardiniers. La collègue a été prise au dépourvu". PADES Programme Autoproduction et Développement Social / ARGO Ile de France 35

A BRANDVAL le porteur de projets de la Cité BOUSSENS reconnaît : (10) "Le Chargé de Mission DSU qui s'est occupé de monter le projet ne connaissait rien au jardinage populaire. On n'a pas été associé au montage. On n'a pas eu le budget détaillé. Nous avons laissé le dossier technique au service aménagement et à l'équipe de Développement Social Urbain. Résultat : ce sont les services techniques de la ville qui ont fait le projet". A CABERNAY le Chargé de Mission Insertion de la ville reconnaît volontiers (8) "Je vois bien, qu'avec les équipes DSU on n'a pas su porter cette idée et que ceux qui s'y intéressent on dû se débrouiller tous seuls" Cette perte d'efficacité n'est pas seulement liée à une insuffisante préparation aux enjeux institutionnels, elle est aussi le résultat d'un manque de clarté dans les finalités poursuivies. Les porteurs de projet sont souvent laissés à eux-mêmes, en faisant un apprentissage par essais-erreurs coûteux en temps. Il en résulte des errements que l'on retrouve sur plusieurs sites : Tendance à multiplier les contacts tous azimuts en croyant pouvoir progresser comme si le succès supposait le plus de partenaires possibles, alors que ce qui importe ce sont les partenariats pertinents, eu égard à un type de projet. Même remarque pour les contacts avec les financeurs. Pour que les contacts soient fructueux, cela suppose que le projet soit clairement défini. En ne connaissant pas assez les contraintes de tous ordres (celles qui ne sont que dans les têtes, celles qui sont dans les textes réglementaires) qui s'imposent aux interlocuteurs, on perd du temps, on brouille l'image que l'on donne. A la limite, en fin de parcours, on serait tenté de dire par exemple à Monsieur le Maire : "si ça n'a pas marché, c'est de votre faute, maintenant débrouillez-vous pour nommer un pilote qui va coordonner vos multiples services susceptibles d'apporter leur appui à une réalisation de jardins". Comme si c'était aux interlocuteurs de définir un projet cohérent. Alors que soi-même on est dans l'hésitation entre des projets de nature différente et que le projet se modifie insensiblement, sans que l'on soit tellement au clair sur cette évolution, et que l'on continue à poursuivre plusieurs lièvres à la fois. De même on s'aperçoit que les porteurs de projets ont du mal à trancher entre plusieurs orientations qui ne sont pas toujours compatibles, que ce soit en terme de types d'équipement :

- Jardins à visée d'insertion professionnelle, insertion par l'économique.

- Jardins en faveur de personnes plus ou moins déstructurées, exigeant un accompagnement individuel : jardins collectifs.

- Jardins familiaux avec parcelles individuelles.

Ou en terme de finalité que l'on met en avant : - Visée environnementale.

- Politique de maintien ou de développement du lien social dans les quartiers avec des personnes qui n'ont pas spécialement de problèmes personnels.

- Jardins collectifs à visée de formation pour que des jardiniers ayant appris à jardiner puissent ensuite cultiver leur propre parcelle.

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Or selon le type de projet, les partenariats, les financeurs, les coûts, les animations ne seront pas les mêmes. Pour le recrutement des jardiniers, on compte sur les associations (Associations de Jardiniers, Emmaüs, Secours Catholique, Secours Populaire, Resto du coeur, etc ...) alors que celles-ci n'ont pas vraiment assimilé le projet et ne peuvent pas réellement choisir la population cible qui serait adaptée au projet. on peut aussi compter sur les services sociaux ou les travailleurs sociaux, mais sans que l'information qui leur a été donnée suffise pour qu'ils se soient vraiment appropriés le projet. Cette impréparation nous la constatons aussi du côté des institutions sociales qui ont beaucoup de mal à comprendre les enjeux de la création d'un jardin collectif et ne savent pas accompagner les porteurs de projets ou leur faciliter la tâche. On le voit très bien à BRANDVAL où, avec sans doute d'excellentes intentions. Le Directeur de la direction de la vie sociale n'a pas perçu les risques d'une gestion associative et de perte de finalité sociale. Il y a là un manque de méthodes et de savoir faire comme le relève la responsable du service RMI. (13) "Cette affaire est symptomatique d'imprécisions sur la place et le rôle de chacun". Un autre responsable de service nous confie également (14) "J'étais très mal à l'aise (...) on n'avait pas d'éléments (...) ça m'a posé des problèmes. On a payé cher un flou institutionnel". Du côté des services techniques enfin, il faut noter que leur formation ne les aide pas à articuler leur intervention avec les pratiques et les modes de vie des groupes sociaux en difficulté et avec les modes d'interventions des professionnels du social. Ils reconnaissent à l'égard de ces derniers (7) "Ils ont une logique qu'il faut comprendre. Ils jouent avec de la dynamite qu'il faut tout le temps désamorcer (...). Ca nous sort de notre pré carré. On est obligé de concevoir autrement des espaces en fonction de critères différents. On n'y est pas formé. Ca ne marche pas toujours bien car les formations sont très différentes. Les techniciens n'ont pas de formation au social et vice versa" (11) "Il n'y a pas d'enseignement à propos des jardins dans les écoles d'Espaces Verts. J'ai tout découvert à cette occasion".

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Quatrième conclusion On voit donc que de nombreux acteurs impliqués dans les créations de jardins d'insertion sont d'autant plus démunis devant les logiques fortes qui poussent à l'amenuisement de l'efficacité sociale des projets qu'ils sont aveuglés par une idéologie de la vie associative qui entretient au plan des objectifs une confusion entre lien social et formalisme associatif et qu'ils sont mal préparés aux difficultés qu'ils vont rencontrer.

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CONCLUSION

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V - CONCLUSION Cette étude exploratoire nous a donc permis de mettre en évidence quelques uns des obstacles qui pèsent sur la création de jardins familiaux destinés à favoriser l'insertion sociale de publics en difficultés. Rappelons ces principaux obstacles :

- Logique de la pénurie, discrimination sociale et ethnique, - Normalisation des usages qui fait obstacle d'appropriation

La force de ces obstacles n'est pas accidentelle, elle résulte de logiques sociales et des représentations fortes. Pour ne prendre qu'un exemple, la dérive de la gestion associative vers des rapports de discrimination et de domination culturelle est l'expression des contradictions sociales que travaillent les cités en difficulté et qui pèsent autant sur la vie ordinaire qu'on y mène que sur les dispositifs mis sur pied pour l'améliorer. Il ne faut donc pas sous-estimer la force des obstacles rencontrés et des logiques sociales qui les portent. Mais, cela ne doit pas être l'occasion de se décourager. Au contraire, une prise de conscience claire des obstacles à surmonter devrait permettre aux divers partenaires concernés par les créations de jardins d'insertion de mieux se prémunir et de mieux surmonter les obstacles. Tirer partie de l'expérience, cela permet de rendre l'action plus efficace. Actuellement, de plus en plus de collectivités locales s'intéressent à la création de jardins d'insertion, comme on a pu s'en rendre compte à l'occasion du colloque "Jardinage et Citoyenneté" qui s'est tenu récemment à Lille et qui a réuni un nombre inattendu d'institutions et de porteurs de projets. Par ailleurs, certaines institutions commencent à tirer la leçon des difficultés rencontrées. Par exemple, la ville de NANTES a pris conscience de la logique de pénurie que nous avons décrite et a décidé d'y remédier et de faire de l'accès à un jardin non plus un privilège mais un droit dont la reconnaissance crée pour la collectivité le devoir de produire une offre égale aux besoins. De même, la ville de NANTES est en train de rompre avec le modèle associatif d'encadrement des jardiniers, modèle dont l'inadaptation aux nouveaux publics a fini par être reconnue. Mais ces innovations restent timides et balbutiantes et ont besoin d'être accompagnées. L'analyse des difficultés rencontrées permet de faire quelques propositions dans ce sens en termes de recherche, en termes de réflexion méthodologique et en termes de formation. V - 1) En termes de recherche Mesurer l'importance du renouveau du jardinage d'insertion

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- Bilan des créations des jardins familiaux d'insertion dans le cadre de la politique de Développement Social Urbain : partenariat, budget, type d'équipement, encadrement, public bénéficiaire. - Etude de la gestion de l'attribution : liste d'attente, délais, désistements, abandons etc ... - Etude des problèmes liés à la création des autres types de jardins d'insertion (par exemple jardins collectifs d'insertion). - Etudier les obstacles techniques là où il y a une véritable volonté politique de sortir d'une logique de la pénurie (par exemple à NANTES).

V - 2) En termes de réflexion méthodologique Organiser avec les acteurs des séances de travail sur les thèmes suivants :

- La diversification des réponses sur un même territoire : quels équipements pour quels publics ? - L'appropriation, les différentes formes de combinaison espace public/espace privé, leurs avantages et leurs inconvénients, en particulier une réflexion sur les enjeux sociaux de l'esthétique paysagère et sur les différents traitements possibles, doit être entreprise. - L'encadrement, les alternatives au modèle associatif, l'accompagnement technique et social. - L'échelle territoriale, pour répondre aux besoins il faut souvent sortir d'une échelle municipale pour passer à une échelle d'agglomération : quels outils et quelles compétences faut il promouvoir ?

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V - 3) En termes de formation Il faut :

- Former les porteurs de projet et les animateurs de jardins. Une proposition a été faite dans ce sens à la Fondation de France et à la D.I.V. - Former les responsables "insertion" des Conseils Généraux pour qu'ils puissent avoir une vision plus claire des enjeux qui conditionnent la création, l'encadrement et le fonctionnement des jardins d'insertion. Cela leur permettrait de mieux utiliser leur pouvoir d'expert social et de gestion du P.D.I. pour mieux s'articuler aux projets D.S.U. et éviter les dérives urbanistiques ou associatives. - Prévoir des formations pour les agents D.S.U. et les chargés de mission Insertion et Politique de la Ville des collectivités territoriales. - Faire un travail de sensibilisation des élus "Affaires Sociales et Environnement", ce qui suppose la mise au point d'outils appropriés (par exemple vidéo sur les enjeux de la dimension paysagère).

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ANNEXE :

LISTE DES PERSONNES RENCONTREES

CABERNAY

1 - Madame E. PASQUIER - Sociologue 2 - Monsieur DEMAURE - Adjoint au Maire Espaces Verts et Environnement 3 - Madame O. MEUNIER - Chargée de Mission D.S.U. - Quartier Cité WILSON 4 - Madame M. CAR - Chef de projet D.S.U. - Quartier Cité WILSON 5 - Monsieur CAILLEAU - Président Association Jardins Familiaux de la ville de CABERNAY 6 - Monsieur PELE - Responsables Jardins Familiaux du quartier - Cité WILSON 7 - Monsieur SOIGNON Ingénieur Service Espaces verts - Ville de CABERNAY 8 - Monsieur CLOUTOUR - Chargé de Mission Insertion - Ville de CABERNAY BRANDVAL 9 - Monsieur G. MONEDIAIRE - Professeur Université - BRANDVAL 10 - Madame S. LONGUECHAUD - Assistante Sociale Porteur de Projet CMS - Cité BOUSSENS 11 - Madme DUMONT - Directrice Politique Sociale - Ville de BRANDVAL 12 - Monsieur FRANCK - Service Espaces Verts - Ville de BRANDVAL 13 - Madame ROSSIGNOL - Service RMI DISSD Conseil Général Haute-Vienne 14 - Madame M. C. SARRE - Service Insertion DISSD Conseil Général Haute-Vienne 15 - Madame ANGLERAUD - Adjoint au Maire Affaires Sociales DANGRES 16 - Madame F. TCHAVDAROFF - Animatrice de Jardins - Cité Paul LAFARGUE 17 - Monsieur E. PREDINES - Porteur de Projet 18 - Madame DAUZIER - Service Diapason CAF - Gironde 19 - Madame R. BARDET - Responsable CMS - Cité Paul LAFARGUE Divers 20 - Monsieur POULY - Porteur de Projet - Avignon 21 - Madame ALPHANDERY - Porteur de Projet - Aix en Provence 22 - Madame A. CHAZALETTE - Chef de Projet D.S.U - Lyon 23 - Monsieur P. SERVANTI - Porteur de Projet - Brantôme 24 - Madame C. NANTET - Animatrice - Brantôme

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