lettre envoyée de reims.doc 1

4

Upload: others

Post on 02-Apr-2022

2 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Lettre envoyée de Reims « Les tranchées » le 26 décembre 1914 11H30

Petite Mère chérie,

Je t’écris de ma maison située au bout d’une rue creusée dans la craie non loin d’un W.C.où l’on ne paie rien et où c’est pourtant très propre et désinfecté au chlorure de chaux. Ilfait un splendide lendemain de Noël. Ciel bleu. Vent glacial mais supportable. Du soleilmême vient égayer le paysage. Devant moi Cernay, puis les bois, la vigne de Berru. Adroite la Pompelle qu’on devine dans le lointain. En arrière la pointe de Mourmelon quej’ai si souvent parcourue avec Bijou jadis, puis à bicyclette, puis à moto, et même en autoet même dans un aéro. Vive cette locomotion et vive le passé. La guerre de taupes n’estpas dangereuse mais je supporte très mal si ce n’est quand il fait beau commeaujourd’hui et alors tout me semble beau et bon, même la guerre.Le 24 au soir quand nous sommes arrivés des tranchées allemandes montait un chantévidemment incompréhensible entrecoupé de sonneries de clochettes trèsharmonieuses. Chez nous la Marseillaise fût la réponse puis à minuit du poste d’écoutede la 1ère section, le célèbre Noël d’Adam.En somme tout se passe merveilleusement bien.Et maintenant si tu veux que je te dépeigne la série des sensations qu’éprouvent mesoreilles après celles de mes yeux décrites plus haut, je te dirai qu’à notre droite, detemps en temps, gronde la voix grave des gros canons. Au dessus de nous, légers,rapides, les 75 déchirent l’air à destination de nos voisins d’en face. Et puis c’est unsifflement plaintif à musique decrescendo : quelques balles qui s’égarent au dessus desparapets…Un gros éclatement vient de m’arriver, celui d’une marmite française car maintenantnous en avons beaucoup aussi et les obusiers allemands n’ont qu’à la boucler…Il paraît que la division dont je fais partie, la 52ème, ne doit pas encore quitter Reims de sitôt… Néanmoins partout on sent que l’offensive va reprendre. Et, dame, mon sac est prêt.Je viens d’écrire à Jeannette. Es-tu allée la voir à Noël ? L’as-tu trouvée en bonne santé ?Et les petits ? Donne-moi beaucoup de détails qui me feront grand plaisir.J’ai appris par Père en déjeunant avec lui le 24 à midi que tu avais projeté beaucoup devisites pour Noël et le jour de l’An et je ne puis que t’en féliciter. Comme tu le dis c’estune diversion qui est nécessaire à ton esprit et tu la trouveras dans la compagnie deJeanne et des chérubins, de ma tante Heinrich ou même en allant 121 rue de Flandre…Pour moi, j’ai très peu de temps de m’ennuyer. Deux jours aux tranchées, les deux joursde repos mes cours à la Porte Paris avec visite à Père et promenades en ville.Le 24 suis allé voir maman Ninie. Elle a été très heureuse de me voir ayant appris qu’auLinguet il y avait eu pas mal de victimes par l’explosion d’un obus de « Minenwerfer ».C’était d’ailleurs le 347ème qui avait eu ce malheur. Nous étions comme toujoursdéménagés la veille.Ici nous sommes à 1200 mètres des allemands, et nous n’avons pas cela à craindre. Lesobusiers « Minenwerfer » ne portent qu’à 400 mètres.Comme ma lettre mettra quelques jours pour arriver je te souhaite d’avance une bonneannée 1915 ainsi qu’à mon oncle Pol, ma Tante, Pierrot et Lélène.Puisse le bon Dieu vous donner à tous ce dont vous avez besoin au double point de vuephysique et moral.Puisse-t-il trouver une diversion qui termine cette guerre fantastique.

En tout cas, petite Mère chérie, je t’aime beaucoup et c’est du fond du cœur que je tedemande pardon des misères que j’ai pu te faire depuis que j’en ai été capable, et que jet’embrasse filialement.

Henri TESTULATSergent 21ème Cie.Du 348ème InfanterieSecteur Postal 99