l’été 36 sur la côte basque - les générations...

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revoit sa position. Son succès est relatif : la somme autorisée passe à 1 500 pesetas... L’une des rares bonnes nouvelles de ce début de saison est l’escale du “Paris” à Saint-Jean-de-Luz, le 7 juillet, avec au programme la visite de Biarritz. “(...) Les Biarrots ont pavoisé aux couleurs américai- nes et françaises, en signe de bien- venue. Un élégant déjeuner (...) a été offert au Palais en l’honneur de nos hôtes d’outre-mer. L’après- midi, une grande fête basque eut lieu au Parc d’Aguiléra” (2). Cabines de bain pour tous... Que l’on ne s’y trompe pas, pareil accueil n’est réservé qu’à quelques privilégiés. Le 16 juin, le maire de Biarritz Ferdinand Hirigoyen a d’ailleurs pris une décision on ne peut plus révélatrice. Certes, fixe son arrêté, “des cabines communes seront mises à disposition des ouvriers et employés à des condi- tions répondant à leurs moyens”. Mais, attention ! les bénéficiaires auront à bien se tenir, avec “obliga- tion de renoncer à l’exécrable habi- tude de se déshabiller et de se rha- biller sur le sable. De telles licences, intolérables, seront sévèrement réprimées” (3), prévient-on ferme- ment. Quatre jours après la publi- cation de l’arrêté, les congés payés sont institués. En ce début d’été 1936, le tourisme de la Côte Basque n’est plus ce qu’il était. Après des années 1920 particulière- ment fastes, la crise de 1929 est aussi passée par ici... Et puis, bour- geois aisés et aristocrates délaissent d’autant Biarritz ou Saint-Jean-de- Luz que la vogue est désormais à la fréquentation de nouvelles stations, celle de Deauville en premier lieu. Sur la Côte Basque, on veut pour- tant continuer à y croire et on attend beaucoup de la grande campagne de promotion lancée voilà un an par la ville de Biarritz, à destination de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et de la France. Non que l’on snoberait les riches touristes d’autres contrées, mais de nombreux gouvernements européens, à l’instar de l’Allemagne d’Hitler, limitent ou interdisent les voyages à l’étranger. Tourisme “en péril” Dès début juin hélas, tel un oiseau de mauvaise augure, le roi de Grande- Bretagne Edouard VIII fait savoir que cette année la Côte d’Azur aura sa préférence. Et comme si la nouvel- le ne suffisait pas, la République espagnole décide de ramener de 5 000 à 500 pesetas, la somme que ses ressortissants peuvent emporter pour leurs séjours à l’étranger. “Notre tourisme en péril”, titre ainsi Sud-Ouest Républicain (1) alors que l’Association des maires de la Côte Basque se démène pour que Madrid Histoire - 8 - U n jeune couple pédalant sur son tandem, souriant et vêtu comme des jumeaux..., c’est l’image qui vient à notre esprit lorsque l’on évoque l’été 1936 et ses fameux pre- miers congés payés. Cette représentation n’est guère palpable pourtant lorsque l’on parcourt la presse quotidienne locale de l’époque. On peut même dire que, sur la Côte Basque, le coeur n’est pas vrai- ment à la fête. Et ce d’autant que le 17 juillet, au Maroc espagnol, puis le lendemain sur le continent, le coup d’Etat mili- taire va plonger l’Espagne dans le chaos de la guerre. A Hendaye, Biriatou, ou Saint- Jean-de-Luz,... on se retrouve alors aux premières loges, par- fois même à portée de fusil... L’été 36 sur la Côte Basque (1) Le Sud-Ouest Républicain du 25 juin 1936. (2) “Ibid.”, 8 juillet 1936. (3) “Ibid”, 17 juin 1936. (4) “Ibid”.

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revoit sa position. Son succès estrelatif : la somme autorisée passe à1 500 pesetas...L’une des rares bonnes nouvelles dece début de saison est l’escale du“Paris” à Saint-Jean-de-Luz, le7 juillet, avec au programme lavisite de Biarritz. “(...) Les Biarrotsont pavoisé aux couleurs américai-nes et françaises, en signe de bien-venue. Un élégant déjeuner (...) aété offert au Palais en l’honneur denos hôtes d’outre-mer. L’après-midi, une grande fête basque eutlieu au Parc d’Aguiléra” (2).

Cabines de bain pour tous...Que l’on ne s’y trompe pas, pareilaccueil n’est réservé qu’à quelquesprivilégiés. Le 16 juin, le maire deBiarritz Ferdinand Hirigoyen ad’ailleurs pris une décision on nepeut plus révélatrice. Certes, fixeson arrêté, “des cabines communesseront mises à disposition desouvriers et employés à des condi-tions répondant à leurs moyens”.Mais, attention ! les bénéficiairesauront à bien se tenir, avec “obliga-tion de renoncer à l’exécrable habi-tude de se déshabiller et de se rha-biller sur le sable. De telles licences,intolérables, seront sévèrementréprimées” (3), prévient-on ferme-ment. Quatre jours après la publi-cation de l’arrêté, les congés payéssont institués.

En ce débutd’été 1936, letourisme de laCôte Basque n’est plus ce qu’il était.Après des années 1920 particulière-ment fastes, la crise de 1929 estaussi passée par ici... Et puis, bour-geois aisés et aristocrates délaissentd’autant Biarritz ou Saint-Jean-de-Luz que la vogue est désormais à lafréquentation de nouvelles stations,celle de Deauville en premier lieu.Sur la Côte Basque, on veut pour-tant continuer à y croire et on attendbeaucoup de la grande campagne depromotion lancée voilà un an par laville de Biarritz, à destination de laGrande-Bretagne, des Etats-Unis etde la France. Non que l’on snoberaitles riches touristes d’autres contrées,mais de nombreux gouvernementseuropéens, à l’instar de l’Allemagned’Hitler, limitent ou interdisent lesvoyages à l’étranger.

Tourisme “en péril”Dès début juin hélas, tel un oiseau demauvaise augure, le roi de Grande-Bretagne Edouard VIII fait savoirque cette année la Côte d’Azur aurasa préférence. Et comme si la nouvel-le ne suffisait pas, la Républiqueespagnole décide de ramener de5 000 à 500 pesetas, la somme queses ressortissants peuvent emporterpour leurs séjours à l’étranger.“Notre tourisme en péril”, titre ainsiSud-Ouest Républicain (1) alors quel’Association des maires de la CôteBasque se démène pour que Madrid

Histoire

- 8 -

Un jeune couple pédalant

sur son tandem, souriant et

vêtu comme des jumeaux...,

c’est l’image qui vient à notre

esprit lorsque l’on évoque

l’été 1936 et ses fameux pre-

miers congés payés.

Cette représentation n’est guère

palpable pourtant lorsque l’on

parcourt la presse quotidienne

locale de l’époque. On peut

même dire que, sur la Côte

Basque, le coeur n’est pas vrai-

ment à la fête. Et ce d’autant

que le 17 juillet, au Maroc

espagnol, puis le lendemain sur

le continent, le coup d’Etat mili-

taire va plonger l’Espagne dans

le chaos de la guerre. A

Hendaye, Biriatou, ou Saint-

Jean-de-Luz,... on se retrouve

alors aux premières loges, par-

fois même à portée de fusil...

L’été 36sur la Côte Basque

(1) Le Sud-Ouest Républicaindu 25 juin 1936.(2) “Ibid.”, 8 juillet 1936.(3) “Ibid”, 17 juin 1936.(4) “Ibid”.

La grèvesur la Côte BasqueMalgré cette innova-tion sociale et cultu-

relle majeure, malgré aussi lesAccords de Matignon qui l’ontprécédée, le mouvement de grèvelancé à la mi-mai se poursuit dansla France entière, s’arrêtant ici ou

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là pour mieux démarrer ailleurs...Dans la région, le seul véritable cen-tre ouvrier des Forges de l’Adour aarrêté le travail un seul jour, ses2 000 travailleurs obtenant sur lechamp la satisfaction de leurs reven-dications. Rien de tel néanmoinsdans nombre d’autres entreprisesoù, début juillet, la grève continue,comme dans les grands magasins deBayonne et Biarritz : Dames deFrance, Printafix, Biarritz-Bonheur, etc. Par ailleurs, Sud-Ouest Républicain fait état de trèsnombreuses réunions convoquées envue de la rédaction des conventionscollectives nouvellement créées. Demême, le quotidien local informed’innombrables rendez-vous du

Front Populaire, d’Hendaye àBayonne. Nulle part par contredans ses colonnes, on ne trouvetrace d’éventuels vacanciers étran-gers à la région venus savourer leurspremiers congés payés et découvrirla mer. Il est vrai que seule unepetite minorité de Français sera par-tie en vacances durant cet été 1936.Il est vrai aussi que le 17 juillet, del’autre côté de la frontière, s’engagela guerre civile espagnole. Dès lelendemain, Sud-Ouest Républicainy consacre son plus gros titre.La tragédie n’est pas prête de quit-ter la Une de l’actualité locale etinternationale ; elle va s’inscrirecomme l’évènement majeur de cetété 1936 sur la Côte Basque....

La guerre depuis Biriatou

et Saint-Jean-de-Luz (4)

Dimanche 26 juillet 1936 : “Ici, à Hendaye, au postefrontière, le service d’ordre a été renforcé afin de conte-nir les curieux. (...) Parmi tous ces impatients, il n’y apas que des curieux. Des centaines d’Espagnols atten-dent anxieusement des nouvelles (...). Les esprits sontaffreusement tristes, pourrait-il en être autrement alorsque de l’autre côté, la lutte fait rage : témoins le bruitdu canon et un vague tic-tac de mitrailleuse. (...)”.

Vendredi 7 août 1936, Saint-Jean-de-Luz : “(...)Notre station prend l’allure d’une ville de garnison. (...)Notre baie elle-même ressemble à un port de guerre,dont les eaux tranquilles reflètent la nuit, les mille feuxdes croiseurs, des torpilleurs et des avions (...)”.

Lundi 17 août 1936 : “Biriatou a été bombardé hiersoir. Trois bombes ont été lancées à 200 mètres de hau-teur par un avion Fokker trimoteur : la première tombasur la terrasse du restaurant Etchandia (...) ; la secondeexplosa sur le toit du restaurant Contrestenia, la troi-sième sur une maison attenante au Fronton Basque.Une vraie panique se produisit (...).Cette nuit, des combattants du Front Populaire sontpassés en France par le mont Chondokagoenan pour

éviter d’être faits prisonniers. (...) L’après-midi, il y eutun exode de paysans descendant de leurs fermes avecdes matelas, du linge, des ustentiles et du bétail (...)”.

Jeudi 27 août 1936 : “Un laisser-passer sera désormaisétabli par les maires de Biriatou, Hendaye et Urrugneà tout véhicule circulant sur les voies interdites” (ndlr :les différentes routes d’accès à la frontière).

Vendredi 4 septembre 1936 : “Dès ce matin, l’exodedes populations avait repris. Par le pont internationald’Hendaye, un fleuve de malheureux arrivait vers laFrance, vers ce pays en qui l’Espagne républicaine avaitmis tout son espoir, tragiquement déçu. Hagards, desfemmes, des enfants, des vieillards fuyaient l’engorge-ment, emportant de pauvres hardes (...). Et cette cohuelamentable pleurait. C’était indicible d’horreur. Puis, àmesure que la défaite devenait plus certaine, plus tota-le, plus irrémédiable, des combattants apparaissaient,fusils vides, couverts de boue, furieux et désespérés. A lafin de la matinée, ils étaient plus de 3 000 (...).Ainsi, s’achève le drame d’Irun, commencé le 17 août etterminé dans ce jour gris du 4 septembre, anniversairedésormais non seulement de la République Française,mais de l’égorgement d’une région amie. De la frontiè-re, les Républicains de France ont suivi l’épouvantabletragédie. Et il y a, au coeur de chacun d’eux une terri-ble angoisse. Car quelques convois de munitionsauraient sauvé Irun”.

Arrivée de réfugiés sur

la plage d’Hendaye

(photo extraite du livre

«Eté 36 : la guerre

d’Espagne de part et

d’autre de la

Bidassoa» ; Jean Serres,

Editions Atlantica).