les vingt années de transformations en russie : science et entreprises industrielles

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LES VINGT ANNÉES DE TRANSFORMATIONS EN RUSSIE : SCIENCE ET ENTREPRISES INDUSTRIELLES Irina Peaucelle De Boeck Supérieur | Innovations 2007/2 - n° 26 pages 29 à 45 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2007-2-page-29.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Peaucelle Irina, « Les vingt années de transformations en Russie : Science et entreprises industrielles », Innovations, 2007/2 n° 26, p. 29-45. DOI : 10.3917/inno.026.0029 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h01. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h01. © De Boeck Supérieur

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LES VINGT ANNÉES DE TRANSFORMATIONS EN RUSSIE : SCIENCEET ENTREPRISES INDUSTRIELLES Irina Peaucelle De Boeck Supérieur | Innovations 2007/2 - n° 26pages 29 à 45

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2007-2-page-29.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Peaucelle Irina, « Les vingt années de transformations en Russie : Science et entreprises industrielles »,

Innovations, 2007/2 n° 26, p. 29-45. DOI : 10.3917/inno.026.0029

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LES VINGT ANNÉESDE TRANSFORMATIONSEN RUSSIE : SCIENCE ET

ENTREPRISES INDUSTRIELLESIrina PEAUCELLE

CNRS, Paris-Jourdan Sciences économiquesUMR 8545, CEPREMAP

[email protected]

Commençons par décrire le personnage soviétique type du progrès dans lesannées 1980 en Russie. C’est un enseignant de l’université, un homme de35 ans, ayant plus d’enfants que la moyenne de la population, habitant dansun foyer ou un appartement collectif, avec un revenu faible, passionné parson travail de recherche et lui consacrant beaucoup de temps hors du tempsde l’enseignement (et ainsi incapable d’exercer d’autres activités rémunérées,bien prisées par les enseignants des autres établissements supérieurs), un ferventdéfenseur de la démocratie et de la transparence.

A la veille des transformations radicales du système sociale en Russie, sonsous-système d’innovation avait les caractéristiques suivantes :

– La formation des chercheurs et des techniciens – ingénieurs étaitprise en charge par l’État et se déroulait, pour les premiers, principale-ment dans les universités (une cinquantaine sur le territoire de l’URSS,dont plus de 30 dans les républiques soviétiques socialistes où l’ensei-gnement était dispensé dans la langue nationale de la république) oùl’enseignement et la recherche ont toujours été étroitement liés ; pourles seconds, dans les établissements secondaires et supérieurs techni-ques spécialisés. Tous les diplômés étaient appelés à occuper les postescorrespondants à leurs professions dans les établissements d’État dési-gnés pour chacun par la commission de classement, dite de répartition.Ces postes étaient créés chaque année selon la demande des brancheset des entreprises et en accord avec le Plan.

– La recherche fondamentale a été coordonnée par les organismesd’État tels que : l’Académie des sciences (créée en 1724), l’Académie

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de médecine, l’Académie de l’agriculture, l’Académie des sciencespédagogiques. Chaque Académie regroupait un grand nombre d’insti-tuts de recherche et d’enseignement doctoral. Les chercheurs étaientdes employés d’État et ils étaient approximativement un million àl’époque de l’URSS. Les lauréats de Prix Nobel russes ont été surtoutchercheurs en physique et en médecine.

– La recherche industrielle s’effectuait dans les laboratoires d’ingénie-rie, de projection et de conception des branches industrielles et dansles grandes entreprises.

La répartition du personnel de R&D au milieu de la période étudiée dansce texte, 1997, a été la suivante :

Personnel de R&D en 1997 (équivalent temps plein)

Source : OECD, 1999.

La science était une branche de l’économie bien développée. Le plus hautniveau a été atteint par les sciences de l’ingénieur, mais aussi par les scienceshumaines. Grâce à l’essor des sciences, l’éducation et le système de santé ontété d’un bon niveau également. Des branches d’activité économique ont étécréées suite aux découvertes scientifiques telles que l’industrie d’énergie ato-mique, de construction aérospatiale et de l’informatique.

L’activité d’innovation a été stimulée de façon formelle et informelle. Côtéformel : en URSS, la source primaire de protection des inventions était une ré-compense déconnectée de la propriété industrielle. Il s’agissait des « certificatsd’inventeur ». Ceux-ci donnaient le droit à l’inventeur d’être rémunéré dansle cas où son invention était utilisée ; tandis que l’État avait les droits exclusifspour l’exploitation et pouvait autoriser des tiers personnes à exploiter l’inven-tion pendant 15 ans. Le brevet a existé également, donnant un droit exclusif àl’inventeur. Le tableau suivant donne une idée de l’importance du certificatd’inventeur dans les différentes sphères de l’activité économique.

Côté informel : l’innovation se produisait par l’impératif d’exécution desobjectifs du Plan ; ce qui souvent, dans les conditions d’insuffisance demoyens de production, appelait à l’ingéniosité du personnel. Ainsi, la ges-

Secteur public Entreprises Éducation supérieure

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tion de la pénurie a permis le développement d’une sorte de flexibilité del’offre avec une main-d’œuvre qualifiée et polyvalente pouvant s’adapter àdes modifications fréquentes des procédés de production. Cette forme deflexibilité est inconnue en Occident.

Brevets et certificats d’inventeur en URSS selon les secteurs industriels (en 1990)

Source : “Statisticheskie dannie po vidache okhrannikh dokumentov”, M.1997

Dans les années qui précèdent la Perestroïka, le niveau de vie de la popu-lation, malgré un secteur public (éducation, santé, retraite, logement) étofféet gratuit, se dégrade. La pénurie en biens de consommation devient tragi-que. Ceci est attribué à l’inefficacité du système étatique centralisé de pro-duction et de distribution. L’analyse plus attentive révèle que les entreprisesqui composent ce système n’ont pas eu pour cible ni l’efficacité économiqueni l’accroissement du bien-être général de la population, mais la réalisationdes objectifs politiques mal définis. Le principe de direction de l’entreprisepar une seule personne constituait la règle. Cette personne était nomméepar l’État et avait pour fonction de réaliser un plan imposé par l’État et leparti communiste qui, sans être propriétaire, dirigeait et gérait les entreprisesen parallèle.

1985-1990. LA PERESTROÏKA

Le grand tournant dans la vie de la Russie se produit en 1985, quand lesréformateurs deviennent majoritaires dans le comité central du parti com-muniste. Les réformateurs, avec Michail Gorbatchev à la tête du parti, pro-posent la dépolitisation des entreprises, et en 1988 l’État abandonne sesprérogatives de propriétaire et ce sont leurs directeurs qui les obtiennent. Le

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Certificats 8033 20712 12475 1071 6503 8399 6025 9791

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type d’entreprise industrielle qui s’est développé alors, c’est-à-dire après ladisparition de la planification centralisée et la démocratisation de la vie politi-que, avait les caractéristiques d’une « artel ». Une artel désigne une firme dontl’objectif d’activité est le bien-être de l’ensemble de ses travailleurs y comprisleur plein emploi (Polterovich, 1993 ; Peaucelle, 1995). À ce moment onsavait déjà (relire, par exemple, les travaux méthodologiques de T. Weisskopf(1991, 1992, 1993) que de telles entreprises aux formes autogestionnairesou des coopératives de producteurs font augmenter la motivation au travailet la productivité. La coopération à l’intérieur de ces entreprises favorise lesinnovations. Une plus grande internalisation des externalités (respect del’environnement, par exemple) peut être atteinte avec cette forme de ges-tion ainsi qu’une moindre possibilité de convergence d’intérêts personnelsentre pouvoir industriel et pouvoir public.

L’artel avec son autogestion pose néanmoins un certain nombre de pro-blèmes. Le principal est le problème dit d’« horizon », qui apparaît à cause dela durée finie de vie des entreprises ; il ne favorise pas les investissements àlong terme. Le besoin de satisfaire les intérêts de beaucoup de personnes à lafois et l’absence de combativité pour la prise du contrôle influent sur la rela-tive faiblesse de l’initiative des gestionnaires. L’autogestion démocratique(un travailleur - une voie) ne conduit pas à l’accroissement des parts du capi-tal détenu par des membres des coopératives, d’où l’affaiblissement potentielde l’offre du capital.

Dans ce contexte, quelle politique pouvait mener le gouvernement pourredresser la pente ? La politique d’investissement, d’innovation et de reconver-sion à long terme était la plus difficile à mettre en place dans le cadre des firmes- artels. Elle supposait une grande diversification des approches d’incitation dela part de l’État, qu’il n’était pas prêt à concevoir assez rapidement. Il lui étaitplus facile, car en continuité avec des méthodes soviétiques, d’imposer un pro-gramme de capitalisme d’État moderne, d’organiser le pilotage centralisé destransformations avec contrôle des prix, programmation des investissementsdans les secteurs prioritaires, développement du système bancaire avec uneBanque centrale menant le jeu de l’État. Mais l’État était financièrement tropfaible pour cela dans ces années. Les réformes sont timides, la production n’estpas enclenchée et la pénurie de biens de consommation persiste.

Pendant les années de Perestroïka dans l’enseignement supérieur s’estproduit :

– une dépolitisation des programmes de toutes les disciplines et ladiminution d’enseignement de matières politiques ;

– un accroissement d’échanges avec l’étranger, les villes autrefois fer-mées deviennent accessibles aux chercheurs étrangers : Saratov,Samara, Perm’, Tomsk et autres ;

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– le financement de l’enseignement supérieur baisse. En 1987, il repré-sente seulement 1,2 % du PNB (contre 6,7 % aux États-Unis). Le fluxde diplômés des universités baisse de 50 000 en 1980 à 45000 en 1989 ;

– les établissements de l’enseignement supérieur commencent à chan-ger leur appellation, sans changer la nature des programmes et le typed’enseignement. Ils s’appellent dorénavant Universités, mais ils nes’orientent pas pour autant vers la recherche. Le nombre des Universitéscommence à croître à partir de 1989 d’abord lentement, puis fortement.En 1991, il y avait 48 universités et 97 en 1993.

1991-1996. LA LIBÉRALISATION DE L’ÉCONOMIE

L’idée principale des réformes dans les années 1991-1996 consistait à exclurel’État de la gestion économique du pays. Ainsi la politique économique sui-vie en 1992 par le gouvernement russe a été fondée sur une doctrine moné-tariste néolibérale. En théorie ce programme comprend à la fois des mesuresde libéralisation et des mesures de stabilisation. Les inconvénients d’applica-tion d’un tel programme dans les économies anciennement planifiées ont étédiscutés dans la littérature économique dès sa proclamation (Yavlinski enparle dès le mois de mai 1992). On savait parfaitement, que les mécanismes derégulation décentralisés, dits de « marchés » concurrentiels (même imparfaits,même déformés) des biens de consommation et des facteurs de productionn’existaient pas et que l’équilibre (même relatif) entre les secteurs n’était pasassuré. Le gouvernement a procédé à la privatisation. Entre 1992 et 1994 c’estune privatisation accélérée qui a pris la forme de distribution de bons (vou-chers). Chaque citoyen russe obtenait des bons de privatisation, échangea-bles contre des actions des sociétés d’État. En pratique, les nouveaux petitspropriétaires ne savaient pas ce qu’il fallait faire avec les vouchers et les ven-daient souvent à un prix très faible aux nouvelles organisations financières etaux fonds d’investissement, qui devenaient les grands propriétaires. A partir de1994, la privatisation s’est faite en numéraire pour permettre de renflouer lesfinances des gouvernements locaux et fédéraux. En pratique, ce programme deprivatisation a été mené de sorte que quelques rares personnes débrouillardesen tirent le bénéfice, et en définitif, les grands monopoles d’État sont partagésentre les oligarques et les réseaux mafieux.

Cette politique industrielle du gouvernement n’était pas approuvée nipar les collectifs des travailleurs, ni par la direction des entreprises. Selon le« Baromètre économique russe », seuls environ 10 % de chefs d’entreprisescomprenaient la politique du gouvernement en 1992, et environ 30 % en

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comprenaient les grandes lignes, contre 22 % qui ne la comprenaient pas et25 % ne comprenaient pas même ses principes. Moins de 5 % d’entre euxapprouvaient cette politique, alors que 26 % ne l’approuvaient pas. Commeattendu, les entreprises ont été soumises à une épreuve financière et fiscale.Elles ont connu un manque de liquidité, et ont été souvent obligées pouréchapper à cette pression de recourir à des demandes de payements au comp-tant, à des systèmes de troc, au versement des salaires en nature ou au report deces versements, à la cessation des paiements aux fournisseurs. L’endettementdes entreprises des unes par rapport aux autres ont atteint des proportions con-sidérables, car 80 % d’entreprises étaient pratiquement en faillite en 1994.

En 1992, l’État russe, pour des raisons non explicitées jusqu’à présent, cessed’exercer aussi ses fonctions de gestion de la science et effectue un pas radicalen choisissant la variante la plus extrême des réformes dans le domaine de laR&D. Le financement du secteur des sciences appliquées est suspendu et lamajorité des instituts sectoriels disparaissent ou se transforment en sociétés paractions. En une seule année (1993), 500 centres de recherches ont été priva-tisés. Au début de 1997, il y avait 4122 établissements scientifiques en Russie,parmi eux 253 étaient privés et 824 appartenaient aux multiples propriétairespublics et privés. Quant au secteur de l’innovation, en 1997, sur un total de800 entreprises du secteur de la R&D de défense, seulement 277 entreprises dusecteur R&D de la défense, parmi 800 au total, deviennent des sociétés ano-nymes. Entre 1990 et 1996, le nombre total des établissements de R&D adiminué de 11 %.

Dans les années 1990, les théories économiques du monde occidentalfont état de l’entrée des civilisations dans l’ère de l’économie des connaissan-ces. La Russie fait table rase de ses avantages dans ce domaine ; elle met enœuvre des réformes pour renforcer la propriété intellectuelle et industrielle(Laperche et Uzunidis, 2007) au lieu de subventionner et développer larecherche. La société russe, assoiffée pendant des années de pénurie, se trans-forme en ce qu’on appelle la « société de consommation ». Les intellectuelsfuient la recherche et, souvent, le pays.

La Russie suit les recommandations des experts internationaux (ceux duFonds monétaire international) et en cela devance, par exemple, la France.Des nouvelles fondations pour aider la recherche font jour :

– Fonds d’État : Fonds russe pour la recherche fondamentale, Fondsd’aide aux petites entreprises innovatrices, Fonds public de la Science,Fonds d’aide à l’esprit d’entreprise et de concurrence.

– Fonds non budgétaires : Fonds russe du développement technologi-que, Fonds d’aide aux industries (énergie, transport, communications,électronique).

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– Organismes publics : Académies sociale, des sciences et de l’ingénieur,des sciences du vivant, etc. (une cinquantaine au total) ; Compagnies,associations, fédérations (une dizaine) avec l’appui des ministères.

– Organismes régionaux : Comités municipaux pour la science etdes techniques, Fonds municipaux pour le développement de l’espritd’entreprise.

Le Fonds Russe pour la Recherche Fondamentale, FRRF, a été créé pardécret présidentiel en 1992. Il a pour vocation d’assurer :

– la concurrence des projets de recherche est basée sur une expertiseobligatoire, donnant le droit de prendre les décisions sur le sujet definancement de la recherche après l’avis scientifique des experts,

– la transparence,

– l’indépendance de toute administration ; le financement fléché estaccepté seulement pour des équipes de recherche mais pas pour desorganismes.

Les principales formes de financement accordé par le FRRF sont lessuivantes :

– les dépenses de base assurent l’accomplissement de la recherchescientifique ciblée par projet, les salaires, les coûts d’entretien d’équi-pement scientifique, des bâtiments, etc. ;

– les programmes scientifiques et techniques d’État assurent l’orienta-tion de la recherche scientifique dans les directions considéréescomme prioritaires pour l’État et exigeant un appui supplémentaire.

– l’appui des projets de recherche soumis par des scientifiques par leurpropre initiative doit assurer la réalisation d’une recherche originaleet la plupart des recherches fondamentales avancées. Pourtant cemode de financement par projet à court terme ne le permet pas. LeFRRF repartit le financement entre les projets scientifiques sur la basede la concurrence. Il tient à respecter la charte déclarant le principede liberté de la recherche fondamentale. Mais il n’est pas réactif : lors-que les chercheurs décident de se lancer dans une nouvelle recherche,ils doivent attendre l’ouverture d’un appel à projet, y répondre, atten-dre une expertise et aussi le déblocage d’un financement si le projetcorrespond aux critères retenus par le FRRF.

Entre 1993 et 1997, le RFFR a réalisé cinq appels d’offre à grande échellepour des projets de recherche liés à tous les champs des sciences naturels et

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humaines. En conséquence 16 165 projets de recherche et d’édition ont étésoutenus, plus de 95 000 scientifiques de 1 200 organismes de recherche ontparticipé à la réalisation de ces projets, des équipements scientifiques et desordinateurs ont été achetés.

En 1994 a été créé, par décret du gouvernement fédéral, le Fonds pourl’aide aux petites entreprises innovantes. Son rôle consistait à analyser lesdemandes des PME non étatiques fonctionnant dans le secteur de la scienceet de la technologie (S&T) pour soutenir : 1) leur production à l’aide par descrédits préférentiels pendant une année ; 2) leur participation aux exposi-tions nationales et internationales de technologie de pointe ; 3) leur activitéd’enseignement et de formation dans le domaine de l’innovation et del’esprit d’entreprise.

De 1997 à 1999, nous avons mené une recherche afin de définir la natureet la spécificité du système d’innovation de la Russie au milieu de la décen-nie 1990. Dans ce travail collectif 1 nous avons observé le système au niveaudes secteurs industriels et au niveau des entreprises. Nous avons évalué laperformance de la science et de la technologie dans le processus d’innova-tion selon les critères internationaux.

Rendement de la Science et de la Technologie

Le nombre des publications dans les revues scientifiques caractérise selon cecritère l’efficacité du travail d’une personne dans la recherche fondamentale,ou encore le niveau des résultats obtenus est jugé en fonction des revues danslesquels ces résultats sont publiés. Au total, presque 70 à 80 mille scientifiquesont été impliqués dans la recherche scientifique en Russie dans les années1990. Vu les publications des scientifiques dans les revues russes et étrangèresdites « à facteur d’impact élevé », en 1993, la production scientifique deschercheurs russes a été estimée approximativement à 23000 publications,et le nombre des auteurs, qui personnifiaient le niveau du rendement de larecherche par publication, a été en moyenne de 3 à 3,5.

Les indicateurs d’intensité de la découverte et de l’invention pouvaientêtre élaborés en utilisant l’information fournie par le Fonds russe de la recher-che fondamentale, qui a accordé le financement avant 1996 à environ 1000instituts de recherche, sur 4000 instituts de recherche existants. La grandemajorité de ceux-ci ont été retenus par le Fonds pour moins de cinq projetspar an, mais 6 % des instituts ont été gratifiés pour plus de 40 projets.

1. Contract N° IC15-CT96-1102 (DG 12 - MUYS), RTD and restructuring in the CEE and Russia,Communautés européennes.

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Les projets financés sont réalisés dans 16 % de cas par les chercheurs demoins de 30 ans, 22 % par ceux de 31 à 40 ans, 28 % par les 41 à 50 ans et31 % par ceux de plus de 51 ans. Parmi les 8 545 projets sélectionnés dans lespremières années d’existence du Fonds de la recherche fondamentale, seule-ment 580 ont été coordonnés par des académiciens et des membres corres-pondants de cinq académies russes. On apprend dans les années qui suiventcette période que la science académique ne veut pas adhérer à la « marchan-disation » de son activité et ne répond pas aux appels à projet.

Six publications en russe en moyenne honoraient leurs auteurs à l’issuedes financements accordés. Le FRRF ne représentait au début qu’environ 6 %du budget de recherche de l’État, mais les publications d’articles signalant sonsoutient dans les principales revues scientifiques de l’Académie des sciencesreprésentaient presque 37 %.

Malgré les nouvelles formes d’incitation à la performance, la science russeperd ses acquis. Même selon les critères qui n’étaient pas les siens, la scienceétait beaucoup plus performante en URSS. En utilisant l’indice de citationsscientifiques ci-après on peut constater la position dans le monde de la sciencerusse par domaine scientifique en 1983 et sa chute depuis l’effondrement del’URSS.

Source : OST, Indicators 1998, 2004

Les brevets

Le comportement des innovateurs s’est radicalement modifié après l’adop-tion de la loi sur la propriété intellectuelle en 1992. Les certificats d’inven-teurs n’existent plus. Le nombre de dépôts de brevets augmente rapidement :au total si en 1991 il y a eu 1 082 dépôts, 7 698 dépôts ont été enregistrés en

Domaines scientifiquesL’URSS 1983

1990 1995 2001 2003

Biologie fondamentale 4,3 1,7 1,4 1,3

Médicine 2,7 0,7 0,5 0,5

Biologie appliquée/écologie 2,6 1,9 1,7 1,6

Chimie 15,3 6,9 5,6 5,1

Physique 13,5 7,3 7,3 6,4

Sciences de l’espace 7,5 4,0 4,2 4,1

Sciences de l’ingénier 6,0 3,2 3,1 2,7

Mathématique 4,9 3,9 4,4 4,2

Total 8,4 7,2 3,3 2,9 2,6

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Irina PEAUCELLE

38 innovations 2007/2 – n° 26

1992, 12 860 en 1993 et 20 581 en 1994. (Source : “ Statisticheskie danniepo vidache okhrannikh dokumentov ”, Moscou 1997). Pourtant, l’esprit d’in-vention et la part des titulaires résidents d’un brevet dans le total des titulairesd’un brevet accordé dans la Fédération de Russie décroissent régulièremententre 1992 et 1996, si l’on se réfère aux indicateurs de l’OCDE.

Les Indicateurs d’application de brevets en Russie

Source : OECD, 1999.

Les deux indicateurs (rapport d’autosuffisance et coefficient d’esprit d’in-vention) témoignent également de l’affaiblissement de l’intérêt pour le brevetnational, puisque le brevet externe est devenu une forme privilégiée de protec-tion de propriété industrielle seulement dans quelques secteurs de l’économierusse. Le taux croissant de dépendance indique que les non résidents (particu-lièrement les résidents des États-Unis) s’intéressent davantage à déposer desbrevets en Russie pour protéger leurs avantages commerciaux dans ce pays.

Aussi, en 1996, le nombre des dépôts internationaux (PCT) d’originerusse enregistrés par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuellen’était que de 366, ce qui correspondait à 0,8 % du total des dépôts. À titrede comparaison, le nombre correspondant des États-Unis était de 20 828, soit44 % du total ; pour la France nous avons 2 307 dépôts, soit 4,9 % du total(WIPO, 1998).

Les données sur le nombre de demandes de brevets par la Russie peuventnous emmener à une conclusion hative quant à son retard dramatique dans ledomaine de l’innovation. Pourtant, la faiblesse en termes de brevets accordéspouvait avoir plusieurs causes autres que le niveau du développement de sespossibilités scientifiques ou d’innovation. En effet, il nous faut tenir comptele fait que les brevets obligent les inventeurs (et les institutions qui lesemploient) à révéler leurs inventions, et si on songe à la place qu’occupaitl’industrie de la défense dans le système S&T de l’URSS, on ne peut pas

1992 1993 1994 1995 1996

Degré de dépendance(non résident/résident)

0,50 0,53 0,94 1,35 1,56

Taux d’autosuffisance(résident/national)

0,67 0,65 0,51 0,43 0,39

Coefficient d’inventivité (résident/10 000 population)

2,70 1,90 1,40 1,20 1,20

Degré de diffusion(brevets externes/résident)

- 0,16 0,31 0,42 0,82

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s’étonner par le fait que les innovations restaient secrètes et non brevetées.Ce qui est plus inquiétant pour l’économie nationale, c’est la diminutionsignificative de l’introduction de nouveaux produits par les entreprises dansles années 1990. Insatisfaits de la qualité des produits nationaux, les Russesconsommaient principalement des produits importés.

Part des produits nouveaux dans toute la production

Source : “Rossia v tsifrakh”, Goskomstat (1995), p. 215.

En utilisant les données de l’échantillon de 200 entreprises industrielles rus-ses, Aukutsionek et Kapeliushnikov (1996) ont analysé l’activité d’innovationdes entreprises d’État (principalement grandes) et les entreprises non-étatiques(relativement petites) : quand l’innovation avait lieu, c’était de l’innovationde produit dans de petites entreprises et de l’innovation dans le processus deproduction dans les grandes firmes d’État.

V. Boussyguin et M. Levin ont étudié en 1999 le degré de déclin de l’acti-vité d’innovation lié à la réduction du financement de la R&D. Leur étudeest basée sur les données officielles russes concernant les dépenses en R&Det l’activité d’innovation dans 16 secteurs manufacturiers de la Fédérationde Russie entre 1995 et 1998. Ils constatent qu’en 1996 et en 1997 la baisseglobale des dépenses en R&D était de 9 % par an, et qu’elle a soudainementplus que doublé en 1998 par rapport à 1997. Les auteurs ont évalué l’effortd’innovation dans chaque secteur ainsi que la structure des dépenses. Ils ontobservé la coexistence de secteurs homogènes et hétérogènes. Parmi les sec-teurs homogènes, deux (la fabrication des métaux de base et les industrieslégères) ont réduit la dépense de R&D de 23 %, alors que l’industrie sidérur-gique l’a augmentée de 60 %. En moyenne, la valeur des produits innovantset la part de ces produits dans les ventes sont demeurées constantes au coursdes trois années analysées. Le nombre d’entreprises engagées dans l’activitéd’innovation, acquérant la nouvelle technologie ou la transférant, a diminuéen moyenne de 10 % par an. Pour différentes raisons, les secteurs de la chimieet de la microbiologie se sont retrouvés dans le même groupe avec un nombrerestreint de firmes engagées dans l’activité d’innovation, mais avec une partconsidérable de produits innovants dans les ventes. En revanche, les secteursdes machines-outils et des industries alimentaires sont plus innovants que lamoyenne, mais la part des produits innovants dans les ventes était inférieure.

1990 1991 1992 1993 1994

Pendant une année 6,5 6,4 7,2 3,4 2,6

Depuis les 3 dernières années 23,6 21,4 19,3 11,3 5,2

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40 innovations 2007/2 – n° 26

Pour ce qui est des secteurs hétérogènes sur le plan de la structure desdépenses en R&D, le secteur de la construction mécanique s’est concentrésur la conception et a dépensé moins que la moyenne pour l’acquisition depermis ouverts. Inversement, la métallurgie et la production médicale ontpréféré financer l’acquisition de permis ouverts.

1998. LA CRISE FINANCIÈRE

En août 1998 s’est produite une profonde crise financière. C’est l’époque desprix mondiaux très bas des matières premières ; source principale de devisespour la Russie. La dette de l’État en obligations de court terme était très im-portante. Cette crise a provoqué une restructuration rapide et radicale desfirmes privées et dans une moindre mesure des firmes d’État. La sortie de lacrise s’est accompagnée par la faillite des entreprises et la création d’autres.Le graphique ci-après montre l’évolution de la proportion d’entreprises affi-chant des pertes depuis 6 mois avant la date de l’enquête de conjoncture an-nuelle et la proportion des entreprises dont la probabilité de faillite, dans unou deux ans, est très forte. L’année 1998 a été particulièrement difficile pourle tissu industriel, les entreprises : plus de 40 % des entreprises étaient dansune situation de faillite.

Source: The Russian Economic Barometer, 2006, n° 4

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% avec profits négatifs % default dans 1-2 ans

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L’article de Philippe Aghion et Evguenia Bessonova (2006) rapporte lesrésultats des tests économétriques vérifiant les hypothèses de corrélationentre la création de nouvelles entreprises en Russie et l’accroissement del’innovativité et de productivité des entreprises existantes. Les auteurs mon-trent que, dans ce pays comme dans tous les autres qu’ils ont étudiés, l’entréede nouvelles entreprises, entre 1996 et 2002, a stimulé l’innovation et la pro-ductivité des entreprises technologiquement avancées, mais a découragé lesentreprises utilisant les procédés et les moyens de production technologique-ment dépassés.

LES ANNÉES 2000-2007

Ces années correspondent à la présidence de Vladimir Poutine. La premièrepartie de cette période est marquée par la mise en place d’une politiquemacroéconomique contrôlée sous l’influence de l’Union russe des entrepre-neurs industriels. On constate une amélioration des conditions réglemen-taires d’exercice de l’activité dans les petites entreprises et une améliorationsignificative de la transparence de gestion et de la gouvernance des grandes etmoyennes entreprises. On assiste à une profonde réforme de l’imposition quipermet une plus grande transparence dans la répartition des revenus publicsentre le gouvernement fédéral et les régions. Les groupes criminels qui assu-raient la protection des fraudeurs agissant au détriment des entreprises d’Étatet des entreprises autogérées dans les années 1985-1995 ont été mis hors lescircuits économiques. Le contrôle du cadre des affaires est renforcé ; l’exigen-ce de respecter la loi a sensiblement sécurisé les petits entrepreneurs.

Depuis 2004 le gouvernement procède à une renationalisation accélérée,car la population considérant (à juste titre) que la répartition de la propriéténationale s’est déroulée d’une façon injuste et inégalitaire et a accusé le pou-voir précédent d’avoir protégé les oligarques crapuleux. La privatisation a étééconomiquement inefficace. Cependant, certain économistes, Yasin (2004)par exemple, considèrent que les oligarques sont de meilleurs gestionnairesdes entreprises que les fonctionnaires de l’État. En réponse à ce type de criti-que le pouvoir fédéral procède à une centralisation renforcée (la nominationdes gouverneurs des régions), suivant l’exemple de la Chine, où le parti com-muniste et le pouvoir central arrivent dans l’intérêt général à limoger lesgouverneurs médiocres par des managers plus efficaces.

En juin 2006, 3 724 sociétés anonymes avec participation de l’État russe ontété enregistrées, ce qui prouve que l’État continue d’être parmi les plus grandspropriétaires du pays. Selon les enquêtes (Avdacheva et al., 2007) jusqu’à 20 %des grandes et moyennes entreprises industrielles auraient l’État fédéral ou local

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42 innovations 2007/2 – n° 26

parmi leurs actionnaires. En 2004, ces entreprises constitueraient 30 % de laproduction industrielle et contribueraient pour 37 % aux activités bancaires.

L’État intervient aussi dans la définition des objectifs et des moyens depromotion de l’innovation. En effet, des directives prioritaires pour lascience, la technologie et le développement de techniques ont été établiesen 2002. Il s’agit de 12 mégaprojets dans 7 domaines : développement denouveaux matériaux et technologies chimiques, technologies de productionet d’économie de l’énergie, technologies d’informatique et de télécommuni-cation, électronique, nouvelles technologies de transport, biotechnologies,écologie et utilisation raisonnable des ressources naturelles.

Les mégaprojets doivent surtout servir à résoudre les problèmes sociauxde sortie d’une crise démographique et créer un système de protection socialequi serait historiquement et psychologiquement adapté à la Russie. Le finance-ment des projets a un certain effet positif immédiat, parce qu’il crée des emploispour la population hautement qualifiée qui existe encore et, à plus long terme,par ce qu’il augmente la demande en éducation, en nouvelles compétences etqualifications, contribue à la consolidation de la santé.

En plus des mégaprojets financés par l’État, quelques projets dans les do-maines de ce qu’on suppose être des « technologies critiques » ont été lancésavec l’apport financier provenant d’autres organismes, tels que les sociétésanonymes. La part du financement public ne doit excéder la moitié des dépen-ses. La liste des « technologies critiques » inclut le diagnostic et la thérapie desgènes, la surveillance de l’environnement, les technologies de la protection dela nature, le traitement et l’utilisation de la technogénie, la synthèse des médi-caments et les additions nutritifs, les systèmes de préservation et de défense del’organisme humain, la biotechnologie, les technologies immunitaires, l’utili-sation des ressources biologiques et minérales. La nature de ces projets est touteautre que celle des mégaprojets financés par le Fonds public d’investissement 2.Il s’agit d’innovations liées aux progrès dans les sciences de la vie.

Dans le cadre les projets à financement mixte est pris en compte le cyclede l’innovation dans son ensemble : recherche scientifique et appliquée, ex-périmentations, développement technologique et maîtrise de la production.Les concepteurs de ces projets pensent qu’un cycle d’innovation peut êtreaccompli, en moyenne, en 3 ans et que l’augmentation annuelle du chiffred’affaires des produits innovants, due à l’utilisation des technologies déve-loppées grâce à chaque projet, serait, en moyenne, 5 fois plus élevée que celledes investissements réalisés par le budget fédéral. Par conséquent, les fondssortis du budget devraient être amortis à travers les recettes fiscales au bout

2. Les autorités russes ont créé en 2006 le Fonds public d’investissement. Sa mission essentielleest de concourir à la réalisation des grands projets d’investissement d’intérêt national.

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de 3 ans. Mais, les projets scientifiques « révolutionnaires » ne peuvent pasêtre menés efficacement dans un cadre temporel aussi limité compte tenu del’état actuel du potentiel scientifique de la Russie.

Fin mars 2007 le parlement a voté la réforme profonde du budget déjàappelée « révolution budgétaire ». Le parlement cède son pouvoir de rédac-tion du budget (qui donnait lieu au lobbysme et à la montée du populisme)au pouvoir exécutif. Le budget porte sur 3 ans (2008-2010) et admet unexcèdent très faible. Il est formé sans les composantes des revenus provenantdu gaz et du pétrole car les profits de l’exploitation du gaz et du pétrole serontutilisés pour former deux nouveaux fonds : le Fonds de réserve et le Fonds desgénérations futures. Dans le budget ne figurent plus les grands programmesindustriels d’État, et la politique d’investissement sera menée par les agentsprivés. Le moyen que se donne le gouvernement dans ce domaine de régula-tion revient à la politique de crédit qui faciliterait les entreprises à réaliser età orienter leurs investissements à long terme 3.

Mutation de l’Académie des Sciences de la Russie

Le centre d’analyses économiques et de diffusion d’information économiqueen Russie, appelé « Économie ouverte », a réalisé l’étude et a publié le rapport« L’état actuel de l’Académie des Sciences de la Russie » 4. Dans ce textesont reprises et défendues les thèses sur la nécessité de « privatiser » la science.Ce rapport a servi d’argument pour déstabiliser l’Académie des Sciences dela Russie en mars 2007, et pour créer à partir d’elle une Académie d’État dessciences. Le président de cette nouvelle institution sera nommé par le prési-dent de la Fédération de Russie et non élu par ses pairs, comme c’était le caspendant les 300 ans d’existence de l’Académie des Sciences de la Russie.L’organisme sera dirigé par un conseil de surveillance composé en grande ma-jorité de personnalités nommées : 3 personnes nommées par le gouvernement,3 nommées par l’administration, le Conseil de la Fédération et la Douma (leschambres du parlement) et 3 chercheurs.

Quels sont les arguments des experts de la société de conseil « Économieouverte » ?

Les instituts qui sont spécialisées dans l’analyse et réalisation scientifi-ques doivent être efficaces au même titre que n’importe quelle entreprise.Les trois quarts du financement de la recherche proviennent de l’État à tra-

3. Dans Peaucelle (2006), nous avons analysé les méthodes de contrôle de la production desentreprises industrielles à travers le crédit.4. http://lenta.ru/articles/2005/12/13/kiselev/

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44 innovations 2007/2 – n° 26

vers les dépenses budgétaires, de ce fait l’État et le gouvernement doiventcontrôler leur utilisation. Puisque la science a des caractéristiques particuliè-res, l’efficacité doit être mesurée ici en termes de résultats. Les personnes neprésentant pas des résultats devront être fichées. Deux catégories devrontêtre distinguées (paresseux et vieux, scientifiquement incompétents) et con-gédiés. La stratégie consiste à éliminer les instituts non viables et à créer lesliens verticaux et horizontaux entre la science et l’économie. L’État financequelques programmes prioritaires, suivant les stratégies du développement dela science dans le monde d’aujourd’hui. Le rapport souligne que la science russedepuis 10 ans vit dans un « monde perpendiculaire » aux autres sciences de laplanète, c’est-à-dire, elle se concentre sur des problèmes jugés inintéressants !

Dans le domaine de la recherche fondamentale, le gouvernement et lanouvelle Académie des sciences d’État devraient élaborer les méthodes per-mettant de déplacer la Russie de sa huitième position, selon l’activité de pu-blication, et de sa 120e position, selon l’indice de citation, vers le haut. Lesméthodes d’obtention de tels résultats ne sont pas dévoilées dans la publica-tion du Centre de l’« Économie nouvelle ». La crise de la science en Russie,selon les auteurs du même document proviendrait du fait qu’elle (la science)« étant un organisme hautement intelligent a su s’adapter, durant les annéesdes transformations sociétales, à des règles sans règles, dû à l’absence de l’État ».Il faudrait donc procéder à l’épuration de ce milieu et ce qui serait sauvegardéet reproduit devrait être confié aux bons soins de l’enseignement et la recher-che dans les établissements du supérieur. La science devra être réalisée pour30 % par les instituts académiques d’État, et la place de la recherche dans le su-périeur sera sensiblement améliorée au détriment de la recherche industrielledes branches économiques. On préconise aussi la généralisation des sociétéspar actions à travers lesquelles les établissements publics de recherche pour-raient devenir lucratifs.

L’assemblée générale de l’ASR (avril 2007) a voté unanimement contrela proposition lui imposant un conseil de surveillance qui s’occuperait de sagestion. Les chercheurs n’acceptent pas que le conseil de direction qui définitles priorités scientifiques soit composé en majorité par des non scientifiques.

Les chercheurs russes réfutent l’idée selon laquelle les savants doiventapprendre à mener une activité d’innovation et à vendre les résultats de leursrecherches. Ils considèrent que l’innovation est une activité importante ettrès respectable, mais incompatible avec celle de la recherche fondamentale,car elle exige d’autres compétences spécifiques. La recherche n’a pas pourseule mission d’être valorisable. Son devoir devant la société est avant toutle progrès des connaissances en elles-mêmes qui deviennent les facteurs fon-damentaux du développement économique et social futur.

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n° 26 – innovations 2007/2 45

BIBLIOGRAPHIE

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