les versets angeliques

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Les versets angeliques

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Vous pouvez faire un don pour l’impression et diffusion gratuitede ce nouveau livre d’Ephraïm.

Même le plus petit don sera le bienvenu !

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Page 2: Les versets angeliques

Les Versets Angéliques

Pour une civilisation de l'amour

Page 3: Les versets angeliques

Les Versets Angéliques

Pour une civilisation de l'amour

Ephraïm

Editions Kinor

Si vous souhaitez être tenu au courant de nos publications, vous pouvez envoyer votre nom, adresse et e-mail à :

Kinor, 2250 Route de Mont de Marsan, 40420 [email protected] - www.kinor.biz

© Editions Kinor - mars 2009Tous droits réservés

Conception graphique : © Kinor

Page 4: Les versets angeliques

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Table des matières

Introduction ............................................................................................................ 13

1 - Qu’est-ce que l’anawa ? .......................................................................... 15

2 - L’anawa dans la première alliance ................................................... 18

3 - L’anawa prêchée par le Christ : à Dieu tout est possible ............................................................................. 39

4 - Les Béatitudes ..................................................................................................... 45

5 - Orgueil et abaissement ............................................................................... 50

6 - Bénissez, ne maudissez pas ....................................................................... 58

7 - La persécution ..................................................................................................... 66

8 - L’amour des ennemis ..................................................................................... 79

9 - Non-violence évangélique ....................................................................... 89

10 - Le levain des pharisiens et des sadducéens ................................. 93

11 - Pour une culture de l’anawa .................................................................... 98

12 - L’argent trompeur .......................................................................................... 113

13 - La Providence .................................................................................................. 120

14 - L'esprit d'enfance .......................................................................................... 132

15 - L’anawa dans les temps apostoliques ......................................... 140

16 - Notre-Dame de l’anawa ..........................................................................145

17 - Thérèse, docteur de l’anawa .............................................................. 148

18 - Saint François, patron de l’anawa ................................................... 151

19 - Ethos de l’anawa ........................................................................................... 156

Aux Editions Kinor ...................................................................................................... 163

Autres ouvrages du même auteur aux Editions du Jubilé

Les pluies de l’arrière-saison, 1985Lecture amoureuse de la Parole, 1985

Déjà les blés sont blancs pour la moisson, 1987Se connaître pour guérir, 2003

Autres ouvrages du même auteur aux Editions des Béatitudes

Le chemin de la Croix, 1984Cantate eucharistique, 1985

Les sept Paroles de l’Amour crucifié, 1987La nef éblouie (Théâtre), 1988

Le chemin des nuages ou la folie de Dieu, 1988Agnès de Langeac, la Colombe et l’Agneau, 1989

Marthe - Une ou deux choses que je sais d’elle, 1990Dieu paradoxal, 1990Marie intime, 1991

Je cherche ton visage, 1993Un feu aux prises avec la nuit, 1993

Joseph, un père pour le nouveau millénaire, 1996Les mystères du Rosaire, 2006

Converser avec Dieu, 2008

Autres ouvrages du même auteur aux Editions d’Arsis

Réenchanter la mort, 2006Pour le plaisir de prier, 2006

Psychologie et progrès spirituel, 2007Réenchanter l’estime de soi, 2007

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Je dédie ces pages

à Jésus José Cabrera, fondateur de la communauté d'Onuva,qui m'a tant appris sur l'anawa,

à Pascal Pingault initiateur de la Pentecôte des pauvres,

à Jean Vanier qui voit le Christ dans les handicapés mentaux,

à maman Adriaqui accueille le bébé Jésus dans les orphelins,

aux membres de l'association Anawa où des pauvres aident les pauvres,

à la Famille des Béatitudes pour qu'elle soit de plus en plus un lieu d'anawa.

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12 13

Introduction

J'appelle versets angéliquesces paroles de Jésus qui ne sontpresque jamais commentées ou qui sont révoquées commeimages ou symboles. Or ces versets constituent l'essentiel del'enseignement du Christ. S'ils étaient mis en pratique et ensei-gnés, le monde assisterait à une véritable résurrection desmorts.

Le cardinal Coffy me choqua un jour en me partageant sonpoint de vue de théologien : “Nous allons seulement connaîtrele printemps de l'Eglise !” Je fus choqué et interpellé car mavision était, du moins en apparence, diamétralement opposée.Je croyais que le renouveau charismatique inaugurait le tempsde l'Eglise finitive, dernier écho de l'Eglise primitive et quiserait l'Eglise définitive puisqu'elle accueillerait la parousie, lavenue du Christ dans la gloire. Toute effusion de l'Espritengendre une impatience amoureuse, un désir intense que lerègne vienne et que paraisse le Bien-Aimé. J'avais pris cons-cience de la perte de la dimension eschatologique dans la piétémoderne, c'est-à-dire que nous ne vivions plus dans l'attente del'avènement final comme imminent. Je craignais de la perdre sij'acceptais que nous soyons au début de l'histoire de l'Eglisecomme si les deux premiers millénaires n'avaient été qu'un pré-ambule. Plus tard j'appris que le Père Alexander Men avait déclaré quel'Eglise était encore à naître. Je reconsidérai ma position de lamanière suivante :

- La tension eschatologique accompagne tout croyant car il doit

L'anawa sera le paradigme central de la Pentecôte d'amour.

Que la Vierge Marie, qui a accompagné avec une sollicitude maternelle le chemin de l'Eglise naissante,

guide nos pas également à notre époque et nous obtienne une

nouvelle Pentecôte d'amour.

(Benoît XVI)

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Qu’est-ce que l’anawa ?

Saint François, le saint universel vénéré au-delà même deslimites de la chrétienté, s'est appelé lui-même le Poverello, lepetit pauvre. Il s'est battu pour défendre ce privilège de la véri-table pauvreté, celle qui confère la vraie noblesse et inspire lerespect. De fait il s'agit d'un privilège qui appartient à ceux quipossèdent le Royaume de Cieux.

Il est bon, ici, de rappeler ce qu'est un anaw, un pauvre duSeigneur, un pauvre dans l'esprit. Ce concept n'a pas été traduitdans le grec du Nouveau Testament et c'est une lacune dont lesconséquences ont été incalculables car il désigne parfaitementtout disciple du Christ et résume tout le Sermon sur la monta-gne. Les huit Béatitudes telles que nous les trouvons chezMatthieu sont un Targum,une traduction commentée du motanawa, la pauvreté et de la promesse qui est y attachée : entreren possession, dès cette vie, du Royaume des Cieux. Aussi pau-vreté peut-il être traduit indifféremment par cinq ou six mots enfrançais :

anawa : pauvreté, indigence (précarité), humilité, douceur, persécution, affliction

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INTRODUCTION

vivre comme si le Christ devait paraître le jour même, elle n'estpas caractéristique des tout derniers temps. Nous devons êtreen permanence dans ce que frère Roger a appelé la dynamiquedu provisoire.

- Le début et la fin peuvent se rejoindre au moment même oùle Christ paraîtra : deux mille ans nous paraîtront comme uninstant, comme un galop d'essai alors qu'une pentecôte conti-nuelle aura transformé l'Eglise sur la terre.

Il est évident que ces deux mille ans d'histoire sont lourds àporter et que des pans entiers de l'Evangile n'ont pas été incar-nés par le peuple des baptisés.

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QU’EST-CE QUE L’ANAWA ?

qui est à la fois pauvre spirituellement, doux, humble de cœur,patient dans l'épreuve et affligé. Nous retrouvons là cinq desBéatitudes de Matthieu : les pauvres dans l'Esprit, les humbles,les doux, ceux qui pleurent et ceux qui souffrent la persécutionpour la justice.La fine pointe de l'enseignement de Jésus se résume dans lapremière Béatitude :

Bienheureux les anawim (pluriel d’anaw)

le Royaume des Cieux leur appartient.

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QU’EST-CE QUE L’ANAWA ?

Il est des mots dans la Bible qui n'ont pas d'équivalents en fran-çais aussi les traductions diffèrent-elles souvent et rendent leconcept biblique de différentes manières. Ainsi en est-il de l'agapéen grec traduit tantôt par amour, tantôt par charité,mais nous savons que ces deux mots véhiculent en français desconnotations qui s'éloignent de l'amour infusé par le Saint-Esprit. Dans l'Ancien Testament un concept est particulière-ment riche, il s'agit de l'ANAWA qui traverse toute la Bible etqui a presque été perdu avec les versions en langues vulgaires.Pourtant ce concept est fondamental pour comprendre l'ensei-gnement du Christ dont le point culminant est le Sermon sur lamontagne.

La première Béatitude dit : “Heureux les pauvres en esprit, leRoyaume des Cieux est à eux.” Si nous consultons la versionde Luc nous nous apercevons qu'elle est plus courte.L'évangéliste parle des pauvres (ptokoïen grec) et ne fait pasréférence à l'Esprit. De plus ce ne sont pas huit Béatitudes quenous trouvons mais seulement trois : “Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.” (Lc 6,20-21)

La raison en est simple, il semble que Luc qui a enquêté pourrédiger son texte, ait trouvé un résumé, un logion,parole origi-nale, de cette charte du bonheur. D'ailleurs il en place l'énoncédans une plaine et non sur la montagne. Il est clair que Jésusdevait, dans son enseignement oral, répéter souvent ces troisBéatitudes, pour un public juif dont la pauvreté ne renvoyaitpas au manque matériel, à l'indigence, mais à une autre notionintraduisible : l'anawa. L’anawa est la condition d'un homme

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

considéré comme puni, frappé de Dieu, et humilié. Mais il étaitblessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités, le châtimentqui nous donne la paix est tombé sur lui, et c'est par ses meur-trissures que nous sommes guéris. Nous étions tous errantscomme des brebis, chacun suivait sa propre voie, et leSeigneur a fait retomber sur lui l'iniquité de nous tous. Il a étémaltraité et opprimé, et il n'a point ouvert la bouche, sembla-ble à un agneau qu'on mène à la boucherie, à une brebismuette devant ceux qui la tondent, il n'a point ouvert la bou-che. Il a été enlevé par l'angoisse et le châtiment, et parmiceux de sa génération, qui a cru qu'il était retranché de laterre des vivants et frappé pour les péchés de mon peuple ?On a mis son sépulcre parmi les méchants, son tombeau avecle riche, quoiqu'il n'eût point commis de violence et qu'il n'yeût point de fraude dans sa bouche. Il a plu au Seigneur de lebriser par la souffrance... Après avoir livré sa vie en sacrificepour le péché, il verra une postérité et prolongera ses jours etl'œuvre du Seigneur prospèrera entre ses mains. (Is 53, 2-10)

En méditant ce texte, on ne peut qu'être frappé par le parallèleentre cette prophétie sur la personne du Messie et l'hommedécrit par les Béatitudes, tous deux sont des anawim. On peutégalement dire des personnages bibliques qui préfigurent leChrist qu'ils partagent les mêmes caractéristiques.

Le messie sera un anawou ne sera pas.

Prenons par exemple Moïse que le cinéma nous a présentécomme un géant puissant et beau comme un dieu. L'Ecriture ditde lui : “Or, Moïse était un homme très anaw, plus qu'aucunhomme sur la face de la terre”. (Nb 12,3) C'était un hommedoux, patient dans l'épreuve, humble et pauvre spirituellement.

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L’anawa dans la première alliance

Les pauvres du Seigneur ou anawim (pluriel d’anaw)

Les études bibliques dans les années 60 ont redécouvert cespersonnages de la littérature post exilique : les pauvres duSeigneur, les anawim. Il s'agissait d'un mouvement de fidèles àla Loi de Dieu, vivant de manière très pauvre, s'abstenant deboisson fermentée, pratiquant une certaine ascèse et ne recher-chant pas la considération des hommes, c'était un petit restefidèle au Dieu des promesses. L'épreuve était reconnue par euxcomme envoyée par Dieu pour provoquer l'anawa. Le serviteursouffrant décrit par Isaïe est le type même de l'anaw :

Il s'est élevé devant lui comme une faible plante, comme unrejeton qui sort d'une terre desséchée, il n'avait ni beauté, niéclat pour attirer nos regards, et son aspect n'avait rien pournous plaire. Méprisé et abandonné des hommes, homme dedouleur et habitué à la souffrance, semblable à celui dont ondétourne le visage, nous l'avons dédaigné, nous n'avons faitde lui aucun cas. Cependant, ce sont nos souffrances qu'il aportées, c'est de nos douleurs qu'il s'est chargé. Et nous l'avons

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

un esprit de douceur. Prends garde à toi-même, de peur que tune sois aussi tenté.” (Ga 6,1) Et aussi : “Que votre douceur(anawa) soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est pro-che.” (Ph 4,5)

Les plus pauvres des hommes, je pense à certains handicapésmentaux et à des gens qui ont connu une existence difficile etqui se tournent vers le Seigneur, ceux-là précèdent dans leRoyaume de l'anawa ceux qui ont beaucoup de mal à se recon-naître pauvres et pécheurs, incapables par eux-mêmes de fairele bien.

Ainsi donc, comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés,

revêtez-vous d'entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité,

de douceur, de patience.(Co 3, 12)

Les mots pour dire “le pauvre”

Dans la première Alliance nous trouvons chacun de ces motshébraïques pour définir la pauvreté :Dal : le maigre, l'émaciéEbion : l'indigentAni : l'humiliéAnaw :celui qui est pauvre, doux et humble.

Ces deux derniers termes ont une connotation plus spirituelletout en évoquant la plupart du temps une pauvreté matérielle oupsychologique. Ani nous est bien connu par un nom de lieu :

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

Si pauvre qu'il lui fallut deux hommes pour soutenir ses bras,comme les deux bras du Christ maintenus par des clous sur lacroix, afin d'obtenir la victoire sur les Amalécites qui représen-taient le mal absolu. Le contexte de cette citation des Nombres,nous présente le prophète persécuté par sa sœur Myriam et parAaron. Moïse ne se justifie pasmais Dieu prend sa défense, ildescend dans la nuée et convoque les accusateurs.

Le fruit de cette pauvreté prophétique est reconnu dans le livredes Proverbes : “Le fruit de l'ANAWA, de la crainte duSeigneur, c'est la richesse, la gloire et la vie.” (Pr 22,4) Quandnous voyons l'histoire de la sainteté chrétienne, nous nous ren-dons compte que les amis de Dieu sont toujours éprouvés etque l'épreuve produit en eux la patience, la douceur et l'humi-lité. Ils préfèrent qu'on les calomnie, qu'on dise du mal d'euxplutôt que de se justifier. Ils perdraient alors le Royaume desCieux, ils perdraient alors la possession de la terre promise. Ilsne seraient plus le corps du Christ qui a dit : “Apprenez de moique je suis doux et humble de cœur.” Autrement dit : “Je suisun anaw que vous devez imiter.”La récompense de l'anawa est l'effusion du Saint-Esprit quirend miséricordieux car le pauvre sait que rien en lui ne peutrépondre à la justice divine, il devient ainsi doux et miséricor-dieux pour les autres.

La première Eglise est un lieu d'anawa que le grec traduit sou-vent par douceur. Nous sommes loin du pharisaïsme carlorsque l'on voit les fautes des autres ce n'est pas pour rendreune justice qui ne nous appartient pas mais c'est pour exercerl'humilité, la patience et la douceur, c'est toujours un pauvre quiva voir un autre pauvre : “Frères, si un homme vient à être sur-pris en quelque faute, vous qui êtes spirituels, redressez-le avec

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

La pauvreté est une injustice

La pauvreté dans la Bible est d'abord synonyme d'injustice.Pourquoi ? Tout simplement parce que la terre a été égalementrépartie entre tous et comme cette terre est un don de Dieu lepartage est sacré. Il ne devrait donc pas y avoir de pauvre enIsraël. Dans ce sens, Marx a raison quand il dit que la proprié-té c'est le vol, malheureusement son christianisme est devenufou ! En fait, il faudrait dire que celui qui s'empare de la part,de l'héritage (helek,en hébreu) de l'autre est un voleur, un affa-meur, un oppresseur. Mais faites un partage équitable et aubout de quelques années il y aura des riches et des pauvres,c'est inévitable parce que l'homme est humain ! Aussi la loi deDieu prévoit-elle des remises de dettes, des restitutions debiens et de multiples moyens de venir en aide à celui qui s'estmis en situation de pauvreté.

Les raisons de la pauvreté sont multiples mais relèvent presquetoujours d'une incapacité à garder son patrimoine ou à l'exploi-ter. C'est le cas de la veuve et de l'orphelin, de celui qui estfrappé par une infirmité physique ou mentale, d'une indigenceintellectuelle, d'une naïveté qui le met à la merci des“méchants”, des exploiteurs, des rusés qui déplacent les bornesdes champs pour agrandir leur “part”, des envieux. Ces pau-vres d'esprit peuvent aussi être des imprévoyants, des incapa-bles de calcul, des imprudents que l'on pourrait appeler aujour-d'hui des surendettés. Il y a également les victimes de maladieset de catastrophes naturelles, de guerres et de troubles sociaux.Tous ceux-là bénéficient de la bienveillance de Dieu. Est appe-lé juste celui qui partage sa sollicitude envers eux.

Les prophètes seront de grands pourfendeurs de l'injustice. Ils

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

Béthanie, Beth ani, la maison du pauvre.

Voici quelques citations où nous les retrouvons. Elles nousmontrent qui est pauvre dans la première Alliance.

4 Celui qui souffre l'injustice : “Tu n'exploiteras pas le salariéhumble et pauvre, qu'il soit d'entre tes frères ou étranger enrésidence chez toi.” (Dt 24,14)

4 Celui qui est dans la précarité, qui ne peut s'en sortir toutseul comme l'handicapé : “Car il délivrera le pauvre qui crie, etle malheureux qui n'a point d'aide.” (Ps 72,12)

4 Celui qui est aux prises avec Dieu, il partage son tourmentpour l'homme, anticipant ainsi la passion du Christ : “ Je suismalheureux et moribond dès ma jeunesse, je suis chargé de testerreurs, je suis troublé.” (Ps 88,16)

4 Celui qui est humble et petit : “ Je laisserai au milieu de toiun peuple humble et petit, qui trouvera son refuge dans le nomdu Seigneur.” (So 3,12)

4 Celui qui est doux : “ Or Moïse était un homme très doux(anaw),l'homme le plus anaw que la terre ait porté.”(Nb 12,3)

La pauvreté n’est pas simplement une qualité ou une vertue,elle est ce qui transperce le coeur de Dieu et va provoquer laconsolation et le salut. Ainsi le Psaume 12 donne-t-il la paroleà Dieu : “A cause du pauvre qu'on dépouille, du malheureuxqui gémit, maintenant je me dresse, déclare le Seigneur : j'as-surerai le salut à ceux qui y aspirent.” (Ps 12,6)

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

Naissance d'un mouvement de pauvres

Dieu n'a pas trouvé d'autre remède à l'injustice, à l'abus de pou-voir, à la conformation aux mœurs païennes que l'exil. Il s'agitd'une purification comme il en existe dans la vie mystique, sonbut est de rendre capable de la plus haute intimité avec Dieu.Mais c'est le petit nombre qui sort victorieux de ce crible, de cecreuset à affiner l'or. Ce petit nombre constituera le petit reste,les anawim, les pauvres du Seigneur.

Shear Yashuv : un reste reviendra

Ce reste ne s'est pas conformé aux mœurs des païens, il estresté fidèle à la Thora, il a vécu l'affliction d'être éloigné deSion, il a refusé les consolations que pouvait offrir une assimi-lation ou une collaboration avec l'ennemi victorieux. Il chantedans une longue plainte sa désolation :

Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion ; aux peupliers d'alentour nous avions pendu nos harpes.

Et c'est là qu'ils nous demandèrent, nos geôliers, des cantiques, nos ravisseurs, de la joie : “Chantez-nous, disaient-ils, un cantique de Sion.”

Comment chanterions-nous un cantique du Seigneur

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

dénonceront à l'instar de Marie dans son Magnificat les puis-sants, ceux qui se sont attribué le pouvoir et l'exercent d'unemanière égoïste. Si l'institution royale a été une concessionaccordée par Dieu, il a mis le peuple en garde contre ses abus.Le pouvoir a mauvaise presse dans la Bible, il demeurera unetentation pour l'Eglise au long des siècles. Il n'existe qu'un pou-voir juste, qu'une royauté qui fait justice, celle de Dieu.

Samuel dit : Voici comment gouvernera le roi qui régnera sur vous : il pren-dra vos fils pour les affecter à ses chars et à sa cavalerie, et ilscourront devant son char. Il les prendra pour s'en faire deschefs de millier et des chefs de cinquantaine, pour labourerson labour, pour moissonner sa moisson, pour fabriquer sesarmes et ses harnais. Il prendra vos filles comme parfumeuses,cuisinières et boulangères. Il prendra vos champs, vos vigneset vos oliviers les meilleurs. Il les prendra et les donnera à sesserviteurs. Il lèvera la dîme sur vos grains et sur vos vignes et ladonnera à ses eunuques et à ses serviteurs. Il prendra vos ser-viteurs et vos servantes, les meilleurs de vos jeunes gens et vosânes pour les mettre à son service. Il lèvera la dîme sur vos trou-peaux. Vous-mêmes enfin, vous deviendrez ses esclaves. Cejour-là, vous crierez à cause de ce roi que vous vous serez choi-si, mais, ce jour-là, le Seigneur ne vous répondra point. Mais lepeuple refusa d'écouter la voix de Samuel. Non, dirent-ils. C'estun roi que nous aurons. (1 S 8, 11-19)

Dans la culture biblique les droits de l'homme

sont inséparables des droits de Dieu, dans l'exercice de sa justice.

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

pauvre qui n'ait à la bouche que des paroles de vérité et de béné-diction.

Le Messie sera issu du Reste, son nom sera Germe

Par l'exil, l'arbre du Royaume a été coupé mais non déraciné,un espoir demeure, celui d'un germe, d'un rejeton, d'une pous-se, ces images sont connexes de celle du reste. Ecoutons lesvoix unanimes des prophètes après l'exil :

“En ce jour-là, le germe du Seigneurdeviendra beauté et gloire, et le fruit du pays deviendra fierté et splendeur pour les rescapés d'Israël.”

(Is 4,2)

“Les jours viennent - déclaration du Seigneur - où je susciterai à David un germe juste ;

il régnera en roi et prospérera, il agira dans le pays selon l'équité et la justice.

(Jr 23,5)

“En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai germer pour David un germe de justice ;il agira dans le pays selon l'équité et la justice.”

(Jr 33,15)

“Ecoute, je te prie, grand prêtre Josué, toi et tes compagnons qui sont assis devant toi -

car ces hommes sont un présage : Je fais venir Germe,mon serviteur.”

(Za 3,8)

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

sur une terre étrangère ? Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite se dessèche ! Que ma langue s'attache à mon palais si je perds ton souvenir, si je ne mets Jérusalem au plus haut de ma joie !(Ps 137, 1-6)

Comme Rachel qui pleure ses enfants et refuse toute consola-tion, le petit reste fidèle a mis tout son espoir dans le Seigneuret rien qu'en Lui. Voici comment Sophonie décrit ces anawim,ce peuple qui a été forgé par Dieu, ces doux qui posséderont laterre d'Israël et par extension le Royaume des Cieux qui sera la“part” restituée par le Seigneur dans sa justice :

En ce jour-là tu n'auras plus honte de tous les méfaits que tu ascommis contre moi, car j'écarterai de ton sein tes orgueilleuxtriomphants ; et tu cesseras de te pavaner sur ma montagnesainte. Je ne laisserai subsister en ton sein qu'un peuple hum-

ble et pauvre, et c'est dans le nom du Seigneur que cherche-ra refuge le reste d'Israël. Ils ne commettront plus d'iniquité, ilsne diront plus de mensonge, on ne trouvera plus dans leurbouche de langue trompeuse. Mais ils pourront paître et sereposer sans que personne ne les inquiète. Pousse des cris dejoie, fille de Sion ! Une clameur d'allégresse, Israël ! Réjouis-toi,triomphe de tout ton coeur, fille de Jérusalem ! Le Seigneur alevé la sentence qui pesait sur toi ; il a détourné ton ennemi.Le Seigneur est roi d'Israël au milieu de toi. Tu n'as plus a crain-dre le malheur ! (So 3, 11-15)

Comme dans ces promesses qui dévoilent le dessein de Dieu,nous sommes proches des Béatitudes ! Le Dieu de nos pères n'apas changé, il attend de l'Eglise qu'elle soit un peuple humble et

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

Tressaille d'allégresse, fille de Sion ! Pousse des acclamations,

fille de Jérusalem ! Voici que ton roi s'avance vers toi ;

il est juste et victorieux, PAUVRE (Ani),monté sur un âne,

sur un ânon le petit d'une ânesse. (Za 9,9)

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

“Tu lui diras : Ainsi parle le Seigneur des Armées :Voici un homme dont le nom est Germe ;

il germera là où il est et il bâtira le temple du Seigneur.” (Za 6,12)

“Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines.” (Is 53,2)

“Devant Lui, celui-là végétait comme un rejeton, comme une racine sortant d'une terre aride ;

il n'avait ni aspect, ni prestance tels que nous le remarquions,ni apparence telle que nous le recherchions.” (Is 11,1)

“Un rejeton de ses racines se lèvera à sa place, il viendra vers l'armée et entrera dans la forteresse

du roi du Nord ; il opérera contre eux et l'emportera.” (Dn 11,7)

Ce nom du Messie est repris par Paul et par saint Jean qui affir -ment que ce roi juste régnera sur toute la terre.

“Isaïe dit encore : Il paraîtra,le rejeton de Jessé,celui qui se lève pour commander aux nations.

En lui les nations mettront leur espérance.” (Rm 15,12)

“ Moi, Jésus, j'ai envoyé mon ange pour vous apporter ce témoignage au sujet des Eglises.

Je suis le rejeton de la lignée de David, l'étoile brillante du matin.” (Ap 22,16)

C'est l'entrée de Jésus dans ce monde, son entrée dansJérusalem, sa venue dans nos cœurs qui est prophétisée. Il seprésente à nous, pauvre, humble et doux.

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L’ANAWA DANS LA PREMIERE ALLIANCE

signifie que celui qui se complaît dans de mauvaises penséesle jour peut être conduit à l'impureté la nuit. D'où Rabbi Phineas ben Jaïr a dit : L'étude mène à la précision,la précision conduit au zèle, le zèle conduit à la propreté, lapropreté conduit au contrôle de soi, le contrôle de soi conduità la pureté, la pureté conduit à la sanctification, la sanctifica-tion conduit à la douceur (anawa), la douceur conduit à lacrainte du péché, la crainte du péché conduit à la sainteté,la sainteté conduit à la possession du Saint Esprit, la possessiondu Saint Esprit conduit à la vie éternelle, et la sainteté est laplus grande des vertus car l'Ecriture dit fort : Tu as parlé envision à tes saints.

Ce point de vue diffère de celui de Rabbi Joshua ben Levi quia dit : “L'anawa est la plus grande des vertus car l'Ecriture dit :L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m'a ointpour annoncer la bonne nouvelle aux anawim. Il n'est pas écrit :aux saintsmais aux pauvres,de là on peut déduire que l'anawaest la plus haute des vertus.”

Nous retrouvons aussi cette préférence de l’anawa dans le trai-té Sanhédrin 43b du Talmud :

Rabbi Joshua ben Levi a dit aussi : A l'époque du Temple, si unhomme offrait un holocauste, il recevait le mérite d'un holo-causte, s'il offrait une offrande de nourriture, il recevait le méri-te de l'offrande de nourriture, mais si un homme était pauvredans l'esprit, l'Ecriture le considérait comme s’il avait offert tou-tes les offrandes, en effet il est écrit : Les sacrifices pour Dieusont un esprit brisé (Ps 51) en plus ses prières ne sont pas mépri-sées, car il est écrit : D'un esprit brisé et contrit, ô Dieu, tu n'aspas de mépris. (Ps 51)

Ainsi, pour le Talmud comme pour la Bible, nous voyons que

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Bien que la tendance pharisaïque ait triomphé dans le courantrabbinique après la destruction du Temple, la littérature juive,dans le Talmud et les midrashim rapporte les débats contempo-rains qui agitaient le monde juif. Le grand débat était de savoirquelle était la vertu la plus importante, la vertu des vertus. Envoici la liste d'après Pinchas ben Jair (200) Talmud avoda zara20b :

Le zèle(zrizout) conduit à la pureté rituelle (naquiout) qui conduit à la pureté du cœur(tahara)qui conduit à la sainteté(quedousha), celle-ci conduit à

l'humilité (anawa) qui conduit à la crainte du péché(yarat Hata) qui conduit à l'amour de dévotion(hasidouth) qui conduit à l'Esprit Saint (rouah ha qodesh) qui conduit à

la résurrection des morts qui conduit à Elie.

Les trois dernières lignes concernent les événements eschato-logiques, ce qui signifie que la pratique de l'anawa, de la dévo-tion et de la crainte du péché provoque la Pentecôte, la résur-rection des morts et la venue du Messie comme l'Elie qui doitvenir. La question était de savoir laquelle des trois vertus est laplus importante.

Il est clair que pour la prédication évangélique c'est l'anawa :douceur, humilité, pauvreté, persécution pour la justice. La tra-dition rabbinique a également tranché en faveur de l'anawadans le traité avoda zara du Talmud de Babylone:

Nos Rabbins ont enseigné que : Tu te garderas de tout mal,

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Un juif aux psaumes est un homme qui n'a pas d'instruction etqui n'est pas capable d'étudier le Talmud et les livres de laThora avec leurs très nombreux commentaires. Il est intéres-sant de noter que la récitation du psautier tout entier a été laprière centrale des nouveaux anawim que furent les Pères dudésert et à leur suite les moines et des religieux de tous lestemps.

En hébreu ce livre s'appelle Tehillim c'est-à-dire Louanges, ilest pourtant un grand cri de souffrance adressé à Dieu. Un cride souffrance et de confiance ! Bien sûr il fait mémoire desbénédictions et des interventions divines dans l'histoire d'Israëlet il se termine par des hymnes de louanges pures mais dans saplus grande partie il exprime la condition des anawim.

Nous pourrions résumer le livre des Psaumes par ce verset :“Un anaw a crié et Dieu l'a entendu.” Les mots de Anaw etd'Ani reviennent pas moins de 41 fois dans ce recueil de priè-res. Le Psaume 10 est typiquement une hymne de l'anawa :

Pourquoi, Seigneur, te tiens-tu si loin ? Pourquoi te caches-tu dans les temps de détresse ? Les méchants dans leur orgueil poursuivent les pauvres, ilssont pris dans les intrigues qu'ils ont montées. Car le méchant est fier de ce qu'il désire, le profiteur maudit et bafoue le Seigneur.

Le méchant dit avec arrogance : Il ne punit pas ! Il n'y a pas de Dieu ! Voilà toute son astuce.Ses voies réussissent en tout temps, tes jugements sont trop hauts pour l'atteindre, tous ses adversaires, il leur souffle dessus. Il se dit : Je ne vacillerai pas, de génération en génération,

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l'orgueil est le contraire de l'anawa ! Quelques citations de latradition juive ne sauront que nous en persuader :

Rabbi Hunnah a dit : “Celui qui est orgueilleux dans son cœurest aussi pécheur qu'un idolâtre.”

Heskaia a dit : “Les prières d'un homme orgueilleux au cœurdur ne sont jamais entendues.”

Rabbi Ashi a dit : “Celui qui endurcit son cœur avec l'orgueil,ramollit son cerveau avec le même orgueil.”

Le midrash (Tanna Devei Eliyahu)enseigne que, pendant lesdix générations qui séparent Adam de Noé, les hommes n'ontpas adhéré à l'anawa, leur coeur est devenu de plus en plus dur,c'est pourquoi le déluge fut nécessaire.

Le Sermon sur la montagne n'est compréhensible que dans laperspective de la prédication de l'anawa, que dans l'appel àconstituer un peuple de pauvres.

Maranatha, il vient le Messie et c'est un anaw !

Le livre des psaumes est le livre de prière des anawim

Dans le judaïsme le psautier est le livre de prière des pauvres.Il est au judaïsme ce que le chapelet est au christianisme. Uncélèbre roman de Shalom Ash s'intitule Le Juif aux psaumes.

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tu affermis leur cœur ; tu prêtes une oreille attentive pour rendre justice à l'orphelin, à celui qui est écrasé, afin que l'homme tiré de la terre ne continue plus à faire trembler d'effroi.

La pire des situations pour l'anaw c'est le silence de Dieu, maisil continue à espérer comme Job qui reste fidèle à Dieu.L'orgueilleux, le méchant, la mauvaise langue, en un mot l'an-tithèse de l'anaw, semble prospérer et croit en sa totale impuni-té. L'anaw prend son mal en patience dans la douceur et l'hu-milité, il espère et il croit que Dieu est le souverain véritablequi rendra la justice, pour lui et pour tout Israël.

Aux pèlerins d'Emmaüs, Jésus illuminera l'intelligence et illeur expliquera les Ecritures. Il leur a expliqué que la figure quiétait en filigrane dans les psaumes c'était lui, le pauvredépouillé de ses vêtements, l'affligé maltraité. En effet commeil est anaw, abandonné des hommes et de Dieu quand il s'excla-me : “Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné ?” Enfait il cite le Psaume 22 qui décrit la passion du pauvre. Dansune situation dramatique celui-ci redit sa confiance : “Toi, tum'as fait surgir du ventre de ma mère et tu m'as mis en sécuri-té sur sa poitrine. Dès la sortie du sein, je fus remis à toi ; dèsle ventre de ma mère, mon Dieu, c'est toi !”

Jean-Paul II avait bien compris l’esprit de l’anaw. C’est lorsd’une audience en 2001 qu’il l’explicite si bien en commentantle Psaume 149 :

Un deuxième terme définit les protagonistes de ce Psaume :ce sont les anawim, c'est-à-dire les “pauvres, les humbles”.Cette expression est très fréquente dans le Psautier et indique

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je serai à l'abri du malheur ! Sa bouche est pleine de malédictions, de tromperies et de violences ; il y a sous sa langue l'oppression et le mal.

Il se tient en embuscade près des villages, il tue l'innocent dans son repaire ; ses yeux épient le faible. Il est en embuscade dans son repaire, comme le lion dans sa tanière, il est en embuscade dans son repaire pour surprendre le pauvre ; il surprend le pauvre en l'entraînant dans son filet. Il se courbe, il se baisse, et les pauvres tombent en son pouvoir. Il se dit : Dieu oublie ! Il se détourne, il ne regarde jamais !

Lève-toi, Seigneur ! Dieu, élève ta main ! N'oublie pas les affligés ! Pourquoi le méchant bafoue-t-il Dieu ? Pourquoi se dit-il : Tu ne punis pas ?

Tu as vu, quant à toi, l'oppression et la contrariété ; tu regardes pour prendre en main ; c'est à toi que s'abandonne le faible, c'est toi qui viens au secours de l'orphelin.

Brise le bras du méchant, du mauvais, punis sa méchanceté, que tu ne la trouves plus ! Le Seigneur est roi pour toujours, à jamais ; les nations disparaissent de son pays.

Tu entends le désir des affligés, Seigneur,

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Puissant, lutte contre les forces du mal, solidarité avec les pau-vres, fidélité au Dieu de l'Alliance. (cf. Lc 1,46-55)

L'anawa dans le livre de ben Sirac le Sage

Cet apocryphe rédigé d'abord en hébreu ou en araméen a ététraduit par le petit-fils de l'auteur en grec et date du 2ème siècleavant Jésus-Christ. Des fragments de l'original ont été retro-uvés dans la géniza du Caire et à Qumran, ils nous permettentd'affirmer que la pauvreté, la douceur et surtout l'humilitéétaient rendues par le terme d'anawa. Le contenu du livre mon-tre à quel point cette vertu était prisée dans le monde inter-tes-tamentaire. Le thème de l'humiliation volontaire, de se fairepetit, doux et pauvre y est particulièrement développé ainsi quel'antithèse orgueil / pauvreté, s'élever / s'humilier. “L'abomination pour l'orgueil c'est l'anawa” ! Nous retrouve-

rons ce principe en étudiant la haine du monde pour les chré-tiens fidèles.

Nombreux sont les gens hautains et célèbres, mais c'est aux anawim

que le Seigneur révèle ses secrets. (Si 3,19)

Cependant Ben Sirac prône le comportement doux et humbleenvers les pauvres et les gens pieux de la communauté d'Israëld'une manière exclusive, il déconseille vivement de se montrercharitable envers les impies et les renégats : “Fais le bien à quiest humble et ne donne pas à l'impie. Refuse-lui son pain, ne le

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non seulement les opprimés, les misérables, ceux qui sont per-sécutés pour la justice, mais également ceux qui, étant fidèlesaux engagements moraux de l'Alliance avec Dieu, sont margi-nalisés par ceux qui choisissent la violence, la richesse et lapuissance. Dans cette perspective, on comprend que les“pauvres” ne représentent pas seulement une catégoriesociale, mais un choix spirituel. Tel est le sens de la première etcélèbre Béatitude : “Heureux ceux qui ont une âme de pau-vre, car le Royaume des Cieux est à eux.” (Mt 5,3)Le prophète Sophonie s'adressait déjà ainsi aux anawim :“Cherchez le Seigneur, vous tous les humbles de la terre, quiaccomplissez ses ordonnances. Cherchez la justice, cherchezl'humilité : peut-être serez-vous à l'abri au jour de la colère duSeigneur”. (So 2,3)

Le “jour de la colère du Seigneur” est précisément celui qui estdécrit dans la seconde partie du psaume lorsque les “pauvres”se rangent du côté de Dieu pour lutter contre le mal. Seuls, cesderniers n'ont pas la force suffisante, ni les moyens, ni les stra-tégies nécessaires pour s'opposer à l'irruption du mal. Pourtant,la phrase du Psalmiste n'admet pas d'hésitation : “Car leSeigneur se complaît en son peuple, de salut il pare les hum-bles (anawim).” De façon idéale se dessine ce que l'apôtre Pauldéclare aux Corinthiens : “Ce qui dans le monde est sans nais-sance et ce qu'on méprise, voilà ce que Dieu a choisi ; ce quin'est pas, pour réduire à rien ce qui est.” (1 Co 1,28)

Avec cette certitude, “les fils de Sion”, hasidimet anawim,c'est-à-dire les fidèles et les pauvres, partent pour vivre leur témoigna-ge dans le monde et dans l'histoire. Le chant de Marie dansl'Evangile de Luc - le Magnificat - est l'écho des meilleurs senti-ments des “fils de Sion” : louange joyeuse au Dieu Sauveur,action de grâce pour les merveilles accomplies en elle par le Tout-

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L’anawa prêchée par le Christ :

à Dieu tout est possible

Jésus se présente comme anaw issu d'un milieu d'anawim, ointpour annoncer la bonne nouvelle aux anawim. Mais dans leSermon sur la montagne il va aller beaucoup plus loin en pous-sant jusqu'à l'impossible les préceptes du commandement nou-veau.

Les exégètes ont parlé et à juste titre d'impossible précepte. Lespréceptes de l'alliance mosaïque étaient déjà très difficiles àrespecter mais là nous sommes dans le domaine de l'impossi-ble ! Pourtant Jésus n'a pas voulu déposer sur nos épaules, àl'instar des pharisiens, un fardeau qui nous écraserait, bien aucontraire, il nous dit que son fardeau est léger et facile à porter.Alors y aurait-il une insoutenable contradiction ? Loin de là !Jésus a voulu nous mettre dans une situation où nous ne pou-vons que nous exclamer : “Ce qui est impossible aux hommesest possible à Dieu !” Il nous est simplement demandé de nousorienter avec la boussole de l'anawa, de nous reconnaître pau-vres et de chercher à nous unir au Christ de toutes nos forces,afin que ce ne soit plus nous qui vivions mais que ce soit Lui

lui donne pas, il en deviendrait plus fort que toi. Car tu seraispayé au double en méchanceté pour tous les bienfaits dont tul'aurais gratifié.” (Si 12,5) La nouveauté de l'enseignement chris-tique sera d'étendre l'exercice de l'anawa envers tous les hom-mes. L'amour des ennemis sera l'originalité et la nouveauté del'Evangile.

Le Seigneur a déraciné les orgueilleux et planté à leur place les anawim.

(Si 10,15)

Dans ses confessions Léon Tolstoï, le célèbre auteur de Guerreet Paixqui découvrit la non-violence évangélique en lisant leSermon sur la montagne, rapporte un événement qui traduitbien ce que la prédication de l'anawa par Jésus aura de radica-lement nouveau :

J'ai lu le Sermon sur la montagne en compagnie d'un rabbin.Presque après chaque maxime, le Rabbin me disait : “Celaexiste dans la Torah, cela existe dans le Talmud”, et il me mon-trait dans la Torah et dans le Talmud des maximes très prochesde celles que l'on trouve dans le Sermon sur la montagne. Maislorsque nous sommes arrivés au verset sur la non-résistance auméchant, il n'a pas dit que cela existait également dans leTalmud, il n'a fait que me demander avec un sourire : “Et leschrétiens le font ? Ils tendent vraiment l'autre joue ?” Je n'airien eu à répondre, d'autant que je savais qu'à ce momentprécis les chrétiens, loin d'offrir leurs joues, frappaient les Juifssur les leurs, que ces derniers offraient.

Pour l'orgueilleux, l'anawa est une abjection : ainsi le riche a le pauvre en horreur.

(Si 13,20)

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L’ANAWA PRECHEE PAR LE CHRIST : A DIEU TOUT EST POSSIBLE

Va-t'en vite par les places et les rues de la ville, et amène ici lespauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux.” (Lc 14, 21)

Le choix des apôtres, quel choix !

“En ce temps-là, Jésus se rendit sur la montagne pour prier, etil passa toute la nuit à prier Dieu. Quand le jour parut, il appe-la ses disciples, et il en choisit douze, auxquels il donna le nomd'apôtres : Simon, qu'il nomma Pierre ; André, son frère ;Jacques ; Jean ; Philippe ; Barthélemy ; Matthieu ; Thomas ;Jacques, fils d'Alphée ; Simon, appelé le zélote ; Jude, fils deJacques ; et Judas Iscariot, qui devint traître.” (Lc 6, 12-16)

Jésus a passé toute la nuit en prière pour choisir… les pires, lesplus pauvres : un terroriste, un traître, un parjure, un collabo,un ado...

L'anawa est la plus haute des vertus.(talmud avodah zarah)

La douceur est la consommation du chrétien.(Jean-Jacques Olier)

L'Eglise qu'il inaugure est fondée sur la faiblesse, la nouvelleassemblée d'Israël ne pourra tenir que parce qu'elle recevraune pentecôte continuelle. Parmi les douze, Jésus en choisira trois qui dormiront à l'heurede l'agonie alors qu'ils avaient été prévenus par deux fois de ce

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qui vive en nous. Si souvent il nous dit : sans moi vous ne pou-vez rien faire. Il nous dit aussi : “Ma grâce te suffit car ma puis-sance s'accomplit dans la faiblesse.” (2 Co 12,9)

Nous pouvons dire que Thérèse de l'Enfant-Jésus est le docteurde l'anawa pour notre temps comme François d'Assise “autreChrist” fut un modèle d'anawa en son temps.

Les mouvements religieux au temps de Jésus

Apparemment Jésus ne parle ni des anawim ou ebionim, ni desEsséniens alors qu'il fustige les pharisiens et les sadducéens etse démarque des zélotes. Ce n'est qu'une apparence car Jésus sedéclare lui-même comme un anaw et enseigne l'anawa dansson Sermon sur la montagne. Les Esséniens ne sont pas citésnommément dans les Evangiles, mais des actes et des parolesde Jésus sont ouvertement polémiques. L'enseignement duMaître de Justice de Qumran bien qu'il tente de récupérer l'a-nawa est aux antipodes de la bonne nouvelle annoncée auxpauvres. La communauté essénienne se veut un petit reste depurs, un peuple sacerdotal obsédé par les ablutions, traquant lamoindre imperfection physique, mentale ou spirituelle. Lesinfirmes sont exclus par la règle. Le Royaume qu'inaugureJésus devait être une abomination pour eux : “Au contraire,quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, desboiteux, des aveugles…” (Lc 14,13)

“A son retour, le serviteur rapporta ces réponses à son maître.Alors, pris de colère, le maître de maison dit à son serviteur :

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Ce dialogue est pathétique car Jésus accepte le pauvre amourde Pierre qui n'est pas celui décrit par saint Paul dans sa célè-bre hymne, mais un amour d'amitié, une sympathie ! C'est unaveu de faiblesse, d'incapacité à aimer mais cette faiblessedeviendra le lieu de la glorification de Dieu par le martyre. Ilne peut aimer par ses propres forces mais il écartera les braspour être conformé à la mort d'amour de Jésus dans sa cruci-fixion à Rome.

La leçon de ce choix, nous l'avons oubliée en érigeant une sta-tue néo-païenne de Pierre sur la place qui porte son nom, en luidonnant le titre de Prince des Apôtres,nous avons perdu de vueque Jésus a fondé son Eglise sur l'anawa qui est faiblesse, ten-dresse, affliction, douceur et humilité.

Tu reconnaîtras toujours un homme qui a été brisé au pied de la Croix,

tu le reconnaîtras à sa douceur.

(Pasteur Thomas Roberts)

L’ANAWA PRECHEE PAR LE CHRIST : A DIEU TOUT EST POSSIBLEL’ANAWA PRECHEE PAR LE CHRIST : A DIEU TOUT EST POSSIBLE

qui attendait leur Maître et qu'ils avaient été fortifiés par lathéophanie de la Transfiguration. Ils avaient vu la lumière de lagloire de Dieu et ils sont tombés dans le sommeil à l'heured'une nuit profonde mais passagère. Parmi ces trois, Jésus a choisi un homme dont le nom est“Pierre” et nous ne pouvons que nous souvenir de la prophétiemessianique du psaume : “La pierre rejetée par les bâtisseursest devenu Pierre Angulaire”. (Ps 117,22)

“Pierre m'aimes-tu ?” Le dialogue de Jésus avec son discipleest une véritable enchère dans la faiblesse, malheureusement cetexte est rarement bien rendu par les traductions. Essayons lanôtre d'après l'original grec en notant que cet écrit johanniqueest très symbolique. C'est la troisième apparition après la résur-rection, Pierre vient de prendre 153 gros poissons, Jésus luipose 3 fois la question en référence aux 3 reniements :

Après qu'ils eurent mangé, Jésus dit à Simon Pierre : Simon, fils deJonas, m'aimes-tu d'amour plus que ne m'aiment ceux-ci ? Il luirépondit : Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime comme un ami.Jésus lui dit : Pais mes agneaux. Il lui dit une seconde fois : Simon,fils de Jonas, m'aimes-tu d'amour ? Pierre lui répondit : Oui,Seigneur, tu sais que je t'aime comme un ami. Jésus lui dit : Paismes brebis. Il lui dit pour la troisième fois : Simon, fils de Jonas,m'aimes-tu comme un ami ?Pierre fut attristé de ce qu'il lui avait dit pour la troisième fois :M'aimes-tu comme un ami ? Et il lui répondit : Seigneur, tu saistoutes choses, tu sais que je t'aime. Jésus lui dit : Pais mes bre-bis. En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tute ceignais toi-même, et tu allais où tu voulais ; mais quand tuseras vieux, tu étendras tes mains, et un autre te ceindra, et temènera où tu ne voudras pas. Il dit cela pour indiquer parquelle mort Pierre glorifierait Dieu. Et ayant ainsi parlé, il lui dit :Suis-moi. (Jn 21, 5-19)

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Les Béatitudes

Je renvoie au livre que j'ai consacré aux Béatitudes : SeptParoles pour un Bonheur(Editions Des Béatitudes) Il estcependant nécessaire dans le cadre de notre étude sur l'anawade donner un bref commentaire de ces déclarations de bonheur.

“Heureux les pauvres dans l'Esprit, car le Royaume des Cieux est à eux.

Heureux les doux,car ils posséderont la terre.Heureux les affligés, car ils seront consolés.Heureux les affamés et assoiffés de la justice,

car ils seront rassasiés.Heureux les miséricordieux,car ils obtiendront miséricorde.Heureux les cœurs purs,car ils verront Dieu.Heureux les artisans de paix,car ils seront appelés fils de Dieu.Heureux les persécutés pour la justice,

car le Royaume des Cieux est à eux.Heureux êtes-vousquand on vous insultera, qu'on vous persé-cutera, et qu'on dira faussement contre vous toute sorte d'infa-mie à cause de moi.

Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense seragrande dans les cieux : c'est bien ainsi qu'on a persécuté lesprophètes, vos devanciers.” (Mt 5,1-12)

La boussole de l'anawa

bénédiction

non jugement

amour des ennemis

amour miséricordieux (eleos)

espérance en Dieu seul

Abba

consolation (paraklésis)

pureté (tahara)

fidélité à la Loi

abandon à la Providence

donner à qui demande

remise des dettes = pardon

justice (tsedaqua)(dikaiosune)

piété(hasidouth)

crainte de Dieu

pauvreté matérielleet spirituelle

anawa

douceur(praütès)

affliction humilitépersécutions

(kakopatheia) (tapeinôsis)

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LES BEATITUDES LES BEATITUDES

Heureux les affligéspeut être légitimement traduit par heureuxceux qui pleurent ou qui se lamentent. Ils pleurent parce qu'ilssavent qu'ils sont en exil comme les filles de Sion au bord desfleuves de Babylone, comme des enfants d'Eve dans la valléede larmes de ce monde. Ils pleurent et ne veulent d'autre conso-lation que celle de l'Esprit. Ils gémissent dans le désir du Règnede Dieu et l'Esprit lui-même intercède avec eux en gémisse-ments inexprimables pour que le Règne vienne et que la volon-té de Dieu soit faite sur la terre comme au Ciel.

Heureux ceux qui ont faim et soif de justice :être affamé ouassoiffé c'est être en manque, or le manque vient d'une expé-rience bienheureuse, le manque crée le désir. C'est un malheurque d'être déjà rassasié car on ne désire plus, on ne rechercheplus la tsedaqua qui est la sainteté de Dieu. Celui qui désire lajustice en a déjà fait l'expérience dans son cœur, il sait qu'elle-même désire le bonheur de l'homme. Ils seront rassasiés :faitréférence à un événement eschatologique. Nous disons souventque la justice n'est pas de ce monde, c'est vrai en même tempsque les anawim peuvent la promouvoir dans ce monde tout enhâtant la venue du Royaume par leur désir.

Heureux les miséricordieux :nous serons mesurés lors du juge-ment avec la mesure qui nous aura servi à mesurer les autres,or l'anaw sait qu'il ne peut tenir devant la justice de Dieu, quesa dette est immense, qu'il ne peut compter que sur une mesu-re infinie de sa clémence. La miséricorde est un amour irration-nel, l'amour de la mère qui se jette dans le feu pour sauver sonenfant qui se trouve dans une maison en flammes, elle ne calcu-le pas qu'elle a d'autres enfants comme le berger qu'il a d'autresbrebis. La perfection est dans cet amour des entrailles. Aimerles autres avec “ses tripes” et non par devoir et par calcul.

Le bonheur qui est proclamé est au présent, dans l'aujourd'huide Dieu mais il concerne aussi les événements à venir, l'heuredu jugement et la vie éternelle. Le Royaume est au milieu denous en même temps qu'il vient et que sa plénitude nous attenddans les Cieux.

La première Béatitude heureux les pauvres dans l'Espritlesrésume toutes : heureux les anawim, pauvres, doux, affligés,humbles, la bonne nouvelle du Royaume leur a été annoncée,ils sont semblables aux tout-petits enfants qui prennent posses-sion du Royaume comme un bébé prend possession des bras desa mère et reçoit d'elle et la nourriture et l'amour.

Heureux les doux :la douceur est d'abord l'opposé de la violen-ce et de la force humaine toujours entachée de violence. Ladouceur c'est aussi le contraire de l'amertume. “Voyez commeil est doux et agréable pour des frères de demeurer ensemble.”(Ps 132,1)Le fruit du Bien-aimé est doux au palais de l'Epouse.La terre qu'ils posséderont c'est la terre promise qui là encoreest synonyme du Royaume, ils en héritent de plein droit. Seulcelui qui est doux peut exercer l'autorité.En grec praus est parfois traduit par débonnaire bien que cemot soit vieilli en français, nous pourrions aussi traduire pargentillesse. Cette attitude est tournée vers Dieu comme vers lespersécuteurs. L'anaw ne conteste pas avec Dieu, tel Job ilaccepte ses décisions sans se rebeller, il accueille les épreuvesde l'existence sans amertume. Il ne répond pas à la dureté deses ennemis par la dureté, il ne résiste pas à celui qui lui fait dumal, il est désarmé parce qu'il s'en remet à Dieu seul. Ils pos-séderont la terre : la terre c'est eretz Israël, la terre promise etpar extension le Royaume messianique.

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LES BEATITUDESLES BEATITUDES

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que rien d'humain ou de spirituel ne peut lui ravir. Voilà pour-quoi il est écrit : “Soyez dans la joie et l'allégresse, car votrerécompense sera grande dans les cieux : c'est bien ainsi qu'ona persécuté les prophètes, vos devanciers.”

Heureux ceux qui ont le cœur pur :nous l'avons vu, la puretéconduit à l'anawa, les lois de pureté enseignent le non mélangeet la pureté rituelle consiste à ne pas mélanger les aliments, lesmatières, mais les devoirs du corps doivent conduire auxdevoirs du cœur. Un cœur pur est un cœur sans partage, c'est unregard qui ne se laisse pas distraire de l'unique essentiel qui estDieu. Voilà pourquoi la récompense de cette béatitude est lavision divine qui, rappelons-le, était impossible sans mourir.Avoir un cœur pur, comme le dit David, ne peut être qu’uneœuvre de recréation : “Dieu, crée pour moi un coeur pur, res-taure en ma poitrine un esprit ferme, ne me repousse pas loinde ta face, ne m'enlève pas ton esprit de sainteté.” (Ps 50,12-13)

Heureux les artisans de paix :littéralement les faiseurs de paix,les pacificateurs. La paix, le shalom n'est pas seulement uneabsence de guerre ou de conflit, c'est l’harmonie qui conciliedes éléments même opposés, c'est un état intérieur que commu-nique l'Esprit. Faire la paix n'appartient qu'à Dieu : la prièrejuive du quaddishrécitée plusieurs fois par jour, dit “Toi quifais régner la paix dans les lieux très-haut, fais régner la paixsur nous et sur tout Israël.” Si quelqu'un peut être pacificateur,ce n'est que par participation à l'œuvre divine ; c'est pourquoiil est appelé fils de Dieu. Le Messie est le Prince de Paix.

Heureux êtes-vous quand on vous insultera, qu'on vous persé-cutera, et qu'on dira faussement contre vous toute sorte d'infa-mie à cause de moi.L'Ancien Testament nous offre des ima-ges de justes persécutés. Le monde, en persécutant, tue “l’es-prit du monde” qui est en nous et finit de dénouer les liens quinous rattachent à lui. Celui qui se livre au Royaume perd tout,tout en devenant le gérant de biens et de liens innombrables.Mais son unique bonheur est en Dieu, il est d'un ordre céleste

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ORGUEIL ET ABAISSEMENT

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Comme l'a dit saint Silouane, l'orgueil engendre le désespoir.En effet cette haute situation dans laquelle l'orgueilleux s'ima-gine être placé n'est finalement qu'une illusion, elle n'est jamaisdurable. Le désespoir, selon le saint athonite, est en mêmetemps la conséquence de l'orgueil et en même temps il en estl'amer remède.

Dans l'Ancien Testament, l'orgueil traduit l'idée de s'élever, des'enfler ou même de bouillir. S'enfler d'orgueil est un mécanis-me psychologique de survie. Nous naissons avec un manquequi est de l'ordre de l'amour. Pour combler ce manque nousgonflons un ballon, nous nous inventons un personnage quenous prenons pour notre véritable personnalité. Il s'agit de l'egoqui n'est pas notre vrai moi, et c'est à cet ego qu'il nous fautmourir, la signification de la mort à soi-même n'est rien d'au-tre que cela. Personaen latin désigne le masque que l'on por-tait au théâtre, per son,masque par lequel passe le son de lavoix qui s'en trouve amplifié. Nous jouons donc un rôle dans lacomédie humaine et nous nous identifions à ce rôle, que ce soitdans la vie sociale ou dans la vie religieuse. L'orgueil est d'au-tant plus fort que nous avons été plus intensément humiliésdans notre enfance et il ira jusqu'au trouble paranoïaque de lapersonnalité, il poussera à rechercher les honneurs et lameilleure place pour ne pas dire la plus élevée.

Plus nous occuperons une place élevée plus aussi il nous fau-dra nous battre pour la défendre. Naîtra alors la colère meur-trière, l'orgueil nous fera “bouillir” contre les autres. Une autremanière de nous défendre sera de prétendre ce qui n'est pas etsurjouer devant les autres. C'est l'hypocrisie pharisienne. Lemot hypocriteest absent de l'Ancien Testament et pour cause :il est lié à la culture hellénistique et signifie acteur de théâtre.

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Orgueil et abaissement

Qui est comme Dieu ?

L'orgueil s'accompagne de l'oubli de Dieu, on cherche à s'éle-ver comme si Dieu n'existait pas. Pour s'enorgueillir il fautchoisir une autre échelle de valeurs que celle de l'Esprit.L'orgueilleux choisit un système de référence dans lequel ilespère se situer au niveau le plus haut. Ce système de référen-ce peut être intellectuel, physique, social, politique et mêmespirituel et c'est le péché du diable. Je crois que l'ange de l'hu-milité c'est saint Michel ; je ne sais pourquoi on le représentegrand et fort. Un mystique qui le voit souvent m'a dit qu'il luiapparaissait sous la forme d'un petit enfant. Michel signifie lit-téralement en hébreu : Qui ? (Mi) comme (Ch)Dieu (haEl). Samission est une question posée au monde invisible : Qui estcomme Dieu ? Qui peut se comparer à Dieu ? La réponse estévidente : personne ne peut se comparer à lui, personne ne peutentrer en concurrence avec lui. La réponse n'est cependant pasévidente pour les anges rebelles et pour les orgueilleux. Ce quientraîne leur chute. Tout mouvement d'orgueil est suivi d'unechute.

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se révèle en nous et sa puissance se manifeste : “C'est pourquoinous ne perdons pas courage et même si, en nous, l'hommeextérieur va vers sa ruine, l'homme intérieur se renouvelle dejour en jour. Car nos détresses d'un moment sont légères parrapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu'elles nouspréparent.” (2 Co 4, 16-17)

Shafal : s'enfoncer, s'humilier, s'abaisser en esprit

L'orgueil est aussi appelé vaine gloire, une gloire vide, un bal-lon de baudruche prêt à se dégonfler. La gloire de Dieu, la gloi-re du Christ, la gloire à laquelle il nous destine procède tou-jours de l'anawa, du shafalc'est-à-dire de l'abaissement volon-taire : “L'orgueil d'un homme l'abaisse, mais celui qui est hum-ble d'esprit obtient la gloire.” (Pr 29,23)

“Car ainsi parle le Très-Haut, dont la demeure est éternelle etdont le nom est saint : J'habite dans les lieux élevés et dans lasainteté ; mais je suis avec l'homme contrit et humilié (shafal),afin de ranimer les esprits humiliés (shafal),afin de ranimer lescœurs contrits.” (Is 57,15)

Le mouvement d' abaissement et d'humiliation est un principe,une loi fondamentale du Royaume que nous ne devrions jamaisoublier, c'est une loi qui devrait faire partie de notre culturechrétienne : “Ainsi parle le Seigneur : La tiare sera ôtée, le diadème seraenlevé. Les choses vont changer. Ce qui est abaissé (shafal)sera élevé, et ce qui est élevé sera abaissé.” (Ez 21,26)

S'humilier consistera donc à ne pas se cacher sous un masque,à se montrer dans sa faiblesse ou du moins à renoncer à cachersystématiquement ses faiblesses.

L’hypocrisie verrouille les portes du Royaume alors que

l’anawa les ouvre toutes grandes.

Le jansénisme par exemple, et d’autres doctrines pharisiennes,montre que le salut n'est accessible qu'au petit nombre des éluscapables de pratiquer des vertus héroïques alors qu'il est gratuit !Au contraire, les aveux de faiblesse de Paul ouvrent grandes lesportes du Royaume à ceux qui se sentent incapables par eux-mêmes de pratiquer la vertu et qui souffrent de toutes échardesqui blessent leur chair.“Mais il m'a déclaré : “Ma grâce te suffit ; ma puissance donnetoute sa mesure dans la faiblesse.” Aussi mettrai-je mon orgueilbien plutôt dans mes faiblesses, afin que repose sur moi la puis-sance du Christ.” (2 Co 12,9)

Mais que signifie mettre son orgueil dans ses faiblesses ? Celasignifie que Paul, instruit par l'Esprit, connaît cette loi de l'a-baissement-élévation. Oui il est légitime de chercher la premiè-re place, oui il est légitime de vouloir être le premier dans leRoyaume des Cieux, je ne veux pas pour ma part me conten-ter d'un strapontin dans la salle du banquet des noces del'Agneau, je veux être à côté de mon Amour et poser ma têtesur son cœur ! Je veux la Gloire ! Celle de Dieu ! Ce n'est pasde l'orgueil mais le plus légitime des désirs et je sais que celapasse par la reconnaissance de ma faiblesse. Mettre son orgueildans ses faiblesses signifie s'élever en s'abaissant. Au fur et àmesure que nous mourons à notre personnage la gloire de Dieu

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“Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernièreplace, afin qu'à son arrivée celui qui t'a invité te dise : Monami, avance plus haut. Alors ce sera pour toi un honneur devanttous ceux qui seront à table avec toi.” (Lc 14,10)

Le Christ a montré l'exemple de l'abaissement qui élève

Le deuxième chapitre de l'épître aux Philippiens fait appel à l'a-nawa dans la communauté chrétienne, introduisant ainsi l'hym-ne célèbre sur l'abaissement du Christ :

Si donc il y a quelque consolation en Christ, s'il y a quelquesoulagement dans la charité, s'il y a quelque union d'esprit, s'ily a quelque compassion et quelque miséricorde, rendez majoie parfaite, ayant un même sentiment, un même amour, unemême âme, une même pensée. Ne faites rien par esprit departi ou par vaine gloire, mais que l'humilité (tapeiophrosunéou anawa) vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes. Que chacun de vous, au lieu de consi-dérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres.

Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ, lequel,existant en forme de Dieu, n'a point regardé comme une proieà arracher d'être égal avec Dieu, mais s'est anéanti lui-même,en prenant une forme de serviteur, en devenant semblableaux hommes et ayant paru comme un simple homme, il s'esthumilié lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort, mêmejusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi aussi Dieu l'a souve-rainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus detout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans

Ecoutons encore la parabole du cèdre qui est également uneprophétie pour Israël mais aussi pour l'Eglise, Dieu exaltera unpetit reste :

Ainsi parle le Seigneur Dieu : Moi, je prends à la pointe ducèdre altier et je plante, j'arrache à la cime de ses branchesun rameau tendre ; je le plante moi-même, sur une montagnehaute, surélevée. Je le plante sur une montagne élevéed'Israël. Il portera des rameaux, produira du fruit, deviendra uncèdre magnifique. Toutes sortes d'oiseaux y demeureront, ilsdemeureront à l'ombre de ses branches. Alors tous les arbresdes champs connaîtront que je suis le Seigneur, qui abaissel'arbre élevé, élève l'arbre abaissé, dessèche l'arbre vert, et faitfleurir l'arbre sec. Moi, le Seigneur, je parle et j'accomplis. (Ez 17, 22-24)

Car tout homme qui s'élève sera abaissé et celui qui s'abaisse sera élevé.

(Lc 14,11)

Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.

(Mt 20,16)

Avant la ruine, l'esprit humain est plein d'orgueil ;

mais avant la gloire, il y a l'anawa. (Pr 18,12)

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Se réjouir des persécutions

Pratiquer la petite voie

Rechercher l'esprit d'enfance

Ne pas résisterà celui qui nous fait violence

Considérer les autres comme supérieurs à soi

Accepter par amour de Jésus d'être donné en spectacle au monde visible et invisible, aux anges et aux hommes

Le vrai disciple du Christ, comme sainte Thérèse d'Avila,

joue à “qui perd gagne” ; quand il a tout perdu il a tout gagné.

les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langueconfesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu lePère. (Ph 2, 1-11)

Dans sa condition humaine, le Christ a résisté à l'antique tenta-tion, à l'antique mensonge du serpent : “Vous serez comme desdieux.” (Gn 3,5) Cela signifie qu'il a renoncé d'être l'égal deDieu. Mais plus encore il s'est totalement abaissé afin de mon-trer le chemin qui conduit à l'élévation dans la Gloire.

L'ami de Dieu, l'ami du Christ sait que Dieu est humble, qu'ilest doux, aussi cherche-t-il à lui ressembler. David déjà avaitreconnu l'anawa de Dieu et que cet anawa élève l'homme : “Tume donnes le bouclier de ton salut, et je deviens grand par tonanawa. Cantique que chanta David après avoir été délivré detous ses ennemis.”(2 S 22,36)

Comment pratiquer l'abaissement en esprit (shafal ruah)

L'humilité ne peut être recherchée pour elle-même, c'est l'hu-milité de Dieu dans l'imitation de Jésus-Christ qui doit être aucentre de la vie du chrétien dont le programme pourrait se résu-mer ainsi :

Rechercher la dernière place

Dir e du bien de ceux qui disent du mal

Ne pas se justifier

Aimer ses ennemis

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Les amis du Verbe

Car il dit, et (la chose) arrive, Il ordonne, et elle existe. (Ps 33,9)

La capacité de bénir nous rend semblables à Dieu, par elle nousprolongeons l'œuvre de la création. En revanche la malédictionnous rend solidaires du diable qui est l'accusateur de l'homme.

“Un coup de fouet provoque une blessure, mais un coup portéavec la langue détruit la personnalité.” (Si 28,17)

Cette affirmation est forte et juste. Notre système immunitaireest intimement lié à notre identité, à la défense de notre intégri-té. Il est aujourd'hui prouvé que la calomnie produit un effon-drement immunitaire aussi fort que celui qui permet le déve-loppement d'un cancer. Comment revenir sur une malédictionprononcée, sur une rumeur répandue, sur une médisance quiruine la réputation d'un homme ? C'est pratiquement impossi-ble... De la malédiction vient un mal absolu comme un homi-cide.

“Dis seulement un mot et mon serviteur sera guéri.”(Mt 8,8)

“La santé ne leur fut rendue ni par des plantes ni par des pommades, mais par ta Parole,

Seigneur, qui guérit tout.” (Sg 16,12)

Si quelqu'un se croit religieux sans tenir sa langue en bride,mais en se trompant lui-même, vaine est sa religion.

(Jc 1,26)

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Bénissez, ne maudissez pas

L'anaw est un ami du Verbe, il est gardien du Verbe et de la bénédiction.

La langue et le Verbe créateur

“N'affronte pas quelqu'un qui ne tient pas sa langue, n'apporte surtout pas de l'eau à son moulin.”

(Si 8,3)

“Heureux celui qui sait tenir sa langue et n'a donc pas à souffrir de ses fautes !”

(Si14,1)

“Prends garde que ta langue t'entraîne à la faute et te fasse tomber devant celui qui te guette.”

(Si 28,26)

“Garde ta langue du mal et tes lèvres des médisances.” (Ps 34,13)

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parole n'est pas seulement un mot revêtant des significationsdifférentes selon le vocabulaire de celui qui la prononce etselon les circonstances. Il n'y a pas de place pour le mentir vraiqui se généralise aujourd'hui dans notre société. La Bible elle-même est avant tout parole, elle ne deviendra un écrit que plustard et seulement quand l'existence des transmetteurs de laparole était menacée de disparaître. Une parole donnée ne peutêtre reprise par un homme, ni même par Dieu. J'aimerais ici raconter une histoire juive contemporaine quiillustre bien ce propos. Un habitant de la vieille ville deJérusalem essayait vainement de faire sa sieste car dans la ruedes enfants jouaient bruyamment. Il décide alors d'user d'unstratagème, il ouvre sa fenêtre et interpelle les enfants en leurdisant qu'une distribution gratuite de fallafels, le sandwichlocal, avait lieu à la porte de Damas. Les garnements disparais-sent mais notre homme ne peut trouver le sommeil, il tourne etse retourne dans son lit en gémissant : dire qu'il y a une distri-bution gratuite de fallafels à la porte de Damas et que je restedans mon lit ! Une parole dite est dite, elle est puissante et l'au-teur du mensonge se retrouve aux prises avec elle.

Les mains croisées

Bénédiction vient d'une racine hébraïque qui signifie genoux,l'idée première est que l'on se met à genoux pour recevoir unebénédiction, ce qui implique un acte sacré, nous dirions aujour-d'hui sacramentel. On confère donc par ce geste accompagnéd'une parole une grâce, il est efficace en lui-même. Dans l'his-toire d'Esaü et de Jacob dont le nom signifie le supplanteur, labénédiction d'Isaac aveugle et trompé par le benjamin est aus-

“De même, la langue est un petit membre et se vante de grandseffets. Voyez comme il faut peu de feu pour faire flamber unevaste forêt ! La langue aussi est un feu, le monde du mal ; lalangue est installée parmi nos membres, elle qui souille lecorps entier, qui embrase le cycle de la nature, qui est elle-même embrasée par la géhenne. Mais la langue, nul homme nepeut la dompter : fléau fluctuant, plein d'un poison mortel !” (Jc 3, 5-8)

En effet, qui veut aimer la vie et voir des jours heureux doit garder sa langue du mal et ses lèvres

des paroles trompeuses. (1 P3,10)

Je suis responsable de ce que je dis, mais je suis aussi responsable de ce que j'entends. J'ai la capacité de dire le bien et de le faire advenir. Je suis responsable de ce que je me dis,mais je suis aussi responsable des paroles que je repasse dans ma tête. Je suis responsable de la parole secrète que je trahis ; je suis responsable du mal qu'elle va produire en cascadesur ceux qui l'entendront. Toute parole est efficace dans le bien comme dans le mal.

La bénédiction et la puissance du Verbe

Pour saisir le sens de la bénédiction dans la Bible, il est néces-saire de comprendre la puissance du Davar, de la parole. Une

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savons, le choix dans la Bible n'est pas exclusif, il est inclusifmais par étapes, par amplification. Un homme est choisi pourtransmettre la bénédiction à d'autres. Ainsi le peuple juif estchoisi et béni pour devenir source de bénédiction pour les peu-ples de la terre. Dans cette continuité le chrétien est béni pourêtre une bénédiction envers ceux qui l'entourent comme il estécrit : “Chacun donnera ce qu'il pourra, selon les bénédictionsque le Seigneur, ton Dieu, lui aura accordées.” (Dt 16,17)

Toutes les nations de la terre seront bénies en ta postérité,

parce que tu as obéi à ma voix. (Gn 22,18)

Saint Paul a bien présent à l'esprit cette mission lorsqu'il dit :“Afin que la bénédiction d'Abraham eût pour les païens sonaccomplissement en Jésus-Christ, et que nous recevions par lafoi l'Esprit qui avait été promis.” (Ga 3,14)

La bénédiction se traduit par le don de l'Esprit sur toute chair,elle procure tous les biens du Royaume, le bonheur annoncédans les Béatitudes.

Le plus bel exemple de cette transmission par amplification estlié à la Pâque, le passage de la servitude à la liberté glorieusedes enfants de Dieu, du malheur au bonheur, de l'affliction à lajoie. Le repas pascal comprenait quatre coupes dont chacuneavait une signification précise. L'une d'elles est appelée coupede bénédiction, c'est elle que Jésus va choisir pour la transfor-mer en sang rédempteur pour toute l'humanité : “La coupe debénédiction que nous bénissons, n'est-elle pas la communionau sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas lacommunion au corps du Christ ?” (1 Co 10,16)

sitôt opérante, le droit d'aînesse et tous ses privilèges sontconférés par le geste et les paroles de la bénédiction paternel-le. Celle-ci transfère un pouvoir qui ne pourra plus être contes-té. Jacob à son tour transmettra la bénédiction non pas à l'aînéde ses fils mais à son petit-fils préféré en qui il a discerné unchoix de Dieu :

Puis Joseph les prit tous deux, Ephraïm de sa main droite à lagauche d'Israël, et Manassé de sa main gauche à la droited'Israël, et il les fit approcher de lui. Israël étendit sa main droi-te et la posa sur la tête d'Ephraïm qui était le plus jeune, et ilposa sa main gauche sur la tête de Manassé : ce fut avecintention qu'il posa ses mains ainsi, car Manassé était le pre-mier-né. Il bénit Joseph, et dit : Que le Dieu en présenceduquel ont marché mes pères, Abraham et Isaac, que le Dieuqui m'a conduit depuis que j'existe jusqu'à ce jour, que l'angequi m'a délivré de tout mal, bénisse ces enfants ! Qu'ils soientappelés de mon nom et du nom de mes pères, Abraham etIsaac, et qu'ils multiplient en abondance au milieu du pays !

Joseph vit avec déplaisir que son père posait sa main droite surla tête d'Ephraïm ; il saisit la main de son père, pour la détour-ner de dessus la tête d'Ephraïm, et la diriger sur celle deManassé. Et Joseph dit à son père : Pas ainsi, mon père, carcelui-ci est le premier-né ; pose ta main droite sur sa tête. Sonpère refusa, et dit : Je le sais, mon fils, je le sais ; lui aussi devien-dra un peuple, lui aussi sera grand ; mais son frère cadet seraplus grand que lui, et sa postérité deviendra une multitude denations. Il les bénit ce jour-là, et dit : C'est par toi qu'Israël béni-ra, en disant : Que Dieu te traite comme Ephraïm et commeManassé ! Et il mit Ephraïm avant Manassé.(Gn 48, 13-20)

Cet épisode souligne la notion de choix, d'élection. Or, nous le

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Heureusement la Bible est remplie de “bonnes” paroles, elle estune bonne nouvelle qui guérit des malédictions originelles etactuelles. Savoir que nous avons du prix aux yeux de Dieu,qu'il a voulu notre vie, qu'il nous a choisis dès le sein maternel,que nous sommes une merveille à ses yeux et qu'il nous com-ble de bénédictions. Voilà qui doit remplacer les malédictionsque nous avons stockées dans notre mémoire au cours de notreexistence. Mais ce qui est plus fort encore c'est de savoir queDieu me reconnaît le pouvoir qui ne devrait être que le sien,celui de bénir les autres et celui de le bénir : bénissez leSeigneur ! Dans la louange, je deviens un être de bénédiction,ma parole accomplit ce qu'elle porte et change le monde.

Bénissez ceux qui vous maudissent.Dites du bien de ceux qui disent du mal de vous !

Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez et ne maudissez pas.

(Ro 12,14)

Dans les familles où l'on ne peut pas toujours contrôler sesparoles, où l'on peut se blesser par fatigue ou inadvertance, lestemps de bénédiction sont des instants où Dieu devient la seuleréférence, où tout s'apaise et où peuvent être prononcées desparoles qui restaurent et guérissent. C'est le cas notamment dumoment de la bénédiction des repas où tous se placent sous leregard de Dieu et tous ensemble bénissent l'Auteur des béné-dictions. La prière du soir avec “la petite croix” tracée sur lefront des enfants est un temps de bonheur, un lieu réparateur oùsont comme annulées les mauvaises paroles de la journée.

Bénissez, ne maudissez pas !

L'étymologie grecque et latine nous instruisent également surle sens de la bénédiction, toutes les deux signifient dire dubien, énoncer du bonheur. Car au-delà de la notion théologiqueque nous venons d'aborder, nous ne pouvons ignorer la portéepsychologique de la bénédiction. Dire du bien de quelqu'unc'est le faire grandir dans l'estime des autres et par voie deconséquence dans une juste estime de soi sans laquelle on nepeut être heureux. Le contraire de la bénédiction n'est pas seu-lement la malédiction mais aussi la médisance qui détruit l'har-monie avec soi et avec le milieu social. Les victimes de lamédisance, à moins d'être des saints, souffrent quelquefois jus-qu'au désespoir, jusqu'au suicide psychologique ou physique(la vie politique nous en fournit des exemples récents). Le saintlui, est à l'abri car la bénédiction et donc l'estime incondition-nelle de Dieu lui suffit : qui a Dieu a tout !

En matière d'éducation, on a établi aujourd'hui qu'il faudraitdire à un enfant neuf paroles d'encouragement pour se permet-tre une parole de reproche ou de correction. Si nous agissionsainsi envers nos semblables, les relations seraient plus harmo-nieuses, mais nous craignons de passer pour hypocrites ou deparaître acheter l'estime de l'autre en le félicitant, en lui disantdes choses positives.

Les paroles de malédiction s'inscrivent en nous profondémentet travaillent inconsciemment et elles sont d'autant plusinfluentes qu'elles sont inconscientes. Qu'un père ou une mèredise à son enfant : “Tu n'arriveras jamais à... tu ne seras jamaiscapable de...” et toute une vie on peut chercher sans s'en ren-dre compte à valider cette prédiction.

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peuvent être par ailleurs des gens honnêtes ayant des préoccu-pations humanistes... Ils ne savent pas ce qu'ils font... c'est plusfort qu'eux cette vague qui les poussent à persécuter... les plusfaibles, ou du moins ceux chez qui ils ont détecté le point fai-ble, car on ne se bat pas contre plus fort que soit. On abat sansmerci celui qui ne fera pas de revers lifté. Or l'Evangile nousinvite à la faiblesse de l'enfant. La brebis n'a ni croc pour mor-dre, ni ongle pour griffer, ni carapace pour amortir les coups,elle n'a pas de venin pour empoisonner et paralyser l'adversai-re. La brebis n'a que son Berger dont le bâton et la houlette larassurent.

Moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups.Soyez donc avisés comme les serpents et purs comme lescolombes. Gardez-vous des gens, car ils vous livreront aux tri-bunaux et ils vous fouetteront dans leurs synagogues, vousserez menés, à cause de moi, devant des gouverneurs etdevant des rois, ce sera un témoignage pour eux comme pourles non-Juifs. Mais quand on vous livrera, ne vous inquiétez nide la manière dont vous parlerez ni de ce que vous direz ; ceque vous direz vous sera donné à ce moment même, car cen'est pas vous qui parlerez, c'est l'Esprit de votre Père qui par-lera en vous. (Mt 10,16)

Persécuter en hébreu comme en grec signifie poursuivre,comme on poursuit en justice, comme on poursuit un animal àla chasse, on le poursuit jusqu'à ce qu'épuisé, on l'ait à sa merciet on l'abatte.

“Bienheureux êtes-vous lorsque l'on vous insulte, que l'on vouspersécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte demal à cause de moi. Soyez dans la joie et l'allégresse, car votrerécompense est grande dans les cieux ; c'est ainsi en effet qu'on

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La persécution

Il y a vraiment de quoi bondir de joie !

La condition chrétienne normale est comparable à celle desbrebis au milieu des loups. Pour prendre une image qui nousest plus proche, le chrétien ressemble à un ver de terre qui esttombé dans un poulailler ! Mais c'est aussi la condition humai-ne que cette image traduit. Nous sommes faits pour un amourinfini et inconditionnel et nous arrivons dans ce monde, mêmeavec de bons parents, où tout amour pose une foule de condi-tions et des limites que le tout-petit ne comprend pas. Pour sur-vivre dans ce monde de brutes, ce petit homme va développerdes mécanismes de défense qui le protégeront - en l'insensibi-lisant par exemple - sur le plan affectif et psychologique. Ilusera des mêmes mécanismes sur le plan spirituel et “se méfie-ra de Dieu”, le soupçonnera, se cachera de lui, culpabilisera, nese croyant pas digne d'être aimé d'un si grand amour.

Le monde ne supporte pas la Parole de Dieu et veut la fairetaire comme Israël a toujours voulu faire taire ses prophètes.Cette Vérité de l'amour infini et inconditionnel est insupporta-ble. Il y a d'ailleurs chez tous nos persécuteurs un cynisme quiétonne et déconcerte. Nous nous demandons d'où leur viennenttant de méchanceté, tant de mensonges et de cruauté alors qu'ils

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Mais écoutons la leçon de Luc qui oppose les “macarismes”,déclaration de bonheur aux lamentions (il s'agit en effet delamentations et non de malédictions : Oïe en hébreu est tou-jours utilisé dans l'hébreu moderne et pourrait être traduit par“hou là là, malheureux que je suis !”)

Heureux êtes-vous lorsque les hommes vous haïssent, lorsqu'ilsvous rejettent et qu'ils insultent et proscrivent votre nomcomme infâme, à cause du Fils de l'homme. Réjouissez-vousce jour-là et bondissez de joie, car voici, votre récompense estgrande dans le ciel ; c'est en effet de la même manière queleurs pères traitaient les prophètes. Malheureux êtes-vouslorsque tous les hommes disent du bien de vous : c'est en effetde la même manière que leurs pères traitaient les faux prophè-tes. (Lc 6, 22-26)

Un peuple de prêtres, de prophètes et de rois, s'il est fidèle à savocation, ne peut qu'être incompris et susciter la haine dumonde. Or nous cherchons toujours l'approbation des hommes,nous cherchons à faire entendre et reconnaître notre voix dansleurs concerts ! Nous cherchons à rendre le message évangé-lique compatible avec l'esprit du monde.

Mais qu'est-ce que le monde ?

Il faut bien distinguer trois acceptions du mot monde dans leNouveau Testament. La première désigne la planète, la secon-de le monde habité (grec : okouméné) et tous ses habitants aveclesquels Dieu veut se réconcilier et qu'il veut sauver : “CarDieu a tant aimé le monde (grec : cosmos) qu'il a donné sonFils unique, pour que quiconque met sa foi en lui ne périsse

a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. (Mt 5, 11-12)

Cette déclaration de bonheur dans la persécution est aussitôtsuivie de l'affirmation : “Vous êtes le sel de la terre. Si le selperd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vautplus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par leshommes.” (Mt 5,13)

En Israël on connaissait plusieurs qualités de sel dont le pluspauvre aujourd’hui sert à déneiger les routes - à l'époque il étaitproduit en Syrie et pouvait à la rigueur servir de désherbant. Lesel avait trois fonctions que l'on peut par comparaison appli-quer au disciple authentique du Christ :

Sacrificielle : tout sacrifice devait s'accompagner de sel. “En effet, chacun doit être purifié par le feu et préparé pourDieu comme on prépare l'offrande du sacrifice avec du sel.”(Mc 9,49)

Alimentair e : le sel rehausse le goût, le chrétien donne à la vieune saveur, une sapience autrement dit une sagesse qui est cellede la croix.

Conservatrice :en effet la salaison empêche le pourrissementdes aliments comme la viande et le poisson. Sans cette intensi-té dans l'existence prophétique, l'enseignement du Christ dégé-nère en une simple morale et perd sa force de transformation.

Un chrétien qui ne remplirait pas ces trois conditions s'exposeà être jeté dehors, expression souvent associée au jugementdernier.

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de paroles haineuses et ils me font la guerre sans raison. Bienque je les aime, ils s'opposent à moi, moi, je recours à la priè-re. Ils me rendent le mal pour le bien et la haine pour monamour. (Ps 109, 1-5)

Comme le Christ a été persécuté nous devons connaître la per-sécution. Que la persécution cesse ou l'incompréhension, nousdevons aussitôt nous demander en quoi nous avons fait descompromis avec le monde, en quoi nous sommes devenus reli-gieusement corrects au risque de nous perdre.

Le disciple n'est pas au-dessus de son maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur.

(Mt 10,24)

L'envers de l'élection

Celui qui est choisi par Dieu est aussi haï par les hommes.L'élection suscite la jalousie comme celle de Caïn envers sonfrère Abel.

Ne rien attendre de l'homme, c’est la clef de la philanthropie

ou du bon usage de l'humanité.

L'homme est-il un loup pour l'homme ?

L'homme est-il un loup pour l'homme, selon l'expression dePlaute dans la comédie des ânes ? Point d'irénisme, point d'i-déalisation ou de déni, l'histoire parle d'elle-même !

pas, mais ait la vie éternelle.” (Jn 3,16)

La troisième désigne l'esprit du monde, cette attirance mauvai-se (yetser hara,en hébreu) que lui a communiqué le Prince dece monde. Nous pourrions dire que le monde dans ce sens estla contrepartie de l'Esprit-Saint. Il est attrayant, fascinant, ilpropose une esthétique, une sagesse, une séduction. Nous som-mes dans le monde mais nous ne sommes pas du monde, touten usant du monde nous ne devons pas être dupes de ses pro-messes et de ses artifices.

“Quant à moi, jamais je ne mettrai ma fierté en rien d'autre quedans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le mondeest crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde !” (Ga 6,14)

Ils m'ont haï sans cause !

“Celui qui a de la haine pour moi, a aussi de la haine pour monPère. Si je n'avais pas fait parmi eux les oeuvres que nul autren'a faites, ils n'auraient pas de péché. Maintenant ils les ontvues, et ils ont haï, et moi et mon Père. Mais que cette parole,écrite dans leur loi, soit accomplie : Ils m'ont haï sans cause.”(Jn 15, 23-25)

Jésus fait ici référence à un Psaume de David où est décrite lapassion d'un anaw :

Dieu de ma louange, ne garde pas le silence ! Car ils ouvrentcontre moi une bouche méchante, une bouche trompeuse,s'ils parlent avec moi, leur langue est menteuse, ils m'entourent

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LA PERSECUTION

L'homme juge en permanenceL'homme est prompt à répéterle mal qu'il vient d'entendreL'homme est infidèleL'homme est impitoyableL'homme se réjouit du malL'homme est égoïste et n'est préoccupé que parsa propre survie

David disait au prophète Natan : “Je préfère tomber dans la main de Dieu

que dans la main des hommes.” (2 S 24,14)

Voici encore quelques citations de l'Imitation de Jésus-Christqui nous fortifient dans cette défiance, et non méfiance, enversles hommes afin de les aimer non d'un amour humain maisavec la lucidité que donne l'amour qui vient de Dieu :

“Insensé celui qui met son espérance dans les hommes ou dansquelque créature que ce soit.”

“Lorsque vous posséderez Jésus, vous serez riche et lui seulvous suffit. Il veillera sur vous, il prendra de vous un soin fidè-le en toutes choses, de sorte que vous n'aurez plus besoin derien attendre des hommes. Car les hommes changent vite etvous manquent tout d'un coup ; mais Jésus-Christ demeureéternellement : inébranlable dans sa constance, il est près devous jusqu'à la fin. Ne souhaitez d'être familier qu'avec Dieu etles anges, et évitez d'être connu des hommes.”

“Car nous avons plus d'empressement à chercher Dieu, qui voitle fond du coeur, quand les hommes au-dehors nous rabaissent

Sigmund Freud :L'homme n'est pas un être doux, en besoin d'amour, qui seraittout au plus en mesure de se défendre quand il est attaqué,mais au contraire, il compte aussi à juste titre parmi ses aptitu-des pulsionnelles une très forte part de penchant à l'agression.En conséquence de quoi, le prochain n'est pas seulementpour lui un aide et un objet sexuel possibles, mais aussi une ten-tation, celle de satisfaire sur lui son agression, d'exploiter sansdédommagement sa force de travail, de l'utiliser sexuellementsans son consentement, de s'approprier ce qu'il possède, del'humilier, de lui causer des douleurs, de le martyriser et de letuer. Homo homini lupus Qui donc, d'après toutes les expérien-ces de la vie et de l'histoire, a le courage de contester cettemaxime ? Cette cruelle agression attend en règle générale une provo-cation ou se met au service d'une autre visée dont le but pour-rait être atteint aussi par des moyens plus doux. Dans des cir-constances qui lui sont favorables, lorsque sont absentes lescontre-forces animiques qui d'ordinaire l'inhibent, elle se mani-feste d'ailleurs spontanément, dévoilant dans l'homme la bêtesauvage, à qui est étrangère l'idée de ménager sa propreespèce. Quiconque se remémore les atrocités de la migrationdes peuples, des invasions des Huns, de ceux qu'on appelaitMongols sous Gengis Khan et Tamerlan, de la conquête deJérusalem par les pieux croisés, et même encore les horreursde la dernière Guerre Mondiale, ne pourra que s'incliner hum-blement devant la confirmation de cette conception par lesfaits. (Sigmund Freud, Le Malaise dans la culture, 1930)

David l'avait bien compris après qu'il ait succombé à la tenta-tion de dénombrer son peuple : “David dit à Gad : Je suis dansune grande angoisse ! Que je tombe plutôt entre les mains duSeigneur, car sa miséricorde est très grande, mais que je netombe pas entre les mains des hommes !” (1 Ch 21,3)

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Crainte de Dieu ou peur de l'homme ?

Les hommes savent que pour garder leur pouvoir, ils doivent sefaire craindre. Ils se déguisent en chef, en juge, en policier, ilsportent des vêtements qui intimident et s'abritent dans despalais, que ce soit le palais de l'Elysée ou le palais de justice etautrefois les palais épiscopaux. Ils s'entourent de dorures etinstaurent des protocoles pour maintenir la distance. Ils s'affu-blent de couvre-chef pour paraître plus grands. Ils multiplientles échelons de la hiérarchie pour bien montrer qu'ils sont enhaut de l'échelle et que cette échelle est très haute. Tout celarelève de la psychologie animale, même les poules vont se cou-cher et dorment selon une hiérarchie bien précise. Les loupsexigent des rituels de soumission et se prosternent devant leurchef. “Qu'il n'en soit pas ainsi parmi vous !” prescrit le Christà ses disciples. “Que celui qui voudra être le plus grand parmivous se fasse l'esclave de tous !” (Mt 20,27) Le danger est quedepuis notre petite enfance nous avons été dressés dans lacrainte à respecter les hiérarchies animales, on nous a montréque pour être assuré de posséder un pouvoir il faut se soumet-tre à plus grand que soit. Les Pères du désert afficheront un telmépris du monde qu'ils ne sont pas sans rappeler le cynisme deDiogène.

Un prince avait fui au désert et vivait dans une constanterecherche de Dieu. Un jour un cavalier vint le trouver et luiannonça que son père était mort, il héritait d'une grande fortu-ne. Le moine répliqua : comment un mort pourrait-il hériterd'un mort ?

Si je ne suis rien pour l'homme, que peut-il me faire, c’est la

et pensent mal de nous. C'est pourquoi l'homme devrait s'affer-mir tellement en Dieu, qu'il n'eût pas besoin de chercher tant deconsolations humaines.”

“Un ancien a dit : Toutes les fois que j'ai été dans la compagniedes hommes, j'en suis revenu moins homme que je n'étais.”

J'ai rendu mon visage comme la pierre

Le Christ est le rocher qui nous sauve, il nomme son disciplePierre, roc de fondation, le symbole de la pierre est chargédans toutes les cultures du caractère de la permanence, de lasolidité, de la stabilité, de ce qui demeure au milieu de ce quiest mouvant, instable, impermanent.

Le Christ anaw, dans sa passion, ne présente pas les réflexesque provoque la douleur qui fait qu'un être humain lève la mainpour protéger son visage, il ne pare pas les coups mais s'expo-se comme la colombe qui tend le cou au couteau du sacrifica-teur. Il s'est endurci non pas de manière à se rendre insensiblemais de manière à tenir bon en attendant le secours de Dieucomme le fait le serviteur souffrant d'Isaïe : “J'ai tendu le dos àceux qui me frappaient, et les joues à ceux qui m'arrachaient labarbe, je n'ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats.Le Seigneur Adonaï va me venir en aide, c'est pourquoi je neme suis pas laissé abattre, c'est pourquoi j'ai rendu mon visagedur comme la pierre, et je sais que je ne serai pas confondu.”(Is 50, 6-7)

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Frères humains, qui après nous vivez,N'ayez les coeurs contre nous endurcis,Car, si pitié de nous pauvres avez,Dieu en aura plus tôt de vous merci.Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :Quant à la chair, que trop avons nourrie,Elle est piéça dévorée et pourrie,Et nous, les os, devenons cendre et poudre. De notre mal personne ne s'en rie ;Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Ses frères vous clamons, pas n'en devezAvoir dédain, quoique fûmes occisPar justice. Toutefois, vous savezQue tous hommes n'ont pas bon sens rassis.Excusez-nous, puisque sommes transis,Envers le fils de la Vierge Marie,Que sa grâce ne soit pour nous tarie,Nous préservant de l'infernale foudre.Nous sommes morts, âme ne nous hait,Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :A lui n'ayons que faire ni que soudre.Hommes, ici n'a point de moquerie ;Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Laissons-nous donc attendrir par l’Esprit de Dieu qui plaidelui-même pour l’homme. Un midrash raconte que le combledes combles c’est lorsque Dieu lui-même entre dans la synago-gue, revêt le talite de prière et prie Dieu pour l’homme. LesRabbins s’interrogent alors : “Que dit Dieu lorsqu’il prie Dieupour l’homme ?” Et la réponse qu’ils donnent est le verset de

clef de l'humilité. L’homme peut-il me ramener plus bas que jene le suis si je me considère comme le dernier et si je considè-re les autres comme supérieurs à moi ? Je n'ai plus rien à crain-dre : seul celui qui possède a peur des voleurs.

Sur Dieu je compte et ne crains plus, que me fait à moi un homme ?

(Ps 56,12)

La réalité de l’Evangile c’est qu’il faut aimer l'homme malgrélui, faire le choix de l'homme car il n'est qu'un enfant blessé. Lemonde est un bac à sable où les enfants-hommes se disputentsauts, rateaux, pâtés de sable. N’entendez-vous pas cette paro-le qui jaillit du Cruxifié : “Père, pardonne-leur ils ne savent pasce qu’ils font.” Dieu aime l'homme malgré lui, il n'y a donc pasd'autre solution que de devenir esclave du monde dans le mêmesens que Jésus l’a fait. Il s’est fait le serviteur de ses disciples,il s’est levé, a pris la cruche, le linge et a lavé les pieds del’homme. Dieu est philanthrope, sa seule préoccupation n'estpas lui-même, c'est l'homme. Un proverbe wolof dit :“L’homme est le remède de l’homme”, c’est bien ainsi, mais sil’homme prend le chemin du serviteur de l’homme.

Plaidoyer pour l'homme

Je sais que je n'ai pas à plaider ma cause devant Dieu car elleest déjà entendue et celui qui m'accuse est aussi celui qui m'ab-sout. Si je plaide la cause de l'homme c'est pour mieux entrerdans le plaidoyer de la miséricorde. Et comment ne pas penserà Villon en écrivant ces lignes dont voici quelques vers :

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L'amour des ennemis

Mon seul ennemi, c'est moi !

Dans ma vie j'ai eu beaucoup d'ennemis mais je n'ai jamaisconsidéré quelqu'un comme mon ennemi, pourtant… J'ai sou-vent dit à mes stagiaires : “Quelqu'un à qui on n'a pas pardon-né est un ennemi qui vit en nous.” J'ai déjà ressenti cette pré-sence accusatrice et gênante en moi... ce qui veut dire que cer-tains pardons sont restés sans totalement aboutir me laissantdans l'âme la morsure du remords. Comme il est difficile d'ai-mer ses ennemis ! Finalement mon seul ennemi c'est moi, c'estcette partie de moi qui n'a pas complètement remis les dettes.De fait l'amour des ennemis est lié au pardon. Et c'est un véri-table travail intérieur. La difficulté est que nous ne nommonspas clairement nos ennemis, que nous ne prions pas spécifique-ment pour chacun d'entre eux, que nous ne les présentons pasà Dieu pour qu'il les bénisse, nous ne plaidons pas leur causeauprès du Père. Si nous ne devons pas faire de procès, c'est-à-dire ne pas nous mettre dans le rôle de l'accusateur et réclamerle remboursement des dettes comme dommage et intérêt, nousdevons nous mettre dans le rôle de l'avocat de la défense. Certains disent : “Je pardonne mais je n'oublie pas.” Ils sontréalistes, ils ne se réfugient pas dans la spiritualisation ou dansle déni, pour dire que leur pardon est inachevé. On ne peut en

l’Exode (34,6) qui est effectivement une prière prononcée parDieu à la face de Moïse : “Seigneur, Seigneur, Dieu de tendres-se et de pitié, lent à la colère, plein de miséricode.”

Mon Dieu, qu’est-ce que l’homme ? Un souffle, une buée quedissipe le jour, sa vie est si brève qu’il n’a pas le temps d’appren-dre à vivre ! Il n’est qu’un enfant et un enfant qui souffre !Chaque acte de méchanceté est l’expression d’une douleur. Toiqui es à la fois notre avocat et notre juge, tu sais que chaquecoupable possède des circonstances atténuantes. Aucunhomme n’atteint jamais vraiment l’âge de raison, d’une raisonpleinement éclairée par la vérité ; ne le tiens pas coupable deson ignorance. Qui a été réellement instruit de la conséquencede ses actes ? Même le plus grand saint est un pécheur qui abesoin de ta miséricorde.Toi qui nous as demandé de pardonner soixante-dix fois septfois, toi qui es la source du pardon, remets-lui toutes ces dettes.Donne-moi de le présumer innocent, donne-moi de ne passoupçonner le mal en lui.

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Que dit saint Paul : “Ne vous vengez pas vous-mêmes, mesbien-aimés, mais laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit :A moi la vengeance, c'est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur.Mais si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s'il a soif,donne-lui à boire, car, ce faisant, tu amasseras des charbonsardents sur sa tête. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais soisvainqueur du mal par le bien.” (Rm 12, 19-21)

La componction conduit à la compassion et la compassion à l'amour des ennemis.

Dans la Bible les charbons ardents ou braises sont liés aux ché-rubins, les anges les plus proches de Dieu, ils symbolisent lesinterventions puissantes de Dieu. Amasser des charbonsardents sur la tête de quelqu'un fait allusion à d'anciens rituelsde purification probablement d'origine égyptienne. Dieu ne sevenge pas à la manière humaine et ce n'est pas la mort dupécheur qu'il désire mais sa conversion. Le feu est celui del'Esprit qui brûle douloureusement celui qui lui résiste mais quipurifie et conduit à la Lumière.

“Sois vainqueur du mal par le bien” devrait être un verset quenous citons souvent, un mot d'ordre qui contribue à fonder uneculture de l'anawa, à édifier une civilisation de l'amour. C'estun principe de l'éthique chrétienne.

Quel sentiment éprouver envers ses ennemis ?

Saint Paul nous invite à avoir en nous les sentiments qui étaient

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L’AMOUR DES ENNEMIS

rester là, le travail de négociation avec l'ennemi intérieur estnécessaire.

Va dans l'âme de ton ennemi et là pleure tes péchés

Au cours d'un partage d'Evangile sur l'amour des ennemisquelqu'un a posé la question : “Jésus nous demande d'aimer nosennemis, mais de quel amour s'agit-il ?” Personnellement je mecontente de ne pas leur en vouloir, de ne pas rendre le mal pourle mal mais je pense que je les ignore plutôt que je ne les aime.Je n'éprouve pas pour eux de sympathie particulière mais si j'enavais l'occasion, je leur ferais du bien. En attendant je ne m'ex-pose pas à eux. Que veut dire “aimer ses ennemis” ? Faut-iléprouver envers eux un sentiment, un dévouement tel que j'enai pour mes amis proches et les membres de ma famille ?La question est importante et la réponse ne peut être que del'ordre d'un vécu spirituel, d'une expérience quasi mystique,d'un charisme qui est de l'ordre du martyre.

Je suis tombé au cours de mes lectures sur un texte d'un spiri-tuel orthodoxe que j'ai malheureusement perdu, je ne peuxdonc citer ma source, mais ce texte m'a profondément impres-sionné et a bouleversé ma façon de vivre le pardon. “Va dansl'âme de ton ennemi et là pleure ton péché, tu attireras une pen-tecôte sur lui.”Désirer le bien de son ennemi est déjà un grand pas en avant,et le bien qu'on lui souhaite est le seul bien nécessaire et suffi -sant, un bien spirituel, une effusion du Saint-Esprit.

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tion : on peut aussi très certainement transposer ici celle quedonne saint Thomas à propos du sacrement de Pénitence. Sedemandant comment les Docteurs exigent que la confessionsoit “accompagnée de larmes” (lacrymosa), alors, dit-il, quepleurer n'est pas en notre pouvoir, il se répond à lui-même quecela doit s'entendre au sens de “larmes intérieures” (lacrymismentis).

Or celles-ci ne sont autre chose que le sentiment appelé com-ponction. La pensée exprimée ici par saint Benoît, c'est quel'oraison doit toujours s'accompagner d'un sincère repentir desfautes commises. Le mot de “componction”, plus couram-ment employé par les Pères que celui de “contrition”, maispour désigner la même chose, vient du mot latin pungere, quiveut dire piquer. Dans cet exercice, l'âme s'applique, enquelque sorte, à enfoncer en elle-même des épines ou desaiguilles pour faire sortir l'infection de ses péchés, comme onperce un abcès pour en faire sortir le pus. Elle considère tour àtour, dans ce dessein, et le bien dont elle s'est privée, et l'ou-trage qu'elle a fait à son Créateur.

L'amitié de Dieu qu'elle a méprisée, la robe d'innocence qu'el-le a souillée, la honte dont elle s'est couverte devant les Angeset les Saints, la colère divine qu'elle a provoquée, l'Enfer qu'el-le a mérité, le Paradis qu'elle a perdu, la joie qu'elle a causéeau démon, les souffrances qu'elle a attirées sur le corps de sonMaître, la peine qu'elle a faite à son Cœur si tendre et à celuide sa divine Mère, tels sont les motifs, et d'autres encore, qu'el-le s'efforce d'enfoncer, à travers la carapace d'insensibilitédont son amour-propre l'a cuirassée, jusqu'à la chair vive deson cœur. Alors un double sentiment la saisit : sentiment decrainte et sentiment d'amour. Elle entrevoit le danger terribleauquel sa lâcheté et sa négligence l'avaient exposée, dangerqu'elle ne soupçonnait pas, parce qu'elle était aveugle. Mais

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L’AMOUR DES ENNEMIS

dans le Christ, lui qui s'est abaissé par amour de l'humanité. Cesentiment est la componction : bonheur de celui qui pleure sonpéché. Elle ne se limite pas au regret de nos fautes, elle blessenotre cœur afin de l'attendrir pour que vienne une douceur, fruitde la douloureuse joie dont parlent les orthodoxes. Le cœur quia pleuré accède au don des larmes. L'amertume comme dansles larmes de Pierre après son reniement, se transforme peu àpeu en douceur et cette douceur nous la ressentons pour les aut-res créatures puis finalement sur le monde entier visible et invi-sible. Nous éprouvons une immense tendresse pour tous lesêtres comme pour les animaux, pour les végétaux et pour lescréatures spirituelles. La tradition du désert et de l'hésychasmeest une véritable école pour nous. L'Orient chrétien considèrele don des larmes comme la preuve que nous avons reçu leSaint-Esprit.Je ne peux me dire chrétien que si j'aime mes ennemis, d'unamour de compassion, en éprouvant de la tendresse pour eux.Prier pour ses ennemis sans cet amour de compassion demeu-re une activité stérile. On ne peut les bénir du fond du cœur etdire d'eux du bien comme on le fait des êtres chers que si notrecœur est devenu semblable au Cœur qui a tant aimé les hom-mes.

Lisons donc cette très belle méditation de Dom de Monléon(Les instruments de la perfection):

En disant donc : cum lacrymis, l'intention de notre bienheureuxPère n'est pas de nous inciter à faire effort pour tirer de nosyeux quelques pleurs. Que veut-il dire au juste ? Certains com-mentateurs pensent que ces mots s'adressent à ceux-là seule-ment que Dieu a gratifiés du don en question, tandis que l'ex-pression qui suit : “Ou avec gémissement” (vel gemitu), viseraitceux qui ne l'ont pas reçu. On peut s'en tenir à cette explica-

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L’AMOUR DES ENNEMIS

l'a proclamé : Si vous aimez ceux qui vous aiment, dit-il, quellerécompense en aurez-vous ? Les publicains n'en font-ils pasautant ? Et si vous saluez ceux qui vous saluent, que faites-vousplus qu'eux ? Les païens n'en font-ils pas autant ? (Lc 6,32)Puisque nous ne différons pas, sous ce rapport, des publicainset des païens, comment ne pas gémir, et gémir amèrement?Quant à cette prière : Pardonnez-nous nos offenses commenous pardonnons à ceux qui nous ont offensés (Mt 6,12), qui laprononcera avec assurance ? Quand nous ne cherchons pasà nuire à nos ennemis, notre cœur nourrit toujours contre euxun ressentiment implacable. Ce n'est pas ainsi que l'entendNotre Sauveur ; il veut que l'on pardonne encore d'une autremanière, il demande que nous mettions nos ennemis au nom-bre de nos meilleurs amis. C'est pourquoi il nous commandede prier pour eux. Vous ne leur faites point de tort, soit : maisvous vous détournez d'eux ; mais vous ne les voyez pas avecplaisir ; mais vous conservez dans votre coeur la plaie de lahaine ; plaie qui va grandissant toujours : vous n'accomplissezdonc pas le commandement du Sauveur. Alors commentosez-vous prier Dieu de vous être propice quand vous ne l'êtespas à ceux qui vous ont offensés : audace impie que le Sagea flétrie quand il a dit : Un homme garde rancune à un autrehomme, et il demande au Seigneur de le guérir ! Cet hommeest sans miséricorde pour son égal, et il ose demander grâcepour son propre péché ! Cet homme est chair, et il conservede la colère ! Et qui donc aura pitié de lui après son péché ?(Si 28,3-5)

Saint Silouane : leçons de compassion et d'amour des ennemis

J'ai dans mes fréquentations spirituelles deux amis orientauxcontemporains : saint Silouane du Mont Athos et saint Nectaire

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la componction a été pour elle ce collyre mystérieux dont leChrist, dans l'Apocalypse, ordonne à l'évêque de Laodicée defrotter ses yeux, pour recouvrer la vue (Ap 3,18). Maintenantelle discerne l'infinie bonté de Dieu qui ne l'a jamais abandon-née, qui la cherchait quand elle le fuyait, qui ne s'est pointrebuté de ses ingratitudes ; et devant tant de miséricorde, tantde tendresse, elle sent son cœur s'amollir en élans de repentir,de reconnaissance et d'amour.

Telles sont les dispositions où l'âme doit chercher à s'établirpour prier avec succès. La prière en effet ne saurait avoir d'ef-ficacité si elle n'est accompagnée de la componction, l'Évan-gile le montre clairement dans la parabole du Pharisien et duPublicain. Le premier priait, mais sans contrition, et Dieu ne l'é-coutait pas ; le second s'accusait de ses fautes, et il sortit dutemple justifié.

Ecoutons également la voix de saint Jean Chrysostome en lisantquelque extraits de son traité sur la componction du cœur :

Enfin, ce qui est plus héroïque que tout cela, ce qui touche àla perfection même, c'est que les gens qui nous traitent ainsi,et qui nous font tort soit dans nos biens, soit dans nos person-nes, nous devons les mettre au rang de nos amis, et de nos pluschers amis : Jésus-Christ l'a commandé. Non seulement, dit-il,ajoutez des dons aux choses que l'on vous a ravies, mais leravisseur lui-même, le spoliateur, aimez-le de l'amour le plus vifet le plus sincère. C'est bien là, en effet, ce que le Sauveur avoulu nous déclarer, quand il a dit : “Priez pour ceux qui vouscalomnient” (Lc 6,28) car on ne prie d'ordinaire que pour sesmeilleurs amis. Gardez-vous de vouloir trouver de l'exagérationdans ces paroles, évitez ce piège que vous tend le démon,écoutez les motifs que nous donne de ce précepte celui qui

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tous les hommes. Le Seigneur savait que si nous n'aimions pasnos ennemis, nous n'aurions pas la paix dans l'âme ; et c'estpourquoi il nous a donné ce commandement : “Aimez vosennemis.” Si nous n'aimons pas nos ennemis, notre âme ne setrouvera dans un certain calme que par moments ; mais si nousles aimons, la paix demeurera jour et nuit dans notre âme.

Veille dans ton âme à la paix donnée par la grâce de l'EspritSaint ; ne la perds pas pour des futilités. Si tu donnes la paix àton frère, le Seigneur te donnera incomparablement plus ; maissi tu causes de la peine à ton frère, alors, à coup sûr, l'afflictions'abattra aussi sur ton âme.

Prière de saint Silouane

Seigneur, apprends-nous par ton Esprit Saint à aimer nos ennemis et à prier pour eux avec des larmes.

Seigneur, répands l'Esprit Saint sur la terre afin que tous les peuples te connaissent et apprennent ton amour.

Seigneur, comme tu as prié pour tes ennemis, ainsi apprends-nous, à nous aussi, par l'Esprit Saint, à aimer nos ennemis.

Seigneur, tous les peuples sont l'œuvre de tes mains ; détourne-les de la haine et du mal vers le repentir pour que, tous, ils connaissent ton amour.

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d'Egine. Je me suis mis à leur école et je les ai beaucoup priéspour accepter la persécution dans la douceur et pour aimer mesennemis. Voici quelques extraits de biographie de saintSilouane par l'archimandrite Sophrony :

Mais celui qui n'aime pas ses ennemis, ne peut connaître leSeigneur ni la douceur de l'Esprit Saint. Le Saint-Esprit apprendà tant aimer les ennemis que l'on aura compassion d'euxcomme de ses propres enfants. Il y a des hommes qui souhai-tent la damnation et les tourments dans le feu de l'enfer à leursennemis ou aux ennemis de l'Église. Ils pensent ainsi parcequ'ils n'ont pas appris du Saint-Esprit à aimer Dieu. Celui qui l'aappris, verse des larmes pour le monde entier.

Tu dis : “C'est un criminel, qu'il aille donc brûler dans le feu del'enfer.” Mais je te demande : “Si Dieu te donnait une bonneplace dans le Paradis et que, de là, tu voies dans le feu celuiauquel tu as souhaité les tourments, n'aurais-tu pas alors pitiéde lui, quel qu'il soit, même s'il est un ennemi de l'Église ?”Ou bien aurais-tu un cœur de fer ? Mais dans le Paradis on n'apas besoin de fer. Là, on a besoin de l'humilité et de l'amourdu Christ, qui a compassion de tous.

Celui qui n'aime pas ses ennemis n'a pas la grâce de Dieu.

Mais on ne peut aimer ses ennemis que par la grâce du Saint-Esprit. C'est pourquoi, dès que quelqu'un t'a blessé, prie Dieupour lui, et tu garderas la paix et la grâce divine. Mais si tumurmures contre ton supérieur et le critiques, tu deviendras toi-même irascible comme lui. Nous ne pouvons pas avoir la paix si nous ne demandons pasde tout notre être au Seigneur de nous donner la force d'aimer

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Non violence évangélique

Pour en finir avec la violence

Comme l'a montré René Girard, toutes les sociétés sont fon-dées sur la violence. Au début était le sacrifice ; sacrifier signi-fie littéralement fabriquer du sacré.Les religions sont doncintrinsèquement productrices de violence. Des flots de sangcoulaient du Temple de Jérusalem, violence qui réconciliaitdans le sang la société avec son dieu. Jésus ne met pas un termeaux sacrifices en les abolissant mais en les prenant sur lui. Ilinaugure le premier principe de la non-violence. Il devientl'Agneau du sacrifice rendant ainsi nul tout autre sacrifice. “Lechâtiment qui nous rend la paix est sur lui” (Is 53,5).A sa suitetoute violence sera illégitime. Il a voulu nous conformer à lui,qui dans la plus extrême des violences de la passion, s'est com-porté avec la plus extrême des douceurs. La non-violence est lerenoncement à toute forme de violence, ce qui n'est possibleque si on a renoncé à dominer quoique ce soit ou qui que ce soitdans le monde. L'Eglise ne pourra donc être qu'une force spiri-tuelle qui proclame la venue du Royaume des Cieux, en aucuncas elle ne pourra prétendre à un pouvoir temporel. Le sel de laterre n'est pas la terre car si le sel prend le goût de la terre com-

Seigneur, tu as donné le commandement d'aimer les ennemis, mais cela nous est difficile, à nous autres pécheurs, si ta grâce n'est pas avec nous.Seigneur, répands ta grâce sur la terre. Donne à tous les peuples de la terre de connaître ton amour,de connaître que tu nous aimes comme une mère, et plus qu'une mère : une mère peut oublier son enfant, mais, toi, tu n'oublies jamais, car tu aimes sans mesure ta créature, et l'amour ne peut oublier.

Seigneur miséricordieux, dans la richesse de ta bonté, sauve tous les peuples.

L’AMOUR DES ENNEMIS

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NON VIOLENCE EVANGÉLIQUE

La non-violence est une violence de l'amour

La réponse non-violente à la violence de l'ennemi consiste àinterpeller sa conscience. Deux choses sont alors nécessaires :avoir foi en Dieu et croire en l'homme qu'il a créé. Croire quecet homme possède une conscience capable de concevoir lebien et donc de se rendre compte qu'il fait le mal. Tendre l'au-tre joue est une véritable violence d'amour faite à celui qui faitle mal. Il faut donc aimer son ennemi pour être capable depayer le prix.

Vous pourriez peut-être nommer des personnes qui, aprèsavoir distribué aux pauvres une bonne partie de leurs biens,sont tombées plus tard dans le mépris par suite de leur indigen-ce, et qui supportent leurs malheurs avec patience : je dis d'a-bord que vous en citerez peu de semblables, bien peu ; je disde plus que ce n'est point encore là le sage, dont l'Evangilenous fait ici la peinture : celui-ci est beaucoup plus parfait.

Il y a infiniment moins de mérites à donner une partie de sesrichesses qu'à supporter qu'on vous dépouille du peu que vouspossédez. Que dis-je supporter ? Jésus-Christ ne nous défendpas seulement de nous plaindre de ceux qui nous dépouillent; il nous ordonne encore d'offrir volontairement ce qu'on nouslaisse, et de triompher de l'acharnement de notre ennemi parune patience supérieure à sa rage. L'homme injuste qui faittort à son frère, s'aperçoit-il qu'il s'attaque à un homme dispo-sé à tout souffrir, et qu'en assouvissant son propre désir de malfaire, il n'a pu satisfaire l'amour de sa victime pour la souffran-ce, alors il se retire vaincu, tout couvert de honte à la vue decette héroïque patience, et assurément, cet homme injuste,fût-il une bête féroce, fût-il quelque chose de pire encore, sera

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NON VIOLENCE EVANGÉLIQUE

ment lui rendra-t-on sa saveur ?

La royauté du Christ ne vient pas de ce monde, sinon des angesse seraient battus pour lui afin de l'instaurer. La terre promise aété conquise par les armes et dans l'effusion du sang mais leRoyaume messianique annoncé par les prophètes se fera par lecombat spirituel et inaugurera une ère de paix où l'on transfor-mera les épées en soc de charrue. Alors celui qui prendra l'épéemourra par l'épée. La théocratie est aux antipodes de la souveraineté du Christ.Nous n'aurions jamais dû accepter de nous battre sur le mêmeterrain que celui du pouvoir, qu'il soit législatif ou judiciaire, laforce du témoignage suffit qui peut faire basculer des empirespar la puissance de la vérité. Un chrétien ne peut être qu'unmartyr c'est-à-dire un témoin. La fin du martyre c'est la fin dela proclamation du Royaume des Cieux. Bienheureux temps dela persécution qui donna à l'Eglise une fécondité inouïe.

La perte de l'espérance messianique fait que l'on cherche àbâtir une cité terrestre avec les moyens humains qui entraînentinjustice et violence. Dès la victoire de Constantin les chrétienssont appelés à collaborer avec un état et un pouvoir, or la col-lusion avec le pouvoir entraîne une justification de la violence.

Par la bouche des tout-petits et des nourrissons, tu as fondé une forteresse contre tes adversaires,

pour réduire au silence l'ennemi revanchard. (Ps 8,2)

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Le levain des pharisienset des sadducéens

Libéralisme et conservatisme meurtriers de l'anawa

Jésus leur dit : Veillez à vous garder du levain

des pharisiens et des sadducéens.(Mt 16,6)

Le levain

Sauf dans une seule occurrence, le levain est considéré dans lesEcritures comme le principe du mal. En hébreu, “levain” se dithametsc'est-à-dire “acidité”. Cette connotation négative estliée à l'Exode et donc à la Pâque. La recherche du hametsestun rite de préparation à la fête de la Pâque juive. On fouilletoute la maison pour découvrir tout ce qui pourrait contenir del'acidité.“Qu'est-ce que le hamets?” On range sous cette appellation toutproduit composé d'une des 5 espèces de céréales suivantes :blé,

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NON VIOLENCE EVANGÉLIQUE

plus modéré à l'avenir, frappé du contraste de sa méchance-té avec la vertu de son frère.

(Saint Jean Chrysostome, Traité de la componction)

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LE LEVAIN DES PHARISIENS ET DES SADDUCÉENS

Un peu de levain fait lever toute la pâte.

(Ga 5,9)

Les sadducéens

Le même avertissement de Jésus à ses disciples chez Marc etchez Matthieu met en équivalence Hérode et les sadducéens.Ce “renard” d'Hérode ! qui a fait ami-ami avec les romainspour conserver son pouvoir. Intelligence maligne et cynique !

Le mouvement sadducéen qui recrute parmi la caste sacerdota-le est né avec la conquête séleucide. Les sadducéens ont soute-nu le conquérant grec et ont prôné la collaboration en s'helléni-sant, s'opposant ainsi à la résistance hasmonéenne (cf. Livresdes Macchabées).

Le cléricalisme fabrique des hommes attachés à leur pouvoirqui considèrent avec condescendance le petit peuple qui pour-tant est l'Eglise. Ils parlent de la piété populaire avec un certaincynisme. Pour garder leur pouvoir ils sont prêts à une certainecollaboration avec le pouvoir en place. Ce sont des juifs hellé-nisés, des intellectuels qui s'en tiennent à la seule Loi de Moïseet rejettent la tradition orale et ses rajouts en matière de rites etde prescriptions supplémentaires. On sait qu'ils rejettent troisarticles de foi de leurs adversaires pharisiens : l'éternité del'âme, la résurrection des morts, l'existence du monde angé-lique. Ils sont rationalistes à la manière des philosophes grecs,surtout aristotéliciens, et nient la présence du monde invisible(anges ou démons), la providence et l'intervention directe de

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LE LEVAIN DES PHARISIENS ET DES SADDUCÉENS

orge, avoine, épeautre, seigle, qui sous l'action de ferments, dela chaleur, ou de l'humidité subissent le processus de la fermen-tation. Tout aliment contenant un tant soit peu de hametsestlui-même interdit, durant la Pâque juive.

Exemples de produits hamets :pains, bière, de nombreuses pâtisseries.

Exemples de produits pouvant être, selon les cas, hamets :alcool, vinaigre, glucose, boissons, moutarde, parfums, médicaments. (viejuive.com)

Le vin de la Pâque sera lui-même préparé de manière à ne pascomporter de hametset recevra un certificat du grand rabbinatpour recevoir l'appellation de “casher lepessah”.Une nuit estfixée avant Pessach(la Pâque) pour la recherche du hamets,cela se fait à la lumière d'une bougie et revêt pour les enfantsun caractère pédagogique certain. Le lendemain matin on brûleà l'extérieur les produits alimentaires hamets,les autres pro-duits peuvent être vendus ou confiés à des non juifs.

Le levain sera donc synonyme des mauvaises habitudes, deséjourner dans l'état d'esclave au lieu d'être un peuple libre eten marche. Le pain sans levain de la célébration pascale estappelé en araméen pain de l'anawa !

“Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle,puisque vous êtes sans levain ; car le Christ, notre Pâque, a étésacrifié. Célébrons donc la fête, non pas avec du vieux levain,ni avec un levain de malfaisance et de méchanceté, mais avecles pains sans levain de la sincérité et de la vérité.” (1 Cos 5, 7-8)

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LE LEVAIN DES PHARISIENS ET DES SADDUCÉENS

tire de son trésor des choses nouvelles et des choses ancien-nes.” (Mt 13,52)

Le néo-pharisaïsme connaît en ce moment son heure de gloire.Malgré les appels répétés des papes à ne pas avoir peur, c'estbien celle-ci qui domine. La peur du relativisme conduit à refu-ser les avancées théologiques de Vatican II et beaucoup revien-nent en arrière, nostalgiques d'un âge d'or mythique de la chré-tienté.

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LE LEVAIN DES PHARISIENS ET DES SADDUCÉENS

Dieu dans nos vies.Les courants libéraux modernes ne sont pas sans rappeler cecourant théologique, l'exégèse historico-critique et la démytho-logisation, l'engagement politique à gauche, le rejet de la piétépopulaire.

Les pharisiens

Jésus renvoie dos à dos les pharisiens et les sadducéens dansleur incapacité à accueillir le miracle de la Bonne Nouvelle duRoyaume exprimée dans le contexte par la multiplication despains. Les pharisiens sont des ultra conservateurs qui viventdans la peur, je devrais dire dans les peurs. Peur de voir leurreligion disparaître, scrupule obsessionnel de ne pas accomplirles commandements et les rites prescrits correctement.

Lui leur faisait cette recommandation : Ouvrez l'œil et gardez-vous du levain des pharisiens et du levain d'Hérode.

(Mc 8,5)

L'obsession de la pureté doctrinale et physique les éloigne de lapureté véritable qui est la pureté de cœur des Béatitudes, lapureté théologale. Sur le plan de la doctrine, Jésus est beaucoupplus proche d'eux qu'il ne l'est des sadducéens, mais l'anciendoit servir de base au nouveau ; se replier sur l'ancien c'est met-tre un vin nouveau dans des outres anciennes. L'attitude justeest contenue dans la formule nova et vetera :“Et il leur dit :C'est pourquoi, tout scribe instruit de ce qui regarde leRoyaume des Cieux est semblable à un maître de maison qui

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POUR UNE CULTURE DE L’ANAWA

par l'Esprit, qu'elle est pauvre, douce et humble. Reconnaître sapauvreté, c'est pouvoir pleurer son péché. Or, pleurer sonpéché, c'est attirer immédiatement l'effusion du Saint Esprit, etc'est faire vivre le Corps du Christ, c'est tout. Et tous les sacre-ments convergent vers cela.

L'Esprit-Saint donne beaucoup d'audace au cœur même de lafaiblesse : c'est quand je suis faible que je suis fort, dira saintPaul. Pourtant devant les difficultés, pour ne pas dire la crisequi a commencé avec Vatican II, beaucoup cherchent à conso-lider l'Eglise, à la rendre plus résistante aux coups, à former desélites qui tiennent le choc et contiennent les assauts du monde.Cette attitude, bien compréhensible, ressemble à celle des pha-risiens qui renforçaient la loi et ses nombreux préceptes parpeur que le judaïsme ne sombre dans ce temps de crise qu'étaitl'époque néo-testamentaire. Que signifie que nous ayons étéaffranchis de la loi, si non contents d'avoir hérité du juridismelatin, nous multiplions encore les interdits et vivons dans lacrainte ? Cette attitude nous éloigne du chemin que Jésus nousa montré.

L'identification du Christ aux pauvres et des pauvres au Christ

Le grand défi qui est adressé aux chrétiens c'est d'écouter laparole du Christ car il est le Chemin, la Vérité et la Vie. Or lechemin qu’il a pris est celui du pauvre qui cherche la dernièreplace, qui se donne sans retour sur soi-même et sans rien atten-dre en retour, qui donne à celui qui prend, qui va au-delà dubesoin de l'autre, qui s'abandonne totalement à la Providence

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Pour une culture de l’anawa

Apprenez de moi que je suis un anaw

Au fur et à mesure de ces citations où le terme anawa estemployé, nous pouvons voir émerger le visage du Christ douxet humble de cœur. Le véritable pauvre c'est le Christ. Or, ledisciple n'est pas au-dessus du maître, il tente au contraire d'at-teindre sa stature. Au lieu d'avoir reçu le nom de chrétiens c'est-à-dire de messianiques nous aurions pu, si le christianisme nes'était pas répandu rapidement dans le monde gréco-romain,être désignés par le nom d'anawim, c'est-à-dire de pauvres.

En deux millénaires de christianisme, l'Eglise s'est illustréesurtout dans ses saints qui ont pu donner au monde l'imaged'autres Christ, serviteurs souffrants doux et humbles. Mais lesconditions historiques conjuguées à la faiblesse humaine ontfait que les représentants de Dieu se sont illustrés par la force,le maintien de l'ordre, allant même jusqu'à la violence et à l'op-pression des corps et des consciences. Reconnaître ses erreurshistoriques est la plus grande preuve que l'Eglise est conduite

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POUR UNE CULTURE DE L’ANAWA

d'autres collaborent avec l'occupant pour des raisons idéolo-giques ou simplement par opportunisme ou par intérêt person-nel. La culture est hellénisée et beaucoup profitent de la paxromanaen se réjouissant de posséder la nationalité romaine.En tout cas Israël est loin de Dieu et il n'y a plus de prophètepour faire revenir le cœur du peuple vers son Seigneur. Le paysest gouverné par un roi d'opérette, le peuple est comme un trou-peau sans berger qui erre de-ci de-là. Le Talmud est formel :l'Esprit-Saint ne soufflait plus, on était comme en exil dans sonpropre pays. L'irruption d'un Jean-Baptiste va être un événe-ment majeur.

Dans ce patchwork, ce temps de crise, nous rencontrons lesanawim : quelques personnages des Evangiles de l'enfance sontremplis d'espérance, il s'agit d'un petit reste, des pauvres duSeigneur qui persévèrent dans la prière et qui se rendent régu-lièrement au Temple quand ils n'ont pas élu domicile dans sesmurs. Ces anawim qui se visitent, se reconnaissent et prientensemble sont l'embryon de l'Eglise primitive et nous lesdécouvrons avec les premières pages de l'Evangile de Luc.Comme les premiers chrétiens, ils chantent des cantiques inspi-rés par l'Esprit, ils bénéficient de visions et visites du Ciel :

Zacharie et Elisabeth qui sont appelés justes(tsadiq).L'ange du Seigneur, Gabriel apparaît à Zacharie. Zachariechante son cantique inspiré. Elisabeth chante son cantique d'é-merveillement.

La Vierge Marie et son époux Joseph surnommé le juste(tsadiq).Marie chante le Magnificat.

Syméon dont il est écrit qu'il était un homme juste et pieux

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du Père, qui a un faible pour ce qui est faible et qui ne s'arrêtepas à l'apparence, qui considère que la seule autorité possibleest celle du serviteur, etc. Je crois que par la vertu d'une nou-velle Pentecôte, l'Eglise que nous formons va donner au mondela vision du vrai visage de Dieu, pauvre, doux et humble, inno-cent de tout mal.Je connais un mystique qui dit : “Quand j'affirme que je vois laVierge je peux me tromper, mais quand je dis que je vois Jésusdans les pauvres, je sais que je ne me trompe pas.”

Mais l'Evangile nous pousse à aller plus loin que l'affirmationdu concile qui reconnaît dans les pauvres une “image” duChrist, car le Seigneur lui-même nous demande de le reconnaî-tre en personne : “En vérité, je vous le déclare, chaque fois quevous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères,c'est à moi que vous l'avez fait !” (Mt25,40)

Dans les pauvres et les souffrants, l'Eglise reconnaît l'image de son fondateur

pauvre et souffrant.(Lumen gentium 8)

Le groupe de prière charismatique des anawim

Le paysage politico-religieux d'Israël au moment de la venuede Jésus est extrêmement contrasté et divisé. On peut parlerd'un mouvement conservateur qui prône la dureté et d'un cou-rant libéral qui ne croit ni aux anges ni à la résurrection.Certains ont opté pour le terrorisme en matière de résistance et

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rez Dieu le Père au nom de notre Seigneur Jésus-Christ.(Ep 5, 18-20)

Et encore :

Que la Parole du Christ réside au milieu de vous dans toute sarichesse : qu'elle vous inspire une pleine sagesse, pour vousinstruire et vous avertir les uns les autres ou pour chanter à Dieude tout votre cœur des psaumes, des hymnes et des can-tiques inspirés par l'Esprit afin d'exprimer votre reconnaissanceà Dieu. (Col 3,16)

Ces cantiques inspirés par l'Esprit sont appelés en hébreu shirau pluriel shirim (cf. livre d’Ephraïm Lecture amoureuse de laParole, Editions du Jubilé, 1985). Tous les psaumes ne sont pasappelés shir et le cantique par excellence est le cantique descantiques shir ha shirim.Dans l'Ancien Testament nous trou-vons ainsi un certain nombre de cantiques que les exégètessoupçonnent d'être des pièces rapportées plus tardivement maisque la liturgie nous rappelle régulièrement, comme le cantiquede Myriam et de Moïse, celui d'Anne mère de Samuel, précur-seur du Magnificat, celui des jeunes gens dans la fournaise,celui de Daniel, celui de Judith, etc...

Les anawim étaient connus pour avoir le psautier comme livrede prière où les thèmes de l'anawa sont chantés, mais c'est leMagnificat qui est le point culminant. Nous citerons d'abord leCantique d'Anne qui le préfigure.

Anne pria et dit :Mon cœur exulte en Adonaï, ma force s'élève en Adonaï, ma bouche est large ouverte contre mes ennemis,

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(tsadiq et hasid). Il attendait la consolation d'Israël, et l'EspritSaint était sur lui.

Anne reconnue comme prophétesse,elle était hassiden serendant chaque jour au Temple.

Tous ces personnages se visitent, se rencontrent, prient et chan-tent, espèrent en un prompt secours du ciel, en une venueimminente du Messie, dans une fervente tension eschatolo-gique, comme les premiers chrétiens, comme les groupes deprières charismatiques. Ils se reconnaissent entre eux à la lumi-nosité de leur visage, à leur humble rayonnement, à leur dou-ceur. Je me souviens qu'au début de la communauté nous atten-dions la visite d'une religieuse américaine, le frère qui alla lachercher à la gare fut étonné de la voir se diriger directementvers lui. Quand il lui demanda comment elle savait qui il était,elle répondit qu'elle avait vu dans la foule : a beaming face, unvisage rayonnant. On se reconnaissait dans les débuts durenouveau !

Dans la communauté des anawim, dans les Evangiles de l'en-fance, des charismes se manifestent, comme le chant inspiré etla prophétie. Les cantiques, les chants inspirés par l'Esprit,encore appelés Chant Nouveau, témoignent d'une ivresse spiri-tuelle qui est celle de la Pentecôte. Tout renouveau est signalépar de nouveaux cantiques qui portent une onction spéciale :

Ne vous enivrez pas de vin, cela vous conduirait à une vie dedésordre, mais laissez-vous constamment remplir par l'Esprit :ainsi vous vous encouragerez mutuellement par le chant depsaumes, d'hymnes et de cantiques inspirés par l'Esprit, vouslouerez le Seigneur de tout votre cœur par vos chants et vospsaumes ; à tout moment et pour toute chose, vous remercie-

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le Très-Haut tonne dans les cieux. Adonaï juge les confins de la terre, il donne la force à son Roi, il élève la force de son Messie. (1 S 2, 1-10)

A la lecture et à la méditation de cette hymne on peut se direqu'elle appartient à un genre littéraire propre aux anawim, saparenté avec le Magnificat est si grande que nous pouvons légi-timement nous dire que les paroles inspirées à la Vierge étaitpratiquement l'hymne national des Pauvres du Seigneur.

Le Magnificat

Lors de la Visitation c'est une anaw fille d'anaw qui va saluerune autre anaw. La stérilité biologique comme celle d'Anne,mère de Samuel, ou la virginité qui leur interdisait d'enfanter,en faisait des pauvres et c'est l'occasion de proclamer laBéatitude de Marie : Bienheureuse celle qui a cru !Il se produit une effusion de l'Esprit dans la maison d'AïnKarem, la Source de la Vigne, produisant un tressaillement dejoie dans le sein d'Elisabeth et dans tout l'être de la Vierge : labonne nouvelle est confirmée, le petit reste d'Israël va connaî-tre son Messie et la fin de l'oppression de l'orgueil et du mal estenfin arrivée.

Le Magnificat est une hymne comme les autres hymnes duNouveau Testament adoptées par la communauté primitive.C'est un patchwork de citations vétéro-testamentaires queMarie aurait pu, sous l'inspiration de l'Esprit, assembler danscette circonstance bien précise. Mais songeons au “Notre

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car je me réjouis en ton secours.

Point de Saint comme Adonaï (car il n'y a personne excepté toi), point de Rocher comme notre Dieu.

Ne multipliez pas les paroles hautaines, que l'arrogance ne sorte pas de votre bouche, car Adonaï est un Dieu plein de savoir et par lui les actions sont pesées.

L'arc des puissants est brisé, mais les défaillants se ceignent de force.Les rassasiés s'embauchent pour du pain, mais les affamés cessent de travailler.

La femme stérile enfante sept fois, mais celle qui a de nombreux fils se flétrit.C'est Adonaï qui fait mourir et vivre, qui fait descendre au shéol et en remonter.

C'est Adonaï qui appauvrit et qui enrichit, qui abaisse (shafal) et aussi qui élève.Il retire de la poussière le faible, du fumier il relève le pauvre, pour les faire asseoir avec les nobles et leur assigner un siège d'honneur ; car à Adonaï sont les piliers de la terre, sur eux il a posé le monde.

Il garde les pas de ses fidèles, mais les méchants disparaissent dans les ténèbres (car ce n'est pas par la force que l'homme triomphe).Adonaï, ses ennemis sont brisés,

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Les autres hymnes de l'anawa

Cantique de Zacharie

Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce qu'il a visité et racheté son peuple, et nous a suscité un puissant Sauveurdans la maison de David, son serviteur,

Comme il l'avait annoncé par la bouche de ses saints prophètes des temps anciens, un Sauveur qui nous délivre de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent !

C'est ainsi qu'il manifeste sa miséricorde envers nos pères, Et se souvient de sa sainte alliance,

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POUR UNE CULTURE DE L’ANAWA

Père”, Jésus a repris une prière existante qui était et qui esttoujours pour les juifs le Quaddish.Il a tiré de son cœur le nou-veau et l'ancien. La grande nouveauté est que cette prière desorphelins, il en fait la prière des enfants adoptés en la faisantprécéder du mot Abba, papa. De même pour l'institution del'Eucharistie, il a repris les paroles du Quiddush que l'on réciteencore si fréquemment dans les repas juifs. Je crois que Mariea procédé de la même manière en s'appropriant la confessionde foi des anawim. Sinon elle ne s'attribuerait pas à elle-mêmele qualificatif d'humble. Non, elle reconnaît l'action du Père quis'est penché sur sa servante anaw, c'est ce que dit le texte.

C'est la fidélité de Dieu envers son peuple qui est chantée à tra-vers un petit reste ! Nous retrouvons tous les termes de l'anawadans le Magnificat :

Il a déployé la force de son bras ; Il a dispersé ceux qui avaient dans le coeur des pensées orgueilleuses.

Il a renversé les puissants de leurs trônes, Et il a élevé les anawim.

Il a rassasié de biens les affamés, Et il a renvoyé les riches à vide.

Comme il l'avait dit à nos pères,Envers Abraham et sa postérité pour toujours.

Intervention eschatolo-gique de Dieu au tempsfavorable

Rétablissement de justice (tsedaqa)

Rétablissement de l'or-dre originel voulu parla loi de Moïse sansriche ni indigent

Fidélité de Dieu à sespromesses, qui aboutit àla venue du Messie

Piété (hasidout) charis-matique, dévotion de toutl'être, hymne qui chante letriomphe de Dieu commecelui de Myriam.

Marie se reconnaît comme anaw.

La béatitude est promiseaux anawim.

Les grandes choses(niphlaoth) sont les mer-veilles de jadis quand Dieumarchait avec Israël.

Les anawim sont les craignant Dieu.

Et Marie dit : Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit se réjouit en Dieu, mon Sauveur,

Parce qu'il a jeté les yeux sur l'anawa de sa servante.

Car voici, désormais toutes les générations me diront bienheureuse.

Parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses. Son nom est saint,

Et sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent.

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il s'est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu'à la mort, la mort sur la croix.

C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé et lui a accordé le nom qui est au-dessus de tout nom, pour qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue reconnaisse que Jésus-Christ est le Seigneur à la gloire de Dieu, le Père.(Ph 2, 5-11)

2) L'hymne à la charité

La confession de foi de saint Paul en l'anawa. Le véritableamour : don total, douceur et humilité...

Nous retiendrons le terme amour plutôt que charité parce quedans le français moderne il garde un champ sémantique trèslarge qui couvre aussi la piété, la dévotion, la charité envers lesautres. Nous ne possédons pas de terme qui soit propre à l'a-mour chrétien comme l'est agapéen grec. Le mot charité aconnu une mauvaise fortune et est entendu aujourd'hui commeune forme édulcorée de l'amour, un amour par devoir que l'onconsent du bout des doigts ou du bout des lèvres, nous faisonsla charité mais nous ne vivons pas de charité comme on vit d'a-mour. Le terme pitié a connu un même sort. Quand nous disons“Seigneur prends pitié”, nous ferions mieux de traduire“Seigneur fais descendre sur nous ta grâce, ta consolation, tatendresse”. Notre culture est devenue allergique à certainsvocables judéo-chrétiens.Notons que pour qualifier l'amour, saint Paul n'utilise pas de

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Selon le serment par lequel il avait juré à Abraham, notre père, De nous permettre, après que nous serions délivrés de la main de nos ennemis, De le servir sans crainte, En marchant devant lui dans la sainteté et dans la justice tous les jours de notre vie.

Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ;Car tu marcheras devant la face du Seigneur, pour préparer ses voies, Afin de donner à son peuple la connaissance du salut Par le pardon de ses péchés, Grâce aux entrailles de la miséricorde de notre Dieu, En vertu de laquelle le Soleil levant nous a visités d'en haut,Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, Pour diriger nos pas dans le chemin de la paix. (Lc 1, 68-79)

Les hymnes de saint Paul

1) L'hymne de l'épître aux Philippiens, “Le chemin de la kénose et de l'humilité”

C'est un véritable écho du Magnificat :

Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ : lui qui était vraiment divin, il ne s'est pas prévalu d'un rang d'égalité avec Dieu, mais il s'est vidé de lui-même en se faisant vraiment esclave,en devenant semblable aux humains ; reconnu à son aspect comme humain,

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Nous le voyons, l'amour qui est décrit dans cette hymne estcelui de Dieu manifesté en Jésus-Christ. Il est celui que l'on nepeut vivre que par participation à la vie divine infusée parl'Esprit. Nous pourrions le résumer comme un amour doux ettendre pour les ennemis au milieu de la persécution et desafflictions que la vie réserve aux disciples de l'Agneau. Cetamour qui excuse tout et qui croit tout n'est pas laxiste, il tra-duit le regard du Père sur ses enfants blessés et qui ne sontméchants qu'à cause de leurs souffrances. Cet amour a déjàparlé sur la croix quand il a dit : Père, pardonne-leur, ils nesavent pas ce qu'ils font.

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substantifs ou d'adjectifs, il n'emploie que des verbes pourmontrer que l'amour est mouvement permanent, comme lagrâce qui est action de grâce, mouvement de grâce. Commeaucune traduction ne nous satisfait, tentons la nôtre en sachantqu'elle aura ses faiblesses et qu'une traduction parfaite estimpossible. Nous tenterons de retrouver les mots hébreux etleur sens spirituel sous les mots grecs, ce sera donc comme untargum, une traduction-commentaire de “l’Hymne à l’amour”.(1 Co 13, 4-7)

L'amour pratique l'oubli de soi.

L'amour ne provoque pas.

L'amour ne soupçonne pas le mal,Il ne se réjouit pas de l'injustice mais il met sa joie dans la vérité.Il excuse tout en couvrant de silencela faute des autres.

Il croit tout, il garde sa confiance malgré tout,Il espère tout en sachant que son espérance ne sera pas déçueIl supporte tout.

Faire des recherchespour soi-même, être zélépour soi-même

Paroxuno : irriter, pous-ser à la colère, conduireau paroxysme

Couvrir de silence, garder secret la faute des autres

upomeno : endurer, sup-porter bravement et cal-mement les mauvais trai-tements, demeurer fermedans la foi, patienter

Makrothumos : faire s'é-loigner la passion et lacolère, agir avec douceur,être patient dans l'épreuve

Chresteuomai : se mon-trer doux, être aimable,user de bonté, être bon,serviable, bienveillant

Zeloo : désirer ardem-ment, zèle et jalousie ontla même éthymologie enfrançais, envier

Perpereuomai : fanfaron-ner, se vanter, se présen-ter à son avantage

Phusioo (hébreu gavah) :s'élever, s'enfler d'orgueil

Aschemoneo : faire des cho-ses inconvenantes, mais enrevenant à la racine on peutaussi traduire par ne pasposséder d'attachement

L'amour sait prendre le mal enpatience dans l'épreuve et dans lesoffenses.

L'amour est remplide toutes sortes de bontés.

L'amour ne convoite rien des qualités ou des biens d'autrui.

L'amour sait s'effacer devant les autres.

L'amour ne s'élève pas au-dessus des autres.

L'amour n'agit pas de manière choquante.

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L’argent trompeur

Les richesses

L'Evangile prêche une conduite qui peut paraître insenséequand il s'agit de l'argent. Il va au-delà de toute prudencehumaine, de toute sagesse, des limites même de la raison :“Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celuiqui veut t'emprunter quelque chose.” (Mt 5,42)et “là où est tontrésor, là aussi est ton cœur” (Mt 6,21) et plus lapidaire encore :“Ne résiste pas à celui qui te vole.” (Mt 5,39)

Comme le dit saint Paul, se laisser dépouiller est une joie : “Eneffet, vous avez été sensibles au sort des prisonniers, et vousavez accepté avec joie qu'on vous arrache vos biens, sachantque vous aviez des possessions supérieures, qui demeurent.”(He 10,34)

L'Evangile fait montre d'une sévérité sans appel envers lesriches : “Mais malheur à vous, les riches, car vous avez votreconsolation.” (Lc 6,24) et encore : “Je vous le répète, il est plusfacile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à unriche d'entrer dans le Royaume de Dieu.” (Mt 19,24)

Quand j'étais enfant, je vivais douloureusement la contradic-tion entre la pureté évangélique et la conduite des chrétiens. Je

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L'amour nous invite au pardon inconditionnel.

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L’ARGENT TROMPEUR

abomination qui mérite la mort : “...prête à intérêt et exige desrentes, ce fils-là vivrait ! Il ne vivra pas, il a fait toutes ces abo-minations, il sera mis à mort. Que son sang soit sur lui !” (Ez 18,13)

La Loi est formelle, claire et nette : “Si tu prêtes de l'argent àmon peuple, au pauvre (ani) qui est avec toi, tu ne seras pointà son égard comme un créancier, tu n'exigeras de lui point d'in-térêt.” (Ex 22,25)

Jérémie considère comme vertu non seulement le fait de ne pasprêter à intérêt mais aussi de ne pas emprunter, ce qui signifieque le pauvre ne compte que sur la Providence divine ! “Quel malheur pour moi, ma mère, que tu m'aies fait naître,moi, un homme de querelle et de dispute pour tout le pays ! Jen'emprunte ni ne prête, et pourtant tous me maudissent.” (Jr 15,10)

A l'origine, en Israël on n'empruntait pas d'argent mais desobjets ou des aliments indispensables. Peu à peu les choses ontévolué et le prêt d'argent a été régulé par une jurisprudencecensée protéger le droit du plus pauvre, notamment quandcelui-ci avait déposé quelque chose en gage : “Si cet hommeest pauvre, tu ne te coucheras point, en retenant son gage.” Si on pouvait prêter à intérêt à un étranger il devait être traitéavec humanité surtout s'il était pauvre, on devait prévoir delaisser de la nourriture à sa portée, comme le coin des champsque l'on ne moissonnait pas, ou les raisins que l'on laissait surles pieds de vigne après la vendange.Aucun autre peuple n'a jamais eu une telle culture qui donne aupauvre de tels privilèges. On peut même dire qu'au cours du salutle pauvre gagnera ses lettres de noblesse et que la pauvreté pas-sera du statut social de défavorisé à celui de privilégié par Dieu.

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me souviens de sermons qui m'enflammaient le cœur et de lasortie du culte où je me trouvais parmi des protestants apparte-nant à un milieu privilégié. J'avais envie de partir à la recher-che de tous les clochards du quartier pour les amener là où laBonne Nouvelle venait d'être prêchée.Contradiction entre “scriptura sola”, la Parole de Dieu seule etla république de Genève. Je me demandais si cela avait valu lapeine de faire la Réforme protestante rompant avec le resteimmense des chrétiens pour que les banquiers suisses s'esti-ment bénis de Dieu à cause de leur richesse. Cette théologie dela bénédiction matérielle a été importée aux Etats-Unis et lepays le plus “évangéliste” du monde est aussi le plus riche ; leplus fondamentaliste est en contradiction avec la Parole deDieu. Que fait-on de ces versets angéliques ?“Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, où les mites et lesvers font tout disparaître, où les voleurs percent les murs etdérobent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni lesmites ni les vers ne font de ravages, où les voleurs ne percentni ne dérobent.” (Mt 6, 19-20)

Le prêt à intérêt

Non seulement nous devons prêter sans intérêt mais en plus àdes gens qui ne sont pas solvables (prêter à fonds perdu) ou quisont trop pauvres pour un jour nous avancer de l'argent :“Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel grévous en saura-t-on ? Même des pécheurs prêtent à des pécheursafin de recevoir l'équivalent.” (Lc 6,34)

Dans la loi de Moïse le prêt à intérêt est considéré comme une

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“si quelqu'un tombe dans cette erreur d'oser audacieusementaffirmer que ce n'est pas un péché que de faire l'usure, nousdécrétons qu'il sera puni comme hérétique et nous ordonnons àtous les ordinaires et inquisiteurs de procéder vigoureusementcontre tous ceux qui seront soupçonnés de cette hérésie.”

Le 1er novembre 1745, le pape Benoît XIVpubliait l'encycliqueVix Pervenit, adressée aux évêques italiens, au sujet descontrats où l'usure, ou prêt à intérêt, est clairement condamnée.Le 29 juillet 1836, le pape Grégoire XVI étendait cette ency-clique à l'Eglise universelle. Il y est écrit :

L'espèce de péché qu'on appelle usure, et qui réside dans lecontrat de prêt, consiste en ce qu'une personne, s'autorisantdu prêt même, qui par sa nature demande qu'on rende seu-lement autant qu'on a reçu, exige qu'on lui rende plus qu'on areçu et soutient conséquemment qu'il lui est dû, en plus ducapital, quelque profit, en considération du prêt même. C'estpour cette raison que tout profit de cette sorte qui excède lecapital est illicite et usuraire. Et certes, pour ne pas encourir cette note infamante, il ne ser-virait à rien de dire que ce profit n'est pas excessif, mais modé-ré; qu'il n'est pas grand, mais petit... En effet, la loi du prêt anécessairement pour objet l'égalité entre ce qui a été donnéet ce qui a été rendu... Par conséquent, si une personne quel-conque reçoit plus qu'elle n'a donné, elle sera tenue à restituerpour satisfaire au devoir que lui impose la justice dite commu-tative...

En 1891, le pape Léon XIII écrivait dans son encyclique RerumNovarum :

Une usure dévorante est venue ajouter encore au mal.Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Eglise,

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L’ARGENT TROMPEUR

Malheureusement la contamination des nations a altéré la Loidivine et des pratiques d'usure ont vu le jour. Bien plus, leTemple est devenu une banque ! Or l'origine des trésors destemples païens venait essentiellement des revenus des prosti-tuées sacrées qui travaillaient pour le compte des dieux et sur-tout des déesses. Les grands banquiers des temps bibliquesfurent les babyloniens chez qui l'idolâtrie sous forme de prosti-tution, au dire d'Hérodote, fut la plus intense. On comprend lacolère de Jésus qui accuse les “banquiers” du Temple d'avoirtransformé la maison de son Père en caverne de voleurs.Flavius Joseph fait également mention de l'existence àJérusalem d'une institution que l'on aurait pu appeler cabinetdes hypothèques. L'exil à Babylone avait également perverti les mœurs juives enmatière de prêt et d'usure, ce contre quoi s'insurge le prophèteNéhémie.

Tout est à Dieu et Dieu est bon envers tous, envers ceux qui luirendent ses bienfaits par la louange comme envers ceux qui nese rendent même pas compte des cadeaux qu'ils reçoivent.C'est sur l'attitude de Dieu que se fonde l'éthique chrétienne :“Mais aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rienespérer. Et votre récompense sera grande, et vous serez fils duTrès-Haut, car il est bon pour les ingrats et pour les méchants.”(Lc 6,35)

L' Eglise et le prêt à intérêt

En 1311, au Concile de Vienne, le pape Clément V déclaraitnulle et vaine toute la législation civile en faveur de l'usure, et

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vez être esclaves de Dieu et de Mammon.” (Mt 6,24)

L'argent doit être au service exclusif de la charité et Jésus pro-met une récompense pour ceux qui s'en seront servi pour fairele bien : ils seront accueillis dans le Ciel par les pauvres qui enauront été bénéficiaires. Certains hommes ont un don, ils sonthabiles dans le maniement de l'argent, ils peuvent mettre leurstalents au service du Royaume. Mais là encore, ils devrontchoisir leur logique : celle du monde ou celle du Royaume.

Si donc vous n'avez pas été dignes de confiance pour l'argent trompeur,

qui vous confiera le bien véritable ? (Lc 16,11)

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L’ARGENT TROMPEUR

elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par deshommes avides de gain, et d'une insatiable cupidité...

L'enseignement de l'Eglise sur le sujet est donc très clair, mais,comme l'écrit Louis Even dans Sous le Signe de l'Abondance,“malgré tout l'enseignement chrétien dans le sens contraire(que l'argent doit produire de l'intérêt), la pratique a fait telle-ment de chemin que, pour ne pas perdre dans la concurrenceendiablée autour de la fécondité de l'argent, tout le mondeaujourd'hui doit se conduire comme s'il était naturel pour l'ar-gent de faire des petits. L'Eglise n'a pas rescindé ses vieilleslois, mais il lui est devenu impossible d'en exiger l'applica-tion.”

Comment se servir de l'argent trompeur ?

“Eh bien ! moi, je vous dis : faites-vous des amis avec l'argenttrompeur pour qu'une fois celui-ci disparu, ces amis vousaccueillent dans les demeures éternelles.” (Lc 16,9)

Nous poussons un ouf de soulagement pour nos amis chrétiensqui sont dans la banque et les finances. Jésus nous enseigne unbon usage de l'argent à condition de ne pas être dupe sur lanature de l'argent, c'est toujours une idole : Mammon. Ne pasêtre dupe non plus sur sa nature : ces richesses sont injustes,nous pouvons les utiliser à condition d'aimer et de servir Dieude tout son être : “Personne ne peut être esclave de deux maît-res ; en effet, ou bien on détestera l'un et on aimera l'autre, oubien on s'attachera à l'un et on méprisera l'autre. Vous ne pou-

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LA PROVIDENCE

Dieu tient donc en douceur les rênes du monde et la foi, l'a-mour et l'espérance nous permettent d'attendre une fin heureu-se à l'histoire du monde présent. Cependant la Providence ne secontente pas de diriger à grands traits cette histoire globale, elles'intéresse à chacune des créatures, à chacun d'entre nous etJésus nous a fait des promesses que nous devons prendre ausérieux. Non seulement il pourvoit pour l'ensemble de notre viemais encore il s'occupe des moindres détails pourvu qu'on s'a-bandonne à lui. Un de mes passages préférés de la Thora est l'histoire de laligature d'Isaac. Je l'aime à cause de son côté tragique qui m'é-voque si fort la condition humaine et préfigure la croix deJésus. Il s'en est fallu de peu que nous soyons dans une tragé-die mais un petit mot, un verbe plutôt, fait toute la différence :voir. Quand le jeune Isaac (qui selon le midrash avait 33 ans !)demande à son père : “Où est l'agneau du sacrifice ?” Abrahamrépond : “Dieu verra.” Ce que les traductions rendent par :Dieu pourvoira.

L'abandon

Nous ressemblons à des aiglons tombés du nid qui ne saventpas s'ils sauront déployer leurs ailes. Une seule chose leur estnécessaire : la confiance que le grand aigle voit ce qui se passeet qu'il interviendra pour les récupérer sur ses ailes en cas dedéfaillance ! Il n'y a pas d'autre manière d'apprendre à voler !L'abandon est le fruit de l'amour et pas de n'importe quelamour, c'est celui du tout-petit qui a une confiance aveugledans son père et dans sa mère. La confiance et l'abandon sedonnent la main sous le regard de l'amour. Plus notre intimité

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La Providence

Dieu voit plus loin que le bout de notre nez

Dans pourvoir il y a voir, voir pour... ce qui indique une finali-té. Lui seul connaît la fin de toute chose, lui seul connaît lesmoyens d'y parvenir. L'intention divine est de parachever sonœuvre de création et de la sauver. Il intervient donc en perma-nence, la plupart du temps dans l'incognito, il assiste ses amispour que tout concourre au projet salvateur.

La création a sa bonté et sa perfection propres, mais elle n'estpas sortie tout achevée des mains du Créateur. Elle est créée“en état de voie” (in statu viæ) vers une perfection ultimeencore à atteindre, à laquelle Dieu l'a destinée. Nous appe-lons divine providence les dispositions par lesquelles Dieuconduit sa création vers cette perfection : Dieu garde et gou-verne par sa providence tout ce qu'il a créé, “atteignant avecforce d'une extrémité à l'autre et disposant tout avec dou-ceur” (Sg 8,1). Car “toutes choses sont à nu et à découvertdevant ses yeux” (He 4,13), même celles que l'action libre descréatures produira (Cc. Vatican I, DS 3003).

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LA PROVIDENCE

Marcher dans la foi

La fondatrice des diaconessesPomeyrolles, sœur AntoinetteButte m'avait dit un jour : “Dieu donne ce qu'il ordonne.” Ceprincipe de base nous permet de vérifier que nous ne faisonspas fausse route dans nos entreprises. Une fois la convictionacquise qu'une œuvre a l'approbation de Dieu, qu'elle entredans sa volonté, il faut marcher dans la foi et il donnera tout cequi est nécessaire. Abraham partit dans la foi, sans carte niboussole vers le lieu que Dieu lui destinait. Il marcha pas à paset en faisant chaque pas il ne savait pas où le conduirait le pro-chain pas.

Combien d'œuvres ai-je fondées sans savoir comment je feraipour qu'elles se réalisent ni surtout comment Dieu allait s'yprendre pour en assumer les dépenses ! J'ai raconté dans Lespluies de l'arrière saison (Editions du Jubilé, 1985) tantd'exaucements qui ont confirmé les différentes étapes de lafondation de la Communauté des Béatitudes.

La tentation est grande de planifier, de sortir de la dépendancede la Providence pour calculer et s'assurer qu'on aura lesmoyens de réaliser ce que l'on projette, de faire des études demarché pour voir si la revue ou l'apostolat que l'on lance serarentable… C'est faire œuvre humaine, c'est construire sur lesable quelque chose qui ne tiendra pas. C'est se priver du prin-cipal actionnaire : Jésus ! C'est planter un arbre qui cachera laforêt, c'est par avarice refuser l'abondance des dons de Dieu.

Quand j'ai fondé la Communion Marie Reine de la Paix, uneœuvre nouvelle, je n'avais que les paroles de la Vierge donnéesau cours d'une apparition à Vicka à Medjugorje : “Dis-lui de

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avec le Père grandit et plus aussi nous l'aimons et plus nousnous abandonnons dans l'amour. Rien ne peut nous séparer delui, rien de ce qui d'habitude fait peur : ni la mort, ni la vie, niles anges, ni d'autres autorités ou puissances célestes, ni le pré-sent, ni l'avenir, ni les forces d'en haut, ni celles d'en bas, niaucune autre chose créée, rien ne pourra jamais nous séparer del'amour que Dieu nous a manifesté en Jésus-Christ notreSeigneur. Toutes nos peurs sont contenues dans cet énoncé, aussi pou-vons-nous abandonner notre vie et notre mort, notre santé,notre salut, notre vie matérielle comme notre vie spirituelle.La seule condition est que le Christ soit le grand partenaire denotre vie et que nous ne cherchions que sa volonté ! Notre seulsecours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre.

L'abandon à la Providence du Père du Ciel libère de l'inquiétu-de du lendemain (cf. Mt 6,25-34).

La confiance en Dieu dispose à la béatitude des pauvres. Ilsverront Dieu. (Catéchisme n° 2547)

L'abandon est le fruit délicieux de l'amour.

(Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus)

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multiplier : la Cité de l’Immaculée était fondée. Nous pouvionsfaire les prochains pas.

Dans cette anecdote nous voyons que la Providence a agi dedeux manières différentes. La première est la préférée de Dieu,il se sert des hommes... et des femmes. Il inspire quelqu'unpour qu'il partage et donne, il conduit les circonstances, ilindique le moment... en général le dernier ! car il éprouve la foide ses serviteurs. La seconde est celle que j'appelle “la manne”.Quand on est seul au milieu d'un désert, quand personne n'en-tend l'appel de Dieu, alors il fait descendre le pain du Ciel, ilmatérialise l'or et l'argent. On peut aussi donner par la foi, don-ner tout ce qui nous reste, donner sans rien avoir, alors s'ou-vrent les écluses du Ciel.

J'aimerais aussi raconter un exemple de multiplication car Dieun'additionne pas, il multiplie. C'était à Ars au cours d'un bel étélors d'un de nos premiers rassemblements charismatiques.Avec le sens de l'organisation qui nous caractérise - MèreTeresa disait : “Organisons-nous... le moins possible” - nousavions prévu quelques centaines de participants tout au plus unmillier mais il y en eut plusieurs milliers. Nous avions prévu untraiteur chargé de nous livrer les repas. Nous étions débordésmais le camion frigorifique lui aussi déborda. Les personneschargées de la distribution de la nourriture vinrent nous préve-nir que la prairie ressemblait au grenier du saint Curé d'Ars :les aliments se multipliaient. Si bien qu'à la fin du service ilrestait autant de nourriture qu'au début. Nous ne savions plusque faire des cuisses de poulets et des baguettes de pain sinonen faire bénéficier les congrégations religieuses d'alentour. J'aiconnu dans ma vie un certain nombre de vrais mystiques maisaussi combien de faux, victimes de leur propres illusions. J'ai

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LA PROVIDENCE

faire tout ce qu'il entendra dans son cœur, je suis sa sécurité.”Il s'agissait d'éditer une retraite de Consécration à la SainteTrinité par Marie de 33 jours basées sur les messages deMedjugorje, l'enseignement des saints et celui de l'Eglise, ainsique des méditations. Je me suis trouvé bien seul à ce moment-là, sans argent et sans soutien si ce n'est celui des chers Thierryet Myriam Fourchaud. Cette retraite allait se répandre dans lemonde entier et faire beaucoup de guérisons et de conversions.De temps en temps un groupe se manifeste en Chine ou enAfrique pour témoigner des fruits de la consécration. Il fallaitde l'argent pour acheter une maison, éditer le livre en russe, enanglais, en espagnol, en chinois et bien sûr en français. Maispas un sou. Nous avons beaucoup prié. J'ai enchaîné plusieursneuvaines mais rien ! A la fin d'une neuvaine j'ai enfin reçu unelocution intérieure : “Va à Lisieux”. Ce que je fis. En montantla rue qui conduit à la basilique, une femme m'aborda et meremit une grosse enveloppe en papier kraft et me dit que c'étaitpour une œuvre de la sainte Vierge et elle mentionnaMedjugorje. Je n'avais jamais vu cette femme et ne la revisjamais. La somme que contenait cette enveloppe était impor-tante et une fois de plus la fidélité de Dieu m'émut beaucoup.

Mais ce n'était que le début de cette histoire. De retour deLisieux, je partageai la bonne nouvelle avec Thierry etMyriam. Je remis à Thierry de quoi acheter une petite maison,je comptais l'argent et lui, ancien directeur de supermarchérecompta après moi. Le lendemain il se rendit à la banque pourdéposer l'argent qui avait passé la nuit dans un tiroir... Au guichet l'employée de la banque pris la liasse de billets,compta avec dextérité et releva la tête pour dire à Thierry qu'ils'était trompé en annonçant le montant de ce qu'il venait dépo-ser : il y avait le double ! Pendant un an l'argent ne cessa de se

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LA PROVIDENCE

dans l'abondance et la beauté. Vivre dans la dépendance à Dieuc'est expérimenter sa liberté.

Choisir sa logique

Seulement il faut choisir sa logique. Celle du Royaume ou celledu monde. Celle de la sagesse des sages et de l'intelligence desintelligents ou celle de la croix, celle de l'anawa, celle, para-doxale, du bonheur des affligés. Tant que nous demeurons dansla logique du Royaume tout est possible et tout arrive, toutporte du fruit. Sans cesse le monde nous rappelle sa logique etnous somme de l'adopter mais il faut lui résister, ne pas épar-gner et ne pas faire d'emprunt, ne compter que sur laProvidence. Ne perdons pas notre héritage pour des promessesde sécurité et de paix qui exigent des compromis. Le mondecherche à se faire adorer ! Il connaît toutes les ruses pour nousdétourner du Maître véritable :

Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'aut-re, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvezservir Dieu et l'argent. Voilà pourquoi je vous dis : Ne vousinquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pourvotre corps de quoi vous le vêtirez. La vie n'est-elle pas plusque la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardezles oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni nerecueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Nevalez-vous pas plus qu'eux ? Qui d'entre vous d'ailleurs peut, ens'en inquiétant, ajouter une seule coudée à la longueur de savie ? Et du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Observez les lisdes champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent. Orje vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n'a pas

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toujours besoin de preuves, de m'assurer que c'est vraimentDieu qui agit, je suis toujours sceptique dans un premier temps.J'ai tenu à vérifier par moi-même et suis allé sur les lieux de ladistribution. Je rencontre d'abord Yves Vidal, professeur dephysique, qui me dit qu'il avait beau plonger sa cuillère dans legros pot de café en poudre, jamais il ne se vidait. Nous étionschez la veuve que visita le prophète Elie : “Car ainsi parle leSeigneur, Dieu d'Israël : Jarre de farine ne s'épuisera, cruched'huile ne se videra…” (1 R 17,14).

Je montai dans le camion, c'était le moment du dessert, des bar-quettes de mousse au chocolat, et j'eus un doute. Dieu pouvaitmultiplier ce qui était naturel comme le pain ou autre alimentmais des barquettes en plastiques... Pourtant je fis passer lesplateaux couverts de barquettes de mousse au chocolat et à lafin de la distribution il en restait autant qu'au début. N'étions-nous pas chez le Curé d'Ars ? Le Dieu d'Elie, le Dieu de nosPères est aussi notre Dieu, il est le même aujourd'hui que dansles temps bibliques.

Autres versets angéliques, ceux qui clôturent l'Evangile deMarc : “Et voici les signes qui accompagneront ceux qui aurontcru : en mon nom ils chasseront les démons, ils parleront en lan-gues nouvelles, ils saisiront des serpents, et s'ils boivent quelquepoison mortel, il ne leur fera pas de mal, ils imposeront lesmains aux infirmes et ceux-ci seront guéris.” (Mc 16,17-18)Nouscraignons tant le merveilleux et la miraculite de la dévotion despauvres, que nous ne commentons jamais ces promesses deJésus. C'est vrai ou c'est une légende, à nous de choisir.Faisons-nous les œuvres que Jésus a faites ? En faisons-nousde plus grandes selon ses promesses ?

Vivre dans la pauvreté ce n'est pas vivre dans la misère mais

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Dans ce psaume alphabétique la lettre resh est l'initiale du motratson, qui signifie à la fois volonté, complaisance et bon plai-sir. La volonté de Dieu est une histoire d'amour et non de rai-son, et si ça lui fait plaisir de nous faire plaisir ? Si bien qu'ilnous exauce non seulement pour nous confirmer dans les gran-des lignes mais, comme un amoureux, de temps en temps, ilnous offre des fleurs et des petits cadeaux qui nous font plaisir.La manne non seulement rassasiait mais en plus elle prenait legoût préféré de celui qui la consommait. Le Psaume 20 dit encore : “Qu'il te donne ce que ton cœur dési-re, qu'il accomplisse tous tes projets !” Je suis pour ma part per-suadé que Dieu adopte comme siens certains des projets quenous avons conçus pour lui faire plaisir... ou nous faire plaisirà nous-mêmes.

Qu'il te donne ce que ton cœur désire, qu'il accomplisse tous tes projets !

(Ps 20,5)

La Providence : un lieu d'évangélisation

Un grand nombre de nos contemporains croient en la providen-ce, nous devrions dire en une providence. Beaucoup sont per-suadés que rien n'arrive par hasard mais que leurs pensées, leuractivité spirituelle, leur disponibilité peuvent provoquer lehasard et faire que des événements qui étaient latents dans uneautre dimension se produisent dans la dimension observable duvisible. Nous pourrions parler d'une triple convergence qui aforgé cette croyance contemporaine. La première est la décou-

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été vêtu comme l'un d'eux. Que si Dieu habille de la sorte l'her-be des champs, qui est aujourd'hui et demain sera jetée aufour, ne fera-t-il pas bien plus pour vous, gens de peu de foi !Ne vous inquiétez donc pas en disant : Qu'allons-nous manger ?Qu'allons-nous boire ? De quoi allons-nous nous vêtir ? Ce sontlà toutes choses dont les païens sont en quête. Or votre Pèrecéleste sait que vous avez besoin de tout cela. Cherchez d'a-bord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donnépar surcroît. Ne vous inquiétez donc pas du lendemain :demain s'inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sapeine. (Mt 6, 24-32)

Le Malin est rusé pour nous faire perdre notre innocence d'en-fant de Dieu, il nous propose des raisons spirituelles pour quenous quittions l'insouciance bienheureuse, l'apatheia des Pèresdu désert, qui nous fait anticiper le Royaume. Il nous dit quetout cela est pour les apôtres, pour les religieux et les religieu-ses, pour les saints, il nous parle de sérieux sous couvert d'ac-complir notre devoir d'état et nous fait quitter les voies de laProvidence. Il nous dit que tout cela c'est pour les saints... Nonc'est pour les pauvres, pour les anawim !

Quand Dieu fait nos caprices

J'ai dit que Dieu nous exauçait toujours quand nous faisions savolonté... Le pauvre que je suis, conscient de ses péchés, de sesfailles, de ses erreurs et de ses limites, a été exaucé parfoisquand il se trompait. Je peux dire que parfois c'est Dieu qui afait ma volonté. Ne criez pas à l'hérésie, la Parole de Dieu medonne raison : (resh)“Dieu fait la volonté de ceux qui le crai-gnent, il écoute leurs cris et les sauve.” (Ps 145,19)

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juste quand la légende personnelle de l'homme est de devenircollaborateur de Dieu. Le bouddhisme prêche aussi l'absence totale de soucis non pasparce qu'un Père veille sur notre vie mais parce que le souci estle fruit d'illusions sur la réalité, de peurs fabriquées.

Les promesses du Christ

Les promesses du Christ sont là. Il ne manque que notre foipour y croire, pour que le monde voie ce que fait la foi del'homme et la fidélité de Dieu. Alors il n'ira plus boire auxciternes fêlées des sagesses humaines, il ira boire à la plaie duChrist. La Parole de Dieu doit s'incarner dans nos vies pourque nous devenions une prédication explicite.

Demandez, on vous donnera, cherchez, vous trouverez, frap-pez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit, quicherche trouve, à qui frappe on ouvrira. Ou encore, qui d'ent-re vous, si son fils lui demande du pain, lui donnera une pierre ?Ou s'il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Sidonc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes chosesà vos enfants, combien plus votre Père qui est aux cieux don-nera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demandent. (Mt 7, 7-11)

Tout ce que vous demanderez dans la prière avec foi, vous le recevrez.

(Mt 21,22)

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LA PROVIDENCE

verte de la théorie de la relativité et de la physique quantiquelaquelle devrait faire l'objet de sérieuses études théologiques,la seconde est la notion de synchronicité introduite par CarlGustav Jung qui fait que des coïncidences “troublantes”comme des signes d'une autre dimension se produisent et cher-chent à orienter notre vie, la troisième est l'influence grandis-sante du bouddhisme qui depuis des millénaires sensibilise sesfidèles aux théories qui précèdent. D'une manière ou d'uneautre nous sommes créateurs de notre réalité et de la réalité engénéral. La théologie chrétienne ne démentira pas le fait queDieu se sert de l'homme comme cause seconde pour “exercer”sa Providence. Nous croyons que nous pouvons faire advenirce que nous désirons s'il y a co-incidence entre notre volonté etla volonté de Dieu. Certaines paroles de Jésus auraient pu êtreprononcées par un maître zen : “C'est pourquoi je vous dis :Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l'avezreçu, et vous le verrez s'accomplir.” (Mc 11,24)

Nous sommes en effet très proches de ce que le New Ageappelle la visualisation créatriceet que des approches théra-peutiques nomment l'imagerie mentale.Se concentrer sur ceque l'on désire accomplir, comme un exploit sportif ou le déve-loppement de certaines capacités mentales, fait également par-tie du coaching et les preuves sont établies que cela marche. Lapréparation mentale débouche souvent sur la dimension spiri-tuelle. Ces techniques sont à évangéliser ! Dans la prière il y aun partenaire, un protagoniste qui est le Christ, lequel désire lemeilleur pour nous. Une phrase m'a particulièrement frappéchez un auteur new-age que je n'apprécie guère par ailleurs, ils'agit de Paolo Coelho : “Quand un homme est entré dans salégende personnelle, l'univers entier conspire à sa réussite.”Force est de constater que ce postulat est juste et encore plus

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L’ESPRIT D’ENFANCE

que Jésus m'a sauvé.” Terrible certitude qui prive un pécheurdes bras de son Père, de la consolation de l'Esprit dans laréconciliation, du refuge d'un cœur maternel.Cette attitude exclut aussi la passivité paresseuse : faites desefforts pour entrer dans le Royaume tout en sachant que vosefforts ne sont que des manifestations de bonne volonté et dedésir de plaire à votre Bien-aimé. Sans plus.

Dans le Psautier, redisons-le, le livre de prière des anawim,nous trouvons une pierre précieuse qui pourrait s'appeler lavoie d'enfance, c'est le Psaume 131. Comme un diamant il estpetit mais si bien taillé que la Lumière vient jouer dans sesfacettes pour faire jaillir une richesse de couleurs infinie. Letraduire est difficile alors que sa simplicité relève du chef d'œu-vre ! Essayons quand même :

Cantique des montées. De David.

Seigneur ! Mon cœur ne s'élève pasEt je ne relève pas les yeuxJe n'ai pas marché dans la voie des grandes choses et des merveilles au-dessus de moi.Au contraire, je suis bien à ma place, je me tiens en silence,mon âme est pareille à celle du bébé rassasié près de sa mère, mon âme est comme un bébé rassasié.Israël, mets ton espoir dans le Seigneur, dès maintenant et à jamais ! (Ps131)

Il s'agit bien d'un bébé dans ce psaume comme le bébé Jésus.Un bébé qui vient de téter et qui est rassasié. Moment bienheu-reux où le tout-petit est paisible et souriant, moment où plusrien ne lui manque dans la sécurité des bras de sa mère. La tra-duction “sevré” passe à côté de ce moment, de cette Béatitude,

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L'esprit d'enfance

Porté dans les bras de Dieu

“Allons donc, mon âme, allons à Dieu par l'abandon et puisquela vertu vient de l'industrie et des efforts, avouons-lui notreimpuissance et notre confiance en Dieu qui ne nous réduiraitpas à ne pouvoir marcher à pied, s'il n'avait la bonté de nousporter sur ses bras.” (Jean-Pierre de Caussade, L'abandon à la Providence)

Caussade est un devancier de Thérèse de l'Enfant-Jésus, unmaître du réalisme spirituel. Si nos bons désirs sont inspirés parl'Esprit, les seuls accomplissements de ces désirs sont des fruitsde l'Esprit. Seuls nous ne pouvons rien faire et croire que nousavons progressé dans une vertu ou pire encore que nous l'avonsacquise est une illusion spirituelle qui tôt ou tard va nousconduire au désespoir qu'engendre l'orgueil blessé. “Sans moivous ne pouvez rien faire.” (Jn 15,5) Et pourtant Jésus nousrecommande de nous efforcer de rentrer dans le Royaume deDieu. Dans ce paradoxe se trouve l'attitude juste. Attitude quiexclut le confort du pharisaïsme qui se donne à lui même deslois objectivement observables assorties des “jokers” de lajurisprudence. Je me souviens d'un protestant fondamentalistequi me di-sait : “Cela fait dix ans que je n'ai pas péché ! Depuis

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L’ESPRIT D’ENFANCE

que nous rechercherions l'attribut tout-puissant dans la Bible. Ilvaudrait mieux traduire par fort que par puissant, nous savonsce qu'est le don de force et la force est bien différente de lapuissance ou du pouvoir. La plupart du temps quand nous trouvons l'expression tout-puissant, dans les différentes versions de la Bible, elle traduitl'hébreu Shaddaï.Or Shaddaïsignifie également les seins !Mettons deux versets des Ecritures en parallèle, leur utilisationdans la liturgie nous indique que la dévotion juive ne pouvaitque faire le rapprochement :

“Entre tes seins je passe la nuit bein Shaddaï yalyn.”(Ct 1,13)

“Et passe la nuit à l'ombre de Shaddaï.”(Ps 90,1)

L'usage du nom de Dieu comme El Shaddaïest fréquent dansla Genèse, il est très ancien et fait partie du vocabulaire despatriarches. Citons trois versets qui nous confirment dans cetaspect maternel de Dieu :

“Qu'El Shaddaïte bénisse, te rende fécond et te multiplie, afin que tu deviennes une multitude de peuples !”

(Gn 28,3)

“Je suis El Shaddaï :Sois fécond, et multiplie.” (Gn 35,11)

“C'est l'œuvre d'El Shaddaïqui te bénira des bénédictions des cieux en haut, des bénédictions des eaux en bas,

des bénédictions des mamelles (shadayim)et du sein maternel (racham).”

(Gn 49,25)

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L’ESPRIT D’ENFANCE

le sevrage est au contraire un moment traumatisant, une sépa-ration ressentie douloureusement. Le dernier verset inviteIsraël à redevenir comme un tout-petit enfant dans les bras duSeigneur. Ce psaume enseigne l'anawa comme une halakha,une façon de marcher, une éthique nouvelle. Le livre desPsaumes commence par l'exposé de deux voies assorties d'unebéatitude : “Heureux l'homme qui ne marche pas dans la voiedes pécheurs... mais médite la Thora jour et nuit.” (Ps 1,1)Cesdeux voies, celle de la fidélité et de la confiance, opposées àcelle de ceux qui veulent se passer de Dieu, sont la note domi-nante de tout le livre.

Comment ne pas penser à l'épître de Pierre : “Comme desenfants nouveau-nés, aspirez au lait non frelaté de la Parole,afin que, par lui, vous croissiez pour le salut.” (1 P 2,2) Et aupsaume : “Oui, tu m'as fait sortir du sein maternel, Tu m'as misen sûreté sur les mamelles de ma mère.” (Ps 22,9)

Qu'avez-vous vu dans la crèche ?

Dans la crèche nous avons vu Dieu, le Très-Haut s'est fait leTrès-Bas. Jésus a dit à Philippe qui lui demandait de lui mont-rer le Père : “Qui m'a vu a vu le Père.” (Jn 14,9)C'est bien unvisage du Père que nous voyons dans ce tout petit bébé carchaque personne de la Trinité dans sa mission représente lesdeux autres. Dieu s'était déjà fait tout-petit pour se mettre à laportée de son peuple quand il parlait entre les deux chérubinsde l'Arche de l'Alliance. Le tout-petit bébé nous parle de l'in-nocence du Père, de sa vulnérabilité par amour. Il est le Tout-Aimant bien plus que le Tout-Puissant. C'est d'ailleurs en vain

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même bébé (ce terme revient 48 fois dans le NouveauTestament !).

“Amen, je vous le dis, quiconque n'accueillera pas le Royaumede Dieu comme un enfant n'y entrera jamais.” (Lc 18,17)

“Jésus dit : Laissez faire ces enfants, ne les empêchez pas devenir à moi, car le Royaume des Cieux est à ceux qui sontcomme eux.” (Mt 19,14)

“Jésus, ayant appelé un petit enfant, le plaça au milieu d'eux, etdit : Je vous le dis, en vérité si vous ne vous convertissez et sivous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pasdans le Royaume des Cieux. C'est pourquoi, quiconque se ren-dra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans leRoyaume des Cieux. Et quiconque reçoit en mon nom un petitenfant comme celui-ci, me reçoit moi-même.” (Mt 18, 2-5)

“... et leur dit : Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfantme reçoit moi-même ; et quiconque me reçoit, reçoit celui quim'a envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, c'estcelui-là qui est grand.” (Lc 9,48)

Jésus s'identifie lui-même à un tout-petit. Bienheureux celuiqui le reconnaît dans les tout-petits, il voit Dieu ! La conver-sion c'est aussi un retournement des valeurs de ce monde.

L'entretien avec Nicodème

On a souvent dit que l'Evangile de saint Jean était l'Evangile de

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L’ESPRIT D’ENFANCE

Les cieux se disent shamaïm,c'est-à-dire les eaux d'enhaut. Lestrois versets de la Genèse indiquent d'eux-mêmes l'étymologieprobable, ils parlent de la fertilité et de la fécondité. Le chapi-tre 49 va encore plus loin en associant deux parties de l'anato-mie maternelle, les seins et l'utérus. Or nous le savons, l'utérusest traduit souvent par entrailles qui désignent la miséricordede Dieu. Notre Dieu possède des entrailles de mère et des seinsnourriciers. De plus le lait est synonyme de consolation : “...afin que vous soyez allaités et rassasiés par son sein qui conso-le, afin que vous savouriez avec délices la surabondance de sagloire.” (Is 66,11)

Cependant rien n'est sûr dans l'étymologie de l'épithèteShaddaï qui apparaît quelque 270 fois dans la Bible. Le grecpantocrator, tout-puissant, ne se trouve pas dans les Evangiles,jamais Jésus ne parle de son Père en ces termes. Nous trouvonsune occurrence de pantocratorchez saint Paul : “Je serai pourvous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles, dit leSeigneur tout-puissant.” (2 Co 6,18)Et encore est-ce probable-ment une citation d'après la Septante.

Nous sommes les disciples du Très-Bas ! Et nous ne sommes pas au-dessus de Lui.

L'esprit d'enfance : le tout-petit enfant prototype de l'anaw

Les textes évangéliques qui suivent utilisent le mot grec pai-dion, c'est justement celui qui désigne Jésus dans la crèche.Nous pourrions les lire en remplaçant petit enfant, tout-petit et

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L’ESPRIT D’ENFANCE

pères : c'est moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par laBonne Nouvelle.” (1 Co 4,15) En précisant qu'il s'agit d'unengendrement en Jésus-Christ, l'apôtre se réfère à la paternitédivine. Nous pourrions dire qu'il n'y a pas d'autre paternité quecelle de Dieu et qu'on ne peut être père que par mode de parti-cipation et dans une optique bien précise. “C'est pourquoi jefléchis les genoux en présence du Père de qui toute paternité,au ciel et sur la terre, tire son nom.”(Ep 3, 14-15)

Le fait de considérer Dieu comme le père unique de l'humani-té tout entière fait de nous des frères, des membres d'unefamille où nul ne doit se considérer comme supérieur à l'autre.Un père est aussi un frère, un père selon la chair doit un jourdevenir le frère en Jésus-Christ de ses enfants. Au-delà de lapetite enfance il est capital qu'un père ne se laisse pas idéaliser,qu'il sache demander pardon, qu'il avoue ses limites, il n'est pasun dieu, il n'est pas Dieu mais peut recevoir beaucoup de luiafin que sa paternité procède de l'unique Paternité.

Ne volons pas à Dieu le modèle de la paternité.

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l'amour. C'est vrai, mais nous devrions préciser qu'il est celuide l'amour paternel, celui de l'amour d'un Père que le Filsappelle ABBA, papa ! Dans l'Evangile de Jean, le mot Pèrerevient 109 fois ! C'est considérable et vraiment significatif.L'Evangile de Jean est l'Evangile du Père. Comme il est beaud'entendre Jésus, après sa résurrection, s'adresser à ses disci-ples en les appelant “tout-petits” (paidon) “Jésus leur dit :Enfants, n'avez-vous rien à manger ?” (Jn 21,5)

“Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis : à moinsde naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu.Nicodème lui dit : Comment un homme pourrait-il naître s'ilest vieux ? Pourrait-il entrer une seconde fois dans le sein de samère et naître ? Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te ledis : nul, s'il ne naît d'eau et d'Esprit, ne peut entrer dans leRoyaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce quiest né de l'Esprit est esprit. Ne t'étonne pas si je t'ai dit : Il vousfaut naître d'en haut.” (Jn 3,3-7)

L'impossible paternité

Un verset de l'Evangile de Matthieu (23,9) pose une questionparticulièrement troublante. Jésus demande à ses disciples lachose suivante : “… n'appelez personne sur la terre père,car unseul est votre père, le Père céleste.” Le contexte évoque des ti-tres comme docteur de la Loi ou maître. L'emploi du titre depère pour les prêtres n'a pas toujours été d'usage, au 17ème siècleon les appelait Monsieur. Pourtant, déjà saint Paul n'hésite pasà revendiquer sa paternité : “En effet, quand vous auriez dixmille pédagogues dans le Christ, vous n'avez pas plusieurs

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L’ANAWA DANS LES TEMPS APOSTOLIQUES

munauté ecclésiale de la Pentecôte ne pourra que lui ressem-bler comme deux gouttes d'eau.

Mais entre influence extrême-orientale et influence gréco-lati-ne comment demeurer un peuple de pauvres ? Le combat despremiers siècles pour le christianisme a été de s'affirmercomme une religion de l'Incarnation en confessant jusqu'aumartyre que Jésus est vrai Dieu et vrai Homme. En effet, tou-tes les hérésies ont été et sont encore aujourd'hui une négationsoit de la divinité du Fils de l'Homme soit de l'humanité du Filsde Dieu. L'influence extrême-orientale ne fait que raviver levieux fond orgiaque du culte de la déesse mère et des couplesdivins accessibles par la prostitution sacrée. Le danger étaitd'autant plus grand que ces dieux naissaient, mouraient, ressus-citaient et remontaient au ciel tous les ans... Saint Paul nousmontre que les chrétiens pouvaient subir une contagion desdébauches païennes et l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe deCésarée décrit un syncrétisme entre l'eucharistie et les pra-tiques orgiaques que nous avons du mal à imaginer aujourd'hui. A l'opposé nous rencontrons la gnose qui connut un succèsconsidérable, religion d'intellectuels ne pouvant admettre lachair, grossière erreur du Dieu des juifs (source d'un antisémi-tisme théologique durable). Le combat des chrétiens ortho-doxes se concentra dans la défense de la vraie foi comme lemontre le Credo que nous récitons encore aujourd'hui.

L'anawa au début de l'ère chrétienne fut vécue dans le contex-te des persécutions. C'est dans le martyre que l'imitation duChrist doux et humble de cœur donna sa pleine mesure.L'authenticité chrétienne se trouve toujours confirmée par lahaine du monde.La gnose est une vision éminemment hiérarchique qui ne fut

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L’anawa dansles temps apostoliques

La communauté primitive décrite dans le livre des Actes desapôtres est une belle illustration de l'anawa mise en action :

“Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et met-taient tout en commun. Ils vendaient leurs propriétés et leursbiens, pour en partager le prix entre tous, selon les besoins dechacun. Unanimes, ils se rendaient chaque jour assidûment autemple ; ils rompaient le pain à domicile, prenant leur nourritu-re dans l'allégresse et la simplicité de cœur. Ils louaient Dieu ettrouvaient un accueil favorable auprès du peuple tout entier. Etle Seigneur adjoignait chaque jour à la communauté ceux quitrouvaient le salut.” (Ac 2,44-47)

Ils n'étaient qu'une âme avec ce que cela suppose d'amour fra-ternel et de douceur, ils étaient joyeux, vivaient dans une pau-vreté totale, ils fréquentaient quotidiennement le Templecomme Anne et Syméon. Cette communauté a pu paraître idyl-lique à beaucoup, trop belle pour être vraie mais les témoigna-ges concordent pour dire que malgré les difficultés, elle a duréplusieurs siècles et qu'elle cherche sans cesse à refaire surfa-ce... Nous l'avons goûtée, nous avons goûté qu'il était doux devivre ensemble en frères dans la prière et la louange. La com-

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L’ANAWA DANS LES TEMPS APOSTOLIQUES

“Accueille comme des bienfaits les choses extraordinaires quit'arrivent, sachant que rien ne se produit en dehors de Dieu.”

Citons deux textes patristiques, dont la célèbre épître àDiognète qui mettent en évidence une survivance de l'anawachrétienne jusqu'à la fin du 2ème siècle. Vie communautaire,partage, pauvreté matérielle, douceur, persécutions, prière pourles persécuteurs, amour des ennemis, toutes ces valeurs sontencore bien vivantes :

Autrefois, nous prenions plaisir à la débauche, aujourd'hui lachasteté fait nos délices. Nous pratiquions la magie, aujourd'-hui, nous sommes consacrés au Dieu bon et non engendré.Nous étions avides d'argent, aujourd'hui, nous mettons encommun ce que nous possédons, nous partageons avec qui-conque est dans le besoin. Les haines, les meurtres nous oppo-saient les uns aux autres, la différence des mœurs ne nous per-mettait par de recevoir l'étranger dans notre maison.Aujourd'hui, après la venue du Christ, nous vivons ensemble,nous prions pour nos ennemis, nous cherchons à gagner nosinjustes persécuteurs, afin que ceux qui auront vécu confor-mément à la sublime doctrine du Christ puissent espérer lesmêmes récompenses de Dieu, le Maître du monde.

(Justin, vers 150)

Les chrétiens ne se distinguent pas des autres hommes ni parle pays ni par le langage, ni par les vêtements... Ils se confor-ment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et lamanière de vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie,mais comme des étrangers domiciliés. Toute terre étrangèreleur est une patrie et toute patrie leur est une terre étrangère...Ils sont dans la chair mais ne vivent pas selon la chair. Ils pas-sent leur vie sur la terre mais sont citoyens du ciel. Ils obéissentaux lois établies et leur manière de vivre l'emporte en perfec-

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L’ANAWA DANS LES TEMPS APOSTOLIQUES

pas sans danger dans l'organisation sociale et ecclésiastique etexerça une influence subtile qui, au cours des siècles, infléchitla hiérarchie de service en hiérarchie de pouvoir. Tant et si bienqu'au 4ème siècle l'anawa se réfugia au désert.

La didakhé

Dans cet écrit de la fin du 1er siècle présenté comme enseigne-ment de Jésus transmis par les douze apôtres, l'essentiel estdans l'anawa du Sermon sur la montagne. Le précepte de selaisser dépouiller afin d'être pauvre y est pris à la lettre, la com-munauté de biens y est totale.“Tu n'hésiteras pas à donner et tu ne murmureras pas en don-nant, car tu connaîtras quel est le bon rémunérateur qui terécompensera. Tu ne te détourneras pas de celui qui est dans lebesoin, mais tu auras tout en commun avec ton frère et tu nediras pas que cela t'appartient en propre. En effet, si vous par-ticipez en commun à ce qui est immortel, combien plus auxchoses périssables !”

La douceur, synonyme d'anawa, y est enseignée : “Mon enfant,ne sois pas murmurateur, parce que cela conduit au blasphème,ne sois pas arrogant, ni malveillant, car de tout cela naissent lesblasphèmes. Mais sois doux, puisque les doux recevront laterre en héritage. - Sois longanime, miséricordieux, sansméchanceté, paisible, bon ; garde toujours en tremblant lesparoles que tu as entendues.”

L'abandon à la Providence : Dieu est le seul maître de la vie etavec lui tout est possible :

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Notre-Dame de l’anawa

La Poverella, la pauvre dame et Notre-Dame des pauvres

Heureuse celle qui a cru ! Heureuse est-elle celle qui a étédépouillée par l'Esprit dès l'instant de sa conception ! Elle estla Pauvre, la Poverella comme l'appellait saint François : sapetite Pauvre, qui fut préparée par ce dépouillement radical àporter le Christ anaw. C'est parce qu'elle est mère du Pauvre, duDieu qui s'est fait pauvre, qu'elle est la mère de tous les pau-vres.

Le biographe de François d'Assise rapporte : “François voyaitsouffrir le Christ dans chaque misère rencontrée : il reconnais-sait dans tous les pauvres le Fils de la Pauvre Dame.” (2 Cel, 83)

La pauvreté a reçu en Marie ses lettres de noblesse, elle estdevenue langage de l'amour.

Heureuse est-elle celle qui a vécu la Béatitude des pauvres, leRoyaume des Cieux lui appartient, elle est la Reine du Ciel !La tradition orientale dit que si un homme vivait les Béatitudesil ne connaîtrait pas la mort. Or Marie a vécu les Béatitudes et

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L’ANAWA DANS LES TEMPS APOSTOLIQUES

tion sur les lois. Ils aiment tous les hommes et tous les persécu-tent... Ils sont pauvres et enrichissent un grand nombre... On lespersécute et ils bénissent. Châtiés, ils sont dans la joie commes'ils naissaient à la vie. En un mot, ce que l'âme est dans lecorps, les chrétiens le sont dans le monde.

(Epître à Diognète, fin du 2ème siècle)

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NOTRE DAME DE L’ANAWA

réconciliation, la fille bien-aimée du Père.

Réjouis-toi, réjouis-toi, ta récompense est grande dans lesCieux !

Quand tu vois un pauvre, disait François à un frère,

c'est l'image du Seigneur et de sa pauvre Mère

que tu as sous les yeux.

(2 Cel, 85)

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NOTRE DAME DE L’ANAWA

Dieu l'a enlevée au Ciel après sa dormition.

En elle la pauvreté a été transmuée en beauté parfaite et elle estdevenue la première dans la Royaume des Cieux, elle en est laReine. La douceur de sa présence est un délice pour ses amis.La plus noble des créatures est aussi la plus humble, celle quis'efface devant son Fils et que son Fils couronne comme Reinedes humbles. Celle dont le nom est océan de myrrhe, océan d'a-mertume, est la plus douce des femmes et des mères et desépouses. Elle a réalisé son nom en devenant océan de parfum,et comme il est doux et agréable de demeurer avec elle, ellepossède la terre promise de l'Eglise !

L'océan de ses larmes a consolé le monde et sa douleur a faitvenir sur la terre une pentecôte de lumière et d'amour.Heureuse est-elle la Mère du seul Juste par qui la justificationest entrée dans la monde, la beauté d'Eve est restaurée danstous les enfants d'Eve ! Heureuse est-elle notre Mère qui nousrassasie des fruits de la bonté !

La Mère de la Miséricorde nous a montré que le Père aimait sesenfants à en mourir, elle est le recours des enfants perdus et detous les fils prodigues. Elle qui a été miséricordiée dès l'instantde sa conception n'exclut personne de son cœur miséricordieuxet nous accueille tous dans ses entrailles de Mère.

Qui plus qu'elle est pure de cœur, qui plus qu'elle voit Dieudans sa splendeur, qui plus qu'elle aime sans partage et a reçusans partage la vison bienheureuse ? Reine des prophètes, uneépée lui a transpercé le cœur à cause du Juste persécuté et lespensées de ceux qui complotaient contre le Royaume ont étédévoilées. Ainsi elle est devenue la Reine de la paix et de la

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THERESE, DOCTEUR DE L’ANAWA

ne suffisaient pas, le même prophète, dont le regard inspiréplongeait déjà dans les profondeurs éternelles, s'écrie au nomdu Seigneur : “Comme une mère caresse son enfant, ainsi jevous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous cares-serai sur mes genoux. (Is 66,12-13)O Marraine chérie ! après un pareil langage, il n'y a plus qu'àse taire, à pleurer de reconnaissance et d'amour... (Manuscrit B1,11)

“Les grands saints ont travaillé pour la gloire du bon Dieu,mais moi qui ne suis qu'une toute petite âme, je travaille pourson unique plaisir, et je serais heureuse de supporter les plusgrandes souffrances, quand ce ne serait que pour le faire souri-re même une seule fois.” (Carnet Jaune 716)

“Jésus, je suis trop petite pour faire de grandes choses... et mafolie à moi, c'est d'espérer que ton Amour m'accepte commevictime... Ma folie consiste à supplier les aigles mes frères, dem'obtenir la faveur de voler vers le Soleil de l'Amour avec lespropres ailes de l'Aigle Divin...” (Manuscrit B 5)

Je désire être sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, ô mon Dieu ! d'être vous-même ma sainteté.

(Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Acte d'Offrande)

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Thérèse, docteur de l’anawa

L'Esprit illumina Thérèse de l'Enfant-Jésus pour qu'elle décou-vrit l'anawa dans deux textes de l'Ancien Testament. Le pre-mier est capital : “Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne àmoi.” (Pr 9,4)

“Alors je suis venue”, écrit la Petite Thérèseen se demandantce que Dieu ferait au petit qui viendrait à lui. Elle lit Isaïe 66 etdès lors, elle comprend qu'elle ne pourra pas monter seule cetescalier mais que Jésus la prendra dans ses bras, tel un ascen-seur rapide.

Je comprends si bien qu'il n'y a que l'amour qui puisse nousrendre agréables au Bon Dieu que cet amour est le seul bienque j'ambitionne. Jésus se plaît à me montrer l'unique cheminqui conduit à cette fournaise divine, ce chemin c'est l'aban-don du petit enfant qui s'endort sans crainte dans les bras deson Père... “Si quelqu'un est tout petit, qu'il vienne à moi” a ditl'Esprit Saint par la bouche de Salomon et ce même Espritd'Amour a dit encore que “la miséricorde est accordée auxpetits” (Pr 9,4 ; Sg 6,7). En son nom, le prophète Isaïe nous révè-le qu'au dernier jour “le Seigneur conduira son troupeau dansles pâturages, qu'il rassemblera les petits agneaux et les pres-sera sur son sein”(Is 40,11). Et comme si toutes ces promesses

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Saint François, patronde l’anawa

Dieu est admirable dans ses saints

Dans l'histoire du christianisme, dans deux mille ans de luttepour la sainteté, saint François d'Assise est sans doute le plusproche de la vérité évangélique. Celle qui fait peur aux gensraisonnables mais qui est une puissance qui peut changer lemonde radicalement. Vérité qui appelle les assoiffés et affamésde justice, buisson ardent plus intense que les flammes de l'en-fer. François est une prédication toujours actuelle. Il est commeThérèse de l'Enfant-Jésus, un saint universel.

Tous les hommes cherchent le pouvoir, mais François fait sesdélices de la sainte obéissance.

Tous les hommes cherchent la richesse, mais François épouseDame Pauvreté.

Tous les hommes épargnent et font des économies, maisFrançois mendie et donne aussitôt ce qu'il a reçu, prodigue

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THERESE, DOCTEUR DE L’ANAWA

Jésus se plaît à me montrer l'unique chemin qui conduit à cette fournaise divine,

ce chemin c'est l'abandon du petit enfant qui s'endort sans crainte

dans les bras de son Père.

(Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Manuscrit B, 1)

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SAINT FRANÇOIS, PATRON DE L’ANAWA

Là où est le désespoir, que je mette l'espérance. Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière. Là où est la tristesse, que je mette la joie.

Faites que je ne cherche pas tant à être consolé que deconsoler, D'être compris que de comprendre, D'être aimé que d'aimer.

Parce que :C'est en donnant que l'on reçoit, C'est en s'oubliant soi-même qu'on se retrouve,C'est en pardonnant qu'on obtient le pardon, C'est en mourant que l'on ressuscite à l'éternelle vie.

La joie parfaite est au bout d'un tunnel de nuit noire et de rejet,de désespoir et d'agonie, la Vérité est dans un passage à lalimite de la folie et du génie.

L'Eglise n'a pas besoin de réformateurs mais de saints

Le retour à l'authenticité évangélique au cours de l'histoire aentraîné bien des schismes et des divisions. Tout simplementparce que la vérité n'est envisagée que partiellement. On estfasciné par la pauvreté matérielle par exemple, mais on n'adhè-re pas à l'anawa dans son ensemble : pauvreté, douceur, humi-lité, persécution et incompréhension vécues dans la joie.

Si nous prenons le cas de Pierre Valdo (1140-1206) et des pau-vres de Lyon par exemple, nous ne pouvons qu'être frappés par

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SAINT FRANÇOIS, PATRON DE L’ANAWA

comme un fils de Roi.

Tous les hommes cherchent à posséder, mais François dilapideet ne veut que se donner.

Tous les hommes cherchent la beauté, mais François est aiman-té par les lépreux.

Tous les hommes cherchent l'amour, mais François y renoncepour mieux aimer.

La Vérité ne peut être que paradoxale et équivoque, elle nepeut pas se livrer aux puissants et aux tyrans des consciences,elle se rencontre comme par hasard au détour d'un chemin defortune, elle se révèle en une rencontre furtive qui illuminel'âme sans jamais se laisser posséder. Ainsi : Dieu n'est pas le Très-haut, il est le Très-bas, le tout-petit, un bébé qui se laisse prendre dans les bras. Il n'est pas leTout-puissant il est Tout-aimant, humble et suppliant, mendiantdes miettes d'amour alors que toutes les créatures lui appartien-nent. Dieu ne se possède pas puisqu'il se livre et peut être livrépar un baiser.

Il n'y a pas d'autre réponse à l'invitation évangélique que laprière de saint François :

Seigneur, faites de moi un instrument de votre paix.

Là où est la haine, que je mette l'amour. Là où est l'offense, que je mette le pardon. Là où est la discorde, que je mette l'union. Là où est l'erreur, que je mette la vérité. Là où est le doute, que je mette la foi.

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SAINT FRANÇOIS, PATRON DE L’ANAWA

Dans le même temps, ce devoir n'était rien d'autre, au fond,que la responsabilité attribuée par le Christ à chaque baptisé.Et il dit également à chacun de nous : “Va, et répare ma mai-son.” Nous sommes tous appelés à réparer à nouveau àchaque génération la maison du Christ, l'Église. Et ce n'estqu'en faisant ainsi que l'Église vit et devient belle. Et commenous le savons, il y a de nombreuses façons de réparer, d'édi-fier, de construire la maison de Dieu, l'Église. Elle s'édifie ensui-te à travers les vocations les plus diverses, de celle laïque etfamiliale à la vie de consécration particulière, à la vocationsacerdotale.

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SAINT FRANÇOIS, PATRON DE L’ANAWA

la similitude d'appel avec François (1182-1226). Tous les deuxsont riches et fils de riches marchands, tous les deux entendentl'appel de la pauvreté évangélique et quittent tous leurs bienspour prêcher le retour au Christ. François, en vrai anaw,demeurera obéissant à l'Eglise et sa sainteté illumine encore denos jours le ciel de l'Eglise, Pierre Valdo se montrera rebelle et“soupçonnera le mal” dans l'Eglise, il le dénoncera avecvigueur et deviendra fauteur de trouble, de schisme et d'hérésiepar rapport à l'eucharistie et au sacerdoce entre autres. Il avaitoublié l'humilité et la douceur.

“N'ayez pas peur d'imiter saint François !” Allocution deBenoît XVI aux jeunes à Assise, 17 juin 2007 :

En somme, François était un véritable amoureux de Jésus. Il lerencontrait dans la Parole de Dieu, dans ses frères, dans lanature, mais surtout dans sa présence eucharistique. Il écrivaità ce propos dans le Testament : “Je ne vois rien d'autre en cemonde, corporellement, du même très haut Fils de Dieu, sinonson très saint corps et son très saint sang.” La crèche deGreccio exprime le besoin de le contempler dans sa tendrehumanité d'enfant. L'expérience de La Verne, où il reçut lesstigmates, montre à quel degré d'intimité il était arrivé dans sarelation avec le Christ crucifié. Il pouvait réellement dire avecPaul : “Pour moi, vivre, c'est le Christ.” S'il se dépouille de toutet choisit la pauvreté, le motif de tout cela est le Christ, et seu-lement le Christ. Jésus est son tout : et cela lui suffit !

Précisément parce qu'il est du Christ, François est égalementhomme de l'Église. Du Crucifié de Saint-Damien, il avait eu l'in-dication de réparer la maison du Christ, qui est précisément l'É-glise. Entre le Christ et l'Église, il y a un lien intime et indissoluble.Être appelé à le réparer comportait certainement dans la mis-sion de François, quelque chose de personnel et d'original.

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ETHOS DE L’ANAWA

Pas de hiérarchie sinon celle du serviceVivre par la foiAbandon à la ProvidenceCulture de vie, joie,

le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant, renoncer aux passions pour vivre passionnément

FraternitéLiberté

L'ultime question de notre examen final

En étudiant le vocabulaire biblique sur l'anawa on s'aperçoitqu'il ne fait pas de différence entre les pauvres dans l'Esprit, lesdépouillés de leur ego par le feu divin et les épreuves de ceuxque la vie a accueillis ou rendus pauvres, handicapés et affli -gés. La Bible ne fait pas de différences entre l'affliction du peu-ple sous le fouet de l'Egyptien et Moïse rendu humble, pauvreet doux par la transfiguration de l'Horeb et la terrible main deDieu. Non seulement elle ne fait pas de différence mais elleaffirme avec Jésus que les plus pauvres sont les plus prochesdu Royaume des Cieux comme c'est le cas des prostituées. S'ilest un verset angélique c'est bien celui-ci : les prostituées vousdevancent dans le Royaume des Cieux ! Nous affirmons dansnotre Livre de Vie de la Communauté des Béatitudes, à la suitedu pauvre d'Assise, que les pauvres sont nos Seigneurs. Cen'est pas une formule de style, c'est du réalisme spirituel, uneévidence à laquelle il nous faut nous rendre en privilégiant l'ac-cueil des plus pauvres dans nos maisons et en les considérantcomme un véritable sacrement de la présence de Dieu parmi

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Ethos de l’anawa

Ne rien posséderNe pas prêter à intérêtNe pas épargnerNe pas se défendreNe pas cultiver l'amertumeNe pas faire de sermentsAmour des ennemisPardon des offenses (remettre les dettes)Ne pas faire de procèsTotal abandon à la Providence, ne s'en remettre qu'à DieuNon-violence Pratiquer la justiceRupture avec l'esprit du monde = persécutionPréférence pour les pauvres :

malades, prisonniers, handicapés physiques et mentauxPardon inconditionnelLe non-jugementNe pas dire de mal mais bénirNe pas soupçonner le malMiséricordeEsprit d'enfanceServiceRenoncement au pouvoir

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ETHOS DE L’ANAWA

Epilogue

Es-tu pauvre, aimes-tu la pauvreté, aimes-tu ta pauvreté ?

Cherches-tu à cacher ta pauvreté comme les pharisiens ou laméprises-tu comme les sadducéens ?

Passes-tu ton temps à te justifier aux yeux des autres, aux yeuxde Dieu et à tes propres yeux ?

Sais-tu qu'être en règle avec une loi, même la meilleure, ne suf-fit pas à te justifier ?

Où sont tes pauvres, aimes-tu les pauvres ?Discernes-tu le corps du Christ dans les pauvres ?

Si tu discernes le corps du Christ dans l'Eucharistie, tu doisaussi, sous peine d'incohérence, le discerner dans les autres àcommencer par les plus pauvres.

Soignes-tu le Christ malade, le visites-tu en prison, l'habilles-tu dans sa nudité, lui donnes-tu à manger et à boire ?

Sais-tu que tu es perdu et malade et que le Christ est le seulmédecin de ton âme ?

Considères-tu les autres comme supérieurs à toi ?

As-tu renoncé à toute forme de pouvoir ?

Cherches-tu la dernière place ?Pratiques-tu le shafal,cherches-tu à t'abaisser ?

Est-ce que le bien que tu fais, tu l'entoures de secret ?

Sais-tu que ton pire ennemi, c'est ton propre personnage ? Sais-

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ETHOS DE L’ANAWA

nous. N'oublions pas que le seul sujet de notre examen finalportera sur l'accueil du Christ nu, affamé, humilié, prisonnier etmalade. Qui ne rêverait de connaître le sujet des examens avantde s'y présenter ? Nous, nous le connaissons et nous n'auronspas d'excuse si nous n'avons pas travaillé à aimer les plusdémunis, les dépendants de notre attention pour vivre. L'amourparfait vient de l'anawa car c'est seulement dans l'humilité etles larmes que nous pouvons nous reconnaître pauvres et deve-nir les réceptacles de l'amour miséricordieux.

Lors du jugement particulier, Jésus ne nous confrontera pas àune liste de vertus, il ne nous jugera pas selon la loi, il ne nousdemandera pas si nous avons fait des efforts pour arrêter defumer, pour chasser les pensées impures, si nous avons jeûnépendant le carême etc. ... Non ! Il nous dira : ce que tu as faitaux plus petits, c'est à moi que tu l'as fait, ce que tu n'as pas faitau plus petit c'est à moi que tu l'as refusé, alors il n'y a pas deplace pour toi ici, au Royaume de l'Amour :

Retirez-vous de moi, maudits ; allez dans le feu éternel qui aété préparé pour le diable et pour ses anges. Car j'ai eu faim,et vous ne m'avez pas donné à manger ; j'ai eu soif, et vous nem'avez pas donné à boire ; j'étais étranger, et vous ne m'avezpas recueilli ; j'étais nu, et vous ne m'avez pas vêtu ; j'étaismalade et en prison, et vous ne m'avez pas rendu visite. Ilsrépondront aussi : Seigneur, quand t'avons-nous vu ayant faim,ou ayant soif, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, etne t'avons-nous pas assisté ? Et il leur répondra :

Je vous le dis en vérité,

toutes les fois que vous n'avez pas fait ces choses

à l'un de ces plus petits,

c'est à moi que vous ne les avez pas faites.

(Mt 25, 41-45)

Page 80: Les versets angeliques

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ETHOS DE L’ANAWA

tu qu'il n'est qu'une illusion ?

Vis-tu ta mort et ton baptême ?

As-tu remis ta santé, ta survie matérielle, mentale et spirituelleà la Providence divine ?

Sais-tu que sans la confiance en la miséricorde ta vie est stérile ?

Peux-tu dire : “On ne me prend pas ma vie, c'est moi qui ladonne ?”

Peux-tu dire : “Le Christ est mon amour, il est toute ma vie ?”

Dis-tu du bien de ceux qui disent du mal de toi ?

Pratiques-tu la louange en toute occasion ?

Est-ce que tu te réjouis du mal qu'on dit de toi ?

Est-ce que tu bondis de joie dans la persécution ?

Vis-tu dans l'attente de la venue du Seigneur ?

L'anawa sera le paradigme central de la Pentecôte d'amour.

Que la Vierge Marie, qui a accompagné avec une sollicitude maternelle le chemin de l'Eglise naissante,

guide nos pas également à notre époque et nous obtienne une

nouvelle Pentecôte d'amour.

(Benoît XVI)

Vous pouvez faire un don pour l’impression et diffusion gratuitede ce nouveau livre d’Ephraïm.

Même le plus petit don sera le bienvenu !

Envoyez votre chèque à l’ordre de “Kinor” à :Kinor, 2250 Route de Mont de Marsan, 40420 Labrit

... et parfois je rêve que se lève une autre Catherine de Siennequi ramènera le Pape en sandales à Jérusalem... ce sera alors lafin où l'Eglise sans ride ni tache accueillera le retour du Christen chantant : “Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur !Maranatha !”

Kigali, 17 février 2009

Page 81: Les versets angeliques

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Aux Editions Kinor...

CD audio conférences d’Ephraïm

Culture, croyances et religionsSérie “dialogue interreligieux”Le Judaïsme (CD Réf. 144 à 7 E)

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Série “L’histoire de l’Eglise”Introduction (CD Réf. 162 à GRATUIT - réservé aux particuliers)

1er Volume : Le 1er siècle (Coffret 2 CD Réf. 114 à 10 E)

Libération de l’être et guérisonEnvie de changer radicalement ? Le point d’orgueil (Coffret 2 CD Réf. 114 à 10 E)

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Il n’est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse (CD Réf. 157 à 7 E))

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Vous y trouverez également toutes nos activités : - Ecole de Formation à la Relation d’Aide - Stages pour la guérison - Animations spirituelles- Revue “Des Mots pour Guérir”

Page 82: Les versets angeliques

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Pour percevoir DieuSérie “Faites l’expérience de Dieu avec vos 5 sens”Introduction : 5 sens pour percevoir Dieu (CD Réf. 118 à 7 E)

Le toucher pour percevoir Dieu (Coffret 2 CD Réf. 119 à 10 E)

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Vivre une méditationPère pardonne-leur (CD Réf. 151 à 7 E)

L’esprit d’abandon, Ps 131 (CD Réf. 152 à 7 E)

Touché par Dieu bébé (CD Réf. 148 à 7 E)

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L'hymne à l'amour (CD Réf. 171 à 7 E)

Au milieu de la nuit, dans la souffrance et l’épreuve (CD Réf. 172 à 7 E)

164

Foi et vieDe la transe à l’extase (CD Réf. 141 à 7 E)

La volonté de Dieu... et la mienne ? (CD Réf. 112 à 7 E)

Dieu me juge-t-il ? (CD Réf. 145 à 7 E)

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La vie mystique pour les incapables (CD Réf. 128 à 7 E)

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Connaissance de soi et science de l’humainPsychologie et vie spirituelle (CD Réf. 117 à 7 E)

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Mon monde, mon système immunitaire (CD Réf. 160 à 7 E)

La maladie, le mal a dit (CD Réf. 123 à 7 E)

L’homéopathie, danger ou bienfait ? (CD Réf. 120 à 7 E)

D’où nous viennent ces étranges désirs ? (CD Réf. 116 à 7 E)

Qui suis-je pour mes parents ? (CD Réf. 106 à 7 E)

Ma part d’ombre (CD Réf. 139 à 7 E)

Les rêves (CD Réf. 134 à 7 E)

Le pacte inconscient (CD Réf. 107 à 7 E)

Qu'est-ce que l'hypnose ? (CD Réf. 163 à 7 E)

La mémoire (CD Réf. 168 à 7 E)

Pathologie : la personnalité paranoïaque (CD Réf. 170 à 7 E)

Série “Les mécanismes de défense”1ère partie : Une arche de Noé dans la tête (CD Réf. 146 à 7 E)

2ème partie : Projection et spiritualisation (CD Réf. 147 à 7 E)

3ème partie : Le déni et l'introjection (CD Réf. 149 à 7 E)

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Page 83: Les versets angeliques

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8 Elle propose une vérit able synthèse scientifique mettant en jeu lesplus récents travaux et découvertes de la personnalité humaine en matièrede thérapie.

8 Elle décerne un diplôme de "Praticien en Relation d'Aide" à tout sta-giaire qui suit intégralement les 5 MODULES et dont les compétences sontreconnues par l'équipe d'encadrement.

MODULE 1 : Comprendre et améliorer la communicationw acquérir une capacité d'écoute maximalew écouter avec tous ses sensw se connaître pour connaître les autres (ennéagramme)w bases Programmation Neuro Linguistiquew les distorsions cognitives : imaginaire et réalité…

MODULE 2 : L’homme, ses ressources, ses défensesw découvrir ses ressources humaines et spirituellesw comprendre ses mécanismes de défensew retrouver la mémoire des blessures et les changer

MODULE 3 : En finir avec le p assé pour ouvrir l'avenirw remodelage du tempsw mémoire de l'Arbre Généalogiquew reconnaître les pathologies et savoir quand on peut intervenir

MODULE 4 : Croyances et Santéw foi et croyancesw croyances limitantesw métaphore de la vie, du corps et de la maladie

MODULE 5 : Visite des profondeursw la communication inconscientew bases de l'hypnose ericksoniennew rééducation de la sensorialité et des puissances de l'âmew communication avec soi-même et avec Dieu

Il est indispensable de commencer par le MODULE 1 !

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Formation - Stages - Retraites

Ecole de formationà la Relation d’Aide

Une formation de qualité certifiante avec nos formateurs et encadrants :

Marco La Loggia (Thérapeute-Analyste-Clinicien, PNL, diplômé de l’EPC)

Emilie Pécheul (Thérapeute-Analyste-Clinicien, PNL, Psychogénéalogie, ThérapieSystémique, diplômée de l’EPC),

Anne Denoual (Psychothérapeute, diplômée de l’IFHE)

Vous êtes responsable d'un groupe, de jeunes, de familles ? V ous fai -tes beaucoup d'écoute ? V ous devez donner des conseils, encouragerou encadrer des personnes ? ...

dans un cadre magnifique de la forêt des Landes...

Pour vous aider nous proposons au sein de notre Association Kinor unestratégie pédagogique sur 5 MODULES pour l'acquisition d'un savoir com-plet couvrant les aspects de l'individu et du groupe dans son évolutionpsychologique, spirituelle, de son épanouissement humain à sa réalisationvocationnelle.

8 Cette Ecole de formation à la Relation d’Aide s'adresse à tous, et enparticulier à tous ceux qui dans leurs activités doivent gérer des relationshumaines : Assistantes sociales, enseignants, directeurs d'établissements scolaires,PDG, commerciaux, DRH, infirmières, médecins, psychiatres, religieux,aumôneries, professionnels des médias mais aussi tout un chacun sontvenus parcourir le cycle des 5 MODULES.

Page 84: Les versets angeliques

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Retraites et WE spirituelsanimés par le Père Jean Emmanuel

Pendant 4 jours (retraite) ou 2 jours (Week-End) nous vivrons ensemble etdans le Cœur de Marie, Mère de l'Extrême Miséricorde, des temps d'ensei-

gnement et partage, d'adoration, de louange, de prière pour la guérison.

Art et créativité (3 jours) guidé par Esther Strub, formatrice en Art Plastique

Ce stage d'expression artistique à travers le dessin, la couleur et les formes,vous propose d'épanouir vos capacités créatrices.

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Stages de guérison

Enseignements, entretiens individuels, apprentissage concret par des exer-cices thérapeutiques.

Réenchanter sa Généalogie (3 jours) animé par Emilie Pécheul et Marco La LoggiaNous sommes porteurs de l'histoire, la nôtre, celle de nos parents et aïeux,celle de notre pays… qu'en faisons-nous et que fait-elle de nous ? Un stagede guérison essentiel pour vivre le pardon et la réconciliation de notre his-toire, vivre de véritables libérations dans une responsabilité personnelleassumée. Dans ce stage un travail systémique sur la généalogie et l'histoi-re familiale sera proposé à chaque stagiaire.

Estime de soi - lâcher prise (4 jours) animé par Marco La Loggia et Emilie PécheulL'amour de soi a soulevé bien des méfiances voire du mépris et de l'aver-sion. Stress, angoisses, souffrances… autant de choses qui une fois lâchésnous font entrer dans la vrai relation. Un stage fondamental de guérisonpour mieux vivre la relation à soi-même.

La Communication Non Violente - 100% positif (4 jours)animé par Marco La Loggia et Emilie PécheulLe concept de non-violence recouvre celui de l'amour des ennemis. C'est lechemin de la douceur et du pardon. Mais c'est un chemin difficile qui s'ap-prend et passe par la guérison. Ma parole peut détruire ou construire,rabaisser ou édifier. Pour changer notre rapport au monde, aux proches,renouveler nos liens familiaux voici un stage de guérison qui changera votrevie au quotidien.

Oser la vie - Vis et deviens (4 jours) animé par Anne Denoual et Emilie PécheulCe stage vous est proposé pour un parcours thérapeutique : il consiste àrevisiter votre vie et la mettre à la lumière de l'abondance qu'elle offre, allervers vous et mieux vous déployer sous le regard de Dieu. Les questionsabordées sont notamment : les blessures de l'enfance, les peurs, la liberté,nos limites et leurs dépassements. Nous nous laisserons entourer de la dou-ceur de la Vierge Marie.

Demandez-nous le programme gratuit de nos sessions !

Pour toutes informations et inscriptions :Kinor, 2250 Route de Mont de Marsan, 40420 Labrit

05 58 51 03 57 - [email protected] - kinor.biz

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La Revue gratuite “Des Mots pour Guérir”

L’abonnement à cette revue trimestrielle est gratuit ! Mais vous pouveznous soutenir par une participation libre. A titre indicatif un abonnementpour 1 an nous revient à environ 15 �.

Abonnez-vous à cette revue !Vous y trouvez :

- Des questions brûlantes et passionnantes du monde d’aujourd’hui,comme : Le désir de guérir (épuisé) ; La communication inconsciente (épuisé)

Le sens de la maladie (épuisé) ; La méditation (épuisé) ; Le sommeil (épuisé) ;L’estime de soi (n°6) ; La transe (n°7) ; L'extase (n°8) ; La communication non-violente (n°9) ; Les rêves (n°10) ; La mémoire (n°11)

- Un sujet traité p ar l’avis d’un médecin

- Un thérapeute un p atient, un “état problème” est raconté et commenté

- Un visage une vie, présentation d’une personnalité en lien avec son profil psychologique (Charles de Foucauld, Gandhi, Martin Luther King, Sr Emmanuel du Caire...)

- Humanit aire, notre présence en Afrique

- Un exercice pour guérir , métaphore, bibliographie…

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Demandez-nous un n° gratuit !

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