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Les Veilles Michel C. Mora

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Les Veilles

Michel C. Mora

22.02 642971

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 282 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,055 mm) = 17.58 ----------------------------------------------------------------------------

Les Veilles

Michel C. Mora

Mic

hel

C. M

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A l’époque actuelle on fait grand cas des livres. Les livres ne sont faits que de mots. Les mots ne valent que par des idées. Les idées ont une origine qui ne peut s’exprimer par des mots.

(Tchouang-Tseu)

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Première veille

En cette veille du solstice le disque solaire ensanglanté s’empale lentement sur la pointe du minaret de la Koutoubia. La place Djamaâ-El-Fna dont le nom signifie « assemblée des morts » est bien plus que vivante, elle explose en ces nuits les plus courtes. Elle éclate des cris des marchands d’agrumes, des clameurs des camelots, des musiques des orchestres, des rhaïtas aigrelettes, des grelots des marchands d’eau quêteurs de photos, des sons continus et envoûtants des zurna charmeuses de serpents, des rythmes des Taâriya, des tambourins lancinants, des danseurs folkloriques, des djembés endiablés, des applaudissements provoqués par les jongleurs, lutteurs, saltimbanques… Le tout auréolé des fumées âcres des rôtisseurs masquant les fragrances épicées de musc, d’ambre, de cèdre, de fleur d’oranger, de jasmin, de menthe, d’huile d’olive

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et d’onguents…. Classée par l’UNESCO en 2001 « Patrimoine

ORAL mondial », le premier du genre à l’échelle planétaire, elle est aussi le domaine des petites vertus et des grandes gueules, des bonimenteurs menteurs, des charlatans éclatants, des bateleurs hâbleurs, des déchiffreurs de runes, des conteurs de lune…. et des voleurs aux doigts de plume. Mais c’est surtout la patrie des conteuses et des conteurs.

Dans ce tohu-bohu joyeusement infernal, marchant tout droit d’Ouest en Est, un impressionnant et mystérieux haut personnage avance dans la foule qui s’écarte spontanément sur son passage comme la figure de proue d’une étrave fendant la mer.

Une canne à la main, une lanterne de l’autre, il est accompagné par une enfant qui s’accroche à son ample manteau. Par sécurité ou pour le guider ?

La capuche retombant bas sur son visage, il tend fermement sa canne devant lui.

La jeune fille qui l’accompagne porte une jarre en forme de boule sur la tête ainsi qu’une outre en bandoulière.

Une douzaine de personnes les suivent portant chacune à la main une lanterne ou un lampion éteint.

Des curieux viennent leur emboîter le pas. Le groupe d’hommes et de femmes de tous les

âges, de tous horizons grossit peu à peu. Certaines personnes semblent se connaître, d’autres non, qui

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s’incorporent par curiosité au cortège. La densité de la foule diminue, les bruits

s’estompent au fur et à mesure que la procession s’écarte du centre de la place.

Arrivé dans une cour, un peu à l’écart, loin des éclairages, le grand moine barbu s’arrête soudain.

La file s’immobilise attentive. L’enfant lâche la djellaba.

Le vieillard se retourne vers l’Ouest, recule d’un pas, s’arrête et recommence trois fois. Faisant demi-tour, il s’immobilise un long moment.

Le silence alentour s’établit. Il dépose lentement sa lanterne à terre, se redresse

de toute sa hauteur. La gamine décroche l’outre en peau de chèvre de son épaule et verse cérémonieusement de l’eau dans le creux des mains de l’ancien.

Ayant rejeté sa capuche en arrière, découvrant le regard blanc de ses yeux morts, par trois fois le vieux se lave les mains et se rafraîchit soigneusement le visage.

Puis il ramasse sa lanterne, reprend sa progression vers l’Est de quelques pas et trace avec son bâton un nouveau trait sur le sol.

L’enfant revient saisir le bas de la djellaba. Après un long moment d’une pieuse immobilité il

franchissent ensemble la ligne tracée sur le sol. L’enfant prend la lanterne qu’elle dépose à ses

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pieds et place la canne parallèlement au trait qu’il vient de tracer.

Le vieil ermite étend les bras en croix et se met à psalmodier des mots d’une langue étrange. Un chant rauque et vibrant s’élève en volutes.

Les grandes manches s’envolent. Il fait face tour à tour aux quatre horizons en répétant le mystérieux cantique. Enfin il lève un bras dressant son index haut vers le ciel, puis l’abaisse en le pointant vers le sol marquant ainsi la verticale du lieu.

Calmement l’ancien franchit le bâton perpendi-culaire à son chemin, la jeune fille le ramasse dès qu’il l’a franchi, le lui remet bien en main gauche et place par la même occasion dans la même main un petit cerceau de bois puis lui replace la lanterne dans la main droite.

Le patriarche fait quelques pas, sept exactement et se tournant fait face à sa petite troupe. Il sort la bougie de sa lanterne et la tend devant lui se retrouvant ainsi près d’un muret en partie écroulé où se devine l’emplacement charbonneux d’une ancienne forge.

Il s’assied sur une des grosses pierres, un vénérable olivier tord ses racines et ses branches sur sa droite et un fier laurier rose de l’autre donne à ces ruines un peu de couleur, de frémissement et de fraîcheur.

Les gens se répartissent en un large éventail, les uns restent debout, d’autres prennent place sur le petit mur, certains ont prévu coussin ou siège pliant et

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s’installent au mieux.

La clarté du jour décline. Dans la semi-obscurité ceux qui portent un luminaire s’approchant de l’ancien l’allument à la flamme de sa lanterne puis disposent les lampes en arc de cercle autour de lui.

La jeune assistante verse par terre, en désordre, le contenu du vase qu’elle portait sur la tête, puis trace au sol un triangle.

L’ancien, se penche, saisit le pot et le place au sommet du triangle, puis il ramasse un couteau à poignée d’or dans son étui d’argent.

Il l’extrait de son fourreau et d’un geste brusque tranche l’air verticalement et lentement dispose les deux objets, côte à côte, en ligne devant le pot.

Il prend ensuite un gobelet d’étain et deux petites boules moitié noires et moitié blanches qu’il aligne sous le poignard et son fourreau.

Il dépose le gobelet et deux boules noires et blanches sur une deuxième ligne sous le couteau et son étui.

Il saisit un second gobelet plus grand et lui joint un ensemble de trois boules mi-noires mi-blanches formant bloc et deux dès noirs et blancs. Il aligne ces quatre objets sur la ligne de base du triangle.

Ainsi les dix objets sont rangés, alignés, ordonnés avec un tel soin que l’on sent que chaque détail est pour le conteur comme pour son aide, lourd de sens.

Une fois terminé l’enfant frôla la djellaba.

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Au dessus du triangle contenant les 10 objets, le conteur écarta ses mains en un doux et délicat geste de partage vers l’assistance.

Ensuite la jeune assistante tendit solennellement la canne et le petit cerceau que l’aveugle serra ensemble dans sa main droite et qu’il tendit devant lui en direction des spectateurs. Il resta ainsi immobile. Silence imposant.

Les premières étoiles apparaissent au firmament.

« En cette journée qui commence, je dis bien qui commence, car dans ma tradition familiale la nuit, évidemment, précède le jour parce que l’idée précède l’action, le rêve la concrétisation, le principe la réalisation.

Faire le contraire, commencer la journée par le lever du soleil c’est, pour mes chers anciens, vouloir construire une maison en commençant par le toit.

Je me présente. On m’appelle « le conteur aveugle ». J’aime cette

désignation anonyme. Je ne sais ni lire ni écrire, je ne sais que conter,

raconter, re-raconter sempiternellement. Je suis un bon représentant de ce « P.O.M. d’Or »,

ce « Patrimoine Oral Mondial « qui honore le lieu où nous sommes.

Issu d’une lignée infinie d’orateurs qui ont probablement évité les pièges de l’écrit.

Ma dynastie de conteur transmet la parole de

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générations en générations, depuis… toujours ! »

Long silence. Un petit sourire éclaira soudain son visage buriné

et sévère.

Dans l’expression depuis l’origine des temps on peut penser à la création des premiers outils de pierres taillées, à la maîtrise du feu mais tenons nous en à l’apparition du langage qui distingue l’être humain des animaux. Cela se situe dans la vaste fourchette située entre deux cent mille et plusieurs millions d’années selon nos savants.

Ainsi « en ce temps là… » ou « il était une fois… » notre lointain ancêtre s’est dressé sur ses pattes arrières provoquant un phénomène annexe étonnant, il s’est… décoincé quelque chose du côté des cordes vocales qui l’a fait passer des grognements et vociférations au langage articulé.

Énorme révolution. A partir de là, les mots ont pu formaliser les idées. Il s’est produit une chose naturelle d’une

importance énorme à laquelle nous n’accordons pas l’importance FANTASTIQUE qu’elle mérite : « La Veillée ».

Ordinairement, depuis l’aube, le clan s’est divisé en petits groupes pour aller chasser, pêcher, cueillir des baies, des céréales, arracher des racines, amener de l’eau, du bois pour le feu…

L’après-midi venu, un temps important est

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consacré à la préparation de ce butin. Une fois que tout le monde est rassemblé, il faut éviscérer les gibiers, les dépecer, découper en parts égales. Il faut ouvrir, écailler et laver les poissons ; trier, nettoyer, écosser les fruits récoltés ; égrener les céréales, les moudre ou les piler au mortier. Réunir les matériaux pour faire les outils et les armes, rassembler le bois pour construire des abris comme pour raviver le feu central.

Donc tout un travail fait en commun qui va aboutir au point culminant de la journée : le cercle de toute la famille, le clan ou la tribu autour du feu au moment où clignotent les premières étoiles.

C’est un moment simple, naturel, traditionnel dont j’aimerai que vous retrouviez le sens profond. J’espère que le petit rituel que je vous ai fait exécuter y a participé.

Même si, ce soir, les fumées de la place Djamaâ-El-Fna nous portent les fumets de grillades sauvages, ce n’est pas le feu lumineux, crépitant qui est central, il est remplacé par un sombre conteur aveugle qui va, par contre, essayer de vous transmettre la chaleur et la lumière des enseignements ancestraux.

Les êtres réunis, tournant le dos aux ténèbres, leurs visages éclairés par la lueur des flammes se faisant face, partageaient le fruit de leur quête du jour, instant de communion profond, essentiel.

De grands feux venaient remplacer la lumière de

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l’astre solaire disparu. Former ces cercles correspondait à lui adresser une prière. Autre fonction, ces feux faisaient fuir d’éventuels prédateurs en même temps qu’ils cuisaient les aliments, distinction décisive entre l’homme et l’animal.

Dans ces cercles solaires ils partageaient le fruit de leurs quêtes, de leur labeur, leurs soucis, leurs rires, leurs chants…

Mais pas seulement ! L’homme a besoin de comprendre, de trouver un

sens, de se rassurer sur son origine, de connaître la source des êtres, des choses et des phénomènes de cette mystérieuse VIE dans laquelle il est entraîné malgré lui.

Il doit trouver des solutions aux obstacles qu’il rencontre, il a soif de comprendre presque autant que de boire.

Autour du feu, comme nous le reproduisons ici ce soir, nous perpétuons traditionnellement ces veillées dans lesquelles les hommes ont partagé des fables riches d’enseignements, des contes merveilleux, des mythes fondateurs, des sagas emblématiques, des épopées riches de symboles puissants…

L’humanité a toujours cru dans la parole de ces voyageurs du pays des rêves, ceux qui disaient avoir visité les mondes invisibles, être les messagers des ancêtres, les liens entre le ciel et la terre.

Ainsi les femmes et hommes préhistoriques, après avoir écouté les histoires des conteurs partaient

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dormir apaisés. Rassurés, ils pensaient avoir compris.

Et notre dynastie de conteurs, à travers les siècles et les siècles s’est efforcée de transmettre ces beaux et puissants récits qui tentent d’expliquer le monde mais qui surtout enrichissent les rêves, ces rêves qui sont le limon fertile dans lequel ont poussé bien des merveilles.

Je dis fertile car, pour nous, la tradition orale ne consiste pas à réciter les contes mot à mot. C’est l’écriture qui fige, glace, pétrifie.

La tradition orale sème des mots, pas dans le vide, pas sur n’importe quel terrain, ni à n’importe quel moment. Ces mots – semences tombent dans des sols et des terroirs multiples qui vont les faire croître, fleurir et s’épanouir selon les époques, les lieux et les cultures… ou les laisser mourir.

C’est l’esprit qui compte… pas la lettre. De même qu’un arbre n’a pas une seule feuille qui

puisse se superposer exactement à une autre, tout en restant fidèle à sa forme. Au premier coup d’œil on reconnaît immédiatement un genre, une espèce, une structure ou une famille à laquelle appartient une ramure, un fruit….

Dans ces temps anciens où la planète entière était à la disposition de quelques groupes humains libres comme l’air, quelques clans qui n’avaient que les quatre horizons et leurs 1000 peurs comme frontières

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formaient ces unités qui ne pouvaient être que soudées.

Exclure du groupe condamnait à mort.

Avant de vous révéler les plus riches trésors de cette tradition orale qui nous vient des origines du verbe, je veux mettre l’accent sur des choses simples et naturelles qui méritent une attention particulière. On n’y pense guère car elles sont sorties de nos vies et sont diluées dans l’avalanche des informations chaotiques actuelles.

Reprenons notre voyage aux origines de la tradition orale.

L’humain n’était pas un être pensant, il était un élément d’un groupe immergé dans un univers où tout était imprégné de pensée, d’esprit, de rêve. Tout était sacré disent certains. Le pays d’origine était le pays des rêves.

Mais il faut désacraliser le mot « SACRÉ », le sortir de son contexte religieux. Est sacré ce qui est mis au centre de notre attention, de notre réflexion, de notre ressenti, qui est profondément ancré en nous.

Donc nos anciens faisant cercle dans la nuit d’un monde où tout est sacré, ne sont pas forcément paralysés de peur, mais ils ressentent fortement la nécessité de ce feu qui compense l’absence du soleil, de ce repas partagé, de cette intimité, de cette communion.

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Au sein de ces cercles nocturnes, sécurisées par des veilleurs, se sont contés les tous premiers récits d’aventure, les mythes fondateurs initiaux, les genèses primitives, les tentatives pour expliquer les mystères du monde principalement durant les nuits sans lune.

Dans ces assemblées, naquirent l’embryon des écoles, les ébauches des cultures, les germes des religions, des premières universités, des premières églises… C’est là aussi que les regards tournés vers les étoiles ont observé minutieusement leurs mouvements, cherché à deviner le sens des signes qu’ils semblaient tracer dans le ciel, pour guider les humains.

Mais il y a une chose étonnante qui doit nous venir du plus profond des âges. Un signe tellement simple. Trop simple ?

Lorsque les hommes ont voulu représenter le soleil ils ont tracé sur le sol poudreux, dessiné ou gravé sur une paroi, un cercle… évidemment… mais ce cercle, étrangement, comportait un point central. Et ce petit point central est capital car si le cercle est indiscutablement, réellement visible, le point central n’existe pas.

Il a été, mis à dessein pour signifier quelque chose.

On peut le constater dans les hiéroglyphes égyptiens, dans les signes cunéiformes sumériens ou dans les signes chinois. Partout on retrouve dans le signe désignant le soleil le centre nettement pointé.

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Une voix féminine s’éleva timidement du cercle des auditeurs :

– « Vous avez dit que vous ne saviez ni lire ni écrire… »

– « En effet !… Mais on sent bien sous les doigts ces signes gravés que j’ai appris à déchiffrer, on m’a appris à faire attention à ces minuscules détails comme le petit point central qui n’attire guère l’attention de la plupart des voyants. Je reviendrai plus tard, si vous le voulez bien, sur ce passage de l’oral à l’écrit qui a été une fantastique révolution dans le destin de l’humanité et sur le sens capital de ce cercle nettement pointé. Image de l’iris. Je voudrais vous faire remarquer que les premiers écrits ont été marqués en creux sur de lisses tablettes de fine argile. Elles pouvaient être lues par les non-voyants alors que les papyrus ne l’étaient pas.

Revenons à nos assemblées nocturnes à nos veillées. Vu du ciel ou même du haut de l’arbre où se tenait le veilleur, apparaît, dans la plaine sombre, le cercle formé autour du feu semblable au signe solaire que je viens de vous décrire. Que ce soit consciemment ou inconsciemment, les premiers hommes, dans les nuits de la « nuit des temps » et jusqu’à nos jours, forment un anneau, une chaîne… ronde avec son centre lumineux. Ils tracent ainsi, avec leur corps rapprochés, ce cercle hiéroglyphe comme signe d’appel, de respect, d’adoration vers le soleil qui

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les a abandonné. Je préfère nommer ces assemblées dont nous

perpétuons encore ce soir le rite, non pas des veillées mais des « cercles solaires ».

La preuve que ces assemblées étaient essentielles est que les hommes ont voulu sacraliser ce symbole en formant des cercles de pierres dressées jusqu’à devenir ces étonnants et merveilleux temples mégalithiques circulaires qui semblent immobiliser pour l’éternité des rondes de prêtres telles qu’à Göbekli Tepe, à Malte, à l’île de Pâques ou dans le majestueux site de Stonehenge comme dans le temple de l’oracle de Delphes etc…

C’est cela qui a pu provoquer chez nos archéologues et anthropologues ce questionnement important :

Est-ce le fait de s’être sédentarisés qui a fait les premiers temples ou est-ce le fait d’avoir voulu dresser ces cercles de pierres qui a obligé les humains à se sédentariser ?

Est-ce le spirituel qui a précédé le matériel ou l’inverse ?

Pour les miens, qui font précéder la nuit au jour, le moment des pensées, des mystères, des rêves, des projets à celui de la réalisation, de l’action, de la matérialisation, cela ne fait aucun doute. Il semble évident que l’art sacré a précédé l’art profane. Par contre si les hiéroglyphes égyptiens ont précédé l’écriture profane, comptable, administrative, Sumer a

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eu, c’est certain, la démarche totalement inverse.

Dans ces assemblées nocturnes, mes ancêtres contaient de merveilleuses histoires.

Les inventaient-ils ? Comme les troubadours, les trouvères occitans qui devaient chercher puisqu’ils… trouvaient.

Ils cherchaient parmi la foule des questions qui se posaient : les amours, les haines, les conflits, l’ordre et le désordre, la lumière et l’obscurité, les combats de géants, d’ancêtres primordiaux, de monstres mythiques, de héros divins ou de masques…

Ce furent les cosmogonies et les genèses du monde qui fascinèrent certainement en premier.

Elles furent basées sur les éléments ou catastrophes naturelles sources de naissances et renaissances : les eaux primordiales, les éclats de tonnerre et de foudre, sur les modèles mystérieux de l’œuf, du germe, de la graine, sur l’arbre et ses racines terrestres ou célestes, sur la glaise jaillissant des mers, sur les souffles puissants qui aspirent vers le ciel ou les effondrements qui font béer les portes infernales…

Cette merveilleuse faculté d’imagination associé aux talents du verbe créèrent des mythes dont nous sommes imprégnés.

Je ne vous conte pas ces histoires je ne fais que réveiller ces revenants qui sommeillent en vous.

Ensemble, on engendre, on accouche de ces mythes enfouis… mais où ? En chacun de nous ou dans une vaste mémoire à laquelle nous sommes tous

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reliés ?

Le premier, que j’aime tout particulièrement, n’a jamais été écrit, il ne vit que par la transmission orale des conteurs, des griots en provenance des rares peuples de la forêt équatoriale africaine qui subsistent encore.

« – A l’origine des temps seul existe un œuf d’or dans un océan de vide.

Enfermé à l’intérieur de cette coque d’or pur, le Principe Premier (un dieu suprême que chaque peuplade nomme selon son goût) finit par souffrir de solitude et d’ennui dans sa coquille.

Voulant se libérer, il se fait triple en extrayant de lui-même les dieux « VOLONTÉ et « PUISSANCE ». Ainsi le principe premier devenant ternaire, dans un magnifique élan, les trois dieux unissant leurs pouvoirs font éclater l’œuf d’or primordial.

L’incroyable et titanesque explosion fit éclater la coquille en une fine poussière d’or qui forma la voie lactée. De fines particules firent la ronde des étoiles majeures qui commencèrent leur danse, deux parcelles rondes, égales firent la lune et le soleil.

Cependant, discrètement, un atome d’or tombant sur terre s’enfonça dans la glaise et quand… les temps furent arrivés… une petite graine de glèbe au cœur d’or se scinda en deux parts égales symétriques pour former le premier couple humain. »

Plusieurs contes de par le monde propagent cette