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Les Études comparées en Serbie Jelena Novakovic* Les Serbes ont une assez longue tradition comparatiste qu'il est impossible de présenter dans sa totalité dans un article. Cette tradition commence dans les années cinquante du XIXe siècle et se manifeste autant par l'introduction dans la littérature serbe des connaissances et des représentations des littératures étrangères que par les études comparées de différents phéno- mènes littéraires. 1 On constate que, au Lycée de Belgrade (qui deviendra en 1863 la Grande École et en 1905 l'Université), les cours de littérature comparée ont précédé ceux de littérature générale et de théorie littéraire, et même ceux de littérature serbe. Ce fait un peu inhabituel est lié à la présence d'un ragusain de renom, Matija Ban, homme de lettres et diplomate, qui vient à Belgrade en 1844 pour être précepteur des filles du prince Alexandre et qui enseigne la littérature française au Lycée. En 1852, il commence un cours de littérature comparée en présentant son programme de la façon suivante: J'ai l'intention de vous enseigner, avec la littérature française, la littérature slave, de vous faire un cours de littérature franco-slave comparée. C'est ainsi que, en formant notre littérature à l'exemple de la littérature européenne, nous conserverons sa physionomie particulière et nous lui donnerons une empreinte d'originalité qui la distingue des autres. 2 Les cours de Matija Ban avaient pour but de comparer la littérature serbe à la littérature française pour l'aider à s'élever au niveau des littératures européennes et pour transporter les acquisitions de la civilisation occidentale dans le milieu serbe. Mais bientôt Matija Ban * Professeur à l'Université de Belgrade, Serbie. Courriel : [email protected] 1. A ce sujet, voir: Naucna kritika komparativ-istickog smera (sous la direction de SLOBODANKA PEKOVIC et SVETLANA SLAPSAK), Beograd - Novi Sad, Institut za knjizevnost i umenost - Matica srpska, 1983, aussi bien que le livre de Z. Konstantinovic. 2. Cité dans: ZORAN KONSTANTINOVIC, Komparativ no vidjenje srpske knjizevnosti, Svetovi, Novi Sad, 1993, p. 46. 43

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Page 1: Les Études comparées en Serbie - ine-notebooks.org · approfondie est Stojan Novakovic, professeur à la Grande École, qui publie en 1868, dans la revue Vila (La Fee), l'article

Les É t u d e s c o m p a r é e s en Serb ie

Jelena Novakovic*

L e s Serbes ont u n e assez longue tradition comparatiste qu'il est impossible

de présenter dans sa totalité dans un article. Cette tradition commence dans

les années cinquante du XIXe siècle et se manifeste autant par l 'introduction

dans la littérature serbe des connaissances et des représentations des

littératures étrangères que par les études comparées de différents phéno­

mènes littéraires.1 On constate que, au Lycée de Belgrade (qui deviendra en

1863 la Grande École et en 1905 l'Université), les cours de littérature

comparée ont précédé ceux de littérature générale et de théorie littéraire, et

même ceux de littérature serbe. Ce fait u n peu inhabituel est lié à la

présence d ' u n ragusain de renom, Matija Ban, homme de lettres et

diplomate, qui vient à Belgrade en 1844 pour être précepteur des filles du

prince Alexandre et qui enseigne la littérature française au Lycée. En 1852,

il commence u n cours de littérature comparée en présentant son programme

de la façon suivante:

J'ai l'intention de vous enseigner, avec la littérature française, la littérature

slave, de vous faire un cours de littérature franco-slave comparée. C'est

ainsi que, en formant notre littérature à l'exemple de la littérature

européenne, nous conserverons sa physionomie particulière et nous lui

donnerons une empreinte d'originalité qui la distingue des autres.2

Les cours de Matija Ban avaient pour but de comparer la l i t térature

serbe à la l i t térature française pour l 'a ider à s 'élever au niveau des

l i t tératures européennes et pour t ransporter les acquisitions de la

civilisation occidentale dans le milieu serbe. Mais bientôt Matija Ban

* Professeur à l'Université de Belgrade, Serbie. Courriel : [email protected]

1. A ce sujet, voir: Naucna kritika komparativ-istickog smera (sous la direction de

SLOBODANKA PEKOVIC et SVETLANA SLAPSAK), Beograd - Novi Sad, Institut za

knjizevnost i umenost - Matica srpska, 1983, aussi bien que le livre de Z.

Konstantinovic.

2. Cité dans: ZORAN KONSTANTINOVIC, Komparativ no vidjenje srpske knjizevnosti,

Svetovi, Novi Sad, 1993, p. 46.

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JELENA NOVAKOVIC

quitte le Lycée et la littérature comparée n'y est plus enseignée jusqu'en

1906 où elle entre, avec la théorie littéraire, dans le programme d'études

pour les groupes des langues et littératures serbes, françaises et

allemandes comme seconde discipline. La Section de littérature comparée

est fondée en 1911,3 mais en 1929 elle est dissoute et répartie en plusieurs

disciplines, pour n'être restituée qu'en 1954 sous le nom de Section de

littérature générale et de théorie littéraire.

Le premier Serbe qui s'occupe de littérature comparée d 'une manière

approfondie est Stojan Novakovic, professeur à la Grande École, qui publie

en 1868, dans la revue Vila (La Fee), l'article «Notre ancienne littérature

et les sources de notre littérature populaire», où il écrit :

Cette direction comparatiste est la seule qui soit utile dans toutes les périodes de l'histoire littéraire. [...] L'originalité des créations humaines est mise en question ; on considère que la plus grande originalité est dans la capacité d'adapter les idées générales, la science, son niveau élevé, et les courants littéraires aux besoins et à la vie de son peuple. Aussi est-il question de savoir, quand il s'agit de recherches qui concernent la nouvelle littérature, d'où tel courant provient, de quelle école, de quels maîtres, quelle littérature a influencé la nôtre et à quel moment.4

Novakovic part de la comparaison concrète de deux phénomènes pour

arriver au contexte, en considérant la littérature serbe dans ses relations

avec la culture européenne, comme le montre son Histoire de la

littérature serbe (1867), tentative de présentation synthétique de la

littérature serbe dans le cadre des grandes littératures européennes, ou

encore La Vie de Saint- Basile. Une légende de la vie d'outre-tombe (1895),

où il fait un parallèle entre cette légende et La Divine comédie de Dante.

Jovan Maksimovic, traducteur du russe, publie en 1892 dans la revue

Strazilovo le texte de ses conférences sur «La Position de la littérature

serbe par rapport aux grandes littératures, notamment à la littérature

russe», où il exprime l'idée évolutionniste que tous les peuples sont des

organes qui servent à une seule fin et qu'une petite littérature, comme la

3. La Chaire d'histoire littéraire générale est fondée en 1873. 4. Vila, 1868, No 23, p. 533. Cité par : GVOZDEN EROR, «O prvim decenijama srpske

komparatistike», Knjizevna istorija, 1980/50, p. 261.

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LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE

littérature serbe, doit imiter dans son développement une grande

littérature, surtout la littérature russe qui lui est la plus proche. Cette

conception provoque la réaction de Radovan Kosutic qui répond par la

brochure La Critique et la littérature (1893), où il désapprouve la position

de Maksimovic qui accorde une trop grande importance aux influences

étrangères. À la question de celui-ci : «Avons-nous une littérature ?», il

répond positivement en soulignant que personne n'a le droit de contester

ce fait au nom de quelque méthode que ce soit et que la tâche de la

critique littéraire serbe est de saisir ce qui est propre à la littérature serbe.

C'est la première polémique en Serbie qui concerne les recherches

littéraires comparées. On considère qu'elles doivent avant tout dégager les

spécificités de la littérature serbe. L'accent se déplace du problème de

l'influence au problème de la réception.

Au début du XXe siècle, ce sont surtout les historiens de la littérature

serbe qui font des recherches comparatistes, tels Pavle Popovic et Jovan

Skerlic, rédacteurs du Courrier littéraire serbe (1901-1914), revue qui publie

beaucoup d'études comparées.5 Romanistes de formation, ils subissent

l'influence de la critique littéraire française, marquée par le positivisme, et

considèrent la création littéraire comme une reproduction créatrice de

différents modèles que les études comparées doivent découvrir. C'est ainsi

que Jovan Skerlic, dans son livre La Jeunesse et sa littérature (1848-1871 ),

publié en 1906, se propose de «mettre en relation les idées de la Jeunesse

serbe unie avec les mouvements semblables en Occident» et de les

présenter comme «les reflets du romantisme européen et surtout alle­

mand». En se référant à Hippolyte Taine qui explique les œuvres littéraires

par l'action de trois facteurs essentiels (race, milieu, moment), il constate :

Si on peut dire que la littérature est l'expression de la société, le reflet des coutumes de son milieu, comme le dit Taine dans la préface célèbre à son Histoire de la littérature anglaise, c'est bien le cas pour cette période de notre littérature.6

5. En 1904, cette revue publie l 'article de JOVAN SKERLIC, «Les romantiques

français et la poésie populaire serbe» et celui de PAVLE POPOVIC, «Zadig de Voltaire

et les contes populaires serbes».

6. Cité dans : ZORAN KONSTANTINOVIC, Komparativno vidjenje srpske knjizevnosti, op.

cit., p. 21.

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JELENA NOVAKOVIC

Dans La Littérature serbe au XVIIle siècle (1909) et L'Histoire de 7a

nouvelle littérature serbe (1914) Skerlic parle surtout des sources et des

influences, en essayant de rendre compte de Γ «européanisation» de la

littérature serbe. D'autre part, en constatant que la littérature est «la

copie des coutumes environnantes» (Introduction à La Jeunesse et sa

littérature), il anticipe dans une certaine mesure les recherches

culturelles des années quatre-vingts dont les représentants (Daniel-Henri

Pageaux, Yves Chevrel) examinent les «relations transtextuelles», en

considérant les phénomènes littéraires comme des produits de

l'atmosphère spirituelle d 'une époque et de l'union de la subjectivité

individuelle avec la subjectivité collective. A Pavle Popovic et Jovan

Skerlic se joint Vojislav Jovanovic, écrivain, universitaire, chef du

Département historique du Ministère des affaires étrangères, et lui

aussi, pendant un certain temps, rédacteur en chef du Courrier littéraire

serbe. Dans sa thèse de doctorat sur La Guzla de Prosper Mérimée,7

recueil de ballades pseudo-illyriennes —mystification qui provoque un

vif intérêt parmi les collaborateurs du Courrier littéraire serbe, qui lui

consacrent plusieurs articles, commentaires et notes—, Vojislav Jovanovic

traite le problème de la réception en examinant l'authenticité des poésies

populaires serbes citées non seulement dans ce livre, mais aussi dans

l 'œuvre d'Alberto Fortis et dans le roman Les Morlaques de la comtesse

Rosenberg-Orsini.8

Les représentants éminents de l'école comparatiste française en Serbie

sont aussi Miodrag Ibrovac et Nikola Banasevic, tous les deux professeurs

de langue et de littérature françaises à l'Université de Belgrade. Homme

de grande érudition, dont la thèse de doctorat sur José-Maria de Hérédia,

soutenue en France, est reconnue par les experts français dans ce

domaine, Miodrag Ibrovac étudie aussi les relations littéraires entre les

peuples balkaniques en les considérant dans le contexte européen, comme

7. VOYISLAV M. YOVANOVIC, «La Guzla» de Prosper Mérimée. É tude d 'histoire

romantique. Préface d'AuGUSTlN FlLON, Hachette, Paris 1911.

8. Ses considérations sont publiées également dans Le Courrier littéraire serbe

sous le ti tre de : «Claude Fauriel et la poésie populaire serbe» (1910) et celui de : «La

comtesse Rosenberg et ses Morlaques» (1913).

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LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE

le montre son grand livre Claude Fauriel et la fortune européenne des

poésies populaires grecque et serbe (1966), et il introduit dans presque

tous ses essais des réminiscences littéraires qui leur donnent un aspect

comparatiste : en parlant, par exemple, du romantique français Alfred de

Vigny, il trouve dans sa vie et son œuvre des ressemblances avec le poète

serbe Milan Rakic, qu'il comparera plus tard à Emile Verhaeren. Cette

érudition, on la trouve également chez Nikola Banazevic dont les

recherches sont à la limite entre la littérature et l'histoire. Il a consacré

beaucoup de travaux aux échos de la littérature française dans le monde,

en suivant ses traductions en Angleterre, en Italie et en Allemagne et il

est le premier de nos investigateurs littéraires qui ait cherché des

ressemblances entre la tradition épique serbe et les chansons de geste

françaises (Le Cycle de Marko Kraljevic et les échos de la littérature

chevaleresque franco-italienne, 1935 ; Les Chansons de geste et la poésie

épique yougoslave, I9609).

En Serbie, les principaux centres des études comparées sont la Faculté de

Philosophie (depuis 1961 la Faculté de Philologie) de Belgrade, notamment les

chaires de langues et de littératures étrangères, surtout russes (fondées en

1877), française (fondée en 1896) et allemande (fondée en 1904), aussi bien que

la chaire de littérature générale et de théorie littéraire. Les professeurs de

littératures étrangères s'orientent vers les études comparées qu'ils

poursuivent jusqu'à nos jours, en collaborant étroitement avec l'Institut de la

Littérature et de l'Art où on travaille, pendant les deux dernières décennies,

sur le projet «Les études comparées de la littérature serbe». Les

comparatistes serbes, tels Nikola Banasevic, Zoran Konstantinovic, Dragan

Nedeljkovic, Mihailo Pavlovic acquièrent une renommée mondiale qui trouve

sa confirmation en 1967 : le Vème Congrès de l'Association Internationale de

Littérature Comparée a lieu à Belgrade. Ce Congrès, dont les sujets sont :

«Les courants littéraires en tant que phénomènes internationaux»,

«Littérature orale et littérature écrite» et «Les littératures slaves et leurs

interprétations dans les autres littératures», se tient à la Faculté de Philologie

du 30 août au 5 septembre et ses Actes sont édités par Nikola Banasevic.

9. Publié dans la revue Le Moyen âge, 1-2 (1960).

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JELENA NOVAKOVIC

Certains comparatistes ont terminé leur carrière universitaire en enseignant

aux universités étrangères : Dragan Nedeljkovic à Nancy, Zoran Kon-

stantinovic à Innsbruck, où il a organisé, en 1979, le IXe Congrès de l'Associa­

tion Internationale de Littérature Comparée, et Milan Dimic à Edmonton, où

il a organisé, en 1994, le XlVe Congrès de la même Association.

Conscients de la continuité et de l'unité de la littérature européenne (et

mondiale) -ce qui ne leur permet pas de considérer la création littéraire de leur

peuple uniquement comme l'expression de la culture de ce peuple,

indépendamment des mouvements spirituels et culturels mondiaux- les

comparatistes serbes s'occupent parfois des rapports entre les littératures

étrangères, comme Milos Trivunac, qui publie l'article «Shakespeare et Goethe»

dans Le Courrier littéraire serbe (1936), ou Dragan Nedeljkovic qui fait un

parallèle entre Romain Rolland et Stefan Zweig.10 Mais le plus souvent ils

comparent la littérature serbe et les littératures européennes, surtout française,

anglaise et allemande, avec le but de déterminer l'identité de la littérature serbe

dans le contexte européen, ou ils font des parallèles entre la littérature serbe et

la littérature russe, en considérant la littérature serbe dans le cadre des

littératures slaves (Miodrag Sibinovic, Petar Bunjak11). On peut classer ces

études12 en trois groupes : celles qui s'occupent des relations réciproques

entre la littérature serbe et une littérature étrangère, celles qui

s'occupent de la présence des thèmes et des auteurs serbes dans les

autres littératures européennes (ou mondiales) et celles qui s'occupent

des auteurs et des mouvements littéraires étrangers qui ont laissé des

traces dans la littérature serbe. Dans le premier groupe, où les relations

vont dans le double sens d'exercice et de réception, figurent surtout les

études qui englobent une assez longue période, tel le livre de Veselin

Kostic, Les relations culturelles entre les pays yougoslaves et

l'Angleterre jusqu'en 1710 (1972), celui de Niksa Stipcevic, Deux

10. DRAGAN NEDELJKOVIC, Romain Rolland et Stefan Zweig, Klincksieck, Paris 1970.

11. Cf. PETAR BUNJAK, Les Relations littéraires entre la Pologne et la Serbie Qusqu'

a la Seconde guerre mondiale), 1999.

12. Pour la critique littéraire serbe d'orientation comparatiste, voir l'ouvrage

collectif Naucna kritika komparatistickog smera, dirigé par SLOBODANKA PEKOVIC et

SVETLANA SLAPSAK, 1983.

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LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE

Renaissances. Les études des relations politiques et culturelles entre

l'Italie et la Serbie au XIXe siècle (1979), ou celui de Branko

Momcilovic, De l'histoire des relations culturelles yougo-britanniques

de 1650 a la Seconde guerre mondiale (1990).

Les travaux sur la présence des thèmes et des auteurs serbes dans les

autres littératures européennes sont souvent des études imagologiques,

inspirées de comparatistes français : Les Yougoslaves dans le roman

allemand entre la Première et la Seconde guerre mondiale de Miljan

Mojasevic (1952), Études d'histoire littéraires et de littérature comparée de

Nikola Banasevic (1975), le travail de Josip Babic, Le Personnage de

Kraljevic Marko dans la littérature allemande (1982), et de nombreuses

études de Mihailo Pavlovic, dont nous ne mentionnons que les plus

importantes : Les Thèmes yougoslaves dans la prose française (1982), Du

regard au texte. Anthologie de textes français sur les pays et les peuples

yougoslaves (1983), Témoignages français sur les Serbes et la Serbie, 1912-

1918 (1988), De l'Esclavonie à la Yougoslavie (1994), Les thèmes serbes

dans le roman français du XXe siècle (2000). Dans ce groupe figurent

aussi les travaux sur la réception de la littérature serbe dans les pays de

l'Europe, comme celui de Milan Curcin sur la réception des chansons

populaires serbes en Allemagne (Das serbische Volkslied in der deutschen

Literatur, Leipzig, 1905), ou celui de Nikola Koljevic, Vers la poétique de

la poésie populaire (1982), qui donne un aperçu des critiques étrangères

de la poésie populaire serbe du XVe au XXe siècle, ensuite les travaux sur

les traductions de la littérature serbe, comme l'article de Mihailo Pavlovic,

«La littérature yougoslave dans les traductions françaises» (1978), aussi

bien que les travaux sur l'influence de certains écrivains ou de certaines

œuvres yougoslaves dans une littérature étrangère, tel l'article

d'Alexandre Neygebauer, «Vasko Popa et Morton Marcus», publié dans la

«Revue de philologie» (1969), ou le répertoire de textes critiques sur les

écrivains yougoslaves, fait par Vasa D. Mihailovic et Mateja Matejic et

publié en anglais (A Comprehensive bibliography of Yugoslav Literature

in English 1593-1980, Columbus, Slavica, 1984), et La Bibliographie

française sur la poésie populaire serbe et croate de Mihailo Pavlovic et

Dusan Janjic (1995). Dans le cadre de ce groupe d'études, il faut

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JELENA NOVAKOVIC

mentionner les thèses de doctorat sur la présence et la réception des

auteurs serbes dans un pays européen, surtout en France, comme celle de

Milivoj Srebro sur La littérature serbe contemporaine vue par la critique

française (1975-1995), soutenue à Bordeaux en 1997.

Les études qui examinent les traces des littératures étrangères dans la

littérature serbe sont souvent inspirées des idées évolutionnistes de Fernand

Baldensperger et surtout de Paul Van Tieghem qui considère que le monde

de l'esprit est en mouvement perpétuel et, par conséquent, une source

intarissable d'influences collectives et que la littérature comparée doit

examiner les œuvres des diverses littératures dans leurs rapports les unes

avec les autres en s'appuyant sur des faits concrets. Aussi ces études

s'occupent-elles surtout du succès et de la réception d'un auteur étranger

dans le milieu culturel serbe et de l'influence qu'il y a exercée. Y l'instar de

Baldensperger et de son livre Goethe en France (1904), auquel se réfère Van

Tieghem, Vladeta Popovic publie Shakespeare in Serbia (Londres 1928), Ilija

Petrovic, Lord Byron chez les Yougoslaves (Pozarevac 1931), Milos Savkovic,

L'influence du réalisme français dans le roman serbocroate (Paris 1935),

Petar A. Mitropan, Pouchkine chez les Serbes (Belgrade 1937), Pero

Slijepcevic, Schiller en Yougoslavie (Skopje 1937), Djordje Zivanovic, Les

Serbes et la littérature polonaise, 1800-1871 (Belgrade 1941).13 Le livre de

Milos Savkovic étudie les relations entre le réalisme serbe et le réalisme

français, sans préciser s'il s'agit des influences ou des analogies

typologiques, mais la ressemblance des thèmes, traitent que les réalistes

serbes et les réalistes français, montre d'une manière indirecte que ces

relations sont dans une grande mesure de nature typologique.14 L'étude de

Pero Slijepcevic, qui s'inspire lui aussi des comparatistes français,

anticipe certains principes de la théorie de la réception selon laquelle

l'horizon d'attente du public est déterminé par certaines normes

collectives. Slijepcevic écrit:

Montrer comment notre littérature a réagi à un grand poète étranger,

13. Dans ce groupe d'études, on peut classer également le livre de DARINKA

NEVENIC-GRABOVAC, Homère chez les Serbes et les Croates (Belgrade 1967).

14. Cf. GVOZDEN EROR, «Poredbene analize Milosa Savkovica», Zbornik Matice

srpske za knjizevnost i jezik, 1, 1982, p. 53-64.

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LES ÉTUDES COMPARÉES EN SERBIE

surtout au moment où elle se formait elle-même dans le sens moderne du

terme, c'est en quelque sorte définir les phases de son développement et

les changements qu'elle a subis ; c'est assister à la naissance et à la

croissance d 'un grand organisme spirituel et noter jusqu'à quel point il est

arrivé et de quoi il s'enthousiasmait à un moment donné. C'est justement

là la difficulté principale pour cette sorte de travaux scientifiques.15

En rendant compte à la fois des phases dans l 'évolution de la création

li t téraire de Schiller, avec qui se t e rmine le classicisme al lemand, et des

phases dans le développement de la l i t térature serbe, où le moralisme des

Lumières cède la place à u n esthéticisme, Slijepcevic montre la nouvelle

orientation de la l i t térature serbe qui se tourne vers l 'Europe.

Les comparatistes serbes étudient la présence dans la cul ture serbe des

auteurs de presque tous les pays de l 'Europe de l 'Est et de l 'Ouest , et

même de ceux des pays hors d 'Europe : des auteurs français, anglais,

a l lemands, russes, polonais, hongrois, roumains, bulgares , grecs, albanais,

turcs, arabes , indiens. La plus grande place est accordée aux auteurs

russes (Petar A. Mitropan, Pouchkine chez les Serbes, Skopje 1937 ;

Milosav Babovic, Dostoïevski chez les Serbes, Titograd 1961 ; Miodrag

Sibinovic, Lermontov dans la littérature serbe jusqu 'à la seconde guerre

mondiale, Beograd 1971 ; Vojislav Bojovic, Tolstoï chez les Serbes, Beograd

1985), et aux auteurs français (Jelena Danic-Stanojic), «Victor Hugo dans la

presse serbe d u XIXe et du commencement d u XXe siècle» ;16 Mihailo

Pavlovic, «Apoll inaire en Yougoslavie» ;17 «Paul Feval, A n n Radcliffe,

Charles Nodier en Yougoslavie»,18 « D e nouveau sur l 'anti thèse dite slave

chez Victor Hugo et en général»,1 9 «Victor Hugo chez les Yougoslaves

après 1885» ; 2 0 Margar i ta Arnautovic, «Jovan Skerlic et Victor H u g o » ; 2 1

15. PERO SLIJEPCEVIC, Schiller en Yougoslavie, Skopje 1937, p. 3. Cité dans : ZORAN

KONSTANTINOVIC, Komparativno vidjenje srpske knjizevnosti, p. 74.

16. Anali Filoloskog fakulteta, 1 (1961).

17. Reloue des Lettres Modernes, Paris 1963.

18. Anali Filoloskog fakulteta, 8 1969

19. Filoloski pregled, I-IV (1969).

20. Le Rayonnement international de Victor Hugo. Actes du Xle Congrès de

l'Association Internationale de Littérature Comparée (Paris, août 1985), 1989.

21. Anali Filoloskog fakulteta, 1, 1961.

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JELENA NOVAKOVIC

«Stendhal et la critique littéraire serbe. Stendhal, Bogdan Popovic et Jovan

Skerlic» ;22 Ljubisa Monev, Jean-Jacques Rousseau chez les Serbes,

Beograd, 1990). Dans le cadre des études comparées qui traitent des

relations franco-serbes au niveau d 'une vue globale ou au niveau d 'un

mouvement littéraire, il faut mentionner le texte de Miodrag Ibrovac, «Les

relations f ranco-yougoslaves : r elati ons culturelles» dans L'Encyclopédie

de la Yougoslavie (1958), le livre de Hanifa Kapidzic-Osmanagic, Le

surréalisme serbe et ses rapports avec le surréalisme français (1966 ), celui

de Vladeta Kosutic, Le Parnasse et le symbolisme chez les Serbes (1967),

et celui de Svetozar Ignjacevic, Le Roman anglais entre les deux guerres

sur le territoire de la langue serbo-croate, 1918-1970 (1970).23 Du point de

vue méthodologique, comme nous l'avons déjà noté, les principaux

modèles sont les critiques littéraires français, comme Hippolyte Taine

dont on trouve les reflets chez Jovan Skerlic, Slobodan Jovanovic et Simo

Matavulj et auquel les comparatistes serbes ont consacré deux articles :

«Hippolyte Taine chez les Serbes» (Radovan Samardzic)24 et «Hippolyte

Taine sur le territoire de la langue serbo-croate» (Mihailo Pavlovic).25

Les comparatistes serbes pratiquent également les recherches typo­

logiques inspirées par Van Tieghem, qui considère les écrivains français

moins comme les aboutissements de divers courants ou influences que

comme «les points de départ d'ondes qui se propagent à travers les

frontières et à travers les générations»,26 et par Victor Girmounsky qui

considère que les relations entre deux littératures ne sont pas fondées

uniquement sur les influences et les emprunts, mais aussi sur certaines

22. Zbornik za istoriju knjizevnosti SANU, 7, Belgrade 1969.

23. Les études qui examinent l 'hér i tage antique dans la l i t térature serbe

occupent une place à part . Nous ne mentionnerons ici que l 'article du grand

investigateur de la l i t térature grecque MlLOS DuRlC, «La li t térature grecque chez les

Slaves du Sud» , publié en 1958 dans VEncycIopédie de la Yougoslavie, ainsi que

l 'histoire de la l i t térature romaine de M I L A N BUDIMIR et MIRON FLASAR (De

auctoribus Romanis, Belgrade 1986), dont tous les chapitres se terminent par u n

examen des influences et des échos des écrivains romains dans la l i t térature serbe.

24. Filologici pregled, 1-2 (1976).

25. Knjizevna istorija, 95 (1995).

26. PAUL VAN TIEGHEM, La Littérature comparée, Armand Colin, Paris 1951, p. 15.

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convergences sociales, historiques ou psychologiques qui sont même la

condition première de l'action réciproque des littératures. C'est ainsi

que Zoran Gavrilovic, dans son étude comparée des idées littéraires en

Amérique et en Yougoslavie à l'entre-deux-guerres,27 montre certaines

ressemblances qui lient la littérature américaine et la littérature serbe:

toutes les deux sont entrées tardivement dans la culture moderne, si

bien qu'elles ont dû en assimiler les éléments plus rapidement que les

autres, mais, quand il s'agit du développement de la pensée métho­

dologique, leur seul point commun dans la période de l'entre-deux-

guerres est la psychanalyse, qui fait partie en Serbie de la poétique

surréaliste, tandis qu'aux États-Unis on applique de nombreuses théories

psychologiques et psychanalytiques aux interprétations des œuvres

littéraires. Dans le cadre des études typologiques, on pourrait mention­

ner aussi le livre de l'auteur de ses lignes, Au bord des hallucinations.

La poétique des surréalismes serbe et français (1996), qui examine les

relations entre deux mouvements surréalistes par l'investigation de leur

matériel thématique et conceptuel commun, en découvrant, d 'une part,

les convergences qui les lient et, d'autre part, certaines divergences qui

rendent compte des spécificités du surréalisme serbe, dues dans une

certaine mesure aux différences individuelles de ses représentants, mais

surtout aux différences causées par les circonstances historiques,

sociales et culturelles.

Les travaux comparatistes des deux dernières décennies sont inspirés

aussi par les théories de Bakhtine, qui considère la création littéraire

comme le «dialogue» d 'un auteur avec les autres, de Julia Kristeva, qui

définit la notion d'intertextualité, et de Gérard Genette qui analyse les

aspects de la «transtextualité» (architexte, intertexte, paratexte,

contexte, etc.). Ces travaux examinent les relations d 'un écrivain serbe

avec une littérature ou un écrivain étrangers en s'arrêtant surtout sur

ce qui «transcende» le texte. C'est ainsi que Miodrag Radovic, dans son

livre Laza Kostic et la littérature mondiale (1981), constate que presque

tout ce que le poète serbe Laza Kostic écrit est «en forme de dialogues»

27. ZORAN GAVRILOVIC, Uocavanja. Americka i jugoslovenska misao ο knjizevnosti

izmedu dva rata, Belgrade 1970.

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dont il fait ensuite une synthèse, et, avant lui, Milorad Pavic, dans son

étude Vojislav Hic et la poésie européenne (1971), considère le poème

épique d'Hic, Le Pêcheur, comme une mosaïque de réminiscences (de

Goethe, de Byron, de Lermontov, de Pouchkine) qui montre son

évolution. Miron Flasar, dans son livre Njegol et l'Antiquité (1997),

étudie les architextes que constituent les fragments de Lamartine et de

Victor Hugo que le poète monténégrin Petar Petrovic Njegos a copiés

dans un de ses cahiers, pour rendre compte comment celui-ci s'est

délivré da la tradition populaire en composant son épopée philosophique

et religieuse La Lumière du microcosme où on trouve les traces de ces

poètes. Nous avons nous-mêmes pratiqué des recherches intertextuelles

et transtextuelles. Dans notre livre Ivo Andrié et la littérature française

(Beograd 2001), nous avons considéré les fragments de nombreux

auteurs français qu'Andric a copiés dans ses cahiers de notes comme des

architextes ou des hypotextes, ce qui nous a permis de révéler le rôle de

la littérature française dans la création littéraire du prix Nobel serbe ;

ensuite, dans un article sur l'appareil paratextuel de l '«anti-roman»

Sans mesure, du surréaliste serbe Marko Ristic,28 nous avons montré un

des points communs qui lient cet auteur au chef du surréalisme français,

André Breton, notamment l'opposition au roman réaliste par

l'introduction dans la trame du texte des éléments paratextuels ; enfin,

l'étude comparée de la poésie d 'un des «poètes maudits» serbes,

Vladislav Petkovic Dis et de la poésie de Baudelaire nous a permis d 'y

révéler la même structure «mélancolico-dépressive» dont parle Julia

Kristeva dans Soleil noir.29

Certains comparatistes étudient la réception d 'un ou de plusieurs

auteurs étrangers dans le milieu culturel serbe et les spécificités du

public serbe, en considérant, dans l'esprit des théories de Jauss, le

développement de la littérature comme un processus qui se déroule

entre les lecteurs, dont l'horizon d'attente est déterminé par les normes

28. JELENA NOVAKOVIC, «Romaneskna pustolovina u ogledalu nadrealisticke poetike:

paratekstualni aparat Risticeve knjige Bez mere», Knjizevna istorija, 90 (1993), p. 90.

29. JELENA NOVAKOVIC, Intertekstualnost u novijoj srpskoj poeziji. Francuski ferug,

Belgrade 2004.

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données, et les grands écrivains qui répondent à leur attente en la

modifiant à la fois, surtout quand il s'agit d 'un petit peuple dont les

normes et les horizons changent quelquefois sous leur influence. Dans

son étude La lecture de Byron et de Shelley dans le contexte

idéologique, Simha Kabiljo-Sutic examine la réception spécifique des

grands romantiques anglais dans la critique littéraire yougoslave de la

période entre 1945 et 1955, marquée dans une grande mesure par un

«marxisme vulgaire», tandis que, dans son article, «Kafka chez les

Yougoslaves», publié dans les Annales de la Faculté de philosophie de

Novi Sad (1971), Tomislav Bekic explique la réception intense de Franz

Kafka dans le milieu culturel yougoslave, dans les années cinquante,

par le rejet des dogmes du réalisme socialiste au profit d 'un

«modernisme» tourné vers l'Europe occidentale, qui caractérise la

littérature yougoslave de cette époque. De son côté, Gvozden Eror, dans

son livre, La construction des champs sémantiques dans le roman (1991),

fait une analyse comparative des champs sémantiques du texte original

de Madame Bovary de Flaubert et de ses huit traductions en serbocroate,

ce qui lui permet, entre autres, d'éclaircir une suite de réceptions

implicites de ce roman. Les changements spécifiques, qui se produisent

dans l'actualisation du texte dans un contexte donné, font l'objet de

l'ouvrage collectif Le Texte dans le contexte, dirigé par Novica Milic et

publié par l'Institut de la littérature et de l'art à Belgrade (1989), recueil

d'articles qui se réfèrent à la fois à la philosophie et aux recherches

linguistiques. C'est ainsi que l'auteur d 'un de ces articles, Nikola

Koljevic, plaide pour une «interprétation contextuelle du texte

poétique», en considérant une œuvre littéraire non seulement comme

un travail individuel, mais aussi comme faisant partie d 'un acte créateur

humain ou historique, qui lui donne des «résonances» caractéristiques.

Il décrit les différents aspects sémantiques et linguistiques de cette

méthode critique en se référant aux œuvres des poètes serbes Djura

Jaksic et Branko Radicevic.30

30. NIKOLA KOLJEVIC, «Kontekstualno tumacenje pesnickog teks ta» , Tekst u

kontekstu (sous la direction de NOVICA M I L I C ) , Institut za knjizevnost i umetnost -

« R a d » , Belgrade 1989.

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Parmi les études comparatistes en Serbie, figurent aussi une thèse de

doctorat qui examine, dans l'esprit des recherches «translittéraires», les

rapports entre la littérature et la peinture chez le poète et le peintre

serbe Djura Jaksic (Sinisa Jelusic, L'Œuvre littéraire et picturale de

Djura Jaksic, 1992) et plusieurs travaux qui traitent des problèmes

théoriques et méthodologiques du comparatisme : «Les Questions

méthodologiques spécifiques concernant l 'étude de nos littératures

nationales» de Svetozar Petrovic, publié dans la revue Putevi (Chemins,

Banja Luka 1965), où il est question aussi des rapports entre les

littératures yougoslaves et les littératures étrangères ; «Sur certaines

questions des études comparées de la littérature» (introduction au livre

Les débuts du réalisme serbe et la culture russe, Novi Sad 1984) de

Vitomir Vuletic, qui parle des trois niveaux par lesquels on peut aborder

la problématique de l'histoire littéraire serbe : la découverte de sa

contextualité avec les autres littératures, l'étude binaire de la littérature

serbe et d'une autre littérature et la comparaison polylinéaire de la

littérature serbe avec plusieurs autres ; et une suite de livres qui con­

sidèrent la littérature serbe ou yougoslave dans le contexte européen : La

Littérature européenne et la littérature yougoslave (Beograd 1966) de

Vojislav Djuric, qui suit l'évolution de la littérature serbe à travers ses

courants et ses genres ; Les cadres européens de la littérature serbe de

Dragisa Zivkovic, qui se propose de déterminer la place de la littérature

serbe dans le cadre du romantisme européen en considérant celle-ci dans

sa dépendance des grandes littératures, mais aussi dans sa spécificité et

dans son originalité ; et surtout Introduction aux études comparées de la

littérature (Beograd 1984) et La vision comparatiste de la littérature serbe

(Beograd 1993) de Zoran Konstantinovic, comparatiste serbe de renom,

qui définit sa méthode en s'appuyant sur trois éléments : l'architexte,

c'est-à-dire le texte tel qu'il naît et se construit dans l'imagination de

l'écrivain au cours de son dialogue avec les valeurs qui l'entourent et avec

les autres textes, ceux des auteurs étrangers ; l'intertexte, c'est-à-dire la

sphère où l'on redécouvre dans le texte d 'un auteur serbe la présence des

textes étrangers; et le contexte, c'est-à-dire les modalités de l'actualisa­

tion du texte d 'un auteur étranger par les lecteurs serbes.

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Par ses investigations comparatistes Zoran Konstant!novic participe à

une discussion plus large, qui se déroule au niveau international, sur la

place et les tâches de la littérature comparée dans le système des études

littéraires, mais son objet principal —comme d'ailleurs celui des autres

comparatistes serbes— est de saisir le développement de la littérature

serbe dans sa continuité et de trouver dans ses contacts avec les autres

littératures la confirmation de son authenticité et de son originalité. En

s'appuyant sur les recherches de ses prédécesseurs, il considère la

littérature serbe dans son évolution du point de vue comparatiste :3 1

faisant partie, au début, de la civilisation byzantine orthodoxe, ce qui la

rapprochait de la littérature russe, comme le montrent le texte de

Radovan Lalic, Des relations réciproques entre les anciennes

littératures serbe et russe, le livre de Dimitrije Bogdanovic, L'Histoire

de l'ancienne littérature serbe (1980), ou celui de Radmila Marinkovic,

L'Alexandride serbe. L'histoire du texte premier (1969), la littérature

serbe évolue dans le sens de son insertion dans la littérature

européenne, comme le montrent le texte de Dejan Medakovic, «Le

baroque de l'Europe occidentale et le monde byzantin» et celui de

Radovan Samardzic, «Le baroque et les Serbes 1683-1739», publiés dans

l'ouvrage collectif de l'Académie Serbe des Sciences et des Arts, Le

baroque de l'Europe occidentale et le monde byzantin (1991). Par rapport

au développement des littératures européennes, le développement de la

littérature serbe se présente comme atypique car, à un moment

historique donné, elle est arrachée par force aux mouvements culturels

de l'Europe et elle est longtemps restée en dehors d'eux, mais, une fois

rentrée dans la communauté des peuples européens, elle a essayé de

dépasser cette discontinuité par un développement accéléré, h y ayant

réussi qu'au XXe siècle où elle se développe parallèlement aux autres

littératures européennes, et surtout à la littérature française, à laquelle

elle est liée par une longue tradition de coopération et d'amitié.

Ce répertoire d'études comparées en Serbie, dans lesquelles on

remarque un effort permanent de synchronisation avec l'Europe, nous

31. Voir : ZORAN KONSTANTINOVIC, Komparativno vidjenje srpske knjizevnosti.

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permet de conclure que l'évolution du comparatisme serbe correspond en

général à l'évolution du comparatisme européen : s'occupant d'abord des

relations, des influences, des ressemblances et des différences entre la

littérature serbe et les littératures étrangères, les comparatistes serbes

renoncent progressivement aux examens des relations et des influences

individuelles pour se concentrer sur des changements qui se produisent

grâce à une interaction réciproque entre les littératures, sur les

modifications que les motifs et les thèmes d 'une littérature étrangère

subissent au cours de leurs actualisations dans le nouveau contexte,

modifications qui les éloignent de leurs sources et les transforment en des

créations originales. En se proposant de revaloriser le patrimoine littéraire

de leur pays, les comparatistes serbes montrent que ce patrimoine

appartient à l'espace culturel européen tout en ayant à la fois ses

spécificités.