les trois péchés originels des mouvements des jeunes au maroc

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  • 8/6/2019 Les trois pchs originels des mouvements des jeunes au Maroc

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    Hamid OURAZOUK

    Les trois pchs originels des mouvements des jeunes au Maroc

    Lanne 2011 marquera pour toujours notre histoire contemporaine. Aprs de longues

    dcennies dinertie, plusieurs peuples arabes se sont soulevs. Devant leur volont, lesvieux autocrates arabes, que lon croyait indracinables, chancelrent lun aprs lautre.Sous dautres cieux, o les rgimes navaient pas stagn, ces vnements furent lorogine de profondes rformes politiques et conomiques. Jamais bouleversementsaussi spectaculaires et aussi surprenants ne staient succds en un temps si bref.Au Maroc, cest la jeunesse qui sempare de la parole. En effet, aprs un long silence, nosjeunes discutent de plus en plus de politique. Leurs rclamations sont innombrab les. Ellesstendent de la rforme constitutionnelle la problmatique du renchrissement de lavie, en passant par le droit au travail, la lutte contre la corruption, la punition de tous lesdilapidateurs des biens publics ainsi que la garantie des liberts fondamentales. Sansdoute, ces revendications sont lgitimes. De leur concrtisation dpend la ralisation duMaroc prospre et reluisant auquel nous aspirons tous.Cependant, bien que salutaire, le mouvement des jeunes nest pas labri des critiques.Car si les vnements rcents nous ont fait dcouvrir un esprit juvnile revendicatif dont

    on nen souponnaient mme pas lexistence, ils nous ont galement dmontr les limitesde ce mme esprit longtemps indiffrent laction politique. A ce propos, trois de ceslimites retiendront notre attention.

    I. Parler au nom de tous les Marocains

    Si la rvolte arabe a dvoil, chez nos jeunes, un tat mental caractris par unmcontentement profond accompagn dun fort dsir de changement, elle a, au mmetemps, rvl chez beaucoup dentre eux un esprit grandement simpliste. Parmi lessymptmes de ce simplisme, lon trouve la prtention du mouvement des jeunes reprsenter lensemble du peuple marocain. En effet, une large proportion de ceux quiprotestent le font au nom du peuple entier, abusant, par loccasion, de formules comme :le peuple veut, le peuple ne veut plus. Or, cette attitude, qui mrite bien le qualificatif

    dauto-proclamation, nest gure admissible. Car un peuple, compos de lensemble descitoyens qui partagent le mme territoire, est toujours loin de former un bloquehomogne. Partant, aucun groupe na le droit de parler au nom de la nation entire.Certes, personne ne peut nier que certaines questions suscitent au fond de nous lesmmes sentiments. Ainsi, il ny a aucun doute que lon soit tous choqus par le contrasteexistant entre certaines classes sociales, contraste qui reflte, au demeurant, liniquitablerpartition de la richesse dans notre socit. Il nest pas contestable, galement, quetout citoyen soit irrit par le chmage qui frappe une partie de notre population active. Etil en est de mme de la situation inadmissible dans laquelle se trouve aussi bien notrecole que notre hpital.Toute fois, cette unanimit disparat ds que lon quitte le champ social. Par consquent,des divergences surgissent propos de questions comme la forme du rgime, la place delIslam dans notre systme politique, le maintient ou non de certaines prrogativesroyales, la question de lamazighit,etc. Tous ces sujets, et bien dautres, furent, de touttemps, une source de dsaccord entre les diverses sensibilits politiques du pays. Rien depathologique, cependant, puisque il nest question ici que dun bouillonnement socitalesigne de bonne sant. Car nous croyons quune socit o il ny a quune seule opinionnest rien dautre quune secte appele tt ou tard disparatre.Malheureusement, cest cet esprit sectaire qui prdomine actuellement faisant, ainsi, dupeuple une entit abstraite possdant une existence indpendante de celle desgouvernants. Une entit qui sent et dsir des choses identiques. Face elle, il y a ceuxqui dtiennent le pouvoir, dsigns comme tant lunique obstacle devant la ralisationdes aspirations populaires. Or, si cette image est vraie pour certains pays, chez nous laralit est tout autre. Le peuple marocain nest nullement cette masse silencieuse

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    Sur le plan militaire, le Roi a le commandement suprme des forces de terre et de merdu royaume. Il a le droit de rassembler des troupes, de dclarer la guerre pour dfendrele pays, de conclure la paix, de contracter et de rompre des traits (Art 25et 26).Or la disposition la plus singulire, et qui na point dquivalant dans aucune desconstitutions des pays dmocratiques que nous avons pu consulter, est celle prvue parlarticle 30 qui nonce que Chacun des membres du Conseil doit exprimer son opinionen toute sincrit, et le Roi est tenu de lentendre. Nanmoins il appartient au Roi de se

    dcider daprs son propre jugement.Le mme article ajoute que lorsque un des membres du Conseil juge la dcision du Roicontraire la Constitution ou aux lois du royaume ou manifestement prjudiciable auroyaume, il est de son devoir de faire contre cette dcision des reprsentationsnergiques et de faire consigner son avis au procs-verbal. Celui qui na pas protest estrput avoir t daccord avec le Roi ; il encourt, en consquence, la responsabilitsubsquemment dtermine et peut tre mis par le Storting en accusation devant laHaute Cour du royaume.Une disposition trange, qui rappelle labsolutisme du moyen age, en laissant entendreque le monarque norvgien a le pouvoir de prendre, en toute libert, des dcisionssusceptibles de contredire la constitution et les lois, voire, de nuire aux intrts de lanation.Rien dtonnant, cependant. Car limpunit dont jouit le monarque au Norvge, en dpit

    des larges prrogatives qui lui sont accordes, nest rien dautre que lapplication duprincipe de linviolabilit de linstitution royale inscrit au sein mme de la constitution quiprvoit, dans des termes qui ne laissent aucune place au doute, que la personne du Roiest sacre ; il ne peut tre ni blm ni accus et que la responsabilit, elle, incombe son Conseil (art 5).

    Et si nous avons pass en revue toutes ces dispositions, que beaucoup taxerontcertainement danachronisme, cest dans le dessein de montrer quune monarchieconstitutionnelle nest pas forcment une entrave au progrs dun peuple. La preuve enest que la Norvge est le pays ayant occup la premire place sur le plan dudveloppement humain en 2010. Aussi, ce pays est-il lun des plus transparents oumonde avec cette tradition, propre aux socits scandinaves, consistant publier lesfeuilles dimpt de sorte quelles soient consultables par tous les citoyens. Un droit qui nedatte pas dhier, mais remonte 1766, bien loin avant ladoption de la constitution

    norvgienne en vigueur.La Norvge est, en outre, un paradis dmocratique. Les citoyens sont reprsents pardes institutions composes dlus appartenant toutes les couches de la socit. Larichesse, elle, nest point indispensable pour remporter une compagne lectorale. Elleconstitue, au contraire, un handicap majeur pour les candidats fortuns. Pour ce qui estde la relation entre la politique et largent, le systme norvgien frappe par labsence detoute rglementation fixant des plafonds pour les sommes que reoivent les partis etleurs reprsentants loccasion des campagnes lectorales, et ce dautant plus quaucunmcanisme nest prvu pour contrler largent dpens. Car un tel contrle enfreindrait latradition : la parole donne compte plus que tout.* Le second exemple dillusions dont nombreux individus sont victimes est la croyanceque notre socit est capable, en un clin doeil, de se dbarrasser de la totalit des mauxdont elle soufre. Cest ce qui ressort, en fait, de limmense ventail de rformes

    revendiques de manire urgente. Un vritable ocan dont les contours ne cessent,dailleurs, de slargir jour aprs jour. On y trouve ple-mle des rclamations quiexigent et sans dlai: la rforme de lespace politique, la mise en place dinstitutionsdmocratiques, le rtablissement de la justice sociale, la lutte contre toutes les formes decorruption, la garantie de la transparence du champs conomique, lradication de toutesles disparit,etc. Une numration qui bien que certainement loin dtre exhaustive, nousrappelle le fameux cri dAntigone je veux tout et maintenant.Mais ce que nos jeunes semblent ignorer, linstar dailleurs de la rvolte antique, cestque tout changement, quelque en soit sa nature, dpend dun lment que mme ladivinit respecte. Cest le facteur temps. Il est, notre entendement, le vritable matre

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    des socits. Il les fait voluer lorsquil les juge capables de ltre. La volont despersonnes dpourvues de patiencena aucune influence sur lui. Dailleurs, laction deceux-ci est toujours nuisible.Pour sen convaincre, il suffit de penser aux effets nfastes des institutions coloniales surla socit marocaine. Introduites htivement, ces institutions furent la cause principalede laffaiblissement prmatur de nos institutions traditionnelles qui refltaient, cettepoque , les besoins de linconscient collectif de notre peuple. Il sagissait, en dautres

    mots, dun vritable gnocide institutionnel dont les rpercussions se font encore sentir.Hlas, peu nombreux sont ceux qui sintressent aux enseignements de lHistoire,puisque tous ceux qui plaident pour des rformes radicales et rapides dans notre payssont entrain de rpter la mme erreur. Une erreur dont la cause premire, quil sagissedes colons franais ou de la jeunesse daujourdhui, nest autre que la volont deshommes se substituer au rle des sicles.Car aucun rgime, comme la crit trs justement lhistorien franais Ernest Lavisse, nese fonda en un jour. Les organisations politiques et sociales sont des uvres quidemandent des sicles ; la fodalit exista informe et chaotique pendant des sicles,avant de trouver ses rgles ; la monarchie absolue vcut pendant des sicles aussi,avant de trouver des moyens rguliers de gouvernements, et il y eut de grands troublesdans ces priodes dattente.Et si le dveloppement des nations exige des priodes dattente, cest parce quelles sont,

    notre avis, les esclaves dun rseau de croyances, de traditions et dhabitudes formantdes chanes invisibles qui chappent toute volont et ne cdent qu la lente usure dutemps.Cest l une loi ternelle que les chinois semblent avoir bien compris. En effet,contrairement aux pays socialistes ayant brusquement pass lconomie du march, leschinois, eux, ont opt pour une transformation graduelle de leur conomie. A ce propos,nous renvoyons tout lecteur intress louvrage de lamricain Josef Stiglitz intitul lagrande dsillusion. Un livre dans lequel lillustre conomiste, prix Nobel dconomie en2001, explique comment la chine a pu, par des rformes conomiques progressives,viter les effets nfastes de la thrapie du choc prconise par les institutions financiresinternationales.Cest cette sagesse asiatique qui devrait nous inspirer dans la priode de transition quetraverse notre pays. Elle nous apprend, avant tout, que nous sommes en mesure, par lesefforts que nous entreprenons depuis plus dune dcennie, ddifier une grande

    civilisation. Laissons seulement le temps faire sa besogne.

    III- Manquer de respect aux institutions

    Mais le pch le plus grave reproch aux mouvements des jeunes, est quils sont entrainde renverser violemment certaines de nos valeurs. Une attitude qui sobserve chezbeaucoup de jeunes qui affichent un irrespect criant envers nos fondamentaux.Cest le cas, notamment, de tous ceux qui nprouvent aucun scrupule dcrire notrepays de manires abjectes. A lexemple de ce rsistant virtuel qui na pas hsit qualifier notre pays deexcrments orns dune crme. Mtaphore rpugnante quidnote chez ce genre dindividus une bassesse aussi bien morale quintellectuelle. Unetroitesse desprit qui empche celui qui en est dtenteur de comprendre que la Patrieest une mre et, donc, une valeur suprme devant laquelle tout marocain, quelque soit

    son rang, a le devoir de sincliner.Le mme constat reste valable pour tous les messages destins au Roi et dont lesauteurs manquent manifestement au respect qui lui est du. Des personnes qui ignorentassurment que leurs agissements immatures portent atteinte, non seulement linstitution royale, mais aussi et surtout tous les marocains qui admirent sincrementleur Roi. Car il ne faut jamais perdre de vue que linviolabilit de la personne du Roi estgrave dans les coeurs avant de ltre dans le texte constitutionnel.Cependant, la plus dangereuse forme dirrespect reste le mpris que lon affiche devantcertaines dispositions de la loi et, prcisment, devant celle relative au rassemblementspublics. En effet, cette loi exige de toutes les personnes ayant le dsir de manifester sur

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    la voie publique den faire dclaration aux autorits trois jours francs avant la date de lamanifestation. Une mesure qui sexplique par le souci de sauvegarder la tranquillitpublique, premire condition de lexistence dune socit.Malheureusement, force est de constater que la quasi totalit des organisateurs desmarches et attroupements rcents jugent inutile le respect de la procdure prvue par lelgislateur. Un non respect qui risque de conduire, la longue, laffaiblissement delautorit de lEtat. Car la force de ce dernier dpend, en premier lieu, de sa capacit de

    faire respecter le rseau des normes qui rgit la structure sociale. Une armaturenormative qui, bien que contenant beaucoup de dispositions uses et appeles, parconsquent, disparatre, nen reste pas moins la seule garantie de la stabilit de notrepays. Et le cataclysme o vient de sombrer la Libye est une frappante preuve delimpossibilit pour une socit de vivre sans les rgles qui freinent les passionsdestructives que chaque humain porte au fond de lui.En outre, les multiples mouvements de contestations, notamment les messesdominicales de plus en plus frquentes depuis le 20 fvrier, ne font, notre sens, quedtourner notre attention des grands dangers qui menacent notre royaume: le terrorismeet le sparatisme. Et lattentat ignoble perptr Marrakech vient rappeler, une foisencore, que les forces du mal sont toujours parmi nous, et quelles nattendent que lemoindre signe de faiblesse de notre part pour se montrer. Face ces ennemies, il estincontournable de mener une guerre sans relche. Une guerre dans laquelle le triomphe

    exige, dabord, que les forces morales qui soutiennent notre Etat ne doivent jamaisflchir.Pour conclure, esprons que les jeunes, ayant un esprit lucide, puissent raliser que noussommes un carrefour historique, et que toute erreur dans le choix faire est de nature conduire un retour fatal ltat danarchie qui prdominait dans le Maroc des siclesprcdents. Suivons donc le bon chemin, avant que lexprience, grande institutrice deshommes, ne se charge de nous dvoiler nos erreurs.16/5/2011