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Les Tétoïnomanes Anonymes

De Laurent Guillot

Résumé :

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Cette pièce aborde un sujet grave : la dépendance à la tétine et l'enfer au quotidien. Pour s'en sortir, une solution radicale, la cure de désintoxication...

Personnages :

18 rôles définis. Possibilité de rajouter des rôles de "Bébés figurants" qui peuvent intervenir n'importe quand dans la pièce avec des Areuh.)

Bébé RacailleBébé chipieBébé Philosophe,Bébé pleureuseBébé hypocondriaqueBébé bourgeoiseBébé syndicaliste Bébé espagnolBébé aimableBébé sportifBébé coolBébé paysanBébé timideBébé mouBébé bébéBébé bègue La secrétaireLe thérapeute

Acte I

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Le rideau s’ouvre sur une musique moderne et entraînante(style. Huit bébés entrent sur scène, ils sucent tous une tétine. Ils dansent en rythme et entament une chorégraphie maladroite. Ils évoluent ensemble, mais leurs gestes sont ceux de très jeunes enfants.

Des pleurs et des hurlements de colère retentissent soudain dans les coulisses. La musique s’arrête. Les bébés s’immobilisent et se tournent vers une nouvelle venue. C’est un bébé qui suce son pouce, traîne un grand doudou derrière lui et semble très malheureux.

(A chaque fois qu'un bébé prendra la parole, il laissera tomber sa tétine qui restera suspendue à un ruban autour de son cou)

Bébé Chipie : Eh ben quoi ? qu’est-ce qui t’arrive ? T’as pas fini de brailler ?

Bébé aimable : Il ne faut pas te mettre dans cet état là, voyons… qu’est-ce qui se passe ? dis-nous... On va t'aider... allez, pleure plus, ça va aller... Tu veux un bisou ?

Bébé hypocondriaque : T'es malade, c'est ça ? C'est pas grave... T'as qu'à juste rester loin de moi... Et fais gaffe, t'as un gros loulou qui pendouille... mouche ton nez, sinon, on va tous respirer tes microbes... C'est pas très hygiénique, ça...

Bébé syndicaliste : Camarade ! Ne nous emballons pas… Laissez-la parler… Il lui faut une tribune libre, un micro... Elle est opprimée par les masses dirigeantes, ça se voit tout de suite... Ses idées doivent trouver à s'exprimer ! Non à l'oppression des adultes !!!

Bébé Racaille : Ma parole, il a raison lui ! ( à Bébé Chipie en la bousculant) d’où que tu lui causes ta mère, toi !

Bébé Bourgeoise : Ne nous fâchons pas, mes amis. Nous sommes entre personnes raisonnables et de bonne compagnie, c'est l'évidence... Il faut savoir raison garder... restons dignes, calmes et civilisés…

Bébé Espagnol : Si ! Que pasa ? Olé ! Raconte ! Avec ton calme civilisé ! Olé !

Bébé Pleureuse (qui vient d’entrer en hurlant) : C’est ma tétoche ! Ze la trouve plus… Elle est perdue…

Bébé Philosophe : La tétine est au bébé ce que le beurre est à la tartine... Mais comme disait ma grand-mère, une de perdue... une de perdue ! (en appuyant sur les "p" de perdue)

Bébé hypocondriaque (à Bébé philosophe): Dis-voir, tu voudrais pas mettre ta main devant ta bouche quand tu parles, t'envoies des postillons partout... c'est dégoûtant !

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Bébé Pleureuse : Oiiinnnnnn...!

Bébé Chipie : Arrête de braire toi, tu vas la retrouver ta tétine.

Bébé Bourgeoise : Certes, l'incident est fâcheux, nous compatissons... et... n'y voyez pas malice de ma part, ni désintérêt égoïste pour le désarroi de mon prochain...mais... (soudain joyeuse) Et si on se faisait un rami ?

Bébé racaille : Où que tu vas la bouffonne avec ton rami ? On a qu'à se faire un pouilleux massacreur, plutôt !

Bébé philosophe : Moi, si on me demande mon avis, j'aime autant jouer aux 7 familles, niveau stratégique, c'est plus subtil...

Les bébés battent des mains avec ravissement.

Tous : Oh oui, un pouilleux ! Un rami ! 7 familles ! (Ils ne sont pas d'accords, mais sont enthousiastes et le tout engendre une joyeuse cacophonie).

Bébé hypocondriaque : Je veux bien jouer, mais seulement si vos carnets de vaccination sont à jour... J'ai pas envie d'attraper une maladie neusoco-amydales, moi !

Les huit bébés se mettent aussitôt en cercle, sortent de grosses cartes et entament une distribution très rapide et une partie débridée. Seule Bébé pleureuse reste dans son coin avec son doudou.

Bébé Philosophe : Attention ! (il ferme les yeux et prend une expression pénétrée) Je passe à l'offensive : dans la famille Pataprout, je voudrais... le père !

Bébé aimable : Je ne voudrais pas vous ennuyer, mais je crois que j'ai moins de cartes que vous...

Bébé syndicaliste : Absolument pas ! C'est une idée reçue ! En démocratie, l'égalité scelle les bases d'une société juste ! T'en as autant que nous, t'as qu'à apprendre à compter, c'est tout...

Bébé Chipie : Et toc ! Bien fait ! t'avais qu'à pas mettre les doigts dans ton nez quand on a distribué !

Bébé aimable : Mais je n'ai rien mis dans mon nez, je vous jure... Je m'en serais aperçue, d'abord !

Bébé hypocondriaque (à bébé aimable) : Va laver tes mains ! Les microbes du nez, ça se colle aux doigts et après, ça saute sur les cartes ! C'est vrai d'abord, c'est ma Maman qui l'a dit !

Bébé bourgeoise : Très chers amis... Ah-ah-ah ! Vous allez rire, je crois... Figurez-vous que j'ai une tierce et une suite ! D'entrée de jeu... C'est inimaginable, non ?

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Bébé chipie : On s'en fout ! Tu peux pas poser, il faut 51 points...

Bébé racaille : Trop de la balle, j'ai une famille de cinq et une paire de rois...

Bébé philosophe : Et si le pouilleux n'était pas celui qu'on croit ?

Bébé espagnol : Moi, yé la souite et le brelan... Yé pose ?

Bébé chipie : Nan, tu poses pas ! t'as pas 51 !

Bébé espagnol : Mama mia ! c'est quoi cette histoire de cinquante y uno ?

Bébé aimable (tendant son jeu retourné aux autres) : Allez, on ne se fâche pas... Qui veut tirer une carte ? Regardez, j'ai un jeu tout plein de cartes gagnantes... Alors ? C'est bien, non ? Ça intéresse qui ?

Bébé syndicaliste (en saisissant une carte, il regarde entre ses doigts écartés) : Camarades, on vous ment, on vous spolie ! Et ça fait trop longtemps que ça dure ! révoltez-vous, ne laissez pas une poignée de privilégiés gagner à tous les coups ! Jouons cartes sur table... Résistons à la magouille dirigeante !

Bébé pleureuse (en reniflant et en se mouchant dans son doudou) : Ooouuinnn...!

Bébé racaille : Tu veux pas la fermer ta grande bouche ? Ma parole, je peux pas me concentrer sur le jeu, là !

Bébé bourgeoise : Et si par exemple, je complétais ma tierce et ma suite par un brelan ? Ne croyez-vous pas qu'il y aurait là matière à poser ? Honnêtement, ne cherchez pas à me ménager... qu'en pensez-vous ?

Bébé espagnol : Moi yé pense pas, yé youe. Pioche !

Bébé pleureuse : Ouuuinnnn....

Bébé philosophe : Mes amis... oser ou ne pas oser, poser ou ne pas poser... là est la question. La seule vraie question qui mérite d'être posée... Qui mérite d'être osée !

Bébé chipie : Oser, poser, causer... Accélère, tu nous fatigue avec ton bla-bla ! (elle s'adresse à bébé syndicaliste)Tiens, moi, dans la famille Nouillemol, je veux le fils !

Bébé syndicaliste : Je l'ai pas. Pioche.

Bébé chipie : Menteur ! Tu l'as, je le sais !

Bébé syndicaliste : Et comment que tu le sais ? Tu triches, c'est ça ? Tu triches, je suis sûr que tu triches ! Camarades, elle triche ! Suppôt du capitalisme rampant ! Tu dois avoir des complices ! On nous manipule, ça pue la machination à plein nez! (il regarde les autres avec suspicion) Avouez ! Qui a bavé ? Que les coupables se dénoncent...!

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Bébé pleureuse : Ouuiiiinnnnn ....!

Tous (en se retournant vers bébé pleureuse) : Tais-toi !

Bébé pleureuse se tait aussitôt et regarde les autres avec de grands yeux désespérés.

Bébé aimable : Mes amis, elle est trop malheureuse, on ne peut pas la laisser comme ça... Il faut faire quelque-chose...

Les autres (en hochant la tête) : C'est sûr, ça peut plus durer... Elle nous pourrit lapartie !

Bébé hypocondriaque : En plus, si on la laisse faire, elle va coller de la morve partout... c'est sûr !

Bébé espagnol : Olé ! Qué horor !

Bébé bourgeoise : Chéris-chéris... Sans vouloir me vanter, je crois que j'ai la solution... J'en parlais pas plus tard que tout à l'heure avec mon ami Charles-Henri Du Petipot. Il me disait justement, à propos de je ne sais plus quoi : "Ce qu'il lui faudrait, c'est une bonne cure ! Contre la dépendance, rien de tel !" C'est pourquoi je me permettrais simplement de suggérer... qu'on l'envoie en cure !

Les autres (en battant des mains) : Oh oui, une cure ! Une cure !

Bébé aimable (s'approche de Bébé pleureuse, la prend par l'épaule et l'entraîne vers la sortie en lui parlant affectueusement) : Tu vois, fallait pas pleurer... ça va s'arranger, c'est pas grave... Tu vas juste partir faire une petite cure de désintoxication... et après, ça ira mieux... D'accord ? Allez, pleure pas, pleure pas...

Bébé Racaille : Et pendant c'temps là, si on jouait à la bataille ?

Acte II

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Le rideau s'ouvre sur le cabinet d'un psychologue. Neuf chaises sont disposées en demi- cercle. Sept d'entre elles sont occupées par des bébés qui attendent. Ils ont l'air gênés et n'osent pas se regarder. Une secrétaire est installée derrière son bureau à l'entrée.

La secrétaire (levant le nez de son carnet de rendez-vous) : Le docteur ne devrait plus tarder maintenant. Quelqu'un désire-t-il un biberon ?

Une main se lève timidement.

La secrétaire : Oui ? Lait fraise, chocolaté ou nature ?

Bébé sportif : Euh... lait vitaminé... c'est possible ?

La secrétaire : Désolé. Fraise, chocolat ou nature... c'est tout ce que je peux vous proposer.

Bébé sportif (il marmonne) : Nature. Ça ira, merci...

La secrétaire (elle pose un biberon sur son bureau. Bébé sportif vient le chercher et repart en sirotant) : Tant que j'y suis, personne n'a besoin d'une couche propre ? Non ? Sûr...? En cas de besoin, n'hésitez pas, je suis là pour ça...

On sonne. Bébé pleureuse pousse la porte avec son doudou qu'elle traîne toujours derrière elle.

La secrétaire : Ah ! Nous vous attendions. Nous allons bientôt pouvoir commencer. Prenez place, je vous en prie. Le docteur arrive.

Bébé pleureuse s'installe sur une chaise à l'extrémité du demi-cercle. Elle contemple ses pieds en reniflant. De temps en temps, elle étouffe un sanglot. La porte s'ouvre, un homme en blouse blanche entre, il adresse un petit signe à la secrétaire et prend place dans le cercle.

Le nouvel arrivant : Bonjour à tous. Je suis le thérapeute chargé de ce groupe. Nous allons pouvoir commencer. Quelqu'un veut prendre la parole ? Rassurez-vous, rien ne sortira de ce cercle. Même votre identité ne sera pas dévoilée... Anonymat garanti ! Alors ? On y va ?

Bébé paysan : Ben, c'est pas de refus ma foi... J'veux bien, mais je sais pas trop comment qu'on fait... Faut que je cause et pis c'est tout ?

Le thérapeute : C'est exactement ça... Ne craignez rien. Laissez-vous aller, parlez librement, personne n'est là pour vous juger, juste pour vous aider.

Bébé paysan : Bon d'accord. Eh ben voilà... J'ai plongé y a deux ans. Au début, j'en savais rien. Je savais pas que c'était toxique pour la santé... C'est la mère qu'a insisté. C'était pour que je m'tienne tranquille... Toujours à gigoter et à traîner dans ses jambes, qu'elle disait. Moi d'abord, j'avais pas trop envie... mais je voyais bien

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que ça lui faisait plaisir... alors, j'me suis forcé, c'était pour elle... Il a fallu que je m' accroche, c'était pas facile... et pis... j'ai fini par y prendre goût. Après, il me fallait ma dose tous les jours... de plus en plus... et maintenant, je suis accroc, complètement, je peux plus m'en passer, c'est trop dur... Ma vie est devenue un enfer !

Le thérapeute : Merci, merci pour ce témoignage émouvant... Quelqu'un d'autre ?

Bébé bègue : M-moi... je-je- je- v-v-v-eux... j-j-je veux b-b-bi... j-j-je v-v-v-eux b-b-bi-en es-es-es-es-essayer ! j'-j'-j'... Et-et-et pis après, j'-j'-j'...

Le thérapeute : Euh... Merci ! Merci pour ce témoignage... éprouvant. On a bien compris l'idée générale, c'est ce qui est important. Qui prend la suite ? (son regard fait le tour de l'assemblée, affalé sur sa chaise, Bébé cool lève négligemment la main) Allez-y, on vous écoute...

Contactez-moi pour lire la suite.laurent.guillot446@orange.fr

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