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LES STÈLES DE GRIGUENY

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Charles NICOL

LES STÈLES DE

GRIGUENY

Éditions du Petit Véhicule Nantes

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Pour toute correspondance École Maternelle Pauline Kergomard

4 rue Pierre Étienne Flandin - 44 200 Nantes tél : 40 52 14 94

Nantes

2 ème édition ISBN 2-906655-45-7

Éditions du Petit Véhicule Novembre 1992 - Tous droits réservés

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A mon père Paul NICOL, qui m'a donné le goût d'écrire.

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La côte s'éloigne de plus en plus, et les remparts de Saint-Malo s'estompent dans la brume.

C' est fou comme le vent souffle ! Il y a autant de vent sur cette côte que sur celle de l'Atlantique, et le petit navire qui m'emporte ballote de vague en vague.

Je regarde encore les côtes de France. Mon regard ne peut se détacher de cet horizon. Plus d'un demi-siècle vient de s'écouler sur ces terres de France que je quitte avec soulagement et regret. C' est ma vie que j'abandonne, les miens que je délaisse. Mapensée

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Son insouciance et ses gestes vifs

? Dans très longtemps, je l'espère. Dans plusieurs siècles...

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«Elle a passé la jeune fille Vive et preste comme un oiseau A la main une fleur qui brille A la bouche un refrain nouveau»

Gérard DE NERVAL (1808-1855)

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Première partie

L'INCONNU

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Assis derrière un bureau encombré de dossiers mal rangés, Georges Lenoir jouait avec sa règle de bois. Ses doigts s'agitaient mais les traits de son visage restaient immobiles ; à travers le vague de son regard, on devinait un sentiment d'impuissance et de gêne. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait plongé dans un abîme de réflexions sans issue.

Georges Lenoir était une sorte de vieux beau. Grand, élancé, il affichait ses cinquante ans avec une étonnante jeunesse. Peu de ventre, des lunettes d'étudiant modèle, un visage racé et une chevelure blanche coiffée en arrière. Il avait parcouru les princi-

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paux échelons de la police avant de devenir commissaire division- naire des Renseignements Généraux à Paris.

Le dédale de couloirs qu'il fallait emprunter pour parvenir jusqu'à lui signifiait aux visiteurs l'importance de son poste. On le surnommait le dinosaure. Il avait survécu à tous les ministres et à tous ses supérieurs hiérarchiques pour enfin prendre leur place. Lorsqu'il apprit son surnom, il fit savoir à tout le monde qu'il n'en était pas affecté. Un matin, il entra en salle de conférence et commença par ces mots : «L'Ornithoscelide vous salue, ricana-t- il. L'incompréhension dans les yeux de ses collègues conforta son autorité. Pour ceux qui ne le savent pas, reprit-il, l'Ornithoscelide est le premier nom donné au dinosaure avant que Richard Owen, célèbre paléontologue anglais, ne crée le mot Dinosauria en 1825, c'est-à-dire «reptiles terribles», pour baptiser officiellement les fossiles terrestres du Mésozoïque. Je suis bien d'accord avec vous : je crois bien être terrible ! »

Puis il se mit à donner ses instructions comme si de rien n'était, laissant les commissaires et les inspecteurs stupéfaits devant le pa- nache de leur divisionnaire.

L'homme assis en face de lui était de vingt-cinq ans son cadet. Les yeux bleus de Camille Nogent guettaient un signe, un geste ou une parole de Georges Lenoir en réponse à ce qu'il venait de lui communiquer.

Encore enfant au visage grave, Camille ne connaissait pas la nuance. Il n'avait que des certitudes ou des ignorances. Il était sûr de lui. Ses informations, réfléchies, logiques, et appuyées par des preuves, ne toléraient aucune contradiction.

Sa présence en face du commissaire lui rappelait ces moments où, élève au lycée Jules Verne à Nantes, il se trouvait assis en face du proviseur. Les deux cours de l'établissement étaient ornées de platanes, ces arbres traditionnels et tristes, livrés aux regards perdus d'enfants par-delà les fenêtres obscures. La façade austère de l'édifice, sous l'oeil sévère du censeur en costume sombre, ac- cueillait les lycéens dans les classes glaciales l'hiver et fraîches l'été. Les études, les récréations rythmaient la vie des élèves entre leurs leçons. Le potache devenait un héros, malgré lui, lorsque le

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proviseur le convoquait. Rarement pour des compliments.

Cette même impression se dégageait du présent entretien. Camille pressentait son renvoi de l'étude.

- Vous êtes un journaliste brillant, jeune et plein d'avenir. Mais n'avez-vous pas une imagination un peu trop débordante ?

La question-réponse de Georges Lenoir était sortie lentement de sa bouche, sur un ton qui signifiait l'inutilité de poursuivre l'entretien.

- Sympa celui-là, pensa Camille, s'efforçant de garder le sourire.

- Bastien Dubon a disparu depuis six mois sans laisser de traces. Je vous avoue que notre enquête piétine mais je peux vous assurer une chose qui démentira vos suppositions : Bastien Dubon n'a pas été enlevé. Des milliers de personnes disparaissent chaque année.

Haussant malgré lui légèrement le ton, Georges Lenoir pour- suivit avec autorité :

- Nous ne sommes pas à Beyrouth, Dieu merci ! Dubon ne serait pas le premier - ni le dernier - à tout plaquer pour une femme, par exemple. Tout est possible. De plus nous n'avons aucune demande de rançon. Et dites-moi donc l'intérêt d'enlever un historien sans fortune ?

- Vous avez sans doute raison, répondit sans grande conviction Camille Nogent.

Ils parlèrent de choses et d'autres, puis il prit congé du Commissaire.

Georges Lenoir resta seul dans son bureau ; il avait besoin de réfléchir. Au bout d'un long moment, il décrocha le combiné de son téléphone :

- Allo, Philippe ? Lenoir à l'appareil. Philippe Corre, son collaborateur, avait reconnu dans la voix

de son chef, de l'impatience. Blond avec une fine moustache, l'ins- pecteur Corre était, comme à son habitude, incapable de tenir en place. Il allait de sa place à la fenêtre, commentant les derniers rapports remis entre ses mains. Dès l'appel du commissaire, il le

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rejoignit dans son bureau. - Quoi de nouveau sur les disparitions, interrogea Lenoir ? - Des notes, toujours des notes et encore des notes de service...

Pas une seule dont on puisse tirer quelque chose ! - Elles ne contiennent vraiment rien d'intéressant ? - On ne peut rien affirmer. On les a vus partout, dans toutes les

villes et les régions. Rien ne se recoupe, tout est confus. Bientôt nous aurons un rapport indiquant qu'ils sont dans nos services, vous verrez !

- Et vous, Corre, avez-vous une idée ? J'attendais beaucoup des services secrets, mais ça n'a mené nulle part. Il faut pourtant avancer !

Corre réfléchissait. - Si seulement j'en savais un peu plus sur Detournelle ou sur

Dubon ! Non pas sur leur passé, mais sur la personnalité de chacun d'eux, leurs défauts, leurs manies.

- Vous avez vu la femme de l'un et de l'autre ? - Plusieurs fois, avec les collègues de Nantes. - Elles ne vous ont rien appris ? - Jusqu'à présent, pas grand chose. - Vous pensez qu'elles savent quelque chose ? - Je n'en sais rien. Madame Dubon a l'air dépassé. Madame

Detournelle semble plus combative. - Vous les croyez ? Philippe Corre eut une légère moue. - J'ai un gros défaut, je ne crois jamais personne... Il avait prononcé ces mots avec fatalité, en tirant profondément

sur sa cigarette. Le commissaire regagna son fauteuil et réfléchit quelques

instants. A la fin, un sourire détendit ses rides. - Notre stagiaire est encore là ? demanda-t-il. - Oui, prêt à partir. - Pouvez-vous lui demander de venir me voir le plus rapide-

ment possible.

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EPILOGUE

Un long silence les sépara pendant plusieurs mois. Un jour peut-être, pensait Camille, ils se retrouveraient. Il n'était pas encore prêt pour cette nouvelle rencontre. Il lui semblait que la seconde vie de Viviane serait aussi la naissance d'une autre époque.

Il avait donc fui Viviane, regagné Nantes pour reprendre son existence d'avant Grigueny et de Patrick Davis. Son dynamisme en fut renforcé. Ses collègues remarquaient sa forme et son détache- ment des choses.

Daniel Laffont expliquait autour de lui sa passion pour l'his-

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toire, celle qui mène jusqu'au bout de l'investigation, qui fait du simple chroniqueur un journaliste de légende. «Il écrira un livre de son aventure, vous verrez». Camille laissait dire, ne le détrompait pas. A la rédaction, Laffont le chargeait de suivre les ques- tions d'actualité faisant appel à l'histoire. Les sujets ne manquaient pas : ils étaient aussi bien politiques, économiques ou sociaux. Il avait accepté. La distance ressentie entre lui et ses dossiers le rendait beaucoup plus fort.

Et pourtant, chaque soir, les images de Grigueny revenaient inlassablement dans son esprit. Les nuits blanches succédaient aux longs moments où, allongé de tout son corps, il voyait Elizabeth rire avec les fils Pontneuf. Il devinait sa coiffure adolescente remuer lentement lorsqu'elle gravissait le coteau de Clis pour rejoindre son grand-père.

Il se levait avec le jour, ne sachant s'il avait rêvé ou imaginé, éveillé, ces instants partagés avec Patrick Davis.

Il partait à la rédaction, sans fatigue, ne sachant combien de temps encore il tiendrait sans s'effondrer. Il fallait rejoindre Grigueny définitivement ou bien s'en délivrer.

Un jour, après une nuit un peu moins longue que les précéden- tes, Viviane Calandra lui téléphona. Elle lui parlait de son retour éventuel en province. Des silences interrompaient leurs échanges.

- Si nous nous retrouvions à Grigueny, lui dit-il brusquement.

Le printemps avait repris ses droits, chassant la grisaille de l'hiver, à grands traits de pinceaux.

Au bord des marais, Viviane et Camille allaient seuls sous le soleil d'avril. Plus haut, la maison fermée semblait les regarder. Le paysage s'étendait vers le traict recouvert d'une fine brume aspirée lentement par l'horizon bleu. La mer formait une immense bande qui menaçait à tout instant de s'étendre et d'engloutir les marais.

Viviane lui expliqua son intention. Revenir dans l'ouest et ra- cheter cette maison désormais en vente. Cette détermination figea Camille. «Racheter la demeure. N'était-ce pas la solution pour les rejoindre et s'en sortir à la fois ?».

Un sourire se dessina sur ses lèvres. Il avait laissé parler Vi- viane. Jusqu'à présent il ne l'avait pas touchée, tout juste embras-