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N° 148 - septembre 2008 trimestriel - 18 ISSN 0153-6184 www.iau-idf.fr Les solidarités territoriales

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N° 148 - septembre 2008trimestriel - 18 €ISSN 0153-6184www.iau-idf.fr

Les solidaritésterritoriales

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Commande d’anciens numéros France : 36 € Étranger : 38 €

N° 147 N° 146 N° 145

N° 144 N° 143 N° 142

PrésidentM. Jean-Paul HUCHONPrésident du conseil régional d’Île-de-France

• Bureau :1er vice-présidentM. Pierre MUTZPréfet de la région d’Île-de-France,Préfet de Paris

2e vice-présidentM. Jean-Claude BOUCHERATPrésident du Conseil économique et social régional d’Île-de-France

3e vice-présidenteMme Mireille FERRI, vice-présidente du conseil régional chargée de l’Aménagement du territoire,de l’Égalité territoriale,des Contrats régionaux et ruraux

Trésorier : M. Robert CADALBERT

Secrétaire : M. François LABROILLE

• Conseillers régionauxTitulaires : Suppléants :M. Gilles ALAYRAC Mme Jeanne CHEDHOMMEM. Robert CADALBERT Mme Aude ÉVINMme Marianne LOUIS M. Olivier GALIANAM. El-Madami ARDJOUNE M. Daniel GUÉRINMme Christine REVAULT-d’ALLONNES M. Philippe KALTENBACHMme Mireille FERRI M. Jean-Félix BERNARDM. Guy BONNEAU Mme Francine BAVAYM. François LABROILLE M. Alain ROMANDELMme Christine MAME M. Jean-Yves PERROTMme Josy MOLLET-LIDY Mme Sylviane TROPPERM. Jean-Jacques LASSERRE M. Michel CAFFINM. Éric AZIERE M. Pierre Le GUERINELM. Jean-Michel DUBOIS M. Dominique JOLY

• Le président du conseil économique et social régional :M. Jean-Claude BOUCHERAT

• Deux membres du conseil économique et social régional :Titulaires : Suppléants :M. Michel LANGLOIS M. Jean-Pierre HUBERTM. Pierre MOULIÉ Mme Nicole SMADJA

• Quatre représentants de l’État :M. Pierre MUTZ, préfet de la Région d’Île-de-France,préfet de ParisMme Sylvie MARCHAND, directrice régionale de l’Insee, représentant le ministrechargé du BudgetM. Pascal LELARGE, directeur régional de l’Équipement d’Île-de-France,préfet,représentant le ministre chargé de l’UrbanismeMonsieur le représentant du ministre chargé des Transports

• Quatre membres fondateurs :M. Guy CASTELNAU, représentant le gouverneur de la Banque de FranceM. Claude BLANCHET, directeur interrégional de la Caisse des dépôts et consignationsM. Patrick BAYON DE LA TOUR, représentant le président du directoire du Créditfoncier de FranceM. Henry SAVAJOL, représentant la présidente du directoire du Crédit de l’Équipement des PME

• Le président de la chambre de commerce et d’industrie de Paris,représenté par M. Jean-Claude KARPELES

Composition du conseil d’administration au 07 juillet 2008PUBLICATION CRÉÉE EN 1964SEPTEMBRE 2008

Direction de la publicationFrançois DUGENY

Rédaction en chefSophie MARIOTTE (01 77 49 75 28) [email protected]

CoordinationChristine CORBILLÉ (01 77 49 76 95) [email protected] SAGOT (01 77 49 78 15) [email protected]

Secrétariat de rédactionMarie-Anne PORTIER (01 77 49 79 52) [email protected]

PresseCatherine GROLÉE-BRAMAT (01 77 49 79 05) [email protected]

FabricationSylvie COULOMB (01 77 49 79 43) [email protected]

Maquette, illustrationsAgnès CHARLES (01 77 49 79 46) [email protected]

CartographieJean-Eudes TILLOY (01 77 49 75 11) [email protected]

Notes de lectureLinda GALLET (01 77 49 79 63) [email protected] ALMANZOR (01 77 49 79 20) [email protected]

Médiathèque – photothèqueClaire GALOPIN (01 77 49 75 34) [email protected]élie LACOUCHIE (01 77 49 75 18) [email protected]

ImpressionPoint 44

Photo couvertureDavy Kestens/sxc.hu

Commission paritaire n° 811 AD ISSN 0153-6184

© IAU île-de-FranceTous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés. Les copies, reproductions, cita-tions intégrales ou partielles, pour utilisation autre que strictement privée et individuelle, sont illicitessans autorisation formelle de l’auteur ou de l’éditeur. La contrefaçon sera sanctionnée par les articles425 et suivants du code pénal (loi du 11-3-1957, art. 40 et 41).Dépôt légal : 4e trimestre 2008

Diffusion, vente et abonnement :Olivier LANGE (01 77 49 79 38) [email protected]

France ÉtrangerLe numéro : 18 € 20 €Abonnement pour 4 numéros : 72 € 84 €Étudiants (Photocopie carte de l’année en cours, tarif 2008) : 50 €

Sur place : Librairie ÎLE-DE-FRANCE, accueil IAU15, rue Falguière, Paris 15e (01 77 49 77 40)

Par correspondance :INSTITUT D’AMÉNAGEMENT ET D’URBANISME DE LA RÉGION D’ÎLE-DE-FRANCE15, rue Falguière - 75740 Paris Cedex 15Abonnement et vente au numéro : http://www.iau-idf.fr

1

Favoriser la solidarité entre individus et territoires

Dans un contexte de mondialisation et de concurrenceaccrue entre métropoles, l’Île-de-France, première région d’Europe par son produit intérieurbrut, est engagée depuis de nombreuses années dans la lutte contre les inégalités sociales et territoriales.

Pilier du développement durable au même titre que l’attractivitééconomique et la qualité environnementale,la cohésion sociale est aussi une priorité pour l’Île-de-France. Pourtant, la région recèledes pôles économiques d’excellence,mais aussi des territoires en difficultés.

Logement, emploi, formation, mobilité et transports, accès aux services et aux équipements, réduction du handicap,accès aux droits fondamentaux sont autant de domainesd’intervention à travers lesquels la Région Île-de-France a souhaitéfavoriser concrètement une plus grande solidarité entre individus,entre les territoires, entre les générations.

Réduire les inégalités, cela passe aussi par de nouvelles régulationséconomiques. C’est l’un des objectifs de la géographie prioritairequi a été inscrite par la Région au cœur de son projet de schémadirecteur : le développement de pôles économiques puissantsdoit bénéficier à tous les territoires et notamment ceux quisont plus fragiles.

Cela nécessitera un engagement dans la durée des différentspartenaires : Région, État, Europe, mais aussi départements,intercommunalités et entreprises.

De cette réussite collective découleront une meilleure harmonieterritoriale, une plus grande cohésion sociale au bénéfice de tous les Franciliens d’aujourd’hui et de demain.

Jean-Paul HuchonPrésident du conseil régional d’Île-de-FrancePrésident de l’IAU île-de-France

Éditorial

2

Les solidarités face aux inégalités territoriales

L’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Régiond’Île-de-France apporte son appui technique aux acteursde l’aménagement et du développement, au premier rangdesquels le conseil régional.Ses diagnostics et ses propositions couvrent un largeéventail de compétences et visent au premier chef

à éclairer les choix de l’assemblée régionale et des autres collectivitéset partenaires institutionnels œuvrant sur le territoire de l’Île-de-France.Les Cahiers livrent aux lecteurs le panorama des travaux et réflexionsmenés par l’institut, mais aussi par de nombreux autres experts ouuniversitaires. En analysant les dynamiques à l’œuvre sur le territoirede l’Île-de-France et dans nombre d’autres métropoles d’Europe et du monde, Les Cahiers servent de référence à beaucoup d’acteursqui interpellent dans ces secteurs, qu’ils soient franciliens ou non. La volonté d’améliorer la qualité de nos publications, pour mieuxrépondre aux attentes, être plus lisible et toucher un plus large public,nous a amenés à «revisiter» notre plan éditorial. Le présent numérodes Cahiers inaugure ainsi les nouvelles rubriques qui rythmerontdésormais cette publication (Comprendre, Agir, Anticiper) par la thématique des inégalités territoriales et des nécessairessolidarités à construire pour y faire face et contribuer à les réduire.Outils de cohésion sociale, les solidarités sont au cœur du bien vivredans la ville, dans ses banlieues, comme dans les territoires plus excentrés de sa périphérie. Avec les deux autres piliers du développement durable que sont le développement économique et la préservation de notre environnement, cohésion sociale et solidarités entrent dans les préoccupations prioritaires de l’aménagement régional qui visent un meilleur équilibre territorial,indispensable à conforter l’attractivité francilienne.Les travaux menés par l’institut, notamment dans le cadre de la révision du schéma directeur régional, ont identifié les processusségrégatifs à l’œuvre et amènent à proposer un rééquilibrage spatialautour de deux géographies : celle des territoires stratégiques qui ont,ou doivent avoir, un rôle moteur et structurant face aux défis qui se posent, celle des sites prioritaires particulièrement concernéspar les enjeux de réduction des inégalités.Je souhaite que ce numéro des Cahiers, fruit d’un travail transversal,permette de mieux comprendre l’enjeu des solidarités entre territoiresdans la construction d’une région robuste et équilibrée.

François DugenyDirecteur général de l’IAU île-de-France

Avant-propos

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Territoires de développement et sites défavorisésBrigitte Guigou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Le logement à l’épreuve de la solidarité territorialeChristine Corbillé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

Offrir des logements abordablesdans les marchés tendus ?Anne-Claire Davy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

Trajectoires résidentielles et opérations de rénovationurbaineChristophe Noyé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

Vers une individualisation des politiques de transport ?Sylvie Fol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Le développement local face aux inégalités de richessePascale Leroi, Laure Thévenot . . . . . . . . . 50

Interview«Les pactes» : une impulsion régionale pour l’emploi et la formationDaniel Brunel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52L’intercommunalité, un moteur dans la solidarité territoriale et socialeDominique Braye . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54Plaine Commune : valoriser les chartesEntreprise-TerritoirePatrick Braouezec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56Une mobilisation partenariale pour rapprocher jeunes et entreprisesKarine Beauvue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58Le programme de réussite éducative : un travail partenarialVéronique Hollebecque, Jean-Luc Coll . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60Plate-forme pour l’emploi : les entreprises se mobilisentAriane Magnier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62Plate-forme emploi de la CSTP 77 :regards croisés de salariés en formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

SommaireÉditorial : Favoriser la solidarité entre individus et territoiresJean-Paul Huchon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Avant-propos : Les solidarités face aux inégalités territorialesFrançois Dugeny . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

Prologue : Les solidarités territorialesChristine Corbillé et Mariette Sagot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

Quelle place pour le territoiredans l’exercice des solidarités ?Brigitte Guigou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

L’Île-de-France à l’épreuve desinégalités et de la ségrégationMariette Sagot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

De quelles inégalités le territoireest-il porteur ?Jean-Pierre Chauvel,Mariette Sagot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Les régions doivent-elless’occuper de solidarité ?Philippe Estèbe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

L’implication de l’Unioneuropéenne pour l’équilibreterritorialSylvie Harburger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

Bilan et perspective des politiques redistributivesterritoriales. Jean-Pierre Chauvel . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

Vers une démocratie culturelleen Île-de-France ?Fabrice Raffin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Ressources

À retenir : Colloque «Justice et injustice spatiales» . . . . . . . . . . 84

À lire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

Agir

AnticiperComprendre

PrologueLes Cahiers n° 148

Les solidarités territoriales

4

Dès la fin du XIXe siècle, le père de la sociologie en France,Émile Durkheim,pose lasolidarité comme le principe organisateur de toute vie sociale.«Il ne peut exister desociété humaine sans solidarité entre ses membres». Né de la volonté de neutrali-ser les risques liés aux aléas de la vie – maladie,invalidité,perte de revenu lié au pas-sage à la retraite… –,le système de protection sociale mis en place en 1946 marqueune date clé de l’action collective en France, en offrant aux individus une plusgrande sécurité d’existence.Mais cet État providence est aujourd’hui menacé et lesprincipes de solidarité revisités.Les tensions entre individualisme et action collec-tive,efficacité économique et solidarité sociale s’exacerbent face aux défis majeursque doivent relever nos sociétés.Celui de la crise de la société salariale,tout d’abord,avec la montée du chômage de masse, l’instabilité et la précarisation des emplois,qui a conduit à une augmentation considérable des populations socialement dis-qualifiées et des dépenses de solidarité destinées à les prendre en charge.S’y gref-fent une montée des inégalités entre générations – les difficultés d’insertion desplus jeunes contrastant avec les conditions de carrière plus favorables des généra-tions de leurs parents –,les inégalités de genre qui restent fortes dans la sphère pro-fessionnelle et toutes les formes de discrimination à l’égard des immigrés.Ces difficultés ont pris corps dans le territoire.La crise des banlieues qui a éclaté enFrance dans les années 1980 et s’est réveillée à l’automne 2005,en ces lieux où seconjuguent chômage,pauvreté et immigration,atteste à la fois des effets de la crisesalariale,mais aussi d’un ressentiment et de frustrations à l’égard d’un modèle d’in-tégration qui ne tient pas ses promesses. L’école, lieu de toutes les espérances,condense et exacerbe les questions de ségrégation urbaine.Aussi, repenser la soli-darité dans un souci d’assurer la cohésion sociale,c’est «en réalité repenser l’ensem-ble des rapports sociaux, qu’ils relèvent de rapports de classe, de générations, degenre,de territoires et de nationalités».Ce cahier se veut une contribution sur les aspects territoriaux de la solidarité. Ils’agit d’abord de mieux comprendre l’imprégnation territoriale de la questionsociale. Que peut-on dire de la ségrégation urbaine en Île-de-France ? En quoi leterritoire est-il porteur d’inégalités? Puis de mieux saisir les enjeux,les actions entre-prises et les jeux d’acteurs en termes d’aménagement, de logement, de déplace-ments, de développement local, ou encore de péréquation financière dans uncontexte institutionnel en pleine évolution.Qui fait quoi en matière de solidarité etcomment s’articulent les différentes interventions, de l’implication de la sociétécivile,des collectivités publiques,de l’État et jusqu’à l’Europe? Cet éclatement descompétences et des responsabilités n’est-il pas à même de brouiller les cadres dela solidarité ? La décentralisation a accru le rôle des maires dans les domaines del’aménagement,du développement économique et du logement,mais a conduit,cefaisant, à la multiplication d’intérêts particuliers et à l’émiettement des pouvoirslocaux.La ville solidaire se doit de trouver ses leviers d’action dans l’aide au loge-ment des populations défavorisées, dans la lutte contre la ségrégation urbaine, envisant une certaine mixité,dans un développement local qui profite aux habitants.L’intercommunalité,les partenariats avec les entreprises et les associations,la contrac-tualisation entre les différents échelons institutionnels autour de projets de dévelop-pement fédérateurs sont autant de moyens de mobiliser la créativité des uns et desautres en vue d’exercer de réelles politiques de solidarité économique, sociale etfinancière.

Christine Corbillé et Mariette SagotIAU île-de-France

Les solidarités territoriales

Comprendre

5

Territoire de l’excellence et de l’innovation, l’Île-de-Franceest aussi celui des contrastes où richesse et pauvreté se côtoient. Ce n’est qu’à l’aune d’une compréhension des mécanismes producteurs d’inégalités qui interfèrent et pèsent tant sur les destins individuels que sur la cohésion de l’espace social francilien qu’une action collective solidaire peut être envisagée.Il faut s’éloigner du réverbère médiatique pour saisir que la situation de relégation de certains quartiers relève de mécanismes qui opèrent à l’échelle de la métropole. Les inégalités portées par le territoire se mesurent aussi en termes d’accessibilité à l’emploi, aux services et équipements divers, et de services rendus par les municipalités. Toutes ne sont pas susceptibles«d’entraver» le développement des individus,et certaines résultent de choix individuels.Face à ces tensions, la solidarité collective s’exprime au travers de politiques publiques de plus en plusterritorialisées. Elle s’invente de nouveaux moyensd’expression, s’organise autour d’une pluralité d’acteurs et s’exprime à différentes échelles territoriales. Et loin de se cantonner au traitement social, elle intègre de plus en plus la dimension sociale dans des projets de développement territoriaux soucieux de l’environnement.

La crise de l’État providence d’abord,puisla décentralisation,la construction euro-péenne et la globalisation ont remis en

cause le quasi-monopole de l’État en termesd’exercice de la solidarité.Les différentes étapesde la décentralisation ont accru les compéten-ces des pouvoirs locaux et transformé leurmanière de les exercer. Ils sont aujourd’hui encharge «d’une proportion croissante de ce quel’on dénomme encore l’État providence,et quise réfère aux politiques de formation,d’éduca-tion,de transport ou de culture qui sont massi-vement le fait des collectivités territoriales»[NÉGRIER,2005].Pour faire face à ces obligationsnouvelles et mieux prendre en compte le dou-ble objectif de solidarité et de compétitivité desterritoires,les collectivités testent de nouveauxmodes d’intervention.Mais l’exercice de la soli-darité entre des acteurs multiples et selon deséchelles différentes pose la question de la gou-vernance,de l’articulation entre le rôle de l’Étatet celui des collectivités territoriales et de laplace des intercommunalités.

De la question sociale à la questionspatiale

Les fondements de la solidarité sapés par l’érosion des droits collectifs et la précarisationEn France, l’État providence s’appuie sur uneconception de la solidarité «déconnectée» duterritoire [CASTEL, 1996]. L’État providence semet en place au XXe siècle. Il fonctionne sur labase d’un système assurantiel lié à l’emploi,complété à la marge par un système assistantiel(aide et action sociale). Les solidarités y sontfondées sur l’inscription du salarié dans desstatuts et droits collectifs.Ce dernier bénéficiede la protection sociale qui lui permet de maî-triser l’incertitude de l’avenir. Dans ce disposi-tif, l’État joue un rôle fondamental de média-teur et de garant des droits des salariés.Il veilleà ce que la propriété sociale, patrimoineconstruit et géré collectivement, soit redistri-buée sous forme de services publics et de pres-tations assurantielles aux individus (allocationschômage, indemnités maladie, retraites, invali-dité, revenu minimum d’insertion…).Ce modèle est progressivement remis en causeà la fin des Trente Glorieuses, sous l’effet de lacrise économique.La précarité se diffuse dansla sphère de l’emploi (chômage,temps partiel,intérim, travailleurs pauvres…), avec de possi-bles répercussions dans la sphère personnelle(séparation,isolement,maladie,dépression…).Si les catégories défavorisées sont particulière-ment vulnérables,ces processus de «désaffilia-

ComprendreLes Cahiers n° 148

Les solidarités territoriales

Quelle place pour le territoiredans l’exercice des solidarités ?

Les collectivités locales sont aujourd’hui en charge d’une proportion croissante de ce que l’on dénomme encorel’État providence.

Brigitte GuigouIAU île-de-France

Dans le champ de la solidarité,les aides sont prises en charge par des acteurs multiples et sedéclinent au travers d’un grand nombre de politiques publiques : social, santé,logement, emploi, mobilité, culture...Mais la solidarité s’exerce aussi au travers de puissants mécanismes de redistribution financière et de mutualisation des risques. Se posealors la question de la gouvernance et de l’articulation entre les différenteséchelles territoriales.

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Au XXe siècle, les solidarités sont fondées sur l’inscription

du salarié dans des statuts et droitscollectifs. L’État veille à ce que la

redistribution de la propriété socialesoit faite sous forme de services

publics et de prestationsassurantielles aux individus. A.

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tion» affectent plus largement l’ensemble desclasses moyennes. Cumulées à des évolutionsdémographiques, ces transformations contri-buent à une érosion des mécanismes collectifsfondateurs de la solidarité. Dans le mêmetemps,les politiques sociales et redistributricesclassiques,dont le poids dans le PIB augmenteau fil des ans pour atteindre 31,5 % en 2005,neparviennent pas à contrer cette montée de lapauvreté et des précarités(1).

L’émergence d’une lecture spatiale des problèmes sociaux et d’une actionpublique territorialiséeCes transformations socio-économiques pren-nent corps dans les territoires.La question des«quartiers en difficultés» émerge en France,comme en Grande-Bretagne, dans les années1970-1980 [DAVY et al., 2005]. Les problèmessocio-économiques (chômage,précarité,délin-quance,échec scolaire…),qui acquièrent unevisibilité particulière dans certains quartiers,sont progressivement interprétés comme dessymptômes de dysfonctionnements urbains.L’écho médiatique des «émeutes» de 1981 dansles banlieues de Lyon,puis de celles du débutdes années 1990 vient renforcer cette stigmati-sation [BAUDIN et GENESTIER, 2002]. Dans cette«représentation spatialiste du malaise social»[CHEVALIER, 2002], les grands ensembles jouentun rôle emblématique. Leur image est «…les-tée d’un poids social nouveau,désignée commele substrat de problèmes sociaux inextricable-ment mêlés : immigration, pauvreté, délin-quance…» [BOURDIN et LEFEUVRE,2002].L’émergence de la «crise» des quartiers se tra-duit par l’institutionnalisation de la «politiquede la ville» qui a pour objectif la lutte contre lapauvreté localisée. Dès le début des années1980,elle recourt à la discrimination positive,quiconsiste à donner plus et mieux à ceux qui ontmoins. Elle cible des quartiers «sensibles» définis par un mixte entre critères socio-économiques et choix politique. Cette appro-che est transversale et prône une implicationplus forte des politiques thématiques dans cesquartiers.Elle est contractuelle et partenariale,fondée sur l’engagement des différentes com-posantes de l’État et des collectivités locales,qui sont,de façon fluctuante selon les époqueset les inclinaisons des gouvernements,les com-munes ou intercommunalités.Dans les années 1990,s’inspirant des principesdes politiques de la ville française et anglaise,les politiques territoriales de l’Union euro-péenne visent à réduire les déséquilibres infra-régionaux au sein des régions à forts écarts derichesse.Prenant acte des critiques adressées aucaractère trop «social» de la politique de la ville,elles prônent une meilleure articulation entre

compétitivité et cohésion sociale,en jouant surles leviers économiques (création d’emploi,investissements en immobilier d’entreprises…).Elles s’appuient aussi sur des alliances avec lescollectivités locales, contribuant à la montéedu rôle des villes et des régions en France, etplus largement en Europe [LE GALÈS,2003].La décentralisation mise en place au début desannées 1980 a aussi participé de cette montéeen puissance des collectivités territoriales.

Différentes conceptions de la solidaritédans les politiques territorialesDans un contexte caractérisé par l’incertitudeet la complexité des jeux d’acteurs, l’actionpublique va ainsi se décliner à différentes échel-les et selon des modes opératoires variés [OFFNER,2006].

Favoriser le développement local et les logiques de projetPour les collectivités territoriales, l’enjeu estd’améliorer l’efficacité, la transversalité et lacoordination des politiques de solidarité,si pos-sible autour de projets de territoire.Les acteurslocaux peuvent recourir aux politiques mises enplace par la Région, l’État ou l’Union euro-péenne et élaborer des projets de territoire avecdes partenaires multiples pour dynamiser undéveloppement territorial qui profite à leurshabitants.Dépasser la conception classique dela solidarité, uniquement fondée sur le social,permet de réintégrer la question du dévelop-pement économique et de mieux l’articuleravec la cohésion sociale. Les départements s’appuient sur leurs compétences en matière

À partir des années 1990,les politiques territoriales de l’Unioneuropéenne visent à rétablir des équilibres infrarégionaux en jouant sur les levierséconomiques : création d’emploi,investissements en immobilierd’entreprises…

7

(1) La France est un des pays d’Europe dans lesquels le ratiode protection sociale en pourcentage du PIB est le plus élevé(moyenne de l’Union européenne pour 15 pays : 27,8 % en2005).Source : www.insee.fr (chiffres clefs, thème revenus etsalaires,protection sociale).

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d’action sociale et d’insertion (RMI,handicap,personnes âgées…) pour élaborer des politi-ques de lutte contre l’exclusion et la précaritéet intégrer des démarches de prévention desrisques pour les populations vulnérables.L’im-plication des Régions relève de leurs compé-tences en matière de développement écono-mique,de formation et d’aménagement et vise,par exemple,à faciliter l’accessibilité aux pôlesd’emploi ou mieux adapter l’offre de formationaux besoins économiques… Quant aux inter-communalités, elles ont notamment un rôlecentral à jouer en matière d’équilibre social del’habitat et de politique de la ville pour organi-ser à la bonne échelle la reconstitution de l’of-fre sociale à la suite des démolitions.La multiplicité des intervenants nécessite unemise en cohérence des actions, alors que ladiversité des fonctions des territoires appelle,particulièrement en Île-de-France, à une adap-tation des politiques thématiques.Les Régionset les départements mettent en place des poli-tiques territoriales de contractualisation pourassurer une meilleure articulation entre les stra-tégies régionales et territoriales et tenter demieux prendre en compte les enjeux de cohé-sion et de développement économique. Dansce domaine,les réalités sont contrastées et évo-lutives,de nouveaux modes d’intervention s’in-ventent au quotidien,comme l’illustre le pactepour l’emploi,la formation et le développementéconomique lancé par la Région Île-de-Franceen 2008 dans le cadre d’une démarche decontractualisation pluriannuelle avec ses parte-naires locaux.L’objet est d’appuyer des projetsde territoire sur des secteurs qui comprennentdes quartiers en difficultés en initiant des par-tenariats multiples afin de réduire les inégalitésterritoriales.

S’appuyer sur les zonagesLe zonage est le mode classique d’interventionde la politique de la ville. Il s’agit d’adapter lespolitiques sectorielles aux besoins spécifiquesde certains territoires en difficultés. Les zonesd’intervention prioritaires sont négociées loca-lement,selon un calibrage national pour la poli-tique de la ville, ou communautaire pour lespolitiques européennes.Le zonage a fait l’objetde nombreuses critiques (manque d’efficacité,enfermement dans les limites d’un périmètre,focalisation sur les politiques de territoires audétriment des trajectoires individuelles…).L’expérience montre néanmoins que des collec-tivités – Plaine Commune ou la communauté d’agglomération du Mantois par exemple – ontsu l’utiliser, en dépit de ses limites, au serviced’un projet de territoire articulant développe-ment et solidarité.

Moderniser les services publicsLa territorialisation est aussi, depuis la fin desannées 1980, synonyme de déconcentration.Elle vise alors la proximité avec «les usagers»[WARIN, 1997], une meilleure réponse à leursbesoins et l’amélioration du fonctionnementde l’action publique.Dans cette logique,la soli-darité est conçue comme étant, en quelquesorte, un bénéfice secondaire de la moderni-sation. Les administrations territoriales sontconcernées en premier chef par ces évolutions,via des restructurations organisationnelles.Col-lectivités territoriales et bailleurs sociaux sontfortement impliqués dans ces processus d’adap-tation de l’offre de services.L’État y joue un rôled’impulsion et d’animation [DONZELOT et ESTÈBE,1994].À la suite de l’acte 2 de la décentralisation,denombreux départements ont réorganisé leursservices pour améliorer l’accompagnement des

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Quelle place pour le territoire dans l’exercice des solidarités ?

Les intercommunalités ont un rôlecentral à jouer en matière

d’équilibre social de l’habitat et de politique de la ville

pour organiser à la bonne échelle la reconstitution de l’offre sociale

à la suite des démolitions.

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publics en difficultés et la coordination desinterventions entre partenaires :rapprochementdes services en charge de la lutte contre l’exclu-sion dans une direction unique de la solida-rité,création «d’espaces de solidarité»,qui sontdes lieux d’accueil du public et de mutualisa-tion des aides du département,harmonisationdes périmètres, des horaires et des modalitésd’accueil des partenaires, meilleure articula-tion entre les politiques d’insertion départe-mentale et communale (via les contrats de vil-les, cofinancements…). Différentes solutionssont aussi testées par les Régions,les intercom-munalités et les communes.

Mobiliser les ressources du quartierEn France, aujourd’hui, l’action publique s’ap-puie peu sur la promotion des solidarités fon-dées sur les ressources du quartier,même si ellemobilise toujours, sur un mode largementincantatoire,la notion de participation des habi-tants.Cette conception de la solidarité est plusrépandue dans les pays anglo-saxons (empo-werment). Elle repose sur une culture politiquedu dialogue [BACQUÉ et FOL,2006].Très présente aux origines de la politique de laville et de façon plus épisodique depuis,la logi-que du développement social local valorise lesressources et potentialités des quartiers,y com-pris populaires. Elle emprunte aux référentstiers-mondistes et autogestionnaires en voguedans les années 1970-1980. Face à la dilutiondes liens sociaux fondés sur le travail et à lamenace de précarisation des habitants desquartiers populaires,élus et professionnels fran-çais se fixent alors pour objectif de retisser desliens sociaux et de soutenir les solidarités loca-les.L’enjeu est de faciliter l’insertion sociale deshabitants, leurs parcours résidentiels et profes-sionnels, tout en développant relations socia-les et convivialité.Diverses expérimentations sefont jour : coproduction de la rénovation deslogements par les habitants,les concepteurs etles gestionnaires de la cité du Petit Séminaire àMarseille [ANSELME, 2000] ; prise en main de lamaintenance des espaces communs et créa-tion de la première régie de quartier dans lequartier de l’Alma Gare à Roubaix ; créationd’associations… [BACHMAN et LE GUENNEC,1996].Ce foisonnement d’associations et de réseauxde solidarités locaux a aussi caractérisé les pre-miers temps des villes nouvelles.Il reste trace de ces expériences passées dansdes démarches ponctuelles et qui peinent à sepérenniser, comme l’implication de «têtes deréseaux» pour animer le tissu local dans lesquartiers en difficultés. Pourtant, les idées nemanquent pas pour solliciter davantage lasociété civile,par exemple créer un conseil dedéveloppement social avec,outre le collège des

institutions, celui des associations et celui deshabitants usagers des services sociaux afin derapprocher ces services des habitants…

Limites et obstacles à la territorialisationde l’action publiqueSi les initiatives des collectivités locales foison-nent,les obstacles restent importants et les ques-tions nombreuses concernant, notamment, lerôle de l’État.Les différentes étapes de la décentralisation ontconduit à une situation confuse – particulière-ment en Île-de-France –,marquée par des déca-lages entre la vision rationaliste des textes fon-dée sur l’idée de partage entre blocs decompétences et une situation concrète deconcurrence entre institutions et de difficultéspour faire émerger un leadership cohérent.À cette confusion des rôles s’ajoutent des incer-titudes sur les financements : transferts de l’Étatinsuffisants, crainte d’un désengagement del’État en matière de solidarité… Les transferts decharges de l’État vers les collectivités localesse font sans transferts de ressources équivalentset les mécanismes péréquateurs sont jugésinsuffisants face à l’extrême disparité de res-sources entre collectivités.Différents auteurs pointent aussi la situationparadoxale de l’État qui se désengage par rap-port aux mécanismes classiques de redistribu-tion et,dans le même temps,met en place desdispositifs et outils qui conduisent à des formesde recentralisation ou de «gouvernement à dis-tance» [EPSTEIN,2008].L’élaboration de program-mes nationaux non concertés,la mise en placed’agences nationales telles que l’Anru(2) et

En France, l’action publiques’appuie peu sur la promotion des solidarités entre habitants.

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(2) Agence nationale pour la rénovation urbaine.

l’Acsé(3), la systématisation de l’appel à projeten lieu et place des contractualisations anté-rieures ne vont-elles pas dans le sens d’une«reprise en main de l’État» par rapport au local?De même, lorsque le programme national derénovation urbaine (PNRU) fait le choix definancer en priorité les démolitions-reconstruc-tions dans un objectif de mixité sociale desquartiers, ne contribue-t-il pas à diffuser unereprésentation homogène des problèmes et dessolutions?Face à cette situation, les collectivités locales

ont des positions différentes :certaines se saisis-sent des outils pour faire avancer leur projet deterritoire, d’autres appliquent les procéduressans vision d’ensemble. Par ailleurs, certainesinjonctions de l’État brouillent le jeu de la gou-vernance locale : c’est le cas par exemplelorsqu’un appel à projet national,comme celuisur les équipes de réussite éducative ou les mai-sons de l’emploi, est proposé sans faire réfé-rence au projet territorial élaboré localement.C’est aussi le cas lorsque l’État fait du maireson interlocuteur privilégié,alors même que laresponsabilité politique du dossier est prise encharge localement par l’intercommunalité.Les intercommunalités sont les nouveauxacteurs de la gouvernance territoriale. Face àl’émiettement des pouvoirs locaux, la loi Che-vènement a instauré la solidarité intercommu-nale via la fiscalité et la mutualisation des ser-vices et équipements. Elle table sur laconstitution de territoires «à bonne échelle»pour lutter contre la ségrégation. Sa mise enœuvre a très inégalement répondu à cet objec-tif [ESTÈBE et TALANDIER, 2005]. La question del’échelle, ou de la pertinence du territoire auregard des enjeux sociaux et économiques,estcruciale. Or il y a consensus pour reconnaître

l’inadéquation de nombre de périmètres fran-ciliens.Dans bien des cas,les logiques de «club»,fondées sur des associations de communes parressemblance, jouent l’effet inverse de celuiescompté par le législateur : les «clubs» de com-munes pauvres, par exemple Clichy-sous-Bois/Montfermeil ou Grigny-Viry mutualisentdes ressources très insuffisantes, ce qui nerésout en rien la question des inégalités. HorsÎle-de-France,des auteurs soulignent les risquesd’accroissement d’inégalités entre deux régi-mes d’intercommunalité [ESTÈBE et TALANDIER,2005;NOYÉ,2006].Celui de la zone dense et cen-trale, généralement caractérisé par l’existenced’une communauté d’agglomération sociale-ment diversifiée,joue globalement son rôle dansl’exercice de la solidarité. Dans le périurbaincaractérisé par un tissu social modeste, l’orga-nisation institutionnelle compte une multipli-cité de communautés de communes sociale-ment homogènes,ce qui rend difficile l’exercicedes solidarités.Il n’est pas certain, enfin, que la décentralisa-tion ait répondu à l’ensemble des attentes enmatière d’articulation entre développement etsolidarité.Les questions de cohésion sociale etterritoriale restent souvent marginalisées dansles projets de développement économique descollectivités locales.Les schémas régionaux dedéveloppement économique,par exemple,s’ali-gnent trop souvent sur un modèle homogène,celui des pôles de compétitivité, et sur desméthodes d’action publique qui empruntent«au mode de gestion étatique sans s’interrogersur les finalités,les critères ou les bénéficiaires»[BÉHAR et ESTÈBE,2006].Le manque de connais-sances territorialisées dans les diagnostics,

ComprendreLes Cahiers n° 148

Quelle place pour le territoire dans l’exercice des solidarités ?

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La loi Chevènement a instauré la solidarité intercommunale

via la fiscalité et la mutualisation des services et équipements.

(3) Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalitédes chances.

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notamment en matière de trajectoires des populations, de diversité des modes de vie,d’analyse des systèmes d’acteurs,conduit aussià une uniformisation des solutions retenues[LELÉVRIER,2004].

Quelle efficacité des politiques de solidarité territoriale ?L’appareil statistique français peine à mesurerles effets territoriaux des politiques publiquesglobales. Laurent Davezies [2004] évalue defaçon approximative le poids financier des poli-tiques sociales implicites, celles qui sont liéesaux mécanismes classiques de redistribution(fiscalité,protection sociale…),à 500 Mds d’eu-ros pour l’année 2002(4). Comparativement, lapolitique de la ville «pèse» 1,5 Md d’euros etles minima sociaux 11 Mds d’euros.Les méca-nismes classiques de redistribution, qui sontaveugles sur le plan spatial,constituent à l’évi-dence le principal instrument quantitatif decohésion sociale en France.Les politiques dontles effets territoriaux sont explicites et cumula-tifs – politique de la ville ou minima sociaux,quis’adressent globalement aux mêmes types deterritoires – ont donc un poids financiermodeste au regard de l’ensemble des revenusdistribués.Cette réserve étant faite, il y a néanmoinsconsensus sur les grandes tendances d’évolu-tion :depuis les années 1960,ces politiques glo-bales auraient largement contribué à la réduc-tion des inégalités à l’échelle des grandsterritoires (régions,départements).Mais à uneéchelle plus fine,locale,la dynamique s’inverse:les disparités de revenus augmentent [DAVEZIES,2008]. Puisque les politiques redistributivesimplicites n’ont pas d’effet positif (et pourraientmême avoir des effets négatifs) sur les inégali-tés à l’échelle fine,il semble impératif de main-tenir des politiques explicites, ciblées sur despetits territoires,pour lutter contre les effets desprocessus de ségrégation qui pénalisent lourde-ment ceux qui vivent dans les quartiers les plusdéshérités des grandes villes.Il semble tout aussiimportant de combiner actions centrées sur leslieux et actions centrées sur les personnes.Lesactions visant à «mettre les habitants en mouve-ment» [DONZELOT, MÉVEL et WYVEKENS, 2003], autravers de soutien à leurs trajectoires résidentiel-les et professionnelles,d’aides à la mobilité indi-viduelle, de lutte contre les discriminations…sont complémentaires et mériteraient d’êtredéveloppées plus qu’elles ne le sontaujourd’hui en France.

(4) «[…] mettant en œuvre l’ensemble des redistributions derevenus,entre l’ensemble des ménages et des territoires,liéesà l’ensemble des recettes et des dépenses publiques,Sécuritésociale comprise,correspondent à plus de 500 Mds €».

La région offre une mosaïque sociale quiimprègne de façon très différenciée leterritoire francilien.La donne sociale s’est

territorialisée.Le «93»,la «banlieue» ou «les quar-tiers en difficultés» prennent le pas sur la «classeouvrière» ; le «16e», «Neuilly» et «les ghettos deriches» [PINÇON et PINÇON-CHARLOT, 2007] sur la«bourgeoisie». Cette focalisation sur les pôlesopposés,et avant tout sur les territoires emblé-matiques de la pauvreté, laisse dans l’ombrel’éventail des situations intermédiaires.La ségré-gation sociale s’accroît-elle en Île-de-France ?Ne revêt-elle pas de plus en plus un caractère«ethnique» ? Les moteurs de la différenciationsociale de l’espace conduisent-ils inéluctable-ment à un renforcement des situations extrê-mes? Mettent-ils les espaces mixtes en danger?Retour sur les résultats des recherches récentes.

Des inégalités plus marquées dans l’espace urbainL’analyse des revenus des ménages, si ellegomme quelque peu les aspects sociaux, per-met de porter un regard synthétique sur l’évo-lution des inégalités entre communes. À cetégard,le constat est sans appel : les inégalités derevenus se sont affermies entre les communesfranciliennes depuis vingt ans,et ce avant toutdans l’espace urbain.

Un classement des communes par décile derevenu – chaque groupe de communes étantconstitué de 10 % des foyers fiscaux, des pluspauvres aux plus riches – montre que les com-munes s’inscrivent dans un continuum derevenu sans rupture, si ce n’est au passage dugroupe le plus aisé. En 2005, le revenu moyendes communes les plus riches est supérieur de46 % à celui de la classe précédente. En 1984,l’échelonnage était moins marqué d’un décileà l’autre et l’écart entre les deux derniers déci-les plus réduit (+ 23 %). L’éventail entre situa-tions extrêmes s’est ainsi largement ouvert,dufait d’une polarisation plus forte de la richesse,mais aussi, dans une moindre mesure, d’unepaupérisation des communes les plus pauvres.Le rapport entre les revenus moyens des deuxclasses extrêmes est ainsi passé de 1,8 à 3,1.Lesforces qui tendent à ouvrir l’éventail des reve-nus opèrent dès les espaces médians et s’ac-centuent avec le degré de richesse.

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Les solidarités territoriales

L’Île-de-France à l’épreuve desinégalités et de la ségrégation

Les inégalités sociales se traduisentinéluctablement par des inégalitésterritoriales.

Mariette SagotIAU île-de-France

Les inégalités sociales se traduisentinéluctablement par des inégalitésterritoriales. Les plus aisés tendent à se regrouper, favorisant une bipolarisation socio-économiqueparticulièrement marquée dans l’espace urbain. L’entre-soi est-ildevenu moteur de la ségrégation ?Quels sont la place et l’avenir des territoires mixtes franciliens ?Quelles sont les marges de manœuvredes politiques publiques ?

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La montée des inégalités

est deux fois plus forte

lorsque l’on prend en compte

la taille des communes

(indicateur pondéré).

Elle a donc été plus marquée

au sein des communes urbaines.

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L’espace des communes les plus pauvres (83 communes en 1984)

qui couvrait une partie du nord de Paris et les franges rurales

de la Seine-et-Marne s’est fortement rétracté (39 en 2005)

sur la banlieue nord-est depuis vingt ans.

L’espace très aisé s’ancre sur l’ouest de Paris, en partie

sur le périurbain (196 communes en 1984, 142 en 2005).

La pauvreté se rétracte sur le tissu dense de la banlieue nord

1984

2005

L’espace de la pauvreté s’est renforcé dans letissu urbain,se rétractant davantage sur la pro-che banlieue nord et sud-est, délaissant pourpartie les espaces périphériques de l’Est seine-et-marnais, où vit une population rurale plusâgée. La richesse s’ancre au centre-ouest deParis et forme un ensemble compact qui s’étend sur l’espace périurbain à l’ouest.

La moitié des Franciliens viventdans des espaces «mélangés» L’Île-de-France ne se résume pas à ses extrê-mes. Une typologie a été faite sur le profil derevenu des ménages de chaque commune parréférence à la distribution moyenne de la régionen 2005(1).Neuf classes ont été différenciées,enpartant du groupe de communes les plus pau-vres, où les bas revenus sont surreprésentés,jusqu’au groupe le plus aisé,où ce sont les reve-nus élevés qui sont les plus fréquents.La moitiéde la population francilienne vit dans des quar-tiers au profil social proche du profil moyenrégional (classes 4,5,6,7). Cette mixité dans lecadre francilien traverse l’espace francilien,lesprofils plutôt moyens à moyens aisés sont plusfréquents dans le périurbain.Le cœur de l’agglo-mération est nettement plus contrasté.La péri-phérie de la Seine-et-Marne située au-delà de60 km de Paris rassemble une population ruraletrès modeste où domine la classe 3.Cet état des lieux confirme les analyses d’Edmond Préteceille [2003,2006] menées surla période 1982-1999 qui montrent que les espa-ces au profil social moyen mélangé ne sont nul-lement en voie de disparition. La région n’estpas engagée dans un processus de dualisation,mais dans une bipolarisation des quartiersextrêmes,avec une opposition de plus en plusmarquée entre les quartiers aisés et les quar-tiers populaires lestés par le chômage et la pré-carité. Cette évolution intervient dans uncontexte de glissement vers le haut de la hiérar-chie des espaces : des espaces moyens-mélan-gés vers les espaces aisés et des espaces popu-laires vers les espaces moyens-mélangés.

L’espace des territoires moyens-mélangés seserait étendu.Toutefois,ces territoires mixtes sefragilisent,la montée du chômage et de la flexi-bilité des emplois n’épargnant pas les classesmoyennes.Au sein des espaces populaires,on observe unedifférenciation croissante des quartiers,qui vontdes quartiers en cours de «gentrification» àceux qui se trouvent pris dans un mouvementd’appauvrissement social qui les éloigne sensi-blement du reste des espaces franciliens. Cesquartiers, où chômeurs, ouvriers et immigréssont plus nombreux qu’ailleurs,ne recouvrentque partiellement les quartiers classés en poli-tique de la ville(2).

Un renforcement modéré de la concentration des immigrés La ségrégation est pointée du doigt dès lorsqu’un espace concentre des populations en dif-ficultés ou issues de l’immigration. Ces deuxdimensions sont très intriquées : 40 % des per-sonnes de référence immigrées appartiennentau monde ouvrier, sont employés de commerceou occupent des emplois de service direct auxparticuliers.Hier cheville ouvrière masculine de l’indus-trie et de la construction, l’immigration est devenue le soubassement indispensable au

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L’Île-de-France à l’épreuve des inégalités et de la ségrégation

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Il s’agit du revenu moyen après impôts

des foyers fiscaux des communes.

Chaque décile de communes regroupe

10 % des foyers fiscaux franciliens.

En 2005, le revenu moyen

des communes les plus riches (d.10),

qui s’établit à 36400 euros,

est trois fois plus élevé

que celui des plus pauvres (d.1).

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40 % des personnes de référence immigréestravaillent dans la distribution des marchandises ou dans les services d’entretien et de sécurité.

(1) Voir l’utilisation du fichier Filocom, Note rapide, MarietteSagot,à paraître,septembre 2008, IAU île-de-France.(2) Selon une étude de l’IAU île-de-France,40 % des territoi-res pauvres n’appartiennent pas aux zones urbaines sensi-bles [SAGOT,2006].

fonctionnement quotidien de la métropole pari-sienne.Les ouvriers sont désormais moins liésà la production qu’à la distribution des mar-chandises (conducteurs, manutentionnaires)ou aux services d’entretien et de sécurité.Cettepopulation immigrée active s’est féminisée :employées de maison et nourrices contribuentà aider les Franciliennes à mener de front vieprofessionnelle et familiale.Agents hospitalierset aides-soignantes soutiennent le fonctionne-ment de notre système de santé. Les emploisrestent souvent peu qualifiés et précaires, etcette faible situation socio-économique condi-tionne les localisations résidentielles,même sielle n’explique pas tout. Dans une région quirassemble près de quatre immigrés(3) sur dixvivant en France, la «ségrégation ethnique» estde plus en plus perçue comme prenant le relaisde la ségrégation socio-économique.Qu’en est-il vraiment ?Globalement, l’indice de concentration(4) desimmigrés tend à s’accroître modérément en Île-de-France (0,165 en 1982 ; 0,170 en 1990 ; 0,177en 1999)(5),mais on reste loin de la situation de«ghettoïsation» états-unienne.La hausse du nom-bre des immigrés aurait pu néanmoins s’ac-compagner d’une plus grande dispersion. Lesimmigrés représentaient 13,3 % de la populationfrancilienne en 1982, 14,7 % en 1999 et 16,7 %selon les estimations des enquêtes de recense-ment de l’Insee pour 2005. Au sein de cettepopulation,le degré de concentration des grou-pes varie selon l’effectif et le pays de naissance.

Les immigrés turcs,asiatiques et,dans une moin-dre mesure,les immigrés provenant du Maghreb(notamment Algériens et Marocains) et du restede l’Afrique sont les plus regroupés.L’évolutionde la répartition de ces populations sur le ter-ritoire, en neutralisant les évolutions liées auxeffectifs, montre une dispersion accrue desEuropéens, notamment des Espagnols, et desAsiatiques, mais une tendance à plus deconcentration chez les Turcs, les Algériens, lesMarocains et les Africains hors Maghreb dans ladécennie 1990-1999. Dans l’ensemble, la pré-sence des ménages immigrés non-originairesd’un pays de l’Union européenne s’est renfor-cée dans les communes où ils étaient déjà sur-représentés et a progressé dans les communeslimitrophes,accentuant le phénomène de pola-risation de cette population [BEAUFILS,2007].La question de l’intrication entre les dimen-sions socio-économique et «ethnoraciale» restedifficile à démêler(6).Il apparaît,de façon géné-

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Le groupe 1 regroupe les communes

les moins aisées de l’Île-de-France,

avec une forte surreprésentation

des bas revenus (d.1 à 3) et une forte

sous-représentation des revenus

moyens et hauts (d.6 à 10) par rapport

au profil moyen régional.

La géographie sociale des Franciliens selon les profils de revenus en 2005

(3) Franciliens nés à l’étranger. En 2005, 38 % d’entre euxétaient de nationalité française.

(4) Indice de concentration :

xi représente la répartition de la population des immigrésentre les communes franciliennes et yi celle des Français denaissance.(5) Étude de l’IAU île-de-France relative à l’évolution de laconcentration des immigrés,à paraître,automne 2008.(6) La mesure de la concentration sur le territoire de sous-groupes de ménages croisant la catégorie sociale et la distinc-tion immigré/Français de naissance,en référence à la répar-tition de l’ensemble des personnes de référence françaisesde naissance,a permis de mieux comprendre.

rale,que les immigrés sont plus regroupés queles Français de naissance, quelle que soit lacatégorie sociale. Ce phénomène est imputa-ble,pour partie,au plus faible effectif des immi-grés.Au-delà de cet effet de taille, les immigréss’avèrent nettement plus concentrés que lesFrançais de naissance dans les catégories lesplus faiblement qualifiées : les personnels deservice direct aux particuliers, les inactifs demoins de 60 ans, les ouvriers non qualifiés, lesemployés de commerce et les artisans. À l’in-verse,les immigrés des catégories les plus qua-lifiées de cadres ou professions libérales appa-raissent plus dispersés que leurs homologues,ce qui,en négatif, révèle un plus fort regroupe-ment de ces catégories «françaises de nais-sance» sur le territoire francilien. Ces différen-tiels montrent toute l’ambiguïté de la notionde concentration,qui peut être choisie ou subie.

Pour les immigrés les moins qualifiés, l’accèsau parc social,censé améliorer leurs conditionsde logement à moindre coût,se traduit souvent,dans les faits,par une relégation dans les quar-tiers d’habitat social faiblement «attractifs».À défaut, ils sont surreprésentés dans les seg-ments les plus dégradés du parc privé,localiséspour l’essentiel dans les communes de ban-lieue du nord de Paris ou dans les arrondisse-ments du quart nord-est parisien. On constatebien, dans ce cas, une surconcentration desimmigrés sur le territoire,qui va au-delà de leurposition sociale et qui résulte de la localisationdu parc qui leur est accessible.

De l’héritage du passé au jeu du marchéLa structure sociale de l’espace francilien n’estpas nouvelle.Elle procède d’une combinaisond’incidences :celles du développement écono-mique (l’héritage historique de l’industrie,l’ap-

pel à l’immigration étrangère,la montée du ter-tiaire,la mondialisation…),des politiques publi-ques (urbaines,du logement,des équipements,des transports, de la formation, de redistribu-tion) et des décisions individuelles. L’opposi-tion des classes, héritée de la société indus-trielle, continue ainsi à structurer l’espace, endépit de la montée du tertiaire et du recul desemplois ouvriers.De même,les tours et les bar-res surdimensionnées,construites en banlieuedans les années 1960 pour accueillir le salariaturbain, forment l’armature d’une partie desquartiers en difficultés d’aujourd’hui,au mêmetitre que les anciens quartiers d’habitat ouvrier.Si la structuration actuelle doit beaucoup aupassé, les dynamiques résidentielles s’articu-lent aujourd’hui autour de trois pôles enconstante interaction : le marché, les préféren-ces des acteurs,l’intervention publique.La toutepuissante logique du marché immobilier tendà emporter l’ensemble.À l’instar de la mondia-lisation,elle est de plus en plus perçue comme«la main invisible» sur laquelle aucune prisen’est possible. L’hétérogénéité des groupessociaux, de par les choix individuels, liés pourpartie aux stades du cycle de vie (les ménagesavec enfants n’ont pas les mêmes préférencesque les jeunes adultes) et aux conditions deressources, suffit en soi à engendrer des zonesd’habitat socialement typées, sans qu’il puisseêtre fait état de recherche ou refus d’un voisi-nage social particulier.Face à la «crise des ban-lieues»,qui apparaît comme le produit du fonc-tionnement global de la ville, les chercheursont tenté de démasquer les processus compor-tementaux – recherche de l’entre-soi et évite-ment des autres – qui se cachent derrière lavalorisation des espaces,et leurs interférencesavec les politiques publiques.

L’entre-soi comme moteur de la ségrégation ?La question du moteur comportemental de laségrégation fait débat en France.Pour Éric Mau-rin [2004],la recherche généralisée d’un entre-soi est au fondement des fractures spatiales.Jacques Donzelot [2004] et Marie-Christine Jail-let [2004] considèrent que les classes moyennesqui fuient la cohabitation avec les plus pauvressont au cœur de la relégation des territoires endifficultés.Edmond Préteceille constate que cesont les classes supérieures – chefs d’entreprise,professions libérales,cadres d’entreprises – quitendent à être les plus regroupées.L’«autoségrégation» des riches,qui se manifestepar une exclusivité accrue des beaux quartiers,apparaît comme le moteur le plus structurantde la hiérarchisation des inégalités urbaines.Elle forme le premier maillon d’une chaîne desélection résidentielle qui s’opère par les prix

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Les immigrés les moins qualifiés

sont surreprésentés dans les segments les plus dégradés

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fonciers et immobiliers. Les espaces valoriséspar les plus aisés associent qualité de l’environ-nement(7),de l’espace urbain,des équipements,notamment des établissements scolaires,et unebonne desserte par les transports. Ils écartent,par la logique du marché,la présence des clas-ses plus modestes.De proche en proche se des-sine ainsi une carte des prix immobiliers,refletdes capacités financières des ménages résidentset de l’ouverture des territoires qui leur sontaccessibles [PRÉTECEILLE,2006].Les travaux de Michel Pinçon et Monique Pin-çon-Charlot ont depuis longtemps montré lamobilisation des classes les plus riches pourdéfendre leurs espaces, conserver leurs «habi-tus»(8), se préserver de toute mésalliance pardiverses pratiques d’entre-soi qui tiennent lesautres à l’écart : rallyes, clubs et cercles, maisaussi associations sous tutelle préfectorale pourpréserver leur cadre de vie.À ces pratiques d’en-fermement,s’ajoute le refus de communes trèsriches de banlieue de se plier à la loi Solida-rité et renouvellement urbains (SRU) ou lechoix du maintien d’un statu quo démographi-que pour préserver la tranquillité des résidentsdans l’espace périurbain.Un constat ne doit cependant pas être perdude vue:les classes moyennes – professions inter-médiaires et employés,actifs ou retraités – sontles plus uniformément réparties sur le territoireet la tendance est à plus de dispersion, à l’ex-ception des professions intermédiaires du privé.Le maintien de la mixité sociale entre classesmoyennes et classes populaires n’est pas,pourautant, la panacée. Elle s’accompagne de ten-sions, mouvements contradictoires et difficul-tés que la montée du chômage tend à exacer-ber.Les stratégies d’évitement scolaire illustrent biences frictions.Toutefois, ces stratégies sont loind’être l’apanage des classes moyennes et le fil-trage social joue un rôle essentiel dans l’accèsaux «bons» établissements.«Seules les famillesdisposant de revenus élevés peuvent habiter àproximité des meilleurs collèges et lycées, cequi apparaît d’autant plus injuste aux yeux des

autres parents que ces familles peuvent ainsicumuler les avantages de la qualité,de la proxi-mité et de la clôture sociale.Elles bénéficient enoutre d’une sorte de prime morale pouvantpubliquement affirmer qu’elles envoient leursenfants dans les établissements du quartier…»[VAN ZANTEN,2006].Ce type de stratégie alimentela pompe à produire plus d’excellence,renforceles crispations sur l’enjeu scolaire et,de procheen proche,fait le lit de l’exclusion.Selon MarcoOberti,la crispation scolaire des classes moyen-nes est «sans doute autant sinon plus uneréponse aux stratégies de cloisonnement desclasses supérieures et à la peur du déclasse-ment social qu’une stratégie délibérée de dis-tanciation des classes populaires». Il ressort deses travaux sur les Hauts-de-Seine qu’en dépitd’une offre scolaire de qualité, voire d’excel-lence, dans les communes les plus favorisées[OBERTI,2006],les classes supérieures adoptentles comportements les plus sélectifs et ont plusrecours que les classes moyennes à la scolari-sation hors secteur.

Le parc social, havre de pauvreté ?Le parc HLM est fortement surreprésenté dansla plupart des quartiers en difficultés de larégion.Ce qui fait bien souvent rimer parc socialet ségrégation urbaine.La pauvreté n’est pour-tant pas le lot des quartiers d’habitat social.Elleest aussi prégnante dans les quartiers anciensdégradés de Paris et de proche couronne etdans des quartiers mixtes de banlieue [SAGOT,2006].La paupérisation du parc social, observabledepuis trente ans, relève d’une longue histoireoù interagissent les politiques publiques – del’immigration et du logement –, la montée du

Le développement de l’entre-soi,notamment parmi les plus riches,joue un rôle actif dans le renforcement des inégalités.

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(7) L’absence de nuisance semble davantage définir la qua-lité de l’environnement des ménages les plus aisés [FABUREL,GUEYMARD,2007].(8) «Comportement acquis et caractéristique d’un groupesocial»,Le Grand Larousse illustré, 2005.

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Le filtrage social joue un rôle essentiel dans l’accès aux bons établissements scolaires.

chômage, les stratégies individuelles, notam-ment la volonté de devenir propriétaire, et lalogique du marché.La différenciation sociale del’espace francilien a trouvé un second souffledans les années 1980 avec l’expansion de l’ur-banisation,la diversification des produits offertset la mise en place des aides à la personne.Cecontexte de fluidité du marché immobilier etd’ouverture des offres a permis aux classesmoyennes d’accéder à la propriété et à un meil-leur habitat. Elles ont massivement délaissé leparc social – qui s’est progressivement resserrésur des ménages plus modestes – pour allerpeupler le nouvel habitat périurbain. Ce désird’accession a été un élément déterminant del’affaiblissement de la cohabitation entre clas-ses moyennes et populaires dans le parc social.Dans la plupart des autres espaces non mar-qués par les grands ensembles,cette mixité estrestée forte.Le peuplement du parc social varie sensible-ment selon les espaces,en fonction du contexteurbain et des politiques d’attribution.L’éventaildes profils des occupants reste ouvert :des clas-ses moyennes et modestes des communes de labanlieue ouest aux catégories plus touchéespar la pauvreté, le chômage, dans les grandsensembles des années 1970 où intervientl’Agence nationale de rénovation urbaine.Le parc HLM n’accueille pas toute la «misère dumonde».Il représente 22,5 % des logements fran-ciliens et loge un peu plus de 35 % des ména-ges pauvres. Ces derniers sont aussi présentsdans les HLM que dans le parc locatif privé.Lesménages immigrés représentent en moyenne22,5 % des occupants.Ces derniers se répartis-sent à part égale entre la propriété, le locatifprivé et le locatif social, avec toutefois des dif-férences selon les origines.Ainsi,49 % des immi-grés venus d’un pays d’Europe sont propriétai-res, mais 38 % de ceux qui proviennent d’unpays non-européen sont locataires dans un HLM[BEAUFILS,2007].

Les politiques publiques face aux tensions inégalitaires : quelle marge d’action ?S’achemine-t-on inexorablement vers une frag-mentation sociale des territoires métropoli-tains ? Les politiques publiques sont-elles detaille à contrecarrer les tensions inégalitaires ?La montée des incertitudes sur l’avenir a exa-cerbé les sentiments d’inégalités sociales.Depuis vingt ans, les inégalités semblent pour-tant avoir peu évolué au sein de 90 % des ména-ges,mais l’écart entre situations extrêmes – dela précarité des SDF à l’envolée des très hautsrevenus(9) – s’est amplifié. On a récemmentassisté à une explosion des très hauts revenus,qui tient à la fois à la forte croissance des reve-nus du patrimoine, très inégalement répartie,mais aussi, et c’est un fait nouveau en France,à une rapide augmentation des disparités desalaires.«La France rompt ainsi avec vingt-cinqans de grande stabilité dans la hiérarchie dessalaires» constate Camille Landais [LANDAIS,2007].Tout en restant un pays bien plus égali-taire que les pays anglo-saxons au regard de ladistribution des revenus primaires, la Frances’achemine,semble-t-il, vers leur modèle.Cettetransformation renvoie au fort développementdes marchés financiers.La répartition capital-tra-vail devient de moins en moins favorable auxrevenus d’activité, tandis que les revenus descapitaux mobiliers, et notamment les dividen-des,qui sont très inégalement répartis,progres-sent rapidement et sont aussi à même de creu-ser le plus les écarts de revenu. La croissancedes très hauts revenus est une tendance struc-turelle lourde,indépendante de l’évolution desplus-values (immobilières ou sur le marché destitres).Il est probable, par ailleurs, que les transfertsintergénérationnels de patrimoine accentuentaussi les inégalités dans le futur.L’enjeu des iné-galités territoriales a fort à faire avec le loge-ment, qui reste un domaine privilégié de lafamille.Les possibilités de soutien de la famillejouent un rôle très fort sur les conditions et leniveau de vie des ménages.Versement de cau-tion, aides financières multiples pour le loyerou l’accession,appui en cas d’adversité,dona-tions sont autant de manifestations de la solida-rité familiale.Dans un monde aux parcours pro-fessionnels et matrimoniaux plus incertains,nepas avoir de famille devient un handicap. À cessoutiens actifs s’ajoutent les effets des transmis-sions de patrimoine. La progression de la

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Le parc HLM représente 22,5 % des logements franciliens et loge un peu plus de 35 % des ménages pauvres.

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(9) Entre 1998 et 2005,les inégalités de revenus se sont forte-ment accrues,du fait de l’augmentation très forte des revenusdes foyers les plus riches.En particulier,les 1 % des foyers lesplus riches, au nombre de 350 000, ont vu leur revenu réelcroître de 19 % sur la période,contre 4,6 % pour les 90 % desfoyers les moins riches. Le taux atteint 42,6 % pour les 3 500plus riches [LANDAIS,2007].

propriété observée depuis quarante ans va setraduire par de fortes inégalités dans les trans-missions,qui vont amplifier les disparités socia-les dans les années à venir.Catherine Bonvalet[2008] souligne,par ailleurs,l’intensification dela concurrence dans les espaces centraux, oùles pratiques de double résidence,la demandeinternationale, les ruptures d’union, l’installa-tion des jeunes viennent faire pression sur unmarché tendu, marqué par le recul des petitslogements de type Loi 1948 ou chambres debonne.Les inégalités familiales pèsent ainsi deplus en plus lourd dans le placement desacteurs sur le marché du logement, leur capa-cité de choix et leur localisation.De quelle marge de jeu les politiques publiquesdisposent-elles pour éviter les phénomènes derelégation? Dans un contexte où la forte crois-sance urbaine de la région est derrière nous,l’action sur le bâti, par une meilleure disper-sion du parc HLM,risque de rester marginale,àmoins d’un fort investissement sur le parcsocial.En l’état actuel, les constructions équili-brent difficilement les démolitions décidéesdans le cadre de la loi SRU. Quant à l’obliga-tion de construire 20 % de logements sociauxdans les communes de plus de 1500 habitantsde l’agglomération parisienne,elle se heurte àde fortes résistances et au prix élevé du foncierdans les communes les plus aisées.Une autre option est d’intervenir en amont surla redistribution des revenus via les impôts et lesprestations sociales.L’impôt sur le revenu restel’instrument le plus redistributif en France,maisil ne permet de réduire les inégalités de revenusque de 30,7 % en 2006 contre 36,9 % en 1996[AMAR, LAÏB, MARICAL, MIROUSE, 2007]. En 2006,comme en 1996,les prestations contribuent plusà la réduction des inégalités que les prélève-ments : les prestations familiales à concours de28,2 %, les aides au logement de 16,1 % et lesminima sociaux de 13,4 %. La tendance estcependant à une nette diminution du niveaude la fiscalité des revenus et du patrimoine àl’endroit des hauts revenus.Les prestations, en revanche, ont peu évoluédepuis dix ans.Leur légère augmentation a tou-tefois profité aux plus modestes.

À défaut de contrecarrer radicalement l’organi-sation sociale du territoire,les politiques visantà faire plus pour ceux qui ont moins,et le déve-loppement local qui se décline en termes derevenus, d’emploi, de formation et d’aménitésurbaines sont également des leviers suscepti-bles d’enrayer les processus de relégation.Touteintervention locale ne peut toutefois se conce-voir sans une approche globale solidaire,impli-quant plusieurs acteurs à différents échelons.

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Il est probable que les transferts intergénérationnelsde patrimoine accentuent aussi les inégalités dans le futur.

«Le territoire, par les caractéristiquesdes populations qui y vivent, maiségalement par des éléments plus

strictement territoriaux, peut devenir uneentrave aux possibilités de développement desindividus» [SCHMIEDER,2003].En résonance avecces propos, le schéma directeur de la Régiond’Île-de-France (Sdrif) s’est fixé pour objectifde réduire les inégalités sociales et territoria-les.La ville n’est dite durable que si elle sait segérer socialement.Mais,avec la généralisationde la mobilité et la dissociation des lieux d’ins-cription des actes quotidiens, où s’arrête laville ? Pour l’aménageur, les notions de proxi-mité des équipements et services de premièrenécessité, et d’accessibilité à l’emploi ou auxgrands équipements sont devenues les nou-veaux étalons de mesure des disparités territo-riales.S’y ajoute l’inégale capacité des commu-nes de faire face aux dysfonctionnementsurbains et aux difficultés rencontrées par leurshabitants.Se dessinent ainsi de nouvelles inéga-lités qui se superposent, pour partie, avec lesconcentrations urbaines de populations en dif-ficultés.Le décryptage et la mesure de ces effetsde lieu sur la santé,la situation professionnelle,la réussite scolaire ou encore les conditions devie des Franciliens ne sont pourtant pas cho-ses aisées et restent sujets à débat.

La ségrégation urbaine et les destins individuelsLes effets préjudiciables de la ségrégationurbaine sur l’accès à l’emploi ou au savoir et,

d’une certaine façon, sur l’autonomie de viedes habitants ont été largement décrits par lessociologues. Les pays anglo-saxons, plus mar-qués par le communautarisme,soulignent aussil’aspect positif du «quartier» comme ressourceoù peut s’exercer le jeu des solidarités commu-nautaires, notamment pour les immigrantsrécents. En Île-de-France, les dernières étudestentent d’étayer les effets de la concentrationurbaine en se centrant sur les thèmes de l’école,l’emploi et la santé.L’école,parce qu’elle prône l’égalité des chan-ces, exacerbe les questions de ségrégationurbaine. La composition sociale d’un quartierou d’une commune façonne celle des enfantsdes écoles, collèges ou lycées. Et les pratiquesd’évitement des familles – dérogation,passagedans le privé,mobilité résidentielle – renforcentla différenciation sociale entre établissements.Or les études sont nombreuses à montrer l’inci-dence positive du bon niveau scolaire descamarades de classe et d’un certain degré d’hé-térogénéité sur l’apprentissage et la réussite desenfants, que ce soit en primaire ou au collège[DURU-BELLAT et MINGAT, 1997 ; BERNY, 2007]. EnÎle-de-France, le retard scolaire se concentreainsi nettement sur les pôles très défavorisés[FRANÇOIS, 2003], tandis que l’avance scolaireest captée par les collèges les plus «attractifs».Aux effets de la ségrégation urbaine et de l’évi-tement s’ajoute une inégalité dans la qualitéde l’offre.Marco Oberti observe,dans le cas desHauts-de-Seine, que ce sont les collèges descommunes les plus favorisées qui bénéficient

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Les solidarités territoriales

De quelles inégalités le territoireest-il porteur ?

La composition sociale d’un territoire influence directementles destins individuels de ses habitants.

Jean-Pierre ChauvelMariette SagotIAU île-de-France

Le territoire induit de profondesinégalités en matière d’éducation,d’emploi, de santé, d’accessibilité aux équipements de base et de déplacements. L’action des collectivités localesconcernées est elle-même souventobérée par leurs capacités budgétaires,qui restreignent leurs possibilitésd’offrir aux populations les servicesdont elles ont besoin.

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d’une plus grande richesse en options et lan-gues rares. L’école, qui «fait l’objet d’attentesdémesurées», est ainsi devenue un espace deconcurrence pour l’obtention des meilleurstitres scolaires [OBERTI,2006].En dépit des politiques publiques mises enplace, la forte polarisation des difficultés sco-laires dans les collèges tend à se renforcer enFrance [ŒUVRARD et RONDEAU, 2004] et en Île-de-France. Aussi, les aspects territoriaux del’école – carte scolaire,zone d’éducation prio-ritaire – ne cessent-ils de faire débat quant àleur efficacité pour combattre les méfaits de la ségrégation urbaine. Ils pointent les fortesinteractions des deux dimensions urbaines etscolaires.La ségrégation urbaine ferait aussi obstacle àl’emploi. L’environnement social marqué parla pauvreté,le chômage de masse et la précaritéprofessionnelle accentuerait l’éloignement desactifs du marché du travail pour au moins troisraisons. La forte concentration d’actifs privésd’emploi réduirait d’autant le nombre des per-sonnes relais susceptibles d’informer et d’aiderà saisir des opportunités d’emploi. Certainsemployeurs seraient réticents à embaucher desjeunes issus des «quartiers». La concentrationde familles en difficultés entraverait l’acquisi-tion de capital humain (savoir, sociabilité…),favorisant par un effet de contagion les com-portements déviants tels la pratique d’activités illicites.Emre Korsu et Sandrine Wenglenski [2008]attestent d’un effet de l’environnement social

du lieu de résidence sur le risque d’être au chô-mage en Île-de-France,toutes choses égales parailleurs. Les actifs des classes populaires,employés et ouvriers, apparaissent beaucoupplus sensibles à l’effet «quartier» que les catégo-ries moyennes et supérieures.En matière de santé,selon les travaux du SIRS(1)

menés en Île-de-France,les habitants des zonesurbaines sensibles (Zus) se déclarent plus sou-vent en mauvaise santé,et ce quels que soientleur âge, leur sexe, leur catégorie sociale, leurnationalité [ALLONIER et al., 2007].Il semble quel’effet «quartier» renvoie non seulement à desdonnées «objectives» telles que des conditionsde vie dégradées,mais aussi à des facteurs plus«subjectifs» comme le transfert de l’image néga-tive du quartier sur ses habitants en termes demauvaise estime de soi [PARIZOT et al., 2003].Ce corpus d’analyses montre aussi que le risqued’obésité croît avec la pauvreté du quartier[CHAIX et CHAUVIN, 2007], et que les troublesdépressifs sont plus fréquents dans les quartiersde type «ouvrier» [PARIZOT,2007].

L’étalement urbain : la mobilité comme réponse aux problèmes d’accessibilité ?Tant en France qu’aux États-Unis, l’extensionurbaine,qui s’accompagne d’une dissociationcroissante entre lieux d’habitat et lieux d’em-ploi,est analysée à l’aune de ses répercussionsinégalitaires sur le chômage ou l’accessibilité àl’emploi. Sandrine Wenglenski montre que lesouvriers ont le plus pâti de cet éloignement.Son approche articule des états – géographiedes emplois,des actifs,réseaux de transport – etdes pratiques de mobilité [WENGLENSKI, 2007].L’usage des modes de transport varie selon lacatégorie sociale.Les cadres utilisent davantagela voiture, moyen plus rapide huit fois sur dix,mais aussi plus onéreux que les transports encommun. En 1999, en une heure de déplace-ment,un ouvrier francilien pouvait atteindre enmoyenne 43 % des emplois ouvriers de larégion, et un cadre 65 % des emplois cadres,soit moitié plus(2). L’écart provient d’une plusgrande dispersion des emplois et des résiden-

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L’école, parce qu’elle prône l’égalité des chances,exacerbe les questions de ségrégation urbaine.

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(1) Le programme de recherche régional SIRS (Santé,inéga-lités et ruptures sociales) a été lancé en 2001 par l’Inserm,l’Ined et le Lasmas (http://www.b3e.jussieu.fr/sirs). Il vise àconsidérer dans quelle mesure les inégalités socio-économi-ques inscrites dans les territoires de l’Île-de-France se tradui-sent par des problèmes spécifiques de santé et de rupturessociales,dont certains ne sont pas – ou mal – repérés par lesdispositifs et politiques publics,alors qu’ils peuvent conduireà une dégradation tant de la sécurité sanitaire collective quede la cohésion sociale.(2) Les cadres font toutefois des navettes plus longues pourse rendre à leur travail que les ouvriers (voir «Les cadres fontdes navettes plus longues pour se rendre à leur lieu de travail»,Atlas des Franciliens, tome 4,Insee-Iaurif,2003).Ce qui attested’un choix de proximité plus fort chez les ouvriers que chezles cadres.

ces des ouvriers à la périphérie et de leurrecours plus faible à la voiture. Entre 1990 et1999,les écarts de situation ne se sont pas creu-sés,mais,pour tous, les niveaux d’accessibilitése sont réduits légèrement.Cet affaiblissementtient à la dégradation des vitesses routières chezles cadres. Chez les ouvriers, un recours plusfréquent à la voiture a permis de pallier l’étale-ment des localisations.Mais,dans un contextede contraintes énergétiques de plus en plus for-tes, ce mécanisme compensatoire a des effetspernicieux tant sur l’environnement que sur lebudget des actifs les plus modestes.L’essaimagedes lieux d’emploi des catégories populairesest, par ailleurs, susceptible de limiter le rôlepotentiellement redistributif des transportspublics, qui sont, en Île-de-France, fortementsubventionnés.En ce qui concerne le chômage,il semble quece soit davantage les freins à la mobilité et à lacapacité de se déplacer (possession ou nond’une voiture,d’un permis de conduire…) que

l’éloignement qui constituent un obstacle[CHOFFEL et DELATTRE,2003].Ainsi, la plus faibleaccessibilité moyenne à l’emploi des ouvriersfranciliens ne les rendrait pas plus vulnérablesface au chômage [KORSU et WENGLENSKI, 2008].L’étude montre que, pour ces actifs modestes,la détention d’un emploi est,en fait,la conditionpremière de la conduite d’un projet résidentield’accession menant le plus souvent à l’éloigne-ment et à la nécessité d’acquérir une voiture.Lasituation vis-à-vis de l’emploi apparaît détermi-nante – et antérieure – dans le choix de la loca-lisation et de l’accessibilité qui en résulte. «Ladétention d’un emploi permet une mobilitérésidentielle qui autorise à se déconnecter deslieux d’emploi. Le chômage est plus souventsynonyme d’immobilité résidentielle».Les fortesconcentrations de chômeurs en proche ban-lieue nord et sud-est se conjuguent d’ailleursen Île-de-France avec une certaine centralité,et une assez bonne accessibilité [GOBILLON etSELOD,2006].C’est davantage l’immobilité et les difficultés àse déplacer,le coût du transport et sa durée quisont perçus comme des obstacles à l’insertionsociale et économique des individus face à ladélocalisation de plus en plus forte des emploisnon qualifiés. Comme le souligne Éric Le Bre-ton, dans un contexte de forte dispersionurbaine, le déficit de mobilité amplifie les pré-carités initiales [LE BRETON, 2005 et 2007]. Lesemplois peu qualifiés dans la grande distribu-tion,la logistique,le nettoyage industriel,la sur-veillance et la sécurité, l’hôtellerie et la restau-ration, les services à la personne mêlent uneflexibilité temporelle très élevée et une grandedispersion des lieux de travail. Or la capacitédes actifs peu qualifiés de maîtriser cette dou-ble fragmentation est moindre : revenus très fai-bles,moindre équipement en permis et voiture,peu ou pas de capacité de mobilité résiden-tielle. «L’immobilité» des populations disquali-fiées devient alors un choix rationnel. Le faitde rester dans un territoire est une ressourcecognitive (on reste dans l’espace connu,balisé),symbolique (on ne risque pas d’éprouver lahonte d’être désigné comme le pauvre ou l’ha-bitant des cités) et socio-économique (on peutassurer à moindre coût les tâches de la vie quo-tidienne).Selon Éric Le Breton,l’exclusion de lasociété salariale se traduit ainsi dans l’assigna-tion résidentielle,un enfermement qui devientun obstacle à l’inclusion.La réponse à l’exten-sion des métropoles se trouverait alors dansdes politiques publiques d’aides à la mobilitédes populations en difficultés ou résidant dansdes quartiers pauvres,l’inégalité face aux dépla-cements devenant source d’exclusion face àl’emploi.

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De quelles inégalités le territoire est-il porteur ?

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L’immobilité et les difficultés à se déplacer, le coût du transportet sa durée sont perçus comme des obstacles à l’insertion sociale et économiquedes individus.

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L’aménagement et l’offre équitabled’équipements et de servicesLa question de l’inégale répartition des équi-pements est appréhendée dans son rapport à laségrégation sociale dans la recherche urbaineou comme cadre opérationnel pour les acteursde l’aménagement et de la planification desmétropoles en extension.Dans tous les cas,elleest portée par le souci d’assurer une certaineautonomie de vie aux habitants, quel que soitleur lieu d’habitat, et une relative équité dansl’accès aux équipements et services. Au nomde l’équité, les approches se focalisent sur leslieux de carence où gisent des besoins nonsatisfaits, en raison de services ou d’équipe-ments absents,lointains ou difficilement acces-sibles. Carence, besoins, accessibilité, éloigne-ment ou a contrario proximité,autant de notionsfloues, interdépendantes, qui, à l’heure de«l’homo-mobile», nécessite de traiter l’espacedans son rapport aux réseaux, aux moyens detransport et aux pratiques de déplacements.Onentre ainsi dans un système complexe à géomé-trie variable,où l’état des lieux va dépendre à lafois du type d’équipement, de la mobilité despersonnes concernées, des réseaux de trans-port,de la densité urbaine,mais aussi de la qua-lité des équipements (établissements scolaires,centres de santé…).La présence d’un équipe-ment n’induit pas de facto un accès équitablepour tous.Et on touche là aux limites de l’amé-nagement. Ainsi, les théâtres situés dans lescommunes populaires de la proche banlieuesont-ils davantage fréquentés par les catégoriessupérieures des communes résidentielles limi-trophes ou de Paris que par la population locale[OBERTI,2006].L’accès ne se résume pas non plus à l’accessi-bilité.Des problèmes d’insécurité peuvent inter-férer dans l’usage des transports,sans compterles difficultés à se déplacer.L’appréhension des inégalités territoriales entermes d’équipements et de services reste unchamp encore mal défriché et souvent cloi-sonné. L’IAU île-de-France s’est attelé à lesdécrypter et propose,dans une première étape,une nomenclature,hiérarchisée selon le degréde proximité attendue des équipements et ser-vices destinés à la population, à l’usage desaménageurs [MANGENEY et al., 2008].Ce travail montre toute la complexité de lanotion de proximité. Elle est pour partie liée àla fonction de l’équipement et à son degré defréquentation. Le besoin de proximité est fortpour les équipements et services de premièrenécessité comme l’école,le petit commerce,lapharmacie, le médecin, le bureau de poste oula garderie pour les enfants. Le recours moinsfréquent à l’hôpital,au théâtre,aux services pré-fectoraux ou aux grands centres commerciaux

relâche cette contrainte. L’exigence de proxi-mité varie aussi selon le public concerné. Elleest plus forte pour un équipement ou un servicevisant un public plus dépendant ou moinsmobile (petite enfance, personnes âgées, per-sonnes sans voiture…).Elle a partie liée avec ladensité urbaine et les questions d’accessibilité,qui mettent en jeu des réseaux,des moyens detransport et des pratiques. Elle nécessite doncde s’accorder sur des normes acceptables,quisupposent une série d’arbitrages.La grande diversité des acteurs et des échellesde programmation est une autre gageure de larecherche d’une plus grande équité territoriale.Le croisement de l’ensemble des échelles deprogrammation des différents secteurs (sani-taire, scolaire, sport…) montre «un morcelle-ment édifiant de la région… et une non adé-quation de ces échelles avec les territoires desintercommunalités franciliennes».L’inégale répartition de l’offre,ses effets sur lescomportements et les moyens d’y remédier ontété explorés dans le domaine de la santé [MAN-GENEY,2007].À titre d’exemple,les zones défici-taires en médecins généralistes ne sont pas seu-lement l’apanage du rural, mais aussi desecteurs urbains en difficultés (Bobigny,Clichy-sous-Bois,La Courneuve,Montfermeil et Pierre-fitte).Les populations défavorisées vivant dansdes quartiers en difficultés ou excentrés se trou-vent ainsi doublement pénalisées,du fait d’unemoindre mobilité et d’une pénurie locale depraticiens,peu enclins à s’y installer.Cet exemple montre les fortes intrications entreaménités urbaines, géographie sociale et den-sité. Comment attirer médecins ou infirmierslibéraux dans des secteurs où la qualité et/oula proximité des établissements scolaires sontjugées insuffisantes ?

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Le besoin de proximité est fort pour les équipements et services de première nécessité. Ici, une pharmacie à Arpajon (91).

La richesse communale et les services rendusLe droit à la ville instauré dans la loi d’orienta-tion pour la ville de 1991 stipule clairement que«l’État et les autres collectivités publiques doi-vent,en fonction de leurs compétences,prendretoutes mesures tendant à diversifier dans cha-que agglomération, commune ou quartier lestypes de logements,d’équipements et de servi-ces nécessaires : au maintien et au développe-ment du commerce et des autres activités éco-nomiques de proximité ;à la vie collective dansles domaines scolaire, social, sanitaire, sportif,culturel et récréatif ;aux transports ;à la sécuritédes biens et des personnes».Qui mieux que lescommunes peuvent juger des attentes et desbesoins de leurs habitants ? Mais cette proxi-mité n’est pas gage de réponse.Les communessont fortement inégalitaires dans leur capacitéde remplir leurs missions. Chaque Francilienbénéficie ainsi d’un environnement et d’uneoffre de services variables selon sa communede résidence.L’élu local fixe les limites de ses politiques dansun contexte où la mobilité croissante impliqueun désajustement géographique entre les lieuxde création de richesse fiscale issue des activi-tés et les lieux des dépenses de services endirection des salariés de ces mêmes entreprises.De nombreuses communes franciliennes reven-diquent ainsi une part des recettes de taxe pro-fessionnelle de La Défense,au motif qu’une partde leurs habitants y contribue et y crée donc dela richesse. Les leviers de l’action communalesont triples :• Quels services ou équipements offrir à la

population?• Comment facturer ces services ?• Comment ajuster les ressources et les dépen-

ses de la collectivité au travers de la pressionfiscale?

Ces trois aspects sont étroitement liés : à titred’exemple, le niveau de services susceptibled’être offert à la population dépend de la par-ticipation financière attendue des habitants et,plus globalement,de la situation financière dela collectivité.

L’offre de serviceUne offre équitable d’équipements et de servi-ces sous-entend la prise en compte des servicesattendus par la population.Or les souhaits sontfonction des besoins,mais aussi de ce qui peutêtre offert et donc satisfait dans les collectivitésenvironnantes. La commune dispose ainsi deplusieurs moyens pour répondre aux attentes :faire soi-même, «faire faire» ou «laisser faire».Seule la première hypothèse induit une chargedirecte pour le budget de la collectivité: l’optionde «faire faire» implique par exemple le niveauintercommunal et permet de partager les coûtsentre communes.Le «laisser faire» consiste pourla collectivité à laisser l’État,le secteur privé ouassociatif se charger de la délivrance du ser-vice.Au-delà de la présence d’un équipement oud’un service,le terme «équitable» renvoie aussià sa fréquentation ou son utilisation. Or onobserve, par exemple, que ce sont les popula-tions les plus exclues qui,pour des raisons finan-cières,fréquentent le moins les cantines scolai-res, en dépit des aides. De même, ce sont lescatégories les plus favorisées qui recourent le plus aux équipements sportifs et surtout cul-turels.

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De quelles inégalités le territoire est-il porteur ?

Une offre équitable d’équipements se mesure aussià leur fréquentation.

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Il existe une véritable pénurie locale de médecins ou d’infirmiers libérauxdans certains quartiers défavorisés. Sa

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La facturationLa facturation du service aux usagers est aussisource d’inégalités. Là encore, la gamme despossibilités est large.Trois options s’offrent sché-matiquement aux communes : la gratuité duservice, la tarification «sociale», la facturationau prix de revient.Le choix dépend largement du service consi-déré,mais la tarification au prix de revient, lar-gement dissuasive pour la plupart des usagers,est écartée d’office. Dans le cas des cantinesscolaires, l’option la plus fréquente est la tarifi-cation sociale. Il s’agit de fixer un tarif dit «debase» par repas qui ne couvre en général que20 % à 30 % du prix de revient (coût des ali-ments)(3) et de prendre en compte le revenufamilial et le quotient familial pour aboutir àune tarification différenciée. Dans la réalité,quasiment personne n’acquitte le tarif «debase»,bien qu’il soit fondamentalement équita-ble. Le principe satisfait aujourd’hui de moinsen moins d’usagers : les populations aux limitesdes plafonds supportent mal de devoir justifierde leur revenu auprès de fonctionnaires muni-cipaux ; les usagers les plus en difficultés pei-nent à acquitter le tarif minoré qui leur restefacturé. Cette politique de réduction tarifairepeut concerner de nombreux services (scolai-res,sportifs,culturels…),mais elle est difficile àévaluer.Du reste,elle ne permet pas d’intégrervéritablement dans la vie de la collectivité lesusagers les plus en difficultés. S’agissant de lagratuité,elle permet bien évidemment de satis-faire un maximum de population. À chargepour le budget de la collectivité,voire celui del’intercommunalité, de couvrir l’ensemble duprix de revient du service.De plus et de manièrea priori paradoxale,l’accès équitable au servicene semble pas respecté.

Le choix de la pression fiscaleUne fois ces choix faits en matière d’équipe-ments ou de services offerts et de tarificationretenue,l’équilibre budgétaire va nécessiter l’ac-tivation d’un troisième levier, celui du niveaude la pression fiscale. Celui-ci va dépendredirectement de la richesse fiscale des collecti-vités,qui n’est pas liée à celle de ses habitants,mais à l’existence sur son territoire d’activitésgénératrices de taxe professionnelle et de taxefoncière bâtie.Les inégalités en la matière sontfortes entre les communes et il se trouve que,dans bien des cas,pauvreté des populations etpauvreté des collectivités s’avèrent liées. Leshabitants des communes défavorisées sontalors confrontés à une double injustice, dansla mesure où,d’une part,ils supportent une pres-sion fiscale relativement élevée (en proportionde leur revenu) et, d’autre part, la collectiviténe peut leur fournir les prestations collectivesde base [GILBERT et GUENGANT, 2004 ; CHAUVEL,2007].

Inégalités, choix individuels et aménagementL’éventail des inégalités portées par le territoiresemble donc largement ouvert.Mais toutes nesont pas susceptibles d’«entraver» le dévelop-pement des individus. Ces situations peuventrésulter de choix individuels. Ainsi, l’éloigne-ment résulte d’arbitrages où sont mis enbalance, d’une part, le désir d’accession à lapropriété, le cadre de vie, l’espace et, de l’au-tre,l’éloignement et les coûts de transport,souscontrainte de revenu. La mobilité vient alorssuppléer à l’éloignement,même si cette solutionn’apparaît pas «durable» face à la montée des

La facturation du service aux usagers peut aussi être source d’inégalités territoriales.

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(3) Pour simplifier,nous ignorons les tarifications à la semaine,au mois,au semestre, réservé aux habitants de la communeou d’autres collectivités,etc.

contraintes énergétiques et au vieillissementdes populations périurbaines.Contrôler l’exten-sion de la métropole en densifiant autour desbourgs et des gares devient un enjeu incontour-nable de l’aménagement et un moyen d’optimi-ser l’offre d’équipements et de services.Toute-fois, l’aménagement a ses limites et l’offre deproximité,qui relève en grande partie du privé(petit commerce, professionnels de la santé),est difficilement planifiable.Elle relève de déci-sions et de préférences individuelles qui valo-risent davantage la centralité – proximité debons établissements scolaires pour les famillespar exemple – et le voisinage, qui s’apprécieaussi en termes de clientèle.Le plus grand défi reste sans doute celui decontrebalancer les effets néfastes de la ségréga-tion urbaine sur les destins des individus, enprêtant main-forte aux collectivités dans le trai-tement des inégalités.

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prononcé lors du séminaire Pourquoi les entreprises doivent-elles s’intéresser à la mobilité quotidienne des salariés ? organisé parl’Institut pour la ville en mouvement et Liaisons sociales le 21 novembre 2007 à Paris. Téléchargeable à l’adresse internet : http://www.ville-en-mouvement.com/mobilite_des_salaries/telechargement/Sandrine-Wenglenski.pdf

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La valorisation des différences culturelles peut permettre de contrebalancer les effets néfastes de la ségrégation urbaine sur les destins des individus.

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De la politique de la ville aux projets de développementterritoriaux, en passant par les actions destinées à répondreaux besoins en logement, déplacement, formation ou emploi des Franciliens, l’expression de la solidarité est multiforme, inventive et portée par de multiples acteurs– Union européenne, État, collectivités territoriales,grands opérateurs publics et privés, acteurs pour l’emploi,entreprises, chambres consulaires, associations… L’intégration des différents domaines d’action, l’échelled’intervention, la gouvernance et la mise en cohérence des intervenants sont les pierres d’achoppement de la solidarité territoriale. Les hésitations de la décentralisation, prise entre émiettement des pouvoirs locaux et recentralisationdes décisions et des moyens, comme dans le cadre du programme de rénovation urbaine, entravent l’exercicede la solidarité. Dans une région où la crise du logementest particulièrement aiguë, cette décentralisation partielleconduit ainsi à un imbroglio des compétences préjudiciableà l’intérêt des Franciliens. Le développement des intercommunalités, même si la pertinence des périmètres n’est pas toujours avérée, est sans doutel’un des meilleurs moyens de miser sur l’interdépendanceterritoriale pour favoriser l’action collective à la croisée des échelles régionale et locales et assurer la cohésion de l’espace régional.

L’expérience passée atteste des hésita-tions de l’action publique en matière desolidarité territoriale. Une approche

chronologique montre la succession d’orien-tations et d’instruments différents qui se sontsuccédé,et parfois empilés sur les mêmes terri-toires, rendant l’action publique peu lisible.Lezonage, privilégié par la politique de la villedepuis 1996, et la contractualisation dévelop-pée dans le contrat de plan État-Région 2000-2006 proposent deux conceptions très différen-tes du traitement des inégalités. Ces deuxoptions peuvent être efficaces à condition d’êtreen cohérence dans une politique d’aménage-ment régional articulant développement écono-mique et cohésion sociale. Or, État et Région,principaux acteurs de l’aménagement régio-nal,peinent à s’accorder sur une géographie,desprincipes et des outils d’intervention.

Zonage et discrimination positive :succès et limitesLe zonage, à l’origine de la géographie priori-taire,est un instrument classique des politiquesd’aménagement.Il est généralement utilisé dansun objectif d’équité territoriale [ESTÈBE, 2004].La politique de la ville en a fait un de ses prin-cipaux outils d’action depuis le pacte de relancepour la ville de 1996.Cette loi a créé les zonesurbaines sensibles (Zus) et les zones franchesurbaines (ZFU).L’Union européenne s’est aussiappuyée sur cet outil jusqu’en 2006.Le zonage met en œuvre quelques principessimples :

• La délimitation d’un périmètre.Dans la politi-que de la ville,les périmètres sont infracommu-naux.

• L’utilisation d’indicateurs qui qualifient lesinégalités sur la base de mesure des écarts àla moyenne.Pour les zones urbaines sensibles,un indice synthétique a été créé en 1996, àpartir d’indicateurs socio-économiques rap-portés au potentiel fiscal des communes.Cetindice permet de classer les quartiers selonleur degré d’exclusion et d’ajuster les finance-ments.

• L’application d’un principe de discriminationpositive qui consiste,selon la formule,à «don-ner plus à ceux qui ont moins».

La délimitation d’un périmètre sur la based’écarts à la moyenne énonce à la fois la repré-sentation du problème et sa solution.L’objectifest de remettre le quartier à la norme [LELÉ-VRIER, 2004].Celui-ci est d’abord pensé commeun «lieu de concentration de handicaps». Cechoix n’a rien d’évident,d’autres types d’actionpublique peuvent être mis en œuvre. La logi-que de «développement social local» est ainsifondée sur l’idée inverse : le quartier est consi-déré comme un lieu ressources, les potentiali-tés des habitants sont à valoriser,l’insertion estl’objectif principal.La logique de «remise à la norme» a été accen-tuée par la loi du 1er août 2003 qui lance le pro-

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Les solidarités territoriales

L’aménagement régional doit articuler développementéconomique et cohésion socialeafin de réduire les inégalités.

Brigitte GuigouIAU île-de-France

L’Île-de-France est une région riche(29 % du PIB national) où les contrastes sociaux et territoriauxsont très marqués et où richesse etpauvreté se côtoient. Le problème n’estpas seulement celui, bien réel, de laségrégation sociospatiale, mais aussicelui du clivage entre développementéconomique et cohésion sociale. De quelle manière l’aménagementrégional francilien peut-il encourager le développement économique tout en réduisant les inégalités(1) ?

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(1) Des travaux plus anciens ont traité cette question.Voir,par exemple, les articles de Christine Lelévrier et de Jean-Pierre Palisse, in Cerisy. Les métiers de la ville, éditions del’Aube,1999.

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gramme national de rénovation urbaine (PNRU)et l’agence du même nom (Anru). Ce pro-gramme affiche des objectifs quantitatifs ambi-tieux et bénéficie de très gros moyens finan-ciers. En Île-de-France, son coût est évalué à14,7 Md€ pour 131 quartiers d’ici 2013, dont4,2 Md de subventions Anru et 1,15 Md de laRégion. Le programme, décliné au travers deconventions avec les communes,vise à restau-rer la mixité sociale dans les quartiers.La diver-sification de l’offre de logements en est l’outilprincipal, au travers de la démolition et de laconstruction d’une offre nouvelle en accessionet en locatif privé. Elle s’accompagne d’uneremise à la norme physique du quartier : amé-nagements urbains, résidentialisations, mixitéfonctionnelle,amélioration de la gestion et des

équipements… Le pari est de miser sur le voletimmobilier pour attirer des populations moinsprécaires.Le «social» est pris en charge par d’au-tres acteurs.L’Agence pour la cohésion socialeet l’égalité des chances a été créée en 2007.Lecontrat urbain de cohésion sociale (Cucs),signépar le maire (ou le président de l’intercommu-nalité) et le préfet, doit, sur le papier, articulersocial et urbain au sein d’un projet stratégique.Dans les faits,le manque d’ambition et la faibledimension stratégique de ces contrats sontpatents(2).On peut y voir les effets de décalagesde culture professionnelle et de moyens mobi-lisés par les volets «sociaux» et «urbains» de lapolitique de la ville(3).En août 2007, 63 conventions Anru étaientsignées en Île-de-France,pour majorité dans les157 Zus et les 26 ZFU franciliennes(4). Les113 Cucs d’Île-de-France concernent les mêmesquartiers.Les dispositifs de zonage se concen-trent en Seine-Saint-Denis, dans l’est du Val-d’Oise, dans la boucle des Hauts-de-Seine, enSeine amont et Seine aval,dans des quartiers devilles nouvelles et de villes de grande couronne(Meaux, Melun, Persan, Étampes…). En Île-de-

Géographie stratégique et prioritaire : de quoi parle-t-on ?Les politiques d’aménagement du territoireciblent des espaces qui font l’objet d’un traitement spécifique.Depuis une vingtaine d’années, certainssont désignés comme territoires, sites ou pôles stratégiques ou prioritaires.Quels sont les usages de ces notions dans les documents franciliens?

Le schéma directeur de la Région d’Île-de-France (Sdrif) de 1994 parlait déjàde sites ou de pôles dits «stratégiques» à propos d’espaces à fort potentiel de mutations (accueil d’un grand nombred’emplois et de populations). Le contrat de plan État-Région (CPER) 2000-2006utilise le terme prioritaire dans un sens«englobant». Parmi les dix territoiresdésignés comme prioritaires, cinq sontstratégiques en raison de l’ampleur de leur potentiel scientifique, économiqueou de développement. Les cinq autres sont d’anciens territoires industriels avecdes enjeux de «rattrapage» considérables.

Dans le projet de Sdrif de 2007, le terme«prioritaire» désigne les sites en difficultésdevant faire l’objet d’actions publiquesspécifiques de rattrapage à l’échellerégionale. Le Sdrif rejoint ici l’usage le plus fréquent – celui de la politique de la ville –, qui réserve le terme prioritaire à des sites cumulant des handicaps.Le document identifie aussi des territoires«stratégiques» qui se caractérisent,comme dans le CPER, par leur potentielfoncier mutable. Ces territoires sont ditsstructurants pour le développementrégional (emploi, développementéconomique, attractivité, relance de la construction de logements,enjeux environnementaux). L’échelle du «stratégique» est ici celle de grandssecteurs ou territoires, elle est plus vasteque celle des sites prioritaires.

Ce flou dans la terminologie traduit une difficulté à s’appuyer, dans un contextefrancilien extrêmement complexe,sur une conception partagée des facteursde développement des territoires et de leurs retombées spatiales.Il traduit aussi le fait que ces termesdésignent, au-delà de leur dimensionspatiale, des modes d’organisationd’acteurs.

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Territoires en politique de la ville - Île-de-France

Le Cucs doit articuler social et urbain au sein d’un projet stratégique local.

(2) DIV, IRDSU,«Premier bilan des Cucs», juillet 2007.(3) Pour donner un ordre de grandeur, rappelons que, en2003, année «faste» pour la politique de la ville, le budgetnational total représentait 0,35 % du PIB français (hors pro-gramme de rénovation urbaine).(4) La liste des projets Anru est évolutive.

France, le nombre de ces territoires n’a cesséd’augmenter,en contradiction avec l’esprit duzonage qui fonde une politique dérogatoire etexceptionnelle par rapport au droit commun(5).Mais cette augmentation masque un processusinverse de ciblage des moyens sur les territoiresqui cumulent les difficultés les plus grandes.Les 63 quartiers «prioritaires» de l’Anru en Île-de-France bénéficient ainsi de 70 % des finan-cements.Ces évolutions rendent la géographieprioritaire moins lisible.Elles traduisent la posi-tion paradoxale de l’État,qui veut à la fois satis-faire les demandes d’un nombre croissant d’éluset,pour des raisons d’efficacité,concentrer lesfinancements.Le zonage,en dépit ou à cause de son succès,a fait l’objet de nombreuses critiques. L’Unioneuropéenne l’a abandonné pour sa program-mation européenne 2007-2013,tous les territoi-res étant aujourd’hui éligibles aux fonds euro-péens, à condition de répondre aux objectifsde compétitivité (Lisbonne) et de cohésionsociale (Göteborg). Le zonage reste pourtantd’actualité, même si certains font l’hypothèsed’une disparition progressive de cet outil[EPSTEIN, 2005].Les limites d’une action publique «zonée» ontété recensées dans de nombreux bilans sur lapolitique de la ville:risques de stigmatisation desquartiers et des populations, substitution des

financements exceptionnels à ceux de droitcommun,fragilité d’une politique soumise auxfluctuations budgétaires,accent mis sur les quar-tiers au détriment de l’insertion des popula-tions… Les difficultés de concrétisation desprojets de rénovation urbaine illustrent les limi-tes d’une action centrée uniquement sur lequartier. Comment respecter la règle du «unpour un» (un logement social détruit égale unlogement social reconstruit, dont une partie à l’échelle du bassin de vie) en l’absence d’in-tercommunalités fortes, solidaires et à la«bonne» échelle en matière d’habitat ? Mais lacritique majeure porte sur le fait de vouloir met-tre à la norme les quartiers indépendammentde la fonction qu’ils occupent dans l’espacerégional. Or la diversité des contextes et desdynamiques des quartiers pauvres d’Île-de-France appelle une diversité de modes d’inter-vention,ce qui n’est malheureusement pas l’op-tion retenue par le PNRU. De nombreuses Zusont en effet une fonction d’accueil des ména-ges très modestes,qui y trouvent a minima deslogements de qualité pour un prix compétitif.En Île-de-France,une partie des Zus a aussi unefonction d’accueil des populations migrantesprimo-arrivantes.C’est le cas de certains grandsensembles, que l’on peut retrouver à Grigny(91) par exemple,ou de centres urbains dégra-dés, sur certains territoires de la Seine-Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne.

Contractualisation et appui sur le développement local : une tentative ambitieuse mais avortéeSortir du quartier,améliorer l’accessiblité, sou-tenir les mobilités et l’insertion des habitants,donner une priorité aux besoins des quartiersen difficultés dans les choix d’aménagementrégionaux,promouvoir un développement éco-nomique soucieux de cohésion sociale…, tel-les sont les orientations affichées à la fin desannées 1990.Elles s’accompagnent d’une nou-velle architecture institutionnelle. Les lois Voy-net du 25 juin 1999 et Chevènement du 12 juil-let 1999 imposent l’idée d’une contractualisationavec les échelons supérieurs à la commune(pays ou agglomérations).Le niveau intercom-munal doit jouer un rôle central en matière desolidarité, particulièrement dans le domainedu logement (loi SRU du 13 décembre 2000).Lapolitique de la ville,au travers de son contrat deville, constitue le volet cohésion sociale et ter-ritoriale du projet d’agglomération. Ces loisconçoivent un système cohérent (au moinsthéorique), fondé sur une pyramide de texteshiérarchisés,depuis les documents de planifica-

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Territoires de développement et sites défavorisés

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La critique majeure de l’actionpublique «zonée» porte sur la prédominance de la mise aux normes des quartiers au détriment de la fonction qu’ils occupent dans l’espacerégional.

Les difficultés de concrétisation des projets de rénovation urbaineillustrent les limites d’une action

centrée uniquement sur le quartier. J.-C.

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(5) Intervention de Philippe Estèbe,conseil régional d’Île-de-France,atelier Sdrif, juin 2005.

tion régionale – le Sdrif en Île-de-France –jusqu’aux documents d’échelle communale (leplan local d’urbanisme).La contractualisation,au travers du contrat de plan État-Région (CPER)2000-2006, est un des outils de mise en œuvre.Pour faciliter la montée en puissance des «ter-ritoires de projet», 25 % des financements duCPER sont consacrés au volet territorial.En Île-de-France, l’objectif de l’État et de laRégion,dans l’article 20 du contrat de plan,estde réduire les disparités territoriales en dévelop-pant une politique d’aménagement du terri-toire différenciée qui contribue,d’une part,aure-développement des territoires en difficultéset,d’autre part,à la diffusion des pôles de crois-sance.En raison du faible développement desintercommunalités à la fin des années 1990,État,Région et départements financent des «ter-ritoires de projet» regroupant communes etintercommunalités(6). Quatre vastes territoirestouchés par la désindustrialisation sont identi-fiés :- Seine aval (184000 habitants,23 communes),- Seine amont (374 000 habitants, 12 commu-

nes),- Plaine de France et Plaine Saint-Denis (900000

habitants,31 communes),- Boucle nord des Hauts-de-Seine (267000 habi-

tants,5 communes).

Ces territoires bénéficient de la solidarité natio-nale et régionale.À une échelle plus restreinte,les acteurs du territoire organisent le dévelop-pement économique et la cohésion sociale etgarantissent les solidarités entre quartiers,com-munes, intercommunalités… Dans cette opti-que,l’article 19 du CPER(7) renforce les moyensde la politique de la ville et inscrit la priorité desolidarité vis-à-vis des quartiers les plus en dif-ficultés dans les politiques thématiques. Poursortir du périmètre du quartier,l’État et la Régionencouragent le développement de contrats deville intercommunaux et de grands projetsurbains à l’échelle de plusieurs communes.Intégrant les apports de l’évaluation régionalede la politique de la ville menée dans la périodeprécédente (1994 à 1999)(8), l’article 19 vise àmieux prendre en compte les dynamiques desterritoires pour proposer des outils d’interven-tion adaptés aux contextes. L’intervention sefonde sur un diagnostic approfondi. Dans lespoches de pauvreté de l’ouest de la métropole,amélioration de l’accessibilité et aides socia-les accrues des conseils généraux sont propo-sées. Dans les quartiers disproportionnés parrapport à leur environnement,la mise en placede projets urbains et de gestion ambitieux sontà l’ordre du jour.Ailleurs,l’accent est mis sur ladiscrimination positive territoriale, ou sur unemeilleure adaptation de l’action publique clas-

sique, lorsque la précarité est diffuse. Le CPERrepose sur quelques idées simples :encouragerdes projets à l’échelle de plusieurs centainesde milliers d’habitants,donner aux acteurs desterritoires en difficultés des moyens pour élabo-rer leur projet,faire converger les financementsde l’État,de la Région et du département,établirun contrat qui «fixe les orientations» et posecomme enjeu central le raccrochage des quar-tiers et des populations précarisées dans ledéveloppement local.L’article 19 a fait l’objet d’une évaluation et l’ar-ticle 20 de bilans à mi-parcours [CESR,2003 ;LIO-TARD,2006].L’évaluation montre les difficultés del’État et de la Région à imposer leurs proprespérimètres de projet.Dans la plupart des cas,lesacteurs locaux s’appuient sur les structuresadministratives : la commune, la communautéd’agglomération… Les 43 contrats de ville 2000-2006 sont principalement communaux. Lesgrands projets de ville fondés sur des périmètrespluricommunaux imposés ont été peu opéra-tionnels. Les difficultés de consommation desfinancements de l’article 20 ont été manifestesdans des périmètres non institutionnels et nonportés par les acteurs locaux, par exemple enSeine amont (94) ou à Gennevilliers-Boucle desHauts-de-Seine (92).Des périmètres conçus «parle haut» se sont aussi recomposés à une échelle

Le CPER pose comme enjeu centralle raccrochage des quartiers et des populations précarisés dans le développement local.

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(6) 260 M€ pour dix sites, répartis entre l’État (108 M€) et laRégion (152 M€),un quart du financement étant «fléché» surles sites en politique de la ville.(7) Délibération cadre de la Région Île-de-France du14 novembre 1999 et rapport n° CR 51-99 relatif aux modali-tés d’intervention de la Région en matière de politique de laville, octobre 1999. Le montant total de l’article 19 est de519 M€.(8) «Rapport Bravo»,conseil régional d’Île-de-France,préfec-ture d’Île-de-France,instance d’évaluation de la politique dela ville en Île-de-France,mai 1999.

Convention Crif-AnruEn Île-de-France, la convention passéeentre le conseil régional et l’Anru est fondée sur un apport régional de 1,15 Md€ entre 2004 et 2013 (hors opérations isolées qui représententun montant de 84 millions d’euros).Les aides de la Région sont moduléesselon la situation socio-économique des collectivités locales. La Région s’est engagée à financer :- les opérations de construction,

sous réserve du respect du principe du un pour un, ou de réhabilitation de logement social,

- les actions en faveur des copropriétésdégradées, les opérationsd’aménagement, la création ou la réhabilitation d’équipementspublics de proximité ainsi que l’appui à la conduite de projet et l’ingénierie.

Ces objectifs de cohésion sociale et territoriale sont inscrits dans le contratde projets État-Région 2007-2013.

plus restreinte. C’est le cas en Seine aval, où lacommunauté d’agglomération a mobilisé lespossibilités de financements du CPER et desfonds européens au service de son projet local(9)

[CESR, 2003]. Les bilans montrent de fortes dif-férences dans la capacité des territoires,c’est-à-dire des acteurs locaux,d’élaborer un projet etd’utiliser les dispositifs et financements exis-tants.Pourtant, même lorsque tout le monde s’ac-corde pour reconnaître l’ampleur des change-ments physiques dans les quartiers défavorisés,par exemple dans le Mantois, le débat persistesur la dimension stratégique et structurante duprojet. Les investissements auront-ils, à moyenterme,un effet levier sur le développement éco-nomique local ? Le cas de Plaine Commune,où le décrochage entre croissance économi-que et quartiers paupérisés est manifeste,témoi-gne des difficultés des acteurs franciliens à arti-culer développement économique et cohésionsociale.L’évaluation du volet territorial du CPER est ren-due difficile par l’absence d’énoncés clairs surles objectifs concrets à atteindre dans lescontrats et sur les moyens pour y parvenir.Cesdifficultés ne remettent pas en cause la perti-nence de la contractualisation et la nécessité detrouver des solutions à des échelles vastes parle biais de partenariats. L’évaluation régionalede la politique de la ville(10) [CRIF, PRÉFECTURE

D’ÎLE-DE-FRANCE, 2007] constate la prise en chargefréquente des objectifs de cohésion territorialehors de la politique de la ville ou de politiquescontractualisées, au travers des politiques sec-torielles. C’est le cas dans les transports. Les

investissements en faveur des quartiers ne sontpas identifiés en tant que tels par les transpor-teurs (RATP, SNCF…),qui font pourtant preuved’initiatives innovantes en direction de ces ter-ritoires.En matière de développement économi-que,l’évaluation pointe aussi un clivage entre lesactions localisées menées à l’échelle des ZFUdans le cadre de la politique de la ville et cel-les relevant du droit commun mises en place àdes échelles plus vastes, comme les maisonsde l’emploi.L’évaluation souligne aussi le rôleinnovant de certaines intercommunalités enmatière de solidarité territoriale.

La solidarité territoriale : entre risque de dilution dans de vastes territoires et «d’enfermement» sur le quartierLes fondements de l’action publique en matièrede lutte contre les inégalités territoriales en Île-de-France se sont considérablement éloignésdes principes qui avaient conduit à l’élaborationdu volet territorial du CPER 2000-2006.Le volet territorialisé du nouveau contrat deprojets 2007-2013 d’Île-de-France réaffirme lanécessité de réduire les disparités sociales etspatiales. Pour cela, il identifie des territoiresd’intérêt national et régional qui doivent contri-buer, par leur projet de développement, à lacompétitivité et à l’attractivité de la région capi-tale tout en assurant un rééquilibrage entre lesgrands pôles infrarégionaux. Leurs périmètressont vastes : ils vont au-delà des anciens territoi-res touchés par la désindustrialisation (article 20du CPER), des nouvelles opérations d’intérêtnational (identifiées par l’État lors du comitéinterministériel d’aménagement et de compé-titivité des territoires de mars 2006) et des ter-ritoires stratégiques structurants pour le dévelop-pement économique et urbain (identifiés par laRégion dans son projet de Sdrif de 2007).Ainsi,le territoire d’action de Seine aval à Cergy-Pontoise regroupe une soixantaine de commu-nes,plus de 550000 habitants et plusieurs inter-communalités.Seule la Région identifie,à une échelle fine,desterritoires prioritaires où se concentrent lespopulations pauvres.Inclus dans les grands ter-ritoires stratégiques, de tailles et de configura-tions administratives variables, ils doivent fairel’objet d’actions spécifiques de raccrochage audynamisme francilien. L’État partage-t-il cetobjectif ? Comment peut-il se concrétiser ? Lesoutils disponibles – PNRU, fonds européens,contrat de projets… – peuvent-ils y contribuer?

AgirLes Cahiers n° 148

Territoires de développement et sites défavorisés

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La complémentarité des financements publics permet de concrétiser des projets locaux.

Ici, le centre de formation de la Croix-Rouge

de Mantes-la-Jolie qui a bénéficiédes aides du fonds européen Feder.

(9) CESR, rapport préparé par Francis Clinckx au nom de lacommission de l’aménagement du territoire,Territoires prio-ritaires du CPER 2000-2006.Seine aval, 3 juillet 2003,CESR.(10) Conseil régional d’Île-de-France, préfecture d’Île-de-France,Évaluation de la politique de la ville en Île-de-France,tome 1 et 2, Instance technique d’évaluation de la politiquede la ville, janvier 2007.

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Actuellement,force est de constater que le voletrénovation urbaine est mis en œuvre sans grandlien avec les politiques d’aménagement régio-nal. Or, nombre de handicaps de ces quartiers– enclavement, manque de maillage en trans-ports en commun,manque de circulations dou-ces, nuisances sonores et environnementales,précarité des habitants… – ne peuvent être sur-montés sans une politique d’aménagement pluslarge.Mais le programme de rénovation urbaine,élaboré par l’État sans réelle concertation,repose sur des modalités d’action qui «rabat-tent» les projets sur la seule échelle du quar-tier : rôle privilégié du maire au détriment duprésident de l’intercommunalité,binôme préfet-maire au centre du jeu d’acteurs,accent sur levolet immobilier et urbain des projets, sépara-tion entre urbain et social… L’ampleur desfinancements prévisionnels milite en faveurd’une intégration des projets de rénovationurbaine dans des stratégies globales de dévelop-pement des territoires défavorisés.Reste à pro-mouvoir cette intégration.Dans le cadre des programmes de l’Union euro-péenne,l’objectif de l’axe urbain du Feder 2007-2013 recoupe l’enjeu de l’articulation entreattractivité et cohésion sociale. Les acteurslocaux doivent élaborer un projet intégré, quiinclut nécessairement les périmètres de Zuscumulant les difficultés.L’outil,porté à la fois parl’État et la Région, semble pertinent, à condi-tion d’éviter le piège d’une action trop ciblée surle quartier.

Le contrat de projets 2007-2013 signé par l’Étatet la Région décline aussi,au travers de ses poli-tiques thématiques, des leviers puissants enmatière de lutte contre les inégalités.Mais ceux-ci ne sont pas territorialisés. Où localiser lesécoles de la deuxième chance ? Commentmieux intégrer les maisons de l’emploi et de laformation dans un projet de développementcohérent, afin qu’elles puissent jouer pleine-ment leur rôle de «levier» ? On le voit, des dis-positifs existent, mais sont à mettre en cohé-rence pour que territoires et populationsdéfavorisés bénéficient des fruits de la crois-sance.La Région, l’État et le département peu-vent favoriser le développement local des terri-toires en s’appuyant davantage sur leurs proprespolitiques thématiques.C’est ce que rechercheactuellement la Région en mettant en place sespactes pour l’emploi, la formation et le déve-loppement économique.Aujourd’hui, le rôle de la Région en matièred’aménagement régional est juridiquement«encadré» par les prérogatives de l’État,qui déve-loppe une conception très volontariste de sonrôle.La question du «leadership» se pose avecune acuité particulière en Île-de-France. Lesincertitudes du jeu d’acteurs rendent difficilel’élaboration d’une stratégie d’action cohérente.Celle-ci devrait s’appuyer davantage sur l’intel-ligence collective (élus locaux,acteurs de l’ha-bitat,acteurs pour l’emploi,entreprises,associa-tions…) et sur l’évaluation des dispositifsexistants.La question de l’articulation des inter-venants institutionnels reste un défi majeur envue de créer une ville mixte et solidaire.

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Nombre de handicaps des quartiers défavorisés ne peuvent être surmontés sans une politique liant aménagement régional et rénovation urbaine.

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La question de l’articulation des intervenants institutionnels reste un défi majeur en vue de créer une ville mixte et solidaire.

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Références bibliographiques

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• CONSEIL RÉGIONAL D’ÎLE-DE-FRANCE,PRÉFECTURE D’ÎLE-DE-FRANCE, Évaluation de lapolitique de la ville en Île-de-France,tome 1 et 2, Instance techniqued’évaluation de la politique de la ville,janvier 2007.

• EPSTEIN Renaud, «Gouverner à distance.Quand l’État se retire des territoires»,Esprit, n° 319, novembre 2005.

• ESTÈBE Philippe, L’usage des quartiers :action publique et géographie dans lapolitique de la ville (1982-1999),L’Harmattan, Paris, 2004.

• LELÉVRIER Christine, «Que reste-t-il duprojet social de la politique de la ville ?»,Esprit, n° 303, mars-avril 2004.

• LIOTARD Martine, 1990-2005, Trajectoirede cinq sites stratégiques du Sdrif, Iaurif,juillet 2006.

Les lois organisant cette solidarité ne man-quent pas. Néanmoins, le niveau de col-lectivités en charge de la réalisation des

logements, de l’accueil des populations défa-vorisées,des attributions de logements sociauxou encore du logement étudiant(1) n’est pas tota-lement clair.Certaines collectivités locales se sont saisies dela question du logement en élaborant des poli-tiques locales de l’habitat.Mais la poursuite dela crise du logement en Île-de-France prouveque la législation ne suffit pas pour rendre cohé-rents les besoins mesurés à l’échelle régionaleet les objectifs retenus par les collectivités. Lasolidarité ne se décrète pas.Elle nécessite uneorchestration à un échelon supérieur autourd’une communauté d’intérêt bien comprise etpartagée. En Île-de-France, la question de ladécentralisation des compétences en la matièreapparaît centrale dans la recherche d’une solu-tion à la crise du logement.

Un marché du logement francilien tenduL’Île-de-France doit faire face à des besoins enlogements très élevés, estimés à 60000 par an.Ils s’alimentent d’une croissance démographi-que forte, de modes de cohabitation toujoursplus indépendants,d’une nécessité de moder-niser un parc immobilier vieillissant et d’assu-rer le renouvellement urbain des quartiers rési-dentiels en perte de vitesse. Or, depuis plus dequinze ans, la construction reste insuffisanteavec moins de 40000 logements mis en chan-tier chaque année. Cette pénurie favorise la

hausse des prix immobiliers, deux fois plusrapide que celle des revenus des ménages aucours des vingt dernières années.Manque de disponibilité foncière et coût deslogements ne sont pas les seuls freins à laconstruction.Un changement culturel s’est aussiproduit. Les maires auxquels il revient de déli-vrer les permis de construire sont, pour beau-coup,devenus circonspects : bâtir était un actepositif il y a vingt-cinq ans ; ce n’est plus le casaujourd’hui et encore moins s’il s’agit de loge-ment social.Bien souvent,quand un terrain selibère, logements et bureaux se retrouvent enconcurrence car, si les activités sont génératri-ces de recettes fiscales pour les communes,leslogements sont plutôt consommateurs d’argentpublic en raison des besoins de services qu’ilssuscitent.En conséquence,on assiste à des déséquilibresexacerbés et à une polarisation sociale crois-sante du territoire francilien, renforcés par larecherche de l’entre-soi des classes moyenneset supérieures, dont les effets aggravent les ris-ques de ségrégation.

AgirLes Cahiers n° 148

Les solidarités territoriales

Le logement à l’épreuve de la solidarité territoriale

Dans un contexte de marché du logement tendu,l’Île-de-France peine à sortir de la crise du logement.

Christine CorbilléIAU île-de-France

«Solidarité», le mot est devenuincontournable dans les discourspolitiques, notamment en matière de logement. Pour autant, on peine à en voir la traduction au niveau local,la crise du logement et le mal-logement étant un problèmemajeur de la décennie en cours.

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(1) Ainsi,selon la loi relative aux libertés et responsabilités loca-les du 13 août 2004, «les communes ou les établissementspublics de coopération intercommunale [EPCI] qui en fontla demande ont la charge de la construction,reconstruction,extension, des grosses réparations et de l’équipement deslocaux destinés au logement des étudiants».En Île-de-France,si la commune ou l’EPCI renoncent à cette compétence,dansun délai d’un an après avoir été invité à l’exercer, elle esttransférée à la région,à sa demande.

Une décentralisation partielle conduisantà l’imbroglio des compétencesEn même temps que l’État affirmait le droit aulogement pour tous et se posait comme garantde ce droit au niveau national, il a ouvert lavoie à la décentralisation et à la territorialisationde la politique du logement dès la loi du 7 jan-vier 1983(2). Mais il n’est pas allé au bout desprocessus. La loi a conféré le droit de l’urba-nisme aux communes et laissé l’habitat dansles mains de l’État.Cette séparation des compé-tences ne semble ni favoriser la prise de res-ponsabilité des territoires,qui se sont saisis,defaçon inégale, des questions de logement viales programmes locaux de l’habitat (PLH), nila solidarité entre les territoires à l’échelle d’uneagglomération.Les lois qui se sont succédé dans les années1990 et 2000 ont accentué la complexité de l’organisation des compétences en matière delogement.L’État semble,en effet,hésiter entre lepartage,la délégation ou le transfert des compé-tences et s’interroger sur le niveau de collecti-vité publique auquel confier les compétences.

Cinq niveaux de collectivité publique se partagent les compétences…L’État est responsable des grandes politiquesde l’habitat.À ce titre,il fixe les règles (plafonddes loyers sociaux,normes d’accès au logementsocial,règles techniques…),lance des program-mes nationaux qu’il territorialise (par exemplele plan de relance du logement locatif social en2001,le plan national de rénovation urbaine en2003,ou le plan de cohésion sociale en 2004),intervient financièrement (aides à la pierre,aides à la personne, aides fiscales) et exerceun droit de contrôle.Les communes, pour leur part, accordent lespermis de construire, exercent le droit depréemption,peuvent disposer d’un office muni-cipal HLM, sont comptables du respect de laloi Solidarité et renouvellement urbains (SRU)de 2000 et peuvent être délégataires du contin-gent préfectoral de logements sociaux.Entre l’État et la commune,trois autres niveauxde collectivité publique interviennent, ensem-ble ou non,sur des compétences partagées ounon,avec des objectifs parfois peu cohérents.Viennent d’abord les intercommunalités, quiplanifient avec les communes membres l’offrede logements sur leur territoire et peuvent, sielles se sont dotées d’un PLH,demander la délé-gation des aides à la pierre.Toutefois, les com-munes membres de l’intercommunalité conti-nuent souvent à exercer le droit des sols et àattribuer les logements sociaux, limitant lesactions de l’intercommunalité.Viennent ensuite les départements, dont l’en-gagement «obligé» dans les politiques de l’ha-

bitat a été accentué par la loi Engagement natio-nal pour le logement (ENL) de 2006.Ils doivent,via leur plan départemental de l’habitat,assurerla cohérence entre les politiques de l’habitatdéfinies dans les PLH et celles menées dans lesautres territoires du département non couvertspar des PLH. Ils peuvent d’ailleurs être déléga-taires des aides à la pierre sur la partie de leurterritoire non couverte par d’autres délégataires.Ils ont également en charge la politique socialedu logement,avec l’alimentation et la gestion dufonds de solidarité pour le logement et l’élabo-ration du plan départemental d’action pour lelogement des personnes défavorisées.Enfin,ilsinterviennent souvent dans le financement deslogements sociaux et privés.

Depuis plus de quinze ans,la construction reste insuffisanteavec moins de 40 000 logementsmis en chantier chaque année.

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Les intercommunalités peuventplanifier l’offre de logements sur leur territoire, mais exercentrarement le droit des sols,resté aux mains des communes.Ph

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(2) L’article 78 de la loi du 7 janvier 1983 est ainsi rédigé : lescommunes ou les établissements publics de coopération inter-communale (EPCI) peuvent définir un programme local del’habitat (PLH) qui détermine leurs opérations prioritaires etnotamment les actions en faveur des personnes mal logées oudéfavorisées.

La Région Île-de-France, enfin, à laquelle l’Étata transféré la compétence aménagement vial’élaboration du schéma directeur de la régiond’Île-de-France (Sdrif) n’a pas de compétencespécifique en matière de logement.Elle a fixé,en accord avec l’État,un objectif global de réa-lisation de 60000 logements par an pour répon-dre aux besoins régionaux.La territorialisationde cet objectif pose problème,car le Sdrif est undocument de cadrage à long terme,qui n’a pasla capacité d’obliger de construire.Cependant,la Région mobilise le foncier grâce à l’Établis-sement public foncier d’Île-de-France et inter-vient financièrement dans le logement social etprivé.

… d’autres acteurs les accompagnentD’autres acteurs agissent dans le domaine dulogement : l’Agence nationale pour l’habitat(Anah) ou encore l’Agence nationale pour larénovation urbaine (Anru),qui intervient dansles quartiers en politique de la ville. Elle signedes conventions pluriannuelles avec les mai-res, les présidents des établissements publicsde coopération intercommunale (EPCI) et lesorganismes publics ou privés qui conduisentles opérations,mais c’est le plus souvent le mairequi est le pilote de l’opération.Les organismesbailleurs sociaux sont aussi très engagés dansle droit au logement, la solidarité et la mixitésociale.Ils signent des accords ou des contratsd’objectifs avec différentes collectivités publi-ques,à l’échelle départementale ou plus locale,avec des problèmes de cohérence à la clé.À ces acteurs, s’ajoutent les sociétés d’économiemixte,les promoteurs privés,les collecteurs du1 % patronal,la Foncière Logement,les associa-tions,etc.

Une solidarité qui peine à s’exercer en Île-de-FranceEn dépit de quelques freins importants,le déve-loppement de la solidarité territoriale donnedes signes positifs d’évolution.

Un contexte institutionnel morcelé, mais une couverture intercommunale qui s’étend1300 communes, 105 intercommunalités, huitdépartements, la Région, l’État et quelque 150

organismes du logement social (qui gèrent prèsde 1200000 logements et logent près de 3 mil-lions de personnes), sans compter les promo-teurs privés, se partagent les actions dans ledomaine du logement.La couverture de la région par les intercommu-nalités s’est fortement développée au cours desdernières années. Cependant, en 2007, aucungroupement à fiscalité propre n’a été créé.Seu-les quelques rares communes rurales ont rejointdes groupements déjà existants.La perspectivedes élections municipales de mars 2008 expli-que, en partie, cette pause. Déjà, 887 commu-nes et 5,3 millions d’habitants font partie d’uneintercommunalité à fiscalité propre en Île-de-France.Si l’intercommunalité est une réponse à l’émiet-tement des responsabilités, la pertinence decertains périmètres est mise en cause pour trai-ter avec efficacité les questions de logement.Aujourd’hui, onze PLH intercommunaux ontété adoptés en Île-de-France,deux sont en révi-sion et vingt-huit en cours d’élaboration. Cesquarante et un PLH concernent plus de 4,2 mil-lions d’habitants,6,3 millions en ajoutant celuide Paris.La réalisation des PLH souffre de la jeunessedes intercommunalités et parfois de l’absencede projet.Elle pâtit aussi du scepticisme d’élusqui ne sont pas convaincus de leur intérêt pourtraiter des questions de l’habitat sur leur terri-toire. Enfin, l’absence de légitimité démocrati-que des EPCI à faire adopter les PLH par l’en-semble des communes qui les composent freineleur développement. Pourtant, les lois succes-sives,en renforçant et en affinant la réglemen-tation sur les PLH intercommunaux(3), en fontl’instrument de définition des politiques localesde l’habitat et de programmation des actions,enaccord avec les pouvoirs publics.

Une décentralisation du logementinsuffisamment aboutie et coordonnéeLa délégation des aides à la pierre est peu exer-cée en Île-de-France. Deux EPCI seulement,la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise et la communauté d’agglomérationde Melun Val-de-Seine, et deux départements,Paris et les Hauts-de-Seine, ont fait le choix des’en charger. Ce faible succès peut s’expliquerpar l’absence de vraie décentralisation dans laloi relative aux libertés et responsabilités loca-les du 13 août 2004.L’État a confié aux déléga-taires des aides à la pierre la gestion d’envelop-pes plus visibles,et plus abondantes lorsque les

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Le logement à l’épreuve de la solidarité territoriale

l’Établissement public foncier d’Île-de-France : un bilan positifCréé par le décret n° 2006-1140 du 13 septembre 2006, l’Établissementpublic foncier d’Île-de-France est un outilparticulièrement précieux, dont la Région a tenu à se doter face à une crise du logement plus aiguë en Île-de-Francequ’ailleurs. Afin de réguler les coûtsfonciers et immobiliers locaux et luttercontre la spéculation, en partenariat avec les villes ou les communautésd’agglomération, cet établissement publicd’État a pour mission de procéder à des acquisitions foncières et à des opérations immobilières.Ses deux axes prioritaires d’interventionsont de contribuer à l’augmentation de l’offre de logements (notamment le logement social) réalisés sur son territoire de pleine compétence et d’accompagner le développementéconomique sur ce même territoire,contribuant ainsi à une répartitionéquilibrée de l’offre emploi-logement à l’échelle régionale.

Avec 34 conventions d’interventionsignées, l’Établissement public foncierd’Île-de-France s’affirme clairementcomme un nouveau maillon venantsoutenir les communes face à la flambéeimmobilière. Fort d’un engagementpluriannuel de plus de 270 millionsd’euros et d’une surface à acquérir de 200 hectares, l’Établissement publicfoncier aura un potentiel de constructionde près de 10000 logements, dont 30 %d’habitat social, et 350000 m2 consacrésaux activités économiques.

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Afin de pallier le manque de terrains à construire

et lutter contre la spéculation,l’Établissement public foncier

d’Île-de-France constitue des réserves foncières. C.

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(3) Les intercommunalités compétentes en matière de PLHpeuvent notamment répartir sur leur territoire l’objectif deproduction de logements et recevoir le produit du prélèvementopéré par l’État sur les communes déficitaires en logementssociaux.

partenaires s’engagent financièrement.Pour lereste, on assiste plutôt à un mouvement derecentralisation des décisions et des moyens :objectifs peu négociés comme le plan de cohé-sion sociale, Anru, Union pour l’économiesociale et le logement, reprise en main de ladésignation des locataires avec le droit opposa-ble au logement(4).Il reste aussi à améliorer la complémentarité etla cohérence des actions et des outils au servicedu logement. Les critères de financement dulogement social sont peu harmonisés au niveaulocal : collectivités publiques, 1 % logement etbailleurs développent des objectifs propres,par-fois contradictoires.En matière foncière,la présence de quatre éta-blissements publics fonciers en Île-de-France,un régional et trois départementaux,ne facilitepas non plus la coordination et le pilotage desprojets.

Des réflexions pour une gestion de la demandeet des attributions plus efficaceLa solidarité s’entend en premier lieu pour per-mettre aux ménages modestes d’accéder à unlogement adapté à leurs besoins,en termes delocalisation et de taille,et qui soit ajusté à leurcapacité financière.

En dépit d’une reprise de la construction dansles années les plus récentes,l’offre sociale resteinsuffisante en raison d’une diminution de larotation dans le parc social.Pour un grand nom-bre des ménages, il est impossible de trouver,hors de ce parc, un logement abordable. Lenombre de logements attribués chaque annéene répond plus qu’au quart des demandesrecensées.Cette demande sociale se précarise,le niveau de revenus des ménages inscrits s’éloi-gnant de plus en plus du revenu moyen franci-lien:de 28 % inférieur en 1984,il est de 49 % infé-rieur en 2006.En 2006, 375000 ménages sont inscrits sur lesfichiers de demandes de logement social tenuspar les mairies, les préfectures, voire les orga-nismes HLM et les collecteurs de 1 %. Ce sys-tème, assez nébuleux pour le demandeur, leconduit à déposer plusieurs dossiers,puis à lesrenouveler sans connaître ses chances d’obte-nir un logement. Quant à la gestion des attri-butions, elle semble encore plus éclatée et obscure.En Île-de-France, des réflexions sont en coursautour d’une gestion centralisée de la demande

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Intercommunalités et programmes locaux de l’habitat

(4) Dernière loi instituant le droit au logement opposable(Dalo) et portant diverses mesures en faveur de la cohésionsociale du 5 mars 2007.

régionale, à l’exemple des Pays de Loire(5), oùun fichier commun a été mis en place depuisdix ans : chaque demande est traitée de l’enre-gistrement à l’attribution,ce qui facilite la démar-che des demandeurs. Ce fichier est opération-nel pour l’ensemble des acteurs et permet unebonne connaissance de la demande sociale.Face aux difficultés d’accueillir les populationstrès défavorisées dans le parc social,les accordscollectifs départementaux signés entre le préfetde département et un organisme bailleur,pourune durée de trois ans, semblent insuffisants.L’objectif global pour l’Île-de-France était de6985 attributions pour 2006.Les publics priori-taires ne sont pas toujours ceux visés dans leplan départemental d’action pour le logementdes personnes défavorisées et les objectifs sontrarement territorialisés(6). Pour prendre encompte la réalité des territoires, la loi ENL acréé les accords collectifs intercommunaux,qui peuvent être conclus entre une intercommu-nalité dotée d’un PLH et les organismes bail-leurs disposant d’un patrimoine locatif sur sonterritoire.Mais il n’en existe encore aucun à cejour en Île-de-France.Le droit au logement opposable risque de com-pliquer le système d’attribution.L’État a été dési-gné comme l’autorité responsable de ce droitqui va permettre aux personnes définies commeprioritaires d’ester en justice pour le faire valoir.Mais tout le monde s’accorde sur le fait que lescontingents préfectoraux franciliens, déjà trèsmobilisés par la réalisation des accords collec-tifs départementaux, seront insuffisants pourrépondre à ces nouvelles demandes prioritaires.Et la mobilisation nécessaire des autres contin-gents risque de rendre inopérant le travail demaîtrise du peuplement dans les territoires en

difficultés et de faire porter l’accueil des ménages prioritaires toujours par les mêmescommunes.

Le parc social reste mal réparti,malgré les efforts entreprisLa loi SRU,le plan de cohésion sociale ou l’Anruont encore peu d’influence pour enrayer la spé-cialisation des territoires.La loi SRU et son article 55 (quota minimumde 20 % de logements sociaux) ont certes contri-bué à la relance de la production, puisque89 communes franciliennes sur les 188 concer-nées ont atteint ou dépassé leurs objectifs deproduction 2005-2007.Quand bien même l’Étatveillerait à une application stricte de cet arti-cle de la loi, leurs efforts indispensables sontnéanmoins insuffisants pour modifier la répar-tition spatiale du parc social sur le territoirefrancilien,compte tenu du volume du parc exis-tant,à moins que l’objectif de logement socialsoit bien supérieur à 20 %.La possibilité d’imposer un pourcentage delogements sociaux dans tout programme neufest une mesure qui va également dans le sensde la diversité de l’offre de logement.Les objectifs régionaux 2005 et 2006 du plande cohésion sociale, qui ont été pratiquementatteints en nombre de logements financés,n’ontpas plus permis un rééquilibrage. Si la Seine-Saint-Denis a plus que rempli ses obligations,iln’en a pas été de même pour d’autres départe-ments.Enfin, le pilotage quasi communal des projetsAnru ne facilite pas la reconstitution de l’offrede logements consécutive aux démolitions horsdu quartier ou de la commune.82 % des recons-tructions se font sur site ou dans la commune(72 % uniquement sur site en Seine-Saint-Denis)(7).

Concilier l’échelle régionale et l’échelon localLe nœud de l’exercice de la solidarité est lamise en cohérence des grandes orientationsdéfinies au niveau régional avec les politiqueslocales.Reste aussi à veiller à l’application réelledes PLH sur le terrain.Il convient donc de relever le défi collectif derépondre aux besoins en logement de l’ensem-

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Le logement à l’épreuve de la solidarité territoriale

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La solidarité s’entend en premierlieu pour permettre aux ménagesmodestes d’accéder à un logementadapté à leurs besoins,en termes de localisation et de taille.

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(5) Voir le «Rapport d’évaluation sur le dispositif d’enregistre-ment départemental unique des demandes de logementssociaux»,juin 2006,présenté par Marianne Bondaz et Hélènede Coustin,inspectrices de l’administration et Marc Prévot,ins-pecteur général de l’équipement.(6) «Le dispositif des accords collectifs départementaux fran-ciliens.»,Dossier ressource, n° 8,Aorif,L’Union sociale pour l’ha-bitat d’Île-de-France, juillet 2007.(7) «Livre blanc sur la gouvernance des politiques d’aména-gement et d’habitat : nécessité d’un dispositif adapté à l’Île-de-France», Aorif-l’Union sociale pour l’habitat d’Île-de-France 2007.

ble des Franciliens en s’appuyant sur des inter-communalités recomposées.

Vers une instance régionale de l’habitatcoordinatrice des politiques locales ?Comment et où construire 60 000 logementschaque année en Île-de-France ? La planifica-tion de l’urbanisme et les transports impliquentdésormais pleinement l’échelon régional.C’estégalement à cette échelle que devrait s’exer-cer une politique du logement, transports etlogement étant deux piliers fondamentaux del’aménagement.La définition d’une politique régionale de l’ha-bitat pourrait être assurée au sein d’une ins-tance régionale partenariale regroupant laRégion,les intercommunalités,les départementset l’État.Cela nécessiterait des ajustements de lapolitique du logement nationale au contexterégional, comme c’est le cas en Grande-Breta-gne.Cette instance aurait également à coordon-ner l’action des intercommunalités franciliennesafin de concilier politique régionale et politi-ques locales de l’habitat.L’addition de politiques intercommunales,refletdes intérêts locaux,a peu de raison,en effet,derencontrer l’intérêt général de la métropole,faute d’un pilotage à cet échelon. L’échelondépartemental,ajouté par la loi ENL de 2006,nefacilite pas la recherche de cohérence.Il est donc essentiel de rapprocher les référen-tiels locaux des référentiels supraterritoriauxde l’échelle régionale et des programmes natio-naux de l’État.

Légitimer et donner plus de responsabilité aux intercommunalitésSi le niveau intercommunal apparaît biencomme pertinent pour exercer la compétencelogement,de nombreux rapports soulignent lanécessité d’aboutir,en Île-de-France,à des terri-toires intercommunaux moins restreints queceux que l’on connaît actuellement,à quelquesexceptions près,afin de constituer des bassinsd’habitat suffisamment larges pour pouvoir yexercer pleinement cette compétence.La possibilité de créer un syndicat mixte pourréaliser des études de cadrage sur l’habitat ser-vant de base à l’élaboration des PLH dans desbassins d’habitat plus larges que certaines inter-communalités est inscrite dans l’article 69 de laloi ENL.Mais cela ne résout pas la question dupérimètre des PLH à élaborer à l’intérieur dubassin d’habitat.L’exercice réel de la responsabilité du logementpar les intercommunalités nécessiterait ausside leur confier des outils qui leur manquent etque les communes sont réticentes à leur délé-guer: l’urbanisme et le droit du sol en amont,lesattributions en aval. Comme il semble difficile

d’envisager ces transferts de manière abrupte,ces derniers pourraient être effectifs,au moinsdans un premier temps,en cas de manquementpar une commune au respect des engagementspris dans le PLH.Enfin,en contrepartie de leur responsabilité surle logement,il pourrait être envisagé d’autoriserles intercommunalités à adapter certaines régle-mentations – plafonds de loyers et de ressour-ces, zonage,article 55 de la loi SRU,etc.– pourqu’elles puissent concilier besoins locaux etobjectifs régionaux.Cet assouplissement se feraitdans le cadre de la politique régionale de l’ha-bitat et en accord avec les acteurs du logementconcernés.

L’objectif de solidarité, qui se traduit par uneffort de construction et de rééquilibrage terri-torial,s’affiche derrière celui de mixité sociale,qui traverse toutes les lois de ces dernièresannées.Cette mixité ne peut se limiter au seuldomaine de l’habitat. C’est en effet la villeentière qui doit être mixte, dans le sens socialet fonctionnel.Mais des politiques territorialesde l’habitat, définies autour d’un projet com-mun au niveau régional et au niveau intercom-munal, responsables et coordonnées, qui per-mettent de meilleures conditions d’accès et demobilité dans le logement, peuvent y contri-buer.

La ville doit être mixte,dans le sens social comme fonctionnel. Le partenariat des différents acteurspour la cohésion des actions sur un territoire semble plus que nécessaire.

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Références bibliographiques

• DELPECH Claire et LANDEL Olivier,«L’intercommunalité, une bonneéchelle», Constructif, n° 18,novembre 2007.

• Institut nexity pour le logement, «Une nouvelle gouvernance territoriale»,La Revue enjeux logement, n° 2,janvier 2008.

• VANONI Didier et LEPLAIDEUR Julien,«Décentralisation et droit au logement. À quelles conditions peut-on sortir de la crise du logement ?», Recherchesociale, n° 181, janvier-mars 2007.

• RÉGION ÎLE-DE-FRANCE, «Scenarii pour lamétropole Paris-Île-de-France demain»,rapport de la commission, avril 2008.

• PRÉFECTURE DE LA RÉGION D’ÎLE-DE-FRANCE,MINISTÈRE DU LOGEMENT ET DE LA VILLE, DREIF,«Les États généraux du logement en Île-de-France – Synthèse des rapportsdes quatre groupes de travail», comitéde pilotage du 13 mai 2008.

Les tensions qui pèsent sur le marché dulogement renforcent les inégalités au seindu territoire francilien et excluent de plus

en plus les couches modestes du cœur de l’ag-glomération et des secteurs valorisés.Face à lapolarisation des marchés locaux,la productiond’une offre de logements abordables dans lazone dense paraît plus nécessaire que jamais aubon fonctionnement métropolitain. Mais lesobstacles sont nombreux. Élus et profession-nels adoptent des stratégies qui permettent d’ac-croître la construction, mais pas toujours enadéquation avec les besoins des ménages.

Une offre locative sociale difficile à produireLe plan de cohésion sociale,comme le schémadirecteur de la Région d’Île-de-France affichentdes objectifs ambitieux de construction socialeen Île-de-France et la production des organismesfranciliens a progressé ces dernières années,portée notamment par la croissance des loge-ments PLS (prêt locatif social : loyers de typeintermédiaire, 40 % supérieurs à ceux du prêtlocatif à usage social). Le développement del’offre locative sociale est pourtant de plus enplus difficile:surcoûts fonciers,hausse des coûtsde construction, multiplication des finance-ments et des spécifications à satisfaire impo-sent aux bailleurs de multiples négociations etcompliquent le montage des opérations.La partde la production sociale accessible aux ména-ges les plus modestes reste ainsi très inférieureaux besoins exprimés(1).

La production sociale s’est faite au prix d’unéloignement du cœur de l’agglomération – 40 %de la production en 2005 concernait Paris etles communes limitrophes, contre 48 % en2003(2).L’impact de la loi Solidarité et renouvel-lement urbains (SRU) est encore limité sur lerééquilibrage de l’offre sociale,en dépit de sonapplication. Les 188 communes franciliennesconcernées auraient réalisé 92 % des 7500 loge-ments à construire par an entre 2005 et 2007,mais ce volume ne représente que 0,6 % duparc social francilien(3).L’application stricte del’article 55 de la loi SRU reste, malgré tout, unlevier de l’action publique en faveur du main-tien d’une offre accessible dans le cœur de l’ag-glomération, mais ses effets ne peuvent s’ins-crire que dans le long terme.Certains acteurs présentent la vente en l’étatfutur d’achèvement(4) comme un outil favorableà la mixité sociale là où de nombreux conten-tieux freinent l’implantation de logements

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Les solidarités territoriales

Offrir des logements abordablesdans les marchés tendus ?

La construction des logements doit être en adéquation avec les besoins des ménages.

Anne-Claire DavyIAU île-de-France

Alors que la forte hausse des prix

freine les parcours résidentiels

d’un nombre croissant de ménages et

que la part des logements abordables

tend à se réduire, la reconstitution

d’une offre accessible aux plus

modestes dans les zones tendues

semble de plus en plus difficile.

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(1) On peut estimer le nombre de demandeurs franciliens(hors demandes de mutation) entrant dans les plafonds PLAI(prêt locatif aidé d’intégration) à près de 170000 ménages,pour près de 1 300 logements attribués en 2006. Cf. GOUGET

Pierre,GUILLOUET Jean-Jacques,PAUQUET Philippe,La demandede logements locatifs sociaux en Île-de-France en 2006, Iaurif,mars 2007.(2) Cf.Actes du colloque de l’Observatoire du logement social(OLS) du 7 décembre 2006,«L’accès au logement social et sonfinancement s’améliorent-ils en Île-de-France?».Téléchargea-ble à l’adresse suivante :http://www.ile-de-france.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/actes-ducolloque_cle2696cd-1.pdf(3) Projet de loi de finance initiale pour 2007,question n° DL64(4) Les bailleurs sociaux acquérant sur plans des lots auprèsde promoteurs.

sociaux.Des bailleurs critiquent pourtant cetteprocédure qui ne leur permet pas de réellesnégociations sur la nature des prestations ou latypologie de logements qui leur coûtent pluschers que ceux qu’ils produisent directement.Faut-il aller plus loin dans la mobilisation defonds privés ? C’est ce que suggèrent actuelle-ment certains acteurs en prônant le dévelop-pement de l’usufruit locatif social (dissociant lanue propriété du bâtiment et l’usufruit donné àdes bailleurs sociaux pour une durée donnée).Cette option permet certes une mobilisationplus rapide de capitaux,mais conduisant à pro-duire du logement social temporaire, elle sou-lève la question de la pérennité des capacitésd’intervention de la puissance publique.

Une baisse de la fonction sociale de l’offre privéeAvec la hausse des valeurs immobilières, quiatteignent des niveaux records,le marché privés’est progressivement fermé aux ménagesmodestes.Le coût des acquisitions est passé de3,5 années de revenus en 1996 à 5 années en2005(5),tandis que les loyers ont augmenté deuxfois plus vite que l’inflation depuis 2000(6).L’offre locative privée à loyer modéré tend àdisparaître (fusions, restructurations ou ventesmassives des investisseurs institutionnels…) etse concentre de plus en plus sur la partie laplus dégradée de ce parc. Les dispositifs enfaveur de l’investissement locatif (lois deRobien,Borloo populaire) ont un impact réel surla construction, mais soutiennent la créationd’une offre intermédiaire, avec des loyers pro-ches du marché. Commercialisés comme desproduits financiers,ces logements sont majori-tairement petits,souvent implantés sans prise encompte des besoins locaux.Ces dispositifs sontparfois accusés d’alimenter une pression infla-tionniste et de perturber les marchés locaux.De même, les aides de l’Agence nationale del’habitat financent de plus en plus du locatifintermédiaire,quand le nombre de logementsconventionnés diminue.Sur le marché de l’accession,la part des ména-ges éligibles aux aides existantes et capablesd’acheter un logement diminue.Les promoteurspeinent à produire une offre répondant auxcapacités financières des ménages. Pour pro-duire des logements à prix maîtrisés (environ2 500 €/m2), accessibles à une clientèle plusmodeste,ils investissent des marchés émergents,à fort potentiel foncier : marchés moins valori-sés des communes du Nord-Est francilien, dedeuxième ou troisième couronne;niches crééespar les dispositifs politiques existants (TVA à5,5 % dans le périmètre des 500 m des sites sou-tenus par l’Agence nationale pour la rénova-tion urbaine).

Certaines communes de première couronne,confrontées au report de la demande des ména-ges parisiens et désireuses de maintenir les pers-pectives résidentielles de leur population,consentent des baisses de charges foncièrespour maintenir une offre en accession sociale,mais sans garantie de pérennité, malgré desclauses anti-spéculatives. Le développementactuel de dispositifs de foncier différé peutcontribuer à recréer des marges de manœuvrepour ces opérations, notamment s’ils sontouverts à l’avenir aux programmes collectifs,mais ils risquent malgré tout de ne pouvoir aiderqu’une part réduite des ménages et n’assurentpas la mixité de peuplement des territoires dansle long terme.

Les ménages modestes,parents pauvres de la constructionactuelleAu moment où l’État et de nombreuses collec-tivités franciliennes s’engagent dans une politi-que de renouvellement urbain qui réduit l’offreaccessible aux ménages les plus fragiles (grandslogements sociaux démolis, habitat insalubrerésorbé), la reconstitution d’une offre adaptéeà ces publics devient un enjeu métropolitain.Dans son rapport annuel sur l’état du mal loge-ment, la fondation Abbé Pierre estime que lapart des logements accessibles (soumis à desconditions de ressources) dans la constructionest passée de 67 % à 42 % entre 2000 et 2007(7)

et constate que le bénéfice des aides publiquesglisse progressivement vers les classes moyen-nes supérieures. Dans ce contexte, le recourscroissant des pouvoirs publics à des mécanis-mes d’incitation fiscale et à la mobilisation defonds privés permet de soutenir les volumes deconstruction et de réduire le déficit global del’offre,mais pose la question du maintien dansla durée de leur capacité de répondre auxbesoins des ménages modestes.

(5) Source:Observatoire permanent du financement du loge-ment,CSA-Iaurif.(6) Source : Fédération nationale de l’immobilier.(7) L’État du mal-logement en France, Rapport annuel 2008,Fondation Abbé Pierre,février 2008.Téléchargeable à l’adressesuivante :http://www.fondation-abbe-pierre.fr/_pdf/rml_2008.pdf

La fondation Abbé Pierre constate que le bénéfice des aidespubliques glisse progressivement vers les classes moyennessupérieures.

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Le programme national de rénovationurbaine (PNRU) vise à parvenir à uneplus grande mixité sociale des quartiers

par les effets conjugués du relogement et de ladiversification de l’offre de logements, tout enaméliorant la situation des habitants en place.Le succès du programme est fortement tribu-taire des modalités du relogement, de leurseffets sur les trajectoires résidentielles des ména-ges et sur les recompositions sociales des terri-toires ciblés. L’extrême tension du marché dulogement francilien rend la gestion de ces opé-rations plus complexe qu’ailleurs.La nécessitéde s’appuyer sur des partenariats et des solida-rités d’agglomération pour souscrire aux objec-tifs de mixité, reste, en Île-de-France, difficile àmettre en œuvre, en raison à la fois des carac-téristiques des ménages à reloger (faiblesse desressources,grandes familles…),des disponibi-lités de l’offre et de la faible implication desintercommunalités.Ce bilan sur les relogements s’appuie sur la

mobilisation des fichiers de suivi du relogementtenus par les bailleurs ou les maîtrises d’œuvreurbaine et sociale (Mous),et d’entretiens menésauprès d’habitants relogésdans le cadre d’uneétude réalisée par la Dreif [LELÉVRIER,NOYÉ,2007].

Le PNRU en Île-de-France, un programmedéficitaire jusqu’en 2012L’ensemble des opérations Anru porte sur laconstruction de plus de 40000 logements sur lapériode 2007-2013 : 28 000 logements publicsau titre de la reconstruction et 12000 logementsprivés au titre de la diversification du bâti. Enrythme annuel,cet effort de construction repré-sente près de 20 % des mises en chantier sur larégion.Sur la même période,le PNRU envisagela démolition de 25 000 logements en Île-de-France(1), ce qui représente 10 % du parc desZus concernées.La construction des 12000 loge-ments privés sur site représentera, elle, 4 % duparc. À terme, plus de 10 % des logements desquartiers seront neufs,et 20 % rénovés.Le pro-gramme se soldera par une légère densifica-tion résidentielle des sites et un rééquilibrage enfaveur du parc privé.Plus de la moitié de la reconstruction est prévueen Plus-CD(2),qui oblige les bailleurs à consacrerla moitié des nouveaux logements livrés au relo-gement des ménages en provenance du parcdémoli.Environ le quart des ménages sera doncrelogé dans le neuf.Le loyer des logements enPlus-CD ne peut dépasser 90 % du loyer Plus.Les

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Les solidarités territoriales

Trajectoires résidentielles etopérations de rénovation urbaine

Le succès du programme nationalde rénovation urbaine est fortement tributaire des modalités du relogement,de leurs effets sur les trajectoiresrésidentielles des ménages et sur les recompositions socialesdes territoires ciblés.

Christophe NoyéCf. géo

Les démolitions annoncées par «la loi de programmation et d’orientation pour la ville et la rénovation urbaine» de 2003seront sans doute moins nombreusesque prévu. Elles auront néanmoins des effets importants à la fois sur les territoires et sur les populations,à court et à long terme. La localisation des reconstructionsreste problématique et appelle une gestion partagée du relogement.

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(1) Bilan au 31 décembre 2007.(2) Prêt locatif à usage social-construction démolition.

Sur la période 2007-2013,le programme de rénovation urbaine

envisage la démolition de 25 000 logements

en Île-de-France. À terme, plus de 10 %

des logements des quartiers seront neufs, et 20 % rénovés. J.-

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autres logements publics reconstruits relèventà 39 % de Plus,et pour 8 % seulement de prêtslocatif aidé d'intégration (PLAI),ce qui attested’une baisse sensible de ce parc à bas loyer.Plus de la moitié des nouveaux logements(52 %) sont programmés sur site,avec toutefoisde grandes distorsions,selon les financementsmobilisés. Les Plus-CD sont pour près de 70 %prévus sur site, mais seulement la moitié desPlus et des PLAI.Les démolitions intervenant avant la recons-truction, le programme sera globalement défi-citaire (plus de démolitions que de construc-tions) jusqu’en 2012, si l’on tient compte duretard pris.Il est donc,au moins dans un premiertemps,impossible de souscrire aux obligationsde relogement dans le neuf(3).

Des opérations ciblées sur des Zus aux populations les plus «fragiles»Les opérations de rénovation urbaine concer-nent des Zus de taille importante. Elles comp-tent en moyenne 11300 habitants,contre seule-ment 6 300 pour les autres. Le nombre delogements et la taille des ménages (2,99 contre2,76) y sont plus élevés.Le profil des habitantss’y révèle plus «fragile» que dans le reste desZus,avec un taux de chômage supérieur (22 %contre 17 %),plus de non diplômés (33 % contre27 %) et d’ouvriers (32 % contre 27 %).Le revenumédian y est aussi plus faible (9460 € contre11625 €) et la part des étrangers plus forte (26 %des personnes de référence contre 19 %).Ces caractéristiques sont encore plus accen-tuées au sein des immeubles démolis : ména-ges à très faibles ressources, grandes familles,notamment immigrées,ménages sans emploi…Les personnes âgées, population peu visible àl’échelle des quartiers, y sont aussi fortementreprésentées.Les immeubles ciblés par les opé-rations de démolition constituent,en effet,sou-vent les fractions les plus anciennes du parcsocial,ce qui explique la présence importantede personnes âgées – pour l’essentiel des fem-mes – aux ressources très modestes.

Retard dans les relogements, hausse des loyers : un bilan en demi-teinteL’analyse des parcours résidentiels consécutifsaux démolitions a été menée sur des sites où lesopérations de relogement étaient, pour partie,achevées(4). Au total, plus de 1 450 logementsont été démolis, dont un peu moins de 1 100étaient occupés.802 ménages titulaires de bailet 120 décohabitants ont été relogés. Le tauxde vacance sur les sites étudiés s’élevait à prèsde 25 % en début d’opération.Sur quatre sites,cette vacance était principalement liée à l’an-ticipation de l’opération et à l’arrêt des attribu-tions,parfois depuis plusieurs années.

Un processus plus long que prévuDans tous les sites,le relogement a été plus longque prévu.Ce décalage est homogène.Les dos-siers prévoyaient un rythme initial de dix àquinze relogements par mois. Le rythmeconstaté est de cinq relogements ou moins.Cesretards tiennent aux difficultés de relogementsur le parc existant,en raison d’une forte baissede la mobilité (de 5 % à 10 % selon les cas).Plus d’un ménage sur cinq n’est pas relogé(5).Lessituations restent à cet égard fortement diffé-renciées. Le taux de non relogement est parti-culièrement fort dans les quartiers en plus gran-des difficultés,notamment ceux ayant de fortstaux de ménages endettés.Il est,en revanche,fai-ble sur Montreuil,Vitry et Bagneux,où nombrede ménages sont en attente de relogement.

Des démolitions de grands logements, maispeu d’offres équivalentes pour le relogementLes très grands logements sont surreprésentésdans les opérations de démolition:25 % du parcsont constitués de cinq pièces ou plus, contreseulement 7 % à l’échelle régionale.Ils relèventpour l’essentiel des sites de Bagneux, Monte-reau (TMH),Vitry et Trappes (Sablière).En revan-che, si l’on considère les logements de quatrepièces et plus, leur surreprésentation dans lesdémolitions est assez faible (38 % pour unemoyenne régionale de 32 %).Quatre ménagessur dix emménagent dans un logement de taille

Le quart des ménages en provenance du parc démoli sera relogé dans le neuf grâce

à la démarche Plus-CD,mais pas avant 2012 si l’on tient

compte du retard pris.

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(3) Les relogements dans le neuf sont marginaux sur les sitesétudiés : une quinzaine de ménages sur 800 relogés.(4) Il s’agit des sites de Montereau (Surville),Trappes (Meri-siers),Corbeil (La Nacelle),Bagneux (Les Tertres-Blagis),Mon-treuil (Bel-Air),Vitry (Balzac).Sur le site de Bagneux,le relo-gement de la barre des Tertres n’était pas achevé.Les entretiensmenés ont toutefois confirmé que les modalités d’organisa-tion du relogement par cages d’escalier n’introduisaient pasde différences selon les types de ménages.(5) Les ménages non relogés correspondent aux ménages quipartent et se relogent par leurs propres moyens, et à ceuxqui étaient présents au moment de l’enquête sociale et ne figu-rent plus dans les fichiers en fin d’opération, sans que l’onconnaisse toujours leur devenir.

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identique,37 % dans un logement plus grand etprès d’un sur quatre dans un logement pluspetit. Le relogement dans des logements pluspetits prédomine dans les quatre sites marquéspar un fort taux de grands logements démolis.

De fortes hausses de loyersPlus de la moitié des ménages relogés payent unloyer plus cher. Mais l’APL couvre une partiede cette hausse,de sorte que la charge de loge-ment ne s’accroît que pour un tiers des ména-ges.Une majorité de ménages combine haussede loyer et taille du logement stable ou enbaisse.Un ménage sur cinq est ainsi relogé dansun logement de même taille ou plus petit,pourun coût plus élevé. Pourtant, des baisses deloyers ont été consenties par les bailleurs sur plu-sieurs sites :Trappes,Corbeil,Vitry,Montreuil.

La moitié des «relogés» quittent le quartierL’analyse en termes de localisation des ména-ges relogés doit être nuancée.Compte tenu desdifférences de configuration des sites (superfi-cie, limites…), les catégories «sur site» et «horssite» n’ont pas toujours le même sens(6).Au total,sur l’ensemble des sites étudiés,un peu plus dela moitié des ménages sont relogés en dehorsde leur quartier d’origine, mais seulement 7 %dans une autre commune.C’est dans les sites deBagneux,Montreuil,Trappes (Sablière) et,dansune moindre mesure,Vitry et Corbeil que lerelogement «hors site» est le plus fréquent. Ils’agit de communes dans lesquelles la volontéd’assurer un relogement hors site a été active-ment portée par la ville et/ou le bailleur.À Montereau et Trappes (Sarepa), la part desménages relogés sur site est majoritaire,respec-tivement 55 % et 80 %.C’est aussi dans ces sitesque le niveau de ressources des occupants estle plus faible.Il est difficile d’analyser les différences de loca-lisation des ménages en fonction de leurs carac-téristiques,en raison de l’hétérogénéité des sour-ces de données.Le relogement sur site ou horssite semble se faire indépendamment des carac-téristiques que l’on a pu observer.Toutefois,lesménages les plus modestes sont,en règle géné-rale, moins mobiles et davantage relogés surplace que les autres.C’est particulièrement évi-

dent sur les sites de Vitry et Trappes (Sarepa).Lesgrandes familles sont plutôt réorientées horssite,même dans les quartiers à forte proportionde grands logements. Il faut toutefois nuancercette appréciation,car,parmi les grandes famil-les, les plus modestes restent plus souvent surplace.

Renforcer le rôle des intercommunalitésdans le relogementAu-delà des stratégies locales et de la diversitédes contextes,la relative homogénéité des résul-tats obtenus d’un site à l’autre souligne, sansdoute, la forte influence d’effets structurels surles trajectoires résidentielles [LELÉVRIER,2008].Dans les quartiers étudiés,et plus encore dansles immeubles démolis, les ménages à très fai-bles ressources sont surreprésentés et les loyerssont souvent parmi les plus bas de la commune.Il est donc difficile de trouver une offre équiva-lente en termes de «reste à charge» pour leménage dans le reste du parc,sauf – ce qui estfréquemment le cas sur les sites étudiés – à ceque les bailleurs consentent des minorationsde loyer.Par ailleurs,dans l’économie générale des pro-jets, les démolitions ont été préalables à l’offrenouvelle. Il est donc normal que la part desménages relogés dans le neuf soit faible. Ilconviendra d’observer si l’offre neuve à venirsera – et à quel niveau – mobilisée pour le relo-gement, d’autant qu’on peut s’interroger surl’adaptation des niveaux de loyer du Plus-CD àla population relogée.À ceci, s’ajoute une autre difficulté. Les opéra-tions de relogement pèsent principalement,pour ne pas dire exclusivement,sur les bailleursconcernés. Ainsi, le relogement dépend-il del’importance et de la localisation du patrimoinedu bailleur.Les sites enregistrant les plus fortesdispersions sont ceux dans lesquels le bailleurdispose de marges d’action plus grandes.C’estle cas,notamment,des offices municipaux dis-posant d’un parc important sur Vitry et Mon-treuil. La seule issue permettant d’échapper àcette logique est d’élargir l’offre potentiellemobilisée pour le relogement, ce qui supposeune gestion partagée du relogement (inter-bailleurs) et probablement, aussi, un rôle ren-forcé des intercommunalités,seules aptes à ins-crire le relogement dans des stratégies localesd’équilibres de l’habitat et de peuplement.

(6) Celui que nous avons retenu correspond à peu près à ladélimitation de la Zus.

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Trajectoires résidentielles et opérations de rénovation urbaine

Un ménage sur cinq est relogé dans un logement de même taille

ou plus petit, pour un coût plus élevé malgré des baisses

de loyers consenties par des bailleurs sur certains sites.

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Références bibliographiques

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Au cours des cinquante dernièresannées, la mobilité a connu,en Francecomme dans les autres pays industria-

lisés,une croissance spectaculaire.Les mobili-tés apparaissent aujourd’hui comme incontour-nables dans nos sociétés urbaines.La possibilitéde s’y mouvoir conditionne l’accès à des res-sources qui se trouvent rarement à proximitéles unes des autres [ASCHER,2000].

La mobilité comme facteur de renforcement des inégalités socialesTous les groupes sociaux ne sont pas concernésde façon similaire par l’essor de la mobilité etcelle-ci constitue aujourd’hui un véritable dis-criminant social. Les ménages «pauvres» sedéplacent nettement moins et moins loin queles plus aisés [ORFEUIL, 2004](1). Ils détiennentmoins souvent une voiture,et à peine la moitiéd’entre eux ont le permis de conduire.Dans lesagglomérations urbaines,où ce n’est plus la dis-tance qui structure l’espace, mais l’accessibi-lité,mesurée bien souvent à l’aune du seul accèsautomobile,l’accroissement de la dépendanceautomobile accentue les inégalités [KAUFMANN

et al., 2004]. Le processus qui lie étalementurbain et «automobilité» génère ainsi un accèsdifférencié aux ressources urbaines, en défa-veur des ménages non motorisés et des pluspauvres [MOTTE,2006].D’autres facteurs alimentent les différences demobilité. Les groupes dominants disposent deréseaux sociaux répartis dans l’espace et degrilles de lecture du territoire qui les rendent

plus aptes à se déplacer [RÉMY et VOYÉ,1992].Cesont autant d’atouts indispensables pour sélec-tionner leur localisation résidentielle,se placersur le marché du travail ou choisir leurs lieux deloisirs.À l’opposé,les groupes dont l’aptitude àla mobilité est la plus faible courent le risque del’isolement et de la marginalisation. La mobi-lité devient ainsi une ressource de plus en plusdécisive, et la capacité de se déplacer fait dé-sormais partie du «capital» des individus [LÉVY,2000].Les fonctions qui étaient jusque-là assu-rées par le voisinage se déploient aujourd’huià une échelle beaucoup plus vaste. Érigée ennorme,la mobilité devient incontournable dansl’accès à l’emploi, alors même qu’elle contri-bue à intensifier les situations de concurrencesur le marché du travail. Aujourd’hui, unemployeur peut recruter sur un marché trèsétalé dans l’espace, fragilisant ainsi la positionde ceux dont la capacité de mobilité est faible.En Île-de-France, Sandrine Wenglenski [2004]montre bien que les marchés potentiels de l’em-ploi des cadres sont beaucoup plus vastes queceux des ouvriers et des employés.Ces derniersdisposent de moyens de transports moins per-formants,alors que les emplois qui les concer-nent sont de plus en plus dispersés dans l’agglo-mération. L’appariement entre lieux derésidence et lieux d’emploi leur est moins favo-rable. De manière générale, l’éloignement du

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Les solidarités territoriales

Vers une individualisation des politiques de transport ?

L’exigence de mobilité creuse les inégalités dans l’accès à l’emploi ou à la formation.

Sylvie FolUniversité Paris 1

Panthéon-Sorbonne, UMR Géographie-cités

L’exigence de mobilité, qui accompagnel’étalement urbain, creuse les inégalitésdans l’accès à l’emploi et la formation.Les ouvriers et employés qui habitent de plus en plus en périphérie,ceux qui ont des horaires atypiques ousont peu qualifiés sont dans l’obligationde consacrer un budget important au transport. Quelles sont les politiquespubliques mises en place pour pallierces nouvelles inégalités ? Quel est l’avenir d’une politique de transport plus «individualisée» ?

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(1) Les distances parcourues sont en gros multipliées pardeux quand on passe de la catégorie la plus faible à la caté-gorie la plus élevée de revenus et le nombre de trajets est àpeu près multiplié par 1,5.

centre des ménages modestes franciliens,moti-vés par le souci de limiter le coût de l’accessionà la propriété, tend à renforcer les inégalitésd’accès aux ressources urbaines. Ces périur-bains modestes «doivent se contenter de posi-tions résidentielles moins favorables», moinsbien dotées en transports en commun et enéquipements publics et situées à plus grande dis-tance du centre et des zones d’emploi en forteexpansion [BERGER et BEAUCIRE, 2002 ; BERGER,2004].Cet éloignement a un coût: l’accession sepaie par une augmentation significative desbudgets «transports» et des temps de déplace-ment.Cependant, les ménages modestes déve-loppent des stratégies leur permettant de maxi-miser leur accès aux ressources de proximité etde réduire ainsi leurs contraintes de mobilité[COUTARD,DUPUY et FOL,2002 ; FOL,2005 ; MOTTE,2006].L’analyse de ces nouvelles formes d’inégalités,discriminantes socialement,a donné naissanceà des politiques publiques tendant à favoriserl’accès à la mobilité urbaine des individus pauvres.

Les politiques publiques de réductiondes inégalités de mobilité : une lente émergenceLa perception d’un lien entre faible accessibi-lité aux ressources urbaines et risque d’exclu-sion sociale est à l’origine de politiques territo-rialisées de désenclavement des quartiers endifficultés par l’amélioration de l’offre de trans-ports collectifs [HARZO,1998].Dès 1982, le «droit au transport pour tous dansdes conditions raisonnables d’accès, de qua-lité et de prix» est introduit dans la loi d’orien-tation des Transports intérieurs (Loti) qui insti-tue les plans de déplacement urbains (PDU).Ilfaut cependant attendre le début des années1990 et l’intégration d’un volet transports à lapolitique de la ville pour que cette notion de«droit au transport» se traduise par des disposi-tifs politiques concrets. Les actions mises enœuvre s’appuient sur les conclusions du rap-port du Conseil national des transports de 1991,«Transports et exclusion sociale», qui met enévidence les inégalités de desserte dans lesquartiers en difficultés,non seulement en termes

quantitatifs, mais aussi du point de vue de laqualité, de la sécurité et des prix des servicesofferts. Il note que les quartiers sensibles sontsouvent mal reliés à certaines zones d’emploiet aux équipements collectifs et commerciaux,qu’ils bénéficient fréquemment d’une desserteinterne insuffisante et qu’ils sont davantage vic-times d’effets de coupure provenant d’infra-structures diverses.La mauvaise qualité des liai-sons entre ces quartiers et la ville a pour effetd’isoler socialement et économiquement leurshabitants et de leur rendre difficile «l’accès à laville». Il préconise alors la mise en place systé-matique d’un volet «transports et mobilité» dansles diagnostics des quartiers en difficultés. En1993, la délégation interministérielle à la Ville(DIV) publie un Mémento pour la réalisationdu volet déplacement dans un contrat de ville. Lestransports y sont désignés comme un outilessentiel de la continuité du service public et dumaintien du tissu social. Enfin, le «rapportSueur»,en 1996,consacre l’une de ses cinquantepropositions à la question des transports. Laproposition 14 affirme ainsi, dans son préam-bule, que «la mobilité, et donc la politique dedéplacement,devenant l’un des enjeux essen-tiels de la cohésion urbaine,les moyens appro-priés devront y être affectés».«L’aménagementne sera plus seulement conçu à partir desnotions d’espace et de distance,mais aussi enfonction des capacités de déplacement et dutemps de déplacement.» [HARZO,1998].La procédure des contrats de ville,généraliséeà partir du XIe plan, met en avant le «désencla-vement des quartiers».Dans la circulaire relativeà l’élaboration du volet transport des contrats deville pour 2000-2006,la concrétisation du «droità la ville», pièce maîtresse des politiques demobilité mises en place depuis une dizained’années, met au premier plan l’améliorationde l’offre de transports en commun dans lesquartiers de la politique de la ville.Les actionsconcernent aussi bien la création de nouvel-les lignes que le renforcement de la desserteen heures creuses ou l’augmentation de la qua-lité et de la sécurité du service (renforcementde la présence humaine,intervention de média-teurs,etc.).La circulaire insiste également sur lanécessité d’associer les habitants, qui doiventêtre «invités à prendre part à l’élaboration et ausuivi des programmes de déplacement de proxi-mité».Le bilan des actions ciblées sur les quartiersprioritaires de la politique de la ville n’est pasfacile à établir. En 1998, Christian Harzo, dansun document de synthèse sur la mobilité despopulations en difficultés,constate le décalageentre la volonté affirmée par les pouvoirs publicsde planifier les déplacements en lien avec lesobjectifs de cohésion sociale et urbaine, et la

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Vers une individualisation des politiques de transport ?

Le financement de nouvelles lignesde bus a permis de désenclaver

certains quartiers.

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Les politiques publiques tendent à favoriser l’accès à la mobilitéurbaine.

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L’accroissement de la dépendanceautomobile et la flambée des prixde carburants accentuent les inégalités.

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réalité des politiques locales de transports. Ilnote que l’élaboration des PDU privilégie lesobjectifs de protection de l’environnement dela loi sur l’Air,par rapport à ceux de la Loti oude la loi d’orientation pour la Ville.Plus récem-ment, un consensus assez large semble s’êtreétabli pour conclure que «le problème d’encla-vement,voire d’exclusion des quartiers des poli-tiques de la ville par les transports est à relati-viser». Différentes études établissent que cesquartiers sont en général «loin d’être mal des-servis» [CERTU,2005].Si l’on considère les condi-tions réelles de fréquence et d’amplitude horairede la desserte de certains quartiers, il sembleque ces conclusions soient largement hâtives etpeu en phase avec l’expérience quotidiennedes habitants. En Île-de-France, des quartiersdéfavorisés comme ceux de Clichy-sous-Boiset de Montfermeil restent très mal desservis parles transports en commun. Et pour rejoindrecertains quartiers périphériques réputés bienreliés au centre de Paris par le RER,comme lesquartiers nord d’Aulnay-sous-Bois ou les zonesurbaines sensibles (Zus) de Champigny-sur-Marne, on omet souvent d’ajouter des tempsbeaucoup plus incertains en autobus pour relierla station de RER aux quartiers,ce qui infirmelargement les conclusions optimistes relatives àleur «bonne desserte».Depuis quelques années,les politiques «territo-rialisées» de désenclavement centrées sur l’offre de transports en commun ont été accom-pagnées de mesures ciblant davantage les indi-vidus.Encore embryonnaires jusqu’à la fin desannées 1990,les politiques tarifaires en directiondes personnes les plus démunies se sont déve-loppées rapidement. Ainsi, les allocataires durevenu minimum d’insertion (RMI) et les mem-bres de leur foyer peuvent-ils bénéficier de lagratuité des transports publics en Île-de-France.Ces nouvelles orientations témoignent d’uneévolution de la problématique de la mobilitédes ménages pauvres, des politiques urbainesvers les politiques sociales, et d’une approcheessentiellement territoriale à une approche plusindividuelle.

Vers une approche individuelle des problèmes de mobilité ?Le glissement des politiques de désenclave-ment par les transports collectifs à des aides àla mobilité individuelle atteste du succès d’uneapproche qui fait de la mobilité une ressourcepersonnelle et un outil de l’insertion profes-sionnelle [FOL,DUPUY,COUTARD,2007].À l’inverse,l’absence de mobilité est considérée commeune cause de renforcement des processus d’ex-clusion [BACQUÉ et FOL, 2007]. Cette évolutions’inscrit dans le contexte de la généralisation,en Europe et aux États-Unis, des politiques de

Workfare, qui visent à remettre au travail lesindividus.Dans cette optique,il importe de sup-primer toutes les barrières à l’emploi et donc,entre autres,de faciliter la mobilité des person-nes privées d’emploi. Catherine Lévy [2003], àpartir de ses investigations dans quatre payseuropéens,conclut que «la mobilité est devenuel’une des obligations de tout demandeur d’em-ploi». La mobilité est désormais une compo-sante importante de l’employabilité, définiecomme un capital personnel,que chacun doitgérer et qui est constitué de la somme de sescompétences mobilisables.Les aides à la mobilité individuelle sont, pourcertaines d’entre elles,déjà anciennes.Dès 1967,les services du travail et de la main-d’œuvre(qui deviennent l’ANPE en 1968) mettent enplace l’aide à la double résidence et l’aide audéménagement pour les chômeurs qui onttrouvé un emploi éloigné de leur domicile.Quant aux aides aux déplacements quotidiens,elles sont créées en 1992. Mais c’est en 2002,dans le cadre de la mise en place du plan d’aideau retour à l’emploi (Pare),que l’ensemble dusystème d’aides à la mobilité est refondu.Deuxtypes d’aides se distinguent :- les aides pour la recherche d’emploi,qui per-

mettent aux demandeurs d’emploi de se ren-dre à un entretien de recrutement ;

- les aides à la reprise d’emploi,qui concernentsoit le déménagement, soit la double rési-dence,soit les déplacements quotidiens.

Ces aides de l’ANPE présentent l’originalité decouvrir des frais concernant des déplacementseffectués aussi bien en automobile qu’en trans-ports en commun.L’accent mis sur l’importance, voire le carac-tère incontournable de l’accès à la mobilitéautomobile apparaît également dans les dispo-sitifs d’aide au passage du permis de conduire,mis en place en 1990 par la direction de la Sécu-rité et de la Circulation routière (DSCR) dans lecadre de son programme «Apprentissage de la

Les aides à la mobilité individuellefacilitent l’insertion professionnelle.

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conduite et insertion professionnelle»,et géné-ralisé par la suite dans le cadre du «permis à uneuro par jour».La DSCR décide alors de partici-per au financement des dispositifs d’aide à l’ap-prentissage de la conduite automobile,mis enplace par des associations,dans une perspectived’insertion professionnelle et sociale des jeu-nes. Plus de 150 projets sont financés, qui pro-fitent à plus de 3 000 jeunes [ESTERLE-HEDIBEL,1999]. L’obtention du permis de conduire avaleur de premier diplôme pour les jeunes enéchec scolaire,et constitue un atout importantdans leur recherche d’emploi. Il s’agit à la foisde les sensibiliser à la sécurité routière, de lesaider à acquérir des règles de «bonne conduite»et d’accroître leur potentiel de mobilité dansla perspective d’une meilleure insertion.Ces dernières années, de nombreuses initiati-ves émanant d’associations,la plupart du tempssoutenues par les collectivités locales,ont aussiabouti à la mise en place d’aides à la mobilité,dont certaines sont tournées vers l’usage de lavoiture.Éric Le Breton [2004],dans une enquêteauprès de 120 structures d’insertion par l’acti-vité économique, montre que 76 d’entre ellesont développé des aides à la mobilité : déve-loppement des «compétences de mobilité»,aideau permis de conduire,à l’achat de voiture,dis-tribution de bons de transports,création de cen-trales de mobilité associant le covoiturage ou lestaxis, location de vélos, mobylettes ou voitu-res… Simultanément,les politiques locales d’in-sertion professionnelle et sociale multiplientles dispositifs d’aide à la mobilité automobiledes ménages pauvres [COUTARD,DUPUY,FOL,2006].Si le financement reste essentiellement public,la prise en charge des actions est confiée fré-quemment aux associations.En 2001,le lancement du programme national«Mobilité urbaine pour tous» marque la volontéde donner à ces initiatives diverses une lisibilitéet un soutien à l’échelle nationale.Inscrit dansla politique de la ville,ce programme n’en mar-que pas moins une rupture à la fois dans ladémarche, volontairement expérimentale, etdans la nature des projets retenus,qui rompentpour bon nombre d’entre eux avec les solu-tions «classiques» de renforcement des trans-ports en commun.Les seize projets retenus en

2002 privilégient à la fois les services de trans-ports à la demande,la création de centrales decovoiturage et les aides à la mobilité indivi-duelle des personnes en cours d’insertion pro-fessionnelle,par la mise à disposition de deuxroues ou de voitures.Les politiques de transport se diversifient. L’of-fre est moins cantonnée aux transports collec-tifs traditionnels et s’adapte à des besoins plusdivers. Ainsi, les services de transports à lademande «explosent». En 2005, on en dénom-brait environ 600 en France [CASTEX,2007],dontla maîtrise d’ouvrage restait à 90 % entre lesmains des collectivités publiques – communau-tés de communes,communautés d’aggloméra-tions et conseils généraux,pour l’essentiel.En Île-de-France,des expériences originales sesont développées.Selon un bilan réalisé en 2007pour le compte de l’Agence régionale de l’en-vironnement et des nouvelles énergies [ARENE,2007], il existe quatorze services de transportsà la demande dans la région et neuf sont encours d’étude.La plupart,mis en place à partirdes années 1990, concernent la grande cou-ronne. Ils répondent le plus souvent à unedemande de déplacements non satisfaite par lestransports collectifs «traditionnels» (desserteen heures creuses,service régulier inexistant).Certains dispositifs concernent la desserte dezones d’activités et sont en grande partie finan-cés par des fonds privés. Enfin, une minorités’adresse à la zone dense (Montreuil, Plessis-Robinson),où il s’agit d’offrir un service adaptéà des besoins spécifiques en termes d’horairesou de clientèle (personnes âgées,insertion pro-fessionnelle). La plupart de ces services sontorganisés à l’initiative d’une collectivité publi-que et leur exploitation est confiée à des opé-rateurs «classiques» tels que la RATP, Keolis,etc.Les collectivités locales d’Île-de-France s’inves-tissent de plus en plus dans la recherche desolution aux problèmes de mobilité.Le dépar-tement de la Seine-et-Marne consacre un bud-get significatif au financement de transportsinnovants, notamment dans le domaine dudéplacement des populations en difficultés :auto-écoles associatives,covoiturage,taxi socialou location de voiture au service de l’emploisont de plus en plus nombreux. Dans toute larégion,la création d’agences de mobilité,rendueobligatoire par la loi Solidarité et renouvelle-ment urbains (SRU) pour assurer l’informationdes usagers, s’est fréquemment élargie à desservices beaucoup plus étendus,visant à répon-dre de manière personnalisée aux besoins diver-sifiés des personnes en cours d’insertion profes-sionnelle. Ainsi, l’expérience de l’associationVoiture & Co, créée en 1998 à Nanterre pourproposer un covoiturage régulier aux étudiantsde l’université,a débouché sur la création d’une

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Vers une individualisation des politiques de transport ?

L’obtention du permis de conduire a valeur de premier diplôme pour les jeunes en échec scolaire.

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Les transports à la demande se développent dans certaines

communes comme à Montreuil. Ici, un service adapté aux besoinsspécifiques des personnes âgées. J.-

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maison des transports,dont la vocation est beau-coup plus étendue,puisqu’il s’agit de répondreaux besoins de mobilité de tous les usagers duquartier du Petit Nanterre et au-delà,de la com-mune dans son ensemble.Pour les populationsen difficultés,la maison des transports offre unconseil en mobilité adapté et des ateliersd’orientation urbaine [ARENE,2006].

Le bilan de ces nouveaux dispositifs davantageaxés sur la mobilité individuelle reste difficile àdresser, sans parler de l’évaluation de leur effi-cacité qui n’est même pas ébauchée.Si les ser-vices de transports à la demande ont fait l’ob-jet d’études,les tentatives d’état des lieux et debilan quantitatif peinent à suivre une réalitéhautement évolutive.Alors que la «mise en mouvement» des pauvresparaît s’affirmer dans les politiques publiquescomme un outil important de leur insertionprofessionnelle et sociale, il semble toutefois

nécessaire de réfléchir au sens de ces politi-ques et aux conditions de cette mise en mou-vement. Dans certains cas, l’aide à la mobilitépeut être le déclencheur d’un processus d’inser-tion professionnelle et sociale et il faut,évidem-ment, la favoriser. Dans d’autres cas, surtout sil’encouragement à se déplacer devient injonc-tion à être mobile, le risque est grand de fragi-liser des individus dont une partie importantedes ressources est tirée de la proximité.La mobi-lité représente un «coût» rarement pris encompte dans les recommandations politiquesaxées sur l’augmentation de la capacité desménages pauvres de se déplacer.En matière dedéplacements, ce coût est d’abord financier,car l’accès aux transports,notamment à l’auto-mobile,représente une charge souvent incom-patible avec le budget des ménages pauvres.Mais ce coût peut être d’un autre ordre,familialou social,lorsque la mobilité amène à renoncerà des ressources centrées sur le territoire local.

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Les solidarités territoriales

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Première destination touristique aumonde, premier bassin d’emploi euro-péen, l’Île-de-France concentre 21,8 %

des emplois français,un tiers des cadres,18,6 %des habitants vivant en France, bénéficie de22 % des revenus et réalise plus de 28 % du PIBnational. Espace de richesse, elle est aussi le lieu où s’exacerbent les inégalités socio-économiques.

Un espace régional traversé d’inégalitéséconomiques et socialesDans un contexte d’excellence, les acteurslocaux sont confrontés à deux grands typesd’inégalités spatiales,économiques et sociales,les incitant à engager des actions dans ledomaine du développement économique etde l’insertion des actifs pour assurer une cer-taine cohésion sociale.Le premier groupe d’inégalités concerne lessystèmes productifs locaux. La région offre unpaysage économique polarisé – 75 % de l’em-ploi francilien se localise sur seulement 110communes –,discontinu et contrasté,avec uneforte variabilité des densités d’emploi,des fonc-tions économiques et des niveaux de revenuset de qualification de la population selon lesterritoires.Le deuxième type d’inégalités touche la popu-lation active.En dépit du recul du chômage,lesphénomènes de précarité,d’exclusion durabledu marché du travail se sont amplifiés, sous l’effet d’une restructuration de l’économie etd’une recomposition des emplois conduisant à

des difficultés de reconversion, la nature despostes créés étant éloignée de celle des postesdisparus.Ces transformations de l’appareil pro-ductif se sont accompagnées d’une plus grandefragmentation des emplois peu qualifiés dans lestemps de travail (temps partiels,horaires déca-lés…) et dans l’espace, avec une dispersionaccrue de ces emplois dans les zones périphé-riques,moins bien desservies par les transportsen commun. Cette déconcentration rend pluscomplexe l’accessibilité à l’emploi des popula-tions peu qualifiées et à bas revenus [LEROI etTHÉVENOT,2007].

Miser sur l’interdépendance territorialepour favoriser l’action collectiveLes enjeux varient donc sensiblement d’un ter-ritoire à l’autre, en fonction des dynamiquessous-jacentes à leur système productif et à leurconfiguration sociale.Dans tous les cas,les élussont directement interpellés par les besoins deleurs entreprises et de leur population. Ils ont un rôle essentiel à jouer pour «corriger» les déséquilibres locaux, favoriser l’innovationsociale et le développement local.La difficulté, outre la prégnance du contexteéconomique et politique national, est sansaucun doute de dépasser les limites du terri-toire légitime – un écueil sérieux dans unerégion composée de 1300 communes –, pourintervenir avec efficacité dans des domainesoù les interrelations sont incontournables. Lefonctionnement du système économique sou-ligne la nécessaire interdépendance entre les

Le développement local face aux inégalités de richesse

Afin de réduire les inégalitésterritoriales, le développementéconomique constitue un levierd’action. Ici, un ouvrier dans le centre de transfertÉcobouteille, Rungis.

Pascale LeroiLaure ThévenotIAU île-de-France

Afin d’illustrer les orientationspolitiques et les stratégies de développement local mises en placepour lutter contre les inégalitésterritoriales, nous sommes allés à la rencontre du terrain. À travers six interviews,élus et acteurs locaux ont pointécohérence régionale et impact local,forces et faiblesses, limites et apportsdes actions de solidarité territoriale.

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territoires : de nombreux pôles d’emploi affi-chent une spécialisation ; la majorité des per-sonnes en emploi travaillent dans une autrecommune que leur lieu de résidence ; les reve-nus créés à un endroit seront pour une grandepartie consommés ailleurs ; certains territoiresperdent des emplois, tandis que d’autres engagnent,souvent dans des fonctions et niveauxde qualification différents…Que ce soit en matière d’attractivité économi-que,d’accès à l’emploi ou à la formation,nom-bre d’initiatives sont donc à penser à l’échelled’un grand bassin d’emplois ou,tout au moins,de sous-zones dépassant les limites administra-tives.Dans un contexte décentralisé, la recher-che de partenariats entre collectivités territo-riales, acteurs locaux, entre public et privé,devient un passage obligé pour trouver des solu-tions au développement local.

Quelles stratégies pour assurer un développement qui profite aux habitants ?«Le développement territorial n’est pas solubledans la seule question de la création de richessepar les systèmes productifs locaux.» Par cesmots,Laurent Davezies [2008] souligne que leterritoire n’est pas seulement un facteur de pro-duction, il est aussi le support d’une popula-tion pour laquelle le développement se déclineen termes de revenus,d’emplois,de formationet d’aménités urbaines. La dissociation entrelieu de travail, lieu de résidence et lieu deconsommation génère des flux de revenus entreterritoires, qui ont des implications fortes surleur développement.Dans cette circulation,cer-tains territoires sont perdants. C’est le cas sou-vent cité de Plaine Commune, dont le dyna-misme économique peine à profiter à seshabitants : les revenus des résidents sont faibleset ne génèrent pas d’effet multiplicateur surl’emploi tourné vers les ménages. En effet, lesentreprises relocalisées sur Plaine Communesont venues avec leurs salariés. Les emploisvéritablement créés sont,pour partie,restés inac-cessibles à la population et le taux de chômagedemeure nettement plus élevé qu’ailleurs. Laquestion centrale reste celle de l’accès à unemploi stable pour les résidents. Mais le redé-ploiement de Plaine Commune est encorerécent et ses effets sur la montée des servicesdestinés aux nouveaux salariés, par exemple,ne se fait que progressivement.Le développement territorial s’inscrit, en effet,dans le temps long et s’appuie à la fois sur desstratégies d’attractivité des entreprises et desménages, et sur la mise en place de dynami-ques favorisant l’accès aux emplois. Pour lessecteurs en difficulté sociale,le défi de l’attrac-tivité résidentielle suppose, pour partie, une

transformation du tissu urbain.Les opérations derenouvellement urbain sont sans aucun doutedes occasions à saisir pour introduire plus demixité sociale dans ces secteurs.Les communespeuvent aussi y trouver un moyen d’aider lesentreprises nouvellement implantées à logersur place leurs salariés.Dans la recherche d’un meilleur accès à l’em-ploi,les collectivités locales (communes,inter-communalités) peuvent jouer sur le rapproche-ment entre acteurs pour l’emploi (PLIE,missionslocales,ANPE…) et entreprises implantées surleur territoire. L’intervention des institutionspubliques reste essentielle,notamment pour lamain-d’œuvre la moins qualifiée ou la plus éloi-gnée de l’emploi,que ce soit par le développe-ment d’actions de formation, l’aide à la créa-tion d’emplois durables, l’amélioration de lamobilité des personnes ou de leur vie quoti-dienne (logement,garde d’enfants…).

Nous avons voulu illustrer cette problématiquedu développement local et cette recherche departenariat,à travers les actions menées par :- deux territoires,Plaine Commune et la commu-

nauté d’agglomération de Mantes-en-Yvelines,qui tentent d’allier développement économi-que et cohésion sociale,

- une mission locale d’insertion,- un programme de réussite éducative,- la chambre syndicale de travaux publics de

Seine-et-Marne,- la Région Île-de-France,qui œuvre à l’attracti-

vité de l’Île-de-France dans la recherche d’undéveloppement territorial profitant à tous.

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Sur certains territoires, l’aide à la création d’emploisdurables permet d’allier développement économique et cohésion sociale.

Références bibliographiques

• DAVEZIES Laurent, La république et sesterritoires, Éd. du Seuil, Paris, 2008.

• LEROI Pascale et THÉVENOT Laure,«L’emploi peu qualifié en Île-de-France,localisation et spécificités locales», Noterapide n° 429, mai 2007, Iaurif.

Les Cahiers – Comment est née l’idée des pactes ?Daniel Brunel – La Région a mis en place desdispositifs relevant de ses compétences enmatière d’emploi,de développement économi-que,de formation et d’insertion.Mais un ensem-ble de dispositifs ne fait pas une politique régio-nale. Il faut qu’ils s’intègrent dans une visionglobale qui anticipe les mutations économi-ques et tienne compte de la diversité des terri-toires et des publics. Nous avons décliné lesobjectifs de la région à travers trois documentsphares, le SRDE(1), le volet emploi et formationdu Sdrif(2) et le schéma régional des formations.Le fil rouge de notre action est de chercher àrésorber les inégalités en cessant d’opposer etde mettre en concurrence des territoires et deshommes. La région souffre d’un émiettementdes pouvoirs locaux.Il nous faut,par le dialogue,trouver des territoires de projet pertinents quipuissent favoriser les dynamiques économiqueset sociales tant locales que régionales,dans lerespect de l’environnement. À cette fin, nousavons instauré avec cette proposition de pactesune nouvelle démarche de contractualisationpluriannuelle, qui tient compte de la diversitédes territoires, et coordonne le savoir-faire detous les acteurs locaux traitant de formation,d’insertion ou d’emploi.

L. C. – Comment les territoires sont-ilsciblés ? Quels sont les acteurs éligibles à cette contractualisation? Où en est la démarche aujourd’hui ?D. B. – Le pacte vise au développement de ter-ritoires qui recouvrent des secteurs fragiles,enmutation,ou dont le dynamisme ne profite pasà la population locale.Il faut se placer dans unedynamique territoriale d’ensemble et œuvrerà ce que le développement économique, vianotamment le renforcement du tissu des PMI-PME, puisse profiter aux publics éloignés del’emploi.Il ne s’agit pas de se limiter à une logi-que d’insertion. Les porteurs des pactes peu-vent être des intercommunalités – c’est le cas àPlaine Commune –,une maison de l’emploi(3),comme c’est envisagé à Nanterre, un GIP(4)…Nous travaillons actuellement sur la coélabo-ration d’une dizaine de pactes territoriaux dansla région.Tous les départements sont représen-tés. Une démarche est lancée autour du pôled’Orly, portée par les départements du Val-de-Marne et de l’Essonne. Ce devrait être le pre-mier pacte interdépartemental. Le pacte deRoissy est en discussion avec le groupement

d’intérêt public sur l’emploi, les trois départe-ments de Seine-Saint-Denis, de Seine-et-Marneet du Val-d’Oise, et l’État. La plate-forme seraamenée à dynamiser et à structurer la démarchesur un territoire élargi.En Seine-Saint-Denis, deux autres pactes sonten cours d’élaboration avec les communautésd’agglomération de Plaine Commune et celle deClichy-Monfermeil.En Seine-et-Marne, outre Roissy, nous avonsimpulsé la constitution d’un GIP avec l’État etles collectivités locales au sud du département,autour de Fontainebleau et Nemours, sur unsecteur qui rencontre de grandes difficultéspour reconstituer le tissu économique et requa-lifier le territoire en responsabilisant les entre-prises.Le pacte vise à étendre l’action du GIP.Dans les Yvelines, une discussion est en coursavec l’ensemble des communautés de commu-nes de Seine aval.Dans les Hauts-de-Seine, on a acté le principed’un pacte avec la maison de l’emploi de Nan-terre.L’idée est d’élargir le territoire vers Rueil-Malmaison, où existe également une maisonde l’emploi et,aussi,vers le bassin d’emploi deLa Défense.Dans l’Essonne, nous travaillons avec la CA(5)

«Les Lacs de l’Essonne»,notamment sur la requa-lification de la zone d’activité de Grigny, avec degros problèmes fonciers à la clé.Des synergiessont peut-être à trouver avec la CA d’Évry quin’est pas loin.Il s’agit,dans chaque cas,de mutualiser les intel-ligences et les savoirs et pas seulement lesmoyens, de favoriser de nouvelles synergies,l’émergence de dynamiques sur des territoiresélargis, plus forts. Ce n’est pas du repliementterritorial. Ainsi, une partie du territoire de Valde France chevauche la plate-forme de Roissy :il faut marier, mixer, restructurer… Ce travail,qui nécessite de s’adapter à chaque contexte,est forcément évolutif. Nous avons pour ambi-tion d’initier cinquante pactes d’ici 2010 en Île-de-France.

L. C. – Comment vont se dérouler les pactes sur le terrain?D. B. – Il y a un phasage incontournable :poserun diagnostic,définir une stratégie,un plan d’ac-tions, le mettre en œuvre, puis procéder à son

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Le développement local face aux inégalités de richesse

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Daniel Brunel est vice-présidentdu conseil régional d’Île-de-France, chargé de la formation professionnelle,du développement économiqueet de l’emploi depuis 1998. La Région a lancé, en 2008,une nouvelle démarche decontractualisation pluriannuelleavec ses partenaires locaux : le pacte pour l’emploi,la formation et ledéveloppement économique.Entretien sur un dispositif en pleine évolution.

Les «pactes» : une impulsion régionale pour l’emploi et la formation

Interview

(1) Schéma régional de développement économique.(2) Schéma directeur de la Région d’Île-de-France.(3) Voir site www.ville-emploi.asso.fr(4) Groupement d’intérêt public.(5) Communauté d’agglomération.

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évaluation. Il ne s’agit pas de faire un énièmediagnostic – nous avons déjà acquis une visionrégionale de la place de chaque territoire dansl’ensemble régional à travers le Sdrif ou le SRDE–, mais d’affiner la connaissance de chacund’eux et d’évaluer leurs besoins, auxquels leplan d’action du pacte s’efforcera de répondre.J’ai deux exigences :démarrer et n’oublier per-sonne. Les territoires et leurs populations nepeuvent attendre ce que seront demain les pré-conisations des différentes chartes ou encore duSdrif. Il nous faut travailler dès maintenant surdes projets territoriaux partagés par le plusgrand nombre avec le plus de partenaires pos-sibles : les entreprises,les institutions,les cham-bres consulaires,les acteurs de la formation,del’insertion et de l’emploi. Il faut intégrer lesactions sur les domaines de l’éducation,l’inser-tion,l’accès à l’emploi,les mutations économi-ques, la recherche, l’innovation, l’éco-région…et éviter la dichotomie permanente des appro-ches.Naturellement,le pacte s’articule avec lesautres travaux de programmation régionaux(CPER(6),programmation des fonds européens,contrats particuliers avec les départements,conventions de renouvellement urbain dans lecadre de l’Anru(7), travaux du Sdrif…).

L. C. – Comment positionnez-vous votre action par rapport à l’État sur l’emploi ou les «banlieues» ?D. B. – J’attends avec impatience le plan ban-lieue de Fadela Amara, parce que les problè-mes perdurent. La Région peut contribuer àmener des actions fortes. Elle consacre déjàbeaucoup d’argent à l’insertion,la formation,audéveloppement économique, aux transports.Les pactes sont une des réponses possibles auxproblèmes des banlieues et de l’emploi. Il fauttrouver des synergies avec les maisons de l’em-ploi et de la formation mises en place par l’Étaten les insérant dans des réflexions sur des ter-ritoires plus vastes,en intégrant des dimensionséconomiques et environnementales.Que peutfaire une maison de l’emploi dans un territoiredépourvu en offre d’emplois, sinon une mis-sion sociale ? Bien sûr, la Région aide à leurfinancement, mais il faudrait que l’État parti-cipe aussi à des projets territoriaux plus vastespar le biais des pactes. Il n’est pas question defaire à la place de l’État,mais de faire ensembleavec tous les partenaires.

L. C. – Qui va piloter ces pactes ?Comment seront-ils financés ?D. B. – Actuellement,la priorité c’est le projet duterritoire.La Région initie la démarche des pac-tes,il reviendra à chaque territoire de structurersa gouvernance. Il n’est pas question d’instau-rer une coprésidence État-Région. Il existe

actuellement de nombreuses structures : il nes’agit pas non plus de rajouter une strate auxstrates existantes.Il va falloir faire preuve d’ima-gination,innover des gouvernances partagées àgéométrie variable selon les territoires. On nepeut plus continuer à travailler chacun dansson pré carré.La Région ne sera pas à la marge,elle sera cofinanceur.Une chose est sûre,il fautrassembler le plus de partenaires possibles quisoient contributifs financièrement.Nous avons lancé plusieurs chantiers imbriquésqui auront des retombées territoriales enmatière de financement:nouveaux critères d’af-fectation des aides ; constitution d’un fondsrégional qui puisse être alimenté par la Région,l’État et les entreprises ; conférence des finan-ceurs de l’apprentissage;adaptation des cahiersdes charges des marchés dans le domaine dela formation.Ces pactes,c’est du«prêt-à-porter» ins-crit dans unevision régionaledynamique. Si nosdispositifs ne sontpas adaptés,on lesbougera.Le rôle dela Région c’estd’harmoniser lesprojets des diffé-rents territoires,decapitaliser et échanger sur les expériences desuns et des autres, et de catalyser les énergiesdes différents acteurs pour trouver ensembledes solutions. Il faut mettre les compétencesdes uns et des autres au profit des territoires etde leurs habitants.

Propos recueillis par Mariette Sagot

et Laure Thévenot

(6) Contrat de projets État-Région.(7) Agence nationale pour la rénovation urbaine.

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»Les dispositifs doivent s’intégrer dans une vision globale qui anticipe les mutations économiques et tienne compte de la diversité des territoires et des publics. Il faut chercher à résorber les inégalités en cessant d’opposer et de mettre en concurrencedes territoires et des hommes pour mutualiser les intelligences et les savoirs sur des territoiresélargis, plus forts.«

Un centre de formation des apprentis aux métiers de l’aérien, subventionné par la Région, dans l’Essonne.

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Les Cahiers – Votre territoire a bénéficiéde nombreuses politiques de solidarité :politique de la ville, rénovation urbaine,politique européenne. Comment vousêtes-vous impliqués dans ces dispositifs ?Dominique Braye – Nous avons mis ces dispo-sitifs au service d’un projet de territoire. Nousavons été précurseurs sur les questions derestructuration urbaine,de cohésion sociale etde gestion urbaine de proximité ! Nous n’avonspas attendu l’Anru(1) et l’Acsé(2) pour compren-dre qu’il fallait lier l’urbain et le social.Il a falluadapter les procédures, quelquefois très rigi-des, à la réalité de notre territoire et comblerles «trous» pour élaborer un projet global,cohé-rent, qui n’oublie aucun quartier et ne laissepersonne de côté.La Camy accompagne les politiques de solida-rité,en exerçant en premier lieu ses compéten-ces en matière d’équilibre social de l’ha-bitat. Nous avons mis en place unprogramme local de l’habitat intercom-munal,dont la révision actuelle devraitaboutir fin 2008.Il complète et articuleles procédures menées dans le cadrede la rénovation urbaine pilotée parl’Anru,et de la politique de la ville,sousl’égide de l’Acsé. Pour le développe-ment du territoire nous intervenons surtous les domaines, y compris celui del’activité économique et de l’emploi.Concrètement, dès 1995, nous avonsconcentré nos efforts sur le renouveau de Man-tes-la-Jolie en intervenant massivement tant surle centre-ville de Mantes-la-Jolie que sur le Val-Fourré(3).Nous ne pouvions nous en sortir quesi ce bateau amiral,qui est notre ville-centre etqui représente plus de 50 % de la population,retrouvait son attractivité et son rayonnement.Une des priorités de notre politique a été defaire autant pour les habitants de la Zup(4) quepour les autres.Ainsi,quand un candélabre estposé en centre ville,nous faisons de même auVal-Fourré…En matière de solidarité intercommunale, laCamy a décidé de «communautariser» les équi-pements publics structurants de la ville centre– patinoires, stade nautique… – pour soulagerles communes de leur gestion.Nous avons ainsiengagé la construction de nouveaux équipe-ments emblématiques comme l’École natio-nale de musique, de danse et de théâtre et lepôle aquatique qui sera implanté dans le quar-tier du Val-Fourré. Ces choix s’intègrent dansune politique d’aménagement très volontariste,

avec notamment la consolidation de la cein-ture verte autour de notre agglomération.

L. C. – Comment s’effectue le partage des compétences entre les différentsniveaux d’intervention?D. B. – Naturellement,ces projets s’opèrent dansle respect des prérogatives communales.L’actionsociale est une compétence partagée,mais lespolitiques de solidarité s’expriment différem-ment selon l’échelle d’intervention.À la Camy,notre approche est pragmatique :c’est le projetde territoire qui compte.L’habitat et le peuple-ment sont aussi traités en concertation àl’échelle plus vaste du syndicat mixte du Man-tois dont je suis le président.La mission localepour l’emploi s’occupe des problèmes d’inser-tion des jeunes sur un périmètre de quarantecommunes.Vient maintenant se greffer l’OIN(5),

qui s’étend sur cinquante et une communes,de Conflans à l’extrémité ouest des Yvelines.Cepérimètre semble une échelle pertinente pourélaborer des stratégies de développement éco-nomique.

L. C. – Quel bilan faites-vous aujourd’huidu chemin parcouru?D. B. – Il faut rappeler qu’il y avait sur le Man-tois une véritable crise urbaine,sociale et éco-nomique. Je crois qu’une des réussites de notredémarche, c’est d’avoir traité ensemble dansun même projet quatre volets stratégiques:l’éco-nomique,la restructuration urbaine,l’habitat etdonc le peuplement,et le social.Pour rééquilibrer le peuplement, nous avonsjoué sur la solidarité. Une charte a été signée

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Le développement local face aux inégalités de richesse

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Dominique Braye est présidentde la communautéd’agglomération de Mantes-en-Yvelines (Camy) et sénateur des Yvelines. Le développementéconomique, l’équilibre socialde l’habitat et la politique de la ville font partie des compétences de la Camy,qui regroupe douze communeset 84 000 habitants. Le projetde la Camy vise à redynamiserce territoire marqué par des difficultés économiqueset sociales.

Interview

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L’intercommunalité, un moteur dans la solidarité territoriale et sociale

(1) Agence nationale pour la rénovation urbaine.(2) Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalitédes chances.(3) La Zus du Val-Fourré compte 25000 habitants, le taux dechômage y est de 25,7 %.(4) Zone à urbaniser en priorité.(5) Opération d’intérêt national.

»Une des priorités de notre politique a été de faire autant pour les habitants de la zone urbaine prioritaire que pour les autres. Une des réussites de notre démarche,c’est d’avoir traité dans un même projetquatre volets stratégiques : l’économique, la restructuration urbaine, l’habitat, et le social.«

avec l’État pour que chacun prenne sa partdans l’accueil des populations en difficultés.Nous avons aussi diversifié l’offre avec des pro-duits pour les populations moins démunies.Il nes’agit pas de chasser «les pauvres»,nous avonsun véritable savoir-faire pour les aider dans leursdifficultés,mais de promouvoir la mixité.Dansle quartier sud du Val-Fourré, nous avons, parexemple, lancé une opération de quarante-quatre logements en accession à la propriété,qui a très bien marché. On peut dire qu’on ainventé la maison à 100000 euros avant M.Bor-loo. Au Val-Fourré, nous sommes très vigilantssur les attributions de logement social et nousnous appuyons,pour cela,sur nos observatoiresdu logement privé et social.C’est aussi une desrares opérations Anru où la reconstruction deslogements sociaux démolis se fait hors de lacommune,grâce à une politique intercommu-nale de solidarité active.Sur le volet restructuration urbaine, quiconcerne tous les quartiers sensibles de l’ag-glomération, notre action s’est concentrée,compte tenu de son importance, sur le Val-Fourré, avec pour objectif de faire de ce quar-tier un quartier dans la ville. Les extensions(construction de l’hôpital,développement de lazone franche, installation du pôle aquatique)ont été planifiées au-delà du Val-Fourré, avecl’idée de réintégrer physiquement le quartierdans la ville. La construction d’un hôtel de quatre-vingts chambres et d’une série de loge-ments est prévue à l’entrée du quartier. La cir-culation automobile a aussi été modifiée.D’au-tres projets à l’étude – zone d’urbanisation deMantes-la-Jolie à Rosny-sur-Seine – vont dansce sens.Le volet social s’est appuyé sur un copilotagesolide entre communauté d’agglomération etcommunes.On a souhaité que chaque quartierdispose d’équipements comme les centresd’animations et de services publics de proxi-mité (mairie annexe).Au Val-Fourré, la Camy ainstallé un service logement,une mission locale,des écrivains publics…Mais le volet économique reste notre point fai-ble. C’est pour cette raison que la Camy s’estengagée dans l’OIN.Nous avons pris des enga-gements en termes de logements à construire,l’État doit tenir les siens sur le développementdes infrastructures et des activités économi-ques, pour stimuler l’emploi sur place. Il fautdévelopper les liaisons de transport entre pôlesd’emplois. Nous avons fait de gros efforts surles liaisons bus à destination de Saint-Quentin-en-Yvelines,Paris-La Défense,Cergy-Pontoise etVersailles.Côté Région, la fréquence des trainsvers Saint-Lazare devrait s’accroître fin 2008.Des choses avancent, mais la Camy sera parti-culièrement vigilante à l’instauration de ren-

dez-vous réguliers avec nos partenaires pourfaire le point sur l’avancement des projets.

L. C. – Sur ce volet économique,comment contribuez-vous à l’intégrationprofessionnelle des populations les moins qualifiées ?D. B. – Nous nous appuyons sur tous les dispo-sitifs existants et pertinents pour ramener lesjeunes vers l’emploi avec l’aide des missionslocales : chantiers d’insertion, école de ladeuxième chance (qui s’ouvrira à la rentrée2008)… Je suis en train d’étudier les contratsd’avenir annoncés dans le plan «Espoir ban-lieues».On organise également des bourses del’emploi, où l’on fait se rencontrer quelquescentaines de jeunes sélectionnés et formés parles missions locales et une soixantaine d’entre-prises.Des actions ont été menées en partena-riat avec les professionnels du secteur de l’au-tomobile et des organismes de formationcomme l’Afpa (Association nationale pour laformation professionnelle des adultes). Deuxstructures ont,par ailleurs,vocation à dévelop-per des liens avec le monde de l’entreprise,l’Agence de développement de la Seine avalet le comité d’expansion économique,pour sti-muler le développement des activités et de l’em-ploi.Notre territoire a énormément progressé depuis1995.Et ce n’est pas fini.La création d’un pôleuniversitaire, d’un centre des congrès va aussiparticiper au changement de l’ambiance dansnotre ville et à notre attractivité tant résiden-tielle qu’économique.

Propos recueillis par Brigitte Guigou,

Matthias Kaldi et Mariette Sagot

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Le projet de rénovation urbaine du quartier du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie a permis une opération en accession à la propriété à prix maîtrisés.

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Les Cahiers – Vous tablez sur unecoopération active des entreprises pour développer le territoire et rendreles emplois créés accessibles aux habitants de Plaine Commune. Quel bilan tirez-vous des chartesEntreprise-Territoire que vous avezinitiées ?Patrick Braouezec – Toutes les politiques quenous avons initiées s’inscrivent dans le temps.Ce dispositif est récent. Les premières chartesEntreprise-Territoire ont été signées en mars2005.Quatre-vingt-cinq entreprises y ont adhérédepuis,elles représentent plus de 26000 emplois,soit le quart de l’emploi total du secteur. C’esttrès significatif.Le bilan réalisé à l’automne der-nier recensait 1300 recrutements à destinationdes populations locales.Il y a autant de chartes que d’entreprises signa-taires et chaque charte est conclue pour troisans. Cinquante chartes doivent êtrerenouvelées d’ici à la fin de l’année.Cesera l’occasion de dresser un bilan indi-viduel et de déterminer de nouveauxobjectifs pour les trois années à venir.D’ici à la fin 2008,une dizaine d’entrepri-ses nouvelles devraient s’impliquer dansla démarche.Au-delà des recrutementsen faveur des habitants,de nombreusesactions développent les liens écoles-entreprises. C’est ainsi qu’en février 2008,600 collégiens ont été accueillis dans150 entreprises du territoire. C’est l’oc-casion pour ces jeunes d’être reçus pardes cadres qui leur présentent leurs métiers,mais aussi de découvrir l’univers de l’entreprise.Cela ouvre des perspectives de connaissancemutuelle et de collaborations plus régulières.Par ailleurs,on systématise les rencontres direc-tes entre les demandeurs d’emploi et les recru-teurs,sous des formes diverses.L’ANPE,les Asse-dic et l’ensemble des partenaires de la maisonde l’emploi sont pleinement mobilisés pourcontribuer à la réussite de ces actions et s’en-gagent également dans l’organisation des recru-tements dans des métiers en tensions (santé,BTP,hôtellerie).

L. C. – Menez-vous des actions en faveurde la création d’entreprises ou de métierspeu qualifiés qui soutiennent undéveloppement endogène du territoire ?P. B. – Saint-Denis, La Courneuve et Stains ontcréé en 1998, la Maison d’initiative économi-que locale, dont le périmètre d’action a été

élargi à l’ensemble des villes de Plaine Com-mune en 2004.Cette structure à deux objectifs :accompagner le développement de la très petiteentreprise et coordonner les actions favorisantla création d’entreprise.Les TPE (moins de dixsalariés) représentent 90 % des entreprises duterritoire. Plaine Commune a, par ailleurs, étéla première collectivité à signer une conven-tion territoriale avec la Région Île-de-France en2005 pour développer des actions favorisantl’économie sociale et solidaire sur le territoire.De nombreuses initiatives ont permis la miseen place d’un salon international pour un com-merce équitable, tous les deux ans, et d’unréseau d’entreprises d’insertion qui a contribuéau développement de services à la personne.Plaine Commune comprend aussi quatre zonesfranches urbaines (ZFU), situées à La Cour-neuve,Stains,Épinay-sur-Seine et,dans un cadreintercommunal, à Aubervilliers. Le démarrage

économique a été long dans ces quartiers, dufait de l’absence d’offre immobilière adaptée.Plus de 200 entreprises se sont implantées enZFU,avec une progression globale de l’emploisur quatre ans dans ces secteurs de 38 %. Lesretombées commencent à être significativespour les habitants.Pour favoriser l’insertion des publics en diffi-cultés,nous systématisons aujourd’hui les clau-ses d’insertion dans les marchés publics pas-sés sur notre territoire,tels les chantiers Anru(1).L’objectif est de générer 200 postes de travailpar an dans les trois prochaines années par cebiais.L’entreprise s’engageant dans ces clausesprévoit en général que 10 % des heures travail-lées soient consacrés à des emplois d’insertion.La communauté accompagne les entreprisesdans la mise en œuvre de leurs engagements,favorise le contact avec les jeunes et assure un

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Patrick Braouezec est présidentde la communautéd’agglomération de PlaineCommune, la plus peuplée de l’Île-de-France. Plaine Commune comprend huitcommunes : Aubervilliers, LaCourneuve, Épinay-sur-Seine,L’Île-Saint-Denis, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Stains,Villetaneuse, soit 335 000habitants.Les compétences de lacommunauté d’agglomérationse sont régulièrement étendues.Ainsi, en 2004, il lui revientl’intégralité des compétencesaménagement (y compris le transfert du droit des sols etdu foncier), habitat et les voletsinsertion-emploi des actions de développement économique.S’y ajoutent, en 2005,la politique de la ville et,en 2006, le contrat urbain de cohésion sociale,les études de développementéconomiques, les schémasdirecteurs et la promotion du territoire.Le positionnementgéographique de ce territoireaux portes nord de Paris,qui connaît un renouveauéconomique, mais une situationsociale toujours difficile,lui confère un rôle stratégique.

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Plaine Commune : valoriser les chartes Entreprise-Territoire

(1) Agence nationale pour la rénovation urbaine.

»Plaine Commune a, par ailleurs, été la première collectivité à signer une convention territoriale avec la Région Île-de-France en 2005 pour développer des actions favorisant l’économie sociale et solidaire sur le territoire.« »Plus de 200 entreprises se sont implantées en ZFU, avec une progression globale de l’emploi sur quatre ans dans ces secteursde 38 %. Les retombées commencent à être significatives pour les habitants.«

suivi des personnes employées dans ce cadre.On cherche à créer les conditions pour que cesmissions perdurent de chantier en chantier.

L. C. – Plaine Commune est en discussionavec la Région Île-de-France sur la miseen place d’un pacte pour l’emploi, la formation et le développementéconomique. Où en est ce dispositif et qu’en attendez-vous?P. B. – Nous achevons actuellement le diagnos-tic préalable à la signature d’un pacte.Le pland’action est en cours d’élaboration et sera fina-lisé pour octobre 2008. Le département de laSeine-Saint-Denis a fait part de sa volonté d’êtrepartie prenante du projet.De nombreuses consultations sont engagéespour contribuer à une «élaboration partagée».Les acteurs de la maison de l’emploi du terri-toire de Plaine Commune sont bien évidem-ment étroitement associés.Ce pacte vise à décli-ner à l’échelle de Plaine Commune les objectifsdu schéma régional de développement écono-mique auquel la communauté d’agglomérationa largement contribué en 2007. Il doit permet-tre de mieux coordonner l’action de tous lesacteurs, au bénéfice non seulement du déve-loppement des entreprises,mais aussi de la for-mation et de l’emploi des populations résiden-tes sur notre territoire.Nous prévoyons dans cecadre,entre autres,le financement partagé d’unepépinière technologique,de restructurations dezones d’activités,le développement des forma-tions en alternance ainsi que des formationsde courte durée d’adaptation à l’emploi. Lepacte est triennal avec une actualisationannuelle.

L. C. – Quel bilan faites-vous del’intercommunalité sur le développementlocal ? Comment réagissez-vous face aux propositions des rapports Planchouet Dallier sur le Grand Paris ?P. B. – Notre intercommunalité est un exemplequi pourrait servir de matrice.La future métro-pole parisienne ne doit pas être l’extension dela capitale aux 29 villes limitrophes ou aux troisdépartements de la petite couronne.Cette visioncrée de la marginalité en donnant toujours plusde valeur foncière et immobilière au centre eten rejetant les plus pauvres dans la périphérie.Je défends l’idée du polycentrisme,c’est-à-direla création de plusieurs lieux de centralité en Île-de-France.La région aurait alors la forme d’unemarguerite composée de sept ou huit pétalesautour du pôle parisien,tous à égalité.Chaqueentité s’occuperait, dans le cadre d’une inter-communalité,de transports,d’aménagement etde développement économique et se consti-tuerait autour d’un point fort, comme le stade

de France à Saint-Denis,pour que les habitantspuissent s’identifier à un territoire qui va bienau-delà de leur commune ou leur cité.En ce qui concerne le périmètre de ces pôles,il va sans dire que rien ne doit se faire sans lesmaires et les populations.Mais on peut imaginerà l’ouest un pôle autour de la Défense et deBoulogne jusqu’à Versailles ; à l’est, Montreuil,Fontenay… ; au sud, Ivry-Vitry-Orly-Créteil ; unpôle autour de la vallée de la Bièvre, etc. Sansoublier bien sûr le pôle Plaine Commune-Plainede France au nord de Paris.Soit toute la banlieuedense,villes nouvelles comprises.

Propos recueillis par Mélina Cohen-Setton

(Plaine Commune) et Mariette Sagot

Le pacte intercommunal pour l’emploi, la formation et le développement économiquedéclinera les objectifs du schémarégional de développementéconomique sur Plaine Commune.

Quatre-vingt-cinq entreprises ont, à ce jour, signé des chartes Entreprise-Territoire. 1 300 résidents locaux ont bénéficié d’un recrutement dans ce cadre.

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Les Cahiers – Comment concevez-vousvotre rôle ?Karine Beauvue – Notre mission première estl’écoute,l’information et l’orientation des jeunesqui poussent notre porte.La mission intercom-munale d’Épinay a été créée en 1983,c’est unedes premières.Elle est aujourd’hui bien identi-fiée. De nombreux acteurs (ANPE, Éducationnationale,mairies,centres sociaux,maisons dequartiers…) orientent les jeunes vers nous.Unconseiller référent les reçoit en entretien indi-viduel et les suit tout au long de leur parcours.Ensemble, ils établissent un diagnostic à partirduquel le conseiller met en place un parcoursd’insertion sociale et professionnelle adapté.Une relation de confiance et une forme decontrat moral vont s’établir.Le référent s’adapteà la situation du jeune,il le conseille sans impo-ser de solution. D’ailleurs la venue du jeune àla mission locale se fait sur la base du volonta-riat.Notre approche est globale. Nous accompa-gnons le jeune dans son parcours,nous l’aidonsà résoudre ses problèmes de santé, de loge-ment,de transport…Certains cumulentdifficultés financiè-res, ruptures affecti-ves, problèmes desanté, voire juridi-ques.Il faut du tempsaux jeunes les pluséloignés de l’emploipour trouver et assu-mer un travail. Lesjeunes pensent quela mission locale vaimmédiatement leurtrouver un emploi.Ilsne comprennent pasd’emblée l’impor-tance d’une formation pour exercer un métier,même peu qualifié. Construire un parcoursréussi suppose de nombreux contacts, d’unedizaine à une centaine selon les cas, le par-cours pouvant aller de six à trente-six mois pourcertains. Nous devons respecter le rythme dujeune tout en lui apportant les outils nécessai-res.

L. C. – Comment répondez-vous à la diversité des besoins de votre public ?K. B. – Nous mobilisons d’abord nos ressourcesinternes :conseillers spécialisés,médecin,assis-

tante sociale, psychologue… Nous nousappuyons bien sûr sur nos partenaires exter-nes : centres de formation, entreprises, ANPE,plan local pour l’insertion et l’emploi (PLIE),ser-vices de l’État (direction départementale duTravail, de l’Emploi et de la Formation profes-sionnelle),conseil régional,département de laSeine-Saint-Denis,direction départementale desAffaires sanitaires et sociales… Plus les rela-tions avec les partenaires sont soutenues et lesfinancements importants,plus les solutions pourl’insertion sociale et professionnelle seront nom-breuses.Notre mission est dotée d’un Espace emploientreprises structuré autour de huit salariés àplein temps, dont un chargé de mission del’ANPE et un chargé de relations avec les entre-prises,financé par le plan local pour l’insertionet l’emploi.Dans ce cadre,nous mobilisons lesoutils disponibles au service des projets d’in-sertion sociale et professionnelle.Par exemple,les jeunes de 16 à 25 ans en phase de rupturepeuvent bénéficier d’un accompagnement ren-forcé,notamment par le biais du «contrat d’in-

sertion dans la viesociale» (Civis).Ce dis-positif d’État permetaussi, selon les situa-tions, d’apporter unsoutien financier ponc-tuel de manière àconsolider le parcoursd’insertion. Ces aidespeuvent financer desdéplacements, desmodules de formationcourts…Un de nos soucis estd’être au plus prochedes besoins despublics.Il y a deux,trois

ans,nous nous sommes rendu compte que prèsde huit jeunes sur dix ne connaissaient pasl’univers de l’entreprise ou en avaient une visionerronée.Nous avons alors monté des ateliers,misen place des stages en entreprise ou organisédes plateaux techniques dans des centres deformation. Il s’agit d’aider les jeunes à affinerleur projet avant de travailler sur la formation,ou sur l’accès à l’emploi.Une partie de notre activité contribue au déve-loppement local du territoire.Nous avons ainsimobilisé les centres de formation implantés surles quatre communes de la mission. Ils consti-tuent le «groupe opérationnel de formation de

Karine Beauvue est directrice de la mission intercommunalepour l’insertion des jeunes(MIIJ) d’Épinay-sur-Seine –Saint-Ouen – Villetaneuse –L’Île-Saint-Denis.Ce territoire de Seine-Saint-Denis comprend 113 000 habitants, dont plus de15 000 jeunes de 16 à 25 ans.La mission locale s’adresse aux jeunes déscolarisés et les aide à construire leur projet de vie en mobilisantles acteurs nécessaires. Elle reçoit plus de 4 000 jeunespar an. Pour les accompagner,quarante salariés travaillent au sein de la mission locale,structure cofinancée par les communes, l’État,la Région, l’Europe et le département.

Interview

Une mobilisation partenariale pour rapprocher jeunes et entreprises

»Notre approche est globale. Nous accompagnons le jeune dans son parcours, nous l’aidons à résoudre ses problèmes de santé, de logement, de transport…Nous craignons les risques de concurrence entre les dispositifs –Civis et contrat d’autonomienotamment – et entre les institutions.On a parfois l’impression que les échelons supérieurs ne s’appuient pas suffisamment sur notre connaissance du terrain.«

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l’ouest de la Seine-Saint-Denis».L’objectif est devaloriser les compétences locales et d’infléchirl’offre de formation.Au-delà de l’utilisation desactions de formation de la Région,nous avonsmis en place,en 2007,une quinzaine d’actionsterritoriales visant à qualifier les jeunes de notreterritoire. Dernièrement, nous avons monté unprojet de formation sur la petite enfance, secteuroù les demandes du public féminin sont impor-tantes et les offres nombreuses.D’autres actionsont aussi été mises en place concernant lesmétiers de la route (aide pour le permis poidslourd, ambulancier…), du BTP (grutier), de lasécurité,de l’hôtellerie,de l’aide à la personne…Développer notre propre réseau d’entreprisesnous permet d’accéder à des offres d’emploisintéressantes et adaptées.Nous procédons alorsà des prérecrutements. Ce type de démarcheest efficace.Nous travaillons par exemple avecle Medef dans le cadre du programme «unemploi dans ma ville».Autre exemple,le maired’Épinay, président de notre structure, nous asignalé les besoins d’une grosse entreprise derestauration du territoire.Nous avons alors nouédes contacts avec le centre de formation del’entreprise pour accompagner des jeunes versces emplois.Nous sommes aussi impliqués dansles actions développées dans le cadre de char-tes locales par le conseil national des missionslocales (CNML),le conseil général,Plaine Com-mune, ou via les clauses d’insertion Anru(1)…Mais au regard du temps passé, les résultats nesont pas probants : les informations ne redes-cendent pas,les jeunes ont beaucoup de mal àdécrocher un entretien et le nombre de postesproposés reste faible.Nous avons aussi mené un travail de longuehaleine sur l’hébergement en direction de notrepublic,de manière à apporter plusieurs types deréponses : l’urgence,l’hébergement en foyer dejeunes travailleurs ou le logement autonome…

L. C. – Comment voyez-vous l’avenir ?K. B. – De nombreux changements sont encours concernant tant le public que nos mis-sions.D’abord,le public.Il s’élargit avec l’arrivéede jeunes de niveau bac ou plus qui peinent àtrouver un travail.Il y a aussi un problème «d’ac-croche» de certains publics. Des jeunes «n’ycroient plus»,d’autres sont dans des situationsde plus en plus dures, comme les jeunesmigrants sans papiers ou les jeunes à la rue.Nous constatons une évolution de nos missions.Les financeurs nous demandent d’afficher desrésultats quantitatifs de sortie de dispositifs versl’emploi (PLIE, Civis…). Cette attente est légi-time.Mais attention de ne pas nous demanderde ne «faire que du chiffre», au détriment del’accompagnement ! Nous avons des inquiétu-des sur la mise en œuvre des contrats d’autono-

mie annoncés dans le cadre du plan «Espoirbanlieues» au printemps 2008.Trouver du travailen six mois, cela marche pour certains jeunesmais pas pour tous.Nous craignons les risquesde concurrence entre les dispositifs – Civis etcontrat d’autonomie notamment – et entre lesinstitutions. On a parfois l’impression que leséchelons supérieurs ne s’appuient pas suffisam-ment sur notre connaissance du terrain.Quand,par exemple,des maisons de l’emploi de Seine-Saint-Denis recrutent un développeur d’appren-tissage,ne faudrait-il pas qu’elles consultent lesmissions locales qui ont déjà créé des postes dece type? Il faudrait davantage de concertation,car il y a un énorme travail pour convaincre lesentreprises d’embaucher des jeunes venant desquartiers difficiles…

Notre structure a développé depuis 2002 desactions de mobilité internationale : départs auBrésil,en Irlande,en Grande-Bretagne… Le faitque la Région Île-de-France ait reconnu la mobi-lité internationale comme vecteur d’insertionsociale et professionnelle a été pour nous unereconnaissance du travail en cours. Il y a aussides domaines que nous négligeons trop enFrance et qu’il faudrait développer. C’est le caspar exemple des actions en faveur des loisirs(sport,culture…).Pour nous,le bien-être et l’es-time de soi favorisent la réussite des jeunes etune insertion dite durable.

Propos recueillis par Brigitte Guigou,

Matthias Kaldi et Laure Thévenot

(1) Agence nationale pour la rénovation urbaine.

Une partie de l’activité de la mission intercommunale pour l’insertion des jeunes contribueau développement local duterritoire. L’objectif est de valoriserles compétences locales et d’infléchir l’offre de formation.

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Les Cahiers – Quelles sont les orientationset le fonctionnement du programme deréussite éducative d’Évry ?Véronique Hollebecque – La ville s’est engagéedans le programme de réussite éducative en2005.Le projet a été élaboré en étroite collabo-ration avec l’inspection académique de l’Es-sonne.Notre objectif est de prévenir les ruptu-res éducatives et de remédier aux situationsd’enfants et d’adolescents en difficultés d’ap-prentissage ou de socialisation,qu’ils soient ounon scolarisés dans des écoles ou collèges clas-sés «éducation prioritaire».Le programme utilise le scolaire comme une«porte d’entrée» pour identifier et traiter l’en-semble des difficultés des enfants : affectives,familiales, de santé, de logement, de déplace-ment… Nous pensons qu’un accompagnementdes enfants hors temps scolaire permet un réin-vestissement de leur part sur le temps scolaire.L’enjeu du PRE est de mettre en place un parte-nariat élargi pour construire,pour et avec cha-que enfant et sa famille,un parcours de réussiteéducative. On travaille en partenariat avec ungrand nombre d’acteurs: les établissements sco-laires, l’inspection académique de l’Essonne,les services sociaux du département, les servi-ces municipaux, la protection judiciaire de lajeunesse,le centre médico-psychologique,l’as-sociation de prévention spécialisée… Concrè-tement, notre équipe compte huit personnes.Chaque enfant est suivi par un «référent par-cours». Il contribue à la mise en place du par-cours réussite de l’enfant, fait le lien entre lesacteurs et s’assure du bon déroulement et dusuivi du parcours.

L. C. – Comment repérez-vous les enfantsen fragilité ?V. H. – Ce sont les acteurs de terrain,essentiel-lement les enseignants ou les personnels viescolaire (dans les collèges), qui repèrent lesenfants en situation de fragilité.Mais cette notionest difficile à définir.Pour trouver des réponsescollectives aux cas les plus complexes, nousavons mis en place une «cellule d’évaluationdes situations» qui réunit mensuellement desprofessionnels de différents horizons.Nous nousappuyons aussi sur des outils qui facilitent lacirculation et le traitement des informations :nous avons mis en place une fiche de liaison,remplie par celui qui identifie l’enfant.Jean-Luc Coll – Cette fiche permet d’étendre lerepérage à de nouveaux acteurs, notammentles maisons de quartier.Du coup,on identifie de

plus en plus de situations et on reçoit un publicde plus en plus nombreux.On a beaucoup plusd’entrées dans le dispositif que de sorties.

L. C. – Au-delà du repérage, commenttravaillez-vous avec vos partenaires ?J.-L. C. – On est très attentif à ne pas se substi-tuer aux autres acteurs, particulièrement auxenseignants ou aux professionnels des servicessociaux. Il est très clair que notre objectif n’estpas de faire l’école après l’école.Nous visons lacomplémentarité.Pour cela,on essaie au maxi-mum d’associer les enseignants et tous les par-tenaires,de travailler en équipe,de faire du lien.Dès le départ,nous avons demandé aux parte-naires quels étaient leurs besoins, ce que l’onpouvait apporter.Finalement,notre rôle est beau-coup dans l’organisation,l’apport méthodologi-que.Notre mission est de repérer les manqueset de construire, à partir de l’existant, un par-cours de réussite.Au-delà de l’action en direction du public jeune,l’objectif est de travailler et de dialoguer avecles familles et de tenter d’améliorer leur situa-tion. Ce sont les parents qui décident en der-nier recours si l’enfant intègre le programme.

L. C. – Quelles actions mettez-vous en place pour accompagner les enfants ?V. H. – Nous avons trois grands volets d’action,auxquels s’ajoute, en parallèle, une réflexiontransversale sur les questions de soutien à laparentalité.L’action éducative expérimentale constituenotre premier volet d’action.Elle est destinée àdes enfants de 6-8 ans confrontés à des situa-tions individuelles difficiles (histoires familiales,cumul de handicaps sociaux,difficultés scolai-res…). Dix-sept enfants sont actuellementaccueillis par cinq adultes, tous les soirs aprèsla classe, les mercredis et pendant les vacan-ces scolaires, dans un lieu dédié dans le quar-tier des Pyramides(1). L’action s’articule autourde trois axes :un projet individuel pour chaqueenfant,des ateliers éducatifs collectifs,le soutienà la parentalité. Le suivi dure en général plusd’un an. Une palette d’activités est proposéeaux enfants et à leur famille :atelier cuisine,artthérapie, stages sportifs ou de préparation derentrée scolaire, projet d’éducation à la santé,sorties familiales… L’objectif est l’épanouisse-

Véronique Hollebecque est chefde projet dans le service delutte contre les ruptureséducatives et Jean-Luc Collassure la coordination deséquipes pluridisciplinaires.Le programme de réussiteéducative (PRE) de la communed’Évry (91) a été lancé en 2005à la suite de la loi de programmation pour la cohésion sociale. Il apour objectif d’accompagner,de la maternelle jusqu’au termede leur scolarité, des enfants et adolescents qui présententdes signes de fragilité.L’originalité du programme est de permettre la mise en place d’un suivi individualisétenant compte de la globalitéde l’environnement de l’enfant.En janvier 2008, 113 projets de réussite éducative ont étérecensés en Île-de-France pourun budget total de 26 millionsd’euros, soit une moyenne de 230 000 euros par projet.Cette même année,le PRE d’Évry a accueilli371 jeunes (74 % de garçons et 26 % de filles) scolarisésdans certaines des trente-neufécoles maternelles etélémentaires et dans les cinqcollèges publics d’Évry.

Interview Le programme de réussite éducative :un travail partenarial

(1) Le quartier des Pyramides est situé en zone urbaine sen-sible et en zone franche urbaine.En 1999,il comptait 9418 habi-tants, soit 20 % de la population d’Évry et un taux de chô-mage de 19 %.

ment personnel, social et culturel de l’enfant.Cette action représente une part importante denotre budget.Il a aussi fallu beaucoup de tempspour la mettre en place.Un deuxième volet d’action cible les collégiensnon affectés à la sortie de troisième et ceuxexclus par le conseil de discipline ou à risqued’exclusion. Les premiers sont accompagnésdans leurs démarches et dans leur projet de for-mation,pour ne pas rester sans solution en sep-tembre.Pour les collégiens à «risque» de conseilde discipline,le travail en amont avecles collèges permet quelquefois d’évi-ter l’exclusion définitive.Quand celle-ci est effective,un travail sur la réaffec-tation se met en place.Le troisième volet d’action du PREd’Évry concerne toutes les autressituations individuelles pour lesquel-les nous développons avec l’enfantet ses parents,et en lien avec les autres acteurséducatifs identifiés,un travail personnalisé surdes objectifs individuels. Les demandes peu-vent être liées à des problématiques scolaires,des difficultés de comportement et de sociali-sation, de maîtrise de la langue, de prise encharge pour l’accompagnement chez un spécia-liste. Dans certains cas, un accompagnateurvacataire intervient, au domicile ou dans unlieu tiers, deux à six heures par semaine. Dansd’autres, ce sont des étudiants bénévoles del’Association de la fondation des étudiants pourla ville (Afev) qui interviennent.Nous avons également un «atelier méthodolo-gie» au sein d’un collège où sept accompagna-teurs suivent vingt-deux élèves de sixième, àpartir d’objectifs de travail définis pour chaqueenfant. Attention, ce n’est pas de l’étude : lesjeunes n’y vont pas pour faire leurs devoirs,même s’ils peuvent bénéficier d’une aide.C’estce qu’il faut bien expliquer aux parents, auxélèves et même à certains enseignants quicroient trop souvent que le soutien scolaire estl’unique solution aux difficultés.

J.-L. C. – Nous avons aussi une action en parte-nariat avec un autre collège pour aider des col-légiens de quatrième et de troisième dans leurrecherche de stage de découverte des métiers.Là encore, c’est une action qui a mobilisé denombreuses ressources.Au final,plus de vingt-cinq professionnels sont intervenus. Le bilanest positif,car ces stages,organisés dans les ser-vices municipaux, ont aidé des jeunes àconstruire leur projet personnel.On a par exem-ple le cas d’une jeune fille qui,à la suite de sonstage, a décidé de faire un BEP secrétariat oucomptabilité. Pour préparer cette formation etcombler ses lacunes en français, elle s’est ins-crite à l’étude du collège.

V. H. – Dans toutes nos actions,y compris dansles actions collectives,ce qui prime,c’est l’atten-tion particulière portée au jeune.

L. C. – Quel est, de votre point de vue,l’apport de la démarche du programmede réussite éducative?V. H. – Une démarche d’évaluation, initiée parle préfet à l’égalité des chances de l’Essonne,esten cours.Parmi les principaux acquis,il y a l’ap-prentissage du travail partenarial.Au début,les

gens ne se connaissaient pas.Les enseignants,notamment,étaient très isolés.Aujourd’hui, lesdifférents acteurs ont appris à se connaître, àtravailler ensemble,à mieux utiliser les ressour-ces locales,qui sont nombreuses à Évry.Du côtédes enfants et des familles, on constate aussides avancées,par exemple des parents qui pren-nent seuls l’initiative d’envoyer leurs enfants encolonie,des enfants qui participent à la classe,qui bénéficient de soins médicaux… Une desdifficultés est que nous sommes encore tropsouvent sollicités en dernier recours,par exem-ple lors d’une exclusion d’un collégien. Nousdevons apprendre à anticiper.

Propos recueillis par Corinne de Berny, Brigitte Guigou et Matthias Kaldi

Le programme de réussite éducativepermet, dans une démarchepartenariale, d’effectuer avec l’enfant un travail personnalisésur des objectifs individuels.

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»L’originalité du programme repose sur la mise en place d’un suiviindividualisé tenant compte de la globalité de l’environnement de l’enfant. Notre mission est de repérer les manques et de construire un parcours de réussite. L’objectif est l’épanouissement personnel, social et culturel de l’enfant, qu’il soit ou non scolarisé dans des écoles ou collèges classés »éducation prioritaire.«

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Les Cahiers – Pouvez-vous nous rappelerle contexte dans lequel sont nées les plates-formes pour l’emploi pérenne?Ariane Magnier – La première charte date dejuillet 2004. Elle est née de réflexions menéesavec la commune de Montereau et la commu-nauté de communes des deux Fleuves autourdu premier projet Anru(2) de Seine-et-Marne.Ona utilisé les clauses d’insertion introduites dansles marchés publics comme un levier pourrépondre à nos difficultés de recrutement. Aulieu de proposer un travail précaire lié à unmarché donné,nous avons réfléchi à un dispo-sitif durable et global, qui puisse assurer unemploi pérenne,en CDI,assujetti à une forma-tion pour les publics non qualifiés.

L. C. – Comment fonctionnent ces plates-formes?A. M. – Nous ne travaillons pas marché par mar-ché, nous capitalisons les actions d’insertiondes entreprises de TP répondant aux clausessociales à l’échelle du département,voire d’unbassin d’emploi. Les marchés publics consti-tuent 70 % à 80 % de l’activité dans les travauxpublics.Travailler aucoup par coup estingérable. À chaquemarché conclu, ilfaudrait trouver,embaucher ponc-tuellement un oudeux travailleurs, lesformer aux métiers et aux risques des chan-tiers, puis les intégrer dans une équipe, et toutceci dans des temps extrêmement courts. LaCSTP 77 a décidé de travailler en amont. Ellecentralise les besoins en main-d’œuvre desentreprises et procède,parallèlement,à un pre-mier repérage des publics éligibles au plan decohésion sociale avec l’aide des acteurs pourl’emploi.Les recrutements sont faits conjointe-ment avec les entreprises et les prescripteurs.Ilssont suivis d’une période de validation du pro-jet professionnel en entreprise (évaluation enmilieu de travail,stage de découverte en entre-prise…),puis confirmés par un contrat à duréeindéterminée ou contrat de professionnalisa-tion. Ils sont complétés par une formation dequatre mois.Ces formations sont délocalisées aupied des quartiers sensibles.Comme la Seine-et-Marne est étendue, trois plates-formes de for-mation ont été mises en place,à Meaux,à Sénartet à Montereau-Fault-Yonne.Dans ce système,lesentreprises qui embauchent vont au-delà du

simple respect de la clause sociale qui les lie.C’est tout au bénéfice du travailleur, qui peutainsi faire un vrai parcours de formation et d’in-sertion,et à celui des entreprises confrontées àdes difficultés de recrutement.

L. C. – Comment sont repérés les publics ? Qui profite de vos plates-formes?A. M. – C’est tout le dispositif d’insertion, ausens le plus large, qui est mobilisé : ANPE, mis-sions locales,conseillers des plans locaux pourl’insertion et l’emploi,des alliances villes emploi,éducateurs sociaux,associations de quartiers…La majorité des personnes n’ont pas de statutparticulier et ne sont inscrites nulle part,notam-ment les jeunes.Certains viennent par le boucheà oreille,par les gamins du quartier.Seulementvingt RMistes ont profité du dispositif. Lesconseils généraux peinent à nous communi-quer des noms. Nos plus grands prescripteurssont les missions locales et les plans locauxpour l’insertion et l’emploi.Le taux de chômageest faible dans le département (moins de 6 %)et, en dépit de notre aide pour cibler des chô-

meurs susceptibles detravailler dans les TP,l’ANPE oriente peu decandidats vers nous. Laplupart des gens que l’onrecrute sont de niveauV(3) ou sans qualification.

L. C. – Comment sont organisées lesactions de formation? qui les financent ?A. M. – La formation est financée par les entre-prises sur leurs fonds de formation. On utiliseaussi des fonds d’État pour le développementde l’emploi et des compétences.En raison de latechnicité des neuf métiers identifiés dans lesentreprises de TP,la CSTP 77 a conçu un référen-tiel spécifique de formation, construit avec leconcours des entreprises, pour le métier de«maçon VRD(4)».Cette formation permet d’entrerdans n’importe quelle spécialité,à charge pourl’entreprise de la compléter en fonction desparticularités de son activité (assainissement,voirie…). Jusqu’à présent, treize sessions demaçons ont été mises sur pieds,une formationde conducteurs d’engin et aussi une formation,à caractère expérimental,de futurs encadrants

Plate-forme pour l’emploi : les entreprises se mobilisent

(1) www.cstp77.fr(2) Agence nationale pour la rénovation urbaine.(3) Niveau certificat d’aptitude professionnelle ou brevetd’études professionnelles.(4) Voirie, réseaux,divers.

»Au lieu de proposer un travailprécaire lié à un marché donné, nous avons réfléchi à un dispositifdurable et global, qui puisse assurerun emploi pérenne.«

Ariane Magnier est directrice de la Chambre syndicale des travaux publics (TP) de Seine-et-Marne (CSTP 77) et du Syndicat des TP del’Essonne (STP 91). La CSTP 77a mis en place une plate-forme pour l’emploi pérenne dans les travaux publics,dont la formule a été déclinée en Seine-et-Marne et dans l’Essonne. Elle se mobilise avec les entreprises pour l’emploi et l’insertion. Elle parie sur l’insertion durablepour aider les entreprises de TPà résoudre leurs problèmes de recrutement, en s’appuyantsur les clauses sociales des marchés publics(1).

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en raison du vieillissement du personnel d’en-cadrement. Pour cela, on a sélectionné despublics niveau bac + 2 minimum, éligibles auplan de cohésion sociale dans les zones urbai-nes sensibles. Cette formation se fait par éta-pes.Ces publics sont d’abord formés au métierde base des maçons, puis ils passent en entre-prise pendant six mois, voire un an. Si tout sepasse bien, ils suivent ensuite une formation«chef d’équipe».

L. C. – Quel bilan tirez-vous de ce dispositif en matière d’insertion et de recrutement pour les entreprises ?A. M. – Un bilan très positif en matière d’inser-tion.En Seine-et-Marne,110 personnes ont béné-ficié du dispositif en deux ans et demi. 80 %des personnes ont été réinsérées, 50 % dansl’entreprise de TP d’origine, environ 15 % despersonnes sont en évolution de carrière en tantque chefs d’équipe ou de chantiers et 30 % sonttoujours en emploi,mais dans une autre entre-prise.Toutefois,20 % des gens ont décroché.Je pense qu’une bonne moitié des défectionsest liée à des difficultés personnelles,sans rap-port à l’emploi,et pourrait être résolue grâce àun meilleur suivi par les prescripteurs. Nouscherchons actuellement à renforcer l’accom-pagnement du public en collaboration avec lesprescripteurs,ainsi que le tutorat en entreprise,et travaillons sur un livret de suivi pour chaquepersonne.Côté entreprises, le bilan est positif, mais lerythme est insuffisant pour répondre auxbesoins de recrutement.Vu l’éloignement dupublic de l’emploi,et la difficulté à le mobiliser,il faut environ un an pour intégrer une per-sonne.

L. C. – Quels sont les points forts de ce dispositif ?A. M. – Le travail collectif en partenariat et le dia-logue. Nous travaillons étroitement avec les

acteurs locaux,et ce,de longue date.Par exem-ple, le groupe «Ensemble 77», qui rassemblel’Union des maires, le conseil général, la direc-tion départementale de l’Équipement,la direc-tion départementale de l’Agriculture et de laForêt, le conseil d’architecture,d’urbanisme etd’environnement, les villes nouvelles, Électri-cité réseau de France et Gaz réseau de France,France Télécom, a été mis en place il y a qua-torze ans.Un groupe «Ensemble 91» a de mêmeété créé il y a quatre ans.L’idée était de réfléchiret construire ensemble des réponses aux atten-tes et besoins des uns et des autres, sur lescontraintes environnementales, la gestion desrisques,la sécurité,la coordination des travauxou encore les dispositifs d’emploi. Quel quesoit le sujet, notre objectif est de trouver dessolutions communes.Cette habitude de travail-ler ensemble a grandement facilité la mise enplace des plates-formes. Entreprises et acteurspour l’emploi ont appris à se connaître et àdépasser leurs stéréotypes.Ils recrutent ensem-ble.La CSTP 77 joue sur la transparence.Seulel’intelligence collective peut faire fonctionnerles divers dispositifs d’insertion mis en place,pour les ajuster à la réalité du terrain.Notre tra-vail de suivi permet d’évaluer la qualité des dif-férents dispositifs.Certains sont inutilisables oupeu orientés vers l’intérêt de l’individu,qui estd’entrer dans le système économique. Il fautêtre crédibles.Et pour cela,la CSTP 77 proposeun CDI, à 100 % du SMIC, quel que soit l’âge,avec des indemnités de déplacement et derepas en sus.Nous couvrons 95 % des entreprises de TP dudépartement.C’est le plus fort taux de syndica-lisation de France.Nos cotisations sont aussi lesplus élevées et nous bénéficions de subven-tions d’État.Mais quand on est dans la réflexionconcrète,on a des adhérents et des moyens.

Propos recueillis par Mariette Sagotet Laure Thévenot

Un jeune en train de monter une cunette assainissement hors soldans le cadre de la formation«maçon VRD».CS

TP77

• »Notre formateur est excellent. Il nousapprend tout ce qu’on veut. D’abord, sur le papier et, si on ne comprend pas, il nousexplique à nouveau. Ensuite, on va sur le terrain et, là, tout le monde comprend.«

• »J’ai appris les bases, tout ce qui est pavage,dallage, pose de bordures, de caniveaux, deschoses que je ne fais pas forcément dans monentreprise, puisque nous sommes spécialisésdans l’assainissement et tout ce qui est déposede canalisations. Mais ce sont des techniquesque j’essaye d’assimiler et qui pourrontéventuellement me servir un jour. J’ai aussi

appris à conduire le chargeur, une machineque j’appréhendais. Petit à petit, on commence à nous apprendre à manier les engins. On prend un peu plusd’assurance. On sait, que tôt ou tard, quandon retournera au boulot, on aura besoin denous. On va nous laisser prendre un peu plusde responsabilités, grâce à cette formation.«

• »Ici, j’ai appris à faire du coffrage, à fairedes regards en béton, à tirer des chapes, du béton lavé, à faire un peu d’enrobé. Ça m’apporte un plus en entreprise, car après je peux me débrouiller tout seul.«

AgirLes Cahiers n° 148

Le développement local face aux inégalités de richesse

Plate-forme emploi de la CSTP 77 :regards croisés de salariés en formation

64

Ces témoignages sont issus d’un Cédérom réalisé

avec le concours des bénéficiairesde la plate-forme pour l’emploi,promotion 2007. L’objectif était

d’identifier la manière dont la formation avait été vécue,et les améliorations susceptiblesd’être apportées en partenariat.

Ce cédérom, visualisé par différentsgroupes d’acteurs (entreprises,financeurs, direction du travail,de l’emploi et de la formation

professionnelle, maisons de l’emploi, prescripteurs…)

a permis de travailler à l’amélioration de la démarche. Trois préconisations sur l’amont

et l’aval se sont dégagées : il s’agissait de trouver

les moyens de mobiliser les publics, de les préparer au monde des entreprises

et de faciliter leur maintien dans un emploi.

Cette expérience a eu un impactdynamisant pour nombre

de structures locales telles que les maisons

de l’emploi et sur le regard et l’implication des entreprises.

Témoignages

La formation

Les stages

L’entreprise

• »J’ai eu des moments où je me demandais ce que je faisais là, pas à cause de la duretédu travail, mais du relationnel avec lesautres. Souvent vous travaillez avec des gensqui ont quarante ans de métier, à qui, vous,vous n’avez rien à apprendre, mais qui euxont tout à vous apprendre. Donc, il faut sansarrêt aller vers eux, il ne faut pas les lâcher,leur demander ce qu’il faut faire, commenton le fait.«

• »On ne nous dit pas tout de suite : »Tiens,tu vas poser un regard. Tu vas poser un tampon«. Non. Pendant quelques jours, tu vas pousser la brouette, tu vas nettoyer à droite à gauche, tu vas creuser une tranchée.«

• »Je m’attendais à quelque chose debeaucoup plus physique que ça. On est assistépar les machines. C’est beaucoup plusréglementé que le bâtiment. On ne peut pasporter certains poids. S’il y a des bordures, il faut prendre les pinces. On a l’équipementadéquat à chaque fois. Donc, même unepersonne qui n’aime pas spécialement le travail physique peut faire les travauxpublics sans problèmes.«

• »La première fois que je suis retourné enentreprise, après la plate-forme, j’ai vu qu’onme faisait faire plus de travaux qu’avant,autre chose que de la manutention et du nettoyage. On a voulu mettre mes acquis à l’essai. Ça nous permet aussi de connaîtretoutes nos capacités, sans la présence duformateur, sans nos camarades de formation,de savoir comment on s’adapte à l’équipe ou comment on s’adapte au chantier réel.C’est une bonne plate-forme pour démarrerune carrière professionnelle.«

• »J’ai touché le RMI trois, quatre moismaximum. Je n’aime pas rester sans rienfaire et toucher le RMI ça ne me convenaitpas. C’était un revenu trop bas. L’agent duRMI, qui l’avait bien compris, m’a proposéplusieurs offres, dans le commerce. Mais j’enavais assez du commerce. J’avais fait un petitpeu de bâtiment avant et ça me plaisait. Je lui en ai parlé. Elle m’a dirigé vers cetteformation. Dans ma formation, il n’y en aqu’un seul qui n’a pas été CDIsé. Les travaux publics, ça paye bien. C’est uninvestissement de temps. Pendant un mois et demi, on ne gagne rien, mais c’est pourgagner plus par la suite, avoir un CDI, donc une certaine sécurité de l’emploi,pouvoir penser un petit peu à l’avenir.«

• »Je courais un peu partout pour trouver ce que je voulais. J’ai trouvé mieux que ce queje voulais. Maintenant, je suis en CDI. À 18 ans, sans avoir jamais travaillé, et seretrouver directement en CDI, c’est parfait.«

CSTP

77

Anticiper

65

Anticiper l’avenir pour mieux adapter les politiques de solidarité. Tel semble être le choix fait par l’Europe,qui mise sur la compétitivité des territoires, l’innovation et la cohésion sociale pour réduire les écarts de richesseentre régions et assurer la place de l’Europe dans le monde.Ce faisant, elle abandonne les politiques de zonage tropciblées pour œuvrer au développement durable deterritoires plus vastes et laisse aux États et Régions le choixdes interventions urbaines.Prendre en compte les spécificités de chaque territoire,miser sur les interdépendances pour assurer undéveloppement cohérent de l’ensemble, tel est le défi que doivent relever les Régions. La solidarité régionale ne peut se limiter à une nécessaire redistribution monétairevia les mécanismes de péréquation ou les contratsrégionaux. Elle doit dépasser les logiques distributives en matière d’équipements, de services et d’emploi, au nomd’un idéal d’équilibre territorial qui apparaît à bien deségards discutable et contre-productif du point de vuesocial, économique et environnemental. Son enjeu centralest la mise en perspective des interdépendances entre les territoires pour accorder l’échelle de l’intérêtgénéral à celle des autorités territoriales.Chaque territoire doit trouver sa place, et la culture dans sa diversité devrait être davantage mobilisée pour définir l’image des territoires, non seulement celle des villes-centres mais aussi des banlieues, des espacespériurbains et ruraux.

Historiquement,les régions n’ont pas defonction redistributive,ni entre les per-sonnes, ni entre les territoires. Cepen-

dant,il est difficile,pour des raisons politiques,de ne pas afficher la volonté de rééquilibrer etde «donner plus à ceux qui ont moins». Plu-sieurs régions ont donc conçu des «politiquesterritoriales»,fondées sur des contrats,qui s’ali-mentent à un guichet, lui-même formaté selonune batterie de critères qui intègrent cettedimension redistributive. Ainsi, la Région Bre-tagne a conçu un programme contractuel,quise poursuit depuis trois mandats,et s’est affinépeu à peu. Il consiste en un droit de tirageréservé aux pays selon une clé de répartition quicombine le revenu médian par habitant et l’ef-fort fiscal(1).La Région Auvergne inclut la propor-tion de personnes bénéficiaires de la couverturemaladie universelle (CMU) dans le formatage deses enveloppes contractuelles destinées auxdifférents «territoires de projet» (intercommuna-lités, pays, parcs naturels régionaux…). D’au-tres régions,comme Paca,s’interrogent sur l’in-troduction de critères sociaux dans sesenveloppes destinées aux territoires.Cependant, s’il s’agit là d’un point de passageobligé de l’affichage politique,ce n’est pas dansce domaine que, à notre sens, les régions peu-vent être les plus efficaces s’agissant de la soli-darité territoriale.D’abord parce que la solidarité redistributiveentre territoires est une affaire complexe, quipose au bout du compte de nombreux problè-mes politiques et surtout techniques.

Ensuite parce que la solidarité territoriale nese réduit pas à la seule distribution monétaire.C’est sans doute dans le dépassement d’uneacception trop étroite de la solidarité que lesrégions peuvent trouver leur pleine efficacité.

Faut-il redistribuer les ressources entre les territoires ?

Qu’est-ce qu’un territoire riche ?Il est difficile d’utiliser le terme territoire demanière générique.Si l’on s’en tient à une défi-nition stricte (un espace disposant d’une insti-tution politique ou administrative), ce termerecouvre une classe d’objets hétérogènes:com-munes,intercommunalités,pays,autres établis-sements de coopération, etc. En eux-mêmes,ces objets sont extrêmement divers,d’où les dif-ficultés de comparaison.Pourtant,dans la perspective qui s’est imposéedepuis la décentralisation et particulièrementdepuis la fin des années 1990, un territoire envaut nécessairement un autre dès lors que l’onparle de solidarité et de développement régio-nal.D’où une tentation permanente,alimentéepar les revendications venues du terrain, demesurer les inégalités territoriales, autrementdit,de regarder l’état des stocks (nombre d’ha-bitants, niveau de revenu, nombre d’emplois,fiscalité locale) et de les comparer entre les ter-ritoires d’une même région.

AnticiperLes Cahiers n° 148

Les solidarités territoriales

Les régions doivent-elless’occuper de solidarité ?

Plusieurs régions ont conçu des «politiques territoriales»,fondées sur des contrats,pour «donner plus à ceux qui ont moins». Mais c’est sansdoute dans le dépassement d’une acception trop étroite de la solidarité que les régionspeuvent trouver leur pleineefficacité.

Philippe EstèbeCoopérative Acadie

Depuis une vingtaine d’années,la solidarité régionale rime avec «redistribution monétaire». N’est-il pas temps de sortir d’une logique de redistribution pour mettre en perspective les interdépendances territoriales et relever le défi de la mise en cohérence des choix de développement ?

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(1) C’est-à-dire la différence entre le potentiel fiscal et le pro-duit effectif des quatre taxes.

J.-F.

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Cette opération peut se révéler particulièrementproblématique, car elle dépend évidemmentdes indicateurs retenus,et de l’échelle à laquelleon les utilise.S’agissant des indicateurs,selon que l’on privi-légie le revenu des habitants ou la fiscalité ter-ritoriale,on aboutira à des résultats parfois diver-gents.On a pu montrer(2) que la richesse fiscaleterritoriale ne coïncidait pas toujours avec larichesse sociale,et que,dans de nombreux cas,la taxe professionnelle tendait plutôt à corrigerles inégalités sociales.Autrement dit,à l’échelonrégional,comme à l’échelon national,des com-munes dont les habitants ont des revenus infé-rieurs à la médiane peuvent disposer de basede taxe professionnelle supérieures à lamoyenne régionale. Ainsi,ironiquement,la taxeprofessionnelle peut être un impôt injuste dupoint de vue territorial et juste du point de vuesocial.Dès lors,la redistribution,qu’elle soit horizontaleou verticale(3),entre collectivités suppose la miseen œuvre de mécanismes complexes, eux-mêmes fondés sur des indices composites.Lesprélèvements du fonds de solidarité de la régionÎle-de-France (FSRIF) illustrent cette complexité.Le premier prélèvement se fait sur les commu-nes dont le potentiel fiscal est supérieur à 1,25fois la moyenne du potentiel fiscal d’Île-de-France ; le deuxième prélèvement se fait sur lescommunes dont les bases nettes de taxe profes-sionnelle sont supérieures à trois fois lamoyenne de la France entière.Ces deux prélè-vements sont par ailleurs plafonnés entre 5 % et10 % des dépenses de fonctionnement de lacommune. La répartition des sommes collec-tées se fonde sur un indice synthétique de res-sources et de charges, lui aussi composite : ilagrège le potentiel fiscal par habitant de la com-mune, la part de logements sociaux, la part debénéficiaires d’aides au logement dans la popu-lation de la commune et l’impôt sur le revenupar habitant !

La redistribution est-elle efficace ?Au-delà des principes généraux, sur lesquelschacun peut s’accorder,la redistribution finan-cière entre territoires se heurte à l’extrême sen-sibilité des dispositifs aux critères qui les fon-dent.Le fonds de solidarité de la région Île-de-France(FSRIF) illustre parfaitement cette hypersensi-bilité des systèmes de péréquation. Il organisedeux prélèvements sur les communes les plusriches, l’un calé sur le potentiel fiscal et l’autresur la taxe professionnelle.Ce fonds évolue demanière incertaine et tend,avec le temps,à per-dre son pouvoir péréquateur.Une première éro-sion a eu lieu au début des années 2000, avecla suppression de la part salaire de la taxe pro-

fessionnelle, qui a très fortement diminué leprélèvement sur les communes «riches»,dans lamesure où la compensation apportée par l’Étatn’entrait pas en ligne de compte dans le calculdu prélèvement alimentant le FSRIF. Unedeuxième érosion,plus importante encore,esten cours, dans la mesure où les communesappartenant à une intercommunalité à taxe pro-fessionnelle unique sont dispensées d’alimen-ter le deuxième prélèvement du FSRIF.La solidarité de proximité qui se crée au sein descommunautés d’agglomération,grâce à la taxeprofessionnelle unique, n’est pas non plusexempte de problèmes et de difficultés.Ainsi,dans ce type d’intercommunalité,il arrive (plussouvent en province qu’en Île-de-France) que laou les communes pourvoyeuses de taxe pro-fessionnelle soient aussi celles qui abritent leplus de logements sociaux, et les ménages lesplus pauvres. La taxe professionnelle permetde financer des équipements et des servicesqui bénéficient à l’ensemble des communes: lasolidarité territoriale peut donc fonctionner àrebours de la solidarité sociale, dès lors quel’argent circule des communes riches (avecpauvres) vers les communes pauvres (avecriches) !

Les régions doivent-elles participer à la redistribution financière ?Pour conclure provisoirement ce point, nousdirons qu’il est à la fois nécessaire et très com-plexe de concevoir des mécanismes efficacesde solidarité financière entre territoires. L’es-

67

La richesse fiscale territoriale ne coïncide pas toujours avec la richesse sociale. Dans certains cas, la taxeprofessionnelle tend à corriger les inégalités sociales.

M.-A

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(2) Par exemple, ROUSSEAU, Marie-Paule, DAVEZIES Laurent etNICOT Bernard-Henri, Fiscalité territoriale, rapport à la direc-tion générale des Collectivités locales, juillet 2004.(3) Par redistribution horizontale, il faut entendre les dispo-sitifs de péréquation qui, à l’intérieur d’une même région,prélèvent sur les communes «riches» pour verser aux commu-nes «pauvres».

pace régional constitue sans doute l’échelle àlaquelle on peut, à l’instar du FSRIF, concevoirde tels mécanismes(4). Mais l’efficacité de cesmécanismes repose sur la dimension horizon-tale, c’est-à-dire le transfert direct depuis lescommunes considérées comme «riches»,vers lescommunes considérées comme «pauvres».Tout autres sont les politiques régionales qui,vialeurs différents régimes contractuels avec lesterritoires, entendent assurer, sinon une redis-tribution, du moins une «discrimination posi-tive». Il est facile d’ouvrir des guichets contrac-tuels fondés sur un ensemble de critèresdiscriminants, mais on sait bien que les som-mes distribuées via ce type de contrat sont déri-soires par rapport aux enjeux réels de solidaritéfiscale entre les territoires.De fait,la plupart dutemps, aussi bien en Île-de-France avec lescontrats régionaux que dans d’autres régions,les enveloppes contractuelles apportées par larégion sont en pratique destinées aux petitescommunes et aux communautés de commu-nes rurales.Il s’agit d’un guichet quasiment auto-matique,qui apporte,de manière relativementaveugle, une aide à l’investissement. On peutparler de solidarité dans ce cadre;on peut aussiparler du soutien ordinaire aux responsabilitéscommunales ou intercommunales (rénovationet agrandissement des écoles, création d’unesalle polyvalente,réfection de l’église,créationd’un terrain de jeu, ouverture d’une halte-garderie,etc.).Les sommes distribuées ont un impact impor-tant dans les petites communes ou les inter-communalités rurales. Mais elles restent déri-soires au regard des différences de moyens, etsurtout d’enjeux entre les territoires. Ce n’estdonc pas via les politiques contractuelles (àmoins d’y engager la totalité du budget régional,ce qui paraît non seulement utopique, mais

encore peu souhaitable) que les régions peu-vent valablement engager une politique de soli-darité territoriale.

Donner à voir les solidarités inter-territoiresIl convient donc que les régions s’extraientd’une lecture trop monétaire et fiscale de lasolidarité territoriale,pour s’emparer d’une autreacception de la solidarité,fondée sur l’interdé-pendance.Émile Durkheim définit la solidaritéorganique comme étant caractéristique dessociétés industrielles développées,du fait de la«division du travail social» : la spécialisation desindividus fonde une interdépendance grandis-sante.C’est parce qu’il y a échange qu’il y a soli-darité.Ce qui est vrai des individus l’est aussi desterritoires : la mobilité des facteurs de produc-tion et des ménages induit une spécialisationcroissante des territoires.Les composantes ter-ritoriales d’une même région tendent à poursui-vre des trajectoires de plus en plus différen-ciées, en se spécialisant dans des fonctionsproductives,des fonctions résidentielles ou desfonctions récréatives.Cette spécialisation est laconséquence d’une interdépendance accrue :c’est bien parce que les ménages,en déména-geant,aménagent les territoires que ceux-ci setrouvent conduits par des logiques de spéciali-sation.Comment,dans une telle évolution,fon-der des politiques de solidarité ?

Interdépendances et autonomies territorialesLa décentralisation en cascade,fondée sur l’au-tonomie «équivalente» des différents échelons,peut faire illusion : si je ne perçois pas les liensd’interdépendance qui m’attachent aux autresterritoires, je peux penser ma spécialisationcomme un handicap – trop de tourisme et pasassez de résidents permanents,trop d’industrieet pas assez de commerce,trop d’habitat et pasassez d’activité.La lecture fragmentée des dynamiques territo-riales induite par l’autonomie territoriale peutentraîner des conflits d’échelle permanents.L’absence de compréhension des solidaritésinterterritoriales peut conduire,et conduit sou-vent, au nom de la poursuite d’un bien com-mun local,à porter atteinte à un bien commund’échelle supérieure.Ici intervient une discussion qui n’est pas quephilosophique : peut-on accorder l’échelle del’intérêt général sur celle des autorités territoria-les ? Autrement dit, le bien commun régionalest-il, par nature, supérieur à celui de chaquepays, de chaque intercommunalité, voire dechaque commune? Et par dessus tout,faudrait-

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Les régions doivent-elles s’occuper de solidarité ?

En Île-de-France, les sommesdistribuées via les contratsrégionaux ont un impact importantdans les petites communes ou les intercommunalités rurales.

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F. Du

geny

/IAU

îdF

(4) Encore qu’il existe des fonds départementaux de péréqua-tion de la taxe professionnelle.

il absolument fondre les intérêts locaux dansdes intérêts d’échelle plus vaste ? La concur-rence entre territoires n’est-elle pas fondamen-talement saine?C’est la thèse défendue par plusieurs analystesdu système territorial, pour qui la fragmenta-tion des autorités locales constitue le gage d’uneefficacité globale accrue,dès lors qu’elle ouvredes marges de choix aux ménages et aux entre-prises, à la recherche du meilleur rapport qualité/prix, si l’on peut dire [TIEBOUT, 1956].Dans cette optique,les collectivités locales sontréduites à une fonction «hôtelière» : concevoirdes territoires accueillants,en compétition surdifférents segments de clientèle, qu’il s’agissedes ménages ou des entreprises. Les échelonssupérieurs n’interviennent pas pour réguler laconcurrence entre territoires,mais pour assurerles fonctions qui débordent le cadre des auto-rités locales.C’est la situation qui,de fait,prévauten France,où le législateur a conçu la décentra-lisation selon une forme de fédéralisme fiscal,dans laquelle aucun échelon n’a autorité sur lesautres,et se contente d’administrer les serviceset les équipements hors d’échelle locale.Cette situation où les collectivités hôtelièressont en concurrence les unes avec les autres,etoù l’on suppose qu’il n’existe pas de conflitd’intérêt entre les échelles politiques et adminis-tratives,conduit de fait à une inflation de deman-des. En effet, les échelons de base – pays,intercommunalités ou communes – ne se consi-dèrent jamais suffisamment armés pour tenirleur place dignement dans un marché concur-rentiel. D’un point de vue local, un territoiren’est jamais suffisamment désenclavé par laroute, par le fer ou par l’aérien ; un territoiren’est jamais suffisamment doté en réseauxnumériques,et quand bien même serait-il doté,que le débit de ces réseaux n’est jamais suffi-sant ; un territoire n’est jamais suffisammentdoté en services collectifs, etc. Ceci, d’autantplus que l’absence de lecture des interdépen-dances territoriales conduit à des comparai-sons par rapport à d’hypothétiques moyennes(par exemple,à l’échelle des régions le produitintérieur brut par habitant, le taux d’emploismétropolitains supérieurs,la valeur des «expor-tations») et conduit aussi à se mesurer à lamétropole la plus proche, toujours penséecomme trop dotée,prédatrice et égoïste : le pro-cès fait à Paris par le «désert français» se repro-duit à toutes les échelles, alors même que lemouvement naturel de la population conduit lesménages à réoccuper la plus grande partie duterritoire français.Tous différents et tous égaux, voilà la devisegéopolitique actuelle.Or si cette devise pourrait fort bien convenir àla démocratie des individus, elle pose un pro-

blème permanent en matière territoriale. Elleest évidemment inflationniste, le coût de lamaintenance territoriale de l’égalité étant pro-hibitif. Elle est socialement injuste, car elleconduit à accorder une équivalence aux diffé-rentes collectivités,quels que soient leur poidsen population et leur importance du point devue de la production de richesse. Elle est sansdoute(5) inefficace du point de vue de la pro-duction de richesse.

Les malentendus de la solidarité territorialeCe qui fait la force des régions métropolitainescomme l’Île-de-France [DARBERA, 1995] ouRhône-Alpes,c’est l’existence d’un vaste marchédu travail,très largement accessible,qui permetle meilleur ajustement entre les personnes etles activités. Ce raisonnement pourrait êtreétendu aux autres marchés :celui du logement,celui des grands services collectifs (éducation,santé,culture…).La puissance économique etla cohésion sociale d’un territoire,c’est la tailleeffective des marchés de l’emploi,du logementet des services.La lecture purement distributive de la solida-rité entre territoires tend souvent à résumercelle-ci à la volonté de répartir dans l’espace leséquipements et les services,de façon à assurerun idéal «d’équilibre» territorial, que rien nejustifie,sinon le principe d’autonomie des com-munes, des intercommunalités et des pays, etla logique concurrentielle dans laquelle cesautorités locales se situent entre elles et contre

L’absence de compréhension des solidarités interterritoriales peut conduire, et conduit souvent,au nom de la poursuite d’un biencommun local, à porter atteinte à un bien commun d’échellesupérieure.

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F. Du

geny

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(5) Le «sans doute» signifie que l’on ne souhaite pas entrerdans le débat des économies d’échelle et de la nouvelle éco-nomie géographique. Mais qu’on serait enclin à adhérer àces thèses.

la métropole régionale (voire le chef-lieu dedépartement).Or ces principes de distributionspatiale,au nom d’une solidarité mal comprise,entraînent la plupart du temps des effets néga-tifs.D’une part,cette volonté d’équilibre territorialest un appel d’air qui conduit, par le jeu com-biné de l’accessibilité et du marché foncier,à unétalement urbain croissant,selon un mécanismesimple : la distribution territoriale des équipe-ments, des services et des infrastructures, parexemple en faveur des villes moyennes, induitun peuplement périphérique croissant,dès lorsque les communes alentour peuvent se compor-ter en passagers clandestins. On l’a vérifié parexemple en Île-de-France, lors du précédentSdrif, avec les «villes traits d’union», qui jouentun rôle de relais de l’étalement urbain(6) pour lagrande couronne, mais aussi pour les frangesfranciliennes.D’autre part, la distribution spatiale des fonc-tions,selon une logique d’équité et d’équilibre,conduit aussi à une fragmentation des marchésterritoriaux. La taille effective du marché del’emploi diminue, on le sait, en Île-de-France,lorsqu’on s’éloigne de la zone dense et, plusencore, des réseaux de transport performants.La distribution spatiale des fonctions n’est pasun gage de solidarité. Si elle alimente l’illusiond’une solidarité redistributive,elle mine la soli-darité organique,c’est-à-dire les interdépendan-ces réelles entre territoires,elle contribue à affai-blir l’ensemble métropolitain et génère,à terme,des conflits d’échelle.Les politiques distributives qui, au nom de lasolidarité, prétendent rechercher un hypothé-tique équilibre territorial,non seulement ouvrentune boîte de Pandore, car l’équilibre, par défi-nition, n’est jamais atteint, mais encore sont

socialement et économiquement contre-pro-ductives. Au sens propre du terme, l’équilibreterritorial ne fonde pas un modèle durable.

Accepter et assumer sa placeL’objectif de «distribution équitable» des moyensdu développement conduit ainsi à une impasseet se révèle contre-productif aux trois plans dudéveloppement humain, économique et éco-logique.Il faut donc parvenir à s’extraire, ici encore,d’une vision trop mécaniste d’une redistribu-tion spatiale fondée sur un idéal d’équilibreentre territoires.L’enjeu central des politiques régionales de soli-darité se fonde, me semble-t-il, sur la mise enperspective des interdépendances entre les dif-férents territoires qui composent la région. Dece point de vue, la production de représenta-tions spatiales apparaît comme un élément déci-sif. Les lectures classiques de la région Île-de-France,par couronne,conduisent à des formesde redistribution spatiale mécanique,au nom duprincipe d’équilibre entre territoires. Les cou-ronnes s’opposent entre elles,en termes de den-sité et de richesse et alimentent un procèsmutuel qui ressemble fort à un jeu à sommenulle. Les couronnes périphériques s’estimentmoins bien dotées (en transports, en équipe-ments,en entreprises) que les zones centrales :elles réclament donc une compensation per-manente à l’échelon départemental ou régional.Inversement,les zones centrales s’estiment sou-mises à une concurrence déloyale des couron-nes périphériques,qui attirent actifs et entrepri-ses,alors qu’elles-mêmes assument les fameuses«charges de centralité».

AnticiperLes Cahiers n° 148

Les régions doivent-elles s’occuper de solidarité ?

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La puissance économique et la cohésion sociale

d’un territoire, c’est la tailleeffective des marchés de l’emploi,

du logement et des services.

(6) C’est aussi le cas des villes nouvelles d’Île-de-France quiont généré leur propre étalement urbain.

C. D

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La lecture en faisceaux que le schéma direc-teur de la Région d’Île-de-France a récemmentproposée constitue une avancée importantevers une compréhension plus systémique dufonctionnement régional : en rupture avec lemodèle concentrique,elle donne à voir les liens,tissés par la vie quotidienne des habitants de larégion,entre les espaces.Les différents territoi-res prennent place dans un ensemble qui résultedu mouvement des populations et des entre-prises.La lecture en faisceau permet de mieuxcomprendre la place que chacun occupe dansle système.

Vers des régions plus solidairesIl ne suffit certes pas de comprendre la placequ’on occupe dans un système pour en faire labase de son action politique,encore moins pourl’accepter. Il faudrait être totalement naïf pourcroire que la connaissance induit l’action, defaçon mécanique du moins. Mais il est vital de

disposer de ces cadres d’intelligibilité qui per-mettent à chaque territoire de se resituer dansun ensemble d’interdépendances organiquesplus vaste.Ni l’État ni (pour l’instant ?) l’Unioneuropéenne ne sont en mesure de le faire. C’estdonc une tâche qui devrait revenir aux régions.Elles se doivent de saisir la fonction de chef defile de l’aménagement du territoire. Il en va deleur survie politique:si les régions sont condui-tes,au nom de la solidarité entre territoires,à dis-tribuer leur budget via des contrats territoriaux,c’est un «devenir départemental» qui les attend.

71

Références bibliographiques

• TIEBOUT Charles, «A Pure Theory of Local Expenditure»,Journal of Political Economy, 64 : p. 416-424, 1956.

• DARBÉRA Richard, «The Market effective Size : a Criterion forComparing Transports Systems Efficicency between Mega-Cities», communication au European Transport Forum,juin 1995.

L’approche par faisceaux

Vu d’Europe

Le Sdrif s’appuie également sur une géographie en cinq grands faisceaux, regroupant chacun quatre à cinq millions de citoyens

(Paris étant compris dans chaque faisceau) : le faisceau Ouest, le faisceau Nord, le faisceau Est, le faisceau Sud-Est et le faisceau Sud.

Chacun de ces faisceaux associe de multiples bassins de vie, et se déploie depuis le coeur d’agglomération vers le Bassin parisien.

Ils se superposent largement sur leurs limites afin de favoriser les articulations entre eux. Ils doivent permettre de valoriser les solidarités

et les complémentarités interrégionales qui se jouent au-delà des limites de l’Ile-de-France.

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Les solidarités territoriales

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Les Cahiers – Quelles sont les orientationsactuelles de la politique européenne en matière de cohésion socialeet de développement urbain?Sylvie Harburger – La politique régionale del’Union européenne dans son volet cohésionsociale vise à réduire les écarts de richesse entrerégions,l’objectif étant que les régions pauvresrattrapent les régions plus riches.Cette orienta-tion a des implications économiques, socialeset territoriales. Il est important de comprendreque la dimension urbaine n’est pas une compé-tence communautaire, au sens des traités, etque l’Europe n’a jamais été vraiment présentesur cette question.L’affirmation du rôle des vil-les est récente (fin 1990). Il n’y a qu’à compa-rer le poids financier des programmes d’initia-tives communautaires en direction des quartiersurbains défavorisés – 700 millions d’euros – etcelui de la politique régionale – 350 milliardsd’euros. En revanche, la qualité de vie descitoyens européens,qui sont en grande majoritécitadins, se situe dans un cadre urbain etdépend des politiques menées par les villes(transports, environnement, culture, immigra-tion,justice,sécurité…).L’UE perçoit les villes àla fois comme des réceptaclesd’enjeux majeurs, concernant,par exemple, les changementsclimatiques ou démographi-ques, et aussi comme desacteurs susceptibles de jouer unrôle important pour faire faceà ces enjeux. C’est pourquoi laréduction des disparités infra-régionales est aujourd’hui unobjectif clairement établi.L’action régionale de l’UE diffère selon qu’elleconcerne les régions dites de la convergence,qui sont les moins développées sur le plan éco-nomique et qui perçoivent 80 % des fondsFeder(1),ou les régions dites de la compétitivité,qui sont les plus développées et perçoivent 20 %des fonds Feder.Les régions de la France métro-politaine entrent dans cette seconde catégorie.L’UE fixe des objectifs différents pour ces deuxtypes de régions.Les régions de la convergencepeuvent par exemple utiliser les fonds euro-péens pour développer leurs infrastructures.Cen’est pas le cas des régions riches,qui ont déjàdes infrastructures et qui doivent consacrer lesfonds européens à l’innovation et la recherche,autour de projets intégrés contribuant à la foisà la compétitivité, à l’attractivité et à la cohé-sion sociale.

L. C. – Dans la programmation 2007-2013,l’Union européenne a abandonné lezonage et n’a pas reconduit les PIC(2)

Urban, qui sont pourtant perçus comme une action qui a bien fonctionné.Pourquoi ?S. H. – L’exercice 2007-2013 se différencie asseznettement du précédent. Jusqu’en 2006, ladimension urbaine était intégrée au programmed’initiative communautaire Urban,relevant desfonds Feder.Une évaluation de ce programmeest en cours. Les responsables de la Commis-sion et du Parlement ont le sentiment que ceprogramme a bien marché et qu’il faut doncgénéraliser ce type de méthode.Depuis 2007,ilest toujours possible de financer des projets enfaveur des quartiers en difficultés, s’ils s’inscri-vent dans une démarche plus large de compé-titivité et d’innovation. Mais les régions n’ontpas l’obligation d’intégrer un volet «quartier»dans leurs projets de développement.Ce sont lesÉtats membres et les Régions qui choisissentles territoires qui bénéficieront du Feder et sesmodalités d’utilisation. La dimension urbaineest donc intégrée dans le droit commun despolitiques.On appelle cela le mainstreaming.

Pour la période 2007-2013, Urban a été reprisdans l’article «Développement urbain durable»(article 8) du règlement du Feder.Comme pré-cédemment,il s’agit d’une approche globale etintégrée mettant en cohérence l’économique,le social et l’environnemental et s’appuyant surles partenariats publics-privés. Mais les priori-tés actuelles de l’Union européenne sont d’unepart d’accroître la sélectivité des projets, laconcentration des moyens et, d’autre part, decibler les actions sur l’innovation,la recherche,la compétitivité et l’environnement.Pour l’Unioneuropéenne,il faut que le Feder,qui est une res-source rare,soit utilisé efficacement et identifiéde façon visible par les citoyens. Les fonds ne

Sylvie Harburger est chargée de mission à la directiongénérale de la politiquerégionale de la Commissioneuropéenne (DG Regio),au sein de l’unitéDéveloppement urbain et cohésion territoriale. La DG Regio est une des quatorze directionsgénérales de la Commissioneuropéenne. Son action vise l’amélioration de la compétitivité des économiesrégionales et la résorption des déséquilibres territoriaux à l’intérieur de l’Unioneuropéenne (UE). À ce titre, elle est responsabledes fonds structurels (fonds de cohésion, fonds européensde développement régional –Feder). Depuis 2005,pour mieux prendre en comptele rôle moteur des villes en matière de développementrégional et la poursuite des objectifs de la stratégie de Lisbonne, la Commission a créé un groupe interservicesDéveloppement urbain animépar la DG Regio.

Interview

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L’implication de l’Union européennepour l’équilibre territorial

»Dans le cadre du programme opérationnel de l’Île-de-France soutenu par l’Union européenne,la moitié des financements doit être destinée à l’innovation, conformément aux objectifs de Lisbonne et de Göteborg, en privilégiantl’économie de la connaissance, l’entreprenariat, les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les nouvelles technologies.«

(1) Les régions de la convergence se situent dans les pays lesplus pauvres entrés récemment dans l’Union européenne.(2) Programme d’initiative communautaire.

doivent pas être éparpillés et le montant duFeder par opération doit rester conséquent.Dans le cadre du programme Urban,avec 10 mil-lions d’euros de Feder, il était possible de fairevenir 20 à 30 millions d’euros d’investissementssur un territoire.Pour avoir un «effet levier» suf-fisant,la DG Regio et les autorités françaises sesont mises d’accord sur un montant minimalde 5 M€ de Feder par opération.Pour 2007-2013, les négociations entre la Com-mission, les États membres ou les Régions ontabouti à la signature de 335 programmes opé-rationnels (PO) dans le cadre du programmeFeder,dont 31 pour la France,et de 120 PO dansle cadre du Fonds social européen(3).Selon uneétude de la DG Regio qui demande à être confir-mée, environ 200 des 335 PO intégreraient unvolet urbain.Cette proportion correspond à l’Eu-rope urbaine, au sens statistique du terme. Ladimension urbaine est abordée différemmentselon les programmes.Trois angles peuvent êtreidentifiés :- le développement des activités et de l’emploi

dans les villes (PO du Grand Londres),- la cohésion sociale dans les zones urbaines

défavorisées et les quartiers à risques (exem-ple de l’Île-de-France et de la plupart desrégions françaises),

- la contribution à un développement régionaléquilibré (pour de nombreux PO des régionsdes nouveaux États membres).

L. C. – Quelles sont les orientations du POd’Île-de-France sur le plan urbain?S. H. – L’Île-de-France fait partie des quatrerégions françaises dans lesquelles l’axe urbainest prioritaire. La Commission a approuvé ce

choix, proposé par les autorités régionales, deconsacrer la moitié des fonds du PO au déve-loppement économique des territoires les plusen difficultés. Avec ce programme, l’UE cher-che à impulser un «effet levier».Les acteurs dela région Île-de-France,l’État qui,en France,restegestionnaire des Feder et la Région,qui est sonpartenaire,l’ont bien compris.Ils ont clairementidentifié la nécessité de faire de l’innovation(stratégie de Lisbonne) en s’appuyant sur lesPME et sur les différentes initiatives prises dansles zones urbaines sensibles (Zus).

L. C. – Comment la question urbaine est-elle traitée dans les régions de la convergence?S. H. – Dans les nouveaux États membres,il y aun besoin énorme d’investissements en infra-structures. Les routes, les trottoirs, les réseauxd’eaux, l’assainissement, l’isolation des bâti-ments sont à revoir.Et,pour le moment,ces paysdoivent faire face à des besoins dans toutes lesdirections.Ils choisissent plutôt d’investir dansdes quartiers menacés de dégradation, qu’ils’agisse des centres villes,des friches urbainesou des grands ensembles, avec, certes, despoches de pauvreté,mais sans que l’on puisseparler de phénomène de paupérisation mas-sive. La plupart des nouveaux États membres

Maison de l’entreprise et de l’emploi à Aulnay-sous-Bois,financée par le Feder dédié aux projets contribuant à la fois à la compétitivité, à l’attractivité et à la cohésion sociale.

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(3) Le Fonds social européen (FSE) contribue à la politiquede cohésion économique et sociale de l’Union européenne.Tous les États membres en bénéficient. Créé en 1957 (traitéde Rome), il est le principal instrument financier de la stra-tégie européenne pour l’emploi. Il répond à l’engagementeuropéen de créer des emplois en plus grand nombre pourfaire reculer le chômage et de mieux former les travailleurs,afin qu’ils soient en phase avec les exigences du marché del’emploi.

ont privatisé tous les logements sociaux dans lesannées 1990.Vont-ils devoir faire face à des problèmes de copropriétés dégradées ? Danscertaines villes, comme Bucarest, le parc delogement locatif ne représente que 3 % des loge-ments,ce qui génère des difficultés sur le mar-ché de l’emploi. À l’époque, la maire de Lju-bljana (Slovénie) expliquait qu’elle n’avait que2 % de logements locatifs et qu’elle ne pouvaitpas accueillir les gens qui voulaient venir travail-ler dans sa ville… Je suis d’ailleurs étonnéequ’il n’y ait pas davantage d’experts françaisqui travaillent sur ces questions.

L. C. – L’Union européenne fixe-t-elle des obligations aux acteurs concernantl’utilisation des fonds qu’elle distribue?S. H. – Les bénéficiaires doivent démontrer lavaleur du Feder en termes de durabilité de l’in-vestissement et de baisse du chômage.L’Unioneuropéenne exige qu’un certain pourcentagedu Feder soit consacré aux objectifs prioritairesde la stratégie de Lisbonne(4). Ce taux est de60 % pour les régions de la convergence et de75 % pour les régions de la compétitivité. Lesrégions respectent ces taux et vont même sou-vent au-delà.La DG Regio mène un travail péda-gogique auprès des régions d’autant plus indis-pensable qu’il n’y a pas de sanctions rétroactivescontre celles qui ne respecteraient pas ces pour-centages.Il est d’ailleurs intéressant d’observer

que, dans certains pays, l’expérience commu-nautaire sert de référence à la généralisationde politiques publiques au niveau national.La DG Regio procède aussi à des évaluations del’utilisation des fonds accordés, la premièreintervient ex ante, une deuxième intervient enmilieu de programme et une autre à la fin, expost. Pour cela, une batterie d’indicateurs estmise en place en concertation avec les régions.Les objectifs du PO sont déclinés sous formed’indicateurs,tels que le taux d’activité,le nom-bre de création d’établissements,le nombre depersonnes allocataires d’aides sociales,le nom-bre d’emplois créés… Ces indicateurs varientd’un lieu à l’autre.En Angleterre,les statistiquespermettent d’identifier la nationalité ou l’ori-gine des créateurs d’entreprises.Ce n’est pas lecas en France. Les évaluations des PO londo-niens peuvent comptabiliser le nombre de fem-mes,d’hommes,de noirs,d’asiatiques… qui sontentrepreneurs, leurs secteurs d’activité… Cesévaluations sont essentielles, car il faut préci-ser la valeur ajoutée de l’intervention du Feder.Le Parlement européen et le Conseil s’interro-gent, en effet, toujours sur la pertinence de laredistribution des fonds structurels.Faut-il conti-nuer d’aider les régions de la compétitivité? Nesont-elles pas suffisamment développées pours’autofinancer? Le débat a été vif au moment de

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L’implication de l’Union européenne pour l’équilibre territorial

Des évaluations sur l’utilisation des fonds européens accordéspermettent d’identifier la valeurajoutée de ces aides.

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(4) Voir site de la Commission européenne.

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la préparation de la programmation 2007-2013et il resurgira pour la négociation 2013.

L. C. – L’Europe débat aussi des questionsurbaines au Parlement et s’implique dansle programme Urbact. Qu’en ressort-il ?S. H. – Le programme Urbact a pour objectifde faciliter l’échange de bonnes pratiques entreles villes sur les questions urbaines. C’est unlieu important de débat, de production dematière grise,de formation pour les acteurs,demise en réseau. Ce programme marche trèsbien. La participation des villes européennesva crescendo : 200 villes sur la période 2002-2006, 400 pour la période 2007-2013, 500 pourl’appel à projet Urbact II de février 2008. Cesréseaux sont des lieux d’échanges où la Com-mission peut écouter et, le cas échéant, influersur les orientations,mais aussi convaincre, for-mer, informer…Le Parlement européen est très impliqué dans

les réflexions urbaines au travers de commis-sions transversales telles que le Groupe «Loge-ment urbain».Le prochain rapport de cette com-mission devrait d’ailleurs traiter des questionsde gouvernance. En plus des travaux réaliséspar les institutions européennes,certaines pré-sidences (France en 2000, Pays-Bas en 2004,Royaume-Uni en 2005 et Allemagne en 2007)font le choix d’organiser des conseils informelsdes ministres chargés des questions urbaines.Ces réunions aboutissent généralement à défi-nir des orientations communes à tous les Étatsmembres.La dernière est la charte de Leipzig,en 2007, qui sert de référence intergouverne-mentale pour la rénovation et le développe-ment des villes européennes.La prochaine réu-nion sera organisée par la présidence françaisede l’Union en novembre 2008.

Propos recueillis par Brigitte Guigou et Mariette Sagot

Pour plus d’informations

• Le site Inforegio (direction générale de lapolitique régionale) :http://ec.europa.eu/regional_policy/index_fr.htm

• Le site de la préfecture de Région et duconseil régional d’Île-de-France sur lesfonds européens :http://www.europeidf.fr/index.php

• Le site d’Urbact :http://www.urbact.eu

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Zoom sur le programme opérationnel de l’Île-de-FranceLe programme opérationnel (PO) de l’Île-de-France, adopté le 21 décembre 2007, vise à améliorer la cohésion sociale et lacompétitivité régionale. Conformément aux recommandations européennes, il opte pour des actions ciblées, s’appuyant sur unpartenariat entre État, Région, collectivités territoriales, entreprises et tissu associatif. Sa mise en œuvre s’appuie sur quatre axes(hors plan Seine) :• Développer les zones urbaines les plus en difficultés : cet axe, spécifiquement urbain, est doté de 63 millions d’euros, soit 40 %

des 151 millions d’euros de Feder attribués pour toute la Région.• Favoriser l’innovation et renforcer la compétitivité du tissu économique francilien.• Agir pour l’environnement et le développement durable de la région.• Fournir une assistance technique dans la mise œuvre et le suivi des programmes.

La priorité est donnée aux projets venant de quartiers en difficultés dans lesquels le rattrapage socio-économique est un enjeu.Sur l’axe urbain, les crédits sont attribués au travers d’une procédure d’appel à projets. Les projets doivent être intégrés, pluriannuels,participatifs et dotés d’un fort effet de levier. La moitié des financements doivent être destinés à l’innovation, conformément auxobjectifs de Lisbonne et de Göteborg, «en privilégiant l’économie de la connaissance, l’entreprenariat, les énergies renouvelables,l’efficacité énergétique et les nouvelles technologies». La procédure est ouverte aux intercommunalités ou aux structures ayant les compétences pour agir sur des territoires de projet qui comptent en leur sein des zones urbaines sensibles les plus en difficultés.La liste des dix territoires candidats éligibles à l’appel à projets est publique depuis février 2008 :

- en Seine-et-Marne, communauté d’agglomération du pays de Meaux,- dans les Yvelines, Epamsa (Seine aval),- en Essonne, communauté d’agglomération Seine Essonne (Corbeil), communauté d’agglomération Lacs de l’Essonne (Grigny Viry-

Châtillon),- en Seine-Saint-Denis, villes de Bobigny, Bondy, Noisy-le-Sec et Romainville, communauté d’agglomération de Clichy-sous-Bois

Montfermeil et communauté d’agglomération de Plaine Commune,- dans le Val-de-Marne, association Seine-Amont développement,- dans le Val-d’Oise, communauté d’agglomération Argenteuil Bezons et communauté d’agglomération Val-de-France.

L’enveloppe budgétaire globale de 312,3 millions d’euros du PO d’Île-de-France est cofinancée par le Feder (48,5 % du montantglobal), par les acteurs publics nationaux (42 %) et les acteurs privés (9,5 %).

En comparaison, le PO londonien, approuvé le 6 décembre 2007, concerne plus de 7,5 millions d’habitants. Sa gestion, placée sousl’autorité du maire, est prise en charge par l’agence de développement régionale du Grand Londres. Le PO londonien fait le choixd’une action résolument économique en encourageant l’innovation, la collaboration et l’efficacité écologique des PME londoniennes et en leur facilitant l’accès à de nouveaux marchés et aux investissements. En matière de réduction des disparités d’accès à l’emploi,le PO veut apporter un soutien plus spécifique aux PME dirigées par des femmes, des personnes handicapées ou des membres des communautés noires, asiatiques ou des minorités ethniques. Sur le plan urbain, il vise à transformer des quartiers en difficultés et à fort potentiel, par le soutien à la création de structures d’accueil pour les entreprises.

Dans la recherche d’une meilleure équitéentre individus et entre territoires, unensemble de politiques redistributives

tant nationales que locales ont été instaurées aufil du temps.Au niveau national,il s’agit très lar-gement de politiques destinées à garantir à cha-cun un minimum de revenu (au travers de la fis-calité ou de prestations).L’égalité de traitementsur l’ensemble du territoire national est alorsde droit.Au niveau local, les politiques redistributivesreposent sur l’offre d’un ensemble de servicescollectifs. Dans ce cas, la quantité de servicesofferts à la population dépend largement,d’unepart,de la capacité financière de la collectivitéconcernée et,d’autre part,d’options politiquesquant au rôle d’une collectivité locale.

Les disparités de ressources entre communes : un problème déjà ancien en Île-de-FranceLa polarisation des activités et des emplois est,de longue date, source de fortes inégalités derichesse et de services rendus entre les com-munes. En 1965, le législateur dressait déjà ceconstat pour l’Île-de-France :Une collectivité qui concentre sur son territoireles activités industrielles et commerciales enrécolte les bénéfices, tandis que celle qui offreaux hommes l’habitat,les services collectifs et lesservices sociaux reste dépourvue de moyens…La fiscalité locale française repose sur une taxa-tion combinée de l’habitation,des activités éco-nomiques et des dépenses de consommation.

Ainsi conçue, elle est adaptée aux besoins descommunes «équilibrées»,c’est à dire qui consti-tuent un cadre géographique dans lequel leurshabitants résident,travaillent et procèdent à leursachats.Ces conditions ne sont plus réunies dansles communes de l’agglomération parisienne…Cette inégalité n’est qu’insuffisamment corrigéeentre les communes suburbaines par les méca-nismes de péréquation qui leur sont propres. Àtaux égal, le produit de la patente dans la ban-lieue de la Seine est inférieur de moitié à ce qu’ilest dans la Seine. Il est impossible aux commu-nes suburbaines de compenser par l’impositiondirecte l’insuffisance de leurs ressources,sauf àaccroître hors des limites du raisonnable,la pres-sion fiscale sur leurs résidents.(1)

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Les solidarités territoriales

Bilan et perspectives des politiquesredistributives territoriales

Les politiques redistributives visentà réduire les disparités territoriales.

Jean-Pierre ChauvelIAU île-de-France

Avec un potentiel financier de 615 euros par habitant,les communes les plus pauvresdisposent de quatre fois moins de ressources que celles qui sont le mieux dotées. Cela signifie pour leurs habitants des taux d’imposition plus élevés et des services publics réduits.

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Dans les années 1970, les villes nouvelles étaientconçues pour créer un équilibre habitat-activités quileur permettrait d’harmoniser recettes et dépenses.

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(1) Projet de loi portant réorganisation de la Région pari-sienne.Avis de M.Louis Vallon,mai 1965.

Depuis au moins soixante ans,l’Île-de-France aainsi fait l’objet de mécanismes spécifiques deredistribution des ressources entre collectivitésterritoriales qui sont venus s’ajouter aux méca-nismes nationaux.Les disparités de ressourcesy apparaissaient plus importantes que dans lesautres régions.

Jusqu’en 1967,une taxe locale sur les serviceset ventes au détail était perçue au profit descommunes. Il en résultait de fortes disparitésde ressources entre collectivités :en 1965,Parispercevait,par habitant,trois fois plus que le restede l’agglomération parisienne. Ceci justifiaitdéjà la mise en place d’un «fonds commun des[80] communes suburbaines de la Seine».Lors de l’extension de la taxe sur la valeur ajou-tée (TVA) au commerce de détail,la taxe locale,pour cause de double emploi,a été suppriméeet remplacée par une dotation de l’État : l’ac-tuelle dotation globale de fonctionnement(DGF).La loi du 10 juillet 1964 réorganisant la Régionparisienne prévoyait,dans la continuité,la créa-tion d’un fonds d’égalisation des charges (FEC),qui aboutissait à redistribuer entre communesd’Île-de-France une partie de leur attributioninitiale de DGF.Ce fonds,supprimé par une loi du 10 décembre1980,permettait,à cette date,de redistribuer auniveau francilien 33 % des dotations de l’État.Ilétait réparti :- pour 70 % selon la population de la commune,- pour 30 % selon le niveau des impôts levés

sur les ménages (pour simplifier, taxe profes-sionnelle exclue).

Très sommairement, ceci correspondait à uneponction de près de 20 % sur Paris au profit desautres communes.

Émiettement des pouvoirs locaux et inégalités de richesse fiscaleLe nombre de collectivités locales de base(36600 communes et 18000 syndicats intercom-munaux) et l’autonomie fiscale de ces collec-tivités (capacité de moduler leurs recettes fisca-les) constituent une spécificité française enEurope.D’un côté,20000 communes comptantmoins de 500 habitants regroupent 4,2 millionsd’habitants, de l’autre, 11 communes de plusde 200 000 habitants rassemblent 5,6 millionsd’habitants.Face à l’échec d’une tentative de fusion de cescommunes en 1971, une solution est apparuedepuis 1992 au travers de la mise en place d’éta-blissements de coopération intercommunale(EPCI) à fiscalité propre.Au niveau national,comme en Île-de-France,larichesse fiscale (mesurée par le potentiel finan-cier par habitant) progresse avec la taille démo-

graphique de la commune. En effet, 90 % desinégalités de richesse fiscale s’expliquent par laprésence ou non d’activités au travers des recet-tes de taxe professionnelle ou foncière.Les com-munes rurales dépourvues d’activités s’avèrentglobalement défavorisées.En milieu urbain,onpeut également observer d’importantes dispa-rités de ressources entre collectivités voisines.Une étude remarquée du commissariat généraldu Plan [GILBERT et GUENGANT,2004] a établi unerigoureuse évaluation des solidarités financiè-res entre l’État et les collectivités territoriales,quirappelle l’extrême disparité des situations loca-les et la grande faiblesse des systèmes de cor-rection.Cette étude montre qu’en 2001 :- le «pouvoir d’achat par habitant» de la com-

mune la mieux dotée en France représente8500 fois celui de la commune la moins bienpourvue,

- les 10 % de communes les plus riches dispo-sent de 30 % du pouvoir d’achat et,à l’opposé,les 10 % les plus pauvres ne bénéficient qued’un peu plus de 1 % de ce même pouvoird’achat.

L’Île-de-France n’échappe pas à cette concentra-tion de la richesse, mais elle se distingue desautres régions :parmi les communes de plus de10 000 habitants, trente-sept disposent d’unpotentiel fiscal de plus de 1000 €/hab.En Nord-Pas-de-Calais,cet effectif est de deux communes,en Provence-Alpes-Côte d’Azur de neuf et dedix en Rhône-Alpes.En résumé,un mécanismespécifique de solidarité trouve davantage à s’exercer et à se financer en Île-de-France[CHAUVEL,2008].Ceci reste toutefois insuffisant et, finalement,les habitants des différentes communes franci-liennes n’ont pas accès à un même ensemblede services et d’équipements collectifs.

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La faiblesse des mécanismes de péréquationSi l’on classe les 36600 communes de France parstrates de richesse fiscale croissante(2),il est pos-sible de mesurer l’incidence des différentesdotations de l’État. Celles-ci poursuivent deuxbuts différents,voire contradictoires :• Assurer l’inertie du système.Il s’agit de garan-

tir à chaque collectivité qu’une bonne partde ses recettes courantes (jusqu’à 40 %) nefera pas l’objet de fluctuations difficiles à com-penser.

• Aller vers davantage de péréquation entre col-lectivités,c’est-à-dire rapprocher le niveau desressources par habitant des différentes com-munes, quels que soient leur taille démogra-phique ou leur caractère rural ou urbain.

Sans entrer dans le détail des différentes dota-tions d’État aux communes, cinq d’entre ellessont ici prises en compte :• La dotation forfaitaire,qui constitue une part

essentielle de la DGF (14 Md€ en 2008, soit85 %),est relativement stable.

• La dotation de solidarité urbaine et de cohé-sion sociale (DSU:1,1 Md€ en 2008) a connudepuis 2005 une forte progression en Île-de-France comme en France.La dotation de soli-darité rurale (DSR : 0,7 Md€ en 2008) inter-vient pour les communes de moins de 5000habitants.Ce sont également deux composan-tes de la DGF.

• La dotation nationale de péréquation (DNP:0,7 Md€ en 2008) fait également partie de ladotation globale de fonctionnement.

• Enfin,en Île-de-France,un mécanisme de péré-quation spécifique intervient,le fonds de soli-darité des communes d’Île-de-France (FSRIF).Il établit une redistribution entre certainescommunes «contributrices» (qui se voient pré-lever une partie de leurs ressources) et descommunes bénéficiaires.

Dans un premier temps, il convient de relativi-ser l’action de ces dotations en les comparantaux inégalités de richesse fiscale initiales.Il apparaît que les différentes dotations de l’Étatprogressent globalement en France avec larichesse fiscale des collectivités. Ceci signifieque ces dotations,au mieux,sont sans effet,au

pire, accentuent les disparités de richesse fis-cale entre communes. Il convient toutefois dedistinguer la dotation forfaitaire des autres dota-tions d’État.La dotation forfaitaire joue un rôle inertiel,voire«contre-péréquateur» très important,alors queles autres dotations apparaissent relativementneutres en regard des disparités de richesse fiscale.Les strates les plus défavorisées,principalementrurales, bénéficient largement de la DSR. Lesstrates les plus riches, qui sont aussi les plusurbaines,sont concernées par la DSU et le FSRIF,spécifique à l’Île-de-France.Ce dernier mécanisme,qui concerne les com-munes les plus favorisées,est essentiellement ali-menté par la strate la plus riche et la ville deParis.En Île-de-France,l’effet contre-péréquateur desdotations de l’État est encore plus marqué.Lesstrates de communes les plus défavorisées (stra-tes 1 à 5) perçoivent nettement moins de dota-tions de péréquation que la moyenne. La rela-tive égalité de traitement des strates 1 à 10observée au niveau national n’est donc pasobservée dans la région.

Des services rendus à la population à géométrie variableCompte tenu d’une richesse fiscale qui est, àcourt ou moyen terme,donnée,et de dotationsde l’État fixées par ailleurs, le nécessaire équi-libre budgétaire d’une collectivité s’ajuste parla confrontation de deux objectifs :- le niveau de pression fiscale que la munici-

palité estime juste et acceptable par l’ensem-ble des habitants,

- le niveau des services et équipements offertsà la population.

La loi ne fixe pratiquement aucune limite auxservices offerts à la population qui relèvent dechoix communaux : c’est la clause généralede compétence.Un des tout premiers articles du code généraldes collectivités territoriales (article L. 1111-2)prévoit que «les communes,les départements etles régions règlent par leurs délibérations lesaffaires de leur compétence». Le législateur adonc estimé,jusqu’à présent,que chaque niveaude collectivité n’avait pas de secteur d’inter-vention qui lui soit a priori interdit.Seule l’inter-communalité,de par l’existence de statuts régis-sant son champ d’activité, se voit opposer unelimite claire à ses interventions,au nom du prin-cipe de spécialité géographique et fonction-nelle.Parallèlement,dans le cadre de la décen-tralisation, la loi attribue à chaque niveau decollectivité des compétences complémentai-

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Bilan et perspectives des politiques redistributives territoriales

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En Île-de-France, trente-septcommunes disposent d’un potentielfiscal de plus de 1 000 €/hab.

(2) Chaque strate de 3500 communes étant numérotée de 1 à 11,en isolant Paris.

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Même à richesse fiscaleéquivalente, les communes offrent

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res qui lui reviennent de droit :collèges et lycéespour les départements et les régions,formationprofessionnelle pour les régions…Ceci laisse donc les communes libres de laquantité de services qu’elles souhaitent four-nir à leurs habitants. Or, même à richesse fis-cale équivalente, les communes opèrent deschoix,en ce domaine,extrêmement variés.Il est possible de distinguer trois grandes concep-tions du rôle d’une commune vis-à-vis de seshabitants.

Une intervention a minimaUne absence quasi complète de services à lapopulation (hormis naturellement les servicesrendus pour le compte de l’État, comme l’étatcivil) et,en regard,une très faible pression fiscalefont l’objet d’un «contrat» non écrit avec lapopulation.Cette pratique est tout particulière-ment observable en zones rurales.Elle était éga-lement courante,dans les années 1960,en zonepériurbaine,où les interventions des communesse limitaient à la mise en place des réseauxd’eau ou d’assainissement et à la maintenancedu réseau de voirie communale.On peut rattacher à ce cas de figure des com-munes dont la population attend,au contraire,des services de grande qualité et préfère se tour-ner vers le secteur privé.Toute intervention dela commune serait à la fois budgétairementcoûteuse et malvenue.

Un service minimal de baseAujourd’hui,de nombreuses communes,notam-ment en Île-de-France, souhaitent redéfinir lerôle de la collectivité par rapport au secteurprivé. Depuis une trentaine d’années, les col-lectivités territoriales,notamment les plus aisées,n’ont cessé de développer de nouveaux servi-ces à la population.Cependant, ces nouvelles prestations s’adres-sent à un public de plus en plus restreint et ver-satile. Quand il s’agissait d’un réseau de col-lecte de l’eau pluviale,il concernait l’ensemblede la population et ceci pour une cinquantained’années. S’agissant de courts de tennis ou depistes de rollers,la situation est toute différenteet largement contestable par la majeure partiedes contribuables…Certaines communes préfèrent aujourd’hui opé-rer un recentrage sur un panier de services debase et privilégier des actions en termes defonctionnement (service rendu) plutôt qu’eninvestissement (équipements difficilementreconvertibles).

Réparation de politiques nationales et «utopies locales»Outre l’offre de services de proximité,certainescollectivités se situent au sein d’une chaîne

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Les prestationssportives et culturellesconcernent un publicde plus en plus ciblé.Ici, un terrain detennis exclusivementréservé aux adhérents.

d’interventions publiques «réparatrices»,allantde l’État, voire de l’Europe, au quartier. Ellesconsidèrent qu’il leur revient de prendre leurpart dans les actions des autres entités publi-ques,voire de les contrebalancer.À l’extrême, il s’agit, à l’échelle de la collecti-vité,de préfigurer une société idéale qui prenneen compte l’ensemble des aspirations de l’indi-vidu («ce que j’ai fait pour une commune,je leferai pour le pays»).Le congrès de l’Internatio-nale réuni à Paris en 1900 ne considérait-il pasque «la commune peut devenir un excellentlaboratoire de vie économique décentraliséeet en même temps une formidable forteressepolitique à l’usage des majorités socialistes loca-les contre la majorité bourgeoise du pouvoircentral une fois qu’une autonomie sérieuse seraréalisée» [BRUNET,1981]?

On pourrait naturellement croiser ces trois casde figure avec le niveau de revenu des habi-tants de ces communes,dans la mesure où unmanque crucial de moyens pour la collectiviténe peut, de manière durable, s’accommoderd’ambitions importantes en termes de servicerendu.

Des ajustements par la pression fiscalesouvent inéquitablesLa confrontation des recettes fiscales potentiel-les et des dotations de l’État avec les dépensesinduites par les choix en matière de servicerendu détermine la pression fiscale qui pèserasur les différentes catégories de contribuables.En première analyse,la pression fiscale est d’au-tant plus faible que la collectivité dispose d’unpotentiel financier par habitant élevé.On peutle vérifier en Île-de-France à l’échelle départe-mentale : Paris et les communes des Hauts-de-Seine pratiquent les taux d’imposition globale-ment les plus faibles de la région.Cependant, si l’on examine la situation com-mune par commune au sein d’un même dépar-tement,il apparaît que cette règle est très large-ment enfreinte.Des communes qui disposent deressources potentielles similaires pratiquent desniveaux de pression fiscale très différents.Ce sont,de fait, les options en matière de four-niture de services qui expliquent ces dispari-tés de pression fiscale.Les caractéristiques socio-économiques des habitants confortent souventces options.Pour caricaturer, certains maires considèrentque le seul service attendu par leurs habitantsconsiste à minimiser la pression fiscale.À l’au-tre bout du spectre,certains souhaitent fournirà leurs habitants l’ensemble des services aux-quels les politiques des autres acteurs publics,voire privés,ne leur permettent pas d’accéder.

L’intercommunalité et le renforcementdes contraintes budgétairesL’année 2008 marque une inflexion importante,dans la mesure où les dotations d’État ne pro-gressent désormais qu’au rythme de l’inflation(et non plus, comme par le passé, au rythmede l’inflation et de la progression en volumedu PIB).Cette situation,justifiée par les contrain-tes européennes d’équilibre des comptespublics et de maîtrise de la dette a, dès 2008,rendu tout effort en direction des collectivitésles plus défavorisées moins consensuel.Rappe-lons que quatre des dotations de l’État provien-nent de la seule DGF. Une progression ralentiede cette dernière rend plus difficiles les arbi-trages entre communes favorisées ou non (autravers de la dotation forfaitaire) ou entre milieuurbain ou rural (DSU ou DSR). En regard deces ressources figurent notamment des frais depersonnel ou des dépenses de fluides qui pro-gressent plus rapidement que l’inflation.Les collectivités disposant de ressources modes-tes doivent donc arbitrer entre une révision dela gamme des services offerts à leurs habitantset une augmentation de la pression fiscale.Le développement de l’intercommunalité,qua-siment achevé hors d’Île-de-France, recèle unpotentiel de redistribution et de péréquationau sein des territoires. Encore convient-il queceux-ci soient suffisamment étendus, et fisca-lement hétérogènes,pour générer une solidaritéet une péréquation primaire entre communes.Autrement dit,une intercommunalité plus abou-tie permettrait d’instituer une solidarité de pre-mier niveau entre les communes membres.Lesdotations de l’État viseront alors à compenserles inégalités de ressources entre territoires,quiseront moindres que celles observéesaujourd’hui entre communes. Leur efficacitéen sera accentuée d’autant.

AnticiperLes Cahiers n° 148

Bilan et perspectives des politiques redistributives territoriales

Références bibliographiques

• BRUNET Jean-Paul, Un demi-siècle d’actionmunicipale à Saint-Denis-la-Rouge (1890-1939), Cujas, Paris, 1981.

• GILBERT Guy et GUENGANT Alain, Évaluationdes effets péréquateurs des concours del’État aux collectivités locales,commissariat général du Plan, 2004.

• CHAUVEL Jean-Pierre, «Les enjeux desolidarité financière et fiscale en Île-de-France», Note rapide, n° 446, IAU île-de-France, avril 2008.

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Les caractéristiques socio-économiques des habitantsconfortent souvent les choix pris en matière d’offres de services.

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Le Cube, premier centre de création intercommunalentièrement dédié au numérique, Arc de Seine,Issy les Moulineaux.

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Une caractéristique majeure de la régionÎle-de-France en matière culturellerelève de la fragmentation de l’inter-

vention politique,notamment au niveau muni-cipal. Fragmentation de l’offre, doublon deséquipements à très petite échelle, multiplica-tion des interventions (soutien à projet,événe-ments,équipements) sans cohérence autre quelocale.Les acteurs politiques de la culture sontextrêmement nombreux.Autour des principauxintervenants (la ville de Paris,l’État,la Région),les villes de banlieues mènent chacune leurpropre politique, sans coordination, très sou-vent en concurrence,l’intercommunalité étantquasiment inexistante.Cette fragmentation renvoie en partie à l’injonc-tion instrumentale faite à la culture.Parce qu’elleporte à la fois des valeurs expressives,une fortecapacité d’image,des valeurs de cohésion ou dedistinction,elle se doit d’être un véhicule privi-légié de l’action publique locale face à une tri-ple demande contemporaine : développer lesterritoires,se positionner face à d’autres territoi-res partenaires ou concurrents, maintenir lacohésion sociale. Derrière cet aspect utilitairetourné vers le développement territorial secache une approche idéologique de démocra-tisation culturelle.

De la démocratisation culturelle…Dans ce contexte fragmenté,les politiques cul-turelles mises en œuvre font paradoxalementpreuve d’une grande uniformité,quel que soitl’échelon territorial.Depuis 1959,ces politiques

publiques s’alignent sur un paradigme d’actionspécifique, «la démocratisation culturelle». Ils’agit de «rendre accessible les œuvres de l’hu-manité, et d’abord de la France, au plus grandnombre possible de Français,d’assurer la plusvaste audience à notre patrimoine culturel,et defavoriser la création des œuvres de l’art et de l’es-prit qui l’enrichissent»(1).Cette orientation poli-tique, pour positive qu’elle soit en bien desaspects,dessine les contours dominants de «l’ac-tion culturelle» actuelle,à tous les échelons ter-ritoriaux,de l’État aux plus petites communes.Dans ce contexte hérité des années 1950, laréduction «du culturel à l’artistique» apparaîtcomme un aspect central du paysage culturelfrançais et donc francilien [CAUNE 1992 ;MILLIOT,1998].La notion de culture y a subi uneatrophie, qui se fonde simultanément sur uneconception de l’art comme action autonome,et sur la croyance en sa «neutralité opératoire»,entendant par là sa capacité de faire lien et des’adresser de la même manière à des popula-tions différentes, sur la base notamment de laforce esthétique et d’un universalisme artisti-que.«L’universalisme» de l’art sous-entendu iciimprègne les modalités de l’action culturellejusqu’à aujourd’hui(2). Ce prisme évite notam-ment de s’interroger sur la complexité des com-posantes et des effets de cette action culturelledans un contexte métropolitain marqué par

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Les solidarités territoriales

Vers une démocratie culturelleen Île-de-France?

La culture a une fonction socialeet/ou d’animation, de finalités et d’enjeux sociaux, politiques ou économiques, à reconnaître.

Fabrice Raffin SEA Europe

La France a choisi de mettrel’excellence de l’offre artistique à la portée de tous. La culture ne se réduit pourtant pas à l’art.L’expression culturelle,dans sa diversité, via le secteurassociatif ou des productionsamateurs, semble encore loin d’être considérée comme porteuse de développement économique,de cohésion sociale ou d’image des villes.

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La démocratisation culturelle relèved’une politique à la fois élitiste et grand public par les équipementsculturels qu’elle gère. Le Louvre est l’archétype de cette dualité entre qualitéartistique et public de masse.

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(1) Décret du 24 juillet 1959 qui fait suite à la nominationd’André Malraux comme ministre chargé des Affaires cultu-relles.(2) Au début des années 1980, les principes de «démocratieculturelle» furent mobilisés,mais de manière mineure.

une dimension interculturelle toujours plusimportante(3).La culture semble avoir été décon-nectée de toute fonction sociale et/ou d’ani-mation,de finalités et d’enjeux reliés au monde,qu’ils soient sociaux, politiques ou économi-ques(4).Pourtant,depuis bientôt dix ans,les com-mentaires se multiplient qui dénoncent l’échecde cette politique qui fut surtout accompagnéepar un processus d’augmentation et de soutiendes équipements de diffusion dans toutes les vil-les. Mais il faut bien le noter, la fréquentationdes équipements stagne,l’ouverture à d’autrespublics reste incantatoire.Au jour le jour,le poids de la logique de démo-cratisation culturelle oriente le choix des projetsaidés.Le critère de «qualité artistique» est systé-matiquement appliqué pour l’obtention de sub-ventions. Les projets à qualité artistique non-avérée ou se positionnant sur d’autres registressont quasi-systématiquement écartés,et notam-ment les projets associatifs ou relevant de pra-tiques amateurs(5).Au niveau étatique comme auniveau municipal c’est une politique artistiqueplus que culturelle qui est mise en œuvre. Lesgrandes capitales européennes agissent toutautrement.Par exemple, le département cultu-rel de la ville de Genève finance une fricheindustrielle autogérée,l’Usine.Sa fonction d’ani-mation et d’expressivité culturelle n’exige pasde qualité artistique pour les projets qui y sontréalisés [RAFFIN,2000,2007].Le positionnement idéologique français est pro-fondément inégalitaire puisqu’il exclut tousceux qui ne s’alignent pas sur une certaine«qualité artistique minimum» dont l’appréhen-sion reste problématique.Elle est,pour l’essen-tiel,dictée par les «élites dominantes» aux com-mandes des villes,et se réfère à une histoire del’art en déphasage important avec la réalité despopulations.

… à la démocratie culturelleLa culture,pourtant,ne se réduit pas à l’art.Mal-gré la force de l’idéologie de la démocratisa-tion,un autre versant de la politique culturelleest perceptible depuis 1981 en France et peut,dans certains cas,se décliner à l’échelle locale.Il relève d’une politique de démocratie cultu-relle qui concerne un ensemble d’activités cul-turelles en prise directe avec les populations :culture indigène (Grassrooted) produite et véhi-culée principalement via un secteur associatifet des formes de militantisme culturel.Des for-mes plus spontanées et moins formalisées ontaussi vu le jour depuis les années 1990,commeles cultures urbaines ou encore les mouvementsde musique techno. La notion de «démocratieculturelle» dépasse largement les questionsstrictement artistiques,même si elle les prend encompte. Elle englobe, à la fois, les disciplines

artistiques traditionnelles selon des pratiquesplus ou moins amateurs, incluant aussi ce quia été appelé en France les NTA (nouveaux ter-ritoires de l’art),des formes artistiques à dimen-sion politique et identitaire,mais aussi des pra-tiques culturelles relevant du ludico-festif, del’animation,du socio-éducatif.Aujourd’hui,deslieux comme le Point Éphémère, le Batofar, àParis,Mains d’œuvres à Saint-Ouen participentde cette démocratie de la culture hybride.Mais,même dans le cas de municipalités enga-gées dans cette démocratie culturelle,la confis-cation de l’autonomie et l’instrumentalisationne manquent pas de réorienter les projets endirection d’une rassurante qualité artistiquepour produire à nouveau de l’exclusion.Le paysage culturel européen se structureaujourd’hui autour de la reconnaissance decette démocratie culturelle à fondement asso-ciatif ou relevant de l’économie.La France,quifavorise la culture légitime, fait figure d’excep-tion.L’excellence de l’offre artistique parisienneest certes reconnue et leader en Europe avecLondres. Mais la France semble prendre peuconscience de l’intérêt d’un soutien à la démo-cratie culturelle porteuse elle aussi de dévelop-pement économique, de cohésion sociale oud’image des villes. Aujourd’hui en Europe, siBerlin, Madrid et Londres, notamment, se dis-tinguent et attirent de jeunes européens pardizaines de milliers, c’est sur la base de cetteoffre spécifique fondée sur des entrepreneursculturels et le secteur associatif.Notre point fai-ble est de ne faire entrer que marginalement,dans le champ culturel,les activités socio-cultu-relles en prise directe avec les populations,pro-duites et véhiculées principalement via un sec-teur associatif et des formes de militantismeculturel, productions amateurs dans une pers-pective culturelle au sens identitaire et anthro-pologique. Ce choix limite l’expression cultu-relle des Franciliens. La voie de la démocratieculturelle participerait au contraire d’une recon-naissance de la diversité dont l’expression,loinde se confiner aux centres des villes,s’animeraitdavantage dans les banlieues et les espacespéri-urbains voire ruraux.

(3) En tant qu’action collective,l’action culturelle peut pren-dre des formes inédites en lien avec ceux qui la portent, lescontextes dans lesquels elle se déroule et les caractéristi-ques des populations auxquelles elle s’adresse.Les qualitéspropres du projet artistique relèvent pour partie d’intentionsqui dépassent la culture ou l’art pour eux-mêmes,intentionspolitiques,sociales,économiques ou autres.(4) Au tournant des années 1990, l’État et le ministère de laCulture se sont emparés des questions sociales,confiant dansla capacité de l’art de recréer des «repères»,de la «mémoire»,de «l’insertion», du «lien social». Certains artistes, devenus«pompiers du social» ont trouvé là, des sources de finance-ment pour leurs travaux, mais le registre esthétique lié auxmondes de l’art restait central.(5) La segmentation entre services culturels et services jeu-nesse et sport reste de mise,même au niveau local.

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Vers une démocratie culturelle en Île-de-France?

Références bibliographiques

• BORDAGE Fazette, GROMBEER Philippe,RAFFIN Fabrice et al., Les Fabriques, lieuximprévus : TransEuropeHalles, Édition de l’imprimeur, 2000.

• CAUNE Jean, La culture en action, Pressesuniversitaires de Grenoble, 1992.

• MILLIOT Virginie 1998, «Culture, cultureset redéfinition de l’espace commun», dans METRAL Jean (coord.), CULTURES EN

VILLE OU DE L’ART ET DU CITADIN, éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 2000.

• RAFFIN Fabrice, Friches industrielles - Un monde culturel européen en mutation,L’Harmattan, Paris, 2007

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Crédits photographiques p. 83 F. Dugeny/IAU îdFM. Lacombe/IAU îdFD. Lacombe/IAU îdFJ.-C. Pattacini/URBA IMAGES/IAU îdFPiscine intercommunale Saint-Germain-en-Laye

La démocratie culturelle englobeaussi des pratiques culturellesrelevant du ludico-festif,de l’animation, du socio-éducatif.Ici, le Batofar, à Paris,à quai devant la BNF (site François-Mitterrand).

Pour en savoir plushttp://www.fabrice-raffin.com

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Ressources

Les 12,13 et 14 mars 2008, s’est tenu, sur lecampus de l’université de Paris X-Nan-terre et à l’initiative du laboratoire

Gecko(1), un colloque international et transdis-ciplinaire sur le thème : justice et injustice spa-tiales(2).Le débat sur la justice et l’injustice est centraldans les sociétés démocratiques,cela à toutesles échelles.Pourtant,la diversité des définitionsde la «justice» – et des possibles «contratssociaux» qui les légitiment – est grande et lesobjectifs poursuivis sont divers,voire contradic-toires.On peut considérer que les conceptions de lajustice oscillent entre deux pôles. Le premierpôle est illustré par John Rawls [1971].Il définitla justice comme équité, c’est-à-dire non pascomme l’égalitarisme, mais, une fois poséel’égale valeur intrinsèque des personnes,commel’optimisation des inégalités destinée à la pro-motion maximum des plus modestes. Cetteconception de la justice,qui prétend à l’univer-salité du fait de sa procédure d’énonciationindépendante des situations réelles,est centréesur la personne.À l’opposé, les «communauta-ristes» donnent de la justice sociale des défini-tions centrées sur les droits des communautés,ceux-ci primant sur les droits des individus.Dans tous ces cas,c’est avant tout d’égalité oud’inégalité socio-économique qu’il est ques-tion : la justice vise d’abord à réduire,abolir,ourendre acceptable l’inégalité socio-économi-que. Un tournant majeur dans cette réflexionintervient dans les années 1990, et Iris MarionYoung [1990] en est l’auteure sans doute la pluscaractéristique.Renonçant à une théorie géné-rale de la justice, elle propose d’identifierd’abord les injustices dont sont victimes cer-tains groupes dans nos sociétés. Elle part duprincipe que le socio-économique est un élé-ment de définition insuffisant et que c’est l’op-pression sous toutes ses formes qu’une politiquejuste devrait viser à abolir.À sa suite,David Har-vey [1992] a analysé l’applicabilité des travauxde Young dans le domaine de la politiqueurbaine.On en vient ainsi à présenter la justicespatiale comme la reconnaissance et l’accepta-tion de l’altérité,à prôner une politique territo-riale attentive aux droits des groupes et à poserune définition procédurale et non plus struc-

turelle ou redistributive de la justice.La justice«structurelle» peut être définie «objectivement»comme ayant pour but d’assurer un accès auxressources urbaines (services et équipements)le moins inéquitable possible grâce à une sériede mesures politiques et techniques.Sans nierl’existence de telles inégalités, la justice «pro-cédurale» souligne le fait qu’elle doit être défi-nie et négociée entre plusieurs acteurs partiesprenantes,à différentes échelles et notammentà l’échelle locale, plutôt qu’imposée par «lehaut». Une action publique serait alors juste,non par la justesse/justice de ses objectifs et deses moyens, mais par le processus qui a menéà sa définition qui doit obéir à différents prin-cipes de représentativité, d’égalité, d’écoute etde respect entre groupes sociaux différents.Dans la lignée de ces réflexions et débats, lesjournées du colloque se sont articulées autourde quatre axes thématiques présentés ci-après.Le premier atelier avait pour objectif de repla-cer ce concept polysémique dans une réflexiond’ordre général sur les grandes définitions de lajustice.Au-delà de l’opposition structurel/procé-dural, qui reste centrale, de nouvelles élabora-tions théoriques permettraient-elles de poser àneuf la question de la justice spatiale ? Quoiqu’il en soit le concept de justice reste un levierpolitique essentiel,mobilisateur,compris et vécudans le quotidien par les citoyens.Identités et minorités ont été les thématiques aucœur du deuxième atelier. On peut désignercomme «minorité» tout groupe qui subit uneou plusieurs des formes d’oppression identi-fiées par Iris Marion Young.Une approche cen-trée sur l’espace et la répartition des différentesminorités permet d’évaluer comment cetterépartition est gérée et vécue par les différentsacteurs. Toutefois, pour l’analyse de «genre»,cette approche est mal adaptée. Il faut trouverdes outils plus fins,identifier la ségrégation dansles types d’emploi qui restent fermés à la popu-lation féminine,ou les inégalités liées aux dépla-cements.

Colloque «Justice et injustice spatiales»

Philippe Gervais-Lambony

Gecko Frédéric Dufaux, Pascale Philifert

UMR LOUEST, équipe Mosaïques,

université Paris X-Nanterre

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À retenir

(1) Le laboratoire Gecko (EA 375,université Paris X-Nanterre)était associé à l’équipe Mosaïques (UMR LOUEST), à l’UMR5600, Environnement,Ville, Sociétés (université Lyon III), aulaboratoire CUBES (Centre for Urban Built Environment Studies,université du Witwatersrand).(2) Une publication des actes du colloque est prévue et seraannoncée sur le site du colloque:www.justice-spatiale-2008.org

Le troisième atelier visait à s’interroger sur lanotion d’injustice écologique.La «justice envi-ronnementale» est née dans les années 1980dans les villes nord-américaines,pour dénoncerles recouvrements spatiaux entre les formes dediscrimination raciale, d’exclusion socio-éco-nomique,les pollutions industrielles et la vulné-rabilité face aux risques naturels.L’émergencede la notion de développement durable dans uncontexte de crise écologique globale a favo-risé une réflexion sur l’équité environnemen-tale.Une démarche explorant les relations entreinégalités écologiques et justice peut-elle contri-buer à construire des politiques environnemen-tales justes ?Les relations entre Justice spatiale et ségrégationont caractérisé le questionnement du quatrièmeatelier. La corrélation implicite entre ségréga-tion et injustice doit être examinée de plus près:toute division socio-spatiale de l’espace – urbainen particulier – est-elle injuste ? On peut s’in-terroger d’un côté sur l’injustice des processusqui produisent de la ségrégation,et,de l’autre,sur l’injustice des effets produits par la situa-tion de ségrégation (les effets de lieu).Symétri-quement, l’objectif de la mixité socio-spatiale,souvent implicitement donné comme l’idéalde la ville juste, mérite aussi d’être remis enperspective.Peut-on dire que la ville pré-indus-trielle non ségréguée était plus juste que la villecontemporaine?La justice spatiale est l’horizon ou le guide dela plupart des politiques territoriales, il s’agis-sait donc d’interroger les rapports entre terri-toires, action publique et inégalités lors de ce

quatrième atelier. Les politiques de rééquili-brage des inégalités et les formes de redistribu-tion des populations,des richesses et des servi-ces en vue d’une meilleure accessibilitéreposent sur cet implicite de justice.En dépit dela mondialisation, de fortes différences entredispositifs de régulation locaux ont été souli-gnées entre pays (France,Maroc,Brésil,Inde).Laquestion de la planification territoriale a étélargement débattue.Quelles sont ses finalités ?Sur quelles valeurs repose-elle? Quel est le poidsdes discours dans les représentations territoria-les des inégalités et des politiques mises enœuvre? Dans quelle mesure, enfin, les modali-tés de réponse des acteurs sont-elles justes (pro-cessus négociés, démarches participatives…)alors même que le débat public et la délibéra-tion démocratique se multiplient que ce soitpour la mise en oeuvre des projets de territoireou des projets urbains ? La prise en compte dela diversité,des minorités et des groupes affini-taires, dans la mise en œuvre d’une politiquespatiale «juste» demeure sans doute un pointemblématique des débats et des différencesd’approche entre chercheurs européens etanglo-saxons. Néanmoins, dans le cadre despolitiques publiques, certaines ressemblancesentre dispositifs anglo-saxons et dispositifs fran-çais semblent parfois se dessiner.Ainsi,une cer-taine convergence peut se lire à l’occasion dela mise en place des aides à l’emploi et à l’ac-tivité dans des zones prioritaires au travers desurban empowerment zones ou des zones fran-ches urbaines.

Références bibliographiques

• HARVEY David, «Social justice,Postmodernism and the City»,International Journal of Urban andRegional Research, 16, 4, pp. 588-601,1992.

• YOUNG Iris Marion, Justice and the Politicsof Difference, Princeton, PrincetonUniversity Press, 1990.

• RAWLS John, A Theory of Justice,Cambridge, Harvard University Press,1971.

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À retenir

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BANLIEUES À PROBLÈMES, OUI MAIS DE QUELS

problèmes s’agit-il ? Reconnaître que leshabitants de ces banlieues sont confron-

tés à de graves difficultés dans l’organisationde leur vie quotidienne? Ou que certaines ban-lieues, parce qu’elles concentrent les difficul-tés sociales, économiques, urbaines… font etposent problème? Les deux sens ne sont pour-tant pas imperméables l’un à l’autre.Les difficul-tés des habitants des «quartiers» sont souventconsidérées comme la cause principale desdysfonctionnements de ces quartiers.Les différentes contributions de cet ouvrage nes’attachent pas à décrire la banlieue, l’histoirede ses territoires, la construction des grandsensembles ou encore la sociologie de ses habi-tants et les modes de vie dans les cités HLM.L’angle d’étude est celui de l’analyse de la fabri-cation d’une représentation.Quels sont les pro-blèmes sociaux et les malaises politiques oumoraux que poseraient ces quartiers ? Est-ce,par exemple,la surreprésentation de catégoriespauvres et d’origine immigrée,est-ce l’illettrisme,le chômage…?La médiatisation de faits survenus dans des sec-teurs de la périphérie a favorisé la création

d’une catégorie de pensée et de désignation :celle de «banlieue». Il existe de très nombreuxdysfonctionnements sociaux,sur ces territoiresmais aussi ailleurs, qui, s’ils sont bien réels, nesont pas pour autant élevés au rang de «pro-blème social»,sans doute car ils ne sont pas oupeu médiatisés.Le terme banlieue est très largement connoté etrenvoie à des images dévalorisantes.Celles-ci leréduisent souvent, dans l’imaginaire collectif,aux seules cités HLM,sans recouvrir les réalitéssociales et les types d’habitat ou d’activités trèsdivers.À partir de cette pensée morale,à savoir rame-ner ces territoires à ce qui est considéré commenormal et acceptable,l’action publique,la «poli-tique de la ville»,est imaginée et justifiée pourcorriger les manques et les carences de la ban-lieue.Les désordres sociaux sont imputés à unegéographie spécifique.Les contributions tentent de révéler les condi-tions socio-démographiques, institutionnelleset conceptuelles qui ont permis l’apparition,l’accréditation et l’imposition comme évidencede la thématique de la banlieue, et de la ban-lieue comme problème en France.

LES INÉGALITÉS LAISSENT DANS LE MONDE DES

millions de personnes dans un état pré-caire ou de grande pauvreté. Les élans

de solidarité se multiplient, mais ont bien dumal à répondre à une détresse protéiforme.Aucours des siècles et notamment depuis lapériode récente, avec l’avancée des progrèstechniques, les individus ont acquis une auto-nomie beaucoup plus importante, mais, para-doxalement, ils sont devenus aussi plus com-plémentaires les uns des autres,interdépendants.Comme le soulignait Durkheim dès la fin duXIXe siècle,ne risquent-ils pas,à mesure que crois-sent leur autonomie et leur liberté,de se sentirdégagés de toute dette envers les générationspassées, indifférents au destin des générationsfutures et, finalement, opposés à l’idée d’uneredistribution en direction des plus défavori-sés ?Crise de la société salariale,inégalités entre lesgénérations, les hommes et les femmes, discri-minations multiples,ségrégations urbaines,sco-laires : nos modèles d’intégration sont-ils enmesure de relever les nouveaux défis auxquelssont confrontées les sociétés modernes en cedébut du XXIe siècle?Serge Paugam et une cinquantaine de cher-cheurs,sociologues,philosophes,économistes,

anthropologues croisent leurs domaines decompétences pour envisager ces questions danstoute leur complexité. Les contributions sontregroupées autour de huit grands thèmes.Aprèsun examen des principes de justice sociale enlien avec la solidarité, la question des solidari-tés familiales est abordée.Quelles sont les atten-tes collectives dans ce domaine ? quelle est laréalité de l’entraide familiale ? quelles en sontles limites ? Des propositions sont esquisséespour renouer le lien entre les générations.Despistes sont avancées pour remédier à la crise dela société salariale,en s’inspirant des expérien-ces diverses menées à l’étranger.Les chercheursanalysent ensuite,à la lumière des diverses expé-rimentations et enquêtes réalisées en France età l’étranger,les moyens de combattre racisme etdiscriminations et de lutter contre les ségréga-tions urbaines et scolaires.Ils interrogent l’inter-vention humanitaire, tant dans les pays loin-tains que dans sa relation avec les personnes quisouffrent, même proches géographiquement.Enfin,l’avenir de l’État social est abordé,avec lesouci de rendre compte et d’évaluer les réfor-mes en cours. C’est à un nouveau type decontrat social, fondé sur la pluralité des lienssociaux, à renforcer et à entrecroiser, que cetouvrage nous propose de réfléchir.

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BAUDIN Gérard et GENESTIER Philippe(dir.)Banlieues à problèmes.La construction d’un problèmesocial et d’un thème d’actionpubliqueParis, La Documentation française, 2002

PAUGAM Serge (dir.)Repenser la solidarité.L’apport des sciences socialesParis, Puf, 2007

À lire

SI LA BANLIEUE DES CITÉS HLM EST SOUVENT

médiatisée,jusqu’à se voir fortement asso-ciée aux violences urbaines,il en est une

autre, celle des pavillons, qui abrite pourtantune population au moins aussi importante,quidemeure beaucoup plus inaperçue.L’enquête ethnographique qui sous-tend ce tra-vail est menée à Gonesse, en marge des sec-teurs pauvres du nord-est de l’Île-de-France.Elleétudie de façon approfondie cette strate parti-culière des classes sociales,celle des ménagessitués entre le haut des classes populaires et lebas des classes moyennes, celle des «petits-moyens» de la banlieue pavillonnaire pari-sienne. Les auteurs ont choisi d’interroger leshabitants de ce quartier plutôt hétérogène,tantpar le statut social des habitants – cadres,ouvriers ou employés – que par les origines,l’âge, l’habitat ou encore la période d’arrivéedans le quartier.Pour les «pionniers», arrivés dans les années1960-1970, ce quartier représentait un lieu departage de services entre voisins,malgré les dif-férences sociales, qui leur a permis de vivremieux que leurs parents d’origines populaires.Un changement majeur s’opère à la fin desannées 1970, avec l’arrivée de familles d’origi-nes étrangères,dans un contexte de dégradationdes conditions de résidence : densificationurbaine sur des terrains laissés en frichejusqu’alors, forte augmentation des nuisancessonores dues à l’activité de l’aéroport de Roissy,départ de plusieurs familles accédant à desmaisons plus grandes.

Pour beaucoup de familles immigrées, cettemobilité résidentielle ne s’accompagne pasd’une mobilité professionnelle,et se traduit parun accès à des logements déclassés. Certainsaccèdent à un meilleur statut professionnel,souvent des enfants d’immigrés, sans que l’onpuisse parler d’ascension sociale marquée,maisplutôt d’une mobilité sociale de faible ampleur.Si les conditions de ressources acquises partous ces ménages les distinguent des classespopulaires,ces «petits-moyens» n’appartiennentpas pour autant aux classes moyennes.La peurde la chute sociale n’en est que partout plusprésente : peur de l’avenir, de la violence descités HLM toutes proches,de la dégradation duquartier,de la baisse du niveau scolaire,de l’ave-nir professionnel des enfants… L’ascensionsociale dont ont bénéficié par le passé les habi-tants de ces quartiers n’est plus garantie et,aucontraire, la précarisation gagne du terrain.Les auteurs montrent que,si la peur du déclas-sement est l’un des éléments forts d’explica-tion de la «droitisation» des populations de cesquartiers,il faut se méfier des raccourcis,le rejetet l’incompréhension n’excluent pas la proxi-mité et même la solidarité.Ainsi certains retrai-tés faisant partie des «pionniers» du quartier,qui avouent ne pas comprendre du tout la cul-ture et le mode de vie de leurs voisins immi-grés,encadrent tout de même leurs enfants aumoment des devoirs scolaires et, malgré desconflits de voisinage parfois violents, les fêtesorganisées regroupent tous les gens du lotisse-ment.

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À lire

LAGRANGE Hugues (dir.)L’épreuve des inégalitésParis, Puf, 2006

LES «TRENTE GLORIEUSES» ONT ÉTÉ, AU MOINS

dans les pays occidentaux, une périodede forte réduction des inégalités.Depuis

lors,les inégalités entre les nations semblent sestabiliser, voire diminuer, mais elles s’accrois-sent à l’intérieur des pays de l’OCDE.Cette évo-lution s’est surtout opérée au détriment desclasses moyennes et des jeunes, au profit desplus de 50 ans.La France se trouve confrontéeà des difficultés pour intégrer les populations lesplus pauvres de la société, en dépit de dépen-ses sociales élevées,et doit faire face aux révol-tes des jeunes dans les quartiers sensibles.Cetouvrage collectif des chercheurs de l’Observa-toire sociologique du changement (OSC) brosseun large tableau de l’évolution de la sociétéfrançaise dans une approche comparative avecd’autres pays développés.La première partie met en regard les inégalitésperçues, les inégalités objectives et les juge-

ments de valeurs qui sous-tendent les percep-tions. Paradoxalement, alors que les inégalitéssont beaucoup moins fortes en Europe qu’auxÉtats-Unis,elles semblent être beaucoup moinsbien supportées. La modernité n’a pas permisd’éviter la frustration des classes moyennes,dont les attentes ont été déçues en termes derendement des diplômes, d’accès à de bonsemplois et conditions de vie.Les différentes contributions interrogent l’évo-lution de la mobilité sociale et les solidaritésfamiliales.L’allongement de la scolarité n’a paseu beaucoup d’effet sur la mobilité sociale. Siles solidarités familiales contribuent à réduireles inégalités selon l’âge,elles n’ont pas d’effetredistributif entre les milieux sociaux et peud’effet en termes d’ascension sociale d’unegénération à l’autre.Paradoxalement,elles favo-risent le repli des milieux sociaux sur eux-mêmes.

CARTIER Marie, COUTANT Isabelle,MASCLET Olivier, SIBLOT YasmineLa France des «petits-moyens»Paris, La Découverte, mars 2008

Coll. Textes à l’appui

La seconde partie se focalise sur la ségrégationurbaine en Île-de-France, son évolution et lesprocessus sous-jacents. Elle atteste de l’impré-gnation des inégalités sociales sur le territoirefrancilien et des fortes interactions entre lesdimensions urbaines et scolaires,la compositionsociale d’un quartier interagissant avec celledes écoles.Si,entre 1990 et 1999,la ségrégationsociale s’est approfondie aux deux extrémitésdu spectre social,près de la moitié de la popu-lation francilienne vit dans des quartiers au pro-fil social moyen-mélangé. Les classes les plusaisées sont le plus regroupées et constituent,par la recherche d’un entre-soi, le moteur desprocessus ségrégatifs qui,de proche en proche

via le marché immobilier,mène à la relégationde certains quartiers. L’étude conclut sur lanécessité de renforcer la mixité sociale et eth-nique sur le territoire si l’on veut contrer lespressions à un infléchissement de notre sys-tème de protection sociale. L’effort de solida-rité apparaît,en effet,inversement proportionnelà la distance sociale qui sépare les récipiendai-res.L’étude souligne aussi l’importance des pri-ses de parole de la société civile pour inciterdavantage l’action publique à enrayer les dyna-miques de fragmentation et de ségrégation,et labaisse de qualité des services – notamment sco-laires – qui les accompagne.

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À lire

CE NUMÉRO DE LA REVUE ESPRIT TRAITE LES

questions de cohésion sociale et territo-riale sous un angle original.Il interroge

en effet les relations qui unissent, au sein desmétropoles,des espaces qui occupent des fonc-tions très différentes : les centres-villes gentri-fiés, les espaces périurbains, dont la définitionreste floue et qui se caractérisent par la pré-sence des classes populaires ou de petites clas-ses moyennes,et enfin les cités d’habitat social.À la différence de précédents dossiers centréssur la question des quartiers d’habitat social,ledossier porte sur les transformations d’ensem-ble de la ville.Il resitue ces trois types d’espacesdans les logiques urbaines globales,qui produi-sent la ville et génèrent les ségrégations.La villeà trois vitesses est traversée par des processusde relégation,de périurbanisation et de gentri-fication. Quelles sont aujourd’hui les consé-quences sociologiques,économiques et politi-ques de ces clivages et quelles sont les pistespour y remédier? Les débats portent sur la poli-tique de la ville,aujourd’hui plus centrée sur levolet urbain et immobilier que sur les trajectoi-res résidentielles et professionnelles des habi-tants et sur l’amélioration de leur vie quoti-dienne. Ils portent aussi sur la fragmentationdes intercommunalités, sur les logiques quipoussent à la création de groupements demême composante sociologique,ce qui limitefortement leur impact en termes de solidarité.

L’idée de mixité sociale est elle aussi débattue.S’ilyaconsensus apparent autour de ce concept,l’observation du terrain montre un mouvementinverse de ségrégation et de repli sur soi.L’intérêt du dossier est aussi de sortir des fron-tières hexagonales et de montrer que les effetsde la mondialisation et les réponses politiquesdiffèrent selon les pays.Les États-Unis ont optépour l’étalement urbain qui s’accompagned’une suburbanisation de l’emploi,de l’écono-mie et d’un accroissement des disparités.La ville du Caire est, elle aussi, un symbole del’étalement urbain, mais elle est marquée parune division entre villes nouvelles,espaces sécu-risés et zones d’habitat illégal. Ces exemplesmontrent que l’urbain est de moins en moinssynonyme d’urbanité, de partage de valeurscommunes et d’appartenance à une mêmecommunauté.La troisième partie aborde la question urbainede manière très ouverte :elle traite de la dimen-sion sensible de la ville, la conçoit comme unespace vécu. Elle pose aussi la question descaractéristiques de la civilisation urbaine, liéeaux valeurs démocratiques et humanistes ets’interroge, in fine, sur le devenir de cetteconception de la ville humaniste.Si la ville estaussi un espace où se meuvent des corps, dessensibilités,un espace héritier de l’Urbs et de laCivitas antiques,que devient cet héritage dansune ville à trois vitesses ?

DONZELOT Jacques et MONGIN Olivier(dir.)La ville à trois vitesses :gentrification, relégation,périurbanisationEsprit, n° 303, mars-avril 2004.

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